DEPUIS 1971 N° 184 / Juin 2016 / 3€20
DOSSIER Lutter contre l’impunité des multinationales : entre patience et courage...
ACTU DU TRIMESTRE Cet été, tous au Camp Climat !
DU CÔTÉ DES LUTTES C’est beau la détermination citoyenne en action.
L’impunité des multinationales opposée à la légitimité citoyenne. Aujourd’hui s’écrit une histoire. C’est l’histoire de simples citoyens confrontés aux actions des multinationales.
CETTE HISTOIRE EST CELLE D’UNE LUTTE, D’UN COMBAT. CETTE HISTOIRE EST CELLE DE NOS DROITS FONDAMENTAUX. CETTE HISTOIRE EST CELLE DE LA RÉSISTANCE À L’OPPRESSION. Pour les Amis de la Terre France, le choix de la résistance est une évidence. Notre slogan « Résister, Mobiliser, Transformer » en témoigne. C’est bien sur le plan de l’éthique qu’il faut penser notre action. Celle-ci est légitime et nécessaire au regard de l’urgence de la situation climatique, des atteintes à l’environnement et à la vie. Nous sommes à un tournant qui justifie le fait d’aller jusqu’à la désobéissance à certaines lois qui protègent un système injuste. Notre action est juste, nonviolente et déterminée conformément à notre charte qui pose dès 1970 les bases de la non-violence comme principe directeur. C’est bien dans ce cadre que nous agissons et que nous devons nous organiser pour renverser les rapports de force. Pour ce faire, nous déployons des stratégies efficaces. Nous devons accumuler des victoires propres à faire évoluer les rapports de force et nous permettre d’atteindre des objectifs supérieurs. La base de notre travail se fonde sur l’expertise. En effet, c’est une connaissance fine des sujets qui nous permet d’identifier les acteurs en présence et de pouvoir définir nos cibles et les leviers à activer. De plus, c’est la maîtrise de nos sujets qui fonde notre légitimité à agir. Nous devons lutter pour protéger l’humain et la nature qui ont aujourd’hui moins de droits que le commerce et la finance. C’est bien un « dumping social et environnemental » qui est mis en place par les entreprises transnationales. Les entreprises ont aujourd’hui plus de droits que les citoyens. Des traités comme le Tafta et le Ceta organisent l’impunité des multinationales en les plaçant au-dessus des États. L’objectif : les rendre intouchables au nom de l’entrave que pourrait représenter une réglementation défendant les droits humains qui restreindrait le libre commerce. Ceux qui
jouent avec l’économie ne sont pas ceux qui subissent les conséquences de leurs actes. Le législateur, quant à lui, voudrait nous faire croire que défendre le commerce et l’investissement reviendrait à défendre l’intérêt général. Cela consacre un principe d’inégalité et non un principe de justice. Nous ne pouvons l’accepter. Face à cette situation, nous consacrons notre devoir d’entrer en résistance. La fédération internationale des Amis de la Terre lutte au quotidien contre ces injustices. La désobéissance civile peut sembler un engagement fort et risqué pour ses militant-e-s, mais il faut reconnaître que pour nous, c’est relativement facile au regard de la situation vécue par les militant-e-s écologistes dans d’autres régions du monde. De plus en plus de citoyen-ne-s, en France, sont prêt-e-s à engager leur responsabilité pénale et à subir l’éventuelle violence d’une repression. C’est un mouvement qu’il faut encourager et développer. N’oublions pas que pour d’autres, c’est leur vie qui est engagée au quotidien pour défendre nos droits fondamentaux. En 2014, au moins 116 militants écologistes ont été assassinés dans le monde, comme le démontre le bilan effectué par l’ONG Global Witness. Aujourd’hui, nous nous recueillons suite au meurtre de Berta Cacéres et nous vous présentons le combat de Gustavo Castro Soto des Amis de la Terre Mexique. Notre fédération compte plus de deux millions de membres engagés au niveau international. Notre engagement est juste et nécessaire. Aujourd’hui s’écrit l’histoire. Acteur ou spectateur, c’est le choix qui s’impose à nous.
Florent Compain Président des Amis de la Terre France
SOMMAIRE Le Courrier de la Baleine n°184 Juin 2016 n°CPPAP : 0317 G86222 - ISSN 1969 - 9212 Dans ce numéro, les adhérent-e-s des Amis de la Terre France trouveront l’appel à don « Osons l’action non-violente ».
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L’ACTU DU TRIMESTRE Du 5 au 15 août, participez au Camp Climat Espère 2016.
Directeur de la publication : Florent Compain Rédacteur en chef et directeur artistique : Pierre Sagot Rédacteurs (hors dossier) : Audrey Arjoune, Bénédicte Bonzi, Florent Compain, Gabriel Mazzolini, Malika Peyraut, Pierre Sagot.
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Rédacteurs (dossier) : Laureline Bourit, chargée de campagne RSEE aux Amis de la Terre France, Mathilde Dupré, co-présidente du Forum Citoyen pour la Responsabilité Sociétale des Entreprises, Godwin Ojo, directeur des Amis de la Terre Nigéria, ERA (Environnemental Rights Action), Nicolas Roux référent TAFTA aux Amis de la Terre France. Communication, relations presse : Pierre Sagot, communication@amisdelaterre.org 09 72 43 92 65
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Graphisme et maquette : Aurélien Dovillez, dovillez@gmx.com
DU CÔTÉ DES LUTTES LOCALES C’est beau… La détermination citoyenne en action !
DOSSIER Lutter contre l’impunité des multinationales : entre patience et courage.
Impression : Sur papier recyclé Offset Igloo 120g/m2 avec encres végétales : STIPA, stipa.fr Crédits photos : Couverture : Kemal Jufri / Greenpeace Page 4-5 : YFoEE / Estere Tamma Page 7 : Amis de la Terre France Page 9 : Kemal Jufri / Greenpeace Page 13 : I llustration Aurélien Dovillez pour les Amis de la Terre France. Page 16 : Friends of the Earth Denmark Page 20 : Luka Tomac
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MARCHONS SUR NOS DEUX PIEDS En juin, tous au jardin !
