fil
rouge
Alexandre LICATA DSAA Design Mention Produit 2015
Quelques précisions avant de commencer... Le mémoire ici présent a été pensé comme un véritable objet à lire, à manipuler. C’est pourquoi le format des pages qui composent ce fichier numérique ne reflètent pas la mise en page réelle du mémoire. Cette mise en page se veut la plus claire possible pour pouvoir lire chaque partie correctement. Les chapitres sont des feuillets autonomes. Ainsi, chaque « chapitre » est ici divisé en 3 planches: une planche d’introduction, une planche de contenu, et une planche de précisions (notes, références et iconographie), comme ceci:
Planche d’introduction
Planche de contenu
Planche de précisions
Pour vous aider à faire le lien entre la mise en page numérique et le mémoire imprimé, voici quelques photos de manipulation du mémoire que vous aurez entre les mains lors de la soutenance. Les photos montrent une maquette à l’échelle réduite du mémoire.
Bonne lecture.
Avant-propos
Marseille, le 24 Octobre 2014
Ce thème de mémoire est le fruit d’une réflexion menée sur deux ans. Lorsqu’en première année de DSAA j’ai dû penser à un thème, mes influences et aspirations se sont rapidement manifestées. Ayant toujours cherché à comprendre le monde qui m’entoure, embrasser une formation en Arts Appliqués m’a permis d’exercer mon regard sur la ville, ses murs. En BTS, à différentes reprises j’ai tenté de développer un discours pour interpréter cet espace urbain qui m’inspire, qui m’abrite, me sollicite. De plus, en voyageant plus ou moins fréquemment, loin ou longtemps, j’ai réalisé l’importance de mes voyages, et des villes visitées sur mon univers, à travers des souvenirs, des rencontres, des croquis, des prises de vues… Ainsi, j’ai sans doute envisagé cette année de diplôme comme un voyage fait d’envies, de buts ou étapes à atteindre. Il a fallu transformer ces envies en véritables objectifs et problématiques raisonnables, réfléchies. Influencé par différents horizons, et car il m’est difficile de faire des choix, je suis passé par plusieurs étapes avant de définir cette thématique en particulier. Malgré diverses fausses pistes -quand bien même sources d’inspirations pour ce mémoire- j’ai naturellement tourné mon regard vers un élément fort dans mon quotidien de citadin: les flux, les déplacements. Lors de l’accréditation en fin de première année, le propos que j’ai développé était encore un peu flou. C’est pourquoi le début de cette deuxième année marque pour moi le point de départ d’un trajet d’un an. Non pas un voyage sans but, la fleur au fusil et espérant, au petit bonheur la chance, aboutir sur un projet. Mais bel et bien une réflexion continue quand à cette thématique et cet univers qui m’est propre, tout comme les références et influences qui viendront construire ce mémoire et mon projet.
Marseille, le 29 Mars 2015
S’orienter en ville est quelquechose de complexe. Aussi, j’ai voulu respecter cet aspect dense de la ville, plus ou moins organisé selon différents niveaux de lecture. Si mon thème aborde l’organisation spatiale de la ville, il doit en être le reflet. Ce mémoire se veut l’évocation d’un guide. À la fois pour le lecteur, mais aussi pour moi. Construit comme un ensemble de cartes d’une seule et même ville, il est possible d’y entrer par plusieurs portes. Le sens de lecture de ce mémoire n’est pas imposé. Comme un livre dont vous êtes le héros, chaque dépliant est un chapitre, un quartier à explorer pour mieux comprendre le sujet abordé. Chacun de ces « zooms » participe à construire un ensemble cohérent, fait de liens, d’allers et retours. L’élaboration même de ce mémoire fut un élément de travail, un exercice sur l’organisation, la hiérarchisation et la représentation des informations, problématique propre à mon thème. Vous trouverez ainsi dans ce guide un sommaire sous forme de plan, et un plan figuratif des dépliants. De plus qu’un mode d’emploi pour le sens de lecture de chacun de ces dépliants.
INTRODUCTION
En 2013, 53% de la population mondiale vit en ville (chiffre de la Banque Mondiale). Plus de la moitié des personnes sur terre vivent en ville depuis 2006. Ce chiffre tend à s’accroître. Chaque semaine dans le monde, un million de personnes viennent s’installer en ville. Le nombre de citadins devrait passer de 3,6 à 6,3 milliards en 2050. Plus il y a d’hommes à abriter, plus les villes poussent. De 1990 à 2008, la Chine a vu naître 246 nouvelles villes pour faire face à l’exode rural, induit par l’industrialisation de l’agriculture. L’homme urbanise le monde. Il le rend habitable pour tous, ou du moins il essaie. Il organise l’espace en « zones » plus ou moins habitables, connectées par des réseaux de transports et de communications. Il alimente les villes en eau, en énergie. Si le « zonage » (cher au Congrès International d’Architecture Moderne) est remis en question depuis l’adoption du Plan d’Action 21 en 1992 au Sommet de la Terre à Rio, les villes que l’on voit aujourd’hui sont celles de la révolution industrielle, avec pour dénominateur commun l’essor de l’automobile. Cette dernière est à l’image de la ville. Elle change dans le fond comme dans la forme pour s’adapter aux nouveaux usages du territoire. Ainsi il n’y a plus du modèles, de plans directeurs pour toutes les villes du monde. Les repères sont brouillés. De ce fait, la ville tend à se redéfinir, pour être au plus près des enjeux du monde contemporain. Elle s’ouvre sur l’extérieur. Les frontières sont presque obsolètes sur le plan physique. Il faut alors tirer parti de sa place sur le globe pour faire partie intégrante de la mondialisation. Le Grand Paris, par exemple, se veut être une métropole ouverte sur le monde, par le train, l’avion, et les réseaux routiers. Marseille, quand à elle, a réaffirmé son statut de ville Méditerranéenne en 2013, se concentrant sur son littoral nord, terre d’accueil du peuple méditerranéen... L’homme possède un potentiel de déplacement plus fort que jamais. Le tourisme arrive ainsi à sa phase « industrielle », et on parle désormais de tourisme de masse. La question de l’identité est alors directement mise en jeu. Car si l’on passe de plus en plus de temps à se déplacer, à explorer de nouveaux territoires, chaque ville est différente, unique. En tant que designer, je pense devoir agir sur ces questions liées à ces nouveaux usages du territoire: - Dans un contexte où la ville est partout, comment se repère-t-on? Comment différencie-t-on deux territoires? - Si la mobilité évolue vers un phénomène d’hypermobilité, comment permettre aux gens de se déplacer aisément? Quel rapport entretient l’homme aux transports? - Si la ville évolue et prend elle aussi le virage du numérique, comment le citadin peut-il garder un rapport physique à son environnement ? La ville du tout-numérique est-elle une ville des écrans? - Se déplacer physiquement et virtuellement: quels risques pour la diversité, la surprise, la découverte? Les outils numériques tuent-ils l’expérience sensible du déplacement, du voyage?
Bonne visite.
PLAN ET INTRODUCTION
PLAN ET INTRODUCTION
ORGANISATION SPATIALE
ON URBANISE LE MONDE...
RÉINVENTER LA VILLE
LA VILLE CONNECTÉE
MOBILITÉ
HYPERMOBILITÉ
ORIENTATION ET REPÉRAGE
REPRÉSENTATIONS
TOUS TOURISTES
VERS LE PROJET
ANNEXE
À l’origine, la ville...
Le cadre spatial de mon projet étant la ville, je tiens à en faire ma propre définition. Bien sûr, il me faut comprendre les bases et les généralités de ce milieu avant de me l’approprier. Ainsi, j’envisage cette étape comme un historique de la ville. J’ai besoin de déchiffrer cet environnement, de savoir pourquoi et comment il s’organise. Cela doit me permettre de comprendre pourquoi nous en sommes venus à vivre regroupés sur un même territoire, et ce que cela implique en termes d’infrastructures, de fonctionnalités et d’interactions. Je pense également à une autre composante de ma réflexion, axée sur les déplacements, la mobilité, et l’orientation. Il me faut alors savoir si nos différents moyens de nous déplacer conditionnent la construction de l’espace urbain. Ou bien, à l’inverse, si c’est la ville qui conditionne notre manière de nous déplacer. Le but du projet est d’offrir une aide à l’orientation, donc à la compréhension de la ville. Si s’orienter signifie lire et interpréter notre environnement, il faut que je connaisse cet environnement. Et ainsi entrevoir des systèmes d’orientation définis par la ville elle-même.
ORGANISATION SPATIALE
Se regrouper en foyers
industrie et urbanisme
L’industrialisation a accéléré le processus de gentrification vers les villes. La notion de « centre-ville » est apparue, de même que la logique de centralisation: les usines «sales», nouveaux lieux de production, sont construites à la périphérie des villes, elles produisent les biens de consommation et l’énergie dont la ville a besoin.
L’Homme s’est sédentarisé car il a trouvé, en certains endroits, un accès constant à l’eau, à la nourriture, à des terres cultivables. Vivant toujours en groupe, les communautés se sont organisées autour de points essentiels, comme un puits, un port, un fleuve. Autour de cet épicentre, se sont construits différents foyers. La vie en communauté s’est organisée ainsi, de manière à ce que chaque foyer soit à une distance convenable à pied pour se fournir en eau. Lieu de travail (atelier souvent accroché à la maison), de production d’énergie et parfois même de nourriture (puisqu’on est à proximité des champs), le foyer est une sorte d’hétérotopie avant l’heure. Plusieurs fonctions sont réunies en un seul lieu. Les déplacements se font vers le marché, vers l’église ou autres places publiques, lieux de rassemblement. Ainsi, les villes occidentales peuvent être décrites selon l’exemple suivant: Les 20 arrondissements de Paris sont des petits quartiers. L’essentiel de ce dont les gens ont besoin au quotidien peut être à 5 ou 10 minutes de marche. La définition de ville à ce point là de l’histoire consiste en un territoire partagé et habité. Chacun trouve sa place (physique et sociale) au sein de la communauté. La communauté se mue alors en «quartiers», terme qui convient mieux au domaine urbain.
En centre-ville l’apprentissage prend place dans les écoles, la santé dans les hôpitaux, la nourriture et les biens de consommation se retrouvent toujours au marché, mais aussi dans des nouveaux magasins (puis plus tard des supermarchés et hypermarchés)… Il faut désormais se déplacer plus loin (et si possible plus vite) pour accéder à un bien, à un service. L’automobile fut la clé de voûte de cette organisation spatiale de la ville. Plus tard en effet, la pensée moderniste d’architectes comme Le Corbusier, Oscar Niemeyer, Walter Gropius amène une logique de « zonage » de la ville. La voiture (mais aussi le bus) est censée pouvoir relier toutes les zones de la ville en un temps record. Il est alors logique de voir des villes plus récentes s’étaler, car elles sont pensées sur le modèle de l’automobile et/ou des déplacements toujours plus rapides...
Comparaison
La ville de Paris, dont les origines remontent à l’époque gallo-romaine, s’étend sur 105 km² (paris intramuros), pour une densité de population de 21 258 hab./km². Le projet de construire Brasilia a vu le jour en 1956. Aujourd’hui, la ville s’étend sur 5 802 km² et affiche une densité de population de 442 hab./km². Aussi, le moindre trajet à Brasilia est difficilement concevable autrement qu’en voiture ou en transports en commun.
Première révolution urbaine « La ville médiévale fait place à une ville « classique » […]. Le mouvement prend une place grandissante, les rues s’élargissent et se différencient fonctionnellement et socialement, les villes s’étendent, les faubourgs prolifèrent, agglomérant de façon nouvelle populations et activités »1. Ainsi François Ascher nous décrit l’une des premières «Révolutions Urbaines». Cela est dû également à une population toujours plus nombreuse, qui cherche le confort et les facilités de la vie en ville. L’accès à l’eau, à l’électricité, au gaz, au travail sont plus faciles car ils se concentrent sur un même territoire. Les gens se déplacent alors tous dans un espace commun et dense, la ville. Cette dernière n’est plus enfermée au sein de ses murs. Les portes sont toujours là, mais elles sont davantage un symbole qu’un véritable seuil à franchir. Les ouvertures sur l’extérieur se multiplient car le réseau routier (puis ferroviaire) se développe. Et plus il y a de voies, plus on couvre de territoire. Ces voies pavées ou ferrées relient une ville à un village, qui lui aussi s’étend pour devenir une ville, etc. Chaque chemin mène à un lieu habité, à une nouvelle «communauté» de gens.
«Trop souvent, le piéton est victime de la césure entre la logique de la route et celle de la ville.» Le but du projet est donc de recréer du lien entre le piéton, ou tout simplement l’Homme, et son environnement. Il doit s’instaurer un dialogue entre les deux parties, comme un échange constructif...
LE DESIGNER FAçONNE LA VILLE
Nous sommes aujourd’hui dans des villes qui ne sont plus le fruit de l’improvisation. Chaque élément est pensé, conçu pour s’intégrer au mieux dans ces cités. Ainsi, la ville n’est pas le fruit du travail d’une seule personne, d’un seul architecte, mais bien d’un ensemble de spécialistes. Architectes, urbanistes, designers, hommes politiques et pourquoi pas même artistes, le travail combiné de ces différents profils dessinent le véritable visage d’une ville (ou d’un quartier). Le designer a donc tout à fait sa place dans ce contexte, puisqu’il est celui qui agit comme «médiateur». Il se doit de faire accepter l’évolution d’une ville à ceux qui y habitent. A travers des solutions éthiques, fonctionnelles et esthétiques. D’une certaine manière, son rôle est d’informer les citadins, via de nouveaux usages, de nouveaux scénarios (et donc de nouveaux produits), sur la ville en elle-même: panneaux cartographiques, jeux de lumières, organisation spatiale du mobilier urbain, ambiances de couleurs et matières... Les moyens sont divers, mais l’application du design ne doit pas freiner les fonctions vitales de la ville.
Notes et références
ICONOGRAPHIE Plan à l’échelle 1/10
e
1 : François Ascher, Les nouveaux principes de l’urbanisme (La fin des villes n’est pas à l’ordre du jour ), Ed. de l’Aube, 2001, p.15
B
2 : Jean-Marie Duthilleul, Circuler. Quand nos mouvements façonnent la ville, 2012 A
E C D
F
A: Photographie d’Uruk prises par le British Museum lors d’une visite le 6 Juin 2006 sur le site archéologique. Historiquement, Uruk (ou Ourouk) est la première des villes. B: Carte dessinée à la main par Wendeline Knijtijzer pour Debby Koudenburg. Cette carte, à forte valeur didactique, fait partie de la collection de cartes mises à disposition par Kris Harzinski, artiste américain, sur le site de la Hand Drawn Map Association. Echangées, dessinées à main levée pour montrer un chemin, expliquer un trajet à un passant... Ces cartes se veulent donc à la fois sincères et très sensibles. C: Photographie personnelle, 3 Janvier 2015. Il s’agit d’un fragment d’un dispositif d’orientation guidant les piétons vers le Panier, quartier touristique de Marseille. Ces lignes et «pavés fléchés» se font de plus en plus rares au fur et à mesure que les alentours du Panier sont rénovés, surtout depuis 2013, et Marseille « Capitale Européenne de la Culture »... D: Klaus Burgle, Das neue universum (Le nouvel univers), 1959. Cette image est l’une des nombreuses visions du futur créées par Burgle dans les années 60. On y voit donc logiquement un maillage très dense de réseaux routiers, faisant la part belle à l’automobile. La ville, au second plan, s’efface presque pour laisser place aux transports, à la vitesse, qui provoquent une invitation au voyage, d’une ville à l’autre... E: S. Borisov, Aerial view of Paris, France, 2013, photo libre de droits. Cette photo, bien que « générique », montre Paris telle qu’on la connaît. Avec sa Tour Eiffel, ses toits gris, la Seine et au loin la Défense. On comprend immédiatement ce qu’on nous montre, à savoir une ville densément peuplée, vivante.
F: Cyrille Weiner, Axe monumental, photographie tirée de la série Brasilia, en dehors du plan, 2008. Cette série illustre parfaitement les mots de Jean-Marie Duthilleul à propos de la relation entre l’homme et la ville dans la ville « moderne ». On constate évidemment une ville pensée pour la voiture et les transports en commun, et non pour le piéton. Un peu à l’image de la ville pensée par Klaus Burgle justement. Énorme contraste visuel avec Paris qui est manifestementplus dense. La comparaison de ces deux villes, et de ces deux clichés, me permet d’établir un constat sur la diversité des villes selon leur âge, et comment ont-elles été pensées... Difficile en effet d’appliquer la même démarche dans des villes diamétralement opposées.
« Plus une ville est étendue, moins elle est cohérente et moins son peuplement est homogène (par exemple Los Angeles). Les villes des siècles à venir ne seront-elles que des conurbations sans véritable centre [...] ? Quelle pourrait donc être la taille des villes idéales de demain ?» Sophie Tasma-Anargyros et Frédéric Loeb, Et si on remettait les compteurs à zéro ?, 1998
La ville évolue car nous sommes toujours plus à y habiter. Et puisque nous nous déplaçons toujours plus vite et mieux, ce territoire s’aggrandit. Ainsi je considère la ville non seulement pour son centre, mais aussi pour ce qu’il y a autour. Car autour de la ville, il n’y a plus uniquement des usines et des zones commerciales... Des gens vivent, échangent et se déplacent de la même manière (ou presque) qu’en « centre ville ». La notion d’échelle des quartiers (et donc des villes) s’impose comme primordiale. La question que posent Sophie Tasma-Anargyros et Frédéric Loeb est donc pleine de sens. Presque vingt ans plus tard, je reformule la question en fonction de mon projet: Est-ce que la ville d’aujourd’hui est à l’échelle humaine? La notion même de centre est-elle toujours viable lorsque j’aborde le contexte des déplacements urbains? Je tiens alors à saisir les différents aspects de cette périphérie urbaine. Comment s’est bâtie la ville autour de la ville? Quelles ont été les solutions pour accueillir les populations? Et surtout, qu’est-ce qu’il ressort de ces paysages? Ces quartiers sont-ils à l’image de leurs habitants? Reflètent-ils la vie qui s’y déroule, entre les tours HLM ou bien au milieu des bidonvilles? Ces nouveaux territoires urbains sont-ils accueillants ou au contraire excluent-ils toute forme d’échange avec l’extérieur?
ON URBANISE LE MONDE...
Comment intervenir, en tant que designer, pour inviter à la découverte de « la ville autour de la ville »? Ou du moins briser la séparation entre des déplacements denses dans les centres, et d’autres beaucoup plus disparates lorsqu’on s’éloigne...
LA VILLE AUTOUR DE LA VILLE
Des villes toujours plus larges...
Les villes construites sur ce modèle de la vitesse du déplacement créent de fortes disparités. Si nous ne sommes pas « à l’intérieur », chez nous, il faut être en mouvement. Et rapide si possible. Une fois dans la rue, les gens sont à la recherche du moyen le plus efficace pour rallier un lieu à un autre. Et même les villes plus anciennes, ont vu leurs contours changer. Pour accueillir toujours plus de personnes1, on a construit la ville autour de la ville. Les banlieues. Les banlieues HLM des années 1970 ont été bâties pour accueillir les classes moyennes avec des grands parkings au milieu d’habitations toujours plus hautes. Mais elle sont aujourd’hui des zones isolées car la voiture n’est plus le véhicule principal des nouvelles populations qui y habitent, moins aisées, mais toujours plus nombreuses. Le trajet jusqu’au centre-ville se fait davantage par bus et métro, si le quartier est bien desservi. La banlieue peut prendre différentes formes : quartiers pavillonnaires sur le modèle des « suburbs » américains ou quartiers HLM (aujourd’hui habités par des populations dites « défavorisées »). Ces deux typologies d’étalement urbain ont un point commun: elles demandent beaucoup d’espace. Chaque villa a besoin d’un jardin (si possible devant et derrière la maison), et les quartiers HLM ont besoin de grands parkings et parcs. Aussi, toutes deux nécessitent une voirie la plus large possible, donnant un accès direct à chaque habitation. Que faire de cet espace « public », où les gens qui circulent sont uniquement les habitants? Est-il possible d’inviter à la découverte de ces tiers-lieux de la ville? Il semble que oui. En effet, je pense à différentes approches: le projet de la Tour Paris 13, qui, en créant l’événement (un bâtiment investi par des artistes de rue), met en avant tout un quartier. Mais aussi le projet « Mon incroyable 93 », qui se veut être un guide multimédia pour faire découvrir la Seine-Saint-Denis hors des sentiers battus, à travers le témoignage des habitants. Il semble donc que l’art et la culture populaire soient des pistes prometteuses... D’autre part, certaines villes, n’ayant pas anticipé l’afflux massif de personnes, ont vu un nouveau type de banlieue prendre forme : le bidonville, construit à la hâte par les résidents eux-mêmes, véritable labyrinthe difforme. Ce genre de lieux où seuls les résidents arrivent à se repérer, à reconnaître les « rues », avec ou sans nom.
... Mais aussi plus hautes
Parmi ces banlieues, j’ajouterai des quartiers comme ceux de Hong Kong, combinaison de l’architecture type « HLM » à une densité de population au mètre carré comparable aux bidonvilles. Ainsi, la ville nous offre aujourd’hui une expansion à la fois verticale et horizontale. Ces deux visages du paysage urbain sont à l’image du rapport entre la ville et ses habitants: distant, froid. Il y a d’un côté des villes « prêtes à habiter » mais qui ne dégagent rien d’humain, et de l’autre des quartiers à l’échelle parfois trop humaine, que la ville n’a pas sû accueillir, anticiper correctement. La silhouette d’une ville est donc intimement liée aux populations qu’elle abrite. François Ascher nous explique en effet que « la taille des villes a dépendu des moyens de transport et de « stockage » des personnes, en particulier des techniques de construction en hauteur, de gestion urbaine des flux et des approvisionnements (voiries, égouts, eau, etc.) »2. La question de la verticalité est donc primordiale pour des villes qui se doivent de faire vivre toujours plus de gens. Vivre en communauté nécessite un partage raisonné du territoire, celui de la ville. Dans ces villes toujours plus densément peuplées, construire en hauteur est une des solutions. Mais cette verticalité, parfois perçue comme un énième vecteur de polarisation des classes sociales (l’élite de la cité dans les hauteurs et les plus démunis au sol), doit permettre justement de créer de nouveaux liens. Des liens ville-humain mais aussi des relations d’humain à humain. Si la ville est un territoire partagé, chaque dimension doit en être ainsi. Le Corbusier, avec le projet de la Cité Radieuse à Marseille, donnait déjà un élément de réponse, avec des lieux « publics » sur le toit (piscine et cinéma plein air...). D’autres logiques peuvent apparaître: pour des raisons géo-climatiques, logistiques, ou commerciales, la ville se conçoit ainsi du sous-sol jusqu’à la « canopée » urbaine: l’invention du métro et des monorails3 a par exemple ouvert de nouvelles perspectives de la ville. A travers ces deux moyens de transport, c’est l’organisation de la ville qui s’envisage sous un angle nouveau: par dessous ou par dessus. Mais qu’en est-il réellement pour l’usager? En réalité, dans le métro, il n’y a que peu de moyens pour se situer par rapport à la ville « du dessus », si ce n’est des noms de stations et des plans de la ville. D’un autre côté, le monorail reste encore une exception réservée à quelques villes. Parfois le métro devient « aérien » et nous fait grimper d’une couche à l’autre de la ville... Les hauteurs de la ville représentent donc un outil intéressant pour mon projet. J’imagine la possibilité d’avoir momentanément accès à cette dimension qui nous échappe parfois dans nos déplacements... Le designer, qui pense les scénarios d’interaction entre l’homme et son environnement matériel, doit inciter ces rencontres et dialogues.
expansion et appartenance
Dans sa définition, la ville se comprend en termes de dimensions, comme un espace géographique reconnaissable et délimitable. Selon les pays, ces paramètres diffèrent4. Le point commun réside dans le caractère humain. La ville est un endroit où des gens vivent organisés sur un territoire. Ils élaborent donc ensemble un projet commun, celui de cohabiter. La ville naît donc d’un sentiment d’appartenance, de convergence des intérêts et des moeurs. C’est un endroit bâti par des gens partageant la même histoire, la (ou les) mêmes cultures, les mêmes valeurs. Ainsi, au fur et à mesure que les gens se déplacent de ville en ville, se crée de nouveaux paradoxes. Lorsque je me rends dans la ville voisine, dois-je faire preuve de « civisme »5, respecter les mêmes us et coutumes que les locaux? Il est raisonnable de penser que notre différence, justement, peut inviter à l’échange, au partage. C’est aussi comme ça que les villes se sont développées, se sont aggrandies... De fait, la part de territoire sauvage diminue. L’homme maîtrise et modifie son environnement. Il urbanise le monde. S’il n’y a plus de frontières entre les villes, ces valeurs doivent-elles aussi disparaître ou au contraire, se confronter pour donner lieu à de nouveaux métissages? Les territoires de « lien » entre deux villes, à leur tour densément peuplés et urbanisés, possèdent eux aussi une histoire, des modes de vie qui leurs sont propres...
Notes et références
ICONOGRAPHIE Plan à l’échelle 1/10
e
1: Chaque semaine dans le monde, un million de personnes viennent s’installer en ville. Le nombre de citadins devrait passer de 3,6 à 6,3 milliards en 2050.
B
2: François Ascher, op.cit., p10 3: Je pense ici au Wuppertaler Schwebebahn (en français « le train suspendu de Wuppertal ») en Allemagne. Ce moyen de locomotion est une grande composante du paysage urbain de la ville, comme un symbole presque touristique. 4: En effet, en France, la ville se définit par une population d’au moins 2 000 habitants, dont les habitations doivent à être à moins de 200 m l’une de l’autre. En Algérie par contre, une ville comporte au moins 20 000 habitants. 5: Le terme de civisme est tiré du latin « civis », qui signifie « citoyen ». Le civisme se comprend comme un acte d’attachement et de dévouement à la cité. Aujourd’hui, le civisme est davantage rattaché à une appartenance à une nation. Preuve d’une vie en ville généralisée, les valeurs sont partagées à l’échelle d’un pays plutôt qu’avec une communauté proche...
A1 A2
E
C
D
F
G
A: Captures d’écran du site web interactif «The Age of Megacities», qui permet en quelques clics de superposer l’étalement urbain d’une ville sur plusieurs décennies. Ici, Paris en 1900 et en dessous, l’empreinte urbaine de Paris aujourd’hui, à la même échelle. B: La Tour Paris 13 avant démolition. Ce projet a vu 80 artistes de rue investir le bâtiment, repeindre les murs de chaque étage. Cette tour, destinée à la démolition, a été transformée en galerie éphémère et ouverte au public pendant 30 jours. Afin de conserver les oeuvres après la démolition, une visite interactive du bâtiment est disponible sur le site officiel de l’opération. Ainsi, l’espace d’un mois, ce bâtiment a acquis le statut d’élement « phare » du quartier. C: Croquis personnel. La ville verticale, des racines (les réseaux sous-terrains) jusqu’à la canopée (l’occupation des toits et, sans doute, de l’espace aérien). D: Croquis personnel. La ville horizontale, par strates qui s’étalent. Les éléments bâtis, naturels, sous-terrains se juxtaposent et densifient l’espace. E: JR, Byron, Portrait d’une génération, Paris, 20e arrondissement, 2004 L’un des premiers travaux du photographe a été d’exposer des portraits d’adolescents et jeunes adultes de banlieues Parisiennes en les collant dans la rue. Les murs des quartiers étaient alors ornés de leurs propres habitants. On personnifie alors un territoire, et dans un sens on l’humanise. F: Tom Ryaboi, So it goes, photographie. Tom Ryaboi fait partie de cette génération de jeunes photographes explorant la ville pour se percher au plus haut et immortaliser la ville vue d’en haut. Les points de vue sont le fruit d’une escalade, et non d’un survol de la ville. Ces clichés sont donc à la fois très aériens dans leur esthétique mais très terre-à-terre dans leur production. Un peu comme le font les adeptes de freerun (« parcours libre »), ils donnent à voir de nouvelles perspectives sur l’espace urbain.
G: Noah Addis, Dsouza Nagar #1, Kurla, Mumbai, série Future Cities, 2011. Cette série traduit l’urgence avec laquelle les gens se concentrent autour des villes. On voit ainsi des bidonvilles prêts à déborder mais aussi des bâtiments standards, signes d’une modernité bâclée...
« L’homme devient son propre territoire et la notion même de frontière est reconsidérée. » Sophie Tasma-Anargyros et Frédéric Loeb, Et si on remettait les compteurs à zéro ?, 1998
La ville, dans sa dimension matérielle, n’est pas figée. A travers l’histoire, différents types d’organisation des cités ont vu le jour, et fait leur temps. De la cité Romaine au Plan Voisin, chaque courant reflète l’évolution de l’Homme et ses relations vis-à-vis de son territoire. Je m’intéresse alors à ce qu’il en est aujourd’hui. Quelles sont les logiques qui régissent la ville contemporaine? Est-il toujours possible d’envisager la ville comme un contexte global, où les codes sont les mêmes partout? Ou bien, est-il concevable de travailler sur la diversité des territoires au sein d’une seule et même ville? Mon projet, visant à accompagner l’usager dans ses déambulations urbaines, devra sans doute prendre en compte de nouvelles logiques, sans doute plus contextuelles, variant d’une ville à une autre, ou même d’un quartier à l’autre. Les propos tenus ci-haut montrent un élément de réponse. De nouveaux modèles d’urbanisme apparaissent, concentrés sur le pouvoir de décision des habitants sur leur propre territoire. Il semble qu’ils soient en mesure de dessiner leur propre paysage urbain. Un paysage qui reflète leur manière de vivre en ville. Dès lors, il faut savoir comment je peux intervenir dans un tel contexte. Comment aider un usager à s’orienter / se déplacer dans des villes où le paysage visuel est défini par les résidents eux-mêmes, et non par des codes internationaux, repères universels?
RÉINVENTER LA VILLE
LA VILLE PAR DESSUS LA VILLE
Des projets à échelle humaine
Pour illustrer ce propos, le projet Quinta Monroy à Iquique, au Chili, mené par Elemental, est un bon exemple. A l’instar des banlieues HLM, les habitations délivrées aux habitants sont des petits pavillons avec le strict nécessaire pour commencer une nouvelle vie. Chaque maison est pensée pour que ses habitants puissent y ajouter leurs propres pièces. Une nouvelle chambre, une nouvelle salle de bain lorsque la famille s’aggrandit... La place est là si besoin est.
Des réponses à la mesure des chantiers
La ville de demain sera plus large, mais elle sera aussi plus dense. En effet, les gens ne prennent pas place forcément les uns à côté des autres. Le modèle du pavillon résidentiel est toujours présent, mais on en aperçoit assez vite les limites. Les suburbs ont -ou auront- besoin d’être densifiés pour retrouver une véritable « âme ». La logique fonctionnelle a fragmenté les villes, isolé les quartiers. Ces quartiers se réinventent avec de nouveaux codes.
A travers un tel projet, c’est bel et bien la place des habitants qui est mise en valeur. Les intégrer dans le processus d’évolution d’un quartier permet à celui-ci d’acquérir cette fameuse « mixité » sociale que réclament les politiques actuelles, mais aussi l’Agenda 21. Le chapitre 26 de l’agenda est d’ailleurs intitulé « Reconnaissance et renforcement du rôle des populations autochtones et de leurs communautés ».
Dès lors il me paraît évident de citer l’Action 211, programme européen pour le 21e siècle, visant à intégrer le développement durable comme trame de fond dans l’organisation de nos villes. Il est intéressant de remarquer qu’il n’y est pas question d’urbanisme à proprement parler. Rien qui ne régisse les codes visuels de la ville, de son architecture. Mais ses principes se retrouvent dans chaque projet d’aménagement du territoire. Que ce soit pour créer un nouveau quartier de toute pièce ou pour mettre à jour un ensemble déjà existant, l’ambition est celle de modeler une ville durable: plus accessible, énergétiquement responsable, respectueuse de l’environnement…
Au-delà de l’aspect humain de ces nouvelles perspectives urbaines, c’est le point de vue de la ville à travers le monde qui est questionné. En effet, l’Agenda 21 a beau être un programme de taille internationale, les solutions qu’il cherche à mettre en place sont d’ordre local. Les projets étant les plus prometteurs sont donc ceux qui se concentrent sur un territoire limité, car plus efficaces. En effet, dans une démarche de conception (architecturale ou dans le domaine du design), il est plus facile d’analyser, d’expérimenter, de vérifier des résultats dans un contexte précis, par exemple celui d’un quartier. Les ressources sont plus accessibles, les résulats directements visibles et il devient plus facile de réévaluer un projet au cours des années.
Les méthodes peuvent être réappliquées d’une ville à l’autre, mais les réponses seront différentes. Car l’Action 21, ou Agenda 21 pour la France, est un programme à appliquer d’abord à l’échelle locale. La Charte d’Athènes, avec ses réponses toutes faites, standards, est déjà loin, à tel point que certains revendiquent une « Nouvelle Charte d’Athènes ». Ainsi chaque projet se veut plus réfléchi, en faisant participer les véritables acteurs locaux. Pour chaque nouveau quartier, nouvel aménagement, un lieu est dédié à la concertation, au débat, au partage d’idées. La Maison du Tram, rue de Rome à Marseille, est un exemple de ce type de méthode.
Dans ma démarche de design, un semblant de réponse se dessine alors: Si la ville se regarde désormais à une échelle plus réduite (dans l’espace et le temps, les systèmes d’orientation doivent s’y adapter. Comment planifier et réaliser un trajet dans une ville toujours plus grande, constituée d’éléments urbains toujours plus singuliers? Mon programme devra prendre en compte le changement d’échelle. En effet, il est impossible de visualiser directement notre destination. Il est alors judicieux de se servir d’éléments urbains dans un rayon plus proche, plus accessible. On peut imaginer que chaque quartier, à son échelle, produise de l’information pour l’usager à la recherche de repères.
La solution semble donc être au rassemblement, à la mise en commun des ressources et des idées pour pouvoir bâtir une ville mieux pensée. Et chaque quartier peut posséder son identité forte, car les projets lui sont directement dédiés. A une échelle plus large, chaque ville tire parti de ses forces pour mieux se reconstruire, mieux appréhender les défis à venir.
Les habitants eux-mêmes pourraient participer à cette production de repères. On reprend alors la logique « bottom-up » valorisée par l’Agenda 21.
Il semble donc difficile de mettre en place des outils d’orientation répondant aux mêmes codes pour toutes les villes. Le seul indice valable semble être cette « variété » des paysages, en perpétuel changement.
mémoire et temporalité
Par nature, la ville évolue, sous l’action de ses habitants, de ceux qui la conçoivent... Elle change de peau ponctuellement, visiblement: les chantiers, bien que peu esthétiques, sont toujours perçus comme « un mal pour un bien ». Ils sont associés au futur, au changement et parfois à l’innovation. Ceci dit, les changements ne sont visibles qu’une fois les chantiers achevés. La ville ne change pas à vue d’oeil, mais si on la regarde à des dates successives, le paysage change. Les repères connus disparaissent, de nouveaux apparaissent... Et il faut faire le lien entre les anciens et les nouveaux. Il faut réinterpréter l’espace, les lieux, les voies, réapprendre à lire la ville selon de nouveaux codes. Il y a un rapport très informatique et numérique dans cette question de la mise à jour... Ces mises à jour sont nécessaires pour la ville, et tous les systèmes doivent suivre le rythme. Les Plan Locaux d’Urbanisme (PLU) doivent être mis à jour eux aussi, tout comme les GPS, les clichés de Google Streetview... Le but est d’accompagner le changement. Le but du citoyen est donc de rester en phase avec les évolutions, les mutations de sa ville. Mais à terme, cette nécessité d’être constamment « à jour » est-elle vraiment soutenable? L’homme doit-il sans cesse chercher l’innovation, si ce n’est le changement? Par nature, il est amené à évoluer lui-même. Mais vis-à-vis de son environnement matériel, à savoir la ville, il est justement un témoin. Si les bâtiments changent, si certains sont détruits pour que d’autres puissent pousser, que reste-t-il comme trace tangible de la ville? La véritable mémoire de la ville réside certainement dans la mémoire de ses habitants. Ayant moi-même vu et vécu la transformation de Marseille à l’approche de 2013, je sais à quel point une ville peut évoluer. Et ce n’est pas sans certains bémols. Le projet du Vieux port a suscité de nombreuses contestations de la part des locaux. Deux ans plus tard, on se rend pourtant compte de l’apport bénéfique sur le tourisme qu’ont permis ces transformations2. Enjeux sociaux, politiques et économiques. Les transformations d’une ville (qu’elles soient ponctuelles et douces, ou bien spontanées et brutales) ont donc des répercutions certaines. Tout d’abord sur ses habitants, leur histoire et leurs modes de vie. Ce sont eux qui permettent d’assurer une transition, une transmission des valeurs de la ville générations après générations. Mais ces répercutions concernent aussi son image, celle qu’elle renvoie au-delà de ses limites. En tant que designer, il faut donc savoir jongler entre l’innovation, caractère propre de l’homme qui modifie son environnement, et la transmission de valeurs, la conservation d’une image, l’image de la ville.
Notes et références 1: Le projet d’Action 21, appelé Agenda 21 en France, a vu le jour lors du Sommet de la Terre à Rio de Janeiro en 1992. Ce projet à l’échelle internationale (ratifié par 178 chefs d’Etat) a instauré des grandes directives pour mener à bien des démarches de développement durable. Ces recommandations sont appliquables dans des domaines variés (gestion des déchets, logement, pauvreté, santé, gestion des ressources en eau, etc...). De manière générale, il influe sur la manière dont les villes évoluent. En France, le Comité 21 est chargé de relayer ce travail de l’échelle nationale à l’échelle régionale. 2 : Selon le site visitprovence.org, en 2013, le département observe une hausse de 10% du tourisme et un impact certain sur l’image de la destination principale, à savoir Marseille. Ces hausses sont caractérisés notamment par davantage de touristes étrangers.
ICONOGRAPHIE Plan à l’échelle 1/10e
B1 B2
A
C
D
A: NLÉ + ZOOHAUS/INTELIGENCIAS COLECTIVAS, Lagos, 2014. Cette illustration fait partie de l’exposition Uneven Growth: Tactical Urbanisms for Growing Megacities, organisée par le MoMA en 2014. Cette exposition avait pour objectif d’imaginer, à partir de prévisions sur les prochaines mégalopoles à l’horizon 2030, de nouvelles solutions en termes de planification urbaines. Depuis, un site internet diffuse les différentes actions menées dans ces villes (Istanbul, Rio de Janeiro, New York, Bombay, Hong Kong et Lagos). B1 et B2: Photographies du quartier de Quinta Monroy, à Iquique, Chili. C: Alain BUBLEX, photomontage tiré de la série Plug-in city, 2001. La ville imaginée par Bublex rejoint la pensée du groupe d’architectes anglais ARCHIGRAM (contraction de Architecture et Telegram), qui conçoit une mise à jour des bâtiments par le haut, et non par le bas comme c’est le cas aujourd’hui. À travers cette vision, c’est notre rapport à l’envrionnement et ses évolution qui est questionné. Au lieu de démolir pour recontruire, ne faudrait-il pas « greffer », superposer des éléments comme dans le jeu vidéo Tetris? Si la série de Bublex date du début du siècle, ARCHIGRAM a vu le jour dans les années 1960... D: Kérényi ZOLTÁN, Budapest II, Lipthay utca, 25 Janvier 2013
Smart city?
«
La ville évolue grâce à l’action de ses habitants, et change ainsi de peau. Au 21e siècle, il est désormais impossible de faire abstraction du numérique. L’article de Sibylle Vincendon, ci-contre, exprime bien cette présence accrue de cette technologie, à la fois support, outil, 6e sens pour d’autres... Pour le designer que je suis, la place des T.I.C (Technologies de l’Information et des Communications) est une question à part entière. Dois-je accepter le fait que la ville devient «intelligente» (et qu’est-ce que cela veut dire?) et pourquoi pas aller dans ce sens; ou bien mon projet doit-il s’émanciper totalement de cette numérisation de la ville? Le «6e sens» de l’orientation doit-il être numérique? Pour répondre à ces questions, il me faut d’abord comprendre comment la ville prend le virage du numérique, et qu’est-ce que cela implique dans notre manière d’envisager nos déplacements (quotidiens ou non), dans notre rapport à la ville. Est-ce que les outils numériques, tant privés que publics, individuels ou partagés, diminuent ou augmentent l’expérience sensible? «Augmenter» ou «Augmenté»: voilà les termes qui ponctuent régulièrement mon parcours lorsque j’évoque les technologies du numérique. Mon analyse (en plus de celle déjà effectuée en début d’année), doit me permettre de faire des choix: est-il raisonnable de vouloir tout augmenter? Est-ce que l’expérience de la ville passe forcément par des systèmes numériques, ou bien la relation entre l’homme et son environnement doit-elle rester plus simple, voire déconnectée? Il serait intéressant de confronter ces deux penchants, et pourquoi pas trouver des pistes à mi-chemin, où le numérique est raisonnablement utilisé à des fins sensibles et constructives pour une vie (et des déplacements) en milieu urbain.
LA VILLE CONNECTÉE
»
La 4e dimension de la ville
Pour se réinventer, la ville se doit d’être plus intelligente. Dans le fond comme dans la (ou les) forme(s). Les technologies du numérique sortent de l’espace domestique et privé pour prendre place dans la rue, à l’échelle de la ville. On parle désormais de « smart cities », soit « villes intelligentes » pour décrire ces villes où l’innovation passe par le numérique, et les systèmes connectés. Jean-Pierre Orfeuil donne une définition à la fois poétique et rationnelle de cette ville, et va dans mon sens: « La quatrième dimension (le virtuel) requiert la connexion permanente aux autres et au territoire. »1 Cet espace numérique de la ville, vu selon ces termes, semble être un bon outil pour aborder la question de l’orientation, et donc du rapport entre l’homme et son environnement, son territoire. Ou bien le territoire des autres si on prend le cas du touriste... Il faudrait donc matérialiser cette 4e dimension? Qu’en est-il aujourd’hui? On a affaire à un paysage où le « numérique » (en tant que matière brute) se déplace à travers des antennes-relais ou un réseau de câbles. Ce sont des supports techniques, des outils qui ne concernent pas (encore) directement l’usager. Puis, la « matière » numérique devient accessible à travers les écrans, fixes ou nomades (panneaux d’information d’un côté, et tablettes et téléphones portables de l’autre). Le travail du designer, dans ce contexte, est donc d’imaginer comment cette vie » numérique prend corps dans la ville plutôt que sur nos portables. Doit-on forcément placer des écrans partout dans la ville pour remplacer nos écrans de poche ? Je ne crois pas. En effet, la force des technologies du numérique est de réinventer nos rapports à l’objet, nos gestes, nos rythmes de vie: leap motion, commande ou reconnaissance vocale, capteurs de son, de lumière, de formes… Des technologies de plus en plus présentes, mais aussi plus accessibles. Il serait donc stérile de se restreindre au simple support du téléphone, au risque de se limiter à une énième application. Ceci dit, il faut se rendre à l’évidence. Cet objet est omniprésent dans notre quotidien et donc dans la rue. On peut penser à l’utiliser comme « clé » pour arpenter la ville, puisque c’est déjà plus ou moins le cas : on utilise désormais Google Maps et autres applications GPS pour se diriger en direct dans la ville… Si l’orientation se comprend comme un rapport étroit entre le corps et l’environnement, le numérique, dans ce projet, doit aller en ce sens. Surtout s’il devient de plus en plus accessible, comme c’est le cas aujourd’hui. Chaun peut potentiellement créer du contenu, « donner vie » à des objets inanimés.
le vrai, le beau, les relations humaines2
« Les logiques attendues sont la diffusion, la couverture spatiale plus que le « pôle », la fusion de l’espace et du mouvement, l’augmentation des capacités naturelles (le « piéton augmenté ») […] »3 Une des cibles visées pour le projet pourrait sans doute être ce « piéton augmenté » cité par Jean-Pierre Orfeuil. Ce piéton qui, grâce à des outils intelligents (pour l’instant le téléphone ou autres montres connectées), rentre dans la 4e dimension de la ville. On peut citer le récent jeu vidéo « Watch Dogs », où l’on joue un personnage « hacker »4 de la ville de Chicago et ses infrastructures, le tout grâce à son smartphone. S’il n’y a pas de portes physiques à franchir dans la ville contemporaine, la seule qui se dresse devant nous est: comment situer ma destination (après m’être localisé moi-même) et comment m’y rendre ? Les multiples outils intelligents cités plus haut peuvent donc être la solution. C’est déjà le cas avec les téléphones portables aujourd’hui et la multitude d’applications d’orientation interactive. Une autre notion de fond surgit: l’hyper-accessibilité à ces services. En effet, en 2020, « l’Internet des objets » devrait connecter environ 30 milliards d’objets. A en croire ces chiffres, chaque personne vivant en ville devrait avoir accès à un objet connecté... Mais à quoi le piéton doit-il se connecter et pourquoi? Dans le cadre de mon projet, la connection à la ville semble être évidente. Et pourtant... Le pouvoir des smartphones et autres supports « intelligents », en plus de connecter l’homme et le monde autour de lui, est bel et bien de mettre en relation des gens à différents endroits, et différents moments. C’est sans doute là que mon projet doit réellement intervenir. Car il n’est pas si naïf de dire que les objets « connectés » nous déconnectent de la réalité, de l’instant présent et donc des vraies interactions, les interactions humaines. Jean-Pierre Orfeuil explique: « Le mouvement physique n’a plus le monopole de l’échange : la coprésence virtuelle a conquis sa place, un clic suffit à assurer notre visibilité et exprimer nos aspirations. Notre « partage modal » se déplace vers le virtuel. » 5 Lorsqu’il s’agit d’aborder le sujet de l’orientation, il est peut-être plus sensé d’établir un scénario plus « humain », sensible, avant de proposer des solutions basées sur le virtuel. La temporalité des outils doit donc être réfléchie en ce sens: le numérique ne doit pas supprimer les liens réels entre les gens dans/et la rue, mais au contraire les enrichir. Dans l’instant présent, l’usage des T.I.C doit être modéré si ce n’est supprimé, pour être sollicité à postériori, une fois l’expérience humaine vécue.
la place de l'incertitude
Le numérique a cette capacité à évincer l’erreur, « l’à peu près ». L’accès aux technologies du numérique en milieu urbain permet d’avoir un contrôle quasi-total sur notre environnement direct: où est le supermarché ou la banque la plus proche,? Combien de temps me faut-il pour aller à la gare? Grâce au « smartphone » (qui, par étymologie, est presque plus intelligent que nous), ou à un panneau interactif, il n’y a plus aucun temps dédié à l’attente, à la recherche même d’information. Il suffit d’appuyer sur un bouton (tactile ou non) pour avoir accès à une information stockée dans la fameuse « 4e dimension ». C’est une rupture avec la véritable mécanique de l’orientation, dans laquelle nous devons rechercher des indices dans notre environnement direct. Or, nos déplacements, nos mouvements s’enrichissent de ces paramètres d’incertitude, où l’on ne maîtrise pas entièrement les éléments qui nous entourent. L’accès instantané à une information précise et synthétique annihile toute relation sensible à l’environnement. Prenons l’exemple d’un trajet guidé par GPS (sur un portable ou dans la voiture): ce service est devenu indispensable pour certaines personnes car il est l’instrument le plus « fidèle » possible. Il nous indique en temps réel le chemin à suivre. Même si l’interface se présente sous forme de carte ou de plan plus ou moins en volume, on se concentre uniquement sur ce « tracé » virtuel. Si par malheur le service GPS ne fonctionne plus, on se sent alors perdu. Il faut alors trouver au plus vite un nouveau moyen de s’orienter... Au delà de cette anecdote, il est important de remarquer la dérive quant à l’usage des outils numériques et des écrans. Notre capacité à mémoriser, à intégrer un trajet est tout simplement remplacée par l’écran, l’ordianteur de poche. L’oubli est donc une notion caduque pour quiconque utilise ces technologies. On peut certainement parler de « dépendance » vis-à-vis de ces services. Mais ce qui m’intéresse particulièrement, c’est la façon dont ces technologies (réunies sous le préfixe « smart- ») influencent notre manière de nous déplacer. Aucun trajet n’est plus laissé au hasard. Tout est contrôlé avant, pendant et après le temps de déplacement. Pourtant, le hasard est l’une des principales conditions propices à la découverte... Il existe bien des applications, comme Serendipitor, qui nous permettent de nous perdre à travers des indications comme « suivez un nuage ». Mais dans ce type de scénario, l’usager est dupé car c’est toujours l’application qui lui dit quoi faire. Aussi, le numérique doit être un moyen et non une fin. Bien qu’il propose des usages intéressants, comme le projet « HAPPY MAPS » de Daniele Quercia6, qui propose des trajets alternatifs plus beaux, plus attrayants, selon moi, le numérique ne doit pas intervenir durant le trajet pour guider directement l’usager, mais peut être pour lui donner une seconde lecture des paysages qu’il traverse.
Notes et références
ICONOGRAPHIE Plan à l’échelle 1/10
e
1 : Jean-Pierre Orfeuil, dans Circuler. Quand nos mouvements façonnent la ville, 2012
B A C
2 : Vers du texte Relations humaines du rappeur Mc Solaar, dans l’album Prose combat, sorti en 1994. 3 : Voir 1.
D
4 : « Pirate »
E
5 : Voir 1. 6 : Le projet HAPPY MAPS est le résultat d’une série de recherches menées sur internet par Daniele Quercia. À travers une sorte de jeu vidéo, les gens choisissent entre deux captures d’écrans de Google Streetview à Londres, quel paysage est le plus « beau » ou agréable. Ces recherches, collectées sous forme de data, ont permi la réalisation d’une application pour smartphone qui nous calcule le trajet le plus beau, paisible... On introduit alors un paramètre sensible à l’intérieur même du mécanisme du logiciel...
A: Aram BARTHOLL, Dead Drops, photographie du projet Dead Drops, 2010. Aram Bartholl est un artiste qui traite de la place du numérique dans notre société. Le projet Dead Drops consiste en l’installation de clés usb à différents endroits de la ville. Ces espaces de stockage d’information permettent un échange public, gratuit, anonyme de données. Après Bartholl, plusieurs internautes ont suivi le mouvement. Ces intrusions, discrètes mais accessibles, matérialisent la dimension numérique de la ville du 21e siècle. Elles questionnent également la place des supports de communication polyvalents dans notre environnement, et l’usage que l’on en fait... B: Photographie du panneau iGirouette. Ce panneau « intelligent » préfigure sans doute le futur de la signalisation piétonne. Développé par l’entreprise Charvet Digital Media, en partenariat avec Biin, ce panneau fléché réagit aux évnènements pour proposer plusieurs orientations. Animé à 360°, les usagers peuvent télécharger une application permettant de demander son chemin à iGirouette. Un dialogue numérique s’instaure alors entre le piéton et le mobilier urbain... C: Yann MONEL, Station Osmose vue d’ensemble, 2011-2012. L’agence Aurel design urbain travaille depuis de nombreuses années sur le mobilier urbain, et plus particulièrement le mobilier concernant les transports en commun. Avec le projet Osmose, on assiste à une micro-architecture plus qu’à un objet posé sur le trottoir. L’abribus devient alors un lieu public. On y trouve un écran tactile pour suivre l’arrivée de son prochain bus, de quoi recharger son téléphone portable... On peut aussi y emprunter un livre, écouter de la musique... Á travers différents usages et jeux de lumière, l’abribus participe entièrement à la vie de la rue. Il est un lieu connecté qui propose une nouvelle approche du temps d’attente du transport en commun. D: Image du film Avatar, réalisé par James Cameron en 2009. Dans le scénario imaginé par Cameron, les Na’vis ont la capacité de se connecter physiquement avec leur environnement. Dans un rapport à la fois animal et technologique, ils se « branchent » à « l’Arbre des Âmes ». Les personnages sont ainsi en symbiose avec leur environnement, des racines jusqu’aux plus hautes cimes. Il y a dans cette image un lien étroit avec le projet Dead Drops de Bartholl, comme si notre âme, notre savoir pouvait être sauvegardé dans notre environnement proche.
E: Image tirée du jeu vidéo Watch Dogs, développé par Ubisoft et sorti en 2014. À travers ce jeu d’action-aventure et d’infiltration, le but est de pirater le système informatique de la ville pour arriver à ses fins (le personnage se présente comme un gardien de la ville de Chicago). Le scénario raconte une dérive possible de ces T.I.C. à l’échelle de la ville. Á savoir un environnement totalement contrôlé, où un logiciel gère la ville, les flux de gens, etc... Lors de la sortie du jeu, Ubisoft a mis en ligne un portail interactif permettant de visualiser les villes de Paris, Berlin et Londres en temps réel. Expérience bluffante, toujours accessible à l’adresse suivante: http://wearedata.watchdogs.com/
Retour sur le colloque « Réinventer une ville durable »
Marseille, 9 Décembre 2014
En assistant à ce colloque, je m’attendais à une série de projets sur le visage de Marseille dans 10, 20, 30 ans... Je fus assez surpris par le caractère technique, géopolotique et commercial des discours des différents intervenants, pour la plupart représentants politiques ou commerciaux. De plus, les différentes présentations furent moins « créatives » que prévues. En effet, j’ai assisté à une série de présentations concernant l’acheminement de biens marchands d’une ville à une autre, ou d’un territoire à l’autre... Ainsi la courte analyse de ce colloque vient introduire mon questionnement sur la mobilité. Les différentes visions de la ville que j’ai pu voir lors de cet événement font selon moi écho au « système BIP » de François Ascher, lui-même basé sur le transport... Si les principales interventions de ce colloque concernaient les flux logistiques de la ville (marchandises, commerçants…), cette composante urbaine n’est pourtant pas à négliger. La ville abrite une véritable cohabitation des flux, et s’organise en fonction. Les paramètres d’espace, de temporalité et de service sont donc décryptés pour rendre la ville toujours plus durable. Les flux logistiques par exemple, et donc les biens, transitent la nuit pour ne pas congestionner la « ville du jour », dédiée aux personnes. L’espace de la rue est partagé entre les différents acteurs urbains. Dans cette dynamique, j’inclus deux projets du studio Intrastructures, Mobilotoop et Super carry, qui font du citadin un « ouvrier de la ville ». Du fait de ses déplacements, il est potentiellement un facteur/livreur, un générateur et collecteur de données sur la ville. Ses déplacements créent de la ressource, du contenu au service des autres. Ainsi les flux logistiques et privés ne font qu’un: la place et le rôle de l’usager sont reconsidérés, mis en valeur. On retrouve l’esprit « un pour tous, tous pour un ».
Il me semble important de définir ce terme de « mobilité », résolument contemporain, pour en saisir les nuances. En quoi la ville d’aujourd’hui, qui se veut plus durable, place la mobilité en première place pour offrir plus de confort à ses habitants? Que que signifie « être mobile? ». Des questions auxquelles je dois répondre pour faire de la mobilité une des bases de ma réflexion.
MOBILITÉ
Mobilité, définition
Le terme de mobilité a remplacé ces dernières décennies celui de transport et/ou de déplacement. Les politiques actuelles s’engagent pour offrir toujours plus de mobilité aux citoyens. Mais qu’est-ce que cela signifie? Georges Amar, dans Homo mobilis, définit la mobilité en ces termes: « La mobilité est de plus en plus comprise en termes de création de liens, d’opportunités et de synergies, plutôt que de pur franchissement de distances, à vitesse plus ou moins grande. » 1 Ce qui rejoint la définition même de mobilité : « Facilité à se mouvoir, à être mis en mouvement, à changer, se déplacer. » 2 On parle donc de « facilité d’accès » à un territoire plus ou moins proche. La voiture, le bus, le métro, le train, l’avion, le bateau… Toujours plus performants, ils réduisent les temps de transports. Il ne s’agit plus de questionner le transport en lui-même, mais bel et bien l’accès à ces différentes façons de se mouvoir dans la ville, ou d’une ville à l’autre. Chaque spécialiste concerné par la question de l’urbanisme, y compris le designer, se doit donc d’accompagner ou d’induire, de solliciter ces liens, ces opportunités. Avant de penser à des produits, ou des outils, on réfléchit d’abord à créer des services. Puisque les deux vont de pair, le travail du designer peut s’envisager plus en amont. Il participe à leur création, pour mieux concevoir des produits en aval. Je pense au vélo’v à Lyon, inauguré en 2005, et qui a faitdes émules partout en France, (et même à New York). Si le produit est l’interface finale du service, il doit donc être identifiable et intelligible par tous. C’est à travers lui que l’usager (ou consommateur va comprendre le fonctionnement du service proposé). C’est pourquoi le design est essentiel à tout service lié à la mobilité. Il fait le lien entre le concept et l’usage, entre le service proposé et la pratique. La notion de service est donc primordiale dans mon projet. Pas de mobilité sans service dédié. A travers un service, on peut avoir différentes nuances entre le public et le privé, le transport « en commun » et « individuel ». Du covoiturage au bus, en passant par la libre location de vélo ou de voiture, les scénarios se multiplient. Cela implique des postures, des rapports usager-véhicule ou usager-usager différents selon le service proposé. La vraie question est sans doute: comment combiner ces différents scénarios? En effet, le déplacement en milieu urbain ne se résume pas à différents services ou typologies d’usage (la location plutôt que la possession d’un véhicule par exemple), mais aussi à travers un outil permettant de passer plus facilement d’un véhicule à un autre. La carte de transports remplace désormais l’unique ticket de bus ou de métro. Magnétisé, elle est la « clé » qui nous transporte d’un lieu à un autre, d’un mode à l’autre, « sans contact ». Le rôle du designer dans ce contexte, devient évident. Quelle forme (et quels usages) donner à ce nouveau type d’outil? Des liens peuvent se créer avec l’orientation, la cartographie, le partage de véhicule...
Les déplacements font vivre la ville
Cette accessibilité accrue aux transports augmente et densifie les liens au sein d’un territoire. Le réseau connecte différents modes de transports mais aussi (et surtout) différents lieux, fonctions de la ville . Jean-Pierre Orfeuil rappelle que la mobilité « n’est que rarement une fin en elle-même, elle est la plupart du temps réalisée pour permettre d’autress activités (on va travailler, faire des courses, voir des amis, etc…) ». 3 La mobilité est donc un service vital pour le bon fonctionnement d’une ville. À l’image du corps humain, la ville a besoin de ces différents réseaux pour être alimentée en biens, personnes, et informations… Bien que l’Homme se soit « sédentarisé » en ville, plus ces dernières s’agrandissent, plus le besoin de se déplacer est grand. L’Institut pour la Ville en Mouvement (l’IVM), dans sa charte fondatrice, explique ainsi que « pouvoir se déplacer dans nos sociétés urbanisées est devenu indispensable. Les droits au travail, au logement, à l’éducation, aux loisirs, à la santé… passent ainsi par une sorte de droit générique qui commande tous les autres, le droit à la mobilité ». 4 Si la mobilité se comprend comme un droit (mis en avant par François Ascher), il est alors judicieux de s’y atteler, à travers différentes opérations et activités. Dont celle du designer. Se déplacer, c’est donc « aller d’un lieu à un autre ». Mais c’est surtout passer d’une fonction à une autre tout au long de la journée: habiter-travailler, travailler-consommer, consommer-habiter, etc…. On l’aura donc compris, l’enjeu des villes d’aujourd’hui et de demain, est donc d’assurer à ses habitants « le plus de mobilité possible », autrement dit d’en faciliter l’accès, de multiplier les opportunités. Si l’accès au transport est un défi à la fois politique, social, économique, et culturel, la démarche du designer doit aller en ce sens, ou du moins l’accompagner. C’est son rôle de faire le lien entre ces évolutions et leurs applications dans notre environnement matériel. Le projet mis en place devra prendre en compte l’aspect « fonctionnel » des déplacements urbains. Car les usagers ne se nourrissent pas uniquement de culture et d’histoire de la ville, ils ont aussi besoin de savoir comment accéder à des services sous-jacents à la mobilité: la restauration, le divertissement, la consommation, le travail... Mon projet peut également être un outil valorisateur pour les différents modes de transports de la ville, ou d’une ville en particulier. En effet, on ne se déplace pas de la même manière dans toutes les villes du globe...
Courte analyse du trajet
Dans les faits, la mobilité se traduit bel et bien par des trajets. Pour être plus juste dans l’approche de design qui suivra ce mémoire, il faut comprendre comment s’effectue un trajet, comment il se perçoit, se vit et s’envisage.
Temporalité
Un trajet s’anticipe. En effet, avant même de partir, on cherche à savoir où l’on va. Et on analyse donc les différents moyens d’y aller. La plupart du temps, on choisit le trajet le plus court: on recherche l’efficacité du déplacement avant la qualité. Il est pour moi primordial de rééquilibrer ce dialogue. Est-ce qu’un trajet efficace est uniquement un trajet rapide et court? Je pense aussi que l’afflux de personnes dans un bus, métro, etc... peut redevenir gage de qualité d’un trajet. Car c’est là l’intérêt même des transports en commun: la cohabitation des gens de manière éphémère*. Le temps du déplacement est un espace temporel ma foi peu investi. Le transport est considéré comme une fonctionnalité de la ville, comme un « temps mort ». Les usagers sont peu pris en compte. Pendant le trajet, ils ont peu l’occasion de pouvoir se situer dans la ville, analyser le temps qu’il leur reste avant d’arriver à destination, etc... L’attitude passive et renfermée des usagers révèle que les transports en commun n’ont rien de communautaire. Et pourtant, ce sont des espaces publics puisque des gens de divers horizons s’y côtoient... Une fois le trajet terminé, le service du transport est considéré comme « achevé ». La ville a rendu son service. Pourtant, il me semble important de pouvoir valoriser nos déplacements même une fois le trajet effectué. Les technologies du numérique, via la quantification de soi, peuvent être une piste de recherche pour redonner du sens à nos déplacements.
Fréquences et distances
Un trajet quotidien aura tendance à être paradoxalement plus long qu’un trajet moins fréquent (hebdomadaire). Cela est dû à l’étalement urbain, et au fait que les gens cherchent à vivre dans un environnement différent de celui de leur lieu de travail. Aller jusqu’au supermarché demande parfois moins de temps que d’aller au travail. Dans le cadre de la « découverte » (balades du dimanche ou tourisme au sens large), les trajets se font en général plus longs et plus rares. Mais cela tend à changer avec la densification des territoires péri-urbains*. Les opportunités de découvrir la ville se développent autour de chez nous, et la ballade du dimanche peut presque s’inclure dans le trajet du quotidien... Au final, le « comment » du trajet répond souvent au « pourquoi ». Et si le but du projet était d’offrir à l’usager un outil qui lui permette de faire des choix?
Notes et références
ICONOGRAPHIE B
1 : Georges Amar, Homo Mobilis, Le Nouvel Âge de la Mobilité, p.16
D
2 : Définition Larousse 3 : Voir 1.
Plan à l’échelle 1/10e
C A 1
4 : Institut pour la Ville en Mouvement, Une Charte pour la ville en mouvement, 2000
E A 2
A 1: Projet Mobilotoop, Intrastructures, 2013 A 2 : Projet Super carry, Intrastructures, 2012 B: Photographie personnelle, Bruxelles, Juillet 2014. Chaque année à Bruxelles, se déroule la journée sans voitures. Pour promouvoir l’utilisation des modes de transports « doux », les rues sont vidées des véhicules polluants. Pas de bus, pas de voitures dans le centre-ville. L’occasion est donnée aux Bruxellois de se déplacer à vélo, à pied, en trottinette, rollers, skateboards... La ville paraît alors plus grande car on met plus de temps à aller d’un endroit à un autre... Mais elle paraît aussi plus accessible, plus calme. Elle s’envisage différemment. C: Dhani Sutanto, Oyster ring, 2012. Les bagues présentées ici sont des cartes de métro « portables ». Ces 4 accessoires sont des expérimentations, des bricolages, mais qui fonctionnent. Dhani Sutanto, à travers ce projet, soulève une question de fond en terme de design: si la véritable clé des transports en commun se dématérialise, quelle forme doit-elle prendre? Le ticker de métro est-il encore valable? Puisqu’aujourd’hui nous n’avons plus à le faire « poinçonner », il peut prendre n’importe quelle forme à partir du moment où on peut le passer à la borne du bus, du métro... Mais est-il possible que la clé soit uniquement un accessoire à porter? On peut en effet imaginer qu’elle soit autre chose, qu’elle appelle à de nouveaux usages, et pourquoi pas à de nouveaux services... D: Nick Turpin, Through a glass darkly. E: Brian Yen, A node glows in the dark..., 2013 Grand prix du jury, concours photo National Geography 2014
Se déplacer en ville et dans le monde
L’évolution des transports est comparable à l’évolution des villes, du moins d’un point de vue mathématique. Les villes grandissent pour accueillir toujours plus de personnes, et les systèmes et moyens de déplacer toutes ces personnes évoluent aussi en se développant. Ainsi, bien plus que l’accès à la ville la plus proche, c’est l’accès aux pays voisins qui se développe. Les modes de transport contemporains, toujours plus innovants, effacent les frontières physiques, ou même des barrières de temps. En extrapolant, il n’y a plus de destination impossible à atteindre tant les modes de transports sont variés et adaptés au type de distance. À travers le travail de Marcus Lyon et sa série Exodus (page de droite), on imagine assez bien ce que représente physiquement cette omniprésence des transports. On a affaire à un flux constant de gens (mais aussi de biens et d’informations) en déplacement. Selon le Baromètre de l’Organisation Mondiale du Tourisme, le nombre de touristes internationaux a atteint 1 milliard 138 millions en 2014, une augmentation de 4,7 % par rapport à l’année précédente. Pour 2015, l’OMT prévoit une croissance de 3 à 4 % du tourisme international. Ces chiffres, au delà d’affirmer la puissance d’une économie, m’interpellent quand aux conséquences d’une telle masse de gens en mouvement d’un bout à l’autre de la planète (ou sur un même continent). Car si le voyage long courrier est le même pour tout le monde (avion, bateau ou train), qu’en est-il une fois sur place? Il semble peu probable qu’on se déplace de la même manière à Paris et à New York. Les usages ne sont pas les mêmes car le territoire diffère. Il me faut alors savoir ce que cela engendre comme défis à relever en tant que designer, pour proposer de nouveaux scénarios correspondant à cette quantité et variété de déplacements. Dois-je m’attacher à créer des codes « internationaux » pour se repérer à travers les différents modes de transports à travers le monde? Ou plutôt me concentrer uniquement sur l’usager, et essayer de l’aider dans ses choix de mobilité? Quels seraient les outils les plus efficaces?
HYPERMOBILITÉ
De multi-modalité à hypermobilité
Les transports doux, au rythme (et à l'image) de la ville...
Les villes, dans le souci actuel du développement durable, cherchent à diversifier leurs offres. Ainsi la voiture n’est plus le véhicule roi dans les métropoles et les villes moins étalées. Si les bus et les métros font l’objet d’une mise à jour régulière et nécessaire (augmentation du nombre de lignes, et création de nouvelles stations, augmentation des fréquences de passage…), le tramway, par exemple, a fait un retour en force ces dernières années dans nos centres urbains. Il propose une première alternative dans les transports en commun pour couvrir un territoire plus large, que le métro ne couvre pas. Mais il offre également une qualité, un confort que le métro ne possède pas. Il donne à voir la ville. A travers ses larges surfaces vitrées, le tramway est apprécié des usagers pour sa luminosité. L’intérêt pour moi est justement le regard de la ville que l’on peut avoir dans un véhicule tel que le tramway.
Varier les expériences
Mais la diversité passe aussi par la « multimodalité » des déplacements. Le fait de pouvoir changer d’outil, de véhicule, voire même de type de service, augmente les flux et donc le facteur « mobilité » d’une ville. Dans une ville comme Paris, on peut donc choisir de faire le même trajet en métro, en bus, tramway, mais aussi en vélo ou voiture en libre-service, utiliser son propre vélo, faire du covoiturage… Le but ultime étant de pouvoir couvrir un maximum de distance en mixant ces modes de transport, pourquoi pas lors d’un seul trajet. J’imagine alors la combinaison de « regards » possibles lors d’un même trajet. Plus largement, c’est cette variété de positionnements face à la rue qui m’intéresse. Que l’on soit assis dans le bus ou debout, dans le tramway ou à vélo, seul dans sa voiture ou à plusieurs dans celle d’un autre, notre rapport à l’environnement change forcément puisque le cadre spatio-temporel change lui aussi. Quoiqu’il en soit, la multi-modalité des transports est un paramètre important pour moi à l’heure d’aborder le projet. Dans le scénario que je dois mettre en place, cette diversité des modes de transports est un atout puisqu’elle aporte une diversité des regards possibles sur l’environnement urbain. Cette même diversité doit être prise en compte comme un support global, un cadre spatio-temporel possible où intervenir...
LE piéton, point de convergence
Oeuvrer pour la mobilité, c’est oeuvrer au bien-être des gens. Et donc du piéton. Si le modèle de ville de ces dernières décennies a oublié le piéton dans ses plans, la ville d’aujourd’hui s’emploie à le mettre au centre de tous les projets de réaménagement. La densification du maillage urbain, et la rupture avec une logique de zonage, a favorisé la pratique de la marche à pied en ville. La création des « zones 30 » en 1990 puis des « zones de rencontre » par le décret du 30 juillet 2008, ont introduit en France le principe de respect et de prudence du plus fort vis-à-vis du plus faible, alors favorable au piéton. Cette hiérarchisation des flux, bien connue de nos voisins belges et néerlandais, est traduite par un urbanisme reconnaissable: une chaussée goudronnée qui s’efface pour se confondre avec les trottoirs, (et ainsi créer des rues semi-piétonnes), un changement de matériaux et de couleurs dans le mobilier urbain… Différents signes visuels qui indiquent aux usagers de la route que l’espace dans lequel ils pénètrent n’est pas nécessairement destiné à l’écoulement du trafic. Réciproquement, le piéton comprend alors (à travers ces mêmes signes) qu’il est dans un espace qui lui est favorable, plus confortable: la vue est dégagée, les trottoirs sont élargis, et l’absence partielle de véhicule atténue les nuisances sonores. D’autre part, puisque les offres de transport sont de plus en plus riches et variées, le piéton se retrouve plus que jamais au centre de ces opportunités. Car au final, il reste maître de son trajet, son (ou ses) mode(s) de transport... Ce piéton « multi-modal » est donc la cible principale de mon projet. Car c’est à lui que la ville s’adresse de toute manière. Elle est bâtie pour l’accueillir, lui permettre de se déplacer, d’échanger, etc. Le piéton d’aujourd’hui est donc un usager précieux, qu’il faut accompagner dans ses déplacements, au quotidien ou plus ponctuellement. Cet usager ainsi identifié, peut servir de support, d’outil de travail pour la démarche de projet qui suivra. La nature variable de cette cible (tantôt piéton dans la rue, dans le bus, dans le métro, le train, puis cycliste, etc.) multiplie les scénarios, les informations à fournir, et les usages. Quoiqu’il en soit, le projet s’articule autour de ce « piéton augmenté » et des différentes postures qu’il adopte lors de ses déplacements.
Certaines villes tirent parti de leur situation géographique pour gérer au mieux les flux. Que l’on soit au bord de l’eau ou de la mer, entouré par des reliefs abrupts, les opportunités se déploient. Dans une ville comme Medellin en Colombie, où les Barrios (quartiers pauvres) sont situés en haut de la vallée de l’Aburra, le Metrocable, téléphérique urbain, offre une réelle alternative au métro et bus. Autre exemple à Marseille avec les navettes maritimes de la RTM (dont le slogan est désormais « Changer de mode »...) qui relient l’Estaque à la Pointe Rouge avec pour étape commune le Vieux Port. Ces différents modes sont des avantages pour les locaux mais aussi pour les touristes. Des outils tels que le téléphérique, les navettes fluviales/maritimes, des modes de transports présents depuis longtemps, agissent comme des symboles d’une ville. Le monorail de Wuppertal en est un lui aussi...
Mon métro, ton métro...
Au-delà de l’aspect culturel et touristique, à forte valeur ajoutée, ces transports « locaux » sont parfois source de confusion pour des usagers ponctuels. Seuls les habitants, usagers fréquents de ces transports, en saisissent les réseaux, horaires, prix, directions... Si l’on prend l’exemple du métro, le résultat est plus ou moins le même: Tout le monde prend les transports en commun. On est habitués à prendre le métro. Mais dès que l’on change de ville, de territoire, il nous est plus difficile de s’y déplacer. Et pourtant les outils sont les mêmes. Le métro est toujours là, il fonctionne de la même manière. Mais le territoire, la ville étant différente, nous voilà bien embêtés lorsqu’il faut choisir un itinéraire. Le lien entre une station et sa place dans la ville est plus difficile à faire, les distances sont moins évidentes et les temps de trajets plus flous... Les cartes des transports sont relativement les mêmes, on arrive à les lire, mais pas à les comprendre, à les associer à la ville elle-même. C’est pourquoi il me semble que les usagers fréquents jouent un rôle primordial dans ce genre de contexte. Il est raisonnable de penser qu’un local sera meilleur guide que n’importe quelle carte dans le téléphérique, sur le quai du bateau ou même dans le métro. Une des pistes du projet pourrait donc être de créer des liens entre usagers fréquents et usagers ponctuels.
Notes et références
ICONOGRAPHIE Plan à l’échelle 1/10e
B C
A
D
E
A: Marcus Lyon, Exodus III, Londres, 2010 B: Le Metrocable de Medellin C: Agris Bobrovs, Big in Kuala Lumpura, 30 Novembre 2014 D: Danny Santos, Singapore street composites, 2014 E: Jean Julien, Where did all the fun people go?, 2013
Perdre le nord puis tomber dans le panneau
Nous voici ici dans la partie qui caractérise directement le projet à venir. En effet, s’il est question de mobilité en milieu urbain, de tourisme, d’expérience humaine et sensible à différents endroits de ce mémoire, c’est bien l’orientation qui est le problème auquel je souhaite m’atteler. A priori, le raisonnement basique serait de dire « comment s’orienter lorsque l’on est perdu? ». En effet, être perdu est un réel problème que l’on rencontre tous à un moment donné lors de nos déplacements. Mais mon raisonnement va plus loin que ce simple constat. Car le fait d’être perdu renvoie à des notions de repérage et d’orientation. Je dois donc distinguer l’un de l’autre pour entrevoir des pistes de recherche pour le projet. Pour envisager ces solutions, les notions d’orientation et de repérage doivent justement faire appel au sensible, aux sens... On parle bien de SENS de l’orientation. Mais qu’est-ce que cela veut dire? Il n’est pas seulement question de « chercher son chemin ». Car pour le trouver, il faut comprendre la ville, la décrypter, à travers une série de signes, d’indices, de repères. S’engage alors une relation de communication entre le piéton et la ville. C’est dans cet interstice que je souhaite développer mon projet. Qu’est-ce que la ville met à disposition pour orienter l’usager? Si l’on va plus loin, les villes sont-elles lisibles, compréhensibles? Les villes semblent avoir des logiques qui se répètent, peu importe leurs origines. Quelles sont-elles? Possèdent-elles des lieux « types » que l’on retrouve ailleurs? Les systèmes d’orientation sont nombreux et complexes. Par nature, ils prennent pour acquis que le piéton est apte à les décrypter, qu’il connaît leurs mécanismes et leurs codes graphiques, formels, plastiques. Le projet est sans doute, d’envisager un système plus naturel. Permettre au piéton de comprendre la ville dans son ensemble avant de pouvoir se déplacer de manière précise...
ORIENTATION ET REPÉRAGE
une affaire de sens
Il est important de distinguer l’orientation vis-à-vis du repérage. L’un et l’autre sont synonymes mais pourtant, l’orientation semble être une notion plus « naturelle » que le repérage qui lui, est davantage matériel. En effet, l’orientation se base sur notre capacité à visualiser et se positionner en fonction des quatre points cardinaux, nord sud est et ouest. Ces derniers sont des vecteurs, des directions perçues ou fantasmées (aucune ligne ou aucun axe physique ne matérialise réellement les points cardinaux dans l’espace) à partir desquels on organise, ou plutôt on organisait nos déplacements. Par le passé, les points cardinaux étaient des références vers lesquelles se diriger, lors des grandes expéditions et conquêtes (Christophe Colomb et sa recherche d’un Nouveau Monde à l’ouest par exemple). Ces vecteurs étaient naturellement compréhensibles: le ciel fut l’une des premières « cartes » pour trouver sa place sur Terre, organiser puis mettre à jour une trajectoire lors d’un voyage. L’orientation a donc quelque chose d’éminemment naturel, presque « animal ». On parle en effet de « réaction d’orientation » ou de « réponse d’orientation » pour expliquer les réflexes de certains animaux en fonction d’un phénomène physique, chimique, environnemental1… Leurs différentes orientations et/ou destinations sont le fruit d’un rapport intime à l’environnement. L’orientation est un véritable 6e sens chez les animaux, souvent associé à un organe prévu à cet effet. Ce qui est loin d’être le cas chez l’homme. En effet, il nous est beaucoup plus difficile de faire appel à ce sens, de visualiser les points cardinaux par réflexe, faute d’un véritable « organe de l’orientation ». Il pourraît être intéressant de stimuler ce sens de l’orientation au même titre que l’odorat, l’ouïe, le goût... L’orientation chez l’homme se base principalement sur un sens: la vue. Notre sens de l’orientation, on l’a vu, est régi par des repères comme les quatre points cardinaux (éléments naturels compréhensibles mais pas forcément visibles). Mais en ville, les repères ne sont plus les mêmes. Difficile de trouver le nord grâce au soleil dans un ciel réduit par les bâtiments… Il s’agit de marques ou objets physiques, visibles. Une tour plus haute que les autres, un clocher, une grande avenue, une place avec une fontaine particulière, un arrêt de tramway… Pour enrichir la valeur d’usage (mais aussi la valeur d’estime) du (ou des) produit(s) à développer, il faudrait donc re-solliciter les sens de chacun. On parle parfois de « flair » ou bien de choix faits «au pif» pour retrouver son chemin. Il y a là-dedans quelque chose de très animal, où l’on fait confiance à ses sens plus qu’à des codes qui « vulgarisent » l’expérience du trajet, comme les panneaux...
Lire la ville
Qu’il soit question d’orientation ou de repérage, ces deux notions affirment l’importance de la « lisibilité » de la ville, et des moyens à mettre en œuvre pour que chacun puisse créer sa propre « carte mentale » des villes dans lesquelles il se déplace. C’est là tout le travail de Kevin Lynch dans L’image de la cité, dans lequel il livre : « L’image de l’environnement a pour fonction primordiale de permettre les mouvements conscients. » 2 Selon lui, « pouvoir distinguer et lire l’environnement, non seulement procure la sécurité, mais augmente également la profondeur et l’intensité potentielles de l’expérience humaine »3. Cela répond sans doute au sentiment d’angoisse, de malaise qui se produit lorsque nous sommes perdus. La ville nous apparaît alors étrangère bien que l’on s’y déplace tout les jours. Certes, certaines personnes, comme les touristes, provoquent leur perte dans les rues de la ville pour enrichir leur voyage de souvenirs innatendus. Mais jusqu’où se laisser porter? Arrive un moment où même retourner sur nos pas relève d’une tâche difficile dans une ville qui n’est pas la nôtre. Comme l’explique Lynch, si la ville nous donne à voir des paysages, ou des images lisibles, on peut « se permettre » de se perdre. Car en un instant, on peut retrouver ses repères, se réorienter. Mais en tant que designer, créer ces images de toutes pièces, comme des standards visuels applicables à toutes les rues du monde, est clairement illusoire. Toutes les villes fonctionnent différemment, du fait de leurs origines diverses et variées. Il faut donner à l’usager un dispositif qui lui, peut être utilisable partout, et fonctionne grâce à ce que la ville lui donne comme indices. Ce dispositif doit lui permettre de lire ce qui n’est peut être pas visible depuis la rue. Comme par exemple l’emplacement de bâtiments-types dans chaque quartier ou à travers la ville. Prenons un exemple. Marseille s’est construite par juxtaposition et densification de plusieurs villages, chacun possédant sa propre église. Toutes les villes du monde possèdent des édifices religieux (quelle que soit la culture, la religion). On peut donc penser à un « filtre » qui permettrait de comprendre où se situent ces éléments « repère s» dans la ville, autour desquels la vie en communauté s’organise. Cette vision typologique de la ville rejoint celle plébiscitée par Christopher Alexander, anthropologue et architecte Anglais. Il explique que la ville, et surtout l’action des gens sur leurs maisons, les bâtiments, créent des « motifs » que l’on peut retrouver à différents endroits d’une ville. Ces motifs créent un langage, à disposition des habitants pour dessiner leur quartier. On peut presque imaginer que les locaux développent eux-mêmes des outils d’orientation à l’échelle d’un quartier ou de la ville...
Profusion de repères
Le réflexe de l’homme en mouvement se trouve dans sa capacité à se repérer. Le repérage se distingue en effet de l’orientation par son caractère « physique ». À défaut d’avoir développé ce sixième sens, on se rabat sur notre sens principal, la vue, pour s’accrocher ponctuellement à des repères. La ville, justement, en se construisant, en se renouvelant, crée ces repères. Un repère est donc un élément, un objet, dans le sens où c’est une chose « maîtrisée » ou construite par l’homme. Les repères sont plus ou moins évidents. Chacun a sa propre manière de s’orienter (et donc de trouver des repères) en ville. Je distingue deux types de repères : les repères « volontaires », comme les panneaux qui sont conçus pour s’orienter, ou les repères « passifs ». Ils ne servent pas à s’orienter, comme un panneau, mais sont tout aussi efficaces pour se repérer. Ces derniers sont certainement plus importants dans notre quotidien que les repères volontaires. En effet, un magasin, une enseigne accrochée à un bâtiment, une architecture particulière, une fontaine… Tout est potentiellement un repère dans la quantité de signaux urbains. Prenons un exemple : Lorsqu’une personne nous demande son chemin, nous allons d’abord solliciter des repères facilement compréhensibles: « vous continuez tout droit jusqu’au McDonald ». Le McDonald est, dans l’usage courant, un repère plus efficace qu’un panneau, puisqu’il s’impose à nous. Le panneau, simple mobilier urbain, est moins prégnant dans le paysage de la ville (il est tout simplement plus petit). Le McDonald est, de plus, aussi reconnaissable à Lyon qu’à Tokyo. La quantité de repères est donc un élément à prendre en considération dans le projet. Non seulement les repères volontaires mais aussi les repères passifs. La ville moderne a, petit à petit, créé une masse de signaux toujours plus grande. La nuit, cette « congestion » de signes est d’autant plus visible. On assiste donc à une « ville support ». L’usager se trouve donc au milieu de cette masse de signes, qu’il doit trier pour s’orienter au mieux. Étrange paradoxe puisqu’il est du ressort des urbanistes (ceux-là mêmes qui imaginent et dessinent les rues), de nous y faire voir plus clair. Est-ce qu’un nouveau panneau, fonctionnant différemment, est vraiment la bonne solution? Il peut être intéressant de penser en amont, à comment gérer ces signes. Le designer peut ainsi se positionner en tant que guide, en instaurant de nouveaux « systèmes d’orientation ». En effet, pour s’orienter, il faut d’abord bien se repérer. Cela signifie comprendre les repères. Des repères urbains multiples, parmi lesquels l’usager a le choix.
« Même si ce n’est pas son seul rôle, le paysage urbain est quelque chose que l’on doit voir, dont on doit se souvenir et se délecter. Donner une forme visuelle à la ville est un problème de création d’un type particulier et assez nouveau. » Kevin Lynch, L’image de la cité, 1960
Lorsqu’il s’agit de se repérer dans l’espace, et plus particulièrement en ville, il est utile, voire nécessaire d’avoir des outils de représentation adéquats. Je m’explique: si je prends l’exemple du GPS, ce dernier me guide à travers différents moyens. Via un écran qui me permet de visualiser ma place sur une carte, et de voir le tracé à suivre; mais aussi grâce à des indications sonores, et surtout des commentaires oraux. L’exmple du GPS est pour moi une bonne entrée en matière concernant cette diversité des méthodes. Car un des buts recherchés à travers mon projet est de permettre à l’usager de recréer une « carte mentale » de la ville dans laquelle il évolue. Pour cela, il a besoin d’outils et de moyens tangibles, faciles à consulter, à utiliser et à interpréter. Il me faut alors savoir comment agencer ces différents médias autour de cet usager. Lorsqu’il cherche son chemin, mais aussi une fois son voyage terminé En effet, pour enrichir l’expérience du voyage, du déplacement, il me semble important de pouvoir conserver une trace de ces moments. Il faut donc que le touriste que je vise puisse « cartographier » ses expériences urbaines. Plus largement, il est nécessaire que ce soit l’usager lui-même qui soit en mesure de se construire sa trace (cartographique, écrite, orale) avec ses propres repères, ses souvenirs... Ainsi Kevin Lynch introduit cette problématique dans le cadre de mon projet. Il s’agit de lier l’environnement et l’image que s’en fait l’usager à travers une (ou des) représentation(s) efficace(s)... Le designer est une fois de plus au centre de ces interrogations: comment faire pour donner une image à la ville? Comment instaurer un dialogue entre l’homme et son environnement?
REPRÉSENTATIONS
l'acte cartographique Origines
Difficile de faire l’impasse sur l’art de cartographier dans un projet tel que celui-ci. L’histoire de la cartographie est complexe, il faut donc l’envisager sous un angle particulier. Si mon projet s’articule autour de l’orientation et les déplacements sensibles en milieu urbain, il semble logique de regarder comment « cartographier le sensible». Il s’agit d’un paradoxe puisque le fait de cartophier renvoie à un acte très possessif. A travers cette activité, l’Homme s’est approprié le monde. Il l’a représenté, il l’a figé pour mieux le déchiffrer, et plus tard pour pouvoir se déplacer, s’orienter grâce à ces repères « standardisés ». La carte a donc une origine très humaine quelque part, celle de vouloir « comprendre » le monde. Ainsi la carte est souvent rattachée aux grandes explorations, à la navigation en mer, à juste titre1.
Numérisation
Un grand tournant dans la manière de cartographier la ville intervient à la Renaissance. On s’applique alors à retranscrire l’espace selon un rapport mathématique, le plus fidèle possible. Etymologiquement, la carte se « numérise »2. Aujourd’hui, à travers le développement des satellites, des ordinateurs (de maison ou de poche), ces mêmes cartes entrent dans le grand domaine du numérique. Cette mise en abîme permet un nouveau rapport entre le « mappeur »3 et le lecteur. Ce dernier possède désormais les outils nécessaires pour lui-même cartographier son environnement, avec par exemple le smartphone. Chacun peut participer à la création de la carte du monde à travers ses déplacements. Mais le résultat est, au final, une énième carte des éléments (bâtiments, routes, chemins...).
Cartographie singulière
Puisque ces codes (graphiques, formels, sémantiques, cognitifs) sont désormais compris par tous, la carte devient un support d’information. Par contre, elle est toujours un instrument de récit, de narration d’un évènement ou phénomène (passé, présent ou futur). C’est pourquoi, à travers son côté accessible, l’acte de cartographier est investi par une multitude de gens, des plus pragmatiques aux plus alternatifs. Ainsi, on cartographie aujourd’hui des « choses » plus ou moins réelles, plus ou moins tangibles4. Il est donc concevable de positionner l’usager dans ce rôle de mappeur éphémère lors de ses déplacements. Mais cet acte doit être consenti. En effet, pour s’orienter, l’usager a besoin de comprendre l’espace dans lequel il est. Pour le comprendre, il a sans doute besoin de le représenter avec ses propres repères, et surtout des outils appropriés. En tant qu’acteur (ou plutôt archiviste) de ses voyages, l’usager prend conscience de sa place dans l’espace, dans le monde.
Récits écrits et oraux
Il serait logique de penser que la carte (au sens large) est le moyen le plus efficace de représenter la ville. Plus largement, les images ont forcément un pouvoir de communication plus direct que d’autres médias, comme les textes et les récits. Mais à bien y regarder, la carte est aussi un outil de narration. Si le programme mis en place doit faciliter la création d’une « carte mentale », le récit est un outil tout aussi efficace, puisqu’il est un témoin, un souvenir. La carte mentale fait donc appel à la mémoire. Il est donc important de solliciter différents types de mémorisations, de souvenirs. Investir à la fois la mémoire visuelle, auditive (voire même tactile et/ou olfactive) peut multiplier les aides à l’orientation. Pour expliquer, représenter un trajet (ou un lieu dans la ville), certains utiliseront plutôt un papier et un crayon pour dessiner une petite carte à main levée. Mais d’autres auront besoin de quelques minutes pour raconter, à travers les mots, un enchaînement de repères, selon l’avancement sur l’itinéraire: « à droite jusqu’à la fontaine, puis tout droit jusqu’à aperçevoir l’arc de triomphe, puis c’est la rue qui monte, à droite... » Michel de Certeau, dans L’invention du quotidien, explique: « Ces aventures narrées […] organisent les marches. Elles font le voyage, avant ou pendant que les pieds l’exécutent . » 5 Le récit, avec ses codes, est donc aussi un outil pour manipuler l’espace, représenter un lieu. L’usager, en manque de repères directs, doit pouvoir faire appel à ce genre de méthode. C’est aussi un bon moyen de se remémorer un trajet ou un espace. Mais se pose désormais le problème de la langue. Difficile de faire appel à cet outil dans un pays où la barrière linguistique nous empêche d’avancer concrètement. Que ce soit à l’écrit comme à l’oral, un récit étranger est difficilement déchiffrable. Cela dit, si l’usager s’appuie sur le récit d’un « autochtone » pour se guider, il peut sans doute s’aider des différentes personnes rencontrées sur son chemin. D’un passant à l’autre, il peut mettre à jour un enregistrement vocal, et donc mettre à jour son tracé... C’est pourquoi les images et les récits doivent jouer de pair en situation d’orientation.
De plus, le récit a un avantage considérable face à l’armée de signes, de codes dans le paysage urbain. Il donne au trajet sa notion de « voyage », humaine et poétique...
efficacité des moyens mis en oeuvre
Nombreuses sont les options pour représenter la ville, les lieux et espaces qui la composent. De plus, avec l’émergence des T.I.C, ces représentations se multiplient, se diversifient. Au bout du compte, nous baignons aujourd’hui dans une masse d’images (visuelles, écrites, narrées) qui ont des origines diverses et variées. Certaines sont vouées à être utilisées, pour s’orienter par exemple. D’autres, plus légères, ne sont là que pour enrichir le paysage urbain, pour donner de nouveaux points de vue... Si l’on se penche sur le problème de l’orientation, il faut savoir quoi représenter. En effet, peu importe les moyens, oraux, écrits, visuels, sonores, la réponse recherchée lorsque nous sommes perdus concerne autant la destination en elle-même que le trajet pour y arriver. Se pose donc la question de l’efficacité des indications fournies. Faut-il nous montrer le lieu visé ou l’environnement autour? Est-ce que la précision de la destination permet de vraiment comprendre la ville, et le trajet? Lorsque l’on demande notre chemin (à quelqu’un ou à un système GPS), nous n’avons pas comme réponse immédiate la destination en elle-même, mais une succession d’étapes. Une succession de lieux avant d’arriver au lieu d’arrivée. Ainsi, dans la question de la représentation (d’un trajet, d’une destination), il est important de donner non pas les éléments directement concernés, mais aussi le reste. Tout ce qui lie les étapes entre elles. Dans la rue, un panneau directionnel ne montre que la destination, et exprime donc un axe, un cap à suivre, jusqu’à, peut être, arriver à bon port... Imaginons maintenant que le panneau ne soit pas la représentation d’une destination, mais des étapes successives à « valider » pour y arriver6. En combinant ainsi le parcours et la destination sur un même support, l’usager possède tous les indices nécessaires. De plus, ces indications sont des valeurs ajoutées pour la ville en elle-même. L’usager, pour arriver à destination, doit donc reconnaître les étapes indiquées, et intègre donc ces images dans sa « carte mentale » de la ville. Les repères sont déjà donnés en amont. Les différents moyens, outils de communication doivent donc être utilisés à bon escient, pour exprimer, signifier, induire. Il y a des liens logiques à construire entre les indices (les représentations) et le but (la destination). Toujours à travers l’exemple des panneaux, l’utilisation des couleurs est en effet un exemple. Par convention, on sait qu’un panneau blanc concerne les véhicules, et les panneaux marrons s’adressent aux piétons. Pourtant, le marron n’est aucunement connoté à la marche, tout comme le noir sur blanc n’est pas une représentation symbolique du déplacement véhiculé. Le langage visuel de l’orientation est codé, selon des logiques difficiles à traduire, souvent liées à l’ergonomie de perception. Or, le designer est aussi attaché à ces questions d’ergonomie, de connotation et de sémantique.
Notes et références
ICONOGRAPHIE
1 : Les cartes à l’échelle 1 des océans de Lewis Carrol par exemple. Simples rectangles vides, représentant l’immensité de ces espaces, les cartes de Carrol redéfinissent la question de l’échelle. 2 : À Rome, Leon Battista Alberti écrit Descriptio Urbis Romae et conçoit une nouvelle méthode pour reporter les limites de la ville à plat, à échelle réduite et proportionnelle. C’est la première carte « à l’échelle », mathématiquement juste. 3 : Du verbe « mapper », issu du grec ancien mappa, désignant le tissu blanc avec lequel on venait « napper » la table pour y reporter les cartes. 4: C’était déjà le cas lorsque les Aborigènes, autochtones d’Australie, peignaient leurs rêves sous forme de cartes, très abstraites. Autre exemple, le travail de Kate McLean, qui s’attache à cartographier les odeurs. Ayant participé à l’un de ces ateliers, il s’agit de retrouver un rapport humain à l’environnement, à travers un sens (l’odorat) trop peu utilisé. 5: Michel de Certeau, L’invention du quotidien, 1. Arts de faire, p.171 6: C’est la logique des « checkpoints » dans les jeux vidéos par exemple. Des endroits où l’on doit passer pour accéder à la prochaine étape, ou bien pour sauvegarder notre progression.
A1 et A2 : Cartes à la main, Romane Odekerken et Claire Saint-Amand, 2014. J’ai demandé à mes camarades de me représenter leur trajet quotiden de chez eux à l’école. Certains ont utilisé du texte, d’autres un enregistrement sonore, et la majorité l’ont dessiné. Ces deux croquis représentent ainsi le trajet identique de deux collocataires. B1 et B2: Yumi Janairo Roth, This is map #6, Pilsen, République Tchèque, 2007. Yumi Janario Roth, Andrew Blackstock et Casey McGuire ont réalisé ce projet. Ils ont essayé de s’orienter avec des cartes dessinées par des passants sur leur propre main. Lors de leurs déplacements, ils demandaient à des passants des mêmes quartiers de les guider à partir de ces cartes. C: Photomontage personnel, C’est du chinois!, 2014 D: Guillaume Gorse, Le néo arpenteur, projet de diplôme, 2014
« Quiconque habite dans une tour est un touriste. » Erik Satie
Cette citation est forte de sens selon moi, et se présente ici comme manifeste. Ces propos ont beau avoir un siècle, ils sont toujours plein de sens aujourd’hui. Je pense en effet aux « tours HLM » des banlieues, que les gens ont découvert dans les années 1960-1970. Autrefois lieux de promenade pour les néo citadins, les habitants d’aujourd’hui veulent en sortir, voyager et voir le monde autrement que depuis la fenêtre du quinzième étage... Afin de travailler de la meilleure des manières sur le touriste du 21e siècle, il faut que je sache de quoi il en retourne. L’INSEE propose ces termes: « Le tourisme comprend les activités déployées par les personnes au cours de leurs voyages et séjours dans des lieux situés en dehors de leur environnement habituel pour une période consécutive qui ne dépasse pas une année, à des fins de loisirs, pour affaires et autres motifs non liés à l’exercice d’une activité rémunérée dans le lieu visité. » Voilà qui pose les conditions de la « découverte » urbaine pour moi. Ramené à l’échelle de la ville, le touriste est celui qui sort des sentiers battus. Encore faut-il savoir à quel moment la ville dévoile ces chemins de traverse, propices à l’exploration. L’hypermobilité et la mondialisation aidant, faire du tourisme est à la portée de tous (ou presque). La notion même de touriste devient floue puisqu’avec les T.I.C. et leur pouvoir d’ubiquité, tout le monde peut visiter l’autre bout du monde en temps réel... Il faut déceler ce que cela engendre comme rapports à la ville, en quoi le tourisme moderne influence nos comportements. A l’heure où il n’y a plus de terres « inexplorées » et où il est possible d’être à deux endroits à la fois grâce à un écran, qu’est-ce que le voyage a à offrir comme expérience sensible et enrichissante? Comment est-il possible d’intervenir en tant que designer sur un marché aussi stéréotypé? Existe-t-il des pistes alternatives? Le tourisme commence peut-être une fois sorti de chez soi. Au lieu d’aller chercher le dépaysement à l’autre bout du monde, serait-il préférable de se laisser surprendre par le quotidien?
TOUS TOURISTES
Tourisme et industrie
L’hypermobilité permet à chacun de se déplacer plus aisément d’un pointt A à un point B. Cela profite largement au tourisme de masse. Les distances ne se comptent plus en jours mais en heures pour rallier deux points du globe. Les rapports espace/ temps sont redéfinis. Dans l’hypothèse où l’urbain prend le pas sur le rural, les limites s’effacent et les frontières aussi. Du déplacement « intramuros » (si tant est que la ville possède encore des limites…) au voyage, il n’y a qu’un pas. Il est donc logique de voir apparaître de tels chiffres:
1 087 millions d’arrivées de touristes internationaux dans le monde. 23 millions de voyages à l’étranger ou dans les DOM pour les Français. 83 millions de touristes étrangers en France en 2012
On peut alors considérer une « ville-monde » dans laquelle il n’y a plus de barrières à la mobilité. Eugénie Bastié, dans un entretien avec Marin de Viry1, explique l’une des dérives de ce tourisme qui atteint aujourd’hui son apogée: « Le touriste moderne se regarde voyager, et il ne semble voyager que pour vérifier que ce qu’il a lu dans son guide est bien réel et pour «prendre des photos».» Cela illustre le manque de sensibilité et de sincérité que le touriste accorde à son (ses) voyage(s). Guides papiers qui résument tout ce qu’il y a à faire lors d’un séjour la capitale, forums internet et reportages télé... L’effet de surprise et la notion de découverte sont mises au second plan, puisque le voyage débute avant même d’être sorti de chez soi. Tout comme le trajet quotidien, chaque voyage s’anticipe. Dans les faits ceci dit, difficile d’apprendre la carte d’une ville et son réseau de transports en commun avant même d’y être confronté... Si l’on regarde en arrière, le tourisme se veut être une expérience humaine, basée sur la prise de risque, la confrontation de ses acquis, de ses valeurs culturelles au monde réel... Soit une réelle découverte d’un monde nouveau, un voyage duquel on ressort « plus grand ». Il y a dans les origines du tourisme, une logique pédagogique, éducative plus que consumériste. Mon projet se place ainsi dans un contexte économique que l’on peut facilement considérer comme « saturé ». Différents types de tourisme se développent pour combler un touriste consommateur, ayant oublié ses vocations d’explorateur, de défricheur, le poussant à tracer ses propres routes. Même s’il se déplace en territoire habité, avec ses codes, son histoire, il est de toute manière confronté à un environnement qu’il ne connaît pas réellement. C’est sans doute là que le projet peut faire sens: l’usager, qui cherche à se démarquer de la masse, pourrait avoir à sa disposition des outils laissant place à l’intuition, à la découverte plus qu’au guidage conventionnel et millimétré. Loin des guides conventionnels ou numériques, le dispositif doit être plus individuel mais aussi en lien étroit avec le territoire (ou la ville) parcouru(e).
Chez moi ailleurs
Avec l’émergence des T.I.C, on assiste à une prolifération des outils de sauvegarde et de partage, avec le smartphone comme objet fétiche. Cet objet multifonctions nous permet d’emmener une partie de son « chez soi » ailleurs. Photos, vidéos, informations et autres datas... Ce sont de nouveaux outils qui permettent d’augmenter l’expérience de la visite, de l’exploration... Mais en vérité, il ne s’agit que d’une nouvelle forme de guides. On nous propose alors des bonnes adresses proches de nous, recommandées par d’autres utilisateurs... Il y a alors, d’une certaine manière, un échange d’informations entre touristes et locaux. Cela amène de nouveaux comportements. S’il n’y a plus d’effet de surprise quant aux lieux touristiques, remarquables, les gens cherchent l’innatendu dans la vie de tous les jours... Une nouvelle alternative au tourisme de masse international résiderait donc dans le tourisme du quotidien? « Pour être un touriste authentique, désormais, c’est dans le quotidien, dans la banalité du réel, qu’il faut se promener. Pour être dépaysé, il faut aller visiter la réalité, des usines, des champs, des bureaux. »4 Ce que l’on peut retenir d’intéressant dans les pratiques du « touriste familier », c’est justement sa capacité à déplacer avec lui une partie de son lieu de départ (le plus souvent son foyer, ses habitudes). Les recherches du projet pourraient sans doute se pencher sur ce contraste, faisant cohabiter « ici et ailleurs » (un ailleurs physique ou un ailleurs plus abstrait, un « avant » ou un « après ») dans un même espace-temps. Je pense également au réseau des Greeters. Mis en relation sur internet, les touristes s’offrent une visite gratuite grâce à un habitant, qui se propose d’être le guide d’un jour. Pour le touriste, c’est un moyen de découvrir une ville ou un quartier d’un point de vue plus subjectif. Le résident lui, est juste animé par l’envie de faire découvrir son « chez lui » (on pourrait imaginer qu’il ait quelquechose de plus à retirer de cette expérience...). S’instaure ici une relation plus humaine dans le rapport entre le touriste et la ville. Il semble donc important selon moi d’entretenir (ou de restaurer) ces relations qui font l’essence même d’un voyage. Car il y a bien plus à retirer d’une série de rencontres que d’un enchaînement de visites déjà toutes faites, faciles à anticiper. Le projet doit donc faciliter, impliquer les échanges entre locaux et étrangers, ou du moins entre « celui qui sait » et « celui qui veut savoir ». L’orientation peut passer à travers ces échanges, et ainsi devenir bien plus qu’un petit service rendu.
Voyage Si on parle de tourisme, on parle alors forcément de voyage. Ce qui différencie alors le voyage et la mobilité intramuros, c’est la distance. Dans le sens commun, le voyage commence lorsque l’on sort des sentiers battus, lorsque l’on « s’aventure » sur des nouvelles routes pour rallier une destination éloignée2. Il ne serait alors question que de distance? Pourtant, il n’y a pas un nombre précis de kilomètres, au-delà duquel on passe du déplacement normal au voyage. La différence est plus nuancée. Aller à l’autre bout de la ville, parfois, est déjà un voyage en soi. On a l’impression d’aller en territoire inconnu, et à l’échelle de la ville, cela représente déjà une petite aventure... Le voyage ne serait défini que par le fait de se rendre dans un lieu inconnu, un lieu éloigné (via des trajets que l’on a jamais parcourus)? Pas forcément. Le voyage commence aussi une fois sorti de chez soi. Une autre définition plus littéraire du terme explique que le voyage est une « exploration, découverte, description de quelque chose qu’on suit comme un parcours »3. L’itinéraire en milieu urbain, sorte de parcours du quotidien, serait donc une autre forme de voyage… Le groupe Stalker, avec les « promenades » en ligne droite dans Rome, effectue donc un voyage puisqu’ils ne suivent pas des axes construits. Ils sont des explorateurs du monde urbain. La notion même de voyage, associée à l’aventure et à la découverte, correpond donc d’avatange au trajet, au déplacement, qu’à la destination elle-même. Ainsi, aller travailler constitue peut-être déjà un voyage... Le voyage n’est pas que physique. Il s’exprime aussi de manière plus sensible. On peut être ici et « ailleurs » en même temps. Assis, dans le bus ou le métro, on se prend à penser à autre chose qu’à notre trajet et notre destination. On se laisse transporter physiquement, et on se permet de voyager dans nos pensées. Dans les rames du métro Parisien par exemple, des vers de poètes célèbres nous offrent des interludes littéraires. Les publicités jouent aussi ce rôle, d’attirer notre attention sur autre chose que notre trajet quotidien. Il faut donc voir le voyage sous deux angles différents: dans les faits, c’est d’abord un trajet vers une destination éloignée, où l’on emprunte parfois de nouvelles routes. Mais c’est aussi un état d’esprit, une situation moins rationnelle que le simple terme de « déplacement » ou de trajet. Chaque voyage est donc une expérience vécue, physiquement et physiologiquement. D’autre part, chaque voyage s’anticipe en termes de résultats. Dans le cas du touriste, on imagine déjà ce que l’on va ramener, quels souvenirs ramener avant même de partir. Il y a là un véritable manque d’aventure. Car le vrai souvenir d’un voyage, ne se résume pas à un objet vernaculaire, populaire. C’est le souvenir du voyage dans son ensemble qui recèle le plus de valeur. Avec les technologies actuelles, il semble possible de compiler, en un objet, un voyage entier. Mais aussi ses détails.
Notes et références
ICONOGRAPHIE B
1 : BASTIÉ Eugénie, « Tousime pour tous! Comment la modernité a tué le voyage », Le Figaro, 15 décembre 2014 2 : Définition Larousse: Action de se rendre un lieu relativemnt lointain ou étranger; séjour ou périple ainsi fait.
C D
A 1
3 : Idem 4: Marin de Viry, Loc. cit.
Plan à l’échelle 1/10e
E
F
A 2
5: Michel de Certeau, L’invention du quotidien, 1. Arts de faire, p.171 6: C’est la logique des « checkpoints » dans les jeux vidéos par exemple. Des endroits où l’on doit passer pour accéder à la prochaine étape, ou bien pour sauvegarder notre progression.
A1 et A2 : Photographies personnelles, Gare Saint Charles, Marseille, 2015. B: Illustration de Adrien Moreau, 1787, tirée de l’oeuvre Candide de Voltaire. C: Roger Minck, Man with Hawaiian Shirt at Sunrise Point, Bryce Canyon National Park, UT, États Unis, 1980 D: Corinne Vionnet, Photo Opportunities 07, 2012 Photomontage d’une centaines de photos de touristes du Colisée à Rome. E: Hayao Miyazaki, Le Château Ambulant, 2004 F: Logo du guide du Routard, rappelant la figure d’Atlas portant l’univers sur son dos...
Faire des choix
Nous voici à la fin du parcours, du trajet, bref de la réflexion. Il est temps de faire le point sur tout ce qui a été vu, commenté, décrit, jugé. Ce mémoire a été ponctué d’étapes, de moments où il a fallu se poser un instant pour mieux observer. Il y a aussi eu des obstacles, auxquels il a fallu se confronter, analyser le problème, puis trouver une déviation... Ou bien un chemin de traverse, pour continuer tout droit. Certains passages, par nature, ont été plus rapides, plus directs... Arrivé ici, il n’est pas uniquement question de regarder en arrière, pour compiler les points clés du mémoire. Il ne s’agit pas non plus d’un point de non retour, après lequel les choses se figent telles quelles. À une autre échelle, le mémoire lui-même est une étape au cours de cette année de travail. Il pose une nouvelle pierre à l’édifice, il laisse une trace de ma réflexion comme l’a permis l’analyse de l’existant (réalisée en début d’année), mais aussi le travail d’expression plastique. Ce mémoire, combiné aux travaux précédents, doit donc me permettre de reprendre de l’élan. De faire les bons choix parmi la quantité de scénarios, de contextes, et d’usagers croisés tout au long de la réflexion... Cette dernière étape doit donc donner une dernière vue d’ensemble de la réflexion, d’un point de vue pragmatique. Ce court panorama se doit d’anticiper, et de dessiner le cahier des charges du projet à venir. Certains paramètres tendent à se rejoindre, à se compléter pour construire ce cahier des charges. Un environnement complexe car il est à la fois dense et en perpétuel changement; une capacité à se mouvoir et à explorer toujours plus grande; des profils d’usagers multiples, variables en fonction du trajet et du lieu; et enfin un service qui se veut à la fois pragmatique, efficace mais aussi libre d’interprétation, propice à la découverte...
VERS LE PROJET
Pertinence du projet
L’orientation en milieu urbain est un sujet largement traité, chaque designer allant de son panneau, ou de son système d’orientation. On peut alors se demander s’il y a plus (ou mieux) à faire. Aussi, l’orientation semble être un problème résolu depuis longtemps. Or, de nouvelles composantes entrent en jeu, et rendent ce constat moins évident.
Anticiper de nouvelles façons de se déplacer Premièrement, l’urbanisation continue des territoires modifie les tracés, et génère de nouveaux flux. La quantité et la diversité de ces échanges nous dirigent vers un scénario où le citadin peut jongler entre différents modes de transport, différents services pour se déplacer en ville. L’accès à ces mobilités se matérialise sous des formes diverses. D’un côté, on garde la typologie de la carte de transport, évolution du ticket de métro. De l’autre, le téléphone portable remplace ce sésame grâce à son statut d’objet intelligent et multifonctions. Mais cette réponse reste encore trop exclusive, presque élitiste. On aperçoit déjà les dérives de dépendance vis-à-vis d’un tel objet. De plus, il n’est pas directement associé au service visé. Il est peut-être raisonnable de dire que le téléphone doit rester un outil de communication. Il faudrait arrêter de le travestir pour des raisons de puissance technologique, ou de simplicité d’usage. C’est pourquoi il est important de se pencher sur un nouveau type de « clé » des transports, dans leur définition la plus large. Un outil adapté, reflétant la diversité des offres de transport.
Créer un dialogue adapté entre l'homme et la ville Toujours dans cette perspective du monde qui s’urbanise, les paysages imaginés et conçus pour la ville de demain semblent prometteurs. Pour faire cohabiter toujours plus de gens au sein d’un même territoire, la ville se veut plus ouverte, plus participative. Elle est davantage tournée vers ses habitants et ses visiteurs. Parfois, ce sont ces mêmes habitants qui définissent les paramètres de sa rénovation. D’autre part, la construction en hauteur semble encore promise à de beaux jours, avec des méthodes de construction et de gestion plus respectueuses de l’environnement. La ville de demain, en se construisant, se renouvelant, créera toujours plus de barrières visuelles directes. Mais elle sera aussi le terrain (ou le support) de nouveaux usages, comme elle l’a toujours été. En effet, s’il est impossible de voir à travers les bâtiments pour voir notre destination, on peut penser à des systèmes, des dispositifs permettant de s’affranchir de ces contraintes visuelles. À ce niveau, les technologies du numérique peuvent être utiles pour prendre de la hauteur, changer de point de vue... Une fois de plus, il semble que le design a un rôle à jouer dans l’apprentissage de ces nouvelles moeurs. Il est utile, je pense, de rappeler que la mission du designer est de guider les gens à travers des usages et services adaptés aux évolutions du monde matériel qui les entoure.
Favoriser les échanges S’il est question de mobilité, il est question d’échanges. Aussi, se déplacer est désormais perçu comme un acte où l’on se doit d’être responsable. Dans un souci de développement durable, l’accent est mis sur l’utilisation des transports en commun, des services de partage et de location de véhicules (privés ou en libre-service). C’est alors un nouveau rapport aux autres qui s’installe. Le déplacement est un besoin commun, partagé. On s’éloigne du modèle individuel et exclusif du véhicule (la voiture par exemple, à partir du moment où elle se conduit toute seule, supprime la hiérarchie spatiale avant-arrière de l’habitacle). La question du déplacement dépasse même l’usage du véhicule, pour se concentrer sur les comportements entre usagers. Dans un contexte où les moyens de transports sont divers et variés, les échanges sont primordiaux pour créer un climat humain, propice à l’entraide, au partage. Concernant la problématique liée à l’orienation, c’est l’échange et la transmission d’informations qui est recherchée. Le projet se dirige donc tant vers un objet que vers un service à part entière. Le dispositif mis en place devra induire ces échanges entre usagers réguliers et ponctuels, entre autochtone et touriste (ou l’inverse), à différents moments. Il serait également judicieux de mettre en valeur ces actes de civisme. Sans pour autant dériver vers un système de récompense, beaucoup trop connoté à un échange commercial.
Entre carte mentale, outil et souvenir Pour introduire les objectifs cités précédemment, le scénario de l’orientation, de la recherche d’itinéraire est le plus prometteur. C’est sans doute le plus humain. Même s’il est facile aujourd’hui de demander son chemin à son téléphone portable, l’échange humain doit conserver toute sa valeur. En effet, il requiert une implication personnelle à la fois de la part de « celui qui sait » et « celui qui ne sait pas ». Si l’orientation est une gymnastique de l’esprit, elle requiert une mécanique du langage, des signes et des gestes parfois difficile à appliquer. C’est pourtant cet échange, parfois complexe, qui fait toute la différence pour constituer sa propre carte mentale du territoire dans le quel on se déplace. Car c’est en se confrontant à la réalité du terrain qu’on en prend acte, qu’on l’apprend et qu’on l’intègre; et non en demandant une réponse toute faite à un guide touristique ou à un smartphone, une montre connectée. Ainsi, il serait intéressant de développer l’idée selon laquelle c’est « l’autre » qui devient un guide éphémère.
COnclusion Le travail de recherche effectué jusqu’ici a permis de constater que l’orientation est un sujet complexe, d’autant plus en milieu urbain. Il s’agit presque d’un paradoxe, que les technologies actuelles tendent à supprimer, à effacer. Il est donc nécessaire de réhabiliter ce sens en tant que tel, au risque de devenir trop dépendants d’une technologie et d’outils trop peu humains. Cet objectif rejoint la démarche de design, elle-même éminemment sensible, en phase avec un environnement précis et ses paramètres matériels, fonctionnels et informatifs. Un environnement en constante évolution, propice à l’innovation, valeur propre au design produit.
remerciements Je tiens à remercier l’ensemble du corps professoral, plus particulièrement René Ragueb, mon tuteur sur ce projet de diplôme, et Guillaume Monsaingeon pour m’avoir beaucoup appris sur l’art et la manière de cartographier. Merci également à Xaviera Rivalin pour l’aide apportée au façonnage de ce mémoire. Enfin, merci à mes camarades de classe pour les conseils qu’ils m’ont apporté tout au long de l’année. Toutes ces personnes m’ont guidé, de près ou de loin, dans l’écriture de ce mémoire et l’élaboration du projet.
BIBLIOGRAPHIE - AMAR Georges, Homo mobilis : le nouvel âge de la mobilité, Limoges, Fyp Éditions, 2010, 224 p. - ASCHER François, Les Nouveaux Principes de l’Urbanisme (La fin des villes n’est pas à l’ordre du jour), Ed. de l’Aube, collection «Intervention», 2001, 104 p. - BÉGUIN Michèle, PUMAIN Denise, La représentation des données géographiques (Statistique et Cartographie), Paris, Armand Collin, 2010, 224 p. - BENCHIMOL Vidal, LEMOINE Stéphane, Vers un nouveau mode de ville, Paris, Éditions Alternatives, collection «manifestô», 2013, 160 p. - CALVINO Italo, Les villes invisibles, Paris, Gallimard, collection «Folio», 2013, 207 p. - CHARMES Éric, SOUAMI Taoufik, Villes rêvées, villes durables?, Gallimard, 2009, 64 p. - CHATWIN Bruce, Le chant des pistes, Paris, Le livre de poche, 2013, 414 p. - CHAVOUET Florent, Manabé Shima, Ed. Philippe Picquier, 2010, 144 p. - DE CERTEAU Michel, L’invention du quotidien, Paris, Gallimard, «Folio essais», 1990, 349 p. - DELISLE Guy, Chroniques de Jérusalem, Ed. Delcourt, collection « Shampooing », 2011, 334 p. - DUTHILLEUL Jean-Marie, Circuler (quand nos mouvements façonnent la ville), Paris, Alternatives, 2012, 192 p. - FANTI Silvio, Après avoir..., Paris, Ed. Buchet/Chastel, 1998, 161 p. - GODARD Francis, La ville en mouvement, Paris, Gallimard, 2001, 127 p. - HARZINSKI Kris, From Here to There: A Curious Collection from the Hand Drawn Map Association, Princeton Architectural Press, 2010, 224 p. - KOOLHAAS Rem, Junkspace, Paris, Ed. Payots & Rivages, 2011, 121 p. - KRACAUER Siegfried, Rues de berlin et d’ailleurs, Clamecy, Ed. Les Belles Lettres, collection «Domaine étranger», 2014, 214 p. - LYNCH Kevin, L’image de la cité, Montrouge (Hauts de Seine), Dunod, 1998, 221 p. - NOYOUX Vincent, Touriste professionnel (L’anti-guide de voyage), Paris, Stock, 2011, 215 p. - PAULET Jean-Pierre, La France, villes et systèmes urbains, Paris, Armand Colin, collection «U», 2010, 208 p. -SCHALANSKY Judith, Atlas des îles abandonnées, Paris, Flammarion, 2010, 135 p. -TASMA-ANARGYROS Sophie, LOEB Frédéric, LAIZÉ Gérard, Et si on remettait les compteurs à zéro?, Les éditions de l’imprimeur, 1998, 212 p.
SITES WEB BASTIÉ Eugénie, « Tousime pour tous! Comment la modernité a tué le voyage », Le Figaro, 15 décembre 2014, http://www.lefigaro.fr/vox/culture/2014/07/25/3100620140725ARTFIG00170-tourisme-pour-tous-comment-la-modernite-a-tue-le-voyage. php CLARKE Keir, Maps Mania, http://googlemapsmania.blogspot.be/ DEDIEU Isabelle, « Lyon Urban Data : quand la ville teste ses innovations avec les citadins », Regards sur le numérique, 10 janvier 2015, http://www.rslnmag.fr/post/2014/09/15/Lyon-Urban-Data-une-nouvelle-vitrine-pourla-ville-innovante.aspx LAM Jefferson, Daytripper, http://jeffersonlam.com/maps/ LÉONARD Antonin, « Voiture, mobilité, partage : demain c’est aujourd’hui », Le blog de la consommation collaborative, 10 janvier 2015, http://consocollaborative.com/876-voiture-mobilite-partage-demain.html MAILLARD Cécile, « Connecter les citoyens à la ville », L’usine digitale, 28 Octobre 2014, http://www.usine-digitale.fr/article/connecter-les-citoyens-a-la-ville.N279784 Sound City Project, http://soundcityproject.com/#/ VINCENDON Sibylle, « Quand on navigue en ville », Libération, 20 Novembre 2014, http://www.liberation.fr/societe/2011/02/26/quand-on-navigue-en-ville_717710
ARTICLES MOLLERUP Per, « Méthodes d’orientation », étapes:, numéro 223, pp.152-161
ANNEXE FILMS, DOCUMENTAIRES, ÉMISSIONS, VIDÉOS...
TYPOGRAPHIE
CASTAIGNÈDE Frédéric, Les villes du futur, épisode 1 Les nouvelles villes, 2014
La famille de polices « Caractères », lettrages de la signalisation directionelle Française:
GILLIAM Terry, Brazil, 1985 HUSTWIT Gary, Urbanized, 2011 J’irai dormir chez vous, France 5 KUROSAWA Akira, Dersou Ouzala, 1975
Famille de polices « Aller »
CaractÈres l1, utilisée pour la signalisation des destinations proches. CaractÈres l2, utilisée pour la signalisation des grandes destinations. Caractères L4, utilisée pour la signalisation secondaire en agglomération pour indiquer des quartiers, des institutions importantes et des lieux intéressants.
Le dessous des cartes, Arte Les Nouveaux Explorateurs, Canal+ MALIVERNEY Axel, Speakerine, Envoyé spécial, géolocalisation : tous traqués?, 2015 PENN Sean, Into the wild, 2007 RIBOT Jean-Christophe, Les villes du futur, épisode 2 Les villes intelligentes, 2014 ROLAND Sophie, Géolocalisation : tous traqués? 2015
MUSICOGRAPHIE Grand Corps Malade, Vu de ma fênetre, Album Midi 20, 2007 Grand Corps Malade, Saint Denis, Album Midi 20, 2007 Fabe, Plus il y a de monde, extrait du maxi Lettre au Président, 1996 L’Or du commun, Griseville, Compilation Dès le dépar vol.2, 2014 GAINSBOURG Serge, Le poinçonneur des Lilas, Album Du Chant À la Une!, 1958
JEUX VIDÉOS Mirror’s Edge, Ubisoft, 2008 Mini metro, Dinosaur Polo Club, 2014