Depuis 1971
Le travail ,
www.amisdelaterre.org
au cœur des sociétés soutenables
Hiver 2010 / 3€20 N°164
SOMMAIRE Edito Travailler, pour quoi faire ? 3 - 5 > INTERNATIONAL
Climat : de Cancun à Cancon, multiplier les initiatives • Ce qu’exige une véritable justice climatique • Biodiversité : Nagoya ou la victoire du statu quo • AG des Amis de la Terre International : construire en s’appuyant sur la diversité du réseau mondial • Nnimmo Bassey, lauréat du « Right Livelihood Award » •
Les derniers mois ont été marqués par une forte mobilisation syndicale, largement soutenue par la population, contre la réforme des retraites. L’un des mots d’ordre était le refus du recul de l’âge légal de la retraire de 60 à 62 ans – déjà largement écorné en pratique, puisque la durée de cotisation nécessaire pour percevoir une retraite à taux plein oblige de nombreuses personnes à travailler largement au-delà de la soixantaine. Ce mot d’ordre n’était pas le seul. Dans les cortèges, s’entendait aussi une grande colère contre l’absence de modulation de la durée de cotisation selon la pénibilité des parcours, car chacun sait que l’espérance de vie n’est pas la même pour un ouvrier de la chimie et pour un cadre supérieur. C’est pourquoi cette orientation était odieuse. Le Gouvernement a préféré ignorer toute négociation, son principal souci étant de conserver la note AAA pour sa dette publique : car il craint le sort que les banques et les grandes institutions financières ont déjà fait subir à la Grèce, à l’Irlande, à l’Espagne, au Portugal… en attendant la suite. Dans ce dossier, face à cette logique du travail forcé et de retraite pour les morts, nous avons souhaité nous interroger sur la place du travail dans les sociétés que nous appelons de nos vœux. Nous avons dénoncé les abus d’une organisation du travail dont le seul but est la rentabilité et donc le profit. Nous avons montré que d’autres façons de travailler sont possibles, mettant l’humain et l’intérêt général au centre de leurs préoccupations. Nous avons rappelé que le travail sera abondant dans une société réduisant la place de la machine et de l’industrie, pour redonner son espace au travail vivant, et que l’agriculture paysanne, l’artisanat, les structures coopératives et à taille humaine offrent déjà des perspectives. Dans un cadre où le travail serait considéré en tant qu’utilité sociale et rémunéré dignement, mais sans excès, le problème des retraites ne se poserait plus en termes de niveau et de durée de cotisation. La retraite ne serait que l’un des aspects d’un revenu d’existence qui donnerait, tout au long de la vie, la possibilité à chacun de choisir son activité. Car la question n’est pas seulement de travailler plus ou moins, mais celle du sens. Travailler, oui : mais pour quoi faire ? C’est pourquoi, plus que jamais, nous devons poursuivre notre lutte contre un système qui montre chaque jour ses limites, et rassembler, autour du mot d’ordre des Amis de la Terre International : résister, mobiliser, transformer.
> MARTINE LAPLANTE Présidente des Amis de la Terre • France
6 - 8 > FRANCE • La calamité des gaz non conventionnels débarque en France • Prix Pinocchio du développement durable, édition 2010 • Du « greenwashing » au « greenbashing » • Electricité : inquiétantes dérives de la politique énergétique 9 - 10 > RÉGIONS • Le Grand Paris : plus qu’à côté de la plaque • Segonzac, première commune française dans le réseau Cittaslow • L’incinérateur qui gâche la forêt • La longue route des déchets 11 > LES GROUPES LOCAUX EN ACTION 12 > JURIDIQUE, COLLECTIFS • PEFC : le label qui n'en est pas un • Urgence climatique, justice sociale 13 - 18 > DOSSIER : LE TRAVAIL, AU CŒUR DES SOCIÉTÉS SOUTENABLES • Eloge de la caissière • A la reconquête du travail vivant • France Télécom : mortifères pertes de sens • Des emplois verts… mais pas trop • Travail coopératif : les lamaneurs mènent bien leur barque • Structures alternatives : quand le « tiers-secteur » s’ajoute à l’emploi • Vallée de la Drôme : un territoire engagé pour l’économie soutenable 19 > COIN DES LIVRES • La décroissance en question • Projet Mopani (Zambie) : l’Europe au cœur d’un scandale minier 20 > PRATIQUE, HUMEURS • Des fêtes de fin d’année dans la sobriété • En finir avec l’année de la biodiversité ?
La Fédération des Amis de la Terre France est une association de protection de l’Homme et de l’environnement, à but non lucratif, indépendante de tout pouvoir politique ou religieux. Créée en 1970, elle a contribué à la fondation du mouvement écologiste français et à la formation du premier réseau écologiste mondial - Les Amis de la Terre International - présent dans 77 pays et réunissant 2 millions de membres sur les cinq continents. En France, les Amis de la Terre forment un réseau d’une trentaine de groupes locaux autonomes, qui agissent selon leur priorités locales et relaient les campagnes nationales et internationales sur la base d’un engagement commun en faveur de la justice sociale et environnementale.
I www.amisdelaterre.org I www.renovation-ecologique.org I www.ecolo-bois.org I www.produitspourlavie.org I www.prix-pinocchio.org I www.financeresponsable.org Contactez-nous : Les Amis de la Terre France • 2B, rue Jules Ferry • 93100 Montreuil • Tél. : 01 48 51 32 22 • Mail : france@amisdelaterre.org Nos sites internet
Le Courrier de la Baleine n°164 « Se ranger du côté des baleines n’est pas une position aussi légère qu’il peut le sembler de prime abord. »
Trimestriel • Hiver 2010 • n°CCPAP : 0312 G 86222 • ISSN 1969-9212
Depuis 1971
Ce numéro se compose d’un cahier principal (20 pages), d’un bulletin d’abonnement, d’un dépliant « Une seule planète ».
Directrice de la publication Martine Laplante Rédacteur en chef Laurent Hutinet Secrétaire de rédaction Benjamin Sourice Comité de rédaction Philippe Collet, Cyril Flouard, Caroline Hocquard, Lucile Pescadère, Caroline Prak Ont collaboré à ce numéro Sylvain Angerand, Anne Bringault, Sophie Chapelle, Mathias Chaplain, Cyrielle den Hartigh, Alain Dordé, Emy de Welle, Aloys Ligault, Jeanne Mahé, Anne Sophie Simpere, Gwenael Wasse Crédits photos Jpeepz, Saad Khadi, Julie Kertesz, Sacha Lenormand/Les Amis de la Terre France, Les Amis de la Terre International, Enercoop, Wambach Communication – Les Amis de la Terre Caroline Prak • 01 48 51 18 96 Maquette Nismo Carl Pezin • 01 48 00 06 94 Impression sur papier recyclé Offset cyclus 90g/m2 avec encres végétales • Stipa • 01 48 18 20 50
INTERNATIONAL
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Négociations climat De Cancun à Cancon, multiplier les initiatives Alors que s’est ouvert un nouveau cycle de négociations onusiennes sur le climat à Cancun (Mexique), la société civile appelle à démultiplier les initiatives face au modèle consumériste responsable de la crise climatique. Ceux qui ont tragiquement échoué en décembre 2009 lors des négociations onusiennes sur le climat à Copenhague ont remis le couvert du 29 novembre au 10 décembre 2010 à Cancun (Mexique). Le risque est réel de voir ces discussions utilisées par les pays riches et industrialisés, et par les institutions financières internationales comme la Banque mondiale, qui cherchent à imposer leurs fausses solutions contre les changements climatiques. Alors que les gouvernements proposent un recours massif à des mécanismes de flexibilité (compensation, crédit carbone, etc.), Sylvain Angerand, chargé de campagne Forêts aux Amis de la Terre France alerte sur « un risque de dérive lié à l'intégration progressive des forêts et de l'agriculture dans les marchés carbone ». En effet, lors des négociations à Cancun, les forêts primaires pourraient entrer dans la finance carbone par les mécanismes REDD (Réduction des émissions liées à la déforestation et à la dégradation des forêts). En cas d'adoption, une entreprise investissant dans « la gestion durable de forêts » se verrait créditée de droits à polluer qu’elle pourrait utiliser ou revendre.
Se réapproprier les négociations climatiques Face à ces risques et à la possibilité extrêmement mince d'obtenir à Cancun un accord juste, contraignant et à la hauteur des enjeux, il est décisif de « transformer les négociations climatiques » comme le propose Alberto Gomez, de Via Campesina. En alliance avec de nombreux mouvements, Via Campesina organise des caravanes qui partiront de différentes villes du Mexique et se rendront sur les lieux des négociations pour « rendre visibles les luttes menées contre les activités minières, la pollution de l’eau et les grands barrages ». A Cancun, de multiples espaces citoyens seront organisés pour débattre des vraies solutions, ainsi que de nombreuses actions et manifestations pour faire entendre les voix de celles et ceux qui ne sont pas écoutés dans les arènes officielles.
Du côté des Amis de la Terre International (ATI), une soixantaine de représentants seront à Cancun « en s'inscrivant dans le processus de l'accord des Peuples de Cochabamba ». Ce texte, issu d'un sommet tenu en Bolivie en avril dernier, formule des exigences chiffrées ambitieuses (voir encadré) mais propose aussi la création d'un Tribunal international des Peuples sur la dette écologique et la Justice climatique. Ces demandes ont été intégrées dans le principal texte de négociations lors de la réunion de la Convention Climat à Bonn en août 2010. « L'un des intérêts de cet accord, expliquent les ATI, est de mettre en débat au cœur des négociations officielles des questions prééminentes comme la compensation, les marchés carbone et les droits des communautés ». Conscients de l'importance d'une véritable mobilisation populaire pour peser sur les choix que feront les gouvernements à Cancun, les ATI sont également impliqués dans les mobilisations à l'extérieur du centre des négociations.
« 1 000 Cancun » Devant l'extrême difficulté financière et organisationnelle rencontrée pour se rendre à Cancun, la Via Campesina a lancé l'appel « 1000 Cancun ». « Soit mille actions parallèles, précise Alberto Gomez. Pour transformer profondément ces négociations conver-
ties en un véritable marché d’offres et de demandes, il est absolument nécessaire de multiplier les initiatives et les exigences au niveau international ». La mobilisation devait être particulièrement forte le 7 décembre 2010, journée de la grande manifestation paysanne à Cancun. Déjà dans ce cadre-là, une semaine internationale d'actions pour la justice climatique s'est tenue du 10 au 17 octobre 2010 mêlant blocages de raffineries et organisation de villages en transition. Le 4 décembre, le collectif Urgence climatique Justice sociale (UCJS) dont les Amis de la Terre sont membres, a organisé un rassemblement à Cancon dans le Lot-et-Garonne (voir p. 12 ). Les enjeux ? « Rendre visibles les luttes et expériences qui, au niveau local, répondent à la crise écologique et climatique dans les domaines des transports, de l’énergie, de la construction, de l’agriculture et de l’industrie ». Toutes ces initiatives ont un fil conducteur commun : mettre en exergue les propositions du mouvement écologiste, social et de solidarité internationale pour sortir d'un modèle consumériste et productiviste qui broie les populations et détruit la planète.
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SOPHIE CHAPELLE
Retrouvez l'interview d'Alberto Gomez sur le site http://www.alter-echos.org
Ce qu'exige une véritable justice climatique Dans le cadre de l'appel « 1 000 Cancun », la Via Campesina appelle à « reprendre à son compte les propositions de la Conférence des Peuples de Cochabamba ». Parmi ces pistes, on peut relever la réduction de 50 % des émissions de GES pour la seconde échéance du protocole de Kyoto (2013-2017), la référence à 1° C d’augmentation maximale et la limite de 300 ppm de CO2 dans
l’atmosphère. Pour la coalition Climate Justice Now, dont est membre le réseau international des Amis de la Terre, l'enjeu est aussi de rejeter toutes les fausses solutions parmi lesquelles les dispositifs REDD – tels qu'ils sont actuellement pensés, la géo-ingénierie, les systèmes d’échange de quotas d’émission de dioxyde de carbone et toute participation de la Banque mondiale à la gestion des
fonds et des politiques ayant trait au changement climatique. Comme le rappellent les Amis de la Terre France, « toute solution devra nécessairement passer par un renforcement du droit des communautés locales et des peuples autochtones à gérer eux-mêmes leurs ressources naturelles, et non pas par une privatisation et une financiarisation de la nature ».
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S.C.
04
INTERNATIONAL
Biodiversité Nagoya ou la victoire du statu quo Sauvées de justesse par une proposition peu contraignante, les négociations de Nagoya (Japon) sur le protocole de la Convention sur la diversité biologique se terminent sur un bilan en mi-teinte. Destruction de la biodiversité, les pompiers pyromanes près à faire un geste.
seule garantir une protection à long terme des espaces naturels et des e s p è c e s . L'implication des populations locales reste fondamentale. »
Haro sur la biopiraterie
Du 18 au 29 octobre 2010, 193 pays signataires de la Convention sur la diversité biologique (CDB) se sont réunis à Nagoya, pour négocier un nouvel accord visant à mieux protéger les espèces et les écosystèmes, mais aussi à partager plus équitablement les bénéfices tirés des richesses naturelles. Succès très relatif : les Etats signataires ont adopté une feuille de route sur les principaux objectifs à suivre pour ralentir l'extinction de la biodiversité. Le nouveau protocole fixe une augmentation de la part des aires protégées portées à 17 % de la surface totale des terres (13 % aujourd’hui), et à 10 % de celle des océans et des côtes (moins de 1 % à l’heure actuelle). Mais pour Sylvain Angerand, des Amis de la Terre France : « La seule conservation ne pourra à elle
En revanche, les peuples étaient bien au cœur des négociations du Protocole de Nagoya sur l’accès et le partage des avantages tirés des ressources génétiques et des savoirs traditionnels associés. Cet accord contraignant devrait pour partie enrayer la biopiraterie et obliger les entreprises (médicales, pharmaceutiques et cosmétiques) à modifier leurs pratiques d’accaparement des ressources génétiques. D'après Aurélie Hoarau du Collectif Biopiraterie : « Cet accord établit une obligation d’obtention du consentement préalable, libre et informé de l’Etat fournisseur, ainsi que l’obligation de partage des avantages issus de l’utilisation des ressources et savoirs cédés ». Une victoire saluée par tous, mais à nuancer. Les peuples autochtones auraient souhaité une implication plus importante dans la procédure de consentement préalable. Par ailleurs, la propriété
intellectuelle (brevets sur le vivant) en ressort légitimée. Et surtout, la plupart des brevets ayant donné lieu à des litiges sont enregistrés aux Etats-Unis, pays qui n'a jamais ratifié la CDB.
Tentative d'OPA sur la nature A Nagoya, le secteur financier a tenté une OPA sur la nature, en cherchant à imposer « ses mécanismes financiers innovants ». Les experts mandatés par les entreprises sont unanimes : « Le problème de la nature, c'est sa gratuité ! » Il n'est donc pas surprenant qu'ils soient apparus d’enthousiastes adeptes des théories de l'économiste Pavan Sukhdev sur la financiarisation de la nature et la monétarisation des services environnementaux. Face à cette menace de spoliation financière, les Etats du Sud, riches en biodiversité, ont refusé de brader leurs ressources. Selon Simone Lovera, des Amis de la Terre Paraguay, mandatée au Japon : « C'est une victoire importante : les Etats ont balayé d'un revers de main ces mécanismes de compensation financière. » Les Amis de la Terre Europe « applaudissent le changement de cap sur la protection de la biodiversité intervenu à Nagoya », car les participants ont redouté le pire : moins de 24 heures avant la clôture, les négociations se sont retrouvées au point mort et le fantôme de Copenhague est revenu hanter les esprits. C'est finalement le gouvernement japonais qui, avec un texte consensuel et peu contraignant, a permis qu'un accord soit conclu in extremis.
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BENJAMIN SOURICE
Brèves Le ministre indien de l’Environnement examine le cas Vedanta – En Inde, le profit n’est plus un critère suffisant pour obtenir l’accord du gouvernement pour développer des projets miniers. L’évaluation de leurs impacts sur l’environnement et sur les populations locales a ainsi abouti au blocage voire à l’annulation de grands projets tels une fonderie de cuivre du groupe Vedanta, fermée à Madras en septembre 2010 pour « protéger la Terre-Mère ». En août 2010, le ministre de l’Environnement Jairam Ramesh a interdit au même groupe la construction d’une mine de bauxite sur des terres tribales dans l’Est du pays en raison d’un « risque de destruction des modes de vie des peuples primitifs ». Très décrié par la société civile pour ses activités, Vedanta n’a pas commenté ces décisions.
Nanotechnologies, un rapport très critique – Les Amis de la Terre Etats-Unis, Australie et Europe ont publié le rapport Nanotechnology, climate and energy : over-heated promises and hot air, qui révèle que sous leur forme actuelle, les nanotechs n'augmenteront pas significativement l'efficacité énergétique et n'aideront pas à combattre les changements climatiques. L'industrie des nanotechs essaie pourtant de faire passer pour « verte » des technologies complexes dont les usages actuels ne produisent aucun bénéfice contre les changements climatiques, l'épuisement des ressources et les pollutions. Le rapport souligne au contraire que les nanotechnologies augmentent la consommation énergétique et créent de nouveaux risques environnementaux. A lire en ligne sur www.amisdelaterre.org, rubrique « Publications/presse ».
INTERNATIONAL
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Assemblée générale des Amis de la Terre International Construire en s’appuyant sur la diversité du réseau mondial Les associations membres du réseau international des Amis de la Terre se sont réunies en Malaisie en octobre 2010 pour décider des futures orientations de l'organisation. Mobiliser, résister, transformer sont les maîtres mots.
L’assemblée générale des Amis de la Terre International (ATI) a réuni des représentants de 55 groupes nationaux du 14 au 23 octobre 2010 à Penang (Malaisie). Cette année, le réseau s’est encore étoffé avec l’arrivée de nouveaux membres : l'Ouganda, le Liberia, la Tanzanie, le Mozambique, le Mexique, le Timor Leste et le Sri Lanka, portant le nombre total de groupes nationaux à 77. Les débats ont porté principalement sur la définition d'axes de développement de la fédération internationale et la mise en place de méthodes de travail communes. Avec le nouveau plan d’actions stratégique validé en Assemblée générale, les Amis de la Terre International ont désormais une feuille de route partagée qui permettra à chaque groupe national, avec ses spécificités, de contribuer à un projet commun : la transition vers des sociétés soutenables. Le ton de l’Assemblée générale a été donné lors des deux jours de pré-conférence consacrés aux forêts et à la diversité biologique, aux droits communautaires et aux peuples autochtones. De nombreux témoignages sont venus rappeler que des communautés autochtones, sur plusieurs continents, se battent pour préserver leur liberté, leurs terres,
l’accès à l’eau et aux ressources naturelles, et fondamentalement pour défendre le respect de leur culture. Pour les Amis de la Terre International, la déforestation visant à installer des palmiers à huile ou des hévéas, l'exploitation de nouvelles mines et des gisements de pétrole, et autres opérations massives… relèvent d'une logique commune liée à puissance des multinationales, à la corruption des États et à la croissance sans fin d’une consommation prédatrice. Face à ce constat, il est plus que jamais urgent d’agir.
Résister, mobiliser, transformer Ces trois mots forts illustrent les actions des ATI et reflètent l'identité du réseau international. En Malaisie, la fédération internationale a avancé dans la construction de son projet commun en validant un plan stratégique autour de ces trois orientations. Les groupes nationaux ont décidé de résister aux institutions, politiques et mécanismes qui préconisent ou imposent le néolibéralisme et le développement non soutenable. Ils veulent démanteler le pouvoir et l’impunité des grandes entreprises pour mettre fin à leur contrôle des décisions gouvernementales et institutionnelles.
La mobilisation passera par la construction d’« un mouvement populaire plus fort et le renforcement de nos alliances stratégiques ». Pour cela, il faudra développer la capacité des ATI pour influer sur les décisions publiques, ainsi que la réflexion et l’apprentissage collectifs avec les autres participants au mouvement. Ces résistances et cette mobilisation sont au service d'un projet de transformation qui vise la justice environnementale, sociale, économique, l’égalité hommes/femmes et les libertés publiques : « La fédération agira pour créer des sociétés justes et durables en bâtissant la souveraineté des peuples, en stoppant et en inversant la dégradation environnementale et en vivant sans dépasser les limites écologiques. » La diversité des membres de la fédération internationale, leur ancrage territorial et leur capacité à agir aussi bien au niveau local que national et international sont autant d'atouts pour contribuer au projet de la fédération internationale. Rendez-vous est maintenant donné pour la prochaine assemblée générale des ATI au Salvador à l'automne 2012.
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ANNE BRINGAULT
Directrice • Les Amis de la Terre France
Nnimmo Bassey, lauréat du « Right Livelihood Award » Président des Amis de la Terre International depuis 2008 et directeur général de ERA/Les Amis de la Terre Nigeria, Nnimmo Bassey compte parmi les militants écologistes les plus actifs en Afrique. Après avoir été nommé « héros de l’environnement » par le magazine Time en 2009, Nnimmo a reçu le 6 décembre 2010 à Stockholm le Right Livelihood Award, plus connu sous le nom de Prix Nobel alternatif.
Le jury a distingué Nnimmo Bassey « pour avoir révélé l’étendue des horreurs écologiques et humaines dues à la production de pétrole et pour sa profonde action en faveur du renforcement du mouvement environnemental au Nigeria et au niveau mondial ». Selon Nnimmo, cette récompense est un signal fort pour notre mouvement : « Ce prix reconnaît les combats pour la justice environnementale, menés au niveau mondial par les
communautés touchées. Nous voulons voir cesser les crimes des grandes entreprises, tels que ceux commis par les géants pétroliers comme Shell au Nigeria et partout dans le monde. »
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CAROLINE PRAK
Plus d’informations sur le « Right Livelihood Award » : http://www.rightlivelihood.org/
06
FRANCE
Ressources naturelles Lancement de la campagne « Une seule planète » Campagne internationale et interassociative pour une gestion durable et équitable des ressources naturelles, « Une seule planète » offre également des opportunités pour des actions locales pédagogiques. Les Amis de la Terre en sont un acteur central. « La prise en compte des problèmes environnementaux nécessite prioritairement une remise en cause d’un système inégalitaire de partage et de gestion des ressources naturelles, qui génère pauvreté et mal développement. » C'est sur ce constat que Nathalie Peré-Marzano, directrice Centre de recherche indépendant sur le développement (CRID), ouvre le 19 octobre 2010 la conférence de presse pour le lancement de la campagne « Une seule planète » pour une gestion durable et équitable des ressources naturelles. Le programme « Une seule planète » réunit des acteurs du développement et de l’environnement de plusieurs pays européens (France, Belgique, Hongrie et Slovaquie) et du Sud (Côte d’Ivoire, Indonésie, République démocratique du Congo, Sénégal) ainsi que des syndicats et des chercheurs. Le programme se décline en trois axes majeurs : la responsabilité des multinationales et la régulation des modes de production ainsi que de consommation, les limites de la croissance et la gestion soutenable des ressources naturelles, la justice sociale et environnementale. Ce projet souligne aussi l'importance de la lutte contre la concentration économique des entreprises pour renforcer les démocraties dans les pays du Sud.
L'espace écologique La campagne s'articule en partie sur le concept d'« espace écologique » développé par la fédération des Amis de la Terre. Ce concept clé tente d'expliquer simplement l'impossibilité d'une croissance perpétuelle (verte ou non) dans un monde fini. En pratique, il s'agit de définir
atelier sur les ressources naturelles avec la participation de Camilla Moreno, des Amis de la Terre Brésil. La militante expliquait alors : « L'intégration des forêts dans le marché du carbone risque de restreindre les droits des communautés autochtones en les excluant de la gestion des ressources locales et en portant atteinte à leur mode de vie traditionnel ».
Une campagne pédagogique pour le grand public
pour chaque type de ressource un seuil minimum de consommation et un plafond maximum prenant en compte la capacité de régénération des ressources renouvelables et le stock de ressources non renouvelables. Cette démarche fixe le cadre d’un mode de vie équitable au Nord comme au Sud. L'espace écologique permet également de saisir en quoi les mécanismes de compensation ou de certifications sont un obstacle au partage équitable et soutenable des ressources naturelles. En juillet 2010, les Amis de la Terre ont été invités à l'université d'été du CRID pour co-animer, avec des partenaires de la campagne, un
La campagne « Une seule planète » se base sur plusieurs outils pédagogiques dont la brochure rédigée par les Amis de la Terre et encartée dans cette Baleine. « Une seule planète », c'est aussi une exposition interactive sur les ressources naturelles réalisée par les Petits Débrouillards à disposition des groupes locaux. Enfin, ce programme ouvre la possibilité pour les groupes locaux des associations partenaires de se regrouper et de valoriser des alternatives locales : création d'une AMAP, récupération et recyclage, réduction de la consommation de biens à durée de vie limitée... Pour organiser ces actions locales, le CRID propose un soutien financier aux groupes locaux des associations partenaires. Enfin, une pétition par cartes postales a été lancée en même temps que la campagne.
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SYLVAIN ANGERAND
Chargé de campagne • Forêts
Pour plus d'information, écrivez à foret@amisdelaterre.org
La calamité des gaz non conventionnels débarque en France Une nouvelle calamité arrive des EtatsUnis : la « révolution des gaz non conventionnels », pour reprendre l’expression de l’Agence internationale à l’énergie (AIE). En effet, aux Etats-Unis en 10 ans, l’extraction de ces gaz a été multipliée par 4 pour atteindre 45 milliards de mètres cubes. Depuis 2000, de nouvelles techniques d’exploitation permettent d’extraire le gaz de schistes, mais aussi les gaz compacts et le grisou des veines de charbon. Le rachat du spécialiste XTO Energy par ExxonMobil pour 41 milliards de dollars illustre la démesure des enjeux financiers associés aux gaz non conventionnels. Tout comme l’extraction des sables bitumineux, l’exploitation de ces gaz a un fort impact environnemental. Des forages
horizontaux sont utilisés pour injecter un mélange d’eau et de produits chimiques sous pression afin de fracturer les roches recélant le gaz. La technique nécessite donc de très grandes quantités d’eau ainsi que l’ajout de produits chimiques qui polluent les nappes phréatiques au benzène et autres molécules toxiques.
La France toujours révolutionnaire En France, les services de Jean-Louis Borloo ont accordé en catimini des permis de prospection à Total et Devon Energy sur une zone de 4 300 km2 entre Montélimar (Drôme) et le Nord de Montpellier (Hérault). Schuepbach Energy, associé à GDF Suez, prospecteront quant à eux une zone de 900 km2 en Ardèche et
une autre de 4 400 km2 entre Le Vigan (Lozère) et Saint-Affrique (Aveyron). D’autres demandes sont à l’étude, car la ruée vers les gaz non conventionnels pourrait s’étendre à la Lorraine et aux alentours des zones déjà attribuées. Selon l’AIE, les réserves mondiales exploitables représentent près de 120 ans de production au rythme actuel. Un beau potentiel pour rallonger l’ère des énergies fossiles, retarder l’indispensable sobriété énergétique et accroître de quelques degrés la température de la Terre. Pour dénoncer ces projets, une première réunion publique aura lieu le 20 décembre 2010 à St Jean de Bruel (Aveyron).
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PHILIPPE COLLET
FRANCE
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Et les lauréats sont... Prix Pinocchio du développement durable, édition 2010 Pour leur troisième édition, les Prix Pinocchio ont rencontré un public plus large et se sont ouverts à des partenaires associatifs. Petit retour sur les heureux gagnants... Le 9 novembre 2010, se tenait la troisième édition des prix Pinocchio du développement durable organisés par les Amis de la Terre, avec le soutien de partenaires invités, le Centre de recherche indépendant pour le développement (CRID), l'association Peuples Solidaires (Action Aid), ainsi que l'Observatoire indépendant de la publicité. Depuis trois ans, les Amis de la Terre ponctuent leur travail sur la responsabilité sociale et environnementale des entreprises par ces prix déclinés en trois catégories, Droits de l'Homme, Environnement et « Greenwashing », qui mettent en lumière le double discours des entreprises et les impasses du « capitalisme vert ».
Des noms ! Dans la catégorie Droits de l'Homme, c'est la SOMDIAA, une filiale du groupe Vilgrain qui décroche la palme. L'entreprise met en avant les « valeurs humaines » au « fondement » du groupe alors que pour augmenter sa production de cannes à sucre, elle a spolié de milliers d'hectares de terres les villageois de la région de la Haute-Sanaga, dans le centre du Cameroun, en offrant une indemnité moyenne de 5 euros par an et par famille. La catégorie Environnement récompense Eramet, le géant du nickel, épinglé pour un projet de mine en Indonésie combattu par nos collègues des Amis de la Terre Indonésie et dénoncé par la campagne « Une seule planète ». Comment en effet se targuer d'être une « entreprise citoyenne » conduisant « durablement » ses activités quand l'intégralité du projet minier de Weda Bay implique la destruction d'une foret primaire ? Et en pleine année de la biodiversité, de surcroît ! Dans la catégorie Greenwashing, le Crédit Agricole remporte le pompon ! Sa campagne de publicité, avec l'acteur
Sean Connery, Remise des prix Pinocchio à Paris diffusée aux au Comptoir général, le 9 novembre 2010. Etats-Unis et sur internet, proclamait en effet : « It's time for green banking » (il est temps de passer à une banque verte)… Or, en août dernier, la banque décidait de financer le projet de centrale thermique à charbon de la compagnie Eskom à Medupi, en Afrique du Sud. Ce projet, qui rejetterait l'équivalent de 5 % des émissions voir des entreprises multinationales ne annuelles de gaz à effet de serre de la pourra s'effectuer que grâce à une réguFrance, symbolise bien le double dislation contraignante, clairement distincte cours toujours plus ancré des industriels des écrans de fumée que sont les et de leurs bailleurs, à l'heure où la crise approches volontaires. économique représente l'occasion d'une A l'heure où notre Premier Ministre affirrefonte complète des pratiques. mait doctement, lors du discours du 3 novembre 2010 devant le Conseil natioSilence radio nal des ingénieurs et scientifiques de Seul le groupe Vilgrain a réagi à l'attribuFrance, que les entreprises françaises tion du Prix et à l'appel urgent de notre ont besoin de moins de régulation, les partenaire Peuples Solidaires, mettant en Amis de la Terre rappellent que la crise avant la création d'« un réseau de environnementale actuelle nécessite au Fondations dont les objectifs sont de contraire un retour du politique. Pour sorréduire les inégalités locales ». Sans tir de l'économie-casino et orienter fortecommentaires ! Peu de réactions, donc, ment nos modes de production et de de la part des entreprises, mais un intérêt consommation vers des sociétés soutedu public et des médias qui se confirme, nables, il faut une volonté publique : derdémontrant que la communication d'enrière leur cérémonie festive, c'est tout treprise et sa petite sœur la publicité l'enjeu des Prix Pinocchio. trompent de moins en moins le public. > ALOYS LIGAULT Il reste cependant du chemin à faire pour Chargé de campagne • Responsabilité sociale encadrer, puis stopper ces pratiques. Il et environnementale des entreprises est clair que le démantèlement du pou-
Du « greenwashing » au « greenbashing » … que se cache-t-il derrière ces termes barbares ? Un nouveau produit de communication plus vert que vert ? Pas loin ! Si le greenwashing désigne l'écoblanchiment dans la langue de Molière, le greenbashing renvoie lui au dénigrement – parfois assez violent – du discours écologiste. Certaines entreprises sont passées maîtres, jouant de la liberté de ton offerte par la toile. Ainsi la compagnie de pneumatiques GoodYear a lancé un site internet
mettant en scène des écolos benêts (Nadine La Radine, Raoul Zéro Fuel ou Simone Anti-Carbone) dans une publicité interactive pour son produit « Good choice », des pneus censés réduire la consommation de CO2 du véhicule... Ouvertement agressive et anti-écologie, cette campagne marque un changement de ton dans la veine de « l'environnement, ça commence à bien faire ! » Un discours stigmatisant à la limite de la dif-
famation, et certainement une étape supplémentaire de franchie dans la lutte qui oppose les associations de défense de l'environnement et de l'Homme à certaines entreprises aussi indélicates sur le terrain de la communication que dans la protection de la nature. Bientôt une nouvelle catégorie de Pinocchios ?
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A.L.
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FRANCE
Electricité Inquiétantes dérives de la politique énergétique La loi NOME aggravera la situation énergétique en France en favorisant les concurrents d’EDF sans modifier les conditions de production. Mais Enercoop résiste encore et toujours à l’envahisseur…
Barrage hydraulique produisant de l’électricité pour Enercoop.
Une nouvelle loi (dite NOME) réorganisant le marché de l'électricité a été votée. Cette loi, la plus lourde de conséquences depuis l'ouverture du marché le 1er juillet 2007, permettra aux nouveaux concurrents d’EDF d'obtenir un approvisionnement en électricité d’origine nucléaire : EDF devra céder jusqu’à 25 % de cette production à ses concurrents, et ce, à des prix réglementés beaucoup plus bas que ceux du marché. Cela pèsera encore davantage sur les conditions d’exploitation – donc de sécurité – de centrales nucléaires dont beaucoup atteignent la limite d’âge.
Cette loi ne prévoit rien pour les énergies renouvelables, ni la moindre disposition de lutte contre les usages abusifs de l’électricité (chauffage en tête) auxquels sont très souvent contraints les ménages. La France et l’Europe s’éloignent donc toujours davantage d’un véritable service public de l’énergie, garantissant l’accès de tous aux services de base tout en organisant la sobriété énergétique.
Proposer des alternatives Malgré ce contexte hostile, Enercoop née en 2005 et dont les Amis de la Terre sont sociétaires fondateurs, fournit de l'électricité à partir
de sources exclusivement renouvelables (hydraulique, éolienne, photovoltaïque, biomasse), tout en assurant une sensibilisation active en faveur de la maîtrise de l’énergie. L'organisation permet à ses abonnés de devenir sociétaires, et donc de prendre part aux décisions de la structure. « Aujourd'hui, après 4 ans de fonctionnement, Enercoop compte 48 producteurs et 7 000 consommateurs, et contribue en parallèle à construire un modèle reposant sur l'appropriation citoyenne et locale de l'énergie grâce au développement de coopératives régionales. Cette organisation originale se fait sur la base d'un circuit court du producteur au consommateur, où les deux parties participent à la prise de décision. Enercoop Ardennes constitue le premier exemple de coopérative locale : ses 100 sociétaires ont investi ensemble dans des toits solaires en 2009. La coopérative propose également des audits énergétiques aux consommateurs de la région, professionnels et particuliers, pour les aider à réaliser des économies d'énergie », explique Stéphanie Lacomblez, d’Enercoop. Dernière en date, Enercoop Rhône-Alpes a été lancée cet automne et travaille à un projet de pico-centrale (micro-microcentrale) hydraulique dans la Drôme. Des projets de ce type seront développés début 2011 par Enercoop Nord-Pas de Calais et Languedoc-Roussillon. Si la coopérative n’est pas en situation de s’opposer, à elle seule, à une politique qui poussera les prix vers le haut tout en poussant à la consommation, Enercoop demeure le signe que des citoyens s’organisent pour proposer des alternatives et remettre l’électricité à sa place. Il est plus que jamais temps pour les adhérents des Amis de la Terre de rejoindre la coopérative s’ils le souhaitent.
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LAURENT HUTINET
Brèves Bretagne : un pesticide détruit la vie aquatique – Le 23 octobre 2010, un agriculteur du Finistère épand un pesticide, le Trimaton extra, dans son champ de salades. Mais de fortes pluies, dans les heures qui suivent, lessivent le terrain et entraînent la molécule toxique dans la rivière adjacente. Une pisciculture touchée et 130 tonnes de truites sont décimées en 15 minutes, et la pollution du cours d'eau a entraîné la mort de toute vie aquatique sur 12 kilomètres. Ce pesticide est pourtant autorisé et l'agriculteur n'a apparemment pas outrepassé les doses prescrites. L’affaire se passe, hélas, de commentaire. Calculer l'empreinte carbone de votre épargne – Les Amis de la Terre, en partenariat avec le cabinet de conseil Utopies et le site web Mescoursespourlaplanete.com, ont lancé le 22 novembre 2010 un outil en ligne inédit pour calculer l’empreinte carbone de l’argent déposé par les épargnants dans leur(s) banque(s). Car les dépôts et placements des particuliers financent des activités économiques potentiellement polluantes ou émettrices de gaz à effet de serre. Pour Juliette Renaud, chargée de campagne sur la Responsabilité des acteurs financiers aux Amis de la Terre : « Il est temps de prendre conscience que nos choix d’épargne peuvent être un levier majeur pour agir sur la société et la transformer. » Accédez à la calculette sur notre site : www.financeresponsable.org
FRANCE
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Aménagement urbain Le Grand Paris : plus qu’à côté de la plaque Le débat public sur le Grand Paris, portant sur le réaménagement de la « région capitale » en termes de transports et d'activités, a abouti à un projet dangereux et déconnecté des attentes de la population. Le débat public sur le Grand Paris, auquel les Amis de la Terre Ile-de-France ont participé, a montré le caractère totalement inadapté du réseau de transport en commun issu du projet d’aménagement initié par Nicolas Sarkozy fin 2007. Le schéma retenu relie des pôles excentrés censés être des moteurs de compétitivité internationale. Le tracé passe en grande partie par des villes peu denses, oubliant les communes de la petite couronne, où la population et l’activité sont concentrées et les besoins de transport très bien identifiés : le prétendu développement du plateau de Saclay repose ainsi sur un pôle éloigné de Paris situé dans une zone à très faible densité.
Projet dépassé Le but n’est pas de répondre à une demande, mais bien d’aménager l’Ile-deFrance selon la vision d’un démiurge rêvant de structurer les besoins de déplacement autours de 9 pôles économiques aux contours vagues. Le projet est dépassé d’avance : les transports franciliens sont déjà surchargés et la Cour des Comptes a révélé que les fréquentations augmentent de 2 % à 3 % par an, alors que le Grand Paris envisage de soulager ces liaisons de 10 % à 15 % en moyenne… à partir de 2023.
Avec ce projet, les longs trajets deviendront la norme et des hectares d’espaces naturels et agricoles seront bétonnés pour être plantés de pavillons et autres centres commerciaux. La desserte des aéroports, symbole de l’hypermobilité déconnectée des réalités environnementales, impose un tracé coûteux et inadapté : la ligne reliant La Défense et l'aéroport d'Orly ne compte que 7 gares pour 44 km. Selon Claude Bascompte, président des Amis de la Terre Paris, « ce projet d'aménagement devenu un projet de transport conçu pour le business international doit être redéfini pour satisfaire aux enjeux auxquels les franciliens sont confrontés : mobilité régionale, mixité territoriale et préservation des terres agricoles ». Un projet conséquent aurait dû privilégier un aménagement équilibré alliant proximité, mixité sociale, report modal vers les transports publics, habitat, services et activités. Et surtout, chercher à rapprocher les lieux de travail et de vie, ce qui est totalement absent du projet. Au lieu de cela, le tracé ne propose qu’une ronde frénétique évitant lar-
gement les zones denses où vivent 8,5 millions de Franciliens. En matière de financements, le Grand Paris mise sur une croissance économique de 4 % pendant vingt ans, chiffre pour le moins surréaliste… mais de toute façon, savoir si l’exacerbation d’une croissance aveugle et la poursuite d’un aménagement urbain ultra spécialisé aurait la moindre chance d’effacer des décennies de ségrégation sociale en banlieues parisiennes n’effleure même pas l’esprit des promoteurs du projet.
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PHILIPPE COLLET
Villes en transition Segonzac, première commune française dans le réseau Cittaslow
A priori, prendre son temps n’a rien de bien original. Mais dans la course à la productivité qui caractérise nos modes de vie contemporains, revendiquer le droit à la lenteur est devenu quasiment subversif. Cette année, Segonzac (Charente, 2 200 habitants) est la première commune de France à adhérer au réseau international Cittaslow qui relie déjà 140 villes aux quatre coins de la planète. Ce programme par-
ticipatif créé en 1999 à l’initiative de quelques maires de Toscane s’inspire des principes du mouvement Slow Food (préservation du lien social et de l’écologie par une « écogastronomie » basée sur les circuits courts) pour les étendre à la gestion des villes de moins de 50 000 habitants. Pour le directeur du réseau Pier Giorgio Olivetti (cité dans le Monde.fr), « les décisions importantes ne sont généralement plus dans les mains des citoyens. Il n'y a qu'au niveau local qu'on a une chance de reprendre en main son futur. Le monde de Cittaslow, ce sont des centaines de petits projets dans la solidarité, l'énergie, le tourisme, l'éducation, avec au centre la question de l'alimentation et la place du paysan. » Soit une vraie mine de références pour les communes en matière de gestion alternative.
Escargot En rejoignant Cittaslow, Véronique Marendat, maire de Segonzac, avoue
clairement au quotidien La Charente libre vouloir « sortir de la consommation abrutie des zones commerciales. » Malgré des atouts économiques certains – avec près de 1 700 hectares de vignes situés en plein terroir de Grande Champagne, Segonzac exporte l’un des meilleurs cognacs français – la commune n’est pas à l’abri des risques d’exode rural. « Pour garder notre population, nous devons lui donner accès à des services et des emplois », précise la maire, qui revendique le droit à une « croissance raisonnée ». Encore un petit effort, Madame la maire… Pour la petite histoire, Segonzac et le réseau Cittaslow ont choisi, à quelques siècles d’intervalle, un emblème commun : l’escargot. La bestiole, paraîtil, ne recule jamais : chi va piano, va sano.
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CYRIL FLOUARD
Site Cittaslow : http://www.cittaslow.net/
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FRANCE
Parc naturel régional L'incinérateur qui gâche la forêt Les manœuvres d'un élu local pour amoindrir les protections accordées au Parc naturel régional de la forêt d'Orient (Aube) pourraient mener à l'installation d'un incinérateur dans la région. C'est une affaire qui Le futur Parc naturel régional de la forêt d’Orient secoue depuis plusieurs pourrait être menacé par un centre de traitement des déchets. mois élus locaux et militants écologistes de l’Aube. En juin 2010, des élus locaux du département obtiennent la classification de la forêt d'Orient en Parc naturel régional (PNR FO) pour assurer sa protection. D'une superficie de 70 000 hectares, et englobant plus de 50 communes, le parc constitue un espace naturel à préserver et un atout pour la région. Une Charte du PNR FO, établie par les collectivités locales, a été proposée au ministère de l'Ecologie pour renforcer la protection du parc contre une lettre ouverte à à l'ex-ministre de toute activité industrielle à risques. Ainsi l'Ecologie, Jean-Louis Borloo : « Un tel la rédaction initiale de son article 49 spéprocédé est la porte ouverte au pouvoir cifiait que : « L’État et les signataires s’endes lobbies économiques qui craingagent à ne pas implanter sur le territoire draient de trouver dans les chartes une du Parc de nouveaux centres d’enfouislimitation de leurs visées territoriales pour sement technique (CET), ni aucun incinéorienter l’activité d’un PNR. Il n’est pas rateur, ni centre de stockage de déchets acceptable que l’Etat se livre à un tel déni nucléaires. » démocratique et succombe aux presMais à la surprise générale, le décret sions dont il peut être l’objet. » ministériel établissant la charte et classant le territoire comme parc naturel paraît au Journal officiel le 16 juin 2010 Discret lobby avec un article 49 tronqué, stipulant désIl apparaît qu'un élu local, Nicolas ormais : « L’Etat et les signataires s’engaDhuicq, député maire de Brienne-legent à ne pas implanter sur le territoire du Château, situé dans les limites du parc, Parc de centre de stockage de déchets soit intervenu unilatéralement pour faire nucléaires ». Les élus locaux s’interrogent modifier l'article par les services du miniset la grogne monte. Ils s’expriment dans tère de l'Ecologie. L'intéressé reconnaît
dans un entretien : « Ce n'est pas l'article 49 qui posait problème mais un alinéa qui ne laissait pas de possibilité à une extension du site de Montreuil-sur-Barse qui gère les déchets. (...) Il était incohérent de ne pas se donner la possibilité d'extension du site de Montreuil (...) alors que l'on sait très bien que demain, nous serons amenés à augmenter notre capacité de stockage et de traitement, et il me semblait déraisonnable de se contraindre. » Si le député se défend de vouloir installer dans l'immédiat un nouvel incinérateur sur sa commune, le CET de Montreuil-surBarse devra fermer ses portes au plus tard en 2021, et c'est donc dès aujourd’hui que s'envisagent de nouvelles installations. Une possibilité qui n'a pas échappé à Veolia, leader sur le marché du déchet, qui a invité une poignée d'élus aubois à une visite promotionnelle de son incinérateur « de pointe » à Châlons-en-Champagne. Une suite de coïncidences troublantes ayant éveillé la suspicion des écologistes locaux, qui, à n'en pas douter, suivront de près ce dossier dans les prochaines années.
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BENJAMIN SOURICE
Ille-et-Vilaine La longue route des déchets En octobre 2010, les Amis de la Terre, le Centre national d'information indépendante sur les déchets (CNIID), ainsi que des associations locales ont dénoncé l'entreprise de retraitement de déchets Séché Environnement dans une affaire de transit de déchets dangereux. Chaque année, ce sont 40 000 tonnes de résidus d'incinération classés « déchets dangereux » de niveau 1 qui traversent en train les 800 kilomètres séparant l'incinérateur de Trédi/Séché (Isère) du site d'enfouissement du groupe, situé à Changé (Mayenne). En cours de route, les déchets transitent par
la plateforme de stockage de containeurs Brangeon Logistique à Rennes. Au-delà des risques posés par le transport de déchets dangereux sur une telle distance, cette affaire pose un problème de légalité qui a attiré l'attention des associations. En effet, les faibles moyens logistiques (deux camions) de la société Brangeon obligent à stocker provisoirement les déchets dangereux sur place ; or cette situation devrait entraîner l'obligation de classement de la plateforme en Installation classée pour l'environnement : ce qui ne sera jamais le cas puisque l'entreprise est située en zone urbaine. Par ail-
leurs, les associations ont mis en lumière le manque d’informations des organismes d’Etat qui ignoraient que des déchets dangereux transitaient dans le département. Une action juridique a un temps été envisagée, mais les associations attendent désormais les conclusions de la préfecture qui devrait opérer une nouvelle inspection de la plateforme en tenant compte des éléments apportés par les associations.
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UNE AMIE DE LA TERRE EN QUÊTE D’UN GROUPE EN ILLE-ET-VILAINE
Contact : amiedelaterre@aol.com
LES GROUPES EN ACTION
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Riche d’une trentaine de groupes locaux en France la fédération des Amis de la Terre a été très active ces derniers mois, comme le montrent ces actions en photos.
Mobilisation contre l'agrobusiness Du 11 au 17 octobre 2010, une semaine d'action contre Monsanto et l'agrobusiness a été organisée dans toute la France à l'appel de la Via Campesina et d'un collectif d'associations et de syndicats (Amis de la Terre, la Conf', Attac, Faucheurs volontaires...). Une douzaine d'actions locales ont été organisées sur des sites stratégiques ou des communes résistantes aux OGM. A Paris, les manifestants ont dénoncé la collusion entre les grandes entreprises de l'agrobusiness et certains organismes scientifiques « indépendants », abritant les lobbies. Une centaine de personnes a répondu à l'appel pour cette manifestation défilant au rythme d'une fanfare et accompagné de savants fous et d’épis transgéniques géants.
Le jour de la nuit Samedi 30 Octobre 2010, à l'occasion du « jour de la nuit », des associations ont incité des villes à éteindre l'éclairage public, notamment pour redécouvrir le ciel étoilé en zone urbaine. Les Amis de la Terre Savoie ont décidé de parler du gaspillage énergétique que représente l'éclairage publicitaire et public mal géré. Le groupe savoyard a envoyé un communiqué de presse et une série de courriers pour inciter les entreprises, commerçants et mairies à s’interroger sur les moyens d'éviter ce gaspillage énergétique, sans oublier de glisser que des solutions existent déjà. Cette démarche de sensibilisation s'est conclue par une action d'extinction des néons à Aix-les-Bains, un acte revendiqué par un mot d'explication collé sur la vitrine.
Alternatives aux pesticides : des élus désobéissants Le 8 decembre 2010 à l'occasion de l'assemblée générale de l'Association pour la promotion des préparations naturelles peu préoccupantes (ASPRO PNPP), une action de désobéissance civile a été organisée avec des élus de la région Ile-de-France et de la mairie de Montreuil (Seine-St-Denis). Il s'agissait de remettre à ces représentants des préparations de purins d'ortie et d'huile de Neem. Ces deux produits emblématique des PNPP sont aujourd'hui interdit de commercialisation et d'utilisation d'après la loi actuelle, objet de toutes les critiques. Les élus ont ensuite réalisé une pulvérisation à l'extérieur de la mairie, et Jean Francois Lyphout (Amis de la Terre) a traité une plante d'intérieur à l'huile de Neem pour démontrer l’innocuité du produit. L'association ASPRO et les Amis de la Terre dénoncent les entraves règlementaires s'opposant à la libre utilisation de ces préparations naturelles, véritables alternatives aux pesticides tant pour les agriculteurs que pour les collectivités locales ou les jardiniers amateurs. Plus d'info www.aspro-pnpp.org
La Haute-Savoie anti-Olympique Le 20 novembre 2010, à l'initiative du Comité antiolympique d'Annecy dont les Amis de la Terre HauteSavoie sont membres fondateurs, a eu lieu une manifestation qui a réuni près de 700 personnes. Conscients de la démesure de ce genre d'événements aux impacts incalculables, tant d'un de point de vue environnemental que financier, les participants à cette marche ont affirmé haut et fort leur point de vue en la matière. Soutenue par de très nombreuses organisations cette manifestation légitime les propos du CAO qui étudie et suit ce dossier « Annecy 2018 » depuis bientôt 2 ans. Et, plus la date du choix définitif de la ville organisatrice approche (Munich en Allemagne et Peyongchang en Corée sont également dans la course), plus les soutiens au CAO se multiplient... A n'en pas douter, la prochaine fois, ils seront encore plus nombreux à défiler pour dénoncer un projet rétrograde, qui ne répond en rien aux enjeux actuels et futurs, tellement « l'esprit olympique » s'est laissé corrompre par le libéralisme le plus sauvage. Pour plus d'informations et pour signer la pétition « NON aux JO d'Annecy 2018 » rendez-vous sur le site du CAO : http://www.comiteantiolympiqueannecy.com/logo/ Votre groupe a récemment organisé une action et vous souhaitez en parler dans La Baleine ? Contactez Benjamin Sourice, chargé de l’animation du réseau : benjamin.sourice@amisdelaterre.org
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JURIDIQUE
Juridique PEFC : le label qui n’en est pas un Les Amis de la Terre ont lancé une procédure légale contre le label Programme de reconnaissance des certifications forestières en tant qu’« appellation environnementale trompeuse ». Vous l'avez sûrement vu au bas d'une page de magazine, y compris le plus militant, ou sur un meuble en bois de grande distribution : censé garantir une gestion durable des forêts, le label Programme de reconnaissance des certifications forestières (PEFC) a envahi notre quotidien. Et pour cause, la plupart des forêts françaises exploitées sont certifiées par ce label. Depuis 2004, cette certification est devenue mondiale, et des études de cas avérés tendent à prouver que le label PEFC cautionnerait des entreprises provoquant la destruction de forêts primaires, notamment en Tasmanie, où des bombes au napalm semblent utilisées. Suite à une enquête de Télémillevaches (Limousin) auquel ont participé les Amis de la Terre, il a été clairement démontré que cette certification n'imposait aucune contrainte aux exploitants forestiers et aux gestionnaires. Sur le terrain, le constat est accablant : les pires pratiques, comme les coupes rases sur de
grandes surfaces ou la conversion de forêts naturelles en monocultures de pins Douglas, peuvent être écocertifiées.
Une absence totale d'audit Depuis des années, les Amis de la Terre dénoncent publiquement les insuffisances de ce label, pourtant reconnu par le Grenelle de l'environnement, et ont décidé de changer de stratégie. L'association a décidé de saisir la Direction générale de la répression des fraudes en portant plainte contre PEFC pour appellation environnementale trompeuse. Les arguments sont nombreux : cahiers des charges minimalistes (qui ne reprennent parfois qu'a minima les lois existantes), certification par défaut des propriétaires adhérents à une coopérative en cas d'absence de réponse à un courrier... Le plus aberrant pour un organe de certification étant l'absence totale d'audit avant de décerner le droit de pouvoir utiliser la certification.
En pratique, il suffit d'envoyer un chèque et de signer en bas d'une page pour être certifié. Ensuite, l’adhérent dispose de cinq ans pour envoyer un hypothétique document de gestion : cela laisse largement le temps aux plus mal attentionnés de détruire la forêt et de vendre le bois « certifié ». Les Amis de la Terre France contestent donc à PEFC le droit de pouvoir utiliser des expressions comme « ce produit participe à la bonne gestion des forêts » ou « garantie issue d'un gestion forestière durable » puisqu'aucun contrôle ne permet de le vérifier de façon systématique. Cette plainte s'inscrit dans le contexte de révision de la charte française de PEFC, car le projet présenté à l'heure actuelle ne changerait rien au fonctionnement du label. Pour les Amis de la Terre, PEFC se rapproche donc davantage d'une charte volontaire que d'une certification censée garantir l'application strictes de critères de qualité au consommateur.
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SYLVAIN ANGERAND
Climat Un french Cancon timide, mais gaillard A l'occasion du sommet de Nations unies sur le climat à Cancun (Mexique), des organisations françaises ont organisé un contre-sommet à Cancon (Lot-et-Garonne) pour réclamer des alternatives crédibles pour stopper la crise climatique.
Environ un millier de personnes ont participé samedi 4 décembre 2010 à Cancon (Lot-et- Garonne) à l'événement, organisé au niveau régional par Bizi !, la Confédération Paysanne, ATTAC et les Amis de la Terre France, comme réponse nationale au sommet sur le climat de Cancun (Mexique). Divers ateliers se sont
tenus sur l'agriculture, l'énergie, les transports, ou bien la relocalisation des activités humaines. Puis, le moment fort de la soirée fut le duplex depuis Cancun avec Geneviève Azam (ATTAC) et Josie Riffaud (Conf', Via Campesina). A cette occasion, les représentantes associatives ont rapporté une série de nouvelles inquiétantes : une place prépondérante serait donnée au secteur privé pour financer « les politiques d'adaptation et d'atténuation » sous la coupe de la Banque mondiale. Cerise sur le gâteau, l'Union européenne annonce une diminution de 17 % de ses émissions en prétextant de la crise économique, tout en restant sur sa position de réduction globale de 20 % pour 2020 ! La participation des Amis de la Terre à l’événement s’est concrétisée par la tenue d’un stand d’information, la participation à l'atelier sur l'agriculture, ainsi que par l'intervention de Sylvain Angerand à la table ronde finale pour partager aux cotés des organisateurs son
constat sur les effets dévastateurs des crédits carbone. Des liens se sont renforcés entre les associations impliquées dans les luttes régionales comme la mobilisation contre l'autoroute A65 (Bordeaux-Langon-Pau), mais aussi contre le projet d'Arkema (nanotubes de carbone), l'entreprise espagnole Abengoa (n° 2 mondial de la production d'éthanol) et enfin contre le prototype de système d'enfouissement du CO2 de Total à Lacq, dans les PyrénéesAtlantiques. Les Amis de la Terre persistent à penser que ce genre de rassemblement est absolument nécessaire, mais posent plus précisément la construction d'une mobilisation permanente sur le climat – pas seulement à l'occasion des réunions internationales. La construction de cette mobilisation élargie et permanente sera l'un des objectifs prioritaires des Amis de la Terre France pour 2011 et pour la suite.
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ALAIN DORDÉ
Secrétaire fédéral • Les Amis de la Terre France
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DOSSIER
Le travail, au cœur des sociétés soutenables Il ne suffit pas, pour répondre à la crise écologique, de « verdir l’économie », car le travail n’est pas « l’emploi », mais l’œuvre d’êtres humains qui, maniant des outils dont ils restent maîtres, composent avec leurs propres limites, celles d’autrui et celles de la planète. Il faut donc avant tout libérer le travail. En ouvrant des territoires, comme le font des collectivités drômoises. En redonnant du pouvoir aux travailleurs, comme le font les artisans, les associations ou les sociétés ouvrières comme celle des lamaneurs de Marseille. En redonnant du temps et en luttant contre le travail machinique dont ont été victimes des salariés de France Télécom. Et par-dessus tout, en luttant contre l’industrialisation totale de nos vies, qui tue le travail, c’est-à-dire l’humain.
Eloge de la caissière Qui n’a pas ressenti une gêne – et parfois de secrets émois – pour trouver les quelques mots à adresser à la personne chargée d’encaisser au supermarché ? Dans son livre Pour sauver la planète, sortez du capitalisme, Hervé Kempf écrit : « On tend à remplacer les caissiers et les caissières par des machines : le consommateur lui-même fera le travail d'enregistrement – sous l'œil suspicieux des vigiles. Ainsi sera supprimé l'ultime vestige du caractère essentiel de l'échange mercantile – deux personnes qui se parlent – pour ne plus laisser visible que le seul enjeu : la création de profit par des individus réduits à leurs besoins. » Peut-être ne devrions-nous pas regretter la disparition programmée des caissiers (qui sont d'ailleurs presque toujours des caissières) ni celle du poinçonneur des Lilas. Et sans doute relativiserons-nous l’optimisme de Kempf… mais nous partageons le fond de son argument. Car au Monoprix du quartier des Rigollots, à Fontenay-sous-Bois, des jeunes gens, étudiants pour la plupart, tiennent depuis quelque temps les caisses et là, les caissières sont aussi (et tout autant) des caissiers. Ils font cela, comme – dans des conditions bien plus dures – leurs ancêtres travaillaient comme forts des Halles pour payer leurs études. Depuis
l'embauche de ces jeunes gens, l'ambiance, au supermarché, a un peu changé. Sans doute que ces caissiers-là imaginent (à tort ou à raison) qu'ils ne passeront pas leur vie à ce poste. Leur rapport au travail contraint n'est pas le même, et cela se ressent dans leurs relations aux clients, et sans doute à leur hiérarchie. Quant aux vétérans du métier, allons au-delà de nos propres clichés, et demandons-leur comment ils le vivent… Pour les Amis de la Terre, il faudrait bien sûr qu'il n'y ait plus de supermarchés, donc moins de caissiers. Que l’on relocalise les activités, que l’on en revienne aux commerces de proximité, que les quelques « moyennes surfaces » survivantes soient des épiceries à taille humaine, que l’on partage le travail et les ressources. Mais en attendant, alors que le machinisme impersonnel se généralise dans l’espace public, la machine à faire manger les ouvriers sans qu'ils quittent la chaîne mise en scène par Charlie Chaplin dans Les temps modernes relève encore de la fiction. Nos lecteurs voudront bien nous passer le luxe de faire l’éloge du travail et de son reste d’humanité – donc celui de la caissière, digne, aimable ou mal aimable… mais pas encore changée en robot.
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ALAIN DORDÉ ET LAURENT HUTINET
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DOSSIER I
Le travail, au cœur des sociétés soutenables
Sociétés soutenables A la reconquête du travail vivant Plusieurs théoriciens de l’écologie politique ont montré qu’il ne suffisait pas de verdir l’économie pour traiter les questions de l’emploi et affronter la crise écologique : car désindustrialiser le monde oblige à repenser le travail pour le rendre au désir. Comme les militants du monde entier en font l’expérience, personne, ou presque, n’échappe au travail. Si les pensées judéo-chrétiennes, libérales, socialistes, marxistes, anarchistes, se sont penchées sur la question, il est plus rare que l’on sache que les plus sérieux théoriciens de la jeune écologie politique y ont consacré de longues années. La question peut sembler à la mode : il ne se passe plus un mois sans que les médias ne se fassent l’écho du « potentiel d’emplois » représenté par les activités « vertes » ; et de fait, répondre à la crise écologique obligera à reconvertir des secteurs entiers de l’industrie, de l’administration publique et privée, de l’agriculture. Mais la question du travail ne se résume pas à celle de la nature de la production. A l’image du célèbre slogan publicitaire du candidat Nicolas Sarkozy : « Travailler plus pour gagner plus », le travail est une des valeurs focales de la société industrielle. André Gorz, dans son ouvrage Métamorphoses du travail rappelait pourtant que « le travail à but économique (…) n’est dominant à l’échelle de toute la société que depuis l’avènement du capitalisme industriel. Avant cela, dans les sociétés prémodernes, au Moyen-Age et dans l’Antiquité, de même que dans les sociétés précapitalistes, on travaillait moins, beaucoup moins que de nos jours. A tel point que les premiers industriels (…) avaient les plus grandes difficultés à contraindre leur main-d'œuvre à venir travailler toute la journée ». L’idéologie dominante contemporaine réduit le travail à l’emploi rémunéré et passe sous silence toutes ses autres formes, qui sont pourtant les conditions de la survie du système industriel : travail domestique, éducation des enfants, temps passé dans les transports… théorisés par Ivan Illich comme « travail fantôme ».
Opération machinique ou travail ? S’inspirant de Christophe Dejours, Philippe Mulhstein, cheminot et syndicaliste (SUD-Rail) explique que « le travailleur s’implique subjectivement dans le rapport à sa tâche et affronte les difficultés liées au décalage entre les procédures formelles (le travail prescrit) et l’activité qu’il doit effectivement déployer pour atteindre les objectifs de production (le travail réel). Il acquiert ainsi une expérience du réel, qui se fait toujours connaître du sujet par sa résistance, et qui est très souvent une expérience de l’échec, de l’impuissance, du doute. Le travail vivant est l’invention du travailleur :
ce sont les ruses, les astuces, la triche par lesquelles il parvient à affronter ce réel pour accomplir sa tâche ». De sorte que l’archétype du travailleur est l’artiste, qui, face à un Réel qui le déborde – imaginons Vincent Van Gogh aux prises avec son champ de blé – ne peut que produire une œuvre dont il n’a aucune idée lorsqu’il commence son travail. Or, le « nouveau management » ne laisse aucune place à l’inventivité et à l’investissement subjectif. Si le travail est à l’œuvre chez l’artiste, l’artisan, l’ouvrier… il a disparu chez l’opérateur appliquant un process dont les tâches sont programmées d’avance, détruisant tout amour du métier. Passé un certain point, la hausse de la productivité détruit le travail vivant. Ainsi Ivan Illich, dans La convivialité, considérait « l’échec de l’entreprise moderne, à savoir la substitution de la machine à l’homme. » Redonnant son prestige au travail de l’homme, il promouvait l’outil juste et convivial, « porteur d’efficacité sans dégrader l’autonomie personnelle (…), avec lequel travailler, et non un outillage qui travaille à sa place ». Il appelait convivialité « l’inverse de la productivité industrielle. »
Contre la destruction du travail Partageant l’essentiel de ces analyses, les Amis de la Terre militent contre la destruction du travail et pour des sociétés moins productives. La prétendue hausse de la productivité s’appuie essentiellement sur le remplacement de la force humaine et animale par les énergies fossiles et nucléaires. La débauche d’énergie et de matières mise en branle par les productions et les consommations détruit désormais – ce qui n’est plus scientifiquement contesté – les écosystèmes sur lesquels se fondent les sociétés humaines : la prise en compte des contraintes écologiques redonne donc d’emblée une très large place au travail humain en faisant reculer une productivité qui n’est qu’apparente et dont les dégâts humains et écologiques sont connus de tous. Mais il est au moins aussi important de défendre le travail vivant et autonome pour permettre à chacun de choisir, d’inventer son travail – ce qui exige du temps. Renforcer la position des citoyens face au travail forcé justifié par le pouvoir suppose trois grandes conditions. Tout d’abord, décrocher une part importante
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France Télécom Mortifères pertes de sens Depuis 2008, France Télécom connaît des vagues de suicides incessantes. Après la privatisation et une série de plans de restructuration, le personnel a été considéré comme une simple ressource et le sens du travail et la reconnaissance ont été perdus en chemin. Face à des suicides récurrents depuis 2008 et à une crise sociale sans précédent en France, « un nouveau contrat social » : voilà ce qu’a promis la direction de France Télécom dans un document remis fin septembre 2010 aux syndicats et aux salariés. Il est trop tôt pour juger de l’efficacité de ses mesures, censées, pour un coût de 900 millions d’euros, « remettre l’humain au centre de l’entreprise ». Mais les propos du Directeur général Stéphane Richard, s’exprimant dans Le Figaro daté du 16 septembre 2010, font déjà douter : « Nous sommes face à des drames de la vie, sans liens entre eux, et qui sont a priori sans lien avec l'entreprise. » France Télécom ne souhaite donc pas comprendre que ses méthodes management et d’organisation peuvent affecter intimement les individus, les démoraliser… Pourtant, travailler, « ce n’est pas seulement produire, mais se travailler soi-même », rappelle la psychologue Marie Pezé, dans son livre Ils ne mouraient pas tous mais tous étaient frappés. « Nous savons par la psychodynamique du travail qu’aucun travail de qualité n’est possible sans engagement de la subjectivité toute entière. »
Rejet du travail bien fait
du revenu de tout contrat, pour augmenter la latitude d’initiative, en s’inspirant des principes du revenu d’existence. Ensuite, valoriser et faire connaître les formes d’organisation alternatives aux sociétés commerciales, qui accordent aux travailleurs (y compris indépendants) un large rôle dans la prise de décision. Enfin, à l’heure où les Etats et les grandes firmes luttent pour s’accaparer les terres arables et les friches urbaines, libérer le travail suppose d’ouvrir des territoires où les initiatives se déploieront. La question n’est donc pas de créer de l’emploi, mais de libérer le travail : car plus les sujets seront autonomes, plus ils travailleront. Les Amis de la Terre font le pari que les travailleurs sauront s’orienter selon leur désir (et non leurs besoins) pour créer leurs métiers et s’organiser en tenant compte de l’utilité sociale et écologique, soucieux de l’équilibre entre les activités humaines et la nécessaire restauration des écosystèmes. Existe-t-il vraiment d’autres paris face aux impasses hyperinégalitaires de la croissance – fut-elle « verte » – et à la perspective de dictatures écologistes ?
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LAURENT HUTINET
La qualité, justement, était chère aux salariés de France Télécom lorsque l’entreprise assumait avant tout une mission de service public, aujourd’hui reléguée au second plan. « Dégradation du sens du travail bien fait », « défaillance des mécanismes de la reconnaissance au travail », « précarisation du rapport au travail », « pression temporelle », tels sont les maux relevés par le cabinet d’expertise Technologia dans son rapport de mai 2010 sur la souffrance au travail dans le groupe. Alors que le plan Next a poussé vers la sortie 22 000 salariés sur plus de 120 000 entre 2004 et 2007, France Télécom vit donc toujours sous le joug de l’impératif de résultats parfois inatteignables. Mais le lien fort entre les fonctionnaires et leur « maison » ne s’est pas évaporé, que cela arrange ou non les nouveaux faiseurs de la politique de Ressources humaines. « Le management à France Télécom est particulier puisqu’il mélange le management « moderne » du privé avec le principe d’obéissance auquel sont soumis les fonctionnaires. Ce principe est culturellement fort au sein de l’entreprise », relève Ivan du Roy, auteur d’Orange stressé, le management par le stress à France Télécom, au cours d’un débat sur lemonde.fr.
Les anciens, premiers frappés Ainsi, analyse l’auteur, si la perte de sens du travail est vécue douloureusement par tous, elle affecte plus particulièrement les fonctionnaires, parce qu’« ils ont en majorité plus de vingt ans d’ancienneté, donc un grand attachement et un grand investissement dans l’entreprise, qu’ils ont contribué à construire. Toutes les atteintes actuelles – les humiliations, les non-reconnaissances du travail ou le sentiment d’inutilité qui peut apparaître chez beaucoup de salariés – sont plus mal ressenties par des gens qui y travaillent depuis vingt ans que par des gens plus jeunes qui viennent d’entrer dans l’entreprise ». Depuis 1996, quand France Télécom est devenue une société anonyme, tout a contribué à la perte de repères. Les mobilités géographiques forcées sont devenues courantes. Des employés, à qui on a attribué de nouveaux métiers du jour au lendemain et sans accompagnement, se sont trouvés en position d’échec. Une telle organisation du travail, accompagnée d’un management formaté fuyant le dialogue, a fait des employés des pions et les isole. Cette solitude orchestrée est d’ailleurs un autre rouage crucial du mécanisme infernal qui pousse les « victimes » dans l’impasse de leur situation personnelle, au lieu de leur permettre de penser le problème hors d’eux, et éventuellement de se rebeller.
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CAROLINE HOCQUARD
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DOSSIER I
Le travail, au cœur des sociétés soutenables
Nouvelles activités Des emplois verts… mais pas trop Face à la crise économique et la percée des écolos, le Gouvernement dégaine l’arme des emplois verts. Mais en fait, c’est quoi un emploi vert ?
« Faire cracher de l’emploi au Grenelle de l’environnement ». Voilà comment Laurent Wauquiez, alors secrétaire d’Etat chargé de l’Emploi, résumait il y a peu les espoirs d’un Gouvernement qui a fait des emplois « verts » l’alpha et l’omega du retour au plein emploi. Les estimations pleuvent. 600 000 emplois selon le Boston Consulting Group, cabinet international de conseil en stratégie, axés autour de la réduction de 25 % des émissions de gaz à effet de serre de la France d'ici 2020. Jusqu’à un million selon d’autres grenelloenthousiastes. S’ils devraient impliquer un changement de paradigme – Jean-Louis Borloo, encore ministre de l’Environnement préférait plus sobrement parler « non pas d'une révolution, mais d'une métamorphose totale des modes de production et de consommation » (janvier 2010) – ces emplois « verts » sont surtout pris dans un double mouvement destruction-création.
Chiffrages à l’empan enant compte des destructions d’emplois dans les filières polluantes (138 000 postes dans l'énergie et 107 000 postes dans l'automobile), mais aussi des emplois induits par les économies réali-
sées par les ménages dans leur consommation énergétique, le WWF table sur une création de 684 000 postes. Le délégué à l’environnement de la CFDT, Jean-Pierre Bompard, est beaucoup plus réservé : « Le solde net de créations d’emplois pour 2020 serait plus proche des 60 000 que des 600 000 annoncés en fanfare ». Le Conseil d'orientation pour l'emploi (COE) prévient : « Le développement durable ne saurait tenir lieu de stratégie unique pour atteindre le plein emploi » et mise plutôt sur le verdissement des formations des jeunes dans le bâtiment. Car au fait, c’est quoi, un « emploi vert » ? Des métiers nouveaux ou des jobs ripolinisés au « Dédé » ? Un indice : le ministère de l’Ecologie a identifié 11 secteurs intéressés par la croissance verte et estime qu’un actif sur deux serait concerné en France. Transport, bâtiment, eau, assainissement, énergies renouvelables, agriculture… autant de secteurs dont les métiers ne vont sûrement pas être révolutionnés. Tout au plus peut-on s’attendre à une mutation des fiches de poste. « Un conducteur de ligne en chimie, par exemple, doit désormais savoir gérer les déchets que son travail génère... » illustre Gérard Pignault, le directeur de l’Ecole supérieure de chimie physique électronique de Lyon. Hier, on devait parler anglais. Demain, à un entretien d’embauche, on vous demandera « parlezvous « DD ? » ». Le COE prévient que « l’employabilité », elle, ne sera pas durable ! « Certains emplois liés aux investissements de la croissance verte ne seront pas pérennes ». CDD, temps partiel, bas salaires sont donc encore et toujours au menu. Enfin, les emplois directement liés aux énergies renouvelables sont tributaires de leurs fournisseurs. Or éoliennes et installations photovoltaïques sont essentiellement produites en Chine.
Le potentiel de la bio Où sont-ils, alors, les « vrais » emplois « verts » ? Dans les champs, peut-être. Un paradoxe car, chaque année, ce sont environ 10 000 fermes qui disparaissent en France, pour des raisons économiques ou suite à un départ en retraite. Les agriculteurs en exercice, influents dans les Sociétés d’aménagement foncier et d’établissement rural (Safer), sont prioritaires dans l’affectation des terres. Résultat, l’heure est plus à l’embonpoint des parcelles qu’au partage. Selon le groupe de la Bussière, groupe de travail impliquant des chercheurs, des professionnels agricoles et représentants d’associations, 500 000 exploitations et un million d’emplois pourraient pourtant être crées d’ici 2025 dans l’agriculture, à condition que celle-ci soit biologique. Conditions d’une telle révolution : établir des politiques protectionnistes, renforcer l’élevage et les surfaces en herbe pour assurer l’autonomie protéique, relocaliser les productions agricoles et la transformation, abandonner les pesticides, allouer des aides en fonction de critères à « haute performance environnementale ». Le tout appuyé sur un budget de 15 milliards d’euros. Le problème majeur de l’accès au foncier ne doit pas occulter d’autres considérations. « Il faut aussi que le métier d’agriculteur soit attrayant et gratifiant, que les gens soient formés », insiste Jean-Luc Favreau, ancien agriculteur en bio et chercheur. On voit pas mal de jeunes s'installer et galérer pendant longtemps, voire abandonner au bout de quelques années. » Y a-t-il seulement un million de personnes prêtes à troquer le stylo pour le tracteur ? Les causes de l’exode rural ont été analysées : la pénibilité du travail et la difficulté de prendre du repos et des vacances restent des freins. « Le métier d'agriculteur est un mode de vie », rappelle Jean-Luc Favreau. « Et ses avantages sont aussi des inconvénients », prévient-il, citant l'autonomie, l'implication et l'engagement en temps de travail, les risques financiers. Mais le développement de l’agriculture paysanne entraînerait aussi un cortège d’activités locales induites, non délocalisables. L’autonomie alimentaire et un passage radical à la « bio » : des ambitions bien éloignées du Grenelle de l’environnement, avec ses 10 000 emplois « verts » dans l’agriculture et ses 6 % de surface cultivée en bio en 2012. Pour paraphraser les Shaddocks, « à force de verdir tout, il finit toujours par en sortir quelque chose. Et réciproquement. »
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JEANNE MAHÉ
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Travail coopératif Les lamaneurs mènent bien leur barque Depuis l’après-guerre, la société coopérative ouvrière de production des lamaneurs (SCOP) de Marseille et du golfe de Fos offre d’honnêtes conditions de vie et de retraite à ses 80 patrons. Port de Bouc, quai de la jetée, à quelques encablures du fort Vauban. Les canotes sont à quai, dormantes jusqu’à la prochaine intervention. Marc Ambélas, silhouette imposante et crâne rasé, partira à la retraite dans quelques mois, à 55 ans. Le métier est dur : « Nous sommes disponibles 365 jours sur 365, 24 heures sur 24, mais être son propre patron, c’est une vraie prise de conscience ». Avant de rejoindre la SCOP, Marc était employé dans une entreprise maritime familiale. « J’étais salarié de la société privée POLI, rachetée en 1982 par la coopérative ouvrière. Nous avons été fusionnés, mais sans aucun licenciement ! On aurait pu rester de simples employés mais nous avons été totalement intégrés, y compris dans les prises de décisions. J’ai rapidement pu me présenter au conseil d’administration ». Comme toute entreprise, la SCOP possède un conseil d'administration, composé de douze membres – mais ils sont élus au suffrage universel direct. Chaque coopérateur est patron, inscrit maritime et possède une part de l'entreprise. Une part qui se transmet le plus souvent de père en fils ou en beau-fils. « Mon fils a passé son diplôme et prend la relève », se réjouit d’ailleurs le futur retraité.
« Loman » en vieux français, l’homme des fonds Lamaneur, un métier qui demande d'être présent corps et âme, « une passion » selon Dominique Martin, un Ardéchois que l'amour a mené vers ces rivages méditerranéens. Amarrer, déhaler, lar-
guer les amarres de Entre deux manœuvres, les sourires de Dominique Martin, navires longs de 80 à Jean Poli et Brice Marchand. 370 mètres : aucune place n'est laissée à l'amateurisme. Un stage de 42 mois forme tout nouvel arrivant, « et même si l'on est fils de lamaneur on apprend de l'expérience des anciens » explique Jean Poli, descendant d'une lignée familiale « qui n'a connu que ça ». Diplômés du Capitaine 200, du brevet pour conduire les vedettes à moteur de plus de 150 chevaux et du CRO (certificat de radiotéléphoniste restreint pour Les bordées alternent utiliser la VHF, le moyen de communicad’une semaine sur l’autre tion international) les lamaneurs sont Le téléphone sonne et un navire appelle aussi très investis dans la lutte contre la la demi-bordée du dimanche pour un larpollution. « Elle est omniprésente, quand gage. La canote fend les flots et un bras de branchement est trop vieux, le gaillard aux yeux clairs poursuit : à cause des intempéries ou de fausses« Chaque poste est équipé d'un contaimanip… Avant, on ne faisait tout simpleneur comme celui-ci, avec du matériel ment rien, tout était rejeté à la mer. pour un barrage antipollution. On est Heureusement, ça a bien changé depuis » tous formé, et depuis 1997 on exporte résume Jean, dont le père œuvre depuis notre savoir-faire pour uniformiser les plus de dix ans pour un système fiable méthodes d'action auprès des groupede lutte antipollution. Une lutte d’une ments de lamaneurs français ». Un esprit redoutable efficacité comme l’a démonde groupe, une vision de demain « parce tré le naufrage du Lyria en 1991 lorsque qu'on travaille pour nous et pour ceux qui 2 200 tonnes de pétrole s'étaient déverarrivent derrière » rappelle Marc Ambélas. sées au large de la Provence : la polluEt sait-on jamais, peut-être qu’un jour la tion avait alors été confinée sans domporte s’ouvrira aussi aux femmes… mages pour l’environnement avec la participation des lamaneurs. > EMY DE WELLE
Structures alternatives Quand le « tiers secteur » s’ajoute à l’emploi Bien que peu reconnu, le travail du tiers secteur (ni public, ni privé) est déjà abondant et s’appuie sur des structures spécifiques ou originales. Celles de l’économie sociale et solidaire se distinguent par la répartition du pouvoir, les formes juridiques, les modèles de rémunération. Le modèle le plus connu est l’association : ne recherchant pas le profit, elle est financée par les dons et les subventions et recourt au travail des salariés et des bénévoles. La coopérative, elle, associe aux décisions associés, employés et clients qui disposent d’un droit de vote identique, et la société coopérative de production
reprend le modèle de l’entreprise commerciale mais assure le contrôle par les travailleurs, en leur garantissant la majorité absolue.
Travail non conventionnel Si le salariat est souvent utilisé, il est aussi enrichi par d’autres apports : les structures d’insertion sociale par le travail dispensent ainsi une formation tout en créant du lien social, et apportent au salarié bien plus qu’une simple rémunération. Le tiers secteur échappe parfois aux règles classiques. C’est le cas du travail au noir et du « système D », mais aussi des activités
basées sur la gratuité, le partage et l’échange, telles que les systèmes d’échange locaux (SEL) qui, en s’affranchissant du système monétaire, valorisent le temps et les savoir-faire. Le woofing ajoute un échange humain à un échange de service puisque le travailleur est hébergé en contrepartie du travail effectué sur une ferme biologique. Enfin le bénévolat, massif en France, démontre que l’intérêt porté à une cause, à un loisir ou à travail non rémunéré motivent déjà d’innombrables personnes qui n’entrent pas dans les statistiques du PIB.
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PHILIPPE COLLET
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DOSSIER I
Le travail, au cœur des sociétés soutenables
Vallée de la Drôme Un territoire engagé pour l’économie soutenable A l’issue d’une vaste concertation, un tiers du département de la Drôme a décidé de s’investir dans Biovallée, un projet de territoire donnant la priorité à l’agriculture biologique et aux activités soutenables. Aidés financièrement par la région RhôneAlpes et le département de la Drôme, les décideurs locaux se sont activement concertés pour un programme d'action global : développement de modes de transport propres, rénovation écologique du bâti ancien et applications des normes thermiques les plus ambitieuses pour le neuf, construction de 15 écoquartiers, mise en place de formations techniques et universitaires spécialisées… et alors que 20 % des exploitations de la vallée sont déjà en bio, le projet entend porter cette part à 50 %. En mars 2009, quatre communautés de communes de la Drôme, représentant 102 municipalités et 52 000 habitants depuis le pays de Die jusqu'au Rhône (soit un tiers du département) se sont associées pour lancer le grand projet Biovallée. Celui-ci veut faire de la vallée de la Drôme un « Fribourg rural » d'ici à 2015, un écoterritoire exemplaire à l'échelle européenne en même temps qu'un laboratoire du développement soutenable.
Structuration des filières Deux objectifs témoignent à eux seuls de l'ambition du projet : diviser par quatre la consommation énergétique par habitant (hors transports) d'ici à 2020, et la couvrir à 100 % par les énergies renouvelables locales grâce au fort potentiel éolien et solaire du territoire. Mais il s'agit aussi de donner au territoire les moyens de vivre d'une façon plus respectueuse de la biosphère sans oublier
les contraintes socio-économiques, qui constituent souvent un point d'achoppement dans la transition vers des économies soutenables. Le projet Biovallée ambitionne ainsi d'aider à la structuration de trois filières en plein essor dans la vallée de la Drôme, et appelées à un avenir radieux : la valorisation des « bio-ressources » (agriculture biologique et transformation des plantes aromatiques et médicinales en tête) les énergies renouvelables, et l'écoconstruction à partir de matériaux transformés ou fabriqués sur place.
Faire adhérer la population L'objectif est chiffré et volontariste : la première étape consiste à créer de 1 000 à 2 000 emplois dans ces filières d'ici à 2015. Autant d'emplois non délocalisables et soutenables qui permettront aux habitants de la vallée de travailler à la fois près de chez eux, et pour le développement et l'aménagement de leur territoire. Une dynamique positive qui devrait aussi permettre aux décideurs locaux de remporter l'adhésion de la population à Biovallée. Nul ne sait encore si tous les objectifs du projet seront remplis, et le calendrier tenu. Mais dans une France ultracentralisée, en retard dans bien des domaines en matière d'écologie, Biovallée aura au moins le mérite de prouver que les territoires peuvent, eux aussi, expérimenter des solutions aussi innovantes que soutenables en matière d'emploi. Un vrai pied-de-nez à la crise économique actuelle, symptôme d'un modèle productiviste et ultramondialisé voué à décliner...
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GWENAEL WASSE
Bibliographie
Les Amis de la Terre, L’écologie contre le chômage, Cahiers libres 389, La Découverte, 1983. Confédération paysanne, Maintien de l'emploi agricole, Actes du Colloque de St-Lo (Basse-Normandie), 20-21 octobre 2006. Christophe Dejours, Travail vivant, Tomes 1 et 2 (Sexualité et travail, Travail et émancipation), Payot, 2009. Ivan du Roy, Orange stressé, le management par le stress à France Telecom, La Découverte, 2010. Entropia, n° 2, Décroissance et travail, Parangon, 2007. Philippe Godard, Contre le Travail, Hommisphères, 2005. André Gorz, Métamorphoses du travail, Galillée, 1988. Ivan Illich, La convivialité, Le Seuil, 1973 ; Le travail fantôme, Le Seuil, 1981. Bernard Nicolas, France Télécom, malade à en mourir (film, 2010). Frédéric Lordon, Capitalisme, désir et servitude, La Fabrique, 2010. Le Nouvel Ane, n°10, Evaluer tue, février 2010. Observatoire du stress et des mobilités forcées à France Télécom : www.observatoiredustressft.org
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La décroissance en question
Entretien avec Fabrice Flipo, co-auteur.
Face au culte fétichiste de la croissance et des bienfaits du progrès technoscientiste, le mouvement décroissant tente depuis une dizaine d’années de décoloniser les imaginaires. Pour répondre aux critiques et aux préjugés, Denis Bayon, diplômé en Economie, Fabrice Flipo, maître de conférences en Philosophie des sciences et techniques et François Schneider, chercheur en environnement, ont publié en juin 2010 La décroissance : dix questions pour comprendre et en débattre, à La Découverte. La Baleine : Alors que les ouvrages sur la décroissance se multiplient, qu’est-ce qui vous a amené à en publier un à votre tour ? Fabrice Flipo : « Notre motivation était de clarifier un peu les enjeux de la décroissance, tels qu’ils se présentent pour ceux qui s’en réclament ou s’y intéressent de près. Cela apparaissait nécessaire tant le sujet est à la fois complexe, d’une importance cruciale, et pourtant très mal desservi par certains critiques, qui semblent se contenter de caricatures. Ce qu’on apporte, je l’espère, c’est un ouvrage clair, concis, qui introduit bien à l’énorme masse de littérature produite sur le sujet. ». LB : Pourriez-vous définir la décroissance en quelques mots ? FF : « L’un des intérêts de la décroissance est sa polysémie... mais s’il ne fallait que quelques mots « décroissance » signe la position de celles et ceux qui pensent qu’une hausse du produit intérieur brut (PIB) ne peut en rien aller dans le sens d’un progrès pour les plus démunis. ».
LB : De plus en plus d’ouvrages fleurissent proposant des politiques de transition et de reconversion écologique de l’économie basées sur l’idée de décroissance (Jean Gadrey, Tim Jackson, Lester Brown, etc.). Pour autant, le mouvement décroissant reste embryonnaire. Comment expliquer ce décalage ? FF : « Le mouvement décroissant est hétérogène, mais en même temps il s’inscrit dans des continuités et favorise certains dialogues. Ce mouvement ne part pas de rien. Les ouvrages que vous mentionnez sont tous des ouvrages d’économistes, or la décroissance est surtout une critique de l’économisme. Tim Jackson par exemple fait un bon diagnostic mais il n’aperçoit pas ce qu’implique une remise en cause du « développement » tel qu’on l’a conçu jusqu’ici. Pourtant, l’économie elle-même est une science de la croissance. Cela seul devrait indiquer la nature du défi : les économistes ne pourront pas y répondre seuls. »
> PROPOS RECUEILLIS PAR MATHIAS CHAPLAIN
Publication Projet Mopani (Zambie) : l’Europe au coeur d’un scandale minier Après deux enquêtes approfondies sur le terrain, les Amis de la Terre publient un rapport de mission sur la mine de cuivre de Mopani, en Zambie. En 2005, le projet a obtenu un prêt de 48 millions d’euros de la Banque européenne d’investissement (BEI), qui devait permettre de réduire la pollution autour du site minier. Mais sur le terrain, la réalité est moins rose. Des problèmes de corruption à l’évasion fiscale, en passant par les dégradations des conditions de travail et les expulsions forcées des agriculteurs locaux, le travail d’investigation des Amis de la Terre démontre que la mine de Mopani n’a en rien contribué à réduire la pauvreté des Zambiens. Pire, les dégradations environnementales se sont intensifiées. L’air, l’eau et les terres autour du projets sont gravement polluées par l’acide sulfurique utilisé pour l’extraction du cuivre. Les bénéficiaires réels du projet ? Glencore, un géant minier très controversé, et les pays industrialisés vers lesquels le cuivre est exporté. A travers le cas de Mopani, le rapport des Amis de la Terre met en lumière un système d’exploitation des ressources naturelles au profit des pays les plus riches et de leurs multinationales, soutenu par des institutions publiques telles que la BEI, pourtant censées financer le développement en Afrique. Depuis 2007, les Amis de la Terre demandent à la BEI d’arrêter de financer des projets miniers en Afrique, tant qu’elle n’est pas capable de contrôler leurs impacts et de prouver leurs effets positifs pour les populations locales. Grâce à cette campagne, la Banque a drastiquement ralenti ses financements dans ce domaine.
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ANNE SOPHIE SIMPERE
Chargée de campagne • Finance publique
Le Courrier de la Baleine
Depuis 1971
Le journal des Amis de la Terre
Pratiques Des fêtes de fin d’année dans la sobriété De plus en plus marquée par la frénésie consommatrice et la gloutonnerie hard discount, les fêtes de fin d’année auraient tout à gagner à se recentrer sur la convivialité et l’échange. Quelques pistes pour des fêtes écolos. Tout d’abord, qu’offrir ? Pour les plus téméraires et non conventionnels, il est toujours possible de ne rien offrir puisque, après tout, pourquoi se sentir obligé par les conventions sociales d’offrir un cadeau à chacun des membres de sa famille un jour précis de l’année ? Ceci dit, Noël peut aussi être un moment convivial en famille, et ce soir-là, vous n’avez peut-être pas envie de rentrer dans des discussions à n’en plus finir pour justifier votre geste...
Des cadeaux dématérialisés ou d’occasion ? Alors si l’on joue le jeu, pensons à des idées-cadeaux écolos ! En premier lieu, quoi de plus sobre que de penser à des cadeaux non matériels ? Il est rare que nous ayons encore réellement besoin de choses. Un paillasson ? Une cafetière ? Un rideau de douche ? Non, sincèrement, la plupart d’entre nous a déjà tout ce qu’il lui faut. Alors pourquoi pas ne pas penser à un dessin, un poème, à tout type de création dans lequel on s’épanouisse et susceptible de faire plaisir à l’autre... au moins dans l’intention ! Un petit slam, écrit pour chacun des membres de sa famille et déclamé le soir de Noël égaillera votre soirée ! Vous allez me dire : « Oui, d’accord, mais ça prend du temps ! » Et bien peut-être pas tant que ça, si l’on compare au temps passé dans les magasins, les transports, les interminables tergiversations pour trouver « la bonne idée », sans compter le temps qu’il a été nécessaire pour « produire » l’argent qui vous servira à acheter ces cadeaux tout faits. N’oubliez pas non
plus l’abonnement à un magazine, une adhésion aux Amis de la Terre ou à toute autre association en rapport avec les affinités des personnes, un week-end en yourte à Trouville (SeineMaritime) ou encore un cours de cuisine chinoise ! Mais, si vraiment vous avez « la bonne idéecadeau » utile et qui fera plaisir : pensez aux boutiques d’occasion ! Les brocantes, les boutiques d’antiquités, de livres, de fripes, les Emmaüs ou autres associations spécialisées dans la récup’. Non seulement vous pouvez tout y trouver si vous cherchez bien, mais en plus vous pouvez y dénicher des perles rares ! Petite astuce à ne pas oublier non plus : le papier-cadeau en papier journal ou autres papiers récupérés. En plus d’être écologique et économique, cela donne un coté personnalisé à vos cadeaux pour peu que vous choisissiez des articles de journaux correspondant à l’heureux destinataire du cadeau.
Un repas de Noël écologique : est-ce possible ? Oui, il est tentant de mettre les petits plats dans les grands pour le réveillon en servant foies gras et autres viandes à gogo, fruits rouges surgelés, ananas, oranges et buche au chocolat. Mais pourquoi ne pas justement profiter de
l’occasion pour faire rimer créativité culinaire et écologie ? Vous préfèrerez alors réduire la quantité de viande et cuisiner des légumes locaux et de saison, des fruits secs et noix ou encore préparer un délicieux gâteau pommes-poires caramélisées… De quoi régaler son monde, et s’offrir des produits bio grâce aux économies réalisées sur la viande et la bûche. Les Amis de la Terre vous souhaitent de joyeuses fêtes dans la sobriété matérielle et la convivialité partagée !
> CYRIELLE DEN HARTIGH
Humeurs En finir avec l’année de la biodiversité ? Au Jardin des Plantes de Paris, on a constaté ces dernières années une invasion de corneilles. La raison ? Elles ne trouvent plus assez de nourriture autour de la capitale, la monoculture et l’urbanisation galopantes étant passées par là. Ces oiseaux se sont tellement acclimatés à la ville qu’ils mangent Mc Do ! Claude Bureaux, maître jardinier des lieux, en a fait l’expérience : les corneilles repèrent dans les poubelles les boîtes de hamburgers, et se jettent dessus dans d’effrayants battements d’ailes. Certains disent que ces oiseaux sont réputés parmi les plus intelligents, en voici bien la preuve ! Aujourd’hui, les abeilles produisent par individu plus de miel en ville qu’à la campagne. Pour Maya, il vaut mieux habiter sur le toit de l’Opéra Garnier qu’au cœur de la Creuse. On connaît la fameuse proposition de l’humoriste Alphonse Allais, conseillant de construire les villes à la campagne, puisque l’air y est plus pur. Aujourd’hui, la campagne rapplique en ville. Entendons les villes de chez nous, bien propres et dépolluées, pas ces mégalopoles du Sud où abeilles, corneilles et êtres humains se bousculent, hélas, pour subsister autour de la même poubelle.
> ALAIN DORDÉ