Les Amis de la Terre France Mundo-M, 47 avenue Pasteur 93100 Montreuil france@amisdelaterre.org 01 48 51 32 22 www.amisdelaterre.org
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DU
L’ACTU U TRIMESTRE CAMP CLIMAT ESPÈRE 2016 : RÉSERVEZ VOS DATES, DU 5 AU 15 AOÛT 2016 ! Ensemble, nous avons mis la justice climatique à l’ordre du jour, nous avons rythmé 2016 de nos actions non-violentes de masse pour mettre les pollueurs face à leurs responsabilités, nous avons montré notre force grandissante pour un monde plus juste, plus humain, plus soutenable. Au cœur de cette effervescence militante pour la justice climatique, prenons dix jours cet été pour arrêter le temps. Venez au Camp Climat !
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LE CAMP EST OUVERT À TOUTES ET À TOUS, SUR PARTICIPATION LIBRE. LES ENFANTS ET ADOLESCENT-E-S SONT LES BIENVENU-E-S. LA CUISINE SERA VÉGÉTARIENNE ET LOCALE. LA VIE COLLECTIVE SERA CO-CONSTRUITE ET NOUS DORMIRONS SOUS TENTE. POUR PLUS D’INFORMATIONS : campclimat2016@riseup.net Les Amis de la Terre France et leurs partenaires Alternatiba et ANV-COP21 ont décidé d’organiser un camp climat du 5 au 15 août orienté vers l’apprentissage et la formation pratique. Vous êtes militant-e d’un groupe local et avez envie de savoir comment organiser des actions non-violentes ? Vous agissez localement et voulez monter des stratégies gagnantes ? Vous avez l’âme d’un hacktiviste et voulez apprendre comment mettre l’outil informatique au service de nos luttes ? Vous êtes bricolo ou cuisto et vous voulez que la logistique d’événements de masse n’ait plus de secrets pour vous ? Vous êtes animateur-rice d’un groupe et vous vous interrogez sur les ficelles pour pérenniser l’engagement et faire fonctionner ce groupe dans la durée ? Vous aimeriez mieux maîtriser les médias et développer tous vos outils de communication ? Vous faites de la vidéo mais aimeriez savoir comment développer la vidéo en action ? Vous aimez construire, échanger, discuter, imaginer, réinventer, dans la volonté de faire face à l’urgence climatique pour bâtir un monde meilleur ? Alors venez !
Notre camp sera hébergé dans une ancienne ferme du Lot-et-Garonne, au lieu-dit « Espère », sur la commune de Saint-Aubin. Là-bas, nous y proposerons des formations à la carte et pour tous les niveaux : vous pourrez piocher parmi les thématiques qui vous intéressent entre des ateliers débutants ou avancés. Pour celles et ceux qui veulent vraiment se spécialiser, des parcours de formation seront proposés en stratégie, action non-violente, communication, informatique, logistique et cuisine. Et puisque rien ne vaut la mise en pratique, le camp s’achévera sur la réalisation d’une action de masse élaborée de A à Z lors des dix jours de préparation. Le camp climat, c’est l’étape incontournable de cet été ! C’est une occasion inestimable de se retrouver, d’échanger et de partager des moments conviviaux avec des militant-e-s venu-e-s de toute la France. Parce qu’on ne construira pas le monde de demain sans tisser plus de liens, sans remettre l’humain au centre et sans s’en donner les moyens : tous à Saint-Aubin ! Malika Peyraut Les Amis de la Terre France
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DES
DU CÔTÉ S LUTTES LOCALES C’EST BEAU… LA DÉTERMINATION CITOYENNE EN ACTION ! La valeur ajoutée des Amis de la Terre France, c’est l’articulation fine entre notre expertise, nos actions de sensibilisation, notre plaidoyer et nos actions réalisées à des moments stratégiques - pouvant aller jusqu’à la désobéissance civile - qui nous permettent d’obtenir des victoires propres à renverser le rapport de force. Ce printemps, nous avons d’ailleurs multiplié les actions directes non-violentes pour faire face au « bussiness as usual ». À Bordeaux, le groupe local Gironde et ses partenaires ont organisé un DIE-IN - véritable scène de crime aux pesticides - lors de l’inauguration de la Cité du Vin. Malgré le caractère non-violent de cette action, le cadrage policier disproportionné était à l’image de l’omerta que suscite cette question sur le vignoble. Cette tentative d’intimidation n’a pas altéré la détermination des militant-e-s venu-e-s en nombre briser cette loi du silence. Et puis il y a eu le Match « Climat vs Profits » lancé contre BNP Paribas, 4ème banque internationale à financer l’industrie du charbon. Nous avons touché deux lieux symboliques : son Centre d’Affaires, là où elle spécule contre la planète et les populations et Roland Garros, là où elle soigne son image de marque et sa réputation. Nous avons opposé à la banque notre pleine conscience de l’urgence climatique qui pousse à nous mettre en travers des logiques de profit incompatibles avec une juste transition vers le 100% renouvelable. Malgré l’absence de considération de notre interlocuteur, nous avons tou-te-s senti-e-s qu’un rapport de force venait de s’instaurer. Ce rapport de force s’est clairement exprimé lors du blocage du « Sommet de Pau ». Des instants riches et intenses que nous vous relatons. BLOQUER LE SOMMET INTERNATIONAL DES PÉTROLIERS : MISSION ACCOMPLIE ! Difficile de décrire à chaud les émotions que nous avons pu vivre à Pau lors du blocage du MCEDD, sommet du forage et de l’exploration pétrolière offshore. Les chiffres pourraient parler d’eux mêmes : 500 activistes mobilisé-e-s, presque 10 actions non-violentes menées en 3 jours, plus de 20 000 euros récoltés grâce à une campagne de financement participatif, 5 688 signataires de l’Appel, un objectif atteint : bloquer le sommet. Tout cela a été
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possible grâce à vous. Mais les chiffres ne traduiront jamais la force, l’énergie, la détermination, ainsi que la fatigue qui ont rythmé ces 6 jours historiques pour la mobilisation citoyenne et non-violente en faveur de la justice climatique ! Oui, des militant-e-s armé-e-s de coussins et de peinture blanche ont passé les barrières du palais Beaumont de Pau et ses cordons de CRS pour empêcher que les pollueurs du climat et de l’océan puissent se réunir. Mais ce n’est que la pointe visible de l’iceberg. Car la préparation et la mise en œuvre de ces actions est le résultat d’un travail collectif minutieux dans lequel tous les niveaux d’engagement auront été fondamentaux. En amont de chaque action, il aura fallu s’occuper de la logistique du camp, de la préparation du matériel, des toilettes sèches, de l’accueil, de la préparation de nourriture. Tâches insurmontables sans le soutien et la bienveillance constants de la communauté Emmaüs Lescar-Pau qui nous a hébergé-e-s. Il aura fallu former à la résistance non-violente, car de nombreuses personnes n’avaient jamais encore participé à des actions de façon générale. L’appréhension de la confrontation, même non-violente, le besoin de se connaître et de créer des groupes affinitaires, tout cela nécessite du temps. Enfin, chacun-e aura trouvé sa place dans les actions elles mêmes : premières-lignes, « peintres », cadreur-euses, communicant-e-s, médecins, avocat-e-s, animateur-rices de slogans, distributeur-rices de tracts, etc. Une mosaïque de profils, d’âges et d’expériences. Voici notre force ! Finalement, à Pau, nous avons montré qu’avec détermination et à visage découvert, nous pouvons gagner. « Victoire », ce mot, nous l’entendrons sans doute de plus en plus souvent. Car ce n’est pas fini… ça ne fait que commencer.
