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La réappropriation des maisons en adobe à Huajuapan de Leon
Sancho de La Rosa Anaïs
La réappropriation des maisons en adobe à Huajuapan de Leon
Mémoire encadré par Iosa Ioana - ENSALPV NPPEV - Nouvelles Pratiques Politiques et Esthétiques dans la Ville 2019
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Remerciements Aux enseignantes Ioana Iosa et Manola Antonioli qui ont donné de leurs personnes et nous ont apporté un enseignement plus qu’intéressant. Aux personnes de l’autre bout du monde qui m’ont permis de mener cette enquête. Aux amis et à ma famille.
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Sommaire
Préambule
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Introduction
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I/ Entre tradition et modernité, passage d’un village en adobe à la ville de Huajuapan de Leon Chap 1. Les traditions ancestrales de la Mixteca
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Chap 2. Délaissement des savoir-faire lors de l’organisation sociétale et spatiale
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Chap 3. Lorsque technicité et sciences suivent la mode
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II/ Quel imaginaire collectif chez les habitants des villages originaires ? Chap 4. De nouvelles routes pour de nouvelles directions
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Chap 5. La géographie facteur de conservation
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Chap 6. Dévalorisation, racisme et espoir dans les articles gouvernementaux et universitaires
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III/ Analyse des institutions et programmes gouvernementaux : les origines, la mise en place, la fin et les répercutions Chap 7. Jeu d’acteur dans les institutions
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Chap 8. Programmes gouvernementaux et désillusion
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Chap 9. Les limites générées par la conservation
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Conclusion
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Bibliographie
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Iconographie
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Annexe
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Table des matières
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Préambule
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Le Mexique est un pays en développement souvent ironiquement décrit par ses habitants comme un pays du tiers-monde. Son histoire et ses ressources lui confèrent une identité forte. J’ai passé l’année 2017-2018 à l’UNAM (Université Nationale Autonome de Mexico), l’un des grands campus de la capitale, la CDMX (Ciudad De MeXico, ville de Mexico) anciennement appelée DF (Districto Federal). Les premiers pas y sont difficiles, une étrange touche occidentale y plane pourtant, on se fait alors quelques repères qui sont rapidement emportés par les flux de transports et de personnes. La ville, surplombée par son nuage de pollution n’a pas d’échelle constante. On passe de quartiers ressemblant à des villages provinciaux jusqu’à une réplique de la Défense parisienne. En constante croissance, la ville ne cesse de s’étendre. Gourmands d’espaces libres, les habitations et commerces viennent se greffer sur les bâtiments existants, horizontalement et verticalement ce qui donne à la ville une typologie particulière. Malgré ses disfonctionnements, c’est un endroit dans lequel il fait bon vivre. On s’y rencontre, on échange, on découvre. Les coutumes et fêtes rythment l’espace et le temps. Evoluant dans cette atmosphère, j’ai suivi les cours de master 1 en m’intéressant tout particulièrement à la scénographie. Je participais alors à deux cours : l’un nommé « escenografia » (scénographie) pendant lequel nous avons visionné diverses œuvres et étudié quelques principes de mise en scène et le suivant intitulé « histoire des espaces scénographiques » sur le théâtre et les espaces qui lui sont liés, allant du théâtre grec jusqu’au théâtre du XXème siècle d’Amérique latine. L’année scolaire terminée j’ai accompagné l’une de mes professeurs qui donnait un atelier à Merida, au sud-est du pays. Nous nous sommes intéressés à la croyance maya de la cruz parlante (croix parlante). Pour cela nous avons visité de nombreux villages autour de Felipe Carillo Puerto (capitale maya du Mexique), Tulum puis Merida. Cette croyance concerne une croix apparue au moment de la conquête espagnole et qui a incité les mayas à prendre les armes pour se défendre. Quelques années plus tard, elle serait tombée entre les mains des conquistadores qui l’auraient détruite. On nous raconte alors que deux de ses «filles» seraient apparues avec la même mission. La scénographie entre alors en jeu : les croix ont eu différentes voix, soit un ventriloque, caché dans le sol des églises dont l’acoustique donnait l’impression que les sons sortaient directement de la croix, soit la croix émettait des ondes qui étaient ensuite traduites et retranscrites par une personne capable d’interpréter les ondes. C’est une croyance qui fait partie de la culture maya depuis maintenant 5 siècles, la conquête ayant eu lieu au XVème siècle. Les Espagnols s’emparaient alors des villes et villages dans lesquels ils construisaient ensuite une église, ce qui modifiait fortement leur typologie. Ils n’ont cependant pas réussi à imprégner les mayas de la religion catholique. Dans l’église, des offrandes disposées sur l’autel entourent une réplique de la croix parlante et ses filles. Une personne est présente chaque jour, chaque nuit espérant que la croix parlera à nouveau. Plus étonnant encore quasiment chaque village a sa version concernant l’apparition de la croix et la façon dont elle s’est exprimée. Par ailleurs, dans la majorité des villages, l’on note donc un mélange entre croyance maya et catholicisme. Dans les sanctuaires, les saints sont présents et entourent la croix maya. C’est comme si le sacré maya avait perdu ses images et qu’il s’était approprié celles des catholiques. Cette expérience a suscité chez moi un vif intérêt pour la démarche méthodologique. En effet, l’enseignante appartient à la troupe de théâtre du Teatro Ojo. Ces comédiens chercheurs agissent toujours de la même manière. Ils commencent par une investigation basée sur des textes, ici des écrits traitant de la Cruz Parlante, dont La guerra de Castas en Yucatan de Jose Luis Preciado Silva et El cristo indigena, el rey nativo de Victoria Reifler Bricker. Ensuite, ils se rendent sur les lieux qui ont le plus souvent étaient évoqués. A la manière de détectives, ils partent à la découverte des personnes et des lieux dont on leur parle, collectant ainsi une base de données importante. Ils se rendent finalement dans une ville où les personnes sont susceptibles d’être intéressées par le sujet.
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Dans cette investigation, ce fut Merida et son théâtre, qui servit de lieu de rendez-vous pour les ateliers ouverts au public. Les habitants viennent alors raconter leurs histoires et mythes en lien avec le sujet. Une fois rentrés à la CDMX toute l’équipe met en place une ou différentes installations éphémères, performances dans la ville afin de toucher, interpeler et surtout inciter le public à ne pas oublier l’histoire du pays. En rentrant en France je me suis alors beaucoup questionnée sur le thème du souvenir, de la place de l’histoire et des traditions dans nos vies. J’ai choisi de situer cette problématique dans le contexte mexicain1, du fait de la complexité de l’histoire de ce pays. Le pays a en effet été le théâtre de nombreux massacres et mutilations. Il est difficile de savoir ce qu’ont réellement vécu les personnes indigènes. Les traces de leur passé sont difficilement perceptibles dans les villes, souvent happées par la modernité ainsi que par les contextes politiques et sociaux. Récemment deux tremblements de terre on fait de nombreux dégâts humains et matériels. On observe alors diverses réponses, politiques et sociales qui influencent fortement la conservation de l’architecture vernaculaire mexicaine. Dans le contexte des élections présidentielles, le sujet est plus sensible encore.
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L’idée de cette recherche n’est pas d’exprimer un regard colonisateur sur un pays qui n’est pas le mien mais plutôt de retranscrire le plus fidèlement possible rencontres et réflexions du parcours
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Introduction
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La réappropriation des maisons en adobe à Huajuapan de Leon « Sitôt adulte, l’architecture a associé les attributs abstraits du pouvoir et de la foi à l’équilibre des formes. Asymétrie signifie grossièreté. On l’associe au mieux avec le bizarre, au pire avec le dissolu. C’est sans doute par leur absence de discipline visuelle que la plupart des maisons de paysans ou de pêcheurs sont mises au bain de l’architecture. » B. Rudofsky
L’Etat de Oaxaca, dont la capitale porte le même nom, est connu pour sa richesse culturelle et architecturale. L’arrivée des espagnols a considérablement modifié le paysage urbain mais également le milieu rural, forçant la réorganisation des villages aux situations géographiques stratégiques et donc au plus fort potentiel économique. C’est le cas de Huajuapan de Leon, originairement deux villages : Guaxapa et San André de Acatlima, situés sur leurs collines respectives qui furent contraints de descendre de leurs hauteurs pour former un nouveau village, Huajuapan de Leon pour les Espagnols, Nudee pour les indigènes. Son architecture est d’adobe (blocs de terre formés d’eau, terre et paille), haciendas comme habitations modestes, commerces ou bâtiments administratifs étaient constitués de fondations en pierre, de murs d’adobes et d’une toiture en bois et tuiles. Le village prend de l’ampleur et en 1843 fut élevé à la catégorie de ville. Son organisation continue autour de l’église et du marché principalement, mais fut touché par un tremblement de terre le 18 juillet 1882. Pendant son mandat, de 1988 à 1994 le président Carlos Salinas de Gortaria crée le programme Solidaridad (solidarité) et passe un accord avec l’industrie bétonnière PEMEX, commençant ainsi à envoyer des tonnes de béton dans les villages mexicains. L’accoutumance à ce matériau se développe rapidement. En effet, il est peu coûteux, facile à mettre en place et considéré comme extrêmement robuste. Un second tremblement de terre, le 24 octobre 1980 touche de nouveau Oaxaca, faisant toujours plus de morts et de dégâts matériels. De nombreuses maisons en terre sont alors détruites et remplacées. La ville est plus que jamais ouverte sur l’international, l’immigration vers les Etats-Unis bat son plein. De par leur situation géographique, Mexique et EtatsUnis ont toujours eu une relation intense, les Mexicains idéalisant un mode de vie et les Américains étant à la recherche de main d’œuvre. A Huajuapan, ou plus généralement dans le pays, le schéma type est celui d’un enfant ou d’un père de famille traversant la frontière pour travailler et ensuite envoyer l’argent gagné à sa famille. Lorsqu’il revient au Mexique après un certain nombre d’années, il ramène avec lui l’idéal qu’est une grande maison en béton, délimitée par sa palissade et son jardin privatif. Cela banalise un peu plus encore la destruction des maisons vernaculaires. On note également l’installation du capitalisme dans les mentalités dès le plus jeune âge entrainant la mise en place d’un nouvel imaginaire collectif. Les modèles capitalistes et occidentaux sont pris pour exemple, ils représentent la réussite, l’objectif à atteindre dans la vie professionnelle, sociale et privée. L’arrivée d’internet amplifie le phénomène. L’éducation exclut tout dialecte qui n’est pas l’espagnol, provoquant la déscolarisation de nombreux enfants. L’enseignement en architecture n’est pas plus favorable à l’ouverture d’esprit ; l’UNAM, qui est considérée comme la plus grande université d’Amérique latine propose seulement depuis 2 ans un optionnel sur la construction en bois, toute la scolarité étant basée sur l’apprentissage de l’architecture en béton. Dans cette dévalorisation générale de l’architecture vernaculaire, mon hypothèse est que le gouvernement joue un rôle majeur de par la désinformation lors de la mise en place de programmes gouvernementaux. Le Mexique n’interdit pas la construction avec des matériaux autres que le béton. Cependant il ne la valorise pas non plus. Nous allons donc mener une analyse, une observation et une interprétation des phénomènes qui entrainent la conservation ou non du patrimoine mexicain et donc la présence physique ou symbolique de l’architecture vernaculaire dans la ville mexicaine.
Pour effectuer ce travail, je me suis rendue à Oaxaca, où j’ai rencontré l’architecte Juan José Santibañez, actif depuis le début de sa carrière dans la conservation de l’architecture vernaculaire
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par le biais de l’atelier d’architecture Arquitectos Artesanos. J’arrive quelques mois après le tremblement de terre de septembre 2017 et il me parle des projets de reconstruction. Il travaille avec son équipe dans la sierra Mixe, Mariscala, Tezoatlan et Huajuapan de Leon. Il m’apprend l’existence de la fondation Alfredo Harp Helu qui mène une œuvre philanthropique très reconnue. Ainsi, la fondation propose une aide financière importante aux familles acceptant de travailler avec l’architecte Santibañez et donc de conserver leurs maisons en adobe. J’ai donc décidé de travailler pour le projet de reconstruction à Huajuapan en parallèle de mon travail de recherche. Ainsi, j’ai suivi une dizaine de familles pendant 4 mois dans le processus de reconstruction comprenant leurs motivations quant à la conservation de leurs maisons. Cela m’a également permis d’étudier les caractéristiques de ces maisons traditionnelles. Je pense qu’il est important de comprendre le contexte historique et culturel de Huajuapan de Leon. J’ai donc développé toute une bibliographie autour d’écrits, de témoignages, de consultation des archives et des actuelles recherches archéologiques de la ville. J’ai pu rencontrer le responsable du patrimoine culturel de la Mixteca, qui travaille pour le centre de l’INAH (Institut National d’Anthropologie et d’Histoire) à Oaxaca et dont l’interview est retranscrite en annexe. En parallèle, on découvrait pourquoi les maisons s’étaient écroulées, on comprenait les stigmatisations liées à ce type de construction et donc pourquoi beaucoup d’habitants les avaient détruites au fur et à mesure. Cependant, un point restait à éclairer : pourquoi une population si fière de ses origines et traditions ne l’est-elle pas de son architecture ? Pour cela, je suis repartie à Oaxaca, à la rencontre de deux architectes impliqués dans la construction en terre. Je voulais également me renseigner sur la partie cachée, le rôle indirect du gouvernement. Je me suis rendue à Aguascalientes où j’ai rencontré Marco Aurelio Hernandez Perez (voir annexe) qui a mis en place les programmes de « techo firme » et « piso firme » ainsi que différents programmes dans l’état d’Aguascalientes. Il confirme mes hypothèses quant à la non implication du gouvernement dans la conservation du patrimoine mais soulève les nombreuses limites du sujet. En effet, dans un contexte de pauvreté et d’urgence, après le tremblement de terre, j’ai souvent eu l’impression de poser des questions hors de propos. La classe populaire mexicaine est délaissée par le gouvernement, elle ne se questionne donc pas sur la durabilité, la qualité ou encore l’esthétique de son logement mais plutôt sur l’immédiate nécessité de se reloger afin de reprendre le cours de sa vie. Nous nous intéresserons donc aux facteurs qui permettent ou non la réappropriation des maisons en adobe ? Dans un premier temps, nous analyserons les éléments qui entourent le passage du village de Huajuapan de Leon à la ville de Huajuapan de Leon, pour ensuite nous concentrer sur les éléments qui constituent l’imaginaire collectif de la ville et enfin interpréter le rôle et l’effet des institutions et des programmes gouvernementaux.
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I/ Entre tradition et modernité, passage d’un village en adobe à la ville de Huajuapan de Leon Chap 1. Les traditions ancestrales de la Mixteca
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Avant mon départ pour Huajuapan de Leon je pensais arriver dans un de ces villages pavés, aux couleurs vives et aux coutumes ancestrales. La chute fut brutale. Le village s’avère être une ville commerçante, aux devantures se chevauchant et aux façades grises. Après avoir zigzagué dans des rues toutes semblables, je suis enfin arrivée chez mon hôte. Mayra Pimentel vit ici depuis 28 ans, elle a de longs cheveux noirs et une blouse brodée. Après avoir étudié à la CDMX elle a décidé de revenir à Huajuapan. En discutant, elle m’explique que les gens du village sont obsédés par l’idée d’avoir une maison « à l’américaine » et qu’ils ne sont pas sensibles à la destruction de leurs traditions. Elle a donc décidé de travailler avec J.J. Santibanez, l’un des seuls architectes de l’état à construire en adobe. Avec des amis, elle a ouvert un site sur lequel elle partage articles et photos qui sont habituellement dissimulés avec soin. Elle fait également partie d’un groupe féministe, qui comporte une dizaine de femmes. Cette rencontre et les archives consultées au musée de Huajuapan me permettent d’une part de contextualiser historiquement la ville, soulignant que depuis des millénaires, l’adobe est utilisé comme matériau de construction et d’autre part, de comprendre les traditions de la région. Le travail communautaire par exemple organise la vie sociale des villages et donne une cohésion, une solidarité forte entre les habitants. Ces données nous permettent d’imaginer en grande partie ce que signifie être Mixteco. *** Nous marchons dans la ville pour que je parvienne à me situer dans ces rues. La ville se divise en colonies. Elle s’est développée urbainement sans suivre aucune direction précise. Nous faisons un saut dans le passé lorsque Mayra commence à me décrire les traditions passées de la culture Mixtèque. La présence des mixtecos, habitants de la Mixteca est archéologiquement située dans la Mixteca Alta : dans la vallée de Nochixtlan, la valle de Oaxaca et la valle de Tehuacan, Puebla, au nord de Huajuapan. Leur présence en régions voisines suggère qu’ils fréquentaient aussi la Mixteca Baja, bien qu’il n’y ait pas de traces archéologiques dans cette zone. La contribution fondamentale des premiers habitants à la tradition mésoaméricaine fut la culture des plantes telles que le maïs, les haricots, la courge, la tomate et peut-être le tabac. Ils utilisaient leurs mains et des meules pour travailler le maïs, la cale au moment du Nixtamal qui est une étape dans le travail du maïs. Les grains se stockaient dans des puits souterrains, durant la phase Nudée ou dans des greniers ou pièces dans la maison, durant la phase Nuiñe que nous évoquerons postérieurement. Des haches de pierre étaient utilisées pour couper les arbres et des lances pour chasser des animaux. Des récipients de céramique servaient à la préparation de la cuisine (le comal, la olla), pour servir (platos, cajetes, botellas) et pour conserver des liquides (cantaros). Quelques-uns de ces aliments forment la base alimentaire pour l’établissement, à partir de 1500 avant J.C des premières communautés villageoises permanentes. Ces villages étaient adjacents aux fleuves, profitant ainsi des terres humides où les villageois cultivaient les plantes. Cette étape est encore peu documentée dans la Mixteca Baja. Géographiquement, la Mixteca Baja est une zone montagneuse avec de petites vallées à 1500 mètres au-dessus du niveau de la mer séparées de montagne atteignant jusqu’à 1700-2000 mètres d’altitude. Le climat est semi chaud avec de la végétation cactacée, en plus des arbres de mesquite. Dans les parties hautes de la sierra il y a des forêts de chênes et de pins. La faune locale comporte différentes espèces de mammifères, oiseaux et reptiles. C’est donc depuis l’étape des villages que les prédécesseurs des mixtecos habitent dans la Mixteca Alta et la Mixteca Baja. Vient ensuite la Phase Nudée qui s’étend de 500 avant J.C à 300 après J.C. En l’an 500 avant J.C. s’établirent dans la Mixteca Baja les premières grandes communautés de la région, avec des milliers d’habitants, une architecture monumentale et différents statuts sociaux ainsi que l’utilisation de l’écriture. Le Cerro de las Minas (situé au-dessus de Huajuapan) est le meilleur
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exemple documenté grâce aux excavations archéologiques. Il existe d’autres sites tels que Diquiya, au sud et le Cerro Pachon à Tequixtepec, au nord. Les centres urbains contemporains sont Huamelulpan, Monte Negro et Yucuita, dans la Mixteca Alta et Monte Alban dans la Vallée de Oaxaca. Durant cette période, la Mixteca Baja vit un grand fleurissement culturel et l’émergence d’une culture propre distincte, la culture ñuiñe (ñuiñe signifie terre chaude, nom en mixtèque de la région Mixteca Baja). Elle se caractérise par sa céramique de pâte micacea en différentes formes, un style d’urnes, de figurines, une écriture propre, des représentations à partir de petites pierres ou céramiques de têtes humaines et l’utilisation de la technique bloque et laja en architecture. La société était stratifiée avec des gouvernants et comuneris de position intermédiaire. La richesse culturelle ñuiñe de la Mixteca Baja attire les membres de la classe gouvernante de la Mixteca Alta, qui cherche à s’allier avec les familles puissantes. Le Cerro de las Minas, jusqu’à aujourd’hui est l’unique site archéologique extensivement exploré de la Mixteca Baja, on peut donc affirmer que ce fut la communauté dominante de la Vallée de Huajuapan durant l’étape urbaine. Il est situé sur un mont en position défensive mais également proche du fertile fleuve Mixtèque, au sud. Il y eut de la concurrence entre les communautés et il y a des preuves de conflits et de décapitation des ennemis dont on utilisait les crânes comme trophées. On érigeait des constructions monumentales. Avec des blocs de pierre calcaire, des pierres de fleuve et des colonnes de basalte on construisait des murs verticaux de plateformes qui soutenaient les temples et les palaces avec des fondations de pierres et des murs d’adobe. Les sols étaient de pierre calcaire blanche moulue. Les colonnes de maçonnerie soutenaient les portiques, vraisemblablement les entrées des temples. Ils incorporaient dans plusieurs murs des pierres plates de chaux taillées et ornées de hiéroglyphes. Dans ce site il y a également des preuves de l’utilisation de pierres en chevauchement dans les angles, comparables aux rondins dans les angles d’une maison en bois. A Tequixtepec ils utilisèrent des blocs de basalte taillés avec des hiéroglyphes sur l’extérieur des plateformes. La Phase Nuiñe qui s’étend de 300 à 800 après J.C montre la présence permanente des Mixtecos dans la région de la Mixteca Baja et Alta. Après un bref temps d’abandon, de nouvelles constructions sont édifiée sur le Cerro de las Minas au-dessus des constructions de la phase Nudée. La culture matérielle était similaire dans la Mixteca Baja et la Mixteca Alta. La céramique s’élaborait avec de la pâte café et grise, les résidences étaient grandes avec des sols blancs ou rougeâtres et des murs d’adobe. Il s’agissait d’une société de type hiérarchique organisée autour de familles de haut statut dirigées par des hommes puissants. La construction type bloque et laja est différente et ils utilisaient la piedra de agua (pierre d’eau, traventina poreuse coupée en bloques pour corniches). Le talud-tablero relationné avec Teotihuacan est aussi de la phase Nuiñe. Quelques plateformes montrent des corps bâtis avec de petits escaliers flanqueda por alfardas. Les pratiques funéraires éclairent sur les rites. Quelques tombes d’élites contenaient des urnes et on en a retrouvé beaucoup de fragments près du centre de la zone centrale du Cerro de las Minas, comme si elles avaient été utilisées pour des rituels ou cérémonies pendant lesquels les habitants les rompaient et les jetaient. Les offrandes utilisées pendant les rituels ou les tombes, tout comme dans les funérailles, indiquent pour ce qui est des morts, un contexte domestique. Comme dans d’autres régions de Oaxaca, il est probable que se réalisaient des rites individuels dans des lieux sacrés comme les sources, champs de culture ou en haut des monts. La Mixteca Baja, tout comme Alta et côtière forment une aire occupée depuis les temps préhispaniques par des personnes communiquant en langue mixtèque. La Mixteca Baja était habitée par les Nuu Yata, en mixtèque gente antigua (personnes d’antan) dans des lieux comme le Cerro de las Minas, Santa Teresa, Diquiyu, etc... Dans la Mixteca Alta étaient les Nuu Sa Na’a (également la gente antigua) dans les sites de Huamelulpan, Monte Negro, Yucunama, Yucuita, etc… Beaucoup de patrons généraux de la vie quotidienne des habitants du Cerro de las Minas et de la Mixteca Baja en général, sont partagés avec d’autres groupes de Oaxaca et de
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Mésoamérique. L’unité domestique était composée d’une ou plusieurs résidences familles, probablement apparentées, occupant des résidences voisines. Les morts étaient enterrés près de la maison sous le sol, dans des puits ou des fausses (pour la majorité des gens) ou dans des tombes (pour les élites). En haut du Cerro de las Minas il y a des structures monumentales : palaces, jeu de pelota, temples, un espace ouvert qui certainement servaient de marchés et de résidences. Les pentes du Cerro, spécialement au sud-ouest, étaient terrassées et fonctionnaient comme des espaces résidentiels. L’aire d’occupation du Cerro de las Minas couvrait plus de 0,6 kilomètre carré (60 hectares). Il était probablement occupé par 1.000 à 3.000 habitants et fonctionnait comme le centre écono-politico-religieux pour les autres villages et ranches situés dans les monts environnant de la vallée. Il y a un « vide » dans la séquence chronologique du Cerro de las Minas d’environ 100 ans entre la phase Nudée et la phase Nuiñe. Cela représente une période de changements qui encore aujourd’hui n’est pas bien comprise, similaire au changement dans la Vallée de Oaxaca. Ces deux changements sont probablement en lien avec la présence teotihuacana (aztèques) à Oaxaca. Durant la période Classique la culture Nuiñe de la Mixteca Baja était le centre de la culture Mixteca et durant le Postclassique la Mixteca Alta arrive à être le centre culturel, peut-être pour des raisons environnementales, plus de pluies par exemple, ou bien pour sa position géographique plus éloignée (et indépendante ?) des grands centres de Tenochtitlan ou Cholula. La culture Nuiñe disparait l’an 800 après J.C. avec l’abandon de Monte Alban et des générations après la destruction de Teotihuacan. Ces changements ont peut-être été provoqués par une combination de facteurs écologiques et socio-politiques. Par exemple, la prolongation d’une sécheresse qui durerait deux ou trois ans aurait provoqué une pénurie d’aliments et aurait conduit au chamboulement du système politique et affaiblit l’organisation religieuse. Ayant pour conséquence l’apparition de petits règnes avec un territoire contrôlé par des gouvernants ou caciques, établissant des alliances avec d’autres villages. La période du Postclassique quant à elle s’étend de 800 à 1521 après J.C. Ce fut le temps des codes mixtèques, la céramique polychrome, les implantations dans la Mixteca Alta de Tilantongo, Chalcatongo, Apoala, Yanhuitlan et autres, ainsi que la consolidation politique de la Mixteca à charge du « lider 8 Venado, Garra de Tigre ». Dans la Mixteca Baja, le postclassique est représenté par des documents historiques et des restes archéologiques sur les sites de El Sombrerito (Huajuapan), Tecomactlahuaca, Tonola, Tequixtepec et Acatlan (Puebla). Ces peuplements sont connus pour les données ethno-historiques. Depuis l’époque préhispanique il existe des sanctuaires qui sont l’objet de cultes et pérégrinations dans toute la région. Cependant, en 1545, les Espagnols arrivent dans la Mixteca et mettent en garde contre la pratique de religions autres que le christianisme. Les sanctuaires sont alors détruits, comme le centre cérémonial de Achiutla. Les colons espagnols accusent les caciques indigènes de pratiquer l’idolâtrie et leur infligent de sévères sanctions. Actuellement, il existe encore des sanctuaires régionaux, quelques-uns liés à des traditions culturelles et d’autres autour du culte chrétien. A la limite sud de la Mixteca Alta, on trouve le Cerro Yucu Casa, qui est considéré comme le lieu d’entrée à l’inframonde. Seulement quelques prêtres sont capables d’ouvrir ce lieu dans lequel pénètre l’esprit des morts. Il existe des fêtes d’importance régionale dans lesquelles chrétienté et croyances indigènes se mélangent, comme la fête du Cristo Aparecido (Christ Apparu), célébrée le troisième dimanche de novembre dans le sanctuaire du seigneur de Tamazola, au sud de Nochixtlan. La tradition locale relate que le christ apparait sur un rocher près du fleuve. Comme dans d’autres sanctuaires régionaux, la vénération de l’image est accompagnée des rituels traditionnels. On raconte qu’au début, les dieux se rendaient sur un point élevé qui dominait la vallée d’Apoala, dans la Mixteca Alta, depuis lequel ils ont décidé de créer le rio de los Linajes (fleuve des lignées) appelé aussi Yutatnoho qu’ils firent surgir des entrailles de la terre. Son torrent servit à féconder et alimenter deux arbres denses que les dieux avaient eux-mêmes plantés sur la berge. De
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ces arbres sacrés sont nés les premiers caciques, hommes et femmes, ancêtres de la nation de la Mixteca. Les sanctuaires et les fêtes sont l’un des principaux facteurs d’articulation et de reconstitution ethnique grâce à leur caractère sacré et leur pouvoir de convocation. Les fêtes des saints patrons sont des temps forts de la vie de chaque village. Les relations de réciprocité renforcent les liens entre les communautés grâce à l’échange de biens et de services, procédé nommé la gueza. Traditionnellement la solidarité entre les villages s’exprime par la participation active, en fonction de leurs coutumes, de tous les villageois aux fêtes organisées dans chacun des villages. Tant au niveau préhispanique que contemporain une des relations sociales fondamentales de la société Mixteca est donc l’alliance. Dès que nait un individu, les parents vont établir une confraternité, par le baptême et autres cérémonies du cycle vital, qui insère l’enfant dans un réseau complet d’alliances interfamiliales qui culminent avec le mariage. Durant sa vie, un individu se voit obligé à « joindre les mots » ketna’an tnu’un, c’est-à-dire, se mettre d’accord avec un grand nombre de personne afin de se développer comme membre d’un réseau social. Pour ce qui est du sacré, les curanderos ou médecins traditionnels, dans certains endroits se dirigent vers le Dueño de la Tierra (propriétaire de la terre) Nu’un Nde’yu en mixtèque. Celui-ci est capable de retenir l’esprit de ceux qui sont effrayés et soigne en réalisant les offrandes adéquates. Les guérisseurs sont aussi divins ou guides dans les rituels, il est donc plus approprié de les considérer comme un « groupe de spécialistes dans la manipulation du sacré ». Quelques-uns soignent avec des sacrifices faits sur les pierres de l’adoration (manifestations impersonnelles du sacré, gardiens du lieu). Le médecin traditionnel est guidé par le soleil ; sa position et l’inclinaison des rayons déterminent le moment propice à la cure. Il y a donc aussi des jours favorables et d’autres non (qui doivent être respectés). Les guérisseurs distinguent par ailleurs les maladies « naturelles » des maladies « provoquées » (blessures par exemple). Pour cela, il y a des spécialistes qui savent lire les appels des bougies et ainsi déterminer l’origine du mal. Quelques-uns ont recourt aux grains de maïs pour diagnostiquer la maladie et d’autres au copal. Dans les deux cas ils étudient les formes laissées lors de la chute du copal ou de la cire des bougies. Les lieux sacrés de la Mixteca sont Apoala, qui est très visité, le fleuve Yutsa To’on (fleuve des lignées) d’où ont surgi les vieilles familles de gouverneurs, Santiago Tilantongo où est située la zone archéologique du Monte Negro et où le seigneur de Oco Nana (vingt tigres) eut son siège. Sur la côte, entre Zacatepec et Ixtayutla se situe le Cerro de la Campana où divers villages viennent demander les pluies à Nu’un Davi ou bien la santé à Nu’un Tajna. Au sud de Nochixtlan, le principal sanctuaire est celui du Seigneur de Tamazola dont la vénération inclut des rituels magiques dans une roche et des demandes dans les grottes voisines. Les mixtecos représentent le second groupe plus nombreux de Oaxaca. En 1995, lors de l’estimation de population, ont été enregistrés 395.263 mixtecos dans le pays, dont 231.346 vivent à Oaxaca. Dans les trois zones (Mixteca Alta, Baja et la côte) il existe une grande variété de dialectes, ce qui rend difficile la communication entre elles. Il y a 7 mille tacuates (peuples indigènes) jusqu’à la côte (Zacatepec et Ixtayutla). Ils parlent une variante du mixtèque, ils sont donc considérés comme mixtèques mais ont une organisation et une culture différentes. La vie politique dans les communautés indigènes de la Mixteca, comme dans le reste de Oaxaca, était organisée selon le « système de charges ». Ce système implique l’obligation pour tous les hommes, depuis leur jeunesse jusqu’à la vieillesse, de prêter un service journalier gratuit à leur communauté, occupant ainsi un poste dans la hiérarchie de l’organisation municipale de son village. Actuellement, de nombreuses populations n’utilisent plus ce système car l’immigration rend difficile l’accomplissement de tous les degrés de la hiérarchie. Cependant, dans la majorité des localités il est encore obligatoire de réaliser les charges et l’élection des autorités continue à être réalisée au travers de l’assemblé communautaire. L’assemblée communautaire est l’un des axes fondamentaux qui régit la vie actuelle des villages indigènes de la Mixteca. Grâce à elle, tous les intégrants se
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connaissent. Aux réunions assistent tous les chefs de famille, hommes et femmes, et de vive voix tous délibèrent sur les affaires du village jusqu’à arriver à un accord. Cette assemblée est pour sûr la plus forte autorité indigène. La vie familiale et la vie communautaire ne sont pas très éloignées l’une de l’autre, toutes deux basées sur les mêmes principes de réciprocité. Ce qui définit l’adhésion communautaire est le principe de la participation à la vie collective : réaliser diverses tâches, charges et cérémonies publiques. Les travaux sont collectifs et obligatoires, comme ceux qui consistent à construire une école ou réparer l’église, semer et récolter le champ. *** La terre chaude, Mixteca Baja a vu naitre au travers du rio de los Linajes le peuple des Mixtecos. Avec le temps le contexte socio-économico-politique et architectural évolue en fonction du climat et des conquêtes et s’enrichit toujours plus avec la création de nouveaux outils et organisations spatiales. Aujourd’hui quelques-uns de ces savoirs faire se font rares comme la médecine traditionnelle guidée par l’inclinaison des rayons du soleil. Au contraire, des éléments comme les techniques ancestrales de construction ou de cuisine sont encore utilisés. Il est important de s’immerger et de connaitre le passé de la Mixteca pour en comprendre les particularités. Il faut également souligner le caractère ancestral de l’utilisation de l’adobe. Le temps a opéré mais des maisons en adobe sont présentes dans la ville de Huajuapan et nous allons découvrir leurs habitants.
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Figure 1 : Photographie personnelle du cerro de las Minas. 2018. Etat actuel des excavations archéologiques.
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Figure 2 : Photographie personnelle de blocs d’adobe. 2018. Blocs d’adobe en train de sécher avant leur mise en place dans une construction.
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Chap 2. Délaissement des savoir-faire lors de l’organisation sociétale et spatiale
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Grâce au travail effectué avec l’architecte J.J. j’ai l’opportunité de me rendre chez sept familles différentes afin de réaliser les relevés de leurs maisons. J’en profite pour échanger avec les habitants, leurs poser des questions sur leurs maisons et souvenirs dans la ville. Au 66 rue de Morelos, deux sœurs vivent dans la maison avec leur famille. L’une d’elle a quatre-vingt-sept, elle est aveugle mais se rappelle du nom de chaque rue, chaque maison et des familles y aillant habité. Elle me raconte la façon dont le village s’est agrandi et comment finalement plus personne ne se connait. Dans une autre maison, je rencontre Doña Lucila Castro Martinez, elle est propriétaire d’une maison construite au moment de la conquête espagnole. Elle y a grandi et se souvient surtout des meubles et peintures qui décoraient la maison. Elle raconte comment l’espace s’est transformé à la naissance de ses petits-enfants, pour convenir à deux familles, sans jamais diviser la maison. Le livre de Procopio Martinez Vasquez intitulé Relatos y Vivencias de Huajuapan : Acatlima, el Barrio de Guadalupu y la region triqui nous permet quant à lui de retracer l’évolution du village de Huajuapan jusqu’à son statut de ville aujourd’hui. Nous allons étudier grâce aux entretiens, observations et écrits les différents facteurs qui ont mené à cette transformation. *** « Et plus loin, les jeunes scellèrent leur vie, ils sentirent la terre, la nôtre, celle qui vibre et chante, qui fut retournée et moulée au sol pour créer un foyer » Maria Isable. Es Como vivir afuera
Au 66 rue de Morelos, deux sœurs partagent la même maison avec leur famille. Lors de nos échanges, je les questionne sur la croissance du village. Leur discours est entrecoupé par le récit des nombreuses disputes qui ont eu lieu avec leur voisin à cause d’un mur mitoyen. Elles se souviennent que le village comportait seulement quelques maisons, se déployant entre le marché et l’église. Tout était en adobe. Leur père a acheté leur maison avant leur naissance, elles la datent donc à environ un siècle. Elles m’expliquent que lors de la construction des chambres et pièces, les artisans venaient fabriquer l’adobe directement dans leur jardin. Tout le monde savait comment les blocs de terre se fabriquaient. Je suis allée au musée de Huajuapan de Leon, le MureH afin de compléter ces informations quant à l’évolution du village et il s’avère que l’on ne connait pas l’époque exacte à laquelle a été fondé le village de Huajuapan ; il n’existe pas de documents précis. Traditionnellement, on raconte qu’en haut du Cerro de la Soledad, qui se trouve à l’est, se trouvait un village appelé Guaxapa et que sur la colline de la ferme d’Acatlima qui se trouvait à l’ouest il y avait un autre village qui s’appelait San Andrés Acatlima. Entre ces deux villages, une plaine avec beaucoup d’arbres de mesquite et au milieu de la plaine, en coupant du nord à l’est, passait le chemin qui allait de Puebla à Oaxaca. Les vols étant nombreux dans la plaine, le gouvernement du vice-roi espagnol, ordonna aux villages de Guaxapa et San Andrés Acatlima de descendre de leurs collines pour former un village à eux deux qui porterait le nom de Huajuapan et que les Indiens de cette époque appelèrent dans leur langue : Ñudée. De cette façon les vols prirent fin. Les nouveaux occupants, en s’installant construisent leurs maisons de façon traditionnelle. On sait que les habitants ont utilisé des pierres du Cerro de las minas, site archéologique évoqué précédemment pour construire les fondations de leurs maisons. Par la suite, les activités commerciales de Huajuapan ont permis l’entrée dans la Mixteca de tissus importés, vêtements, peaux, métaux qui provenaient de Mexico et Puebla. L’importance commerciale et militaire de Huajuapan l’a converti en scène de multiples invasions, sièges et batailles durant tout le 19ème siècle. Par exemple, le 5 avril de 1812, les habitants furent confrontés à une guerre qu’ils gagnèrent après 111 jours de bataille, le 23 juillet 1812 avec l’aide du général Trujano et Remigio Sarabia.
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Guerre de 111 jours et invasion française Le général Remigio Sarabia, nommé Indio de Nuyoo aida activement les insurgés (insurgentes, ceux qui ont lutté pour l’indépendance de Mexico) pendant la bataille. Ce fut lui qui reçut la mission d’aller à la recherche du général Morelos pour l’informer de la difficile position des assiégés. Profitant de la pénombre nocturne, il réussit à passer entre les lignes ennemies. Comme convenu, il lança dans les airs quelques explosifs pour prévenir qu’il avait atteint son objectif et qu’il allait à la rencontre de Morelos. Finalement, l’Indio de Nuyoo put donner le message au général qui arriva au secours des assiégés, détournant et obligeant les realistas (realistas,) à reculer. Une statue en son honneur a été érigée à l’entrée de Huajuapan et le 23 juillet 1812 vient marquer une date civile-religieuse que conserve et célèbre la population de Huajuapan. Pendant l’invasion française, de 1862 à 1867, participèrent de nombreux Mixtecos et Huajuapeños. Parmi eux se trouvaient Casimiro Ramirez et le capitaine Tomas Inocencio Herrera, dont les corps reposent à la cathédrale de Huajuapan. Une sculpture centenaire d’un Christ miraculeux, appelé le Señor de los Corazones est positionnée au cœur de Huajuapan. On ne connait pas l’origine de cette image sacrée mais dès avant 1647 on entend parler d’elle.
C’est le 10 juin 1843 que le village fut élevé à la catégorie de village avec le titre Villa de Huajuapa de Leon en l’honneur du général Antonio de Leon. Le 17 octobre 1884, Huajuapan obtient le titre de ville. Le kiosque situé au centre du zocalo (équivalent de la place principale dans les villes mexicaines) fut nommé « Carmen Romero Rudio de diaz » en hommage à l’épouse du président de la République Porfirio Diaz, le 2 avril 1902. Porfirio Diaz dirigea le pays de 1876 à 1911. Cette place conserva toujours sa situation originale, à côté de l’église et le kiosque fut réhabilité en 1990. En 2004 la place fait partie de l’héritage culturel du MUREH grâce à la donation de Leyva Martinez pour sa conservation. Durant la célébration du sixième anniversaire du Musée Régional de Huajuapan, le 19 janvier 2005, la plaque est placée dans la salle d’histoire du musée comme témoignage historique. L’architecte Gildardo Guerrero Sanchez dessina l’armoirie de Huajuapan dans lequel on lit un hommage aux héros anonymes, une dévotion au seigneur de los Corazones, des canons représentant les attaques et des éléments de la culture mixtèque. Le 8 septembre 1997, elle fut reconnue comme « Heroica Ciudad de Huajuapan de Leon » avec une écriture correcte, avec un « n » au final. En croisant ces données historiques avec le livre Relatos y vivencias de Huajuapan : Acatlima, el Barrio de Guadalupe y la region triqui de Procopio Martinez Vasquez on peut reconstituer plus ou moins précisément l’étalement urbain de Huajuapan. En effet, l’auteur est originaire de Acatlima, village qui existe depuis les années 1400. Il y naît le 8 juillet 1919. L’école n’étant pas obligatoire, il n’apprend que tardivement à lire et à écrire. Il passe son enfance dans les champs, à garder les animaux. Il se souvient des pierres, des os humains, des ustensiles et des figurines qu’il retrouvait dans les terrains autour du village. Il se rendra compte plus tard de l’importance historique de ces éléments et déplore de nombreuses fois dans son récit l’utilisation de ces pierres ou objets pour la construction de temples et d’haciendas ou encore la vente.2 Il décrit également la beauté de la végétation. Acatlima venant du nahuatl Agua sobre las canas o mano de cana. Eau qui descendant jusqu’à Huajuapan grâce à un aqueduc en pierre se fait de plus en plus 2
Anecdote de Procopio : « Je me rappelle qu’au temps des semailles, nous regroupions toutes les poules dans les patios, à l’ombre d’un arbre et nous leurs mettions de l’eau dans des pots que nous trouvions au sol, aujourd’hui nous savons combien signifient de tels objets mais notre ignorance était grande » p.16 de Relatos y vivencias de Huajuapan : Acatlima, el Barrio de Guadalupe y la region triqui
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rare, la rivière de Huajuapan est elle aussi minime. Plus tard j’apprendrai que le système de drainage a été mal conçu et qu’aujourd’hui l’eau est puisée directement dans les nappes phréatiques. Entre 1918 et 1941 les haciendas de Santa Teresa (production de cana), de Carmen de los Abascal, La era, San francisco Yosocuta, Luz Nagore et a Acatlima de Mercedes Flores tenues par des espagnols s’étaient établies, provoquant un mouvement économique important. Acatlima à partir de la moitié du XIXème siècle est un village formé des ouvriers agricoles et éleveurs de l’hacienda volante. Dona Pelegia est la propriétaire de l’une de ces haciendas et représente jusqu’à la moitié du XXème siècle l’autorité (ce n’est qu’ensuite qu’un système de police est mis en place). L’auteur parle régulièrement de travail mal rémunéré, ce qui appauvrit le pays et provoque en partie la révolution mexicaine de 1910. En 1920, les Espagnols continuent à exercer un pouvoir important sur les natifs. Le président Alvaro Obregon y Calles est au pouvoir mais l’auteur parle de temps comparable à la colonisation. Par exemple, lorsque les habitants essayaient de récupérer des terrains pour être indépendants ou élever des animaux, les propriétaires de l’hacienda leurs disaient « vends-le moi ou sors-le de mon terrain ». Il était donc impossible pour eux d’obtenir la moindre indépendance.
Haciendas volantes L’auteur évoque les haciendas volantes, un type d’haciendas très répandues sur la route de la côte de Oaxaca et Guerrero menant jusqu’à Puebla. Ces haciendas, tenues par les Espagnols, servaient à recevoir le bétail de différentes espèces, pour qu’il se repose et soit surveillé, avant d’être conduit dans les villes pour sa vente ou être livré. A la fin du 18 ème siècle, une hacienda de ce type s’installe à Huajuapan, au centre de la ville. En plus de sa fonction de réception du bétail, il y était cultivé la canne à sucre, le sucre, le maïs, le haricot, la luzerne et de l’anis sur des terrains à perte de vue.
On note également l’exploitation des traditions ancestrales par les Espagnols, pour le commerce. En effet, les propriétaires des haciendas s’approprient le savoir-faire de la production de la chaux. Traditionnellement, la cale est obtenue d’une pierre blanche chauffée dans des fours, elle sert ensuite de finition pour un mur par exemple. Les propriétaires emploient donc les natifs pour la production et commercialisent la cale à des prix élevés. L’auteur parle de la loi de la houe todo pa’ca, nada pa’ll (littéralement tout par ici, rien par là-bas). Les ouvriers exercent un travail à la chaine quasiment pas rémunéré. Parfois en échange de leur travail on leur donne de la nourriture ou des objets et parfois rien. Procopio évoque ensuite la façon dont les terres ont été réparties. Premièrement, il parle d’une compagnie française qui exploitait le plomb, l’or et l’argent dans la région avec pour main d’œuvre les natifs, entrainant maladies et morts. A cause de nombreux impôts impayés l’entreprise est abandonnée provoquant une vague de pertes d’emplois importante dans le pays. Une fois encore, l’auteur ne comprend pas comment le gouvernement peut permettre à une entreprise étrangère de s’installer, d’exploiter, faire du profit puis repartir. Ce phénomène étant malheureusement encore très répandu. Par la suite, au XXème siècle Marino Pacheco, un homme réputé pour gagner bien sa vie et Vicente Raminez appelé aussi Chente Barranca fondent, accompagnés de nombreuses personnes de la région un mouvement syndical appelé la ligue de comunidades agrarias. Ils s’opposent d’après l’auteur, directement à la religion et à la droite en faveur des gens du peuple. Cela a lieu pendant le cardenismo, entre 1930 et 1940, lorsque le président Lanzaro Cardenas est au pouvoir. Cardenas lance une réforme agraire qui consiste à exproprier de grands domaines et à les distribuer à de petits exploitants dans des exploitations collectives (ce don de terre s’appelle ejido). Acatlima est
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« administrativement » résumé aux terrains de l’hacienda. Le village entre donc en processus de séparation. En ce temps, les avecindados (voisins des terres d’Acatlima) souhaitent créer de nouvelles catégories politiques. Pour cela, ils s’organisent en groupes qui sollicitent les terres de l’hacienda et des terres non cultivées de Huajuapan. Ils s’appuient sur la réforme de Cardenas qui leur donne ces terres sous la figure juridique de ejido. On voit alors apparaitre autour de Huajuapan des domaines comme l’agencia del Molino jusqu’à l’agencia d’Aclatima qui appartiennent aux ejidatarios (personnes qui deviennent les propriétaires des terres ejidales). La réforme consistant normalement à partager les terres, les richesses entre les plus démunis, leurs permettant de cultiver leurs propres terres a subi de nombreux abus. L’auteur nous en cite deux exemples. Le premier concerne un terrain appartenant à Acatlima, situé entre le village et la ferme Solano : il est donné à un pasteur évangélique qui emmène avec lui une trentaine de personnes de sa famille qui avaient été expulsées de Guadalupe de Morelos à cause de conflits religieux. Ces personnes forment alors une nouvelle colonie appelée Buena Vista. Il nous parle ensuite de Severino Raminez Lopez, qui grâce à la réforme obtient des terres et les partage entre sa famille et des amis. Par la suite, les nouveaux venus entament un processus de séparation d’une portion de terrain d’Acatlima pour y créer un ensemble universitaire autonome à Acatlima. Cela provoque de nombreux conflits entre le nouveau groupe de personne, les autorités et les habitants originaires qui redoutent de perdre l’unité de la communauté. Sur les terres ejidales apparaissent les institutions de l’UTM et COBAO. Ce que l’auteur reproche surtout c’est l’appropriation de ressources naturelles telles que les puits et les cascades qui faisaient auparavant la joie des habitants du village et qui sont maintenant considérés comme des terrains privés délimités physiquement. Jusqu’en 1960 les colonies n’existent pas. La ville est divisée en quartiers dont les premiers sont San José, Santa Cruz, San Antonio, la Merced, Esquipulas, San Isidro et Guadalupe. Tout autour la majorité des terres sont cultivées. On sait que depuis l’installation des Mixtecos dans la région, l’architecture est d’adobe, adobe qui se constitue de terre, de paille et d’eau. Cependant, on ne connait pas tous ces éléments représentatifs. On considère donc que l’architecture vernaculaire de ces villages est un mélange entre l’architecture vernaculaire et l’architecture espagnole qui avec le temps devient l’architecture traditionnelle de la région. Doña Lucila Castro Martinez, sa fille et sa petite fille, vivent dans une maison en adobe située au 15 rue de Reforma. Leur maison date de la colonisation espagnole, au 16ème siècle. Elles se souviennent des meubles en bois, des tapisseries et des miroirs, cadres, poupées dont la valeur sentimentale et historique est inestimable. On sait que Huajuapan de Leon est localisé à une hauteur de 1588 m au-dessus du niveau de la mer. La région est donc propice à l’élaboration du barro, matière première pour la fabrication de l’adobe. De plus, le fleuve Mixteco apporte l’humidité nécessaire à la pousse du carrizo, bambou utilisé pour les toitures. Les Espagnols ont donc suivi l’exemple des habitants originaires lors de la construction de leurs habitations. La maison de Lucila est sur un terrain de 24,15 mètres par 32,20 mètres sans compter un terrain vague qui se situe dans le prolongement de la maison et qui lui appartient également. La partie basse du mur de la maison est faite de pierres reliées entre elles par de la calle sur lequel repose le mur d’adobe dont l’isolement est fait de briques rouges. La toiture a deux pans, l’un dirigé vers la rue et l’autre vers le patio intérieur. Une première couche de lamelles de bois est posée sur une armature en bois, puis recouverte de carrizo et de tuiles, faites par les habitants. La maison forme un « U » presque parfait, des parties en béton, comme la salle de bain, ont été rajoutées. Le corridor est un espace ouvert qui dessert toutes les pièces de la maison et qui entoure le patio, dans lequel se situe un jardin, un puits, un chemin et de nombreux arbres et fleurs. Dans cet espace, la toiture est soutenue par des colonnes. Historiquement, on sait que dans la Mixteca,
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la cuisine nommée la « cuisine de fumée » est située hors de la maison, les murs sont de carrizo renforcés aux angles par des arbres de la région et anciennement recouverts de paille3. Procopio explique que les colonies se sont formées grâce aux habitants. En effet, pour la colonie Tepeyac dans laquelle il vit, les habitants d’une même rue se réunissent et sous tutelle du municipio organisent et financent le tracé des rues, l’aplanissement des terrains, le drainage, les arrivées d’eau et les matériaux nécessaires au pavage de la rue. Des responsables sont nommés pour surveiller l’avancée des travaux. On parle « d’organisation vicinale » qui s’articule autour d’un temple de religion chrétienne. De cette organisation découle l’organisation administrative, politique et religieuse de chaque quartier. On comprend que pour les personnes de la génération de Procopio qui n’ont pas eu accès à l’école, religion et politique sont les seuls moyens de « s’éduquer ». Par ailleurs, religion et politique sont mélangées, un exemple pertinent est le défilé organisé pour le saint du quartier durant lequel offrandes et statues sont aux côtés des banderoles du parti politique. C’est en 1962 que les habitants les plus impliqués fondent l’association Guadalupana de trabajadores Guadalupanos (association Guadalupana des travailleurs Guadalupanos) dans laquelle sont planifiés les services publics et religieux. Les services publics et récréatifs viendront plus tardivement. En 40 ans, 40 colonies sont créées. Il n’existe pas de planification urbaine autre que celle décidée par les habitants et les nouveaux venus. Les terres agricoles sont peu à peu urbanisées et le fleuve Mixteco est quasiment asséché. *** Huajuapan de Leon né de Guaxapa et San Andrés Acatlima voit son économie fleurir lors de la colonisation. L’établissement des Espagnols entraine en effet une activé économique importante. L’organisation spatiale des villages pouvait se résumer au 16 ème siècle à l’hacienda entourée des maisons des travailleurs. En s’établissant, les Espagnols s’approprient des techniques locales comme la fabrication de la cale. L’exploitation des natifs et de leurs savoirs entrainera en 1910 la révolution mexicaine et une prise de conscience des habitants qui se mobilisent pour devenir indépendants. Les natifs s’organisent et participent aux mouvement politiques et sociaux se détournant des savoirs faire ancestraux. La priorité n’est pas l’architecture. Ils urbanisent peu à peu Huajuapan de Leon en construisant eux-mêmes leurs logements en adobe. Huajuapan est attrayant grâce à sa position géographique qui lui confère une position commerciale stratégique. Comme le 17 octobre 1884, Huajuapan obtient le titre de ville, de plus en plus de personnes viennent s’y installer. Les ejidos fractionnent les espaces et privatisent de nombreuses ressources telles que l’eau qui actuellement manque à Huajuapan. Ensuite, des groupes citoyens se forment, l’organisation vicinale permet la mise en place des colonies. La ville s’urbanise alors rapidement sans suivre de plan précis, dévorant les terres agricoles et ne respectant que peu les principes constructifs.
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DE LEO Andrés. Catalogo de Arquitectura vernacula de Oaxaca. (Catalogue d’architecture vernaculaire de Oaxaca). Secretaria de las Culturas y Artes de Oaxaca. 2015. Disponible sur : www.culturasyartes.oaxaca.gob.mx
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Figure 3 : Carte 699, XVIIIème siècle, 1753. Provient de Qyuatlalpan et Zapatlan à Huajuapan et se trouve actuellement au mureH. La carte représente l’orographie et les quartiers proche de Huajuapan de Leon et Huajolotitlan. On note la présence de l’église à Huajuapan et les quelques maisons qui l’entourent ainsi que l’installation du village sur une zone plane afin d’assurer le contrôle des habitants.
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Figure 4 : Photographie personnelle prise dans une maison en adobe à Huajuapan. 2018. On observe à gauche et à droite les colonnes qui supportent la toiture. On note également les modifications apportées par les habitants avec l’installation d’une paroi vitrée.
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Chap 3. Lorsque technicité et sciences suivent la mode
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Les personnes que j’ai rencontrées jusqu’alors sont toutes attachées à leur maison et fières de leurs traditions. Elles ne représentent pourtant qu’une minorité, conclusion tirée de l’image que renvoie Huajuapan. Je décide donc de me rendre à Oaxaca, capitale de l’Etat du même nom, afin d’y rencontrer Marcos Sanchez. Il est architecte, spécialiste en systèmes constructifs, directeur et Co fondateur de Eco Constructores Oaxaca. C’est le second représentant d’un atelier d’architecture consacré à l’adobe que je rencontre. Je souhaite lui faire part de mes interrogations : pourquoi les habitants de Oaxaca ressentent tant de honte quant à l’adobe ? Le gouvernement a-t-il un rôle important à jouer ? Dans sa réponse il met en avant une « contamination culturelle très grande » et une éducation par la télévision. Il parle également d’une certaine mode dans l’écologie, touchant ainsi un nombre réduit d’habitants. Pour lui le rapport à la terre a été biaisé par la perte des savoirfaire qui ont entrainé maladies (mal de chagas) et destructions, ainsi que la perte de confiance des habitants. Pour ce qui est du gouvernement, il pense simplement qu’il n’interdit pas la construction en terre mais qu’il ne la valorise pas non plus. Il pense que le hic a lieu du côté universitaire, dans l’absence de preuves scientifiques quant aux qualités du matériau. *** Je retrouve Marcos à Oaxaca, capitale de l’Etat du même nom, à l’extérieur d’un café. Il m’explique son parcours : il a étudié l’architecture et en terminant a voyagé dans la Mixteca pour se familiariser avec la terre. De là il a commencé à voyager de plus en plus loin, découvrant de nombreuses techniques et communautés. Lorsqu’il s’est arrêté il avait voyagé pendant 10 ans. En 2002, quand il revient à Oaxaca, c’est le tremblement de terre de 1999 qui avait affecté la vallée et les montagnes de Oaxaca. Il y a des centaines de maisons en adobe qui se sont écroulées. Le gouvernement le paye pour mener des recherches et proposer un prototype qui peut remplacer les maisons endommagées ce qui lui permet de travailler tout en voyageant. Je m’empresse de lui demander la raison pour laquelle les maisons se sont écroulées. Il me répond en m’expliquant comment ces maisons sont construites : elles sont de différentes tailles, largeur et longueur car le bois peut être coupé de 5 à 6 mètres mais aussi jusqu’à 10, 15 mètres mais qu’il y a beaucoup d’erreurs constructives. Le contrefort génère une constante structurelle, il y a un calcul qui en fonction de l’épaisseur des murs permet de connaitre la taille de l’adobe. C’est basique pour construire, la formule a une logique, surtout en zone sismique. Toutes les maisons avaient un toit en lames métalliques ou de carton. Cependant, la maison en terre vernaculaire a une fondation en pierres de la région, qui, quand tu la romps est droite. Cela empêche la friction qu’il y a entre deux pierres rondes qui sont d’ailleurs interdites d’utilisation à Oaxaca pour construire des fondations. La construction des murs nécessite plus que le mélange « terre eau », il faut choisir une bonne terre, adaptée. Il m’affirme que les anciens avaient ce savoir, qu’ils unissaient dans ces maisons les 4 éléments de la planète, la terre, l’eau, le feu et l’air. Ils savaient lire la terre, la sentir, savoir comment elle allait réagir une fois en contact avec ces éléments. Malheureusement, cette culture vernaculaire est en train d’être sauvée mais pour être vendue et utilisée dans un autre contexte, nous y reviendrons. On positionne ensuite du bois au niveau des portes et des fenêtres, à des points précis car culturellement, la porte et la fenêtre se situent en fonction du soleil. Il ajoute : « mais ça, très peu de personnes le savent encore ». Le toit quant à lui est de bois de la région, de différents types, durs sur la côte, plus fibreux en montagne. A Zacateca, il a vu des toitures fabriquées avec l’épine de pins d’environ 20 à 30cm avec laquelle les habitants arrivaient à faire des toitures immenses. Maintenant il n’y en a presque plus, peut-être dans la Mixteca ou la Sierra Sur. Pour une maison vernaculaire la structure du dessus est importante. En zone sismique, des générations et générations de personnes au sein des communautés ont vu leurs maisons tomber, ils ont dû les reconstruire, chaque fois avec des murs plus larges jusqu’à trouver la bonne proportion. Il souligne l’importance d’arriver dans un village et de ne pas se fier à ces acquis mais d’apprendre à connaitre
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l’environnement proche car ce sont des communautés présentes depuis des centaines d’années. Tout ce que l’on voit en communauté, c’est du savoir générationnel, empirique. L’équipe de Marcos a donc appris que les toitures en lames ne sont pas assez lourdes, les murs ont besoin du poids des tuiles, c’est un couvercle et un système de proportions entre épaisseur des murs et poids de la toiture. En échangeant les tuiles par des lames, plus rapides de pose et moins chères, les habitants ont rompu l’équilibre structurel et thermique. En effet, les poutres assemblées au bambou, à la terre et à la tuile donnent un environnement thermique idéal. Il y avait d’autres failles mais celle-ci fut la principale. Mon hypothèse de base étant que le gouvernement y est pour beaucoup quant à la non conservation de l’adobe dans les villes je l’oriente sur cette piste dans mes questions. Il commence en m’expliquant qu’il y a différents gouvernements au Mexique : le fédéral, celui des états et des municipios. Les deux premiers sont responsables du municipio et lui versent de l’argent. Le municipio est quant à lui responsable de ses agences et ranches. Chaque municipio a un recours annuel, fonds qui lui permet de développer le village en faisant passer l’électricité, l’eau courante, etc. Il souligne de nombreuses fois durant l’entretien que le gouvernement n’empêche pas la construction en terre mais ne la favorise pas non plus. En effet, construire avec les matériaux disponibles aux alentours des villages est évidemment plus rentable que de faire venir des matières premières lointaines. A Oaxaca, le béton vient de Puebla ou Monterrey. Chiapas est également un producteur mais il envoie son béton à Tabasco et Veracruz. Malheureusement le gouvernement municipal reste silencieux visà-vis de la construction en terre et « ne pas en parler c’est l’éloigner. Ils n’en font pas la promotion, ils ne la défendent pas. » Le règlement constructif est un règlement excluant pour les communautés et leurs techniques constructives. Heureusement, Marcos est conscient de vivre dans un pays évasif : « quand le règlement ne parle pas de quelque chose, alors c’est qu’on peut le faire. » Au contraire de pays d’Amérique latine comme le Chili, le Brésil, l’Argentine ou encore Puerto Rico qui ont interdit la construction en terre à cause du « mal de chagas ». Les chagas sont des insectes qui dans les années 60 obligent beaucoup de gouvernements à interdire la construction en terre. Culturellement, les gens l’ont donc associé à quelque chose de malsain et ont construit en briques et ciment alors qu’il y avait des solutions. En effet, ces insectes cherchent la terre et se nourrissent de sang en injectant un virus qui condamne à mort dans les 10 ans. Pourtant, il suffit d’aplanir l’adobe qu’il faut ensuite peindre de couleurs claires, en blanc avec de la cale par exemple. Ainsi aucun de ces insectes (puces, scorpions) ne pourra plus trouver de trous pour y vivre et sera éloigné par la luminosité. Seulement, durant cette période, l’organisation de la santé a interdit quasiment toute la construction en terre au lieu de chercher des solutions, par mesure de précaution. Créer un espace hermétique aurait pourtant était une bonne solution. Les politiques gouvernementales évoluent au fur et à mesure mais lentement. L’architecte pense qu’il serait plus intelligent que les entreprises elles-mêmes soient amicales avec le milieu environnemental plutôt que de faire payer des sanctions pour limiter le gaspillage. La construction étant présente dans toute l’industrie mondiale, des structures au mobilier, elle puise ses matières premières dans tous les types de ressources planétaires. C’est selon lui dans ce domaine que l’on consomme et pollue le plus. Un point important est alors souligné lorsqu’il insiste sur le fait que : « les lignes artisanales actuelles sont plus chères mais plus durables, elles ont une vie plus longue » en comparaison à une table en plastique, qui comme le béton a une courbe de vie intégrée. Il continue en disant : « personne ou peu de gens le savent mais une construction en béton, en fonction de comment et d’où elle est construite a une durée de vie de 80 ans maximum alors que la terre tient des centaines d’années. Le gouvernement ne l’acceptera pas jusqu’à ce que cela lui convienne, jusqu’à ce qu’il soit responsable. » Il faut donc réussir à intégrer une économie logique à l’état de Oaxaca. Par exemple, nombre de personnes doivent conduire 9,
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10, 15 heures avant de pouvoir acheter des matériaux de construction. La route qui mène à Huajuapan est récente et sa liaison avec Oaxaca est relativement nouvelle. Une solution serait de construire avec des matériaux propres à chaque village et profiter de ces nouvelles routes pour promouvoir l’échange entre les villages de bien artisanaux, plus durables. Permettant de plus la mise en place d’une stratégie permettant la conservation et la valorisation des savoirs-faire ainsi que le développement d’une économie locale indépendante de l’économie nationale. Pour lui, tout ce qui touche au « développement durable » est relativement nouveau à Mexico, entre 5 et 10 ans à peine. Dans les villages mexicains cela fait pourtant des siècles que la population vivait en autonomie. Au Mexique et particulièrement à Oaxaca il y a une contamination culturelle très grande, le béton est considéré comme le meilleur matériau. On ne peut pas le reprocher aux habitants. Certains villages commencent à peine à s’ouvrir, ils reçoivent des sodas, du coca, de la nourriture et comme vu précédemment, des routes sont créées. Il y a encore quelques années ces villages étaient totalement indépendants, ils produisaient leur nourriture et leurs constructions. De son point de vu, maintenant au lieu d’améliorer il pense que l’on appauvrit ces villages alors que la majorité des personnes le voit comme une évolution positive. Il commence cette réflexion dans les années 80 à la fin de ses études. En tant qu’atelier ils ont commencé en 2009 et pendant une dizaine d’années ils n’avaient absolument aucun client. Puis, petit à petit ils ont commencé à entendre parler d’écologie, de permaculture, de durabilité, c’est finalement devenu à la mode et les gens ont commencé à voir la terre différemment. Pour ce qui est de l’éducation et la culture, le gouvernement de Oaxaca, à l’échelle du pays, est l’état avec la plus forte identité culturelle, il défend en partie langues, traditions, danses et vêtements. Cependant, même ainsi durant les 90’s, il me confie que quasiment toute cette culture est effacée. Lorsque je lui demande pourquoi il me répond : « On vient au monde connecté avec quelque chose, pour moi c’est la terre, j’aime la travailler, c’est ma fascination et de là je fais de l’architecture. Je me rappelle que tout le monde disait que c’était d’avant, qu’on ne pourrait jamais la réutiliser comme matériau de construction. » J’en conclus que les personnes ayant cette relation à la terre sont très rares. L’éloignement entre des habitants avec leurs traditions dans beaucoup de villages se traduit par une architecture qui n’a rien à voir avec la façon de vivre des habitants, leur culture, leur économie ou encore leurs matériaux. Ce qui contraste entre Oaxaca et sa réputation de ville culturelle. Il souligne ensuite le phénomène de migration avec ceux qui vont aux Etats-Unis pour travailler ou les jeunes qui vont étudier en ville et qui, revenant dans leurs villages les trouvent dépassés. Jusque dans la musique, certains évoquent ces maisons et en parlent comme synonymes de pauvreté. Il y a donc beaucoup de facteurs et « ce n’est donc pas bizarre que les gens ne l’apprécient pas. Je te raconte le côté négatif mais le positif c’est que grâce à internet, les gens qui se sont intéressés à la terre sont enfin découverts. » Les gens sont sensibilisés, et redécouvrent un système constructif plus durable, plus sain au contraire du plastique qui les empoisonne. Ils se rendent compte que leur santé dépend d’où ils vivent et ils découvrent où on est le mieux : « une maison en terre, c’est le meilleur espace ».Ce n’est donc pas que la tradition architecturale qu’il est souhaitable de récupérer mais la tradition ancienne globale : bien manger, « s’habiller de façon saine » dit-il en me montrant sa chemise en lin, consommer des aliments locaux, plus conscients à une échelle plus humaine. En 2009 le plan d’étude universitaire est modifié afin de s’intéresser à d’autres types de constructions que la construction en béton. Aujourd’hui ils sont une trentaine au Mexique à s’intéresser à la construction en terre et la moitié seulement sont architectes. Les autres sont spécialisés dans des domaines variés : ils sont, constructeurs ou chercheurs. Aujourd’hui, le gouvernement n’interdit pas l’architecture en terre mais il n’appuie pas non plus et n’encourage pas à recourir à des matériaux locaux. Pour cela le gouvernement devrait former des chercheurs, donner des fonds aux universités pour avoir l’appui, la confirmation scientifique, au niveau des laboratoires
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que la terre est utilisable en tant que matériel de construction. Il y a beaucoup de facteurs calculables, de formules de résistance à l’érosion, etc… qui existent mais selon Marco tout a été fait pour que les facteurs soient tellement négatifs que la terre ne passe pas aux contrôles. On se trouve donc avec des facteurs positifs pour le béton alors que le résultat est négatif pour la terre. Il ajoute : « On ne peut pas nier que Mexico est à la traîne, comparé à la France, l’Allemagne, le Chili qui ne construisent pas en terre mais ont de très bons laboratoires, ces pays ont un appui scientifique qui donne confiance au gouvernement et à la société en général ». Il est donc nécessaire de sortir des résultats réels car il n’existe pas non plus de tableaux de prix. On se fie à internet, qui prétend qu’il est moins cher de construire en terre qu’avec des matériaux industriels. C’est faux car cela dépend du contexte. Par exemple, dans la ville de Oaxaca, les terrains sont petits. Il faudrait donc dessiner un concept permettant d’extraire la terre, de faire venir du bois, etc… Alors qu’à San Pedro de los Pinos, un village sur la route de la côte de l’état, il y a de tous côtés du bois et de la terre. Aucun matériau n’est transporté, cela permet d’avoir des constructions peu coûteuses. Cependant, avec la disparition des savoir-faire, les habitants ne payent pas les matériaux mais sont obligés de payer un artisan pour la mise en œuvre. Il faudrait donc des recherches précises pour calculer tous ces coûts et pouvoir effectuer de réelles comparaisons. Il y des organisations qui encouragent la construction traditionnelle en donnant des prix. Le « prix du municipio le plus durable » par exemple. Cependant la majorité des municipaux ne sont pas intéressés ou ne savent même pas que ça existe. On imagine alors un village recevant des moyens financiers. Il aurait la capacité de dessiner son propre espace mais pour cela il lui faudrait un bon architecte ou le réapprentissage des savoir-faire. Les communautés peuvent exiger d’avoir des villages à leur image mais elles sont extrêmement rares. Selon l’architecte, le gouvernement ne dirait pas non à un projet en bois ou en terre. Mais personne ne s’y intéresse. Selon lui, l’architecture est un arbre avec beaucoup d’éléments, son tronc, ses branches, ses feuilles et chacun choisit ce qui l’intéresse. Son atelier a décidé de se dévouer à la branche de la revalorisation. Depuis 2002, dans les universités il est question des matériaux, de la partie sociale. Le futur architecte est sensibilisé à la prise de conscience de son rôle dans la société : « c’est bien de vouloir être une rockstar mais on doit se rappeler que nos capacités sont plus que des acquis mais des connaissances qui viennent de beaucoup de gens, on se doit de les échanger et non pas seulement contre de l’argent, on se doit de les partager ». C’est de ça qu’il s’agit, la terre est pour tous, les jeunes architectes doivent le savoir. On remarque que ceux qui terminent leur cursus sont de plus en plus intéressés. Dans les villages pour en parler, ils montrent des haciendas en terre, la nuit sur les places ils projettent des images de maisons en adobe. Ils se rapprochent aussi des écoles mais il n’y a quasiment pas d’intérêt et d’acceptation. Il me donne un exemple simple : « Quand tu parles avec les jeunes ils ne te croient pas jusqu’à le trouver sur internet. » Il reproche beaucoup à la télévision qui éduque et dans la majorité des cas déséduque. Les gens prennent pour exemple ce qu’ils voient, ces architectes ont donc décidé de présenter des réalisations concrètes des exemples, en créant par exemple différentes colories avec de la terre et de la cale locale pour sensibiliser les habitants à ce qu’ils ont. Je lui demande comment se sont déroulés les événements après le tremblement de terre. Il répond : « C’est cruel ». En 2002, son équipe avaient également lancé un programme de volontaires, ils ont donc commencé à travailler bénévolement avant le travail professionnel. En lançant ce programme il met en application ce qu’il a appris grâce aux habitants des villages. L’architecture lui sert de base, il défend plus le fait d’être architecte, de se servir de ces acquis pour construire en terre que d’être auto constructeur car selon lui : « On a besoin que ce soit plus académique. » Il y a beaucoup de différence, le bio constructeur apprend à construire mais nous on apprend le design, l’intégration, le patrimoine, la beauté de l’architecture et « je sens que la construction nécessite cette connaissance, cette âme de l’architecture. » Ayant beaucoup appris pendant ses voyages, il a
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souhaité mettre en pratique ces connaissances en tant que volontaire, essayer d’unir les gens avec des objectifs communs, travailler ensemble, profiter des matériaux locaux. Ça fonctionne à certains endroits mais dans le village où ils sont intervenus après le tremblement de terre de 2017, il n’y a pas de tissu social, ni entre familles, ni entre voisins. Ils ne veulent pas s’entre-aider. Ça fait 8 mois qu’ils travaillent là-bas mais ils vont devoir arrêter parce que ça ne fonctionne pas me dit-il sur un ton très préoccupé. N’ayant pas le statut d’ONU ils n’ont aucune source de revenus. Dans ce village, malgré la reprise d’une certaine économie les gens continuent à vivre dans des conditions horribles. Il n’y avait pas de maison en adobe mais des maisons en tuiles rouges et beaucoup d’entre elles sont réutilisables. Ils ont donc fait beaucoup de campagnes, de la récupération de matériaux car tout pouvait encore s’utiliser, les portes, les fenêtres, les briques étaient presque toutes encore entières, les bois sont très durs, précieux. Cependant, la joncions entre les briques était de cale et de sable, pas assez adhérant, provoquant la chute des maisons. En mettant en place la campagne de récupération, ils pensaient empêcher l’entrée des machines de destruction mais comme le gouvernement les louait ils ont été pris de cours, le temps d’action étant réduit dans ces moments. Beaucoup de propositions ont été faites pour créer du lien entre les habitants, l’identité patrimoniale est très importante, ils ne voulaient pas construire des maisons de luxe, seulement relever les maisons à l’aide des matériaux existants et l’aide des familles mais celles-ci n’ont pas souhaité travailler ensemble. Ils ont quand même sauvé deux maisons et ont encore 10 projets mais plus aucun fonds. Malgré la situation critique dans laquelle ils se trouvent, les architectes de l’atelier ne souhaitent pas changer d’objectif. Il pense que c’est « une bonne opportunité pour que les gens s’unissent à nouveau » suivant le travail collectif traditionnel. La destruction de ces systèmes vient selon lui du gouvernement qui a généré une campagne d’assistanat, donnant tout sans rien attendre en échange. Ce qui est mauvais dans n’importe quelle culture et qui est un argument que je relève de la part de toutes les personnes rencontrées. En effet, si les gens ne mettent pas de leur part ils ne s’approprient pas les choses. Par exemple, il leur est arrivé de se retrouver sur des terrains que les gens désignaient le terrain en disant : « Tu veux construire, ici est le terrain » puis allaient s’asseoir en les observant et buvant une bière. Malgré l’aide de nombreux volontaires, l’argent reste un frein. A l’heure d’aujourd’hui Marco ne sait me dire si l’atelier va survivre. Ceux qui restent actifs pour la reconstruction sont donc le gouvernement, les entreprises privées et quelques organisations qui peuvent générer de l’argent. Pour ce qui est des villages, il termine en me lançant : « ça fonctionnerait si les gens s’unissaient. Malheureusement si même un séisme ne parvient pas à le faire, qui pourra ? » *** Marcos souligne la dimension empirique de la construction en terre, le poids de la toiture devant être proportionnel aux mouvements de la terre qui peuvent être infligés à la structure. Or lors du déplacement de Huajuapan de Leon, les habitants ne connaissaient certainement pas suffisamment le sol. Ce facteur lié à la disparition des savoirs faire entraina de nombreuses failles techniques qui provoquèrent elles-mêmes l’effondrement des maisons en adobe entrainant ainsi la perte de confiance des habitants. Un cercle vicieux dont il est difficile de sortir. Le mal de chagas associe la terre à quelque chose de malsain alors que si les solutions étaient envisagées, étudiées et promulguées scientifiquement et donc universitairement il serait possible de redorer l’image de la construction en adobe. Qui plus est dans la société actuelle il est nécessaire de revenir à une consommation pérenne et respectueuse, l’adobe est une solution à promouvoir. L’architecte et son équipe tente toute forme de sensibilisation et de partage des savoirs. Seulement, dans les villages qui se sont ouverts récemment ou qui subissent l’assistanat il est difficile de lutter contre l’individualisme qui s’est mis en place et s’empare peu à peu des populations.
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Figure 5: Photographies personnelles du village San Pedro de los Pinos. 2018. L’architecture d’adobe est présente dans tout le village. L’église a été démolie lors d’un tremblement de terre, les habitants en construisent une nouvelle mais conservent la façade de l’ancienne en souvenir.
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Figure 6 : Photographie de Marcos Sanchez. 2018. L’architecte diversifie son activité en créant une gamme de peintures faites à base de terre et de colorations naturelles.
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II/ Quel imaginaire collectif chez les habitants des villages originaires ? Chap 4. Des nouvelles routes pour de nouvelles directions
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Je continuais à me questionner sur Huajuapan et ses habitants, sur leurs modes de vie et de construction tant influencés par les Etats-Unis. J’ai ainsi rencontré un architecte souhaitant rester anonyme mais qui connaît très bien Huajuapan. Il a une relation forte avec l’adobe et a décidé de lui consacrer sa vie. Pour lui, de nombreux facteurs sont liés à la transformation de la ville. Il parle de sa situation géographique qui depuis sa création lui a donné le statut de ville commerçante mais surtout des allers-retours effectués par les habitants vers les Etats-Unis, de l’industrialisation folle, de l’arrivée de nouveaux modes de transport. La discussion s’accélère ensuite lorsque je lui demande le rôle joué par le gouvernement. Il me parle du président Lazaro Cardenas, du programme nommé solidaridad (solidarité) et de tonnes de béton distribuées dans tous les villages. Cette action ayant eu pour conséquence une accoutumance à ce nouveau matériau « plus solide » ainsi qu’un assistanat encré chez les générations futures. Pour finir, il pense que le gouvernement centralise pour « détruire » la culture originaire des villages. *** Dans la Mixteca, les habitants n’ayant pas immigré se définissent comme les originarios (les habitants d’origine, initiaux). L’architecture vernaculaire est elle aussi qualifiée d’original (originelle).
Figure 7 : 1ère page de l’article : « Los comercientes de Huajuapan han destruido nuestra arquitecture original. » (Les commerçants de Huajuapan ont détruit notre architecture original). SANTIBANEZ Juan José. Juillet 1997. Publié dans la revue Yucunitza, testimonios de la vida cultural en la Mixteca, (témoignages de la vie culturelle dans la Mixteca), n°44
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Je rencontre l’architecte anonyme qui a étudié la situation et l’évolution de Huajuapan de Leon. Assis dans son agence, il commence en m’expliquant son histoire : « Mon papa était commerçant, il allait de villages en villages avec sa camionnette pour rendre visite aux clients dans les boutiques et maisons des villages. Ainsi il s’est familiarisé avec les éléments architecturaux traditionnels tels que les patios, les meubles, les toitures mais également les rues et les personnes. » C’est une façon de vivre qu’il a adoptée après la mort de son père (lorsqu’il avait 16ans). C’est une de ces sensations qui « reste dans ton essence » raconte-t-il. Il part ensuite à Oaxaca pour faire ses études. Cependant il se rend rapidement compte que la ville ne lui convient pas, il la juge inhumaine : « Si je peux être en communication avec l’environnement pourquoi m’en éloigner ? » Il revient donc à la campagne. Il décide d’utiliser la terre dans son métier d’architecte. Ainsi il ne détruit, brûle et ne transporte pas ces matériaux sur de longues distances, c’est un engagement moral qu’il a envers l’environnement et son vécu. Je lui demande s’il se rappelle la façon dont Huajuapan s’est transformé. Lorsqu’il était petit, 12.000 personnes vivaient à Huajuapan, aujourd’hui il y en a 200 000 selon lui4. En 1947, un de ses oncles était président municipal et sa fille lui a raconté le processus de la panaméricaine. Au départ, les ingénieurs voulaient la faire passer au milieu du village. Beaucoup de personnes s’y sont opposés mais aujourd’hui la ville a tellement grandi, il me parle de 1000% en 40, 50 ans, que la panaméricaine se trouve dans le village. D’autres problèmes sont notables tels que des rues trop étroites, un mauvais traitement de l’eau potable… Il évoque rapidement le métissage de la population qui provoqua l’entrée d’un nouveau mode de vie et de ses nouveaux critères. Ensuite, il souligne l’emplacement géographique de Huajuapan qui se situe à un point d’intersection entre de nombreux chemins commerciaux mais aussi la panaméricaine que les Espagnols ont construit après la seconde guerre mondiale afin de communiquer dans toute l’Amérique latine. Cela provoque une communication avec les villes de Mexico, Puebla, Tehotihuacan, Oaxaca et la côte. Il y eut alors un mouvement économique important avec des échanges de marchandises et personnes quasiment impossible jusqu’alors. Une ouverture physique et mentale a donc eu lieu et beaucoup de Mixtecos sont partis aux Etats-Unis. Ils envoient de l’argent à Huajuapan, des millions selon l’architecte, qui sont stockés dans les banques de la ville. Il me parle de son oncle, qui, il y a une vingtaine d’années avait une boutique de change. Lors de ses réunions avec les banques il se rendit compte que chaque jour, un million de dollars était changé. La ville vit donc de l’économie des Etats-Unis, des échanges financiers et de personnes. Par rapport à d’autres villages de la Mixteca il est vrai que dans les magasins de Huajuapan on peut trouver absolument tout ce que l’on cherche. D’après lui, ce qui est regrettable est que cette liberté financière pourrait permettre aux habitants de donner l’image qu’ils souhaitent à la ville mais que par manque d’organisation et corruption ils préfèrent construire un gymnase énorme, des maisons type américaine et autre. De ce point de vue, Huajuapan dénote fortement avec d’autres zones de Oaxaca qui n’ont pas cette puissance économique. C’est le portrait actuel de Huajuapan dit-il. Il y a 60 ans il ressemblait à Tezoatlan5 avec des maisons en terre, quelques-unes en pierre. Il se rappelle étant petit que tout le monde allait à la ferme à dos d’âne, il y avait des stationnements d’âne dans la rue la plus large bordée d’arbres auxquels les ânes étaient attachés. Il me demande de me mettre à la place des anciens qui ont vécu cette époque et d’imaginer l’actuel décalage avec leurs enfants qui se déplacent en voiture avec des rêves d’Etats-Unis plein la tête. C’est une révolution culturelle très forte.
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En réalité il y a un 77.000. L’extrapolation reflète pourtant le ressenti que l’on a dans la ville Village voisin que nous évoquons dans le chapitre suivant
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Nous commençons ensuite à parler du gouvernement mexicain. Selon lui le président Lazaro Cardenas qui fut au pouvoir de 1934 à 1940 lança un programme qui s’appelle solidaridad (solidarité) dans lequel beaucoup d’argent a été mis, lui permettant de nationaliser les richesses naturelles. Il pense que ce programme a été un prétexte pour passer un pacte avec les entreprises de ciment, de façon cachée. Cemex6 est aujourd’hui connu dans le monde entier et personne ne se pose la question du comment. Selon lui c’est évident, ce fut grâce à ce programme. Le programme consistait à envoyer aux villages, par solidarité, beaucoup de ciment. C’était apparemment un programme établi. Il témoigne s’être rendu dans un village qu’il connaissait bien, Selacoapan, dont le sol était constitué grâce à un assemblage en pierres. En s’y rendant il constate que le sol est maintenant recouvert de béton. En interrogeant les habitants il apprend que ceux-ci ont reçu des tonnes de ciment et ne sachant pas quoi en faire ont recouvert leurs routes. Une anecdote me marque : de nombreuses portes de maisons se sont retrouvées en-dessous du niveau de la rue. Ce qui souligne un peu plus encore le non accompagnement des villages dans ce type de décision. Ce n’est qu’un exemple parmi de nombreux villages oaxaqueños et mexicains. Cette propagande politique est très certainement mise en place afin de récolter des voix. Michelle Dion, dans son texte7 mène une étude afin d’identifier comment les politiques manient l’économie afin de réussir à être ré élu. L’architecte pense que c’est un piège dans lequel beaucoup de villages sont tombés provoquant ainsi une habitude, voir dépendance des habitants au ciment. A Huajuapan c’est seulement en 1990 que les routes sont pavées. Cela entraine une hausse du trafic dans la ville et dans les nouvelles colonies comme Tepeyac qui étaient relativement tranquilles. En parallèle, cela permet l’installation de nombreuses activités telles qu’un service de pompe à essence, des hôpitaux, des restaurants, des écoles et grand nombre de commerces. S’installent également les entrepôts permettant aux grandes entreprises agroalimentaires telles que Sabritas ou Pepsi de s’étendre et distribuer plus massivement encore. L’initiative de pouvoir faire les choses par ses propres moyens, matériaux et produits a diminué jusqu’à s’appauvrir. Il me dit, et je pense que c’est pour cette raison qu’il souhaite rester anonyme : « Au fond l’intention des gouvernements mexicains c’est de centraliser pour détruire, si on peut dire le mot détruire, les cultures originales des villages car il est plus facile de manipuler des personnes qui n’ont pas une culture forte. » En effet, il est relativement plus simple d’influencer une population concentrée dans la ville, éloignée de ces traditions au point d’en oublier ses valeurs ancestrales, que d’essayer de contrôler 20 villages dont chacun pense différemment, avec sa propre langue. Puis il me dit : « C’est d’ailleurs pour cette raison, qu’en 1994 le gouvernement a ajouté 200 religions ». Il suppose qu’ainsi le village se divise, que des conflits apparaissent entre les personnes. Cette année, les pères de l’église chrétienne auraient reçu l’autorisation de posséder à nouveau des propriétés et de voter (au 16ème siècle l‘Eglise s’est vu retirer toute possibilité de posséder des terres). Démarche qui permet à tout un chacun de pratiquer sa religion mais qui dans ce contexte apporte divisions au sein de la population et diminue le pouvoir de l’église chrétienne dans le sens où celle-ci est contrôlée par le gouvernement. Auparavant, grâce au texte de Procopio, on sait que la religion chrétienne et la politique sont les deux moyens de se cultiver et créer de nouvelles relations sociales et humaines.
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Cemex signifie ciment mexicain, fondé en 1906 à Hidalgo DION Michelle. La economia politica del gasto social : el Programa de Solidaridad de Mexico, 1988-1994. Estudios Sociologicos. Vol. 18, No. 53. 2000. P 329-362 7
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L’architecte confirme les dire de Marcos Sanchez, l’ouverture économique de Huajuapan entraina une contamination culturelle sans précédent. D’une population qui vit sans superflu on passe à une population ayant accès à la totalité du marché national. La ville et son caractère commercial poussent à la consommation. L’immigration vers les Etats-Unis accentue le phénomène, entrainant l’entrée de nombreux idéaux. Les maisons en adobe représentent la pauvreté, la télé et le pays voisin le dit. Le gouvernement lui-même pousse à l’adoption d’un autre matériau, le béton. Huajuapan est contaminé et ne cesse sa folle expansion. L’envie de copier ce qui est vu et entendu est appliqué, plus question de se tourner vers le passé. La notion de futur ne serait-elle pas biaisée ? Le gouvernement manipule et tente de centraliser le pouvoir, affaiblissant au passage la force des communautés.
Figure 8 : Calle de Morelos. Vista de Huajuapan de Leon. (Rue de Morelos. Vue de Huajuapan de Leon). Estanislao Ortiz. Je ne connais pas la date précise mais la photographie a été prise avant le tremblement de terre des années 80. On peut observer les maisons traditionnelles avec leurs toitures en tuiles.
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Figure 9 : Photographie personnelle d’une maison en construction. 2018. Ce type de maison est celui que l’on qualifie à l’américaine et qui est construit au milieu des maisons en adobe.
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Chap 5. La géographie facteur de conservation
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Huajuapan de Leon était notre principal lieu de travail mais le reste de l’équipe travaillait dans deux villages : Mariscala de Juarez et Tezoatlan de Segura y Luna. Mariscala est une ville, plus petite que Huajuapan mais qui lui ressemble, physiquement en tout cas. Tezoatlan au contraire, qui se trouve à une heure en voiture de Huajuapan est un village dans lequel traditions et adobes rythment la vie. Je pense que cela est dû à la situation géographique de l’endroit. Pour y accéder il n’y a qu’une route sinueuse qui traverse des plaines sèches. Les habitants ont ainsi été protégé lors de la conquête, les Espagnols vivant surtout à Huajuapan. Ils ont ainsi continué à vivre à leur rythme. Par ailleurs, aillant déjà évoqué la perte des savoir-faire, on note que le seul artisan maçon qui sait produire et construire avec les adobes, est originaire de Tezoatlan. Les habitants (peut-être faute de moyens financiers) ne se permettent pas de faire parvenir du béton jusqu’au village. Ils refusent également l’implantation de tous types d’industries proche du village. Je pense qu’ils sont conscients de la force citoyenne qu’ils possèdent et représentent. Un dernier village traité est celui de la région Triqui présenté par Procopio Martinez Vasquez dans le dernier chapitre du livre Relatos y Viviencias de Huajuapan : Acatlima, el Barrio de Guadalupe y la region Triqui. *** Notre équipe pour la réhabilitation des maisons endommagées travaille à Huajuapan, il en existe trois autres, une à Mariscala, une à Tezoatlan et une dans la sierra Mixe. J’ai eu la possibilité de me rendre à Mariscala et Tezoatlan. Mariscala se situe à 4 heures de Huajuapan sur la route allant à Puebla. C’est une ville de 3.530 habitants. Là-bas les maisons en adobe ont également été remplacées par des maisons en béton. On s’y sent comme à Huajuapan, de nombreux commerces disparates sont présents mais les fêtes traditionnelles ont encore lieu. Les femmes et les hommes cuisinent toute la matinée, au moment du repas du chocolat et du pozole sont servis. La fanfare rythme la journée. Le soir une banda est invitée et les passants dansent à tour de rôle. Une fête foraine est installée. On est plongé dans un mélange de traditions et de nouvelles pratiques. A Tezoatlan, les jours de fêtes se déroulent un peu de la même façon à quelques exceptions. Le village se situe à 1h de voiture de Huajuapan, on y accède par une route sinueuse au milieu d’un paysage désertique. Il y a 2.324 habitants. On traverse le village sur un sol pavé. Les commerçants sont dans la rue et vendent toute sorte d’objets utiles à la ville quotidienne, vêtements, ustensiles de cuisine, seaux, etc… Les fêtes ici sont organisées collectivement et chacun à son rôle. Un groupe s’occupe de cuisiner, un autre est assigné aux décorations de la ville et de l’église, un autre encore s’occupe des pétards qui seront tirés toute la journée. Les vendeurs présents viennent de villages de la Mixteca et de Puebla. Pendant tous les jours que dure la fête ils dorment dans les stands où est vendue la marchandise. A leur échelle, ces vendeurs ont créé une économie locale qui fonctionne depuis une centaine d’années. L’artisan qui vend les pétards construit pendant toute l’année les toritos, taureaux en papier mâché qui explosent dans les rues de la ville au rythme de la musique jouée par la fanfare. Les savoirs faire ici n’ont pas disparus. Il existe une fête qui a lieu tous les ans, c’est la fête des bougies. Pendant 3 jours, une cinquantaine sont coulées. A tort, on se demande pourquoi les bougies ne sont pas achetées déjà faites, pourquoi prendre 3 jours pour finalement produire si peu ? Au fond, l’important ce ne sont pas les 50 bougies mais le travail communautaire. Ces actions les rendent plus forts, les aident à conserver l’identité du lieu et de leurs origines. Une fois les bougies coulées, les habitants se mettent autour et se les passent en silence, en réalisant un rituel sacré. L’odeur du miel est partout, on se trouve dans un village originaire. Il n’y a pas de police, ce sont les chefs de villages qui font régner l’ordre. Les habitants sont unis. Par exemple, si le gouvernement souhaite implanter une mine, le village dira non. Ils sont conscients qu’ils ne seraient pas les bénéficiaires de ce genre d’installation. Ici et comme dans quelques villages excentrés, le gouvernement n’aura pas réussi à appauvrir le village ni culturellement, ni architecturalement parlant. Les maisons en adobe sont toujours debout, entretenues par leurs propriétaires. L’adobe
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reste le moyen le plus économique de construire et comme chacun tient son rôle, le maçon est un expert. Par ailleurs le seul artisan qui sait encore manier l’adobe vient de Tezoatlan, c’est lui qui nous a permis de former les maçons de Huajuapan pendant le programme de reconstruction. Dans la sierra Mixe au contraire, située à 3 heures en voiture de Huajuapan le contexte est tout autre. C’est une région très enclavée proche de la plus haute montagne de Oaxaca. L’architecture traditionnelle est de terre compactée. On s’attend alors à y découvrir un village authentique. La population qui est quasiment 100% indigène parle sa propre langue. Il ne reste cependant que quelques maisons vernaculaires, les autres ayant été remplacées par des maisons en béton. Nous sommes dans le cas de figure où la population a conservé son identité culturelle mais pas son architecture. Le gouvernement est intervenu plusieurs fois afin de leurs fournir des matériaux de reconstruction après les séismes. Les habitants se sont alors habitués à une certaine dépendance, à un système paternaliste. Il y a un manque d’initiative de la part de la population dans le sens où ils ne cherchent pas à se défaire du système d’assistanat. Un dernier cas de figure nous est présenté dans le texte déjà évoqué de Procopio Martinez Vasquez Relatos y Viviencias de Huajuapan : Acatlima, el Barrio de Guadalupe y la region Triqui. L’auteur consacre un dernier chapitre à la région Triqui. Les Triquis sont une communauté qui vit dans le territoire situé proche des villes de Juxtlahuaca, Putla et Tlaxiaco situé à environ 4h de Huajuapan de Leon. La population de cette région provient de trois tribus différentes explique-t-il qui ont chacune leur propre dialecte. Elles communiquent pourtant entre elles et respectent leurs coutumes ancestrales. Malgré sa description pacifiste je n’ai pas pu m’y rendre car dès que j’évoquais les Triquis aux habitants de Huajuapan ils me parlaient d’habitants de différents villages qui règlent leurs comptes de façon armée, dont les filles sont mariées dès 13 ans, un système traditionnel qui n’est cependant que très peu documenté, les étrangers n’étant pas les bienvenus. Selon les croyances locales, les Triquis sont apparus du côté où sort le soleil. Ils ont d’abord vécu dans la Sierra Juarez d’où ils furent chassés au temps des zapotecas puis au niveau du cerro de la Carbonera où cette fois ce sont les Mixtecos qui les chassèrent. Ils arrivèrent alors près de Nochixtlan où de nouvelles guerres eurent lieu avec les Mixtecos de Tilantongo, ces guerres les affaiblirent numériquement. Ils trouvèrent alors refuge dans les montagnes de Chicahuaxtla et Itunyoso. Ainsi cachés ils s’établirent et c’est la zone que l’on nomme actuellement la région Triqui. C’est le 20 mai 1974 qu’une nouvelle attaque a lieu. Procopio accepte, sous la tutelle de l’entreprise de construction Radel, S.A. de l’architecte Roberto Raminez Bernal, de reprendre des chantiers d’édifices éducatifs dont la construction n’est pas aboutie. Il se rend donc dans une région qu’il décrit comme étant « les montagnes froides et nuageuses de Dieu ». Le peu de routes existantes sont étroites, les matériaux seront donc transportés à dos d’animaux et d’hommes. On lui explique que de plus, les conditions climatiques et le manque de communication n’ont pas permis d’achever les constructions. Les ingénieurs qui l’accompagnent sur le site le laissent en lui disant « Nous mettons entre tes mains l’achèvement de ces travaux, que dieu t’aide et te bénisse ». Il se retrouve au milieu de la forêt qu’il décrit comme belle mais qui se voit fermée et dangereuse. Selon lui, la région Triqui ne possède ni maçon, ni ouvriers. J’imagine pourtant que jusqu’alors ils vivaient dans une architecture vernaculaire remarquable. La première étape de son action fut donc de réunir des maçons dans les villages voisins. En traversant les forêts il se rend compte du nombre de plants de café, des bananiers, manguiers, pommiers qui y poussent naturellement et ne comprend pas pourquoi les Triquis ne l’utilisent pas pour se développer économiquement. Selon lui, il y a « beaucoup de richesse dans cette région mais combien la pauvreté se perçoit ». Il ajoute quelques lignes plus loin : « L’indifférence des Triquis à ce moment allait au point où ils récoltaient seulement pour manger sans être concernés par l’exploitation des produits que la nature leur donnait en échange de rien. L’homme Triqui n’avait pas besoin de travailler car il n’avait rien dans quoi le gaspiller. Ils se confortaient avec ce qu’ils avaient ». Je ne sais
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pas alors s’il fait ce commentaire du point de vue d’un homme qui est désormais tombé dans un système basé sur le développement économique, la productivité massive et la consommation abusive ou si réellement les habitants se trouvaient ensevelis sous un tas d’ordures, sans nourriture et habits. Je pencherais pour la première option sachant qu’il n’y a qu’à se baisser pour trouver de la nourriture et que les Triquis sont connus pour leurs vêtements aux tissages exceptionnels. Il commente avoir essayé de faire travailler les habitants sur les chantiers. Dans un premier temps ils ont travaillé surtout par curiosité puis au fur et à mesure se sont détournés. Pourquoi donc imposer à une communauté un mode de vie qui ne lui convient pas ? Procopio s’étonne qu’à son arrivée il n’y avait aucune école, nul hôpital ni autre édifices publics. Il oublie qu’à quelques siècles d’écart à Acatlima avant la colonisation, sa famille vivait exactement de la même façon. Il décrit alors une « colonisation interne » de la part du gouvernement fédéral qui implanta un programme de développement social qui comprenait la création de routes donnant accès à des camions. Ainsi la région pourra être exploitée économiquement parlant. Le programme prévoit aussi des établissements éducatifs, des pensionnats, des cliniques médicales, des maisons et maisons municipales. Il explique avoir été le « témoin de la naissance de la civilisation dans la région. Beaucoup d’argent pour en tirer beaucoup d’argent ». Une volonté de regroupement de la population pour une exploitation de leur économie locale était donc en train de se mettre en place dans la région. Malgré l’installation d’écoles je doute fortement qu’il leur soit enseignée la façon de protéger leurs richesses et de les exploiter par leurs propres moyens. Un temple catholique était également construit et selon les mots de l’auteur ce fut un « programme de conquête matériel et religieux ».8 Au fond, le développement de cette région a été un projet « d’expérimentation des économistes et sociologues » qui sont d’après lui la nouvelle classe gouvernante du pays. La zone a été utilisée comme un lieu de test de la sociologie urbaine et rurale et des nouveaux modèles économiques du pays. Les habitants n’ont pas une seule fois étaient pris en compte, leur avis important peu. Utilisés comme des rats de laboratoire l’auteur décrit : « la création des unités sociologiques » permet d’« expérimenter le comportement des usagers ». San Juan Copala est le lieu dans lequel ils ont le plus construit mais les villages alentour, une vingtaine environ n’ont pas été épargnés. Ce programme est organisé par Rodolfo Echeverria et Jamie Nieto qui d’après Procopio venaient surveiller l’avancement des travaux en hélicoptère. On apprend alors que ce programme n’était autre que la thèse professionnelle du fils du président Luis Echeverria Alvarez. Les villages qui ont subi le moins de modifications sont ceux qui étaient les plus en altitude géographiquement et où le froid et l’accès ne permettaient pas l’invasion. *** Mariscala a quasiment la même démographie que Tezoatlan mais la comparaison s’arrête là. J’avance donc l’argument que l’emplacement géographique des villages est un élément important qui leur permet de conserver une identité marquée ou pas. En effet, dans les villages originaires tels que Tezoatlan ou ceux de la région Triqui, le travail communautaire et les rituels rythment la vie. Procopio est surpris pas leur façon de vivre étant donné que la société actuelle pousse à toujours plus de rapidité et d’efficacité. Les villages originaires paraissent hors du temps, dans une bulle inaccessible. Cette inaccessibilité leur donne une protection face aux Espagnols il fut un temps et aujourd’hui vis-à-vis du gouvernement. Aucune aide ne peut être mise en place, l’assistanat ne prend 8
Il ajoute ensuite « Au moment de la conquête du nouveau monde découvert, pour cette occasion ne sont pas arrivés les hommes barbus montant à cheval avec un fusil à la main, mais des opérateurs montant des machines lourdes qui en peu de temps ont coupé les collines et les ont laissées planes. A ces endroits, ils établirent les campements pour l’édification de quartiers modernes où vivront les milliers d’habitants Triquis qui se trouvaient dispersés dans la forêt ». p.105 de Relatos y Viviencias de Huajuapan : Acatlima, el Barrio de Guadalupe y la region Triqui.
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donc pas effet. Il est également impossible d’y mener des expérimentations car les fonctionnaires ne souhaitent pas s’y rendre. L’altitude et le froid de Oaxaca agissent comme des remparts.
Figure 10 : Photographie d’un ami nommé Angel CL. 2018. Le torrito allumé et porté par un petit garçon, au rythme de la musique d’une fête ayant eu lieu à Tezotltan.
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Figure 11 : Photographie personnelle d’un tissage Triqui. 2018. Une femme de la communauté Triqui est en train de tissé une blouse. Les tissages symbolisent par exemple le village duquel la personne est originaire, représentant le cours d’eau, les champs et les maisons.
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Chap 6. DĂŠvalorisation, racisme et espoir dans les articles gouvernementaux et universitaires
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Grâce aux éléments rassemblés je peux affirmer que les habitants de Huajuapan sont fiers de leur héritage traditionnel. En plus du phénomène de métissage de la population, de l’immigration vers les Etats-Unis il est frappant que la presse et les documents gouvernementaux mexicains ne favorisent pas et ne reconnaissent pas les maisons en adobe stéréotypèrent associées à une certaine classe sociale. Plus encore, le gouvernement, après le tremblement de terre des années 80 publie un manuel technique dans lequel il conseille de détruire les maisons construites avec des matériaux de « mauvaise qualité ». S’il n’est pas possible de les détruire, elles doivent être consolidées par des piliers et chaines en béton coulé. Cependant, ce système provoque le déséquilibre du système constructif et sa destruction lors des futures secousses ce qui fut le cas en 2017. On trouve cependant quelques articles valorisant l’architecture originaire, publiés par la UNAM. UNAM qui souhaite par ailleurs ouvrir un atelier sur la construction en terre. *** « Oh ! Tierra del sol Suspiro por verte. Ahora que lejos Yo vivo sin luz. Sin amor. Y al verme Tan solo y triste Cual hoja el viento Quisiera llorar, Quisiera morir De sentimiento » Jarabe Mixteco, Antonio Martinez Corro
En 2010, le secretaria de de gobernacion (ministre de l’intérieur) et le centro nacional de prevencion de desastres (centre national de prévention des catastrophes) publient un livret nommé cartilla breve para refuerzo de la vivienda rural de autoconstruccion contra sismo y viento (bref livret pour renforcer la demeure rurale d’auto construction contre les séismes et les vents). Sur la couverture on y voit au milieu d’un champ, des montagnes au loin, une famille en train de construire sa maison. Le père, perché sur un échafaudage en bois pose des tuiles sur une armature en bois, la mère est en bas, attend pour lui en donner plus. A côté, les deux enfants semblent jouer dans le ciment. Vient ensuite le sommaire divisé en deux parties : « techniques de renforts contre les séismes » et « techniques de renforts contre les effets du vent ». L’habitant, destinataire du livret apprend donc à identifier s’il se trouve sur une zone sismique et si oui à quelle intensité il doit se préparer. Lui sont ensuite proposées différentes options pour renforcer sa maison ainsi que les avantages et désavantages de chaque option. Puis suivent les chapitres dans lesquels on apprend à élaborer du béton et donc comment renforcer les maisons considérées comme « faible » avec une maille et du ciment ou des poteaux et une chaine ou des bandes de mailles et du ciment uniquement aux angles ou pour finir une chaine placée au-dessus des murs. Un tableau permet de choisir la proposition la plus adaptée en fonction de la difficulté de mise en place du système constructif, le prix et la résistance. En seconde partie, pour ce qui concerne le vent le schéma est similaire, on commence par identifier la zone dans laquelle on se trouve, comprendre les différents risques que représente le vent pour une maison puis suivent les recommandations pour renforcer les toits. Pour finir, un questionnaire est proposé et doit être envoyé, permettant ainsi au gouvernement de collecter des informations sur le nombre de maisons en mauvais état et où sont les failles. Dans la présentation, il est rappelé à chaque Mexicain qu’il est digne de vivre dans une maison « décente » mais que malheureusement beaucoup d’entre elles sont construites avec des « matériaux précaires, faibles, de mauvaise qualité ou auto construites avec des systèmes inappropriés ». L’auto
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construction, de ce que j’ai pu constater est surtout utilisée dans les zones urbaines par les plus nécessiteux. Les constructions sont faites de tôles, de pneus, de bois, de toutes sortes de matériaux qu’il est possible de récupérer dans les recoins d’une ville. Les matériaux définis comme précaire par le gouvernement sont quant à eux, l’adobe, la brique, la pierre qui sont utilisés volontairement depuis des centaines d’années. On constate donc la mise à niveau de deux systèmes constructifs qui ne sont ni techniquement, ni contextuellement comparables. Avant le commencement des travaux, il est indiqué qu’il faut renforcer la maison, c’est-à-dire poser des poteaux et contreforts en bois afin de maintenir les zones qui risquent de s’effondrer. Ensuite, il est conseillé de remettre les pièces qui sont tombées et de les coller avec du ciment. Seulement, on sait que la terre et le ciment ne fonctionnent pas bien ensemble, elles ne « collent » pas. Dans les différentes propositions pour renforcer la maison on comprend rapidement que les systèmes constructifs sont considérés comme applicables qu’importe les matériaux d’origine de la maison. Par exemple, la proposition B. de renfort avec des poteaux et une chaine au-dessus des murs a pour conséquence de rendre la maison extrêmement rigide. Sur les chantiers, les maisons en adobe que j’ai vues ont justement subi de graves dégâts dûs au séisme à cause de cette modification structurelle. En effet, la maison en adobe est relativement souple, lors d’un tremblement de terre, les murs bougent mais ne s’effondrent pas grâce au poids de la toiture. Le fait de consolider la structure dans les angles grâce à des piliers en béton rigidifie la structure et l’empêche de bouger ce qui provoque au mieux des fissures et sinon l’effondrement des murs. Il n’est par ailleurs jamais mentionné l’importance de ne pas remplacer la toiture par d’autres matériaux, comme nous l’expliquait Marcos avec les tuiles remplacées par de la tôle. Ensuite, la recette du mortier est donnée de façon approximative : 1 seau de ciment Portland, 4 seaux et demi de sable, ½ seau de cal et de l’eau. Il faut suivre le même type d’indications pour le béton. Il ne reste plus qu’à suivre les schémas annotés et la maison sera prête pour affronter n’importe quel séisme ! La page de fin du livret nous laisse un goût amène, elle sonne comme une blague face au nombre de morts lors des tremblements de terre. Ce type de document est très certainement transmis par le gouvernement dans l’unique but de se dédouaner de toute responsabilité. L’habitant et la main d’œuvre sont formés en 23 pages et guidés par des illustrations, comme si la construction n’était finalement qu’un jeu d’enfant. Il ne faut pas oublier que dans les zones rurales éloignées, l’analphabétisme est présent : si le manuel leur parvient il n’y aura que les illustrations pour les guider. Guide qui finalement, lors des prochaines secousses sera le responsable de la destruction de leur maison. Il n’y a pas d’intérêt à relever le nombre de fautes techniques présentes dans le document mais il faut souligner l’irresponsabilité du gouvernement quant à la transmission de tels documents. Lors des tremblements de terre, les aides apportés par le gouvernement aux habitants quant à la reconstruction de leur maison passent par l’utilisation du béton. La fondation Harp Helu est l’unique aide de Oaxaca qui propose d’apporter une aide financière pour les maisons en adobe. La fondation a pour « intérêt de mettre du cœur dans chaque projet, en profiter et travailler chaque jour pour servir la société. J’apprécie que cet effort se multiplie avec le travail d’autres personnes tendant au même objectif et que grâce à cette équipe nous créions une synergie qui va rester gravée dans la mémoire et dans le quotidien de notre communauté »9. Cependant, on constate à Huajuapan de Leon après le tremblement de terre de 2017 que les familles dont les maisons en adobe se sont écroulées ont réagi différemment. Elles ont décidé de raser leurs maisons pour en reconstruire avec des matériaux industriels ou elles ont choisi de réparer la maison d’adobe par leurs propres moyens. 9
Site officiel de la fondation Alfredo Harp Helu - http://www.fahho.org Le « je » désigne le propriétaire de la fondation, Alfredo Harp Helu
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J’ai participé à la troisième option qui consistait à accepter l’aide de la fondation Alfredo Harp Helu. Comme mentionné précédemment, cette fondation mène une œuvre importante pour Oaxaca en dépensant une importante somme d’argent pour la conservation des traditions dans le domaine de l’architecture et de l’éducation. Seulement sept familles acceptent de rentrer dans le programme de reconstruction programme de apoyo inmediato a las afectaciones del sismo en Oaxaca (programme d’appui immédiat aux dégâts du séisme). L’enjeu étant d’apporter une aide financière aux familles, la fondation propose de payer les matériaux nécessaires à la reconstruction. En échange, les personnes acceptent de prendre en charge la main d’œuvre pendant la durée du chantier. L’aide financière égale largement celle du gouvernement, seulement je pense que les maisons en terre sont associées de façon générale à la classe la plus pauvre. Au cours du temps les familles ont découpé le terrain de leur maison ou l’on vendu à d’autres personnes non originaires de la ville. La ville s’est alors densifiée et comme évoqué précédemment, beaucoup de nouveaux arrivants se sont installés, attirés par le potentiel économique de la ville. Un métissage social a opéré apportant de nouvelles traditions et principes constructifs mais également l’amorce d’un racisme très marqué dans la population mexicaine. Dans l’introduction de son article, Maria Elisa Velazquez10 dit : « L’idée généralisée selon laquelle nous sommes une nation métisse, caractérisée par la « diversité ethnique » et culturelle, formée par les Espagnols et les indigènes (Indiens), chaque groupe étant perçu comme porteur d’une culture homogène, occupe la plupart des discours politiques ». Cependant, pendant mes voyages au travers du Mexique on constate une séparation sociale très marquée chez les blancs, les indigènes et les noirs (ces derniers étant reconnus dans les textes depuis seulement peu de temps). Une population très hiérarchisée à laquelle on associe donc un type d’architecture. A Huajuapan de Leon, on peut imaginer que les natifs essayent de se séparer de cette stigmatisation en copiant les styles architecturaux des classes sociales les plus aisées vus à la télévision ou dans la ville. Dans de nombreux textes, on ressent la difficulté pour les Mexicains d’être fiers de leurs origines. Récemment, l’actrice Yalitza Aparicio a été projetée sur les devants de la scène avec le film Roma et je pense que ce qui a fait le plus de bruit outre la qualité du film, est le fait qu’enfin une actrice indigène est reconnue. En étudiant la presse locale et internationale on comprend rapidement la discrimination présente envers les indigènes. Dans la revue Nube de Huajuapan de Leon, l’article de Maria de los Angeles Abad Santibanez, décrète que les tremblements de terre ont été : « une opportunité, qui permit à Huajuapan, non seulement de changer son ancienne image de maisons en adobes et tuiles mais qui obligea à la majeure partie de la population à construire avec de nouveaux systèmes constructifs qui pouvaient octroyer confiance aux propriétaires ». Auquel répond l’article de Juan José Santibanez Los comerciantes de Huajuapan han destruido nuestra Arquitectura Original en disant : « C’est évident que Huajuapan n’a pas d’identité architecturale […] on le doit à la mauvaise conscience des autorités quant au respect des normes de construction et aux architectes, qui on le suppose ont comme compromis moral de construire un environnement qui montre notre soi-disant grandeur culturelle et qui nous distingue des chaotiques villes impersonnelles ». Dans un article publié en 2017 sur le site Archdaily.mx, on peut lire que l’ancien président Pena Nieto a déclaré : « Selon les rapports des ingénieurs militaires et de l’aire de protection civile de l’état, en plus de la force du séisme, la chute des maisons se doit surtout au fait qu’elles soient faites d’adobe et qu’elles aient peu de fondations. » Ce à quoi l’organisation cooperacion comunitaria qui se bat pour améliorer les conditions de vie des communautés rurales de Mexico répond qu’il est inacceptable de considérer que l’effondrement des maisons se doit uniquement à un matériau constructif. Ils mettent en avant les faits : 1,145 écoles ont été affectées 10
VELAZQUEZ Maria Elisa. Racisme, métissage et population d’origine africaine au Mexique : une perspective historique. Revue Européenne des Migrations Internationales. Vol 27 – n°1, p. 129-145. 2011
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et elles sont toutes de béton. De plus, il existe des matériaux locaux et des techniques constructives traditionnelles qui résistent aux séismes. L’organisation cite : « le bajareque Ceren, une technique constructive utilisée par les Mayas il y a 1400 ans et entre autres le « prix national de maison, catégorie production sociale de maisons » qui en 2009 fut remis au programme d’auto construction de maisons rurales à Tabasco avec des blocs de terre compactée. Pour finir, la professeure d’architecture Berenice Aguilar Prieto qui enseigne à la UNAM publie un article intitulé « Une proposition d’étude des édifications en terre, sa nécessité et son approche ». Comme dit précédemment, l’UNAM est considérée comme l’un des plus importants campus universitaires d’Amérique latine et ne se consacre qu’à l’architecture de béton. Seul un cours est destiné à l’architecture en bois et ce depuis peu de temps. C’est donc une proposition très importante que fait l’enseignante. Elle rappelle les qualités écologiques et thermiques du matériau tout en rappelant que « certains aspects fondamentaux et résolument architectoniques sont encore ignorés ». Elle mentionne l’exemple de l’Inde dont le gouvernement national, avec l’aide des instances provinciales et locales, a permis l’adoption de pratiques technologiques qui ont valu au pays d’être sélectionné au « Concours de Bonnes pratiques ». Elle mentionne également le Pérou qui a adopté une norme technique dans le règlement national d’édification, en prenant en compte près de 50% des habitations en adobe. Pour finir, elle souligne l’intérêt historique du matériau qui s’utilise dans de nombreuses constructions, sa symbiose avec l’environnement et la nécessité de connaitre dans quels conditions climatiques et zones géographiques l’adobe nécessite d’être ou non renforcé. *** Le manuel évoqué en premier lieu permet de souligner l’irresponsabilité du gouvernement quant à la transmission de « documents techniques ». Dans les villages de Oaxaca, les maisons qui se sont effondrées sont celles dans lesquelles les modifications ont été effectuées. De plus, les matériaux que je qualifierais de nobles sont relégués au statut de précaires par le gouvernement. La terre étant gratuite, elle est souvent associée aux classes populaires. Nous verrons plus tard que ce n’est pas le cas. Cependant, de nombreux propriétaires souhaitent se détacher de cette image. Personne ne peut être blâmé, mis à part ceux qui font circuler ces idées. Heureusement de plus en plus d’associations, de citoyens se mobilisent pour défendre l’architecture en adobe. C’est le cas d’une enseignante de la UNAM qui propose un cours sur les édifications en terre en vantant ces nombreuses qualités. Actuellement je ne sais pas si le projet a été accepté.
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Figure 12 : « La sécurité de ta maison n’est pas un luxe. ». CENAPRED. 2010. Annotation : « C’est un facteur qui te permettra de protéger la vie de ta famille et ton patrimoine lors d’un séisme ou vents intenses. Mets en pratique les recommandations de ce livret, principalement pour les maisons auto construites. Rappelle-toi qu’une maison digne est par-dessus tout une maison sûre qui intègre de bonnes pratiques constructives ». Page de fin du livret, p.25
Figure 13 : Photographie personnelle d’une maison en adobe située à Tezoatlan. 2018. Les 3 piliers en béton sont rajoutés suivant les conseilles du livret. En plus du déséquilibre structurel provoqué ils perturbent l’esthétique de la maison.
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III/ Analyse des institutions et programmes gouvernementaux : les origines, la mise en place, la fin et les répercutions Chap 7. Jeu d’acteur dans les institutions
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Les habitants de Huajuapan étant partagés quant à la décision de conserver leur architecture d’origine, je décide de me tourner vers l’INAH (Institut national d’Anthropologie et d’Histoire). Je rencontre le représentant de cette institution nationale à Huajuapan nommé Austerlitz Sanchez. Il me parle des découvertes faites dans la zone archéologique, des travaux de rénovation de l’église principale ainsi que ceux du musée. Lorsque je lui demande ce qu’il en est de la destruction massive au cours du temps des maisons en adobes il évoque un manque de moyens financiers et une nécessité d’agir rapidement après les tremblements de terre. Selon lui, l’INAH n’est pas responsable des édifices dont la date de construction est supérieure à 1900 mais l’instituto nacional de Bellas Artes, INBA. Il est conscient de la perte identitaire qu’est en train de subir la ville, seulement la culture et l’architecture sont délaissées financièrement par le gouvernement. Ce sont les acteurs extérieurs tels que le patronat, la fondation Harp Helu et les artistes qui montrent un intérêt et permettent la survie du « patrimoine ordinaire » de Huajuapan. *** « Le panthéon indigène, de plus comportait des dieux liés aux tremblement de terre, le monde étant maintenu par nombre d’entre eux, on pensait que lorsqu’ils se fatiguaient ils changeaient de position ce qui provoquait des mouvements terrestres » Revue NUBE
Pour commencer je lui demande de nous présenter l’INHA. Il prend l’exemple du musée régional de Huajuapan, le (mureH) qui a été financé par le gouvernement municipal avec l’appui de l’institut d’anthropologie et d’histoire (INHA) qui comprend une équipe importante d’archéologues, et de muséologues dont Marcos Winter, Iban Rivera et Cuhautemos Aravena entre autres. Travaillent donc en coordination avec l’INAH, l’autorité municipale et un groupe de citoyens de la communauté, qui ont créé un comité, une association civile, qui s’appelle patronato del museo regional de Huajuapan, en 1997 et de là ont commencé les travaux avec la construction de l’édifice premièrement et dans un second temps l’organisation intérieure du musée. Il a été inauguré en décembre 1998 et ses portes se sont ouvertes l’année suivante. Il y a deux ans ont eu lieu une réhabilitation pendant laquelle la toiture a été changée et quelques autres travaux. Suite au tremblement de terre du 19 septembre 2017 le musée et d’autres monuments historiques de Huajuapan sont très abîmés. Le musée a donc été fermé pendant de nombreux mois jusqu’à fin janvier 2018, date à laquelle ont commencés les travaux de rénovation qui vont durer plusieurs mois. Une fois que les travaux seront finis il faudra rééquiper de nouveau les salles car tout a été détruit. Les salles sont donc agrandies, avant il n’y avait qu’une pièce consacrée à l’archéologie, dorénavant il y en aura 3 de plus car beaucoup d’œuvres ont été récupérées me dit fièrement Austerlitz. Il ajoute : « on va également investir le second niveau où était auparavant la bibliothèque municipale qui s’est déplacée dans un nouveau bâtiment ». Le musée régional de Huajuapan (mureH) n’appartient donc pas directement à l’INAH, il reçoit des financements du municipio mais après le tremblement de terre, c’est le patronat, nommé le frente qui administre le musée de façon altruiste. Au départ ils sont officiellement 9 mais au fur et à mesure certains se sont retirés jusqu’à ce qu’il ne reste plus que les deux initiateurs, mon interlocuteur et l’un de ses collègues de l’INAH. Il me commente qu’ils ont essayé d’inviter plus de personnes mais qu’ils viennent et s’en vont rapidement car il n’y a pas de rémunération. De par son statut d’employé de l’INAH il se sent concerné par cet édifice. Le rôle de l’INAH c’est donc d’apporter un appui technique qu’il qualifie d’indispensable pour le musée. Avant la construction, ce sont eux qui ont lancé une convocation aux architectes de Huajuapan qui voulaient participer. Il m’indique d’ailleurs que beaucoup se sont présentés et que l’organisme les a encadrés en orientant les architectes sur les caractéristiques du musée et finalement c’est le projet de J.J. qui a été choisi. Ensuite, il me dit que ce sont eux qui ont normalisé les espaces nécessaires comme l’atelier, les salles d’expositions, etc… en fonction des possibilités financières. Ils sélectionnent également la collection archéologique qui sera exposée. Il souligne qu’il
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en existe des milliers car 10 ans auparavant ils ont commencé l’excavation du cerro de las Minas dont sont sorties beaucoup de pièces. Nombre de ces pièces ont été sauvées par les habitants comme nous l’avions vu dans le texte de Procopio. L’INAH a donc mis en place une campagne pour récupérer les pièces de façon externe. Une fois toutes les pièces répertoriées elles ont été collectées dans un catalogue, un registre national (afin d’être répertoriées mais également parce qu’elles ne peuvent pas être toutes exposées). Maria de Los Angeles Romeo Frisi est une historienne de l’INAH qui les aide, accompagnée de deux autres chercheurs. Sont présents Alicia Baradaz et Emmanuel Bartolome. Ces personnes aident directement mais indirectement il y a beaucoup d’autres aides comme celles apportées par l’archéologue Yvan Rivera, le centre de l’INAH de Oaxaca et de Mexico. Puis vient la partie scénographique pendant laquelle est fourni le design du mobilier et les archéologues élaborent les fiches techniques, la description correspondant à chaque pièce. Austerlitz conclut en me disant que c’est généralement l’appui qui est donné et que les informations dépendent de chaque branche : histoire, ethnologie… mais que finalement ceux qui ont le plus d’informations sont les habitants eux-mêmes. Les informations orales qui circulent sont répertoriées puis vérifiées, il ajoute : « c’est donnant donnant entre l’INAH et le pueblo (peuple) ». Donc l’INAH s’occupe de l’aide technique concernant l’information et le patronat lui cherche des moyens financiers. Ils11 ont trouvé pour le montage de l’exposition les ressources nécessaires mais après le tremblement de terre ce fut grâce à l’architecte JJ. et le peintre José Luis Garcia que les travaux de restauration ont été planifiés et financés par la fondation Harp Helu mentionnée précédemment. Il souligne que beaucoup d’édifices ont été affectés dont le palacio municipal (équivalent de la mairie) qui est fermé malgré son statut d’institution gouvernementale, aucune aide n’ayant été reçue. Il pense que s’ils avaient attendu l’aide du gouvernement le musée serait également fermé et qu’il n’y aurait eu aucune avancée : « On est donc content de la venue de toutes ces aides externes ». Je lui demande donc quelles ont été les aides gouvernementales après le tremblement de terre. Il me répond qu’en tant musée ils n’ont pas reçu d’aide. Les premières personnes à avoir reçu des aides sont celles de la partie est de Oaxaca où le tremblement de terre a débuté, le 8 septembre. Le 19 lorsque le tremblement de terre touche Huajuapan les aides ont déjà été distribuées. Ils en reçoivent à peine maintenant, 6 mois après et petit à petit. De même pour les monuments historiques tels que les temples, églises qui sont abimés ou encore la cathédrale qui est fermée, cela ne fait que 3 semaines qu’ils ont commencé les réparations. La première étape consistait à soutenir l’édifice et seulement ensuite à le restaurer. Il me dit que s’il m’en parle c’est pour me décrire à quel point le processus est lent. Pour ce qui est du musée, s’ils n’ont reçu aucune aide il suppose que c’est parce que le gouvernement ne se rend pas compte à quel point le musée a été endommagé. Personnellement, je pense qu’il y a tellement d’argent qui s’est évaporé qu’il n’en reste plus suffisamment pour ce qui est culturel. D’ailleurs, que ce soit en temps de tremblement de terre ou habituellement, le Mexique ne consacre de l’argent à son patrimoine que depuis la révolution en 191012. Tout se passe comme si le pays n’avait pas réellement conscience de sa richesse culturelle. En plus de son statut de musée, le mureH est considéré comme une extension de la zone archéologique du cerro de las Minas et il me confie que c’est vers cette zone que l’attention est tournée. L’INAH est venu pour évaluer les moyens nécessaires à l’intervention mais il n’y a pas encore de dates fixées. Il y a donc une relation étroite entre les deux zones. J’en profite pour lui demander ce qu’il en est des maisons en adobe, si elles sont en lien avec l’INAH et s’il existe ou non un programme. Ce qu’il me répond est surprenant. Selon lui, n’importe quel édifice maisons, temples, antérieur à 1900 est considéré comme un monument historique. Donc même si ce sont 11
Lorsqu’il me parle il se place du côté du patronat Emission Cultures Monde sur France culture. Que Viva Mexico (4/4) : de Palenque à Teottihuacan : la fabrique d’un patrimoine commun. 15/03/2018 12
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des maisons privées elles ne peuvent pas être restaurées sans l’autorisation de l’INAH, les habitants reçoivent alors les conseils techniques de l’INAH. Pour les zones archéologiques, l’INAH intervient techniquement et financièrement. Seulement, le travail est retenu par le manque de finances. Ils font de multiples allers et retours, une première équipe vient évaluer, puis prendre des données et ainsi continuellement. Malgré le nombre de visites les monuments historiques commencent à peine à être restaurés. Il me dit qu’il n’y a quasiment pas de maisons particulières à Huajuapan. En effet, le tremblement de terre du 18 juillet 1882 cause de nombreux ravages touchant la cathédrale, de nombreuses maisons et vies humaines. Le 24 octobre de 1980, un nouveau tremblement de terre touche de nouveau les habitants et détruit le marché Porfirio Diaz, des écoles, l’hôpital Rafael Amador et Hernandez, des maisons, la cathédrale, le sanctuaire et le portail municipal. Dans la revue NUBE de Huajuapan de Leon on pouvait lire : « Que reste-il de ce jour d’octobre 1980 ? Très peu et ce n’est pas nécessairement significatif d’un triomphe », l’auteur ajoute un peu plus loin « Huajuapan a cessé d’être ce qu’il était ». Les tremblements de terre modifient le paysage de la ville. D’autre part, l’une des maisons étudiées est la seule de la ville à avoir conservé ses dimensions originales. Doña Lucila Castro Martinez nous explique que les plus anciennes maisons de Huajuapan ont toutes étaient construites sur des terrains de cette importance dont le propriétaire est un membre de la famille et qu’avec le temps la maison a été divisée entre les membres de la famille ou que des parties ont été vendues. Je pense donc que l’INAH joue sur ces modifications pour ne pas prendre en compte des maisons qui effectivement ont plus d’un siècle mais qui ont subi des modifications. Avant 1980 les maisons sont d’adobe mais il n’y eut pas d’attention portée sur leur conservation et ce fut selon Austerlitz le moment pendant lequel les maisons ont commencé à se modifier. Seulement très peu restèrent d’adobe. Avec ce séisme les maisons ont de nouveau été affectées. Il y a une équipe de citoyens de Huajuapan qui voit l’intérêt de conserver ces maisons. C’est le cas de l’architecte JJ Santibanez et de l’artiste peintre José Luis Garcia. C’est grâce à l’appui de la fondation Harp Helu qu’ils peuvent travailler leur projet. Mais comme cela va très lentement, beaucoup d’habitants ont commencé à détruire les maisons ou à les modifier considérablement. En effet, les maisons qui ne se sont pas écroulées sont reconstruites avec des briques, béton et tôles en acier ce qui perturbe l’équilibre technique et architectural. Une des sœurs du 66 rue de Morelos de 87 ans m’explique les modifications effectuées dans sa maison et remarque non sans humour : « Si je suis comme je suis, imaginez dans quel état est la toiture ». Du point de vue d’Austerlitz c’est lamentable car il y a la nécessité pour des familles d’occuper leurs maisons et attendre plus longtemps n’est pas supportable. Il n’y a aucun endroit où attendre. Il ajoute : « S’il existait un espace intermédiaire pour qu’ils aillent y vivre il n’y aurait pas de problème mais il n’y en a pas ! Ceci est la réalité de notre situation. » Je lui demande pourquoi il pense que les habitants préfèrent utiliser le béton à l’adobe. Il dénonce le manque d’informations ainsi que l’idée la plus répandue qui consiste à dire que le béton est plus résistant. La seconde raison est selon lui parce que l’adobe ne se travaille quasiment plus. C’est très compliqué et on remarque même qu’il est plus cher de faire une maison en adobe qu’une maison en béton. On peut considérer que maintenant c’est un luxe pour ceux qui en ont la possibilité de construire une maison en adobe. Pour cette raison les habitants se tournent plus facilement vers le béton : c’est moins cher et soi-disant plus résistant. Je lui demande quel est donc la position de l’INAH sur cette question, s’ils font des campagnes de revalorisation par exemple. Mais il me répète que seuls les monuments antérieurs à 1900 sont concernés. L’INAH veille donc à ce qu’aucune maison ne soit détruite, d’adobe ou d’un autre matériau. Après 1900 cela ne concerne plus l’INAH mais l’INBA dont le domaine d’action concerne les « monuments artistiques ». Personnellement, je pense que personne ne s’occupe du patrimoine ordinaire mexicain. Mon interlocuteur poursuit en prenant l’exemple de la fresque du palacio municipal, peinte par J.L. Garcia qui a été abimée et dont
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la restauration est exécutée par l’INBA. Il est conscient que l’architecture vernaculaire des maisons de Huajuapan attire beaucoup l’attention des touristes qui viennent visiter le musée. Il me parle d’une discussion organisée au musée pour les habitants qui ont des maisons en adobe, de l’intérêt de les conserver. Il leur avait été demandé d’attendre, de ne rien détruire pour garder la même architecture mais le processus a été très lent. Pour finir, je lui demande si les élections présidentielles de 2018 auront un impact sur l’architecture. Il me répond que cela dépend des propositions de chaque candidat, de plus : « On a de tout, comme par exemple un président qui n’habite même pas ici mais aux Etats Unis. Comment l’architecture de Mexico va l’intéresser ? Il y en a d’autres qui sont plus avec le pueblo, pour sa nécessité. C’est très rare qu’un gouvernant regarde la classe la plus humble, le regard est toujours tourné vers la classe moyenne et haute. » Il parle d’un candidat qui est en train de travailler avec le peuple, il a la majorité pour l’instant, peut-être sera-t-il. C’est un candidat qui parle d’éducation, des communautés, de l’appui des écoles dans les zones les plus enclavées. C’est ce que beaucoup appellent populismo (populisme) selon Austerlitz mais c’est une nécessité indépendamment à n’importe quelle philosophie. Il conclut en disant : « C’est une nécessité que le peuple demande, cri, exige et le mieux est de réussir à sauver nos connaissances, nos pratiques, l’architecture. Qu’ils nous appuient beaucoup plus. Parce que oui ces maisons (en adobe) sont plus sûres, plus fraiches et sont des merveilles dans la communauté. Mais en fin de compte il y a le discours politique et la réalité ». *** La culture est largement délaissée, les fonds sont versés au compte-goutte par le gouvernement. Les acteurs extérieurs se mettent donc en action et créent les initiatives qui permettent la survie de l’architecture traditionnelle. Je pensais que les bâtiments historiques considérés comme patrimoine tels que les temples, églises percevraient des aides gouvernementales plus rapidement. Lors des tremblements de terre, il est vrai que l’habitant est livré à lui-même et conserver l’architecture de sa maison n’est pas le plus important. Nous y reviendrons, cependant Austerlitz propose une idée intéressante en parlant d’espaces intermédiaires dans lesquels seraient accueillis les habitants, leur laissant ainsi un temps de réflexion. On remarque également que INAH et INBA se rejettent la « tâche », je pense qu’aucune des deux institutions n’est engagée quant à la conservation du vernaculaire.
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Figure 14 : Photographie prise au niveau de la place centrale de Huajuapan de Leon. Estanislao Ortiz. 1998. Publiée dans le livre 24 de Octubre. El sismo de Huajuapan. Livre de Francisco Cirigo, photographie de couverture. On observe les dégâts provoqués par le séisme des années 80.
Figure 15 : Photographie personnelle de la façade du mureH. 2018. Décombres tombés lors du tremblement de terre de 2017, stockés devant la façade du musée avant leur évacuation. La peinture de la façade a été réalisé par José Luis Garcia.
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Chap 8. Programmes gouvernementaux et désillusion
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Ce chapitre est consacré à l’analyse de programmes qui pour le premier, ne touche pas directement Oaxaca ni les maisons en adobe mais qui exprime parfaitement la façon dont les programmes gouvernementaux sont orchestrés. Je rencontre à Aguascalientes, un état au nord de la capitale mexicaine, le créateur des programmes telemayores (littéralement télé âgés) et piso firme (sol ferme) Marco Aurelio Hernandez Perez. Telemayores est un programme d’aide basique à la personne pensé sur les bases du développement personnel. Chacun y trouve son compte, le programme est flexible, créé de la solidarité et de l’entraide dans les communautés jusqu’au changement de gouvernance politique. Le changement de gouvernant entraine le démantèlement du programme. Les habitants sont de nouveau confrontés à des programmes d’aide basique dans lesquels ils ne gagnent et n’apprennent rien. Le programme quant à lui piso firme est mis en place après une étude socio-économique pendant laquelle il est décidé « d’éradiquer les sols en terre ». Le programme consiste à regrouper les habitants d’un village pour qu’ils travaillent ensemble, répertorier tous les sols de ce type puis les recouvrir d’une dalle en béton chez l’un puis, l’autre jusqu’à ce qu’il n’en reste plus. La dimension sociale est intéressante mais le programme est repris par une autre branche gouvernementale qui fait couler les dalles par un technicien. Le programme se répand ensuite à l’échelle du pays. *** Lors d’une conversation sur mon sujet de recherche à Oaxaca, une connaissance m’oriente vers Marco Aurelio Hernandez Perez. Je rencontre donc Marco dans son Etat natal, celui d’Aguascalientes. C’est une personne en tout point originale, il a suivi des études pour devenir comptable publique. En parallèle, il porte un intérêt au commerce et aux entreprises de construction, services et transports. Par la suite, il préside le syndicat patronal de la république de Mexico nommé Coparmex (équivalent du MEDEF français). Il se fait peu à peu une place dans le système politique de l’état d’Aguascalientes. Il lui est donc proposé d’intervenir dans la partie des services publiques et secrétariat de développement social en lien avec des aires d’organisation urbaine. C’est-à-dire tout ce qui est autorisation de nouveaux fractionnements : transport public, écologie et développement urbain. De nouveaux programmes sont implantés pendant qu’il travaille avec ce secrétariat. Il se tourne ensuite vers le commerce en préparant un master en éducation et en continuant à s’intéresser au thème de la construction. Lorsqu’il commence à travailler avec le gouvernement pour le secrétariat de développement social il est nommé pour diriger un certain nombre de programmes. Au début, il examine les programmes d’aide basique aux nécessités des personnes en cours et il m’explique avoir vu des équipes sur les places publiques qui distribuaient des sacs de ciment sans aucune étude économique préalable. Il dénonce alors le manque de qualification des personnes employées. Il m’explique que dans ce contexte, la distribution des aides sociales, dans ce cas du ciment était très aléatoire. Les habitants lui disaient souvent : « Mon voisin et moi, on est dans la même situation, sauf que lui gaspille tout son argent en buvant et il frappe sa femme ». Un sentiment fort d’injustice est ressenti lors de la distribution des aides. Dans d’autres cas, les habitants viennent récupérer des matériaux sans réelle nécessité. Par exemple, dans un village une femme vient lui demander des tôles métalliques, Marco lui demande ce qu’elle en fera et au cours de la discussion il s’aperçoit que les tôles n’étaient pas récupérées pour la construction d’une pièce en plus mais pour être revendues. Il ajoute : « C’était vraiment d’aucune aide ». Il remarque également qu’une évaluation est proposée avant le début du programme pour estimer les besoins d’aide. Cependant, nombre d’habitants faisaient exprès de ne pas valider l’évaluation pour toucher des aides. Selon Marco, les aides gouvernementales ne mènent à rien si elles ne sont pas accompagnées « d’attitude de développement personnel ». Il décide donc de réformer les programmes en liant développement social et connaissance afin que les gens aient « soif de supération ». Par ailleurs, la loi impose une étude socio-économique avant la mise en place de
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n’importe quel programme, dans ce cas cela permet de connaitre les niveaux économiques des personnes avec par exemple le nombre d’ampoules dont ils ont besoin, le type de sol de leur maison ou encore le nombre d’appareils domestiques. Il décide donc de mettre en place un programme qui s’appellera Telemayores13 qui consiste en la mise en place de cours, séminaires grâce à la red satellitaire qui existe dans les écoles communautaires. Les personnes s’inscrivant au programme seront payées pour chaque heure passée à étudier. Une heure de cours correspond à un horo, orthographié avec un « h » pour heure. Les cours ont différents thèmes allant de la supération personnelle comme renouer avec sa famille, s’alimenter sainement, vaincre les addictions à la drogue, la médecine naturelle et la prise de conscience des droits que confèrent le statut mexicain, entre autres. Lorsqu’il propose ce programme on lui répond qu’il est fou, que le gouvernement n’est pas là pour enseigner mais pour donner. Seulement Marco a l’appui du gouverneur et met en place le programme. Il passe un accord avec la télévision éducative de Mexico qui lui permet de transmettre à niveau satellital les cours du programme dans les écoles des villages. Une convocation est donnée et les personnes intéressées s’inscrivent. Afin de couvrir toutes les communautés (au départ le programme est uniquement mis en place dans l’Etat d’Aguascalientes), un fonctionnaire se déplace et nomme les représentants du lieu. Ainsi le budget social revient directement aux personnes. En effet, le programme qui avait lieu avant générait un gaspillage de 85 centimes pour l’organisation interne telle que l’utilisation des voitures et donc de l’essence. Seuls 15 centimes revenaient aux bénéficiaires du programme pour l’achat de ciment, tôles… Marco y remédie en sélectionnant un représentant de la communauté, aucun fonctionnaire ne se déplace et l’argent est remis aux habitants. Le représentant est directement nommé par les habitants de la communauté qui seront chargés d’ouvrir l’école, la salle de classe, de la nettoyer, ordonner les bancs… Le programme se met en place avec une programmation par jour entre 19 et 20h puis entre 20 et 21h. Ces horaires semblaient problématiques puisque c’est l’heure à laquelle les gens rentrent du travail, retrouvent leurs enfants. Contre toute attente, les habitants se sont inscrits et ont commencé à se réunir. La première année, 4 000 personnes sont présentes. Les présences sont relevées par le représentant de la communauté. Il n’y avait pas de triche mais une entraide impressionnante d’après Marco. Les horos récoltés sont dépensés par les habitants dans de la nourriture, des matériaux ou encore des médicaments que Marco et d’autres fonctionnaires apportent dans un camion et échangent à des prix accessibles. Il m’explique que les habitants sont fiers parce qu’ils apprennent quelque chose et qu’ils ne le doivent qu’à eux-mêmes, pour lui : « c’était une fête, les gens sentaient qu’on ne leurs offraient rien, qu’ils l’avaient gagnés et tous ceux qui ne participaient pas commençaient à vouloir participer. » Parallèlement, il observe un regroupement social important, les personnes qui ne se connaissent pas commencent à échanger et à être solidaires entre elles. Par exemple, quand quelqu’un est malade, avant ça durait des semaines et personne ne s’en rendait compte alors que pendant le programme, si quelqu’un manque une journée les habitants prennent de ses nouvelles. Les gens se connaissent, c’est un « schéma de sociabilisation ». Le programme a permis la génération d’un sentiment d’éco responsabilité devant la communauté. Quand venait le gouvernant, les habitants disaient : « On a gagné X horos, à nous tous on en a 10.000, on vous en donne 1 000 et vous nous faites cet ouvrage d’œuvre » Les gens étaient prêts à donner ce qu’ils avaient gagné. Un autre exemple quand la communauté réunit ces horos en échange de médicaments pour le fils d’une cousine atteinte d’un cancer. Un sentiment impressionnant de générosité se dégage de la communauté commente Marco. Parallèlement, l’intérêt des habitants grandit et de nouvelles thématiques sont proposées : « Je veux ouvrir une boutique, comment je fais ? ». Les gens 13
Telemayores est le nom choisi pour le programme car il fonctionne avec la télévision et la population visée représente les personnes âgées ou mariées.
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demandent de nouveaux programmes, pour créer des objets, acheter des vaches et autres, ils montrent beaucoup d’intérêt dans des domaines très variés. La condition pour ouvrir un cours est de réunir au minimum 20 personnes. Je lui commente alors le travail de l’architecte Marcos à Oaxaca pour qui il a été impossible de faire travailler les habitants en communauté. Il sait que dans certaines communautés, les gens ne veulent rien faire car ils se battent entre eux, il y a des conflits. Il me répond que le problème doit être résolu en commençant par la base : un intérêt commun, un sentiment communautaire. En effet, au final, tous se connaissent, ils s’assoient à l’école sur les bancs de leurs enfants pour apprendre à s’améliorer dans le domaine souhaité. En deux ans, le nombre de personnes inscrites est de 16.000 puis la troisième année de 45.000 personnes. La dernière année, 70.000 personnes regardent tous les jours le programme. Les choses ayant évoluées Marcos et ses collègues ne se déplacent plus avec la camionnette. Après deux mois de cours, les habitants reçoivent une liste de produits et leurs prix. La marchandise est gardée dans un hangar et de là les fonctionnaires chargent les sacs et distribuent les commandes. Seulement de nombreuses commandes arrivent incomplètes, cassées ou en mauvais état ce qui génère un sentiment d’incompréhension. Une troisième étape consista donc à contacter une entreprise qui reçoit les commandes électroniquement et s’occupe de charger, remplir et livrer les sacs. L’entreprise est donc directement responsable de la qualité du contenu. Il n’y a plus d’intermédiaire entre le vendeur et le receveur. Au départ, l’horo vaut 3 pesos par heure. Au final il atteint 5 pesos pour chaque horo. Ce processus dure quelques années puis le schéma change lorsqu’un nouveau gouverneur est élu. Il ne pouvait pas enlever le programme car il y avait beaucoup de gens qui le suivait mais il a commencé à supprimer des caractéristiques importantes. Premièrement, les personnes ne recevaient plus de marchandise tous les deux mois mais deux fois à l’année. La présence au cours n’est plus relevée. Finalement, tous les habitants, présents ou non dans l’école de sa communauté reçoivent la même chose. L’effort de chacun n’est plus récompensé, l’équilibre est rompu. Le programme existe depuis 18 ans mais ne compte plus à présent que 6.000 ou 7.000 personnes. La raison pour laquelle le gouverneur a décidé d’affaiblir le pouvoir est selon Marco parce que le programme avait de la notoriété et donc représentait un capital politique pour le gouverneur et ceux qui l’avaient créé. De plus le nouveau gouverneur ne veut certainement pas partager le pouvoir. Marco me dit : « Je passais à la télévision, je donnais des recommandations et j’allais toujours visiter les communautés. Quand on leur donnait les horos je leur demandais ce qu’ils pensaient, s’ils souhaitaient de nouvelles thématiques, s’il y avait des choses à changer ». Il était connu et apprécié de la population. De plus, les communautés elles-mêmes retrouvaient une force, une identité ce qui évidemment représente un danger. Le système était moins rentable, pour 15 pesos gaspillés en opérations 85 pesos revenaient directement aux habitants. Par jour, 350.000 pesos étaient convertis en horos pour près de 70.000 personnes. Il ajoute : « C’était très fort et centré sur ce que les gens voulaient et non pas sur ce qu’on pensait qu’ils voulaient. Les personnes âgées qui participaient rentraient chez elles le soir et se sentaient fières d’apporter quelque chose, elles ne se sentaient plus un poids. » Le programme piso firme a également été mis en place par Marco. Il explique que l’objectif est de faire disparaitre tous les sols en terre de l’état d’Aguascalientes. Pourquoi ce but a-t-il était proposé ? Lorsqu’il se rend sur place il pense que les sols en terre sont représentatifs de pauvreté des familles. En effet, ces sols sont selon lui sont les facteurs de beaucoup de maladies, champignons de par la fermentation d’aliments tombant au sol. Seulement il se rend compte que dans les maisons il y a « une télévision de dernière génération, des équipements de musique énormes, des vaches, un camion, des tracteurs ». Le sol en terre fait tache d’après lui. Je pense pourtant que ce type de sol fait partie de la culture de ces villages et qu’il n’y a pas de réelles nécessités à le modifier. Je lui demande alors pourquoi, selon lui les habitants n’ont pas effectué la modification. Il parle alors d’une « vision de la vie, le sol n’est pas important. La télé et l’appareil à musique le sont plus. » Seules les
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maisons habitées situées dans des colonies ou municipaux éloignés peuvent entrer dans le programme. La dynamique du programme consiste à répertorier le nombre d’habitants, les réunir et leur donner du matériel afin qu’épaulés par le technicien ils puissent effectuer le recouvrement du sol par une dalle en béton. Ainsi toute la communauté travaille ensemble. Un roulement est mis en place, ils passent de maisons en maisons. La solidarité générée est intéressante selon Marco. Plusieurs maisons sont traitées chaque jour avec efficacité. J’amène alors l’argument suivant : les seules fois où j’ai entendu parler de ce programme il était évoqué comme une stratégie gouvernementale permettant de diminuer les statistiques du seuil de pauvreté. Il évoque de nouveau les études socio-économiques effectuées préalablement à la mise en place du programme et évidemment moins il y a de sols de terre mieux c’est. C’est une façon de l’interpréter. Pour lui, ce programme consiste à augmenter le niveau de vie : « Une personne avec un sol en béton a moins de prédispositions à la maladie ou à rendre malades ses enfants. » Il se rappelle l’incompréhension des habitants qui possèdent un sol en béton et qui voient leur voisin recevoir l’aide : « J’ai un sol chez moi mais tu sais pourquoi ? Parce que je ne suis pas alcoolisé, parce que les jours où je ne travaille pas, je travaille ici avec ma famille et eux qui gaspillent leur argent dans autre chose, ne travaillent pas…vous me récompensez en me punissant. Pourquoi ce que vous leurs donnez, vous ne me le donnez pas pour faire autre chose ? ». Un sentiment fort d’incompréhension et d’injustice est encore présent. La seule raison qu’il peut donner est qu’il se doit de respecter la loi, en tant que fonctionnaire ses possibilités sont limitées. L’approche gouvernementale consiste donc à relever les facteurs qui qualifient la pauvreté extrême, puis à les « radier pour diminuer le problème. Ce n’est pas mal, on considère que ces facteurs produisent des problèmes. » Le parti de certains gouvernements est donc une approche dans laquelle on ne s’intéresse pas forcément aux gens mais où on modifie les statistiques grâce à certaines actions. Un compromis donc entre les intérêts personnels et le « développement ». En effet, après avoir exécuté beaucoup de sols fermes, le gouverneur a demandé à Marco de contacter des techniciens pour la mise en place de la dalle : plus rapide et de qualité supérieure. Il s’y oppose premièrement car la partie la plus importante est perdue, celle du travail communautaire. Il me dit : « Don José ou Don Luis ont participé, la dame de cette maison n’oubliera pas qu’ils étaient là. » La conscience de solidarité est effacée. On lui reprend donc le programme pour le confier à une autre branche du gouvernement qui travaille uniquement avec les maisons. Il me semble qu’une stagnation dans les programmes est orchestrée afin d’aider seulement un minimum les habitants mais également continuer à occulter la corruption. Marco explique qu’il y avait beaucoup plus de programmes pour apprendre à confectionner des habits, des couvertures. Les coopératives se forment et vendent leur artisanat dans des marchés qui les payent correctement. Cette politique guide les artisans au travers de programmes basés sur le développement personnel : « On cherchait à ne rien donner aux gens si eux ne nous donnaient pas quelque chose en échange. La politique n’était pas gratuite. Les gens aussi pauvres qu’ils soient ont tous du temps à donner pour leur développement personnel. Sous cette dynamique les programmes aidaient à fortifier des points des communautés comme la place centrale, à donner une dynamique à ces espaces mais toujours avec leur participation. Rien sans leur volonté ». Les programmes ont ensuite été déformés et la structure de cette aire gouvernementale a été pulvérisée en 5 parties différentes. La partie sociale, écologique (normes + inspection), le transport, la planification et le développement urbain.
*** On remarque que les programmes sont mis en place par un gouvernement qui ne semble pas conscient des besoins de la population ni de la richesse des traditions. Ils ne sont pas pensés
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pour l’habitant, pour sa réussite dans la société. Lorsque de nouvelles initiatives sont proposées telles que le travail de Marco on les freine. Pourtant, elles stimulent, donnent de l’espoir et de la force à la population. La mise en place d’une « monnaie locale » est extrêmement intéressante, en se développant plus encore elle peut permettre l’indépendance totale des communautés… Cependant, au moment du changement de gouverneur, les initiatives et donc programmes mis en place sont détournés, passent d’une aire gouvernementale à l’autre. Dans le cas de piso firme qui s’est étendu à échelle nationale le passage d’un travail communautaire à l’application de la dalle par un technicien a provoqué de nombreuses failles techniques. La dalle est mal coulée et ne prend pas en compte le type de maisons (briques, adobes). Lors des séismes, un élément qui représente à l’origine une aide se transforme en un dommage additionnel. La population quant à elle est dans l’incompréhension, la colère de se voir d’une part retirer des aides sociales utiles et d’autre part a le sentiment de n’être rien d’autre qu’un objet d’expérimentation.
Figure 16 : Illustration nommée Piso firme y techo digno beneficiaran a cientos de guanajuatenses. (Piso firme et techo digno vont bénéficier à une centaine d’habitants d’Aguascalientes). 2017. Photographie provenant de l’article Aporta Sedeshu (Secretaria de Desarollo Social y Humano) 900 mil pesos para techo digno y piso firme. (Sedeshu (Secrétariat de Développement Social et Humain) apporte 900.000 pesos pour techo digno et piso firme). On observe l’installation d’une dalle en béton dans une maison en adobe.
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Chap 9. Les limites générées par la conservation
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La conservation de bâtiments historique et dans notre cas des maisons en adobe à un prix. Comme le commentait Austerlitz, le représentant de l’INAH dans des conditions d’urgence telles que l’après séisme les habitants se tournent généralement vers la solution la plus économique. Nous allons donc examiner les programmes mis en place par le gouvernement en situation « normale » qui permettent malgré l’instrumentalisation et la dénaturalisation la conservation de l’architecture vernaculaire. Les limites de ces actions sont largement questionnables et il appartient à tout un chacun de se positionner. *** Quel est donc le rôle du gouvernement sur l’architecture vernaculaire ? D’après Marco et la plupart des personnes rencontrées le gouvernement n’est pas concerné par l’architecture vernaculaire. C’est une aire qui concerne « un peu » l’INAH qui classe quelques édifices qui doivent respecter leur architecture d’origine. Cela nous amène à la limite du sujet. Les exigences imposées par l’INAH lorsqu’un édifice est catalogué sont considérées par les habitants comme un inconvénient, une contrainte et les habitants sentent qu’ils sont dans un lieu « sanctionné ». Il y a de nombreuses normes de construction en lien avec les hauteurs14 ou encore la conservation de la façade. Dans certains villages, on observe une uniformité des couleurs, du type de construction des rues qui permet d’obtenir la classification de pueblo magico et conserver des airs de « vieux villages » générant l’attraction et le tourisme. C’est le cas de la ville de Oaxaca dans laquelle les traditions ont selon moi été instrumentalisées. En effet, Oaxaca capitale est connue comme étant la ville mexicaine représentative des traditions. Au détour des rues on y voit des femmes et enfants habillés de divers motifs et textiles vendant leur artisanat. Le dimanche, les mariages à Santo Domingo mettent un scène un défilé haut en couleurs. Derrière la peinture écaillée des maisons du centre-ville on observe les blocs d’abode. Pourquoi la ville de Oaxaca parait-elle plus authentique que Huajuapan ? Politiquement, il a été décidé de jouer avec le caractère traditionnel de la ville à des fins touristiques. Le fait d’entrer dans les initiatives gouvernementales telles que le programme pueblos magicos permet d’obtenir des aides financières. Cependant, on observe deux cas de figure comportant des éléments et positifs et négatifs. Le premier, dans les villes : à Oaxaca par exemple, les habitants ont souvent dû se déplacer en périphérie de la ville. Les loyers sont devenus élevés et tous les commerces du centre-ville visent les touristes et sont donc plus chers. Oaxaca s’est convertie en un lieu dans lequel les natifs ne peuvent plus vivre. Cependant, ce renouveau pour la ville traditionnelle apporte une certaine sensibilisation de la population quant à son identité. En effet, 5 ateliers d’architecture vernaculaire sont apparus et de nombreux artistes se battent pour que la ville ne tombe pas dans un schéma capitaliste. Par exemple, Francisco Toledo, peintre reconnu de Oaxaca qui préside le ProOax Fondation pour la conservation du patrimoine et culturel de la ville de Oaxaca empêcha Mac Donald’s de s’implanter dans la ville15.
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Au Mexique, lorsque les terrains sont étroits ou que la famille n’a pas beaucoup de moyens il est de coutume de construire des dépendances sur l’édifice existant afin de loger les nouveaux membres de la famille (mariages, personnes âgées…). Ainsi les constructions s’empilent et leur hauteur augmente. 15 LLANO VAZQUEZ PRADA Manuel. McDonald’s vaincu par la médecine traditionnelle dans la ville de Oaxaca. La gastronomie comme patrimoine et identité culturelle de chaque nation. 2005. Article disponible sur : base.d-p-h.info.
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Pueblos magicos Le programme de pueblos magicos (villages magiques) de Mexico a été mis en place par le secrétariat du tourisme. Il permet de « valoriser un ensemble de population du pays qui ont toujours été dans l’imaginaire collectif de la nation et qui représentent des alternatives nouvelles et différentes pour les visiteurs nationaux et étrangers. Plus qu’un sauvetage, c’est une reconnaissance envers ceux qui habitent ces beaux lieux de la géographie mexicaine et ont su garder pour tous, la richesse culturelle et historique qu’ils renferment »16
Le second cas concerne les villages où les aides gouvernementales touchées grâce au programme de pueblos magicos leur permet dans le meilleur des cas d’avoir leur maison repeinte ou de booster leur activité commerciale en se mettant au service des touristes. Seulement, les constructions qui ont ces classifications se retrouvent rapidement immergées dans des zones centriques et commerciales à côté de projets dont le développement diffère de la construction traditionnelle. De plus, ces programmes posent la question de la dénaturalisation du village et de ses environs. A San Augustin par exemple un bâtiment de textile a été réhabilité en centre d’art. Le village se situe à 30 minutes en voiture de la ville de Oaxaca, pueblo magico et est une destination touristique répandue. De nombreux airbnb ont vu le jour et les habitants ont vu le village se transformer, s’adapter aux touristes. Une fois de plus, les traditions sont soit instrumentalisées soit mises de côté. Les habitants sont donc bloqués entre l’obligation de conserver la construction sans en avoir forcément les moyens et avec l’envie de développer un autre type d’architecture ou répondre à de nouvelles demandes. Après les tremblements de terre par exemple, vient premièrement la nécessité de vivre avant de penser à une « belle architecture ». Pour cette raison à Huajuapan et dans de multiples villages de Oaxaca de nombreuses maisons ont été détruites au cours du temps. Avec Marco, j’ai essayé d’intégrer les questions environnementales, la nécessité de construire avec des matériaux propres au lieu et de respecter l’architecture originale qui est en adéquation avec le mode de vie des populations. Sans quoi, les habitants perdent leur identité et rentrent petit à petit dans un moule global, mondial. Cependant, selon lui, la logique gouvernementale consiste à dire que l’adobe génère de meilleures conditions de vie mais n’est en rien résistant aux contraintes sismiques. Il pense que le gouvernement en intervenant prend le parti de ne pas respecter la construction traditionnelle mais d’apporter des réponses « structurellement correctes ». Ici même se trouve le discours politique : « Qu’est-ce qui est le plus important ? Respecter l’architecture traditionnelle ou s’assurer que les maisons ne s’effondrent pas ? ». Pour lui, considérer les dimensions de l’architecture « banale » est secondaire, une vision romantique et il le voit également comme quelque chose de stratégique. Il pense que les habitants de Huajuapan de Leon détruisent les maisons traditionnelles à cause de leur manque de fonctionnalité. Il est persuadé que la construction moderne est plus sûre et demande moins d’entretien. L’adobe n’est pas « industriel », perd de l’humidité sans entretien et produit de la poussière, selon lui. Comme si le béton restait intact une centaine d’années. La construction en adobe devient donc un luxe que peu de personnes peuvent s’offrir dans les communautés. Pour finir, dans l’exposition Géométries Sud, du Mexique à la Terre de Feu présentée à la fondation Cartier est projeté le film d’Isaac Niemand Cholet the work of Freddy Mamani dans lequel le travail de l’architecte Freddy Mamani est présenté. Il a créé un nouveau style architectural qui 16
Description présente sur le site www.pueblosmexico.com.mx dans lequel sont listés tous les villages du programme pueblos magicos
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selon lui représente l’identité d’une population qui n’a pas d’architecture propre. Cette référence ne concerne pas son travail mais la remarque de l’un des intervenants pour qui l’identité indigène passe premièrement par « le marché, la fête et enfin l’architecture ». Selon moi, le marché est le second lieu le plus important des villes mexicaines, après l’église. Il démontre l’ampleur économique de la ville, tout le monde s’y retrouve pour vendre artisanat, nourriture typique et une variété de marchandises. Il est un point important spatialement. La fête quant à elle permet l’union entre tous les habitants. Procopio en parle de nombreuses fois dans son livre. Pour lui c’est le moment pendant lequel les personnes âgées transmettent aux plus jeunes. A Huajuapan, le molle, pan de muerto, les elotes, la calabazas avec du miel marquent ces moments. Chaque fête a sa nourriture et ces rituels. Par exemple, lors des mariages, la maison est le lieu central. Le marié y est depuis la veille, la chèvre y est tuée, on prépare le maïs pour le pozole. L’après midi tous défilent à la maison de la mariée. Le Tlahuichani ou représentant du marié demande l’autorisation pour s’installer et commencer la fête. A 9 heure, les parrains se rendent à la maison de la mariée pour la recevoir et la préparer. Commence ensuite la danse avec la musique de bajo quinto et les violons qui jouent toute la nuit. Le jour suivant, les parrains se rendent à l’église avec la mariée. Le marié quant à lui est reçu avec de la musique et une haie d’honneur. L’on déjeune à nouveau du pozole. Par la suite, les mariés reçoivent pendant des heures une liste de recommandations ainsi que bénédictions et les longs conseils accompagnés des musiques « Dios nunca muere » ou « alejandra ». Le soir, on mange de nouveau le mole de guajolote avec l’aguardiente de canne ou le tepache en canutos de carrizo. La nuit continue jusqu’aux dernières danses. Des figures traditionnelles demeurent comme les moros et la maroma. Elles font aussi partie de l’identité de la population mais leurs prestations sont devenues très rares, les habitants les associent à des souvenirs joyeux d’antan. Ces prestations sont gratuites et tout le monde peut en profiter alors que « Maintenant tout se paye et les gens n’ont pas les moyens. Ce qui me fait comparer les fêtes d’avant, au sentiment plus populaire aux fêtes d’aujourd’hui qui ne sont que pure consommation laissant beaucoup de personnes uniquement spectateurs, ne pouvant rien acquérir de ce qu’ils désirent ». Ces évolutions brouillent l’identité de la population. Reste alors l’architecture. Les savoir-faire ayant quasiment disparus, il est vrai que l’architecture d’adobe est plus chère à exécuter que l’architecture en béton. Il faut payer l’artisan, le bois pour la toiture et le transport des adobes d’un point à un autre. L’architecture d’adobe est donc détruite, remodelée, modifiée, conservée ou oubliée. L’architecte JJ. pendant les travaux de reconstruction répète souvent qu’il faut trouver un équilibre entre tradition constructive et modernité. Les qualités des maisons en adobe doivent être conservées et les éléments pouvant être améliorés, modifiés grâce aux nouvelles technologies. On ne peut alors que se questionner sur le futur des maisons en adobe. Qu’en restera-t-il dans quelques années ? Peut-on imaginer que les maisons en adobe resplendiront de nouveau ou à l’image de la maroma ne seront-elles que souvenirs joyeux que l’on recroise seulement avec de la chance ?
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L’INAH en imposant la conservation des bâtiments antérieurs à 1900 inflige des contraintes aux habitants qui n’ont pas forcément les moyens de conserver et d’entretenir ou qui veulent simplement utiliser le terrain de façon différente. Les programmes tels que pueblos magicos posent quant à eux la question de la dénaturalisation des villages et villes dans le sens où toutes les dynamiques, économiques et sociales sont tournées vers l’unique objectif du tourisme. Selon moi les programmes permettent de manipuler la population, encouragée par des aides financières à des fins politiques et économique mais ont également permis la sensibilisation des communautés quant à la richesse de leurs traditions et de leur architecture. La ville marché, la ville fête et la ville architecturale sont les 3 éléments cités dans le documentaire Géométries Sud, du Mexique à la Terre de Feu qui me permettent de qualifier l’identité des habitants de Huajuapan de Leon. Marchés et fêtes rythment la vie mais l’architecture vernaculaire parait difficilement ré appropriable de par son caractère rare et donc coûteux.
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Figure 17 : Photographie d’une amie, Gabriella Perez. 2018. Appropriation de l’architecture en adobe par l’architecte J.J. Santibanez lors de la construction de sa maison familiale.
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Le jeu des moros et la maroma « Le jeu des moros est une tradition espagnole grâce auquel est représenté la guerre entre les moros et les chrétiens qui eut lieu durant la domination arabe dans la région de la péninsule ibérique au XVIème et XVème siècle. Ce jeu souligne le courage des chrétiens pour affronter les Arabes et défendre le christianisme. Les représentations dans notre région datent du XVIème siècle et servaient à enseigner aux Indiens le christianisme ; c’était un moyen didactique, plus digérable, adapté aux éléments propres des traditions de la région pour que ce soit plus assimilé à la religion. C’était un spectacle dans lequel les acteurs portaient des vêtements antiques, les danses qui constituaient le folklore et on écoutait les vers permettant aux joueurs d’échanger entre eux. La maroma était un autre spectacle très attendu chaque année. La scène était montée à l’endroit où se trouve l’actuelle école primaire Presidente lazaro Cardenos en face du temple. C’était un jeu pour les gens agiles et légers, la diversion nous nouait parfois la gorge car ils réalisaient des sauts dangereux. Au final, tous restaient admiratifs des acteurs assimilés à des artistes de cirque ».17
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Relatos y vi Procopio Martinez Vasquez dans le livre Relatos y Viviencias de Huajuapan : Acatlima, el Barrio de Guadalupe y la region Triqui. P.78
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Figure 18 : Photographie d’un maromero par mon ami Hugo Pacheco. 2018. Il l’a légende avec le texte suivant : « Peu de personnes savent ce qu’est réellement la Maroma. Oui c’est un spectacle, il y a de rires, du divertissement et des applaudissements mais rares sont ceux qui savent ce qu’il y a derrière ; le sacrifice, la nécessité, le risque de perdre la vie ». La figure de la maroma a quelque chose de sacré, d’ancestral que j’aime comparer aux maisons en adobe.
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Conclusion
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Selon la légende, la terre chaude de la Mixteca Baja a vu naitre au travers du rio de los Linajes le peuple des Mixtecos. Au cours des siècles le contexte social, économique, politique et architectural évolue en fonction du climat et des conquêtes et s’enrichit toujours plus avec la création d’outils et d’organisations spatiales. Force est de constater que la construction en adobe n’est plus aussi présente nous nous questionnons quant à sa réappropriation. L’enquête menée nous a permis de considérer différents facteurs. Premièrement, l’organisation sociétale de Huajuapan de Leon, au travers de la conquête espagnole et des ejidos pousse les habitants à hiérarchiser leurs priorités : indépendance, révolution et lutte puis, organisation spatiale qu’ils réalisent de façon autonome. L’installation de la ville sur un terrain dont les caractéristiques ne sont pas connues ne permet pas l’élaboration, pourtant si importante d’une construction empirique pouvant résister aux mouvements de la terre. Le premier intervenant, Marcos Sanchez nous sensibilise donc quant au cercle vicieux dans lequel se trouve la construction en adobe mal réalisée. Elle provoque effondrement et perte de confiance envers les habitants que viennent accentuer des maladies telles que le mal de chagas. Ensuite, les domaines universitaires et scientifiques ne sont pas à jour dans les recherches concernant l’adobe. Le Mexique manque donc fatalement de données exactes permettant de juger justement le matériau. On constate également, l’ouverture physique et donc économique de Huajuapan de Leon qui entraine l’arrivée et le départ de nombreux habitants, de tous côtés du Mexique mais surtout aux Etats-Unis, permettant ainsi l’arrivée de nouveaux matériaux, marchandises et idéologies que certains qualifient de « contamination culturelle sans précédents ». En parallèle, le gouvernement met en place le programme solidaridad dans une logique d’accoutumance au béton à des fins économiques mais également par stratégie. Le passage progressif de l’adobe au béton permet la transformation du village de Huajuapan de Leon en ville, de membre d’une communauté à habitants et finalement d’une identité marquée tendant à se fondre dans l’hétérogénéité mondiale. En comparant Huajuapan aux villages qui l’entourent, l’argument de la situation géographique semble pertinent quant à la conservation des traditions, du mode de vie et de l’architecture des populations. Les villages originaires paraissent hors du temps, dans une bulle inaccessible. Cette inaccessibilité leur donne une protection face aux Espagnols et aujourd’hui au gouvernement. Aucune aide ne peut être mise en place. Les habitants sont protégés des vices de l’assistanat. Cependant, les « documents techniques » fournis par le gouvernement lui permettent de se dédouaner de toute responsabilité administrative mais entrainent la destruction des maisons en adobe. La terre, gratuite, accessible à tous est associée aux classes populaires qui subissent le racisme de la société au travers d’idées véhiculées par nombre de médias. On note tout de même que L’UNAM est en train de mettre en place un enseignement dédié à la construction en terre. Pour finir, la culture et l’architecture sont délaissés par les institutions gouvernementales fédérales. Les aides apportées et l’intérêt arrive dans les communautés très lentement poussant les habitants à agir par eux-mêmes. Les acteurs privés sont ceux qui permettent la survie de l’architecture vernaculaire en s’organisant, en faisant appel aux fondations privées, en créant des patronats et en proposant des initiatives politiques et citoyennes basées sur l’habitant. Les programmes gouvernementaux quant à eux proposent le nécessaire à la population sans chercher à la stimuler. Les initiatives intéressantes sont bloquées, modifiées ou démantelées. Le passage d’une échelle à l’autre du programme (de l’Etat au pays par exemple) y contribue. Les limites de la conservation sont démontrées au travers des contraintes imposées par l’INAH. Elles ne prennent pas en compte les besoins, nécessités et possibilités financières des habitants. Cependant, INAH et programmes gouvernementaux permettent d’une par la conservation d’une partie des constructions vernaculaires et sensibilisent la population. D’autre par ils manipulent, dénaturalisent et instrumentent les habitants, l’espace et les traditions. L’hypothèse de base consistant à dire que seul le gouvernement est responsable de la dévalorisation de l’architecture traditionnelle est démentie. Cependant, lorsque l’on compare les facteurs pouvant amener à la réappropriation du
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vernaculaire à Oaxaca on constate qu’ils sont moins nombreux que ceux proposant son remplacement ou encore sa destruction. Je pense que mes recherches peuvent être complétées en continuant à sillonner le terrain. Les personnes, habitants, fonctionnaires et politiques sont les seuls propriétaires des informations que je recherche dans un pays où le gouvernement occulte tout document précis qui le concerne. Les populations et modes de vies ont évolué mais je trouve facile de dire qu’il faut répondre aux nouvelles demandes grâce à des modes de productions rapides et peu respectueuses de l’environnement. On reproche à l’adobe d’être devenu luxueux… L’adobe n’est rien d’autre que de la terre. Si le gouvernement arrive à financer des programmes et à imaginer des stratégies pour promouvoir le béton il ne devrait pas être compliqué de réaliser la même chose pour l’adobe. Je partage le point de vue de l’architecte J.J. Santibanez lorsqu’il indique que les maisons en adobe ont beaucoup de qualités et qu’il suffit de les améliorer avec les technologies qui au jour d’aujourd’hui sont à notre disposition pour qu’elles conviennent parfaitement à nos nécessités. Il existe de nombreuses solutions. Le vernaculaire de Huajuapan de Leon n’est pas synonyme d’inconfort et de danger, il ne mérite pas sa réputation et représente au contraire un héritage merveilleux. Enfin, on soulignera que le Mexique est régulièrement soumis aux séismes et que grâce aux catastrophes engendrées, il a été légitime, dans un premier temps, de remettre en question les modes de construction traditionnels et de se tourner vers des matériaux utilisés par la grande puissance mondiale voisine. Force est de constater que cette solution n’est pas idéale. Le temps est venu d’exploiter les possibilités offertes par l’adobe et de développer ses compétences.
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Iconographie Figure 1 : Photographie personnelle du cerro de las Minas. 2018. Etat actuel des excavations archéologiques. ................................................................................................ 18 Figure 2 : photographie personnelle de blocs d’adobe. 2018. Blocs d’adobe en train de sécher avant leur mise en place dans une construction. ............................................. 19 Figure 3 : Carte 699, XVIIIème siècle, 1753. Provient de Qyuatlalpan et Zapatlan à Huajuapan et se trouve actuellement au mureH. La carte représente l’orographie et les quartiers proche de Huajuapan de Leon et Huajolotitlan. On note la présence de l’église à Huajuapan et les quelques maisons qui l’entourent ainsi que l’installation du village sur une zone plane afin d’assurer le contrôle des habitants...................................................................................... 26 Figure 4 : Photographie personnelle prise dans une maison en adobe à Huajuapan. 2018. On observe à gauche et à droite les colonnes qui supportent la toiture. On note également les modifications apportées par les habitants avec l’installation d’une paroi vitrée.27 Figure 5 : Photographies personnelles du village San Pedro de los Pinos. 2018. L’architecture d’adobe est présente dans tout le village. L’église a été démolie lors d’un tremblement de terre, les habitants en construisent une nouvelle mais conservent la façade de l’ancienne en souvenir. 34 Figure 6 : Photographie de Marcos Sanchez. 2018. L’architecte diversifie son activité en créant une gamme de peintures faites à base de terre et de colorations naturelles. ........ 35 Figure 7 : 1ère page de l’article : « Los comercientes de Huajuapan han destruido nuestra arquitecture original. » (Les commerçants de Huajuapan ont détruit notre architecture original). SANTIBANEZ Juan José. Juillet 1997. Publié dans la revue Yucunitza, testimonios de la vida cultural en la Mixteca, (témoignages de la vie culturelle dans la Mixteca), n°44 .......... 37 Figure 8 : Calle de Morelos. Vista de Huajuapan de Leon. (Rue de Morelos. Vue de Huajuapan de Leon). Estanislao Ortiz. Je ne connais pas la date précise mais la photographie a été prise avant le tremblement de terre des années 80. On peut observer les maisons traditionnelles avec leurs toitures en tuiles. ............................................................................................. 40 Figure 9 : Photographie personnelle d’une maison en construction. 2018. Ce type de maison est celui que l’on qualifie à l’américaine et qui est construit au milieu des maisons en adobe. 41 Figure 10 : Photographie d’un ami nommé Angel CL. 2018. Le torrito allumé et porté par un petit garçon, au rythme de la musique d’une fête ayant eu lieu à Tezotltan. .......... 46 Figure 11 : Photographie personnelle d’un tissage Triqui. 2018. Une femme de la communauté Triqui est en train de tissé une blouse. Les tissages symbolisent par exemple le village duquel la personne est originaire, représentant le cours d’eau, les champs et les maisons. 47 Figure 12 : « La sécurité de ta maison n’est pas un luxe. ». CENAPRED. 2010. Légendé : « C’est un facteur qui te permettra de protéger la vie de ta famille et ton patrimoine lors d’un séisme ou vents intenses. Mets en pratique les recommandations de ce livret, principalement pour les maisons auto construites. Rappelle-toi qu’une maison digne est par-dessus tout une maison sûre qui intègre de bonnes pratiques constructives ». Page de fin du livret, p.25... 53 Figure 13 : Photographie personnelle d’une maison en adobe située à Tezoatlan. 2018. Les 3 piliers en béton sont rajoutés suivant les conseilles du livret. En plus du déséquilibre structurel provoqué ils perturbent l’esthétique de la maison. .......................................................... 53 Figure 14 : Photographie prise au niveau de la place centrale de Huajuapan de Leon. Estanislao Ortiz. 1998. Publiée dans le livre 24 de Octubre. El sismo de Huajuapan. Livre de Francisco Cirigo, photographie de couverture. On observe les dégâts provoqués par le séisme des années 80. 59
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Figure 15 : Photographie personnelle de la façade du mureH. 2018. Décombres provoqués par le tremblement de terre de 2017, stockés devant la façade du musée avant leur évacuation. La peinture de la façade a été réalisé par José Luis Garcia. .................................. 59 Figure 16 : Illustration nommée Piso firme y techo digno beneficiaran a cientos de guanajuatenses. (Piso firme et techo digno vont bénéficier à une centaine d’habitants d’Aguascalientes). 2017. Photographie provenant de l’article Aporta Sedeshu (Secretaria de Desarollo Social y Humano) 900 mil pesos para techo digno y piso firme. ( Sedeshu (Secrétariat de Développement Social et Humain) apporte 900.000 pesos pour techo digno et piso firme). On observe l’installation d’une dalle en béton dans une maison en adobe. ...................................................... 65 Figure 17 : Photographie d’une amie, Gabriella Perez. 2018. Appropriation de l’architecture en adobe par l’architecte J.J. Santibanez lors de la construction de sa maison familiale. 71 Figure 18 : Photographie d’un maromero par mon ami Hugo Pacheco. 2018. Il la légende avec le texte suivant : « Peu de personnes savent ce qu’est réellement la Maroma. Oui c’est un spectacle, il y a de rires, du divertissement et des applaudissements mais rares sont ceux qui savent ce qu’il y a derrière ; le sacrifice, la nécessité, le risque de perdre la vie ». La figure de la maroma a quelque chose de sacré, d’ancestral que j’aime comparer aux maisons en adobe. ....... 73
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Annexe Entretiens et interviews : retranscription et traduction Habitantes de Huajuapan, Doña Inocencia Gonzalez Ramirez et sa sœur Doña Irene de Jesus. Propriétaires d’une maison en adobe située au 66 rue de Morelos : -
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Quelles sont les expériences que vous avez eues ici, avec le matériau ? Je crois que dès mes premiers souvenirs il y avait l’adobe qui constituait les chambres. Je ne me rappelle plus quand ils les ont faites. Mon papa me racontait que quand il a acheté la maison, il n’y avait quasiment rien. Ici trois personnes étaient propriétaires puis une seule personne a tout racheté. Mon père, qui avait un fort caractère a demandé à faire cette première chambre. La personne qui a construit la chambre a cependant commis l’erreur de ne pas désigner à qui appartient le mur. Il fallait respecter les choses. C’est pour ça que là où il y avait la salle à manger et la cuisine, au niveau de la rue, il y a un mur dont la moitié appartient à mon père et l’autre au voisin. Tout était d’adobe. C’est ici-même que mon papa faisait l’adobe. Je me rends bien compte de comment c’était. Les artisans mélangeaient tout le matériel : caca de vache, d’âne, eau, terre. Vous avez vécu dans une autre maison ? Non seulement ici dans la maison de mon papa. Mais on a modifié les poutres après le tremblement de terre de 80 qui a fait s’écrouler beaucoup de maisons. Une fois réparés, les toits ne bougent plus. La maison date sûrement de 1920 et les murs sont encore là. Le mur des années 40 est plus fin que celui des années 20 (changement de taille de l’adobe). Je me suis aussi rendu compte après les destructions, que certains artisans mettaient deux blocs d’adobe debout. Il y avait différentes façons de construire. Le mur mitoyen posait problème. Un monsieur était venu en prétendant qu’il est le neveu de l’ancienne voisine. Il voulait enlever le mur ! Mon papa n’était pas d’accord, il lui a donc donné la moitié. Pour respecter le contrat chacun devait entretenir son côté. Mais mon papa est mort et le monsieur est revenu sur le problème et nous nous sommes de nouveau disputés. Je vivais ici avec ma maman, j’étais la plus grande. On ne savait pas comment se défendre. On n’avait pas d’école, rien, pourquoi il nous faisait ça ? Après le tremblement de terre des années 80, les toitures étaient dangereuses. Comme aujourd’hui, on dormait donc tous dans la même chambre. J’ai cru que le sol tremblait mais c’était le monsieur en train de voler les adobes ! Je pense que si vous savez lire, que vous savez tout alors que moi non, comment peut-on penser que le mur va tenir alors qu’on en enlève des adobe ? Il l’a pourtant fait et le mur est tombé. Quand je m’en suis rendue compte, je suis allée voir le Président, il nous traita bien. Il me disait : « Vous êtes voisins, vous devez être conviviaux, vous devez vous entraider. En plus, le mur vous sert à tous les deux ». Seulement, chacun pense que le mur est sien. Moi, je me fie aux papiers qui disent que mon père est propriétaire. Un autre jour, on avait fini de se disputer. Le temps passa. Je m’en souviens c’était le 21 mars. Dans la cuisine, il y avait toutes mes affaires. Le voisin décida de la détruire ! C’était la fin de la semaine donc personne n’était disponible pour rendre justice. J’y suis allée le lundi. J’ai vu le président qui nous convoqua les deux. Le voisin était un Cruz. Chacun s’expliqua mais ils me menacèrent d’emprisonnement. Seulement, j’avais les papiers. Je ne faisais plus confiance au président. Il menaçait une humble analphabète. Très bien. J’ai présenté les papiers au vice-président. Il prit les mesures adéquates. Le voisin fut obligé de payer la moitié des matériaux pour la reconstruction du mur. Je pris les papiers et je ne lui ai plus jamais adressé la parole. Comment était Huajuapan avant ? Les rues, les commerces…
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Je me souviens que c’était très petit. Il y avait peu de maisons dans la rue. Maintenant de cet angle, de la rue des Minas jusqu’au centre, il y avait quelques maisons arrivant jusqu’à l’autre angle où il y avait le marché. Je me rappelle que dans l’angle vivait une famille : Villa Gomez. Puis s’installèrent des peintres. Aujourd’hui il y a la boulangerie. Dans l’angle, il y avait un terrain avec une petite maison. Aujourd’hui il y a une laverie et le dentiste, le terrain appartenant à un seul propriétaire Graciano Reyes dont le fils s’appelait Francisco mais tout le monde l’appelait Pancho Milles. Je pense qu’il était riche. Il y avait près de Santa Maria, un petit temple près de la route. De plus, l’église était présente et il y avait une maison toujours fermée. J’y allais pour la matanza. La famille Santibanez tuait là-bas. Ça existe encore aujourd’hui la matanza des agneaux. La viande était vendue à Puebla et Mexico. En bas du village, il y avait une croix appartenant à Francisco Carion. Les terrains de David Moran ont été vendu à Juan Morelos dont la femme mourut. Maintenant ce sont ces enfants qui y vivent. Toutes les maisons étaient d’adobe, on ne s’habituait pas aux briques. Toutes les maisons avaient un corredor. Je me souviens que la maison de l’angle en possédait un spacieux. De même pour la maison d’en face où se situe actuellement un parking. Mais avec le tremblement des années 80, les maisons tombèrent. Je pense qu’elles étaient très anciennes. Je me souviens que Juan Canazco et Rebeca Mora avaient une fabrique de limonade de citron, groseille, etc. Bien plus savoureux que pepsi et coca ! Les choses changent. Les Sombreros sont des voisins anciens. Maintenant Miguel Rozalez, le fils, vend sa maison. Avant derrière l’église de la Guadalupe il n’y avait pas de maisons mais maintenant ça a beaucoup grandi. Avant on connaissait tous les habitants et toutes les rues. Maintenant, il y a beaucoup de personnes inconnues qui rachètent les maisons. Vous voudriez garder votre maison d’adobe ? Je n’ai pas d’argent, pourquoi j’en voudrais une en béton ? Maintenant les femmes travaillent mais moi je ne suis pas allée à l’école. C’est une situation bien compliquée. Avant je gagnais un peu d’argent mais tout été moins cher. Maintenant tout est cher ! Pour l’adobe, qui sait combien il serait vendu aujourd’hui. Les ouvriers feraient sûrement payer 5 fois plus cher. Avant c’était raisonnable. C’était plus sûr. Ils avaient leur façon de travailler. Maintenant, l’artisan ne connait pas l’adobe ni faire des amares. Par exemple, l’artisan qui est venu pour le corredor a posé une chaine en béton. Je ne savais pas ce que c’était. Les colonnes anciennes n’avaient pas de fondation. Il en a donc installé, de 80cm de profondeur. Il m’explique qu’on doit installer le pilier et croiser l’acier afin d’augmenter la résistance au séisme. Il me dit qu’il n’est pas éternel. Qu’il faut que je sache comment fonctionne le système constructif afin de surveiller si ce que les autres ouvriers vous proposeront est juste ou non. En effet, beaucoup de parties modifiées de la maison se sont écroulées. Si je suis comme je suis, imaginez comment est le toit ? Dans le village, les rues étaient de pierres. Depuis, ils ont fait le pavage. Les routes qui sont goudronnées elles sont endommagées. C’est un député qui avait fait paver les rues. Il faisait du bon travail. Les autres rues étaient en terre. Il n’y avait pas de noms aux colonies. Le marché avait une fontaine au milieu et autour venaient les habitants de Tezoatlan pour vendre de la nourriture. Les vendeurs installaient leurs puestos. Il y avait aussi une cabine téléphonique, les Espagnols vendaient des vêtements. Il y avait beaucoup de métisses. Mais avec le temps tout s’est réformé. Il n’y a plus un cimetière mais deux. Les gens ne mourraient pas autant qu’aujourd’hui : 2, 3 par jour ! Le temps passe vite. Avant Huajuapan s’appelait Huajuapan de San Juan Batista. Après le passage du général Antonio de Leon, le nom a été changé. Toutes les maisons avaient des animaux ? Oui mais la moitié des animaux est aujourd’hui dans les fermes, sur des terrains à côté de la route ou ont été vendu.
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Habitante de Huajuapan, Doña Lucila Castro Martinez, avec sa fille et sa petite fille. Propriétaire d’une maison en adobe située au 15 rue de Reforma : -
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Quelles sont vos expériences dans cette maison ? Quand je suis arrivée, elle était authentique. On a changé les toitures mais ici c’était le comedor, il y avait une fenêtre, la cuisine se situait là où le toit s’est écroulé. Il y avait un poêle dans la cuisine, on utilisait le charbon pour faire de l’énergie mais les anciens propriétaires ont détruit le poêle. La porte centrale était reliée à toutes les chambres. Dans la grande salle, tout était tapissé, comme dans la cuisine. Au plafond il y avait un ciel, la tela gazita, peinte comme un ciel. Les deux fenêtres ont été enlevé pour mettre une porte. La porte en bois. Il y avait des canapés, des chaises recouvertes de tissus. C’était super beau. Il y avait beaucoup de choses anciennes. La maison appartient à votre famille depuis longtemps ? C’était une maison de riches appartenant à la sœur d’un père, celui qui a fait le temple de Saint José. Il demanda à sa sœur si elle préférait garder le temple ou la maison. Elle choisit la maison qu’elle céda ensuite au travailleur d’une ferme voisine. Mes enfants sont nés ici. Ma fille a vécu dans l’alignement de chambres. Il y avait 3 chambres et un comedor très grand. Pendant que ma fille vivait ici, je dormais dans le salon. Mes petits-enfants disaient toujours : « Nous allons dans l’autre maison » car ils devaient traverser le corredor. Les habitantes m’enseignent une photographie de l’ancienne propriétaire de la maison. Elles commentent le cadre. Les antiquaires venaient acheter dans nos maisons des objets anciens. On leurs vendaient. J’ai vendu une table de bois. Elle me montre des poupées de bois, des assiettes. La sœur donna la maison au travailleur, ami des antiquaires. Ce même travailleur n’était pas marié, il donna donc la maison à son cousin, mon mari. La maison allait être partagée entre les deux frères mais ma belle-sœur préféra prendre la maison voisine et nous laisser celle-ci. Dans la maison de ma belle-sœur il y avait un patio immense et 3 pièces. Elle en a vendu une partie. A la place, il y a aujourd’hui un édifice de 3 étages. Nous, on n’a jamais partagé la maison. Je me souviens des jours pendant lesquels on récoltait les champs. On faisait de grillades. Le gazon, on l’a mis il n’y a pas longtemps pour retenir la terre en temps de pluie. Avant c’était un sol avec des briques et des rosiers. On aurait préféré mettre des pierres plutôt que du béton mais c’était plus rapide. Le centre de Huajuapan était tout petit. La maison de la culture était en adobe. A la place des pizzerias il y avait un cinéma qui appartenait à des Espagnols. Mais ils ont vendu presque tout le centre. Tout était en adobe. Pourquoi ça a changé ? Maintenant ce ne sont que des commerces. Huajuapan était d’adobe et petit. Je suis arrivée dans les années 60 à 17-18 ans. C’était tout petit. Il n’y avait pas de pont. Il y avait des voitures mais seulement dans le centre. Dans les villages il y avait des voitures aussi, je n’ai pas connu le temps des animaux sauf les vendeurs de Tlatilco qui se déplaçaient à dos d’âne. Les animaux étaient nourris avec les herbes sèches des champs. Au niveau du fleuve, il y avait des champs cultivés. Je me rappelle de l’anis. On en coupait et on mettait les fleurs dans nos livres pour qu’elles sèchent. Elles avaient de belles couleurs. En face du parc il y avait une maison dans laquelle l’anis était gardé et répandait son odeur dans toute la ville. Maintenant, au bord du fleuve il y a des routes et les plantes ont disparu. Le fleuve avait plus d’eau ? Oui il a été réduit. Un jour, on était 3 et nos mamans nous cherchaient. Le fleuve débordait et débordait. On a traversé un pont et on ne pouvait plus se rejoindre. (Avant, on raconte que le fleuve débordait jusqu’au niveau du centre-ville). Mon pied a glissé, j’allais tomber et c’est notre amie la plus grande, de 13ans qui m’a rattrapée. On a vu que c’était dangereux
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La réappropriation des maisons en adobe à Huajuapan de Leon et on est partis. Huajuapan était comme ça. Avant autour du kiosque il y avait une fontaine avec des plantes vertes et un marchand de glace. La cathédrale n’a pas changé. C’était très tranquille. Puis les colonies ont commencé à se former. Les natifs de Huajuapan sont partis à Puebla, Mexico. Huajuapan se forme donc surtout de personnes étrangères, pas des natifs. Moi je vis ici mais mes frères sont aux Etats-Unis. Ce n’est plus pareil. Huajuapan est différent, c’est beau mais je me rends compte que les personnes viennent avec un peu d’argent et repartent. Les enfants étudient. Avant, mes cousines étaient contentes de venir pour noël. Elles espéraient ce moment. Quand elles ont eu 15 ans, elles n’ont plus voulu venir. Elles étudient, ce sont mariées et non. Elles ne viennent plus. Leurs maris sont partis aux Etats-Unis et elles voulaient revenir mais elles ont eu une grande maison type Etats-Unis et ne sont plus rentrées. Ma fille elle-même dit qu’elle reste pour moi, sinon elle partirait aussi, rejoindre le reste de la famille. Mon petit-fils me demande toujours : « la vieille maison existe ? ». Je lui réponds que je vais la rénover. Lui il pense qu’il faut que je la détruise. C’est vrai qu’elle me coûte cher. Il y a une maille sur le côté pour que le mur ne tombe pas. Un jour, un peintre est venu prendre des photos du mur, où on voit l’adobe. Le peintre m’a demandé s’il pouvait la peindre : « C’est pour présenter un projet de maison, avec de la peinture à la cale, comme avant ». Je lui ai dit que oui. Il l’a peinte avec des fleurs et de belles couleurs mais on aurait voulu laisser l’adobe comme ça, c’était beau. Mais le peintre a dit que grâce à la cale on protégeait l’adobe.
Austerlitz S. Sanchez Mendez, gestionnaire du patrimoine culturel de la Mixteca, centre INAH Oaxaca : -
Est-ce que tu peux nous présenter l’INAH ? Ici on est dans le musée régional de Huajuapan, il a été créé par l’ayuntamiento municipale, l’autorité municipale avec l’appui de l’institut d’anthropologie et d’histoire avec une équipe importante comprenant des archéologues, des muséologues : l’archéologue Marcos Winter, Iban Rivera, Cuhautemos Aravena entre autres et se sont créés des patronato, un patronat de la société civile. On travaille donc en coordination avec l’INAH, l’autorité municipale et un groupe de citoyens de la communauté, il a été créé un comité, une association civile, qui s’appelle patronato del museo regional de Huajuapan en 1997 et de là ont commencé les travaux avec la construction de l’édifice premièrement et dans un second temps penser et monter la scénographie. Il a été inauguré en 1998 en décembre, ces portes se sont donc ouvertes l’année suivante. Il y a deux ans on a fait une réhabilitation pendant laquelle on a posé la toiture que tu vois là et quelques autres travaux. Avec le tremblement de terre du 19 septembre 2017 le musée reste très touché comme beaucoup d’autres monuments historiques de Huajuapan. Le musée a donc été fermé pendant de nombreux mois jusqu’à fin janvier où ils ont commencé les travaux de rénovation qui vont durer plusieurs mois. Une fois que les travaux seront finis il faudra rééquiper de nouveaux les salles car tout a été détruit. On en profite donc pour agrandir la salle. Avant on avait seulement une pièce consacrée à l’archéologie, maintenant on va en ouvrir 3 de plus car on a récupéré beaucoup d’œuvres. On va également investir le second niveau où été auparavant la bibliothèque municipale. Maintenant, un nouvel édifice a été construit pour accueillir la bibliothèque. Les espaces de l’étage sont donc restés libres et ont été en train d’y travailler quand nous a touché le séisme. Alors, le musée régional de Huajuapan (mureH) n’appartient pas directement à l’INAH. Le musée reçoit des financements du municipio mais maintenant que le frente aministra, le musée est un patronat géré de façon altruiste. On est plusieurs collègues, officiellement 9 mais au fur et à mesure ils se sont retirés jusqu’à ce qu’il ne reste
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plus que nous (Manuel et Sanchez comme travailleur de l’INAH), les 2 initiateurs. On a invité plus de personnes mais de la même façon ils viennent et s’en vont rapidement car il n’y a pas de rémunération. Dans mon cas, étant employé de l’INAH d’une certaine façon nous sommes concernés. Alors depuis la fondation, même avant puisque l’on organisait des expositions. Alors l’INAH ce qu’elle fait c’est apporté un appui technique. Par exemple, maintenant que l’on va faire le montage ils nous aident avec le design du mobilier et les archéologues travaillent à l’élaboration des fiches techniques, faire une sélection de toutes les pièces que nous avons : de celles exposées et celles que nous avons dans les réserves. C’est ce qui correspond à l’INAH en archéologie. Maria de Los Angeles Romeo Frisi est une historienne de l’INAH qui nous aide et pour la salle d’ethnographie deux autres chercheurs sont présents Alicia Baradaz et Emmanuel Bartolome. Ces personnes nous aident directement mais indirectement on peut dire qu’il y a beaucoup d’autres personnes comme l’archéologue Yvan Rivera. Donc l’INAH s’occupe de l’aide technique de toute l’information et le patronat lui cherche des moyens financiers. On a réussi à en trouver pour le montage de l’exposition mais après le tremblement de terre ce fut grâce à l’architecte Juan José Santibanez qui est précisément l’auteur de l’architecture vernaculaire, de la construction du musée. Grâce à lui et à l’artiste peintre José Luis Garcia s’est joint à nous la fondation Harp Helu, ce sont eux qui financent la restauration. Réellement beaucoup d’édifices ont été affecté dont le palacio municipal qui est fermé, même en étant une institution gouvernementale aucune aide n’a été reçue. Si on avait attendu l’aide du gouvernement le musée serait également fermé, il n’y aurait eu aucune avancée. On est donc content de la venue de toutes ces aides externes. Quelles ont été les aides gouvernementales après le tremblement de terre ? Comme musée on n’a pas reçu d’aide. Les premières personnes à avoir reçu des aides sont ceux de l’Itsmo où le tremblement de terre a débuté, le 8 septembre. Le 19 ce fut ici mais les aides avaient déjà été distribués, on en reçoit maintenant mais petit à petit. De même pour les monuments historiques, on a beaucoup de temples, d’églises qui sont abimés, comme la cathédrale qui est fermée. Ça ne fait que 3 semaines qu’ils ont commencé les réparations du temple El calvario, financées par l’INAH. La première étape consiste à soutenir l’édifice et dans une seconde étape la restauration. Je t’en parle parce que tout est très lent et pour le musée directement on a reçu aucune aide du gouvernement. Je pense qu’ils ne se rendaient pas compte à quel point le musée a été endommagé. C’est donc la relation que le musée a avec l’INAH. Pratiquement, le musée est une extension de la zone archéologique que nous avons, le cerro de las Minas, la zone qui est partiellement ouverte au public. C’est vers cette zone que l’attention est tournée. Elle a elle aussi été affectée par le tremblement de terre. Sont venus les collègues de l’INAH pour évaluer les moyens nécessaires pour l’intervention mais nous n’avons pas encore de dates. Il y a donc une relation très étroite entre la zone archéologique et le musée. On travaille ensemble même si le musée n’appartient pas à l’INAH. Je t’en parle car l’un des rôles principaux du musée est de donner des visites guidées aux groupes scolaires, des dizaines et des dizaines d’écoles viennent et on leur propose le tour complet de la zone archéologique jusqu’au musée. Malheureusement en ce moment on ne peut pas visiter le musée. Du point de vue des maisons en adobe, il y a un lien avec l’INAH ? Il existe un programme ou non ? Quand les maisons, les temples, n’importe quel édifice est antérieur à 1900 il est considéré comme un monument historique. Donc même si ce sont des maisons privées elles ne peuvent pas être restaurées sans l’autorisation de l’INAH. On reçoit donc l’assistance technique seulement. ¨Pour les édifices l’INAH oui intervient directement que depuis un
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moment l’INAH assure tous les monuments historiques dont les zones archéologiques. C’est ce qui détient tout le travail, ça va très lentement parce que celui qui finance la restauration c’est le directeur. Alors ils font pleins d’allers et retour, vient en premier une équipe qui vient évaluer, ils reviennent ensuite pour prendre des données et ainsi continuellement. On a beaucoup de visites. Les monuments historiques qui sont les temples commencent à peine à être restaurés. Les maisons particulières nous n’en avons quasiment pas. Et je vous le commente, Oaxaca a toujours été une zone sismique mais Huajuapan a souffert de tremblement de terre très fort. Des plus violents, on retient celui de 1882 qui historiquement a quasiment détruit Huajuapan et Huajuapan s’est relevé. Il y avait beaucoup de maisons en adobe, c’était des maisons typiques mais en 1980 il y en a eu un autre qui abima la majorité des maisons en adobe. Huajuapan fut reconstruit de nouveau. Avant 1980 les maisons sont d’adobe mais il n’y eu pas d’attention portée sur leur conservation et ce fut selon moi le moment pendant lequel les maisons ont commencé à se modifier. Seulement très peu restèrent d’adobe. Avec ce séisme les maisons ont de nouveau été affectées. Il y a une équipe de citoyens de Huajuapan qui ont l’intérêt de conserver ces maisons dont l’architecte J.J. Santibanez, l’artiste peintre José Luis Garcia et c’est grâce à l’appui de la fondation Harp Helu qu’ils peuvent travailler là-dessus. Mais comme cela va très lentement, beaucoup d’habitants ont commencé à détruire les maisons ou à les modifier considérablement. C’est lamentable car d’un côté il y a la nécessité des familles d’occuper leur espace et attendre plus longtemps ils ne supportent pas. Il n’y a aucun endroit où attendre. S’il existait un espace intermédiaire pour qu’ils aillent vivre il n’y aurait pas de problème mais il n’y en a pas ! Ceci est la réalité de notre situation. Pourquoi tu penses que les habitants préfèrent utiliser le béton à l’adobe ? Pour la mauvaise idée… bon en premier lieu il n’y a pas suffisamment d’informations et l’idée la plus répandue est que le béton est plus résistant. Alors qu’on s’est rendu compte que non. Ça c’est une raison. La seconde parce que l’adobe ne se travail quasiment plus. C’est très compliqué et on remarque même qu’il est plus cher de faire une maison en adobe qu’une maison en béton. On peut considérer que maintenant c’est un luxe pour ceux qui ont la possibilité de faire une maison en adobe. Pour cette raison les habitants se tournent plus facilement vers le béton : c’est moins cher et soi-disant plus résistant. Quel est le point de vue de l’INAH sur cette question ? Ils ne font pas de campagnes de revalorisation par exemple ? C’est ce que je vous disais, ils protègent des monuments qui sont antérieurs à 1900, même si ce sont de petites maisons ils les conservent. Je pense qu’ils obligent les gens à les conserver et les entretenir mais qu’ils ne donnent aucune aide ce qui poussent certains à les détruire ou utiliser n’importe quelle magouille pour s’en débarrasser. L’INAH veille donc à ce qu’aucune maison ne soit détruite, d’adobe ou d’un autre matériau. Après 1900 cela ne concerne plus l’INAH mais Bellas Artes, l’INBA qui sont ceux qui s’occupent de « monuments artistiques ». On a par exemple des monuments inférieurs à 1900 qui ne sont pas de la compétence de l’INAH mais de Bellas Artes. De même pour les fresques, par exemple celui du palacio municipal qui a été très abimé de José Luis Garcia alors il y a un travail de coordination entre les architectes qui vont rénover, el ayuntamiento municipal et Bellas Artes. Ce n’est plus de la compétence de l’INAH. (…) L’architecture vernaculaire des maisons attirent beaucoup l’attention des touristes qui viennent voir le musée. Ce n’est pas commun de les voir. Il y a eu une discussion organisée au musée pour les habitants qui ont des maisons en adobe, de leur importance de les conserver. Il leur été demandé d’attendre, de ne rien détruire pour conserver la même architecture mais le processus a été très lent. Avant tout vient la nécessité de vivre avant de penser en la belle architecture. Il y en a
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quelques-unes tout de même dont les familles renforcent la structure, le toit en bois, tejamanil, carizo, teja. Il y en a quelques-unes mais d’autres qui ont été démoli. Tu crois que les élections vont avoir un impact sur l’architecture ? Ça va dépendre de ce que chaque candidat va proposer. On a de tout, d’un président qui n’habite même pas ici mais aux Etats Unis, comment l’architecture de Mexico va l’intéresser ? Il y en a d’autres qui sont plus avec le pueblo, pour sa nécessité. C’est très rare qu’un gouvernant regarde la classe la plus humble, toujours pour la classe moyenne et haute. Il y a un candidat qui si est en train de travailler avec le peuple, il a la majorité pour l’instant, lui peut-être. Il parle d’éducation, des communautés, de l’appui des écoles dans les zones les plus enclavées. C’est ce que beaucoup appellent populismo mais c’est une nécessité indépendamment à n’importe quelle philosophie. C’est une nécessité que le peuple demande, cri, exige et le mieux est de réussir à sauver nos connaissances, nos pratiques, l’architecture. Qu’ils nous appuient beaucoup plus. Parce que oui ces maisons (en adobe) sont plus sûres, plus fraiches et sont des merveilles dans la communauté. Mais en fin de compte il y a le discours politique et la réalité. Une dernière question, quels sont les appuis techniques que donne l’INAH ? L’appui de l’INAH est indispensable pour un musée. Avant de commencer avec la construction du musée, on a lancé une convocation aux architectes de Huajuapan qui voulaient participer à la conception architecturale du musée et beaucoup ont participé. L’INAH l’oriente. Ils sont venus orienter les architectes sur les caractéristiques du musée et finalement ils se sont décidés pour le projet de JJ. Après l’INAH été présente quant à l’utilisation des espaces nécessaires pour le musée l’atelier, les salles et les dimensions visà-vis de nos possibilités financières. Après on a décidé de la collection des pièces archéologiques exposées. Il y en a des milliers car 10 ans avant en 1987 ils ont commencé l’excavation du cerro de las Minas dont ils sortirent beaucoup de pièces. Il y eu beaucoup de sauvetage, par les habitants des fois. Il y a donc eu une campagne pour récupérer les pièces de façon externe, par le patronat. L’INHA devait répertorier les pièces et faire un catalogue, un registre national. Ils nous ont beaucoup appuyé, le centre de Oaxaca et de Mexico dont l’archéologue Yvan Rivera. Ensuite avec le montage scénographique avec beaucoup de mobilier les mamparas, les capelos et ensuite avec les fiches techniques, la description de chaque pièce pour les visiteurs en sachant que la majorité sont des étudiants. Majoritairement c’est l’appui qu’ils nous donnent. En histoire et ethnologie chaque branche nous appui avec des informations. Maintenant on travail sur une proposition que nous a envoyé l’historienne Los Angeles pour la salle d’histoire. Ils nous aident mais le pueblo doit participer aussi car finalement ceux qui ont le plus d’information, même si elle n’est pas documentée c’est le pueblo. Les informations orales qui circulent nous devons les répertorier et vérifier si cela est vrai. C’est surprenant parce qu’on récupère beaucoup d’informations. C’est donnant donnant entre l’INAH et le pueblo.
Marcos Sanchez, architecte spécialiste en systèmes constructifs avec l’architecture de terre et bio construction. Directeur et Co fondateur de Eco constructores Oaxaca : Après que je lui aie expliqué de manière générale mon sujet de recherche et ma démarche Marcos commence : -
Au Mexique il y a différents gouvernements, le fédéral, celui des états et le municipal. Les deux premiers sont responsables du municipal et lui versent de l’argent. Le municipal est quant à lui responsable de ses agences et ranches. Chaque municipal a un recourt annuel,
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fond qui lui permet de développer le village en faisant passer l’électricité, l’eau courante… Le gouvernement n’empêche pas la construction en terre. Construire avec les matériaux disponibles aux alentours des villages est évidemment plus rentable que de faire venir des matières premières lointaines. A Oaxaca, le béton vient de Puebla ou Monterrey. Chiapas est également un producteur mais il l’envoie à Tabasco et Veracruz. Pour ce qui est du terme de développement durable, c’est très nouveau comme culture mondiale globale, à peine 5 ou 10ans. Dans les villages mexicains cela faisait pourtant des siècles qu’ils vivaient en autonomie. Au Mexique, à Oaxaca il y a une contamination culturelle très grande, le béton est considéré comme le meilleur matériau. On ne peut pas leur reprocher, certains villages commencent à peine à s’ouvrir, ils reçoivent des sodas, du coca, de la nourriture, des routes sont créées alors qu’il y a encore quelques années ces villages étaient totalement indépendants, ils produisaient leur nourriture et leurs constructions. Maintenant, au lieu d’améliorer, je pense que l’on appauvrit alors que la majorité des personnes le voit comme une évolution positive. Je l’ai remarqué dans les 90’s et fin 80 ‘s à la fin de mes études. C’était les dernières années pendant lesquelles on s’intéressait encore à ces techniques culturellement parlant, à l’école on n’en a jamais entendu parler. Le principe de durabilité entre à Mexico en 2010, 2011, avant ce n’était d’intérêt pour personne. Nous, en tant qu’atelier on a commencé en 2009 et pendant une dizaine d’années on n’avait absolument aucun client. Puis, petit à petit on a commencé à entendre parler d’écologie, de permaculture, de durabilité, c’est finalement devenu à la mode et les gens ont commencé à voir la terre différemment. En 2009 le plan d’étude universitaire est modifié afin de s’intéresser à d’autres types de constructions que la construction en béton. Aujourd’hui on est une trentaine au Mexique à s’intéresser à la construction en terre et la moitié seulement sont architectes, les autres sont spécialisés, constructeurs ou chercheurs. Culturellement pour ce qui est de l’éducation, la culture, le gouvernement, Oaxaca, à l’échelle du pays, est l’Etat avec la plus forte identité culturelle, nous défendons notre culture, nos langues, traditions, danses, habits et respectons chaque communauté et ses traditions. Même ainsi, durant les 90’s, quasiment toute cette culture est effacée. Pourquoi ? Moi je pense qu’on vient au monde connecté avec quelque chose, pour moi c’est la terre, j’aime la travailler, c’est ma fascination et de là je fais de l’architecture. Je me rappelle que tout le monde disait que c’était d’avant, qu’on ne pourrait jamais la réutiliser comme matériau de construction. On a donc maintenant beaucoup de villages qui ont une architecture qui n’a rien à voir avec la façon de vivre des habitants, leur culture, leur économie ou encore leurs matériaux. Ce qui est paradoxal car Oaxaca est en lien avec la culture. Cependant, la durabilité, la permaculture oblige à tomber dans cette réalité. Malheureusement on est éduqué par la télévision. De plus, ceux qui vont aux Etats-Unis pour travailler, les jeunes qui vont étudier en ville et reviennent dans leurs villages les trouvent dépassés. Jusque dans la musique, certains évoquent ces maisons et en parlent comme synonymes de pauvreté. Il y a beaucoup de facteurs, ce n’est donc pas bizarre que les gens ne l’apprécient pas. Nous depuis 2002, on a mis en place une campagne de revalorisation de la construction en terre. On va dans les villages pour en parler, on montre des haciendas en terre, la nuit sur les places on met des projecteurs pour montrer des images. On s’est aussi rapproché des écoles mais il n’y a quasiment pas d’intérêt et d’acceptation. Globalement, les recherches dans les universités et internet ouvrent un panorama plus grand au fur et à mesure. Quand tu parles avec les jeunes ils ne te croient pas jusqu’à le trouver sur internet. Malheureusement le gouvernement municipal n’attaque pas délibérément la construction en terre mais ne pas en parler c’est l’éloigner, ils n’en font
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La réappropriation des maisons en adobe à Huajuapan de Leon pas la promotion, ils ne la défendent pas. Le règlement constructif est un règlement excluant, il exclut nos communautés, ne parle pas de l’adobe, ne parle pas d’autres techniques constructives qui sont pourtant très bonnes. Mais comme on vit dans un pays évasif quand le règlement ne parle pas de quelque chose, alors c’est qu’on peut le faire. Au contraire de pays d’Amérique latine comme le Chili, Brésil, Argentine, Puerto Rico qui ont interdit la construction en terre à cause du mal de chagas, un insecte qui dans les années 60 oblige beaucoup de gouvernement à interdire ce type de construction. Culturellement, les gens l’ont donc associé à quelque chose de malsain et ont construit en briques et ciment alors qu’il y avait des solutions. Ces insectes cherchent la terre et se nourrissent de sang en injectant un virus qui condamne à mort dans les 10ans. C’est une maladie encore très présente en Colombie et sûrement à Huajuapan. Pourtant, il suffit d’aplanir l’adobe qu’il faut ensuite peindre de couleurs claires, en blanc avec de la cale par exemple, ainsi aucun insecte, scorpions, ne pourra trouver de trous pour y vivre et aucun insecte ne cherche cette luminosité. Durant cette période, l’organisation de la santé a interdit quasiment toute la construction en terre au lieu de chercher des solutions. Créer un espace hermétique aurait pourtant était une bonne solution, d’où les techniques de construction. Ce sont donc encore une fois beaucoup de facteurs qui empêchent la construction en terre. Je reproche beaucoup à la télévision qui éduque ou bien dans la majorité des cas déséduque. Les gens prennent pour exemple ce qu’ils voient. On a donc décidé de créer des exemples en créant différentes colories avec de la terre et de la cale locale pour sensibiliser les habitants à ce qu’ils ont. Il faut donc réussir à intégrer une économie à laquelle la majorité des états de Oaxaca n’a pas accès. Par exemple, nombre de personnes doivent conduire 9, 10, 15 heures avant de pouvoir acheter des matériaux, comme dans la zone mixe. La route qui mène à Huajuapan a à peine 15 ans, c’est très nouveau qu’ils soient reliés. Aujourd’hui, le gouvernement n’interdit pas mais il n’appuie pas non plus et n’encourage pas à recourir à des matériaux locaux. En effet, pour cela le gouvernement devrait former des chercheurs, donner des fonds aux universités pour avoir l’appui, la confirmation scientifique, au niveau des laboratoires que la terre est utilisable en tant que matériel de construction. Il y a beaucoup de facteurs calculables, de formules de résistance à l’érosion, etc qui existent mais selon moi tout a été fait pour que les facteurs soient tellement négatifs que la terre ne passe pas aux contrôles. On se trouve dans avec des facteurs positifs pour le béton alors que le résultat est négatif pour la terre. On ne peut pas nier que Mexico est à la traîne, comparé à la France, l’Allemagne, le Chili qui ne construisent pas en terre mais ont de très bons laboratoires, ces pays ont un appui scientifique qui donne confiance au gouvernement et à la société en général. Il est donc nécessaire de sortir des résultats réels car il n’existe pas non plus de tableaux de prix. Ceci est selon moi une désinformation d’internet qui prétend qu’il est moins cher de construire en terre qu’en matériaux industriels. C’est faux car cela dépend du contexte. Dans la ville de Oaxaca, les terrains sont petits, il faudrait donc dessiner un concept permettant d’extraire la terre, de faire venir du bois, etc alors qu’à San Pedro de los Pinos, il y a de tous côtés du bois et de la terre, permettant ainsi de faire baisser les prix. Cependant, tu ne payes pas les matériaux mais tu payes quelqu’un pour la mise en œuvre. Il faudrait donc des recherches précises pour calculer tous ces coûts. Les politiques gouvernementales évoluent au fur et à mesure, plus que de faire payer des amandes pour limiter le gaspillage il faudrait que les entreprises même soient amicales avec le milieu environnemental. La construction est présente dans toute l’industrie mondiale, des structures au mobilier, elle puisse ses matières premières dans tous les types de ressources planétaires. C’est dans ce domaine que l’on consomme et pollue le plus. Les lignes artisanales actuelles sont plus chères mais ce sont les plus durables, elles ont une vie plus
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longue. Au contraire, quand tu achètes une table en plastique, elle a une courbe de vie intégrée, comme le béton. Personne ou peu de gens le savent mais une construction en béton, en fonction de comment et d’où elle est construite a une durée de vie de 80 ans maximum alors que la terre tient des centaines d’années. Le gouvernement ne l’acceptera pas jusqu’à ce que cela lui convienne, jusqu’à ce qu’il soit responsable. Mexico n’a pas interdit mais il ne promeut pas non plus. Petit à petit il devient plus conscient et profite du recours et de l’image de ces communautés. En effet, il y des organisations qui poussent à le faire, ils lui donnent des prix, le prix du municipio le plus durable par exemple, mais la majorité des municipios ne sont pas intéressés ou ne savent même pas que ça existe. Par exemple, un village qui reçoit des moyens financiers aurait la capacité de dessiner son propre village mais pour cela il faudrait un bon architecte. Les communautés peuvent exiger d’avoir des villages à leur image. Le gouvernement ne dirait pas non à un projet en bois ou en terre. Mais personne ne s’y intéresse. L’architecture est un arbre avec beaucoup d’éléments, son tronc, ses branches, ses feuilles et chacun choisi ce qui l’intéresse. Nous on a décidé de revaloriser. Chaque fois, dans les universités on parle de la revalorisation des matériaux, de la partie sociale. L’architecte doit être conscient de son rôle social dans la société, c’est bien de vouloir être une rockstar mais on doit se rappeler que nos capacités sont plus que des acquis mais des connaissances qui viennent de beaucoup de gens, on se doit de les échanger et non pas seulement contre de l’argent, on se doit de les partager. C’est de ça qu’il s’agit, la terre est pour tous, les jeunes architectes doivent le savoir. Ceux qui sortent sont de plus en plus intéressés. Je te raconte le côté négatif mais le positif c’est que grâce à internet, les gens qui se sont intéressés à la terre sont enfin découverts. On parle de construction plus durable, plus saine au contraire du plastique qui nous empoisonne. Revenir à la construction en terre découle de la mode de bien manger, s’habiller de façon saine, consommer des choses locales, ce sont des marchés plus conscients, plus petits. Les gens se rendent compte que leur santé dépend d’où ils vivent et ils découvrent où on est le mieux : dans une maison en terre, c’est le meilleur espace. Du coup, ce n’est pas qu’une architecture qui souhaite reprendre la tradition ancienne mais qui intègre d’autres aspects tels que la santé, d’autres cultures qui possède nombre d’avantages. Comment ça s’est passé après le tremblement de terre, lorsque vous êtes venus aider ? C’est cruel. Depuis 2002, on a lancé un programme de volontaires, on a donc commencé le travail volontaire avant le « professionnel ». J’ai étudié l’architecture et en terminant j’ai voyagé dans la Mixteca, pour connaitre mieux la terre. De là j’ai commencé à voyager de plus en plus loin, j’ai rendu ma thèse et lorsque je me suis arrêté j’avais voyagé pendant 10ans. J’ai donc lancé le programme de volontariat et mis en application ce que j’avais grâce aux gens des villages. L’architecture m’a servie de base, je défends plus d’être architecte, de me servir de mes acquis pour construire en terre que d’être auto constructeur car selon moi on a besoin que ce soit plus académique. C’est-à-dire qu’il y a beaucoup de différence, le bio constructeur apprend à construire mais nous on apprend le design, l’intégration, le patrimoine, la beauté de l’architecture et je sens que la construction nécessite cette connaissance, cette âme de l’architecture. J’ai donc appris ainsi. En 2002, quand ça a commencé, c’est le tremblement de terre de 1999 qui avait affecté la vallée jusqu’à la montagne, il y a eu des centaines de cas de maisons en adobe qui se sont écroulées. Je suis allé voir pourquoi les maisons étaient tombées, le gouvernement me payait pour mener des recherches et pour proposer un prototype de maison à reconstruire. C’était cool. Ça m’a permis de travailler tout en voyageant. Pourquoi les maisons sont-elles tombées ?
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En peu de mots, les maisons d’adobe sont de différentes tailles, larges, longues, car le bois peut être coupés de 5 à 6 mètres mais aussi jusqu’à 10, 15 mètres. Mais il y avait beaucoup d’erreurs constructives. Le contrefort génère une constante structurelle, il y a un calcul qui en fonction de l’épaisseur des murs permet de connaitre la taille de l’adobe. C’est basique pour construire, la formule a une logique, surtout en zone sismique. Toutes les maisons avaient un toit en lames métalliques ou de carton. Cependant, la maison en terre traditionnelle a une fondation en pierres de la région, qui, quand tu la romps est droite. Cela empêche la friction qu’il y a entre deux pierres rondes qui sont d’ailleurs interdites d’utilisation à Oaxaca pour construire des fondations. La construction des murs consistait à plus que le mélange terre et eau, choisir une bonne terre, adaptée. Les anciens avaient ce savoir, ils unissaient dans ces maisons les 4 éléments de la planète, la terre, l’eau, le feu et l’air, ils savaient lire la terre, la sentir, savoir comment elle allait réagir une fois en contact avec ces éléments. Cette culture traditionnelle est en train d’être sauvée, pour être vendue mais bon… On positionnait ensuite du bois au niveau des portes et des fenêtres, à certain point précis car culturellement, la porte et la fenêtre se disposaient en fonction du soleil, mais ça très peu de personnes le savent encore. Le toit quant à lui est de bois de la région, de différents types, durs sur la côte, plus fibreux en montagne. A Zacateca, j’ai vu des toitures fabriquées avec lluna sarcina l’épine des pins d’environ 20 à 30cm et ils arrivaient à faire des toitures immenses. Maintenant il n’y en a presque plus, peut-être dans la Mixteca ou la Sierra Sur. Bon, pour une maison traditionnelle la structure du dessus est importante. En zone sismique, des générations et générations de personnes au sein des communautés ont vu leurs maisons tomber, ils ont dû les reconstruire, chaque fois avec des murs plus larges jusqu’à trouver la bonne proportion. C’est important quand tu arrives dans un village de ne pas arriver avec tes idées mais d’apprendre à connaitre l’environnement proche car ce sont des communautés présentes depuis des centaines d’année. C’est le bon moment pour… téléphone sonne. Bon en réalité tout ce que tu vois en communauté, c’est du savoir générationnel, empirique. On a donc appris que les toitures en lames ne sont pas assez lourdes, les murs ont besoin du poids des tuiles, c’est un couvercle et un système de proportion entre épaisseur des murs et poids de la toiture. En changeant tuiles et lames, plus rapide de pose et moins chères, ils ont rompu l’équilibre structurel et thermique. En effet, les poutres assemblées au bambou, à la terre et à la tuile donnent un environnement thermique idéal. Il y avait d’autres failles mais celle-ci fut la principale. En 2010, un autre tremblement de terre frappe Haïti, j’y suis allé pour aider à reconstruire, on leur apprenait une technique qui permettrait de générer du travail. Mais l’argent manquait, c’est le pays le plus pauvre d’Amérique et le septième plus pauvre au monde. Là-bas il n’y a rien, c’est plus pauvre que les villages d’ici. On a beaucoup appris là-bas alors on a souhaité mettre en pratique ce qu’on a appris en tant que volontaire, essayer d’unir les gens avec des objectifs communs, travailler ensemble, profiter des matériaux locaux. Ça fonctionne à certains endroits mais cette fois ci dans le village où on est il n’y a pas de tissu social, ni entre famille, ni entre voisins. Ils ne veulent pas s’entre aider. Ça va faire 8 mois qu’on travaille là-bas mais on va arrêter parce que ça ne fonctionne pas. Je ne peux pas demander d’argent car je ne suis pas une ONU. Malgré la reprise d’une certaine économie les gens de ce village continuent à vivre dans des conditions horribles. Il n’y avait pas de maison en adobe mais des maisons en tuiles rouges, beaucoup d’entre elles sont tombées mais en tant que volontaire je ne peux rien faire… Je peux seulement mettre en action mes capacités, on a fait beaucoup de campagnes, de la récupération de matériaux car tout pouvait encore s’utiliser, les portes, les fenêtres, les briques étaient presque toutes encore entières, les bois sont très durs, précieux. Cependant, la joncions entre les briques était de cale et de sable,
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pas assez adhérant, provoquant la chute des maisons. En mettant en place la campagne de récupération, on pensait empêcher l’entrée des machines mais comme le gouvernement les louaient on a été pris de court. Beaucoup de proposition ont été faite pour créer du lien entre les habitants, l’identité patrimoniale est très importante pour nous, on ne voulait pas construire des maisons de luxes, seulement relever les maisons à l’aide des matériaux existants et l’aide des familles. Tout ce qui a merdé est qu’ils n’ont pas voulu travailler ensemble. On a quand même sauvé deux maisons, on a encore 10 projets mais plus aucun fond… et moi en tant qu’atelier je peux chercher du travail mais ce n’est pas mon but maintenant. C’est une bonne opportunité pour que les gens s’unissent à nouveau. Il y avait le tequio depuis toujours, une forme de travaille communautaire, les gens s’alliaient pour travailler, ils avaient un objectif commun et tous collaboraient. C’est la faute du gouvernement qui a généré une campagne d’assistancialisme, tout donner sans rien attendre en échange. C’est très mal pour n’importe quelle culture. Si tu ne dis pas aux gens de mettre de leur part ils ne s’approprient pas les choses. Nous on ne part pas de ce principe, grossièrement les gens nous disent : « tu veux construire, ici est le terrain ». Ils s’assoient et boivent une bière en nous regardant. Ça ne nous intéresse pas de mettre du notre s’ils n’y mettent pas du leur. Il n’y a pas beaucoup de groupes qui font de bonnes propositions, moins de 5 ateliers à Oaxaca, Thomas, cooperacion, communidad et nous. On n’est pas focalisés sur l’atelier mais on se sent responsable cependant l’argent reste un stop. Avez-vous utilisé des projets de la UNAM ? Beaucoup de gens sont venus, tous seuls avec la volonté d’aider mais c’est un problème gigantesque. IL fallait s’unir. La UNAM est arrivée et ils font des choses mais ils pourraient faire plus. On a aidé des groupes mais au début, quand ils arrivaient seuls tu te rends vite compte que c’est énorme et qu’on a besoin de beaucoup d’argent. Nous je ne sais pas si on va s’en sortir. On a plus d’argent, personne nous soutient et il n’y a quasiment plus de volontaires. Aujourd’hui ceux qui restent sont le gouvernement, les entreprises privées et quelques organisations qui peuvent gérer de l’argent. Nous on ne sait pas faire ça. On a des projets mais on s’auto finance. Ça fonctionnerait si les gens s’unissaient, malheureusement si même un séisme ne parvient pas à le faire, qui pourra ?
Anonyme : -
Que veux-tu me demander ? Pour commencer, parle-moi un peu de Huajuapan. Oui regarde, je suis d’ici, je me rends parfaitement compte de tout ce qui s’est passé. Huajuapan est un village métis, on va dire que dans la première moitié du 20ème siècle et la fin du 19ème il y avait des Espagnols. Bon depuis toujours mais à la fin du 19 ème c’était un village avec beaucoup d’Espagnols, d’où la population métisse. L’autre caractéristique est que géographiquement, Huajuapan se situe à un point où se croisent beaucoup de chemins et juste ici passait la route 190 qui est la panaméricaine. Ils l’ont construite après la seconde guerre mondiale pour communiquer avec toute l’Amérique latine et elle passait exactement dans Huajuapan, en 1947 je crois. Ce qui a provoqué un mouvement très grand parce que ça permettait de communiquer avec Mexico, Puebla, Tehotihuacan et avec le sud de Oaxaca, Pinoteca, Putla jusqu’à la côte. Il y avait beaucoup plus de mouvement économique. Le problème de la sierra Mixe (au nord-est de Oaxaca) c’est qu’elle est très enclavée dans la montagne, c’est une population beaucoup plus indigène. Je ne sais pas si 100% indigène mais presque la majorité. C’est une population plus éloignée, elle a sa propre langue qui est le Mixe, c’est quelque chose qui la rend particulière, ses propres coutumes, idées et ça, ça
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demande beaucoup d’efforts. De plus, la difficulté qu’elle a géographiquement c’est que ce n’est pas une zone plane, tout est pentu, c’est collé au Sepoltepec, la montagne la plus haute de Oaxaca et comme elle y est collée du côté du golf de Mexico, la vapeur se colle à a montagne et il pleut beaucoup, 4000 millimètres par an à Zacatepec. A Huajuapan au contraire il n’y a que 700 millimètres cube. Pas si peu mais comme on ne peut pas la retenir, on la perd rapidement. Huajuapan a cette caractéristique de village métisse au contraire. De plus, la panaméricaine est devenue si commerciale que beaucoup de Mixtecos sont partis aux Etats-Unis, des millions et ils envoient leur argent à Huajuapan d’où l’argent est mis dans les banques. Figure-toi qu’il y une vingtaine d’années, un de mes oncles avait une boutique de change et tous ceux qui faisaient ça se réunirent avec les banques. Résultat que tous les jours, 1 million de dollars était changé. Huajuapan vit de l’économie des Etats-Unis, c’est ce qui provoque tous ces échanges, à Huajuapan tu peux trouver tout ce que tu veux pour construire, les fêtes, tu trouves tout. Alors qu’à Zacatepec c’est vraiment fou, c’est un village qui n’a pas d’animaux, pas de vaches, seulement des poules, c’est incroyable. Comment c’est possible, je ne sais pas s’ils ne peuvent pas ou ne veulent pas. Ils n’ont même pas de porcs. De plus, ils ont un climat d’été, c’est un bon climat mais il n’y a pas non plus de végétation. Je crois qu’il y a un abandon au niveau gouvernemental et les gens se sont habitués à ce que le gouvernement leur donne tout. C’est tellement d’espérance, maintenant le gouvernement vient et a cette vision, le manque d’initiative. Ce qui se passe à Huajuapan au contraire c’est beaucoup trop d’initiatives, tu as vu ce qu’ils ont fait au village. C’est moche, ils ont fait ce qu’ils voulaient, ils ont construit un gymnase énorme, des maisons etc c’est le phénomène qu’il y a à Huajuapan et qui est différent à la Sierra Mixe. Au départ, c’était seulement quelques maisons autour du marché et rien de plus. A quel moment ils ont commencé à construire ? En 1947 un de mes oncles était président municipal. Sa fille me racontait le processus de la panaméricaine, les ingénieurs voulaient la faire passer au milieu du village. Les gens n’ont pas voulu et ils la firent passer à côté. C’est sûr que maintenant elle est dans le village, il a beaucoup grandi. Quand j’étais petit, le village avait 12.000 habitants, maintenant il en a 120.000, il a grandi de 1000% en 40, 50 ans, c’est beaucoup. Il y a beaucoup de problèmes, des rues étroites, le traitement de l’eau potable est mauvais, ils l’ont prise dans une nappe au sud au lieu de puiser au nord. Tout ça a entrainé beaucoup de problèmes mais bon, c’est le portrait actuel de Huajuapan. Il y a 60 ans il ressemblait à Tezoatlan avec de maisons en terre, quelques-unes en pierre. Je me rappelle quand j’étais petit comme c’était. Tout le monde allait à la ferme à dos d’âne, il y avait des stationnements d’âne dans la rue la plus large, ils les attachaient aux arbres. J’ai pu le vivre. Alors imagine tout ce changement d’idées, les anciens qui ont vécu ça, leurs enfants maintenant ont des voitures, toute l’influence des Etats-Unis au niveau économique mais aussi dans la façon de penser. C’est une révolution culturelle très forte. Quel rôle a joué le gouvernement ? Ça s’est passé avec Ernesto Zedillo qui fut président de 1994 à 1998, il lança un mouvement, un programme qui s’appelle solidarité et il y a mis beaucoup d’argent, je ne sais pas sous quel prétexte, je crois que c’est celui de l’affaire parce qu’on va dire qu’il a fait un pacte avec les entreprises de ciment, de façon cachée. Cemex aujourd’hui est connu dans tout le monde, comment a t’il put devenir si puissant ? Grâce à ça. On va dire qu’ils envoyaient aux villages, par solidarité, beaucoup de ciment. C’était apparemment un programme établi. Je l’ai vu dans un village que je connaissais dont le sol était totalement en pierre, il s’appelle Selacoapan. Des assemblages précieux. La seconde fois que j’y suis allé tout était couvert de béton. J’ai demandé : « Que s’est-il passé ? » Ils répondirent qu’ils avaient reçu des tonnes
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de ciment, qu’est-ce qu’on aurait pu en faire ? Ils l’avaient donc mis sur les routes. Il y avait même des portes de maison qui se sont retrouvées en dessous du niveau des rues. C’est vraiment triste et j’ai pu y assister. Les gens me l’on raconté. Ils ne savaient pas quoi faire de tout ça. Et plus encore dans beaucoup d’autres villages. Pour créer une addiction ? Je pense que toute cette propagande politique était pour récolter des voix. Comme si le ciment était quelque chose de bon pour progresser, pour se moderniser. Je sens que c’est sur ce point que fut le piège. Mais malheureusement beaucoup de villages et maintenant les personnes sont habitués au ciment. L’initiative de pouvoir faire les choses avec ses produits a diminué jusqu’à s’appauvrir. Je voudrais comprendre comment les programmes influencent l’architecture vernaculaire ? Je crois qu’au fond l’intention des gouvernements mexicains, c’est de centraliser pour détruire, si on peut dire le mot « détruire » les cultures originales des villages car il est plus facile de manipuler des personnes qui n’ont pas une culture forte. C’est-à-dire si tout le monde est concentré dans la ville et pense la même chose alors que 20 villages dont chacun pense différemment, avec sa langue, c’est plus difficile à contrôler et à gouverner. Je pense qu’au fond c’est ça. Pour ce qui est en train de se passer, que j’ai vu, on peut dire que le village me rend joyeux parce que les villages ont des coutumes très fortes, au mieux ils détruisent leur architecture mais pas leurs coutumes en communautés. J’ai vu par exemple la fête des bougies à Tezoatlan, c’est une fête de 3 jours pour faire 50 bougies. On pourrait dire, comment est-ce possible ? Mais l’important ce ne sont pas les 50 bougies mais plutôt la vie communautaire, ça les rend plus forts. Le gouvernement pourrait les leurs acheter et leurs dire de travailler. Ils font 50 bougies, en 3 jours et au final ça sent le miel. Ensuite ils se mettent autour et se les passent, les enfants, les parents, en silence ils font ce rituel. C’est une autre force, une personnalité du quartier. J’aime beaucoup ça. Ils ont plein d’autres fêtes, c’est des gens qui ont leur propre force. Qu’est-ce qu’il se passe quand, par exemple, ils veulent implanter une mine, le village dit non. Ils savent qu’ils n’en seront pas les bénéficiaires. Alors, je pense que cette partie a été la consigne au niveau gouvernemental, d’appauvrir les villages culturellement. Tu peux leur donner du béton, des maisons, tout ça pour gagner des votes. C’est d’ailleurs pour ça qu’ils ont accepté plus de religions. En1 994, ils ont rajouté 200 religions. Pourquoi ? Le village se divise. Il y a des conflits. En 1994, ils ont dit aux pères, à l’église catholique, tu as le droit d’avoir des terrains. Je les ai vu arriver à l’obispo de Huajuapan, ils ont donné la permission aux pères de voter et d’avoir des propriétés, des maisons alors que ce n’était plus autorisé. Avec quelle intention ? Pour ouvrir toutes les religions qu’ils voulaient. C’est des religions qui existaient mais maintenant il est autorisé de les pratiquer. L’intention fut de diviser pour diminuer le pouvoir catholique. Une religion n’est pas bonne ou mal mais intentionnellement un gouvernement la contrôle. C’est ce que je crois. Bon, à Tezoatlan, pendant une fête j’ai demandé aux vendeurs d’où venait le pain et je me suis rendu compte que chaque chose venait d’un village différent, le pain, les cacahuètes... J’ai trouvé ça très beau, c’est une économie locale, loin de l’économie du pays. Les gens dorment pendant les quelques jours de fêtes dans leur puesto (petit stand où est vendu la marchandise). C’est un commerce local vivant qui fonctionne depuis une centaine d’années et qui existe encore. Quelle est ta relation avec l’adobe ? Je te disais que j’ai vécu toute cette architecture traditionnelle depuis petit, mon papa allait aux villages, il était commerçant, il prenait sa camionnette et dans chaque village, dans les boutiques, dans les maisons, on rentrait pour laisser le produit. Je connaissais les patio, les couloirs, les meubles, les toits, les rues, les gens. Mon papa aimait discuter. Il allait s’asseoir
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Marco Aurelio Hernandez Perez, président de la commission d’éducation de la COPARMEX d’Aguascalientes : Entretien informelle : -
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… Tu dois prendre en compte que je ne suis pas soumis. Ensuite, je vais toujours te dire ce que je pense, je ne vais pas me retenir parce que tu es le gouverneur. Je te dis ce que je pense. Et troisièmement, je vais travailler avec les gens que je décide de travailler. Je ne veux pas que tu m’impose des personnes. A qui as-tu dit ça ? Au gouvernant. Quand il m’a invité à participer à la gouvernance de l’état. J’étais en ce temps président du syndicat de l’entreprise Coparmex. Quelques années avant j’avais également été président de ce syndicat. Alors il m’a demandé de venir l’aider pour le développement social, je lui ai dit, invite-moi pour ce qui concerne les entreprises mais il a dit que non, que c’est là que s’appliquent les doctrines. C’est comme ça que j’ai commencé et trouvé ça : ils allaient sur les places publiques, il y avait des sacs de ciment, quelqu’un quantifié, une étude économique, qui ? On va dire qu’ils n’avaient pas les personnes qualifiées. Des fois, ils arrivaient dans des maisons et on leur disait : lui et moi on est dans la même situation, sauf que lui gaspille tout son argent en buvant, il frappe sa femme et rien de plus. Mais comme ce monsieur a une maison « moche » c’est lui qui recevait les aides ? Oui, c’était des aides alimentaires, une tôle pour couvrir quelque chose mais ils n’avaient pas d’attitude de développement personnel. A quoi ça sert de recevoir des aides si tu n’as pas d’attitude de développement personnel ? A ce niveau il n’y a pas de pièce en plus, tu peux à peine avoir un sac de ciment, quelques tôles et des petites choses. Je leur ai dit : « Tu sais quoi ? Ceci n’est pas du développement social ». Ça c’est l’utilisation de la pauvreté. Le développement social est en lien avec la connaissance, les gens doivent avoir soif de supération. Si les gens n’ont pas soif de supération, tu peux aller leur donner ce que tu veux ça ne va pas fonctionner. Beaucoup de fois, les gens venaient chercher leur despensas et prenaient quelque chose dans la dépense pour les vendre et s’acheter je ne sais quoi. C’est un peu ce qui s’est passé avec les cartes après le séisme non ? Bon pour les cartes du séisme, beaucoup de gens aussi, ou… Il y a eu beaucoup de problèmes, les gens qui n’ont pas de formation de développement personnel, une attitude de supération, d’aider ta famille, tu peux leur donner pleins de choses, ils ne vont pas aller de l’avant. Que faut-il faire en premier ? Réveiller les gens, je leur ai dit de terminer l’étude socio-économique, c’est ce que dit la loi d’ailleurs, la loi dit qu’il faut faire une étude socioéconomique et ainsi tu sais ce que tu peux donner ou pas, quels sont les niveaux économiques des personnes, combien d’ampoules ils ont, de quel type est le sol de la
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maison et combien d’appareils domestiques ils ont. Les gens faisaient exprès de ne pas passer l’évaluation parce que s’il la passait, ils ne recevaient rien. C’était une piètre programmation. Quel nom a ce programme ? C’était des programmes d’aide basique aux nécessités des personnes mais quand je suis arrivé, je leur ai dit : « Messieurs, ceci est terminé ». Une fois, j’étais avec une personne des villages, c’était une jeune femme et elle me dit : « Donnez-moi quelques tôles », je lui demande ce qu’elle va en faire et elle dit : « Pour couvrir » et qu’allez-vous couvrir ? « Une petite pièce », ok où est-ce que vous vivez ? « Je vis avec mon oncle » montrez-moi où est la pièce, pourquoi vous ne venez pas d’abord demander des briques et du ciment pour le faire ? « C’est parce qu’on m’a dit que vous vous occupiez des tôles, je suis venue demander des tôles. » mais vous avez nulle part où les mettre. « Mais vous donnez des tôles, on ne m’a pas dit que vous donniez des briques, vous donnez des tôles ». Enfaite les gens allez chercher des tôles et les vendaient. On les achetait 1000 pesos et à eux on leur donnait 300, 250 pesos mais ils ne les utilisaient pas, c’était vraiment d’aucune aide. Alors je leur ai dit : « Messieurs, on va changer tout ça ». Je leur ai dit, on va faire le suivant, on va convoquer les gens qui ont des nécessités de supération et surtout des intentions de supération. On va les emmener à des cours, au travers de la red satellitaire qui existe dans les écoles communautaires. Ces personnes on va les payer pour chaque heure qu’ils passent à étudier. Pour chaque heure, on leur donne un horo qui s’écrit avec un h, hora de hora parce que chaque personne qui assistait au cours on lui donnait un horo par heure. C’était des cours de quoi ? Les cours avaient différents thèmes, de supération personnel, comme renouer le lien familiale, comme s’alimenter pour être en bonne santé, comment faire attention à sa santé reproductive en tant que femme, comment se confronter aux problèmes de la drogue addiction, les droits que tu as par rapport à ton statut de mexicain… Tout pour donner du pouvoir aux personnes. Il y avait aussi de la médecine naturelle, et beaucoup de chose, une grande quantité de thèmes. Alors, les personnes à qui j’avais proposé ça me disait tu es fou, qu’est-ce qu’il t’arrive, le gouvernement doit donner. Je leur ai dit que non, que je ne venais pas pour faire tout ce qu’ils faisaient et si vous ne me laissez pas faire, pourquoi est-ce que je viens ? Ça n’a pas de sens, tous étaient contre moi. J’avais le pouvoir du gouvernant, il m’a dit que si je ne faisais rien contre la loi, qu’il n’y avait pas de répercussion, je pouvais faire ce que je voulais. Alors, j’ai passé un accord avec la télévision éducative de Mexico pour que nous puissions transmettre à niveau satellital dans toutes les écoles de télé secondaires qu’il y avait, des programmes. On m’a alors demandé comment nous allions couvrir toutes les communautés ? J’ai répondu qu’il n’y aurait aucun fonctionnaire, que nous allions chercher les liders du lieu. On a passé une convocation pour que s’inscrive les personnes intéressées. Personne ne savait ce que c’était mais les personnes qui ont de l’intérêt cherchent à progresser. Le programme s’appelait telemayores parce que ça fonctionnait avec la télé et c’était pour les personnes âgées ou les personnes mariées. Alors ces personnes se sont inscrites sur une liste et on a ouvert un groupe par communauté, pour commencer. Ah autre chose, avant le programme seulement 3000 personnes regardaient, j’ai dit que ce n’était rien. En plus, chaque peso qui arrivait pour le budget social, 85 centimes étaient gaspillaient dans l’organisation interne, voitures, personnes, essence, seulement 15 centimes revenaient aux gens pour du ciment, des tôles… Je leur ai dit : « C’est une blague ». Le pouvoir politique est en lien avec la quantité de personnes que tu gères et c’était le secrétariat qui gérait le plus de personnes. Alors j’ai dit, on va voir, dans chaque communauté, aucun fonctionnaire. On cherche le lider de la communauté et qui va nous le
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dire ? Les gens. On a rassemblé les habitants qui s’étaient inscrits, on va dire 40 personnes, et en arrivant on leur a demandé de choisir un coordinateur. Il allait être chargé d’ouvrir l’école, la salle, que tout soit propre lorsqu’ils partaient, les bancs ordonnés. Alors on faisait une programmation par jour mais le problème c’était que les classes de ce système terminaient à 7 heures du soir, plus tôt on ne pouvait pas transmettre. Les programmes étaient donc transmis de 7 à 8 du soir et de 8 à 9. Tous me disaient, non hombre, à cette heure les gens rentrent du travail, ils doivent retrouvés leurs époux, leurs enfants, ils ne vont pas y aller. J’ai parié contre tous. Les gens regardent les télénolvelas, ça ne va pas les intéresser. On a commencé et les gens qui sont intéressés, qui ont soif d’apprendre, s’inscrivaient, ils ont commencé à se réunir. La première année on a rassemblé 4000 personnes. On passait des listes, tous les deux mois on vérifiait les présences. On allait dans la communauté, on comptait les assistances, on nous disait que les personnes allaient triches. Mais il y avait une entraide impressionnante, impressionnante, impressionnante. Alors au final, on a commencé à donner des petits billets et ensuite on arrêtait un camion remplit de choses. On apportait des articles de première nécessité et on leur attribuait un prix en horo. De la nourriture, etc. Les gens avec leurs petits billets demandaient ce qu’ils voulaient. Ils se sentaient fières parce qu’ils avaient appris quelque chose et qu’ils l’avaient fait eux-mêmes. Ils venaient et disaient moi je veux ça, je veux des articles de construction… et tout avait un prix. Non… C’était une fête, les gens sentaient qu’on ne leurs offraient rien, qu’ils l’avaient gagnés et tous ceux qui ne participaient pas commençaient à vouloir participer. Ils ont commencé à échanger entre eux, ils se connaissaient, ils avaient sociabilisé, il y eu beaucoup de choses en parallèle qui se sont développées. Par exemple, quand quelqu’un était malade, avant ça durait des semaines et personnes ne s’en rendait compte alors que là, il manquait une journée et ils allaient le voir. Les gens se connaissaient, c’était un schéma de sociabilisation. Le programme a permis la génération d’un sentiment d’éco responsabilité devant la communauté. Quand venait le gouvernant, les habitants disaient : on a gagné x horos, à nous tous on en a 10.000, on vous en donne 1.000 et vous nous faites cette œuvre. Ça a impacté le gouvernant. Les gens étaient prêts à donner ce qu’ils avaient gagné, ou bien le fils d’une cousine a le cancer et personne ne fait rien, on a besoin que vous, gouvernant, vous fassiez venir un médecin et on payera avec nos horos. Faites-nous ce chemin et on vous en donne tant. Ce fut un sentiment impressionnant, la générosité des personnes. Les mentalités commençaient à changer. Ils demandaient de nouveaux thèmes : « Je veux ouvrir une boutique, comment je fais ? » Je parlais avec un architecte de Oaxaca qui me disait qu’il avait du mal à faire travailler les gens en communauté, chacun est de son côté et qu’il n’a pas réussi à développer son travail. C’est un grand problème qui doit être résolu de zéro, comme nous l’avons fait. On a généré un sentiment communautaire impressionnant, tous se connaissaient. Comme ce qu’il se passe quand tu vas à l’école, c’est pareil. En plus, ils s’asseyaient sur les bancs de leurs enfants, les enfants étaient là la journée et eux la nuit. Des situations très intéressantes se généraient. L’année suivante, 16.000 personnes participaient, 4 fois plus que la première année. La troisième année, on atteignit 45.000 personnes. C’était où ? Dans tout l’Etat. La dernière année on avait 70.000 personnes tous les jours qui regardaient les programmes mais les choses avaient changé. On ne se déplaçait plus avec la camionnette pour voir ce que les gens voulaient. A la fin de deux mois, on leur envoyait une liste des produits disponibles et les prix. On comptait leurs heures de cours et le nombre d’horos auxquels ils avaient le droit. On a employé une entreprise qui se chargeait. Ah non, il y avait la seconde étape durant laquelle on gardait la marchandise dans un hangar et de là les
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fonctionnaires chargeaient les sacs des choses demandaient. Mais il y eu plusieurs commandes qui n’arrivèrent pas complètes, des choses cassées ou de mauvaise qualité. Ça générait un sentiment d’incompréhension, pourquoi mes biscuits sont arrivés cassés, etc. Et des choses disparaissaient. Quelqu’un des personnes qui travaillaient à l’entrepôt volait des choses. Il y a donc eu une troisième étape, on a contacté une entreprise, on lui envoyait les commandes électroniquement et eux-mêmes chargeaient, remplissaient les sacs etc. Ils étaient directement responsables de la qualité, du contenu. Il n’y avait plus d’intermédiaire entre le vendeur et le bénéficiant. Une belle dynamique s’est générée. Au début, l’horo valait 3 pesos par heure et on l’augmentait, au final il a atteint 5 pesos pour chaque horo. En plus les gens demandaient de nouveaux programmes, pour créer des objets, acheter des vaches, etc les gens portaient de l’intérêt à beaucoup de choses. La condition pour ouvrir un programme était de réunir 20 personnes qui si se joignaient à toi, ça devait intéresser d’autres que toi comme c’était des aides communautaires. Dans d’autres communautés, les gens ne veulent rien faire car ils se battent entre eux, il y a des conflits. Ce processus dura quelques années mais on a dû changer de schéma. Un autre gouvernant est arrivé, il ne pouvait pas enlever le programme car il y avait beaucoup de gens qui le suivait mais il a commencé à quitter des caractéristiques. Premièrement, ce n’était plus tous les deux mois mais deux fois à l’année. Ils ne comptaient plus les assistances, si tu y allais ou non. Au final, ils donnaient la même chose à toi le monde, il n’y avait plus la récompense de l’effort de chacun. Pourquoi ils ont fait ça ? Ils l’ont décidé parce que ce programme avait de la notoriété et un capital politique pour le gouvernant et pour ceux qui l’avaient créé. Comme c’était un gouvernant qui ne voulait pas partager le pouvoir. Il a commencé à changer les choses. Moi, je passais à la télévision, je disais bonjour aux gens, je disais bienvenue. Ah non c’est le contraire, le gouvernant entrait au début et moi à la fin du programme pour dire aurevoir, je leurs donnaient des recommandations et j’allais toujours visiter les communautés. Quand on leurs donnaient leurs horos je leurs demandaient ce qu’ils en pensaient, s’ils souhaitaient de nouveaux thèmes, s’il y avait des choses à changer… On organisait des festivales, on rassemblait les gens. Vous étiez très nombreux finalement ? Au final, de chaque peso qui arrivait on gaspillait que 15 centimes en opérations et on donnait 85 centimes aux gens. Par jour, on avait un prix de 350.000 pesos en payement d’horos avec 70.000 personnes assistant chaque jour aux classes. C’était très fort, centré sur ce que les gens voulaient et non pas sur ce qu’on pensait qu’ils voulaient. Les personnes âgées qui participaient rentrées chez elles le soir et se sentaient fiers d’apporter quelque chose, elles ne se sentaient plus un poids. Le programme a été totalement détruit ? Il existe depuis 18 ans maintenant mais ils lui ont quitté les parties, de mon point de vue, essentielles. Actuellement, il ne doit pas avoir plus de 6000 ou 7000 personnes. Ce programme on l’appelait telemayores mais les gens le connaissaient comme programme des horos. Ça a été le programme d’aide basique, ensuite on a commencé avec piso firme, ce qu’on souhaitait là c’était faire disparaitre tous les sols de terre qu’il y avait dans l’état. Pourquoi donc ? On suppose en premier qu’une condition de pauvreté fait que des fois, les gens ont des sols en terre et dans ces sols prolifèrent beaucoup de maladies. C’est plus facile qu’il y ait des cultures de champignons ou de maladies, il y des aliments qui tombent, qui fermentent et beaucoup de prolifération. Alors on s’est rendu compte de beaucoup de choses, on arrivait
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dans des maisons dans lesquelles il y avait une télévision de dernière génération, un équipement de musique énorme et des sols en terre. Des personnes avec des vaches dehors, son camion, son tracteur et des sols en terre. Pourquoi eux-mêmes ne l’avaient pas changé ? Parce que dans leur vision de la vie, le sol n’est pas important. La télé, l’appareil à musique le sont plus. Ce sont des schémas personnels. Après on voyait des gens qui nous disaient, ce monsieur est très riche et vous êtes en train de l’aider à mettre son sol, il n’a pas besoin d’argent. C’était vrai mais la condition était d’avoir un sol en terre. Il y avait une limite, on n’aidait pas dans les maisons en construction, uniquement les maisons habitées dans des lieux vacants, pas ici à la capitale mais des colonies ou municipaux. La dynamique n’était pas d’arriver de faire le sol, la dynamique était de voir le nombre d’occupants, on se réunissait tous et on donnait le matériel et le technicien mais c’était la communauté qui faisait le travail. Ils sortaient toutes les choses de la maison, les déplaçaient et les gens de la communauté faisaient tout. Et le jour suivant, c’est chez eux qu’on allait, etc. Ça généré une solidarité intéressante. Dans ce cas, ça fonctionne parce que c’est une œuvre rapide non ? En un jour on faisait plusieurs maisons. Le ciment arrivait, on le déchargeait dehors et tous travaillaient. Je ne sais pas où es la limite dans ce que je vais dire mais j’ai entendu parler de ce programme comme de quelque chose fait pour, dans les statistiques, diminuer le seuil de pauvreté. Bon, évidemment comme je te disais au début dans les études socio-économiques il y a eu un aspect d’évaluation des sols et mon il y avait de sols de terre mieux c’était. Ça c’est vrai, chacun peut l’interpréter, nous on cherchait à augmenter le niveau de vie. Une personne avec un sol en béton a moins de préposition a la maladie ou à rendre malade ses enfants. L’une des choses dont je me souviens beaucoup, ce sont les gens qui disaient, regarde j’ai un sol chez moi mais tu sais pourquoi ? Parce que je ne suis pas alcoolisé, parce que les jours où je ne travaille pas, je travaille ici avec ma famille et eux qui gaspillent leur argent dans autre chose, ne travaillent pas… vous me récompensez en me punissant. Pourquoi ce que vous leur donnez-vous ne me le donnez pas pour faire autre chose ? Je leurs disais, tu as raison mais c’est la loi, la possibilité que j’ai en tant que fonctionnaire est limitée. Tu dois chercher à rentrer dans d’autres niveaux, chercher des schémas de projets, une autre façon d’apprendre quelque chose nouveau. Ta classification est plus haute d’une certaine manière mais la réalité au fond est que : premier point, si une personne ne souhaite pas se surpasser tu n’iras nulle part alors tu dois commencer par réveiller en la personne son désir de supération. Second point, tu dois montrer le chemin, orienter, suivre et lui enseigner que ces choses ne se font pas seuls, avec ton voisin, les gens. Et si tu es toujours en train de te disputer avec ton voisin tu ne peux rien faire. Tu dois arriver à faire ça. Ok une approche gouvernementale comme tu dis peux être celle-là, quels sont les facteurs qui qualifient la pauvreté extrême ? Ça, ça, ça. On va les éliminer pour diminuer le problème. Ce n’est pas mal, si ce sont des facteurs c’est parce qu’ils produisent des problèmes. Alors l’approche qui est donnée peut par exemple être, je ne m’intéresse pas aux gens mais j’ai besoin de monter mes statistiques et je les augmente en faisant ça, je n’ai pas de compromis avec les gens mais avec mes intérêts personnels, avec le développement, c’est bien mais de toute façon l’effet est le même. Par exemple, après avoir fait beaucoup de sols fermes est arrivé un moment où je saturais de tellement de choses que le gouvernant m’a dit, tu sais quoi, tu portes beaucoup de choses, ce que tu fais avec les sols c’est bien pour ce que vous faites avec les gens mais si on envoie des techniciens ce sera plus rapide, on n’aura pas à attendre
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La réappropriation des maisons en adobe à Huajuapan de Leon les gens, la qualité sera supérieure. Je lui ai dit, tu as raison mais tu perds la partie la plus importante, les personnes ne vont jamais oublier que Don José ou Dan Luis ont participé, on est en train de développer une conscience de solidarité et la senora de cette maison n’oubliera pas qu’ils étaient là. Il m’a dit, tu as raison mais tu as l’autre programme, laisse celui-là à la area de vivienda, ils le feront à leur façon. J’ai dit d’accord tout en le mettant en garde que les choses vont se faire mais les résultats, les bénéfices produits ne sont pas les mêmes. Parce qu’en plus on générait l’ambition des autres secrétariats, ils se rendaient bien compte que quelque chose auquel personne n’avait cru fonctionnait très bien.
Interview formelle : Après avoir résumé mon sujet il me dit : -
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Au fond tu cherches à générer des espaces avec de meilleurs conditions de vie et une plus grande durabilité que de soutenir des constructions, qui des fois n’ont pas, le cas de Huajuapan, n’ont pas les caractéristiques pour supporter les conditions sismiques de cette zone. De mon expérience, quand je suis allé à Huajuapan, des maisons qui sont tombée, c’est des maisons que les gens avaient reconstruites eux-mêmes, structurellement ils ne l’ont pas bien fait. Alors le gouvernement prend parti de ne pas respecter la construction traditionnelle mais chercher qu’il y ait un technicien qui supervise que les choses que le gouvernement apporte soient structurellement correctes même si architecturalement elles détonnent avec les autres maisons. Qu’est-ce qui est le plus important ? Avec ce type de construction les villages sont défigurés mais dans cette situation il est vrai que le plus important est premièrement avoir des maisons qui ne tombent pas. Ta vision est une vision romantique et ça a du sens, une population qui conserve son architecture formelle et traditionnelle a la possibilité de rentrer dans le programme des pueblos magicos qui parfois, ne construisent pas en double hauteur, ont des façades pintent de la même couleur, les rues sont faites de certains matériaux. Souvent, l’extérieur n’a rien à voir avec la fonctionnalité intérieure, c’est une simple façade. Mais à Huajuapan ceux qui ont des belles maisons anciennes avec du carizos, etc quand ils font une nouvelle construction, se tournent vers la construction moderne, plus structurelle, plus sure et tout. Alors c’est romantique de penser que c’est mignon, qu’il faut les préserver mais si tu y vis, si tu les utilises tu diras c’est mieux ça que ça. Clairement, indépendamment de la structure interne qui n'est pas fonctionnelle, la façade, la partie de l’image peut couvrir ces choses-là. Plus qu’une image, l’adobe à des caractéristiques thermiques plus élevées que le béton. Oui mais la construction avec ces matériaux est chère. S’ils le font avec un programme gouvernemental et qu’ils t’aident avec l’adobe et tout. Premièrement c’est plus cher parce qu’il y a plus de main d’œuvre, ce n’est pas quelque chose industriel, c’est quelque chose qui se construit artisanalement. Et l’entretien, c’est très beau l’adobe mais sans entretien il commence à perdre de l’humidité et il faut appliquer des résines sinon ça provoque de la poussière. Il y a des choses dont il faut être conscient. Mais effectivement, le gouvernement, très peu, surtout parce que je te parle de l’expérience de cette région… Ici arrive les personnes dans les communautés qui ont des constructions traditionnelles et proposent une aide de développement des maisons et leurs font leur chambre. C’est comme ça. Tu peux te présenter rapidement ? J’ai étudié pour devenir comptable publique, je me suis toujours intéressée à la question commerciale en relation avec des entreprises qui traitent de construction et de services, de transport et ensuite j’ai présidé le syndicat patronal de la république de Mexico Coparmex. Puis ils m’ont proposé d’intervenir dans la partie de services publique et secrétariat de
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développement social en lien avec des aires d’organisation urbaine tout ce qui est autorisation de nouveaux fractionnements, on traitait le thème du transport public, les questions écologiques et le plus important le développement urbain. On implantait de nouveaux programmes dans le secteur. Ensuite j’ai continué dans la partie commerciale en étudiant un master en éducation (bac +6) et en continuant à m’intéresser au thème de la construction. Tu peux me parler des programmes ? La dernière fois tu parlais de telemayores et de piso firme. Ces programmes qu’on implantait étaient pour le service publique. Il y avait un programme de développement humain, les gens prenaient un moment pour faire de nouvelles choses et pour se développer en tant que personne. A travers de ces programmes, nous on payait chaque heure qu’ils consacraient à ces cours qu’on publiait par voie satellitale à travers le système éducatif qui couvre tout le pays. Les enfants allaient à l’école la journée et les parents le soir, ils apprenaient le développement personnel, quelques-uns que l’on suggérait et d’autre qu’ils souhaitaient connaitre. Avec cette répartition les gens cherchaient à ouvrir une boutique, acheter des animaux et ils répétaient ce qu’ils apprenaient. Ça a généré une dynamique qui aide les gens. Les thèmes étaient très variés, de santé, éviter les maladies, les avantages si tu continues d’étudier. La majorité s’étaient arrêté au primaire grâce aux programmes certains ont continué. D’autres personnes créent une coopérative et demandaient des crédits pour continuer à se développer. Il en résultait des choses intéressantes. Et nous, pour chaque heure on leur offrait un horo, un bitcoin, qu’ils pouvaient convertir en aliments, médecine, construction et beaucoup l’utilisait comme une contrepartie avec le gouvernant pour qu’il leur fasse une grande œuvre qui bénéficierait à la communauté. C’était une dynamique intéressante. Pour le développement urbain, on a utilisé le programme de piso firme, en cherchant à faire disparaitre les sols en terre dans les maisons. On donnait des matériaux et les techniques et eux la main d’œuvre. On a totalement éradiqué les sols en terre. On s’est rendu compte que beaucoup de personnes n’avaient pas son sol en terre par manque de moyens mais par habitudes, pour ses traditions ils préféraient avoir autre chose que d’améliorer son sol. Alors ce fut un apprentissage intéressant, ne pas penser que les gens utilisaient ce que tout le monde pense qu’il se doit d’utiliser. Beaucoup de personnes avaient des appareils électriques de dernière génération mais un sol en terre. Son tracteur, ses vaches et ce sol C’est intéressant comment les personnes dans leur développement, expériences, culture, ne pensent pas que le sol peut transmettre des maladies, une prolifération d’animaux. Ils étaient comme ça jusqu’au programme, c’était obligatoire pour personne mais tout le monde a accepté. C’était une expérience intéressante. Il y eu plus de programmes ? Oui beaucoup plus, il y avait des programmes pour apprendre à confectionner des habits, pour faire des couvertures, pour se satisfaire soi-même et après des coopératives se formaient et ils commençaient à vendre ce qu’ils avaient fait. Un autre consistait à rassembler les artisans d’artisanat fine comme la broderie, le filigrana, les tejidos… et on les guidait vers des marchés qui les payerait correctement. Tout était basé sur le développement personnel mais on cherchait à ne rien donner aux gens si eux ne nous donnaient pas quelque chose en échange. La politique n’était pas gratuite. Les gens aussi pauvres qu’ils soient ont tous du temps à donner pour leur développement personnel. Sous cette dynamique les programmes aidaient à fortifier des points des communautés comme la place centrale, à donner une dynamique à ces espaces mais toujours avec leur participation. Rien sans leur volonté.
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Ce sont des programmes qui continuent ? Non maintenant ce sont des programmes différents. Celui de la télé fut modifié, il y avait 70.000 personnes en 2004 et j’ai cherchait il y a deux ans, il n’y avait plus que très peu de gens parce qu’il n’y avait plus le système d’éco responsabilité. Le secrétariat fut modifié ? La structure de cette aire gouvernementale a été pulvérisé en 5 parties différentes. La partie sociale, écologique (normes + inspection), le transport, la planification et le développement urbain. Quel est le rôle du gouvernement sur l’architecture vernaculaire ? Le gouvernement ne s’occupe pas de l’architecture vernaculaire. L’aire qui touche un peu à ça c’est l’INAH qui classe quelques édifications qui doivent respecter ses constructions donc l’architecture traditionnelle. Et malheureusement, on le voit comme un désavantage dans le sens où les habitants sentent qu’ils sont dans un lieu sanctionné. Il y a des normes de construction en lien avec les hauteurs, des distances minimes mais il n’y a pas de préoccupations du gouvernement en architecture. C’est l’aire fédéral qui contrôle cela. Dans quelques villages ils cherchent une uniformité des couleurs, du type de construction des rues, pour se classifier comme un pueblo magico et conserver une aire de vieux villages pour ainsi générer de l’attraction et du tourisme. Les habitants ne le font pas tellement pour le goût de la conservation mais pour le tourisme ? Premièrement ce sont des initiatives gouvernementales pour générer et obtenir des recours. Grâce à cet argent ils font la présentation. Pour les habitants ça représente un bénéfice le fait qu’ils peignent ta maison. Et le gouvernement t’encourage, il dit qu’il faut continuer avec cette dénomination. Ce n’est pas en lien avec l’INAH ? Non c’est une dépendance du gouvernement fédéral. Il y a trois niveaux de gouvernement, le fédéral qui s’occupe de tout le pays, celui de l’état pour chacun des états et le municipal pour chaque municipio. Alors le thème des pueblos magicos est municipal alors que l’INAH est fédéral. Le thème de la planification urbaine est plus de l’état mais des municipaux qui ont un niveau de développement important comme Aguascalientes traitent de ces thèmes. Mais généralement c’est l’état qui voit la conformité de différents municipaux, la loi de développement urbain est de l’état et chaque municipio doit s’y plier. Ce sont des niveaux de gouvernement différents et dans chaque Etat il y a une délégation qui représente l’INAH et qui se classifie, etc. Généralement les constructions qui ont ces classifications se trouvent immergées dans des zones centriques et commerciales, où les projets voisins ont un développement différent de la concentration traditionnelle. Il y a un schéma dans lequel quelqu’un qui a un projet de construction plus grand mais qui est catalogué, n’est pas autorisé à le faire et cela génère une situation dans laquelle il n’y a pas de préoccupation ou l’envie de penser que parce qu’ils veulent conserver cette image ils te limitent dans ton schéma personnel à faire ton projet. Pour les élections, des partis ont offert des cartes en échange de vote. Les matériaux récupérés affectent donc l’architecture actuelle. Qu’en penses-tu ? Toute l’aide que reçoit les gens est bonne. Evidemment, les cartes sont conditionnées au résultat de l’élection. De la conscience tu obtiens un bénéfice. Ils disent, si je gagne avec ton vote tu vas recevoir ceci mais sinon tu ne recevras rien. Alors les gens ont cette espérance et votent pour un certain candidat. S’ils ne reçoivent rien ils ne peuvent rien faire contre. C’est une situation manipulatrice. Ils y en a qui l’ont fait avec des programmes autorisés et d’autres non. C’est un uso de convenencia pour arriver au vote.
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Pour finir, pourquoi as-tu souhaité faire une partie de ta maison en adobe ? J’ai l’ai fait pour trouver un endroit qui dans son environnement sois apprécié. Mais je ne l’ai jamais utilisé structurellement, seulement dans une zone où il n’y a pas beaucoup de structure, pour avoir quelque chose de typique, tape à l’œil et qui est pratique, c’est comme une partie décorative, une motivation de contraste décoratif. J’ai également utilisé la brique de façon décorative. Ici c’est construit en brique mais elle est recouverte, enfermée. Là-bas je l’ai fait avec des briques apparentes, comme quelque chose de très voyant, le contraste entre la brique rouge et l’adobe café.
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Table des matières
Remerciements……………………………………………………………………………………………………………………………… 4 Sommaire………………………………………………………………………………………………………………………………………. 5 Préambule……………………………………………………………………………………………………………………………………… 6 Introduction…………………………………………………………………………………………………………………………………… 9 I/ Entre tradition et modernité, passage d’un village en adobe à la ville de Huajuapan de Leon Chap 1. Les traditions ancestrales de la Mixteca………………………………………………………………………….. 13 Chap 2. Délaissement des savoir-faire lors de l’organisation sociétale et spatiale……………………….. 21 Chap 3. Lorsque technicité et sciences suivent la mode………………………………………………………………. 29 II/ Quel imaginaire collectif chez les habitants des villages originaires ? Chap 4. Des nouvelles routes pour de nouvelles directions…………………………………………………………. 37 Chap 5. La géographie facteur de conservation……………………………………………………………………….…… 43 Chap 6. Dévalorisation, racisme et espoir dans les articles gouvernementaux et universitaires…... 49 III/ Analyse des institutions et programmes gouvernementaux : les origines, la mise en place, la fin et les répercutions Chap 7. Jeu d’acteur dans les institutions…………………………………………………………………………………….. 55 Chap 8. Programmes gouvernementaux et désillusion………………………………………………………………… 61 Chap 9. Les limites générées par la conservation…………………………………………………………………………. 67 Conclusion……………………………………………………………………………………………………………………………………. 75 Bibliographie……………………………………………………………………………………………………………………………….. 79 Iconographie………………………………………………………………………………………………………………………………… 81 Annexe…………………………………………………………………………………………………………………………………………. 83 Table des matières…………………………………………………………………………………………………………………….. 106
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L’architecture de Huajuapan de Leon, ville située dans l’état de Oaxaca au Mexique repose ancestralement sur l’adobe. Pourtant lorsque l’on sillonne les rues de la ville aujourd’hui, le matériau n’est pas présent. Plus rares encore sont les habitants qui vivent dans une maison en adobe et qui luttent pour elle. Que s’est-il passé ? Face aux tremblements de terre, le pays a cherché des solutions, se remet en question et trouve des solutions aujourd’hui elles-mêmes remises en cause. Nous partirons à la recherche des habitants, d’architectes et de politiciens afin de savoir où en est la construction en adobe et quels sont les facteurs permettant ou non sa réappropriation. Entre traditions et modernité, plongés dans l’imaginaire collectif des villages originaires nous nous questionnerons sur les différents facteurs rencontrés.
La arquitectura de Huajuapan de Leon, ciudad ubicada en el Estado de Oaxaca en México, se basa ancestralmente en el adobe. Sin embargo, cuando recorremos hoy en dia las calles de la cuidad, este material ya no se encuentra presente. Aun mas escasos son los habitantes que viven en una casa de adobe y que luchan para conservarla. Que sucedio para llegar hasta esta situacion ? Ante el problema de los sismos, el pais busco respuestas, se cuestiono y algunas de las soluciones que encontro son puestas en duda hoy en dia. Iremos en busca de habitantes, arquitectos y politicos con la finalidad de entender que esta pasando con la construccion en adobe y cuales son los factores que permiten o impiden su reapropriacion. Entre tradicion y modernidad, immersos en el imaginario colectivo de los pueblos originarios, nos interrogaremos sobre los factores que encontramos.
The architecture of Huajuapan de Leon located in the State of Oaxaca in Mexico relies on the ancestral use of adobe. Yet, as we cross the streets of the city today, the material is no longer present. Even rarer are the inhabitants who remain living in houses made of adobe and keep fighting for its existence. What happened ? Facing earthquakes, the country is looking for some solutions, questