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Une rencontre entre les hommes et le territoire insulaire
Les traces des premiers passants
(-3000 à - 800 av. J.-C.) L’occupation et le passage des premiers Hommes sur l’île de Porquerolles sont renseignés par des fragments archéologiques qu’ils ont laissés derrière eux (céramiques et éclats de silex, perçoir-grattoir en silex). Ces nombreux indices d’une présence fugace nous permettent de remonter aux premiers temps de l’histoire humaine insulaire. En effet, au Chalcolithique et à l’âge de bronze l’île, semble avoir été seulement fréquentée, pas encore habitée, sans doute en relation avec des activités de pêche. Aucun charbon de bois n’a été retrouvé datant de cette période, nous ignorons si des activités agro-pastorales ont modifié le paysage des îles à cette époque mais l’on suppose que lorsque les premiers hommes sont arrivés sur l’île, un couvert forestier dense devait être présent, le trait de côte plus bas que l’actuel, le climat plus sec et l’eau rare.
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Île boisée
Activité de pêche
Les prémices d’une vie insulaire
Une installation insulaire permanente
(-800 à -52 av. J.-C.) L’âge de fer est marqué par l’établissement sédentaire de deux groupes : l’un à l’emplacement de l’actuel village, l’autre dans l’anse de la Galère. Ces habitats importants attestent d’une population permanente. On assiste en même temps à une nette augmentation de la fréquentation des îles de l’archipel. La grande quantité de gisements du 1er siècle avant J.-C. est sans doute à mettre en relation avec des activités de pêche intensive dans les parages de l’île. En effet, l’emplacement des habitats à proximité d’abris contre les vents forts et la grande quantité d’amphores à vin indiquent un attrait pour la forme de l’île en croissant et sa situation sur certaines routes commerciales pour y faire escale. À cette époque la végétation est dominée par des Pins, d’Alep surtout, Maritime aussi, accompagnés de Bruyères arborescentes. Le chêne vert n’est pas du tout présent sur l’île : il fera son apparition plus tardivement. Le défrichage des plaines boisées réduit le couvert végétal (réduction du couvert arboré, extension du maquis) et fragilise les sols.
La fin de l’Âge du fer est donc une période de rencontre entre le territoire insulaire et différentes communautés humaines. La maitrise des terres cultivées provoque une certaine révolution alimentaire et une accélération démographique.
Mise en culture de la plaine Habitat groupé
L’essor de la vie insulaire Escale appréciée
Habitats groupés toujours en activité sans interruption.
Mise en valeur systématique des terres des plaines et paturage d’animaux domestiques Extension du « village » plage Notre-Dame Création de thermes
Décapage des sols qui s’étaient développé sous couvert forestier pour conforter le village et mettre en culture les plaines des versants nord
Période romaine
Antiquité tardive
Période marquée par l’insécurité : établissement de l’habitat fortifié des Mèdes
Culture de l’amandier
Abandon progressif des terres cultivées L’île est désertée peu à peu
Présence de cours d’eau épisodiques dont le débit pouvait être important
Le déboisement a dépassé le seul cadre des plaines et affecte partiellement les versants
À l’Antiquité, de nombreux textes évoquent l’existence de l’archipel. Ces mentions sont très succinctes, apportant très peu d’éléments à la connaissance de son histoire. On y apprend toutefois qu’elles devaient leur nom de Stoechades à leur position alignée (Pline l’Ancien, Histoire Naturelle, III, 5, 79). Si l’on en croit Pline l’Ancien, les noms des trois principales îles devaient être Porquerolles / Proré, Port- Cros / Mesé et Le Levant / Hypaea. Nous retiendrons aussi, des textes de Strabon, Pline l’Ancien et Tacite, que les Grecs de Marseille avaient entretenu une garnison sur cet archipel pour lutter contre la piraterie. Les mêmes auteurs mentionnent le corail de belle qualité récolté aux alentours (Bats 1985).
Expansion agricole
L’exploitation intensive des ressources
(-52 av. J.-C. à 284) Porquerolles était très appréciée par les navigateurs car elle leur servait d’escale sur la route du cabotage entre l’Italie et l’Espagne, juste après s’être arrêté à Massalia (Marseille). Sa forme en croissant protégeait les bateaux du vent. C’était donc l’endroit parfait pour faire escale et profiter du village déjà bien établi et de la nouvelle villa construite plage Notre-Dame. À Notre-Dame, tout annonce une forte exploitation agricole, telle qu’on peut la rencontrer sur le continent. Au village, des thermes décorés d’une mosaïque, détruits lors de la construction d’un immeuble, ainsi que des murs qui affleurent sur la place du village permettent d’imaginer que la vie insulaire s’est durablement installée.
Déboisement des coteaux
VIllage prospère
Une île exploitée et habitée
Il faut sans doute penser que cet habitat était encore très lié aux activités maritimes mais l’exploitation agricole des plaines continue de prendre de l’ampleur et le déboisement a dépassé le seul cadre des plaines pour s’étendre partiellement sur certains versants. Le pâturage, probablement de chèvres, a contribué à l’ouverture des paysages à Porquerolles mais aussi sur les autres îles de l’archipel. La fruiticulture devait sans doute être importante car de nombreux charbons d’amandier ont été trouvés.
Le déclin progressif de la communauté insulaire
(284 à 486) Cette période est marquée par l’apparition d’un sentiment d’insécurité, illustré par la création de l’habitat fortifié des Mèdes au Vème siècle. L’attrait des lieux est moindre, mais cela n’empêche pas la fréquentation de nombreux sites d’habitats d’origine plus ancienne. Sur Porquerolles, les activités agro-pastorales paraissent perdurer mais de façon moins importante de siècle en siècle. À cette époque, les évènements tempétueux devaient être plus fréquents, la pluviosité plus abondante car des substrats historiques ont montré un apport alluvial plus important. La ressource en eau devait donc être plus conséquente et facilitée. L’Antiquité a donc été l’âge d’or de Porquerolles, période pendant laquelle les innovations dans les modes de vie ont permis un essor de l’attractivité de la vie insulaire. Malgré cette richesse, l’île perd peu à peu de sa splendeur et la forêt reprend sa place aux endroits où l’homme s’est retiré.
Enfrichement des terres agricoles
Un abandon progressif
La recrudescence des pluies et leur concentration en averses plus brutales, favorisent un écoulement plus important des cours d’eau
Enfrichement des anciennens plaines cultivées La végétation reprend ses droits et la fôret recolonise peu à peu les anciennes plaines cultivées
L’île est abandonnée de façon permanente Rares traces de passages ponctuels de bateaux, faisant escale
Moyen-Âge
Époque moderne
Utilisation de la ressource en eau potable des nappes
Exploitation intensive des ressources forestières
Repeuplement de l’île pour assurer une meilleure défense de la côte provençale Fortification de Porquerolles et des îles d’Hyères Exploitation agricole intensive des plaines nord
Désintéret du caractère défensif de l’île
L’île déserte
(486 à 1500) À cette période, la présence d’institutions ecclésiastiques est monnaie courante mais l’installation d’établissements religieux n’a pas été confirmée à partir des vestiges archéologiques relevés à Porquerolles. La présence de moines, et en particulier du monastère des îles d’Hyères, est attestée par Jean Cassien mais il semble vraisemblable qu’ils n’ont pas occupé Porquerolles mais l’île du Levant, sa deuxième voisine à l’Est. Sa situation très isolée, son accès difficile du fait de sa côte rocheuse, font de cette île le lieu le plus approprié à la retraite recherchée (Pasqualini 1992). C’est d’ailleurs seulement sur cette île qu’ont été retrouvées des traces d’occupation humaine : au début du Moyen-Âge, Porquerolles est abandonnée. Seuls quelques bateaux continuent de faire escale. Le milieu se referme, les champs s’enfrichent et les arbres fruitiers se fondent dans la forêt. La vie insulaire s’est éteinte progressivement, laissant la place, selon certains, à des corsaires.
Un visage végétal différent
Entre le Moyen-âge et la période moderne, la végétation redevient importante et de nombreux charbons de bois attestent d’un paysage végétal totalement différent. La végétation à cette époque se différencie de la
Abandon des lieux d’habitat Reboisement naturel par abandon des cultures
Une île fantôme
situation actuelle par l’absence du Chêne vert (abondant actuellement), la présence du Chêne blanc (rare actuellement) et s’en rapproche par l’abondance relative des maquis et la présence d’un pin, probablement le Pin d’Alep. En outre, une flore arborée plus riche qu’actuellement en espèces feuillues méditerranéennes est présente (Chêne à feuillage caduc, Chêne liège, Châtaignier, Orme champêtre...) ainsi qu’en feuillus particulièrement mésophiles (Hêtre, Saule, Érable), absents de la flore actuelle des îles.
Comment interpréter une représentation des feuillus plus importante à l’époque moderne qu’actuellement ? Il s’agit peut-être, en premier lieu, de l’effet d’une dynamique forestière naturelle, consécutive au relâchement de la pression humaine au Moyen Âge, mais ce changement appelle sans doute aussi une explication climatique. Un ou plusieurs épisodes plus humides qu’actuellement, historiques, ont pu favoriser un regain de ces espèces sur l’île de Porquerolles (et sur le continent), et conditionner un paysage plus riche en feuillus avant les déboisements intenses de l’île au XVIIIe siècle. Grâce à certains textes, on sait que la période historique du «Petit Age glaciaire» (XVIe-XIXe siècle), culminant au XVIIe siècle, fut caractérisée en Europe par un refroidissement, mais aussi par des printemps et des étés humides (Duplessy, Morel 1990).
Cet exemple permet de rappeler que nous savons peu de choses sur le régime climatique aux périodes préhistoriques et historiques, sans compter les différences entre la région méditerranéenne et l’Europe du nord (Alexandre 1987).
Des falaises inhospitalières
La reconquête des îles d’Or : fortifier pour se défendre
(1500 à 1800) L’insécurité règne sur les côtes provençales aux XVe siècle et les rares habitants des îles subissent fréquemment les pillages des Turcs et des Maures. Le repeuplement de Porquerolles est amorcé probablement au XVIe siècle, sur les ordres de François Ier, pour assurer une meilleure défense de la côte et éviter que ces îles ne servent de refuge aux ennemis. Le fort Sainte Agathe est alors fortifié. Au XVIIe siècle, le climat d’insécurité règne toujours dans la rade d’Hyères et à la menace des corsaires s’ajoutent les menaces espagnole puis anglaise. Pour y faire face et à la demande de Richelieu, d’importants travaux de défense sont réalisés sur les îles de Port-Cros et de Porquerolles entre 1634 et 1643, où trois forts sont construits (les deux forts du Langoustier et celui de l’Alycastre). Lorsque la menace espagnole disparu, les îles furent de nouveau laissées pour compte, les bâtiments défensifs abandonnés. Le rôle stratégique de la rade s’affirme tout au long du XVIIIe siècle sur fond de guerres et de rivalités franco-anglaise, Porquerolles fut de nombreuses fois pillée et les animaux permettant à l’agriculture de s’installer, volés. Un moulin est installé, sur les hauteurs du village, probablement
aux alentours de 1730, en réponse à une nécessité économique de l’époque puisque le blé était très convoité. À partir de 1744, les militaires s’installent afin de ne pas laisser les bâtiments défensifs sans surveillance alors que la marine anglaise séjourne régulièrement dans la baie d’Hyères. Un hôpital militaire est construit, une garnison d’invalides est installée, les forts sont réoccupés et des chemins sont construits en grand nombre. Quelques années plus tard, un déboisement intense des îles et de l’ensemble de la région côtière s’opère pour alimenter en bois des industries qui se trouvent sur la côte (verreries, savonneries de Marseille, construction navale...). À cette époque, l’agriculture est en plein essor : des cultures, des vignes, des bois entretenus et le moulin en fonctionnement sont représentés sur la Carte des Isles d’Hières publiée en 1764 par Jacques-Nicolas Bellin. Lors de l’occupation de l’île par les Anglais, en 1793, pendant et après l’occupation de Toulon, d’où ils furent chassés par Bonaparte, il y eut probablement une tentative de destruction de certains bâtiments défensifs, des fortifications et des habitations de Porquerolles. Napoléon, alors capitaine, pose les premières grandes bases des fortifications des îles (forteresse centrale, batteries côtières, vigie, etc.).
Construction de fortifications
Arrivée de nouvelles populations Déboisement intense et mise en culture des terres
Un reconquête insulaire
Un patrimoine militaire témoin du passé, le fort de la Repentance
Forte utilisation de la ressource en eau potable des nappes Remise en valeur de l’agriculture suite à l’achat de l’île par J-F Fournier avec la plantation d’arbres fruitiers, de vignes, d’élevage...
Forte présence militaire sur l’île (militaire du génie, la marine...)
Nombreux dommages sur les milieux insulaires avec l’implantation d’une usine de soude Au début du 20ème siècle, grâce à J.F Fournier l’île redevient auto suffisante
Le couvert forestier diminue fortement suite à trois incendies (1856, 1865 et 1897) avec la valorisation des terres par l’agriculture
Époque contemporaine
1912
Légére déprise agricole liée à la baisse de la population de l’île et la création du Parc national Essor du tourisme, forte augmentation de la fréquentation de l’île en été
La forte consommation de la ressource en eau et l’augmentation de la chaleur font fortement baisser les nappes phréatiques jusqu’à les épuiser. L’eau est amenée par bateau sur l’île
Prise en compte environnementale des boisements (achat de l’île par le parc national)
1963 1971 1985 2012
Une rupture lente et imperceptible
(1800-2000) Après le temps des conflits, la vie sur Porquerolles redevient peu à peu paisible, le village commence à prendre sa forme actuelle. En 1810, une loi fait obligation d’installer les activités les plus polluantes à l’écart des villes : Porquerolles se trouve être un site idéal. En 1826, une fabrique produisant de la soude est installée à l’ouest de l’île à proximité de la Pointe du Grand Langoustier. Celle-ci causera de nombreux dommages aux milieux insulaires (air, mer, végétation, sable) car pour fonctionner, elle utilisait du sel marin et du bois, prélevé dans les massifs pour alimenter ses fours. Elle employait 100 à 150 personnes. Après avoir changé plusieurs fois de propriétaire, cette société fera faillite en 1876, ruinée par la découverte d’un nouveau processus de fabrication. Encore aujourd’hui, les traces de cette activité sont bien visibles. En témoignent les sables et graviers noirs présents sur les plages de la pointe du Langoustier issus de scories déversées au XIXe siècle. Quelques années plus tard, s’ajoute à ce lourd bouleversement, une catastrophe écologique puisqu’au cours des années 1880, l’île de Porquerolles subira 3 incendies (1856, 1865 & 1897). Le dernier particulièrement important, dévasta les deux tiers de l’île durant 15 jours.
En 1905, la Compagnie Foncière de l’île de Porquerolles est fondée. Celle-ci rachète l’île et a pour but de la transformer en grande exploitation agricole. Elle se lance alors dans de grands travaux : construction d’une ferme comprenant laiterie, four de boulanger, vacherie, porcherie, écuries, selleries, menuiserie, forge, maréchalerie, chai, cave. À cela s’ajoutent une centrale électrique, des bassins de rétention d’eau, des canalisations, des serres et de vastes
Vestiges de fortifications
Exploitation des ressources forestières
Viticulture dans les plaines
Un territoire insulaire anthropisé
habitations, ainsi que des logements ouvriers... La mise en culture des plaines, le pastoralisme dans les sous-bois et un grand défrichement furent entrepris. Quatre ans après, suite à une gestion désastreuse, la Compagnie fit faillite et passa de main en main. En 1912, François-Joseph Fournier achète 1100 hectares sur l’île. Il remet rapidement en valeur l’agriculture, notamment en introduisant de nombreuses essences d’arbres d’ornements (acacias, belombras) et fruitiers (kumquats, pamplemoussiers, orangers, citronniers…). Il agrandit le vignoble qui couvre bientôt 175 hectares. On développe le maraîchage, l’élevage bovin, la culture de roses sous serres. Une coopérative agricole est créée et la centrale électrique réhabilitée. L’alternance des plantations et des coupes permettait de fournir le combustible nécessaire au fonctionnement de la centrale électrique. La vie insulaire jouit alors d’une prospérité qui lui permet de recommencer à exporter vers le continent et de devenir autosuffisante. Après les années de sécheresse intense des années 60, et l’utilisation de la ressource en eau, l’avancée du « biseau salé » menace fortement les nappes phréatiques d’eau douce, remettant en cause l’autonomie insulaire.
L’essor du tourisme depuis la deuxième moitié du XXe siècle, impacte fortement le développement de l’île et son environnement, à la fois terrestre et marin. L’agriculture est reléguée au second plan, faisant du tourisme sa vocation première. Le nombre de visiteurs en été avoisine les 20 000 personnes. La population insulaire est multipliée par 10 sur cette période. Dernier événement notable en lien avec cet essor touristique : l’installation en 2018 de la Fondation d’art contemporain Carmignac.
Carte Postale, Archives départementales du Var, Sous-bois des Mèdes