OSEZ L’ACTION DIRECTE NON-VIOLENTE ! NOUS SOMMES LES GÉNÉRATIONS CLIMAT, CELLES QUI PEUVENT TOUT CHANGER ET REFUSENT L’INACTION !
NOS PRINCIPES D’ACTION RÉPONDRE À L’URGENCE Au regard de l’urgence de la situation climatique, des atteintes à l’environnement et à la vie, nous sommes à un tournant qui justifie le fait d’aller jusqu’à la désobéissance à certaines lois qui protègent un système injuste.
ÊTRE LÉGITIME La base de notre travail se fonde sur l’expertise. En effet, c’est une connaissance fine des sujets qui nous permet d’identifier les acteurs en présence et de pouvoir définir nos cibles et les leviers à activer.
S’ENTOURER D’ALLIÉS C’est avec nos alliés qu’il faut construire un mouvement global pour la justice climatique. Ce mouvement doit être de masse, capable de démontrer l’anormalité de la situation et permettre une prise de conscience collective de la nécessité de changer radicalement nos modes de vie et le système dans lequel nous évoluons.
GARANTIR LA SÉRÉNITÉ… Nos actions déterminées sont assumées à visage découvert. Sur place, nous ne dégradons rien, nous faisons uniquement usage de méthodes et techniques non-violentes, et nous ne participons pas à la surenchère. Nous sommes attaché-e-s à garantir la sécurité des individus présents sur les lieux de nos actions.
… ET LA BIENVEILLANCE Dans nos actions, différents niveaux d’engagements sont possibles. Il y a toujours un rôle à jouer pour qui veut s’impliquer. Héberger un militant-e, cuisiner pour un groupe, partager et diffuser l’information, soutenir financièrement ou moralement, tout cela nous est précieux ! LA BALEINE . N°184
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LE REGARD DE
AUDREY ARJOUNE MILITANTE POUR LA JUSTICE CLIMATIQUE
« CONNAIS TOI TOI-MÊME POUR CONSTRUIRE DANS LA DURÉE TON ENGAGEMENT MILITANT » Le jour où tout a basculé… « Lorsque j’étais étudiante en droit, j’avais en tête de défendre les droits humains fondamentaux. Les années passent, les cours s’enchaînent… sans qu’à mes yeux cette cause soit convenablement abordée… Pourtant, j’ai essayé de la pousser, quitte à « bousculer mes professeurs » mais sans succès. Mes ami-e-s me disaient… « Ne cherche pas Audrey, le système il est comme ça, oui les entreprises sont parfois plus puissantes que les états, oui il existe des manières de détourner les règles juridiques qu’une multinationale maîtrise, oui dans ta carrière tu utiliseras sans doute ce droit pour ton client »... La question de savoir si j’étais à ma place s’est posée très vite… Me résigner ? Plutôt partir ! C’est d’ailleurs ce que j’ai choisi de faire. Mon énergie devait servir une autre cause ». Ma première action déterminée et non-violente. « Ma première action déterminée et non-violente, je l’ai vécue en Australie avec le collectif « QUIT COAL ». Hasard du calendrier, le collectif s’apprêtait à lancer une action spectaculaire : l’interruption d’une centrale à charbon. Lorsque j’ai appris cela, les premières images qui me sont venues en tête étaient celles du militant de l’extrême qui gravit une centrale nucléaire... Je ne m’en sentais absolument pas capable... avant de comprendre qu’on n’attendait pas ça de moi. Ce que j’ai découvert ce jour, c’est que je pouvais participer à une action sans forcément être en première ligne. Tout le monde est important dans l’aventure qui s’écrit, à la hauteur de ses envies et ses capacités ». Les ingrédients incontournables pour participer à une action. « Il ne faut jamais considérer « l’action directe » comme étant isolée. Elle est un levier de pression au service d’une campagne portée
par un collectif sur le long-terme. Elle permet de mettre un coup de projecteur sur leur travail quotidien : construction d’une expertise, actions de sensibilisation, valorisation d’alternatives, plaidoyer législatif… C’est en articulant tout cela qu’on est légitime et qu’on obtient des victoires ! Il est donc fondamental, avant de se lancer dans l’action directe, de bien comprendre le collectif qui l’organise et la campagne qu’elle sert. » Connais-toi toi-même… pour construire dans la durée ton engagement militant ! Pour assurer le succès de sa participation à une action directe, mieux vaut lever toutes ses incertitudes. Et pour cela, ne pas zapper les temps de formation et de « briefing » en amont. Ils servent à présenter la campagne, à partager le sens d’une action déterminée et non-violente, à connaître les autres participant-e-s et à se rapprocher de celles et ceux qui nous ressemblent. Et puis ça permet de rassurer sur l’organisation le jour J : oui, autour de moi, il y aura des personnes « clefs » qui garantissent la sécurité des biens et des individus, qui interviennent, qui gardent les énergies hautes ! Oui, en cas de plan B, il faudra peut-être un peu improviser, mais il y a des méthodes pour le faire collectivement et en toute confiance. Oui, il y aura toujours une porte de sortie... Nous avons le droit d’avoir des limites et nous devons les accepter avec sincérité… Car il y a des rôles pour tout le monde et ça ne rend pas sa participation moins importante. Le succès d’une action spectaculaire dépend autant « du groupe commando ultra-formé » que de toutes celles et ceux qui étaient là. Le but, ce n’est pas de pousser les participant-e-s à aller toujours plus vite, toujours plus haut, toujours plus risqué. Inutile de « se cramer » dès la première action parce que, croyant bien faire, on atteint ses propres limites… Le combat est encore long, mieux vaut un engagement dans la douceur, dans la durée…
À toutes celles et ceux qui doutent encore - il faut oser ! Tu ressortiras d’une action directe non-violente avec la satisfaction d’avoir fait quelque chose d’utile et d’électrisant ! Souvent, je ressens une grande fierté, un sentiment de puissance : oui j’étais légitime, oui l’action était pertinente… Je fais ma part, je suis un des grains de sable qui enraye ce système qui ne me va pas… Je suis du « bon côté de l’histoire ».
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DOSSIER Lutter contre l’impunitÊ des multinationales : entre patience et courage.
LE PARCOURS DU COMBATTANT D’UNE PROPOSITION DE LOI 2013
2014
AVANT
Pour prévenir les drames humains et les catastrophes environnementales, tels que l’Erika ou Bhopal, et faciliter l’accès des victimes à la justice, la société civile française réclame une loi sur le devoir de vigilance des sociétés mères et donneuses d’ordre. De l’idée formulée initialement par de nombreuses associations au vote d’un texte en première lecture, il aura fallu pas moins de 15 années. ONG environnementales, de développement, de défense des droits humains et syndicats, réunis au sein du Forum citoyen pour la RSE ont mobilisé au service de ce projet leur expertise, le soutien de leurs militant-e-s, leur force d’interpellation des décideurs et ont multiplié les démarches pour alerter l’opinion publique. Après plusieurs campagnes de sensibilisation, dont la campagne CRAD 40 des Amis de la Terre France, le CCFD-Terre Solidaire et Amnesty demandent aux candidats aux élections de 2012 de passer à l’action. Forts d’une promesse électorale de François Hollande, il a fallu ensuite convaincre des députés de s’emparer du sujet pour élaborer une proposition de loi. En avril 2013, la catastrophe du Rana Plaza jette une lumière crue sur l’irresponsabilité de grands groupes de l’industrie textile et accélère la prise de conscience des élus. Le parcours du combattant pour une proposition de loi contre l’impunité des multinationales ne faisait que commencer.
NOVEMBRE 2013
Dépôt d’une première proposition de loi en France : les entreprises multinationales doivent prévenir mais aussi réparer les violations de droits humains et sont responsables des activités de leurs filiales, fournisseurs et sous-traitants.
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PENDANT PLUS D’UN AN,
Rien ne se passe... Le gouvernement n’inscrit pas le sujet à l’Agenda de l’Assemblée Nationale.
Pendant p lus d’un an , il y a des « résistanc es » qui s ’exercent d l’ombre... ans Alors que la société civile adres un questio sait nnaire aux entreprises CAC40 sur du les droits h umains, l’afe (Associatio p n des 100 plus grand entreprises es de France) leur prépara des élémen it ts de répo nses. Cette « fu ite » nous a permis de mettre un nom sur l’o pposition.
P ierre P ringuet
Janvier 2015 : l’afep s’oppose à toute « précipitation » sur le devoir de vigilance. Elle ne veut pas de réglementation mais « si une obligation législative devait être envisagée », il ne faudrait aucune sanction.
JANVIER 2015
La députée Europe Ecologie Les Verts Danielle Auroi saisie une opportunité - une « niche parlementaire » - pour imposer le sujet à l’Ordre du Jour.
4 Février écrit au p e f ’a l e ie, ce ident d Le présistre de l’éconaomnuel », min her Emm ue « C ur lui dire q onnab le ». po ste dérais te est ju x e « Ce t
2015
Mathilde Dupré, co-présidente du Forum Citoyen pour la Responsabilité Sociale de l’Entreprise
2016
2015
Depuis
23 MARS 2016
Christophe-André Frassa
nique Domi
r
Potie
11 FÉVRIER 2015
Dominique Potier, député PS, dépose « un texte de compromis » amoindri par le Ministère de l’économie. Cette deuxième version ne facilite plus l’accès à la justice des victimes en cas de violation de leurs droits.
30 MARS 2015
La deuxième version de la proposition de loi est adoptée à l’Assemblée Nationale. Rendez-vous au Sénat.
5 Octobre 201
Dans l’après-midi : L’Assemblée Nationale ne tient pas compte de la suppression du texte par le Sénat et revote son propre texte à l’identique. Rendez-vous au Sénat… La « navette » va encore continuer entre l’Assemblée et le Sénat jusqu’à un vote définitif à l’Assemblée. On a besoin de votre soutien !
ophenat, Christ teur au Sé s, utilise n ai lic Le rappor ub ssa des Rép ion André Fra ion - la mot e d’except ur es m endre tout une sp su ur lle - po et préjudicie bandonne tollé… Il l’a n pure et io ss re débat. Un pp voter la su propose de xte. te du e pl sim
« Nous leur renvoyons un texte vide car il n’y avait absolument rien à garder. Le parlement n’a pas à légiférer sur l’émotionnel, sur l’imprécation. Il faut un texte qui tienne la route juridiquement et qui ne soit pas le fruit d’un dogmatisme. Car ce n’est pas avec de grands discours humanistes que nous faisons avancer le droit ».
18 NOVEMBRE 2015
Le Sénat vote la suppression de la totalité du texte. Rendez-vous à l’Assemblée Nationale.
in : au mat 16 0 2 s tion, Mar Libéra à Le 23 inguet w ie rre Pr terv ie in P e , n p s dans u ent de l’afe t, je n’ai pa remier r p id a s p le é r a p is le our m e, y compr P « s les affirme é un ministr it droit dan r d t .] rencon ux, qui m’ait texte ». [ .. qu’il e e s d’entre soutiens c assurance tapes s je e s « s u e x t é bre yeu ifféren ça, je e nom d d s u le e J’ai it pas d on me dit nchira ne fra taires. Quan ème . en n2 iant » parlem e f n e t o c o v ès igne ur du suis tr n le jo tionale témo io t a r décla emblée Na des Cette ravail ss t A l’ le r à u lecture ve mépris po a r g n d’u s. entaire parlem
Depuis le débu t du processu s législatif, certaines entr eprises seraien t prêtes à soutenir un de voir de vigila n ce... mais son vite rappelées t à l’ordre par l’a fe p pour ne pas casser un prétendu fron t uni contre la réglementation .
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DOSSIER
TÉMOIGNAGE GUSTAVO CASTRO SOTO, membre des Amis de la Terre Mexique, s’est retrouvé au cœur d’un terrible thriller lorsqu’il est venu donner une formation à ses collègues écologistes honduriens, qui se battent depuis 10 ans contre un projet de barrage dont les populations locales ne veulent pas.
UNE RÉALITÉ HONDURIENNE QUI DÉRANGE La journée du 2 mars aurait pu être une journée bien ordinaire. Gustavo animait ce jour là une formation sur les énergies renouvelables avec une ONG hondurienne, le COPINH (Civic Council of Popular and Indigenous Organizations of Honduras). Il souhaitait apporter son aide et son expertise au peuple « Lenca » pour construire une alternative à un grand projet hydraulique sur leur territoire de vie.
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Gustavo Castro Soto est le fondateur et le coordinateur des Amis de la Terre MexiqueOtros Mundos Chiapas. Il a commencé sa carrière il y a 30 ans en tant que militant des droits humains, engagé auprès de réfugiés guatémaltèques au Mexique puis médiateur dans le conflit entre l’Armée Zapatiste de Libération Nationale et les autorités mexicaines. Son analyse du système économique l’a amené à travailler sur les grands projets de mines, de barrages ou de monocultures. Ces grands projets, qui touchent généralement les populations autochtones, sont un enjeu commun à de nombreux pays latino-américains. C’est pourquoi, les Amis de la Terre Mexique font partie de nombreux réseaux associatifs, au sein desquels ils ont rencontré leurs collègues honduriens. LA BALEINE . N°184
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DOSSIER
LE PEUPLE LENCA AU HONDURAS, est le gardien ancestral de l’esprit de la rivière Gualcarque. En plus de lui apporter protection, elle lui offre toutes les ressources nécessaires à la vie quotidienne, à la pêche et à l’agriculture.
C’était en 2006… quand tout a basculé. Au bord « del Rio Gualcarque » - la rivière dont ils sont les Gardiens Ancestraux - les Lenca ont vu débarquer des engins de chantier. Un projet énergétique monumental avait été décidé ici, sans eux. Le projet de barrage, Agua Zarca lancé par la compagnie nationale hondurienne, Desarrollos Energéticos SA (DESA) et soutenu par des financeurs étrangers venait de trouver son terrain de jeu privilégié. Dans sa stratégie de développement de projets industriels et énergétiques, le gouvernement hondurien a privatisé de nombreuses rivières et terres déplaçant des familles entières. Loin de répondre aux exigences des traités internationaux, les projets sont décidés sans consentement libre, préalable et informé des populations affectées.
non-violente devant les bureaux d’Agua Zarca. D’autres militant-e-s ont été emprisonné-e-s et torturé-e-s. Berta Cáceres et sa famille ont reçu une trentaine de menaces de mort. C’est dans ce contexte que Gustavo fait sa formation. Il est hébergé chez son amie Berta. Le soir, alors que chacun travaille dans sa chambre, Gustavo entend des bruits et un terrible coup de feu. Surpris, il voit surgir un homme armé qui lui tire dessus. Il s’écroule… et, ultime instinct de survie, fait le mort. Gustavo se relève, constate ses blessures et se précipite dans la chambre de son amie Berta. Elle mourra quelques minutes plus tard.
Sans doute en état de choc et profondément attristé par l’assassinat Face à l’urgence, des habitants de son amie, il est interrogé par ont alors interpellé le COPINH qui la police. Elle privilégie d’abord la travaillait déjà sur l’exploitation LE HONDURAS EST RECONNU piste du « crime passionnel » ou forestière illégale et la protection d’un règlement de compte entre du cadre de vie des Lencas. Berta COMME L’UN DES PAYS LES PLUS membres du COPINH. De victime, Caceres, coordinatrice de l’assoDANGEREUX POUR LES le voici bourreau. Pendant deux ciation, a mis toute son énergie au MILITANT-E-S ÉCOLOGISTES. jours, on lui montre des photos des service d’une campagne contre le membres du COPINH pour qu’il les projet de barrage « Agua Zarca » : accuse. On l’empêche de dormir ou rencontres avec le gouvernement, de se changer. Enfin libéré, il se réorganisation d’une assemblée et fugie à l’ambassade du Mexique au Honduras… Il aura fallu 11 jours d’un vote sur le projet de barrage, plainte auprès de la Cour pour que la police creuse une autre piste et enquête au siège de Inter-Américaine des Droits de l’Homme, alerte auprès des finanl’entreprise nationale « DESA ». ceurs du projet (la société financière internationale, IFC, branche de la banque mondiale), blocage pacifique d’une route pour emGustavo est à l’aéroport… Il a obtenu l’autorisation de rentrer au pêcher l’accès au site des engins, etc. Ces différentes actions ont Mexique. Il va pouvoir retrouver forces et soutiens auprès des permis d’empêcher la construction du barrage et le retrait de deux siens. Mais la police hondurienne ne l’entend pas de cette oreille acteurs du projet, l’entreprise chinoise Sinohydro et le financeur et l’interpelle au motif de rester à disposition des enquêteurs. IFC. En 2015, Berta Cáceres a gagné, sur ce combat de 10 ans, une L’ambassadeur du Mexique le ramène à l’abri. récompense internationale : le prix Goldman de l’environnement. L’histoire aurait pu s’arrêter là. Mais, face à la détermination pacifiste, le gouvernement et l’entreprise ont répondu par la force, militarisant la région avec le déploiement de troupes nationales et de milices privées. Les drames se sont alors succédés. Tomas Garcia, un militant du COPINH, a été tué par balle lors d’une manifestation
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Pendant ce temps-là, et malgré la pression internationale, la répression continue sur le territoire Lenca. Le 15 mars, cent cinquante familles paysannes et indigènes ont été expulsées de force des terres qu’elles occupaient depuis plus de dix ans. Ces familles étaient en train de régulariser leur droit de propriété quand le terrain
BERTA CACERES COORDINATRICE DU COPINH a mis toute son énergie au service d’une campagne contre le projet de barrage « Agua Zarca ».
a été acheté illégalement pour favoriser les intérêts des entreprises hydroélectriques. Nelson Garcia, un autre membre du COPINH, était là lors de cette violente expulsion. Sur le chemin du retour, il est tué par balle. Face à cette répression sanglante, la société civile du monde entier se mobilise pour demander la libération de Gustavo, une enquête indépendante sur les deux meurtres et l’abandon du projet de barrage Agua Zarca. Pour faire pression, Les Amis de la Terre Europe ciblent plus particulièrement les financiers européens, le néerlandais FMO (15 millions de dollars de prêt) et le finlandais Finnfund (5 millions de dollars). Ceux-ci, déjà informés à de multiples reprises des controverses autour du projet Agua Zarca, ne doivent plus fermer les yeux.
C’est le gouvernement qui a demandé la construction du barrage et qui a envoyé les militaires et la police pour travailler avec les gardes de DESA qui ont menacé ma mère » rappelle Laura Cacéres. Et puis il y a toujours ces femmes et ces hommes courageux qui poursuivent la lutte et qui sont toujours en danger. Comme le rappelle Adriana Beltrán, membre de Citizen Security, une association de protection des droits humains, si Berta a été tuée malgré sa renommée internationale, les risques que courent les militants moins connus sont encore plus graves.
Cette histoire dramatique pour Berta et sa famille, pour Nelson et Gustavo, pour les membres du COPINH et le peuple Lenca témoigne de deux choses : tout d’abord, elle montre les dangers que courent les militants écologistes qui s’opposent aux puissants de En réaction, les entreprises susce monde, entreprises et gouverpendent temporairement leurs vernements. Ensuite, elle montre que sements avant d’annoncer vouloir « LA PRESSION INTERNATIONALE le modèle dominant est celui d’un se retirer. L’entreprise allemande supposé « développement » desVoith qui doit fournir les turbines NE DOIT PAS FAIBLIR » DEMANDE tructeur de l’environnement, qui hydroélectriques en fait de même. LAURA CACÉRES LA PLUS JEUNE ne respecte pas les droits humains Bien sûr, ces entreprises se déFILLE DE BERTA. et les valeurs d’un peuple. Pour fendent de toute implication dans beaucoup, c’est encore impossible les meurtres de Berta et de Nelson. d’imaginer une alternative non-proMais est-ce si évident… Pour Gusductiviste. Ainsi le communiqué de tavo « Finnfund et FMO sont en presse de FMO annonçant sa possible sortie du projet affirmait partie responsables de la violence et du meurtre de Berta Cáceres. que l’abandon du projet « allait priver les communautés locales (...) Financer le projet Agua Zarca a contribué à provoquer les med’une énergie propre dont ils ont besoin et d’emplois ». Et ce, malnaces continues et la répression vis-à-vis du COPINH. Ils ont finangré l’absence réitérée de soutien des populations. Qu’une banque cé le projet sans rechercher l’avis du peuple Lenca, violant leurs décide du « bien » des gens contre leur gré est tout simplement droits. […] Ils doivent s’assurer de ne pas refaire la même erreur sur inacceptable, et c’est ce que les Amis de la Terre, partout dans le d’autres projets ». monde, combattent. L’enquête indépendante réclamée par le COPINH avec la particiLaureline Bourit pation d’une commission de la Cour Inter-Américaine des Droits Les Amis de la Terre France de l’Homme, n’a pas eu lieu… Sur place, quatre suspects liés à l’entreprise ou au gouvernement ont été identifiés début mai : un inSources : génieur intervenant sur le projet Agua Zarca, un ancien militaire nombreux articles du Guardian publiés sur le sujet, devenu chef de la sécurité chez DESA et deux ex-militaires… site du prix Goldman de l’environnement, « Le gouvernement hondurien est impliqué de trop près dans le échanges avec les Amis de la Terre Europe meurtre de ma mère pour mener une enquête indépendante. et les Amis de la Terre Mexique-Otros Mundos Chiapas.
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DOSSIER
QUAND LES MULTINATIONALES POURRONT PORTER PLAINTE CONTRE LES ÉTATS. L’impunité des multinationales est actuellement favorisée par un système de commerce et d’investissement à sens unique, plaçant les profits des entreprises avant les droits humains et l’environnement. Au cœur de ce système international se trouve le mécanisme de règlement des différends entre investisseur et État (RDIE, ou ISDS, son sigle anglais) selon lequel une multinationale peut attaquer un État, si elle estime qu’une nouvelle loi ou norme a un effet négatif sur le potentiel de son investissement. En revanche, un État ou des citoyens ne peuvent pas y avoir recours si une entreprise manquait à ses responsabilités en matière de respect de l’environnement ou de traitement des travailleurs. En 1987, officiellement pour la première fois, un litige oppose un investisseur étranger et un État en vertu d’un traité bilatéral d’investissement entre le Royaume-Uni et le Sri Lanka. Ce type de différends, destiné à protéger les actifs des anciens colons contre ce qu’ils estiment être une absence de l’État de droit, n’aura ensuite de cesse d’être utilisé, et ce, de manière exponentielle. Les dédommagements demandés par les compagnies ont pu s’élever à plusieurs millions voire milliards d’euros. Le principe de l’ISDS a le mérite d’être simple – en théorie. Chaque partie impliquée dans le litige nomme un arbitre. Ces deux en choisissent ensuite un troisième. Et les trois arbitres, en général des avocats d’affaire financièrement intéressés, et confrontés à des conflits d’intérêt invérifiables, procèdent à l’audience dans un tribunal arbitral, comme le Centre international des règlements des différends liés à l’investissement (CIRDI) auprès de la Banque mondiale. Parmi les plus férus du mécanisme de l’ISDS, on retrouve, largement en tête, les investisseurs états-uniens, mais aussi les investisseurs canadiens. Et lorsqu’on sait que deux accords de soi-disant « libre-échange » de l’Union européenne, l’un en cours de négociation avec les États-Unis (TAFTA ou TTIP) et l’autre en phase de ratification avec le Canada (CETA), contiennent des clauses d’arbitrage sur les investissements, on est en droit d’envisager le pire.
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Les cibles des multinationales varient mais les protections de l’environnement demeurent leurs préférées, et de loin. L’ISDS a par exemple permis à la compagnie suédoise de l’énergie, Vattenfall, de faire annuler des normes écologiques réglementant une centrale électrique au charbon en Allemagne. Au Canada, la multinationale états-unienne Bilcon a contesté, avec succès, des exigences environnementales affectant son projet d’ouverture d’une carrière de basalte, tandis qu’une autre entreprise en provenance des États-Unis, Lone Pine, voudrait remettre en cause le moratoire prononcé par le Québec sur la fracturation hydraulique, utilisée pour l’exploration des gaz de schiste. Les services publics et la santé ne sont d’autre part pas en reste. Philip Morris attaque les mesures anti-tabac promulguées en Uruguay et en Australie, ce qui a découragé certains pays, dont la Nouvelle-Zélande, à mettre en place des mesures similaires, par crainte d’avoir à payer une somme exorbitante. Encore au Canada, l’interdiction du MMT, un additif toxique utilisé dans l’essence, a été levée suite à un recours arbitral du producteur, la compagnie états-unienne Ethyl.
La France, dont les multinationales sont aussi ferventes de l’ISDS, s’est récemment signalée par le biais de la compagnie Véolia, qui demande 110 millions de dollars américains de compensation à l’Egypte, suite à la décision du gouvernement de changer une loi sur le travail qui avait entraîné une augmentation du salaire minimum. Ces abus illustrent bien l’impasse dans laquelle se trouve le système commercial international actuel. Face aux enjeux sociaux et environnementaux sans précédent, la mise en place d’un mécanisme où les multinationales auraient à rendre des comptes au reste de la société s’impose plus que jamais. Nicolas Roux Les Amis de la Terre France
À QUAND UN TRIBUNAL INTERNATIONAL POUR JUGER LES MULTINATIONALES ? Dans les pays où elles s’implantent, les multinationales sont souvent responsables de violations des droits humains et de dégradations environnementales. Leurs crimes restent fréquemment impunis, en raison de défaillances flagrantes dans le système juridique international, de l’absence ou la faiblesse de la mise en œuvre des politiques nationales, ou encore de la corruption dans les pays hôtes et/ou d’origine des multinationales. Que faire aussi quand les entreprises sont elles-mêmes plus riches et plus puissantes que les États qui cherchent à les réguler ? Depuis juin 2014, le Conseil des Droits de l’Homme de l’ONU (Organisation des Nations Unies) travaille à l’élaboration d’un Traité International qui pourrait enfin apporter justice et protection à des millions de personnes dans le monde. Sur le modèle de la Cour de Justice Internationale qui traite des différends entre États, nous appelons de nos vœux une Cour Mondiale qui traiterait les plaintes des communautés contre les entreprises. Deux ans plus tard, l’Union Européenne oppose une résistance farouche au sein du
NIGERIA DELTA DU NIGER RIVIÈRES DU PAYS OGONI DEPUIS 50 ANS
groupe de travail intergouvernemental qui élabore ce traité pourtant soutenu mondialement par les peuples et leurs représentant-e-s. La société civile, en particulier dans les pays dits en développement, attend du Traité qu’il fasse du respect des droits humains une condition non-négociable et une priorité par rapport aux affaires et aux profits. La protection des défenseurs de l’environnement et l’accès à la justice des victimes en sera une pierre angulaire. Il permettra également de réduire les conflits violents liés aux ressources.
ÉQUATEUR NORD DE LA FORÊT AMAZONIENNE DEPUIS 1964
BANGLADESH FAUBOURG DE DACCA SAVAR EN 2013
AUJOURD’HUI Les compagnies pétrolières européennes exploitent le riche sous-sol nigérian depuis plus de 50 ans au détriment des habitants du delta du Niger. Shell a laissé fuiter des litres de pétrole sur le sol et dans les rivières du pays Ogoni. Le Programme des Nations Unies pour l’Environnement a enquêté et évalué la réparation à 1 milliard de dollars pour les cinq premières années de nettoyage de la pollution. Celle-ci pourrait pourtant durer 30 ans. Shell n’a toujours pas dépollué. Quant à Total, il pratique massivement le torchage du gaz. Cette pratique est interdite depuis 1984... pourtant Total s’engage à arrêter en... 2030 !
En Équateur, Texaco a exploité du pétrole de 1964 à 1990 avec des conséquences humaines et environnementales catastrophiques. Les communautés impactées ont saisi une Cour équatorienne pour obtenir une décontamination de l’environnement et l’assistance financière aux gens qui souffrent de cancer. La Cour équatorienne a condamné l’entreprise à une indemnisation de 9,5 milliards de dollars. Mais Chevron, qui a racheté Texaco, refuse de payer et a retiré tous ses actifs du pays. Les victimes s’adressent aujourd’hui aux Cours canadienne, argentine et brésilienne pour récupérer cette somme.
Le 24 avril 2013, le Rana Plaza, un immeuble de 8 étages abritant 6 usines textiles s’effondre au Bangladesh, causant la mort de 1 138 ouvriers et en blessant plus de 2 000. De grandes marques occidentales (Auchan, Benetton, C&A, Primark, Mango, Bon Marché, etc.). de l’habillement y faisaient fabriquer des vêtements profitant des coûts bas liés aux faibles salaires et au manque d’investissements de sécurité. Après une campagne intense des ONG, ces entreprises ont contribué à un fonds d’indemnisation et ont signé un accord sur la sécurité des bâtiments.
SI LE TRAITÉ ÉTAIT ADOPTÉ… Les communautés touchées pourraient attaquer auprès d’une Cour Mondiale les groupes pétroliers et obtenir qu’ils mettent fin à leurs pratiques illégales (torchage du gaz) et réparent les dommages causés par les fuites de pétrole (dépollution et indemnisation).
… et incluait un mécanisme d’application des décisions, la Cour Mondiale pourrait contraindre Chevron à payer l’indemnisation s’il est présent dans un autre État signataire du traité. Ce serait la fin d’une saga judiciaire de plus de 25 ans pour ce cas emblématique de l’impunité des multinationales.
D’une part, un tel drame ne serait certainement pas arrivé si les entreprises avaient pris les mesures nécessaires pour éviter un accident par crainte d’un procès. D’autre part, en cas d’accident, les entreprises n’auraient pas pu refuser de reconnaître leur responsabilité ou de contribuer au fond d’indemnisation.
Godwin Ojo, Directeur des Amis de la Terre Nigeria, ERA (Environnemental rights action) LA BALEINE . N°184
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SUR
MARCHONSS NOS DEUX PIEDS TOUS AU JARDIN POUR CULTIVER LA BIODIVERSITÉ ! Vous souvenez vous de cette publicité printanière où l’on voyait un chien enterrer et déterrer son os ? Une voix off nous assurait que l’herbicide qui venait d’être répandu était « inoffensif » tant pour notre ami Rex que pour l’environnement. L’herbicide en question, c’était le Round’up, que nous connaissons tous pour contenir du glyphosate « Cancérigène probable » selon le Centre International de Recherche sur le Cancer. Alors que certain-e-s s’attachent à vouloir répendre ce produit quoi qu’il en coûte (ou qu’il en rapporte ! ), rendons compte, au nom du principe de précaution, des alternatives existantes en dénonçant le confinement juridique dont elles sont encore victimes…
JUSQU’EN
MAI 2016 ON POUVAIT BOIRE UNE TISANE D’ORTIES, MAIS LA PULVÉRISER SUR SES CULTURES ÉTAIT PASSIBLE DE POURSUITES Purin d’ortie, décoction ou infusion de plantes, mais aussi argile, vinaigre blanc, petit lait… Les Préparations Naturelles Peu Préoccupantes sont accessibles à tous, simples d’usage et inoffensives pour l’environnement. Appréciées des jardiniers professionnels et agriculteurs soucieux de la « biodiversité », leur utilisation a longtemps été juridiquement confinée. En France, on pouvait donc boire une tisane d’orties mais la pulvériser sur ses cultures était passible de poursuites. Une telle utilisation était en effet très risquée... pour le chiffre d’affaires de l’industrie des pesticides et du médicament ! Après une lutte longue de 10 années... Alors que l’utilisation des pesticides ne cesse d’augmenter (+9.4 % en 2014) malgré les plans de réduction Ecophyto... Alors que les scandales sanitaires liés aux pesticides sont constamment dénoncés : maladies professionnelles des utilisateurs, intoxication des enfants dans les écoles, exposition du voisinage, contamination de l’alimentation… Alors que la loi d’Avenir Agricole du 13 octobre 2014 reconnaissait comme biostimulants les Préparations Naturelles Peu Préoccupantes du domaine public… Aucun décret d’application ne sortait de terre…
tivent pour éviter que ces produits naturels ne viennent concurrencer leurs produits chimiques sur le marché. Alors la liste des substances autorisées (à minima) se complète petit à petit… Comble de l’ironie, elles doivent être évaluées par l’Agence nationale de sécurité sanitaire (Anses) « garantissant qu’elles ne présentent pas d’effet nocif sur la santé humaine, sur la santé animale et sur l’environnement ». On jurerait que l’Anses parle de pesticides… et non de leurs alternatives ! Ainsi, l’ail, la menthe, l’ortie, sous forme de poudres ou diluées ; mais aussi la sauge, le thym et le tilleul ont passé avec succès la « batterie » d’examens… Mais d’autres substances végétales, animales ou minérales… ne connaissent pas le même sort. « Les fougères, les purins de prêle ou de consoude ne sont pas dedans. Ceux qu’on retrouve communément dans les supermarchés ou les jardineries n’y figurent pas non plus », déplore Jean-François Lyphout, en appelant l’Anses à inclure rapidement dans la liste ces produits de substitution aux pesticides.
IL AURA FALLU ATTENDRE 15 MOIS POUR QUE LE DÉCRET SOIT PUBLIÉ AU JOURNAL OFFICIEL LE 30 AVRIL 2016 !
Vous l’avez compris, d’un côté on nous impose un système mauvais pour la planète ; de l’autre on nous freine à utiliser des solutions pérennes. Il est temps, de dénoncer puis de désobéir pour que nous puissions reconstruire et transformer une agriculture, mais aussi des jardins riche de biodiversité, d’idées et capables de se régénérer !
Irrités par « cette guerre de l’ortie », les lobbyistes des firmes agrochimiques s’ac-
Bénédicte Bonzi Les Amis de la Terre France
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COMMUNIQUÉS DE PRESSE
CONTACTS
Juin 2016
• GROUPE ASSOCIÉ BIZI !
• P remier procès d’un faucheur de chaises ! • V ictoire ! Fermeture définitive des unités charbon de la centrale d’Engie, Vado Ligure.
• J eu set et match contre BNP Paribas ! • 4 0 militant-e-s pour la justice climatique occupent le Centre d’Affaires de BNP Paribas.
• C ETA, le cheval de Troie du TAFTA : des mobilisations dans toute la France du 4 au 25 juin.
Mai 2016
• U n « DIE IN GEANT » devant la Cité du Vin pour dire NON aux pesticides. • A G BNP Paribas : le climat n’est pas un jeu ! • H uit Parlements européens soutiennent un devoir de vigilance pour les entreprises européennes.
• I ndonésie : le test climatique du Crédit Agricole et de la Société Générale. • C ETA : le manège juridique de la France. • P arlementaires, enterrez la loi Cigéo, pas les déchets nucléaires ! • N ouveaux OGM : sept organisations de la société civile et paysanne s’inquiètent du flou gouvernemental.
• C harbon : EDF complice de graves violations des droits de l’homme en Colombie.
• G az de couche : les forages en Lorraine ont commencé. • T AFTA : une attaque frontale contre les normes de sécurité alimentaire et l’agriculture européennes. • H azelwood, le secret d’Engie.
Avril 2016
• O n vous fait découvrir en BD l’empreinte écologique de votre compte en banque.
• R apport TAFTA : Agriculture européenne, la grande braderie. • N otre-Dame-des-Landes s’invite à la Conférence Environnementale. • L a signature de l’Accord de Paris, quelle cohérence pour la France en 2016 ? • 3 00 militants du mouvement pour le climat perturbent le Sommet International du Pétrole à Paris. • L es pièces détachées, on y est attachés ! • N ouveaux OGM : 7 associations de la société civile claquent la porte du Haut Conseil des Biotechnologies. • P ari réussi : blocage du sommet de Pau par les militants climat.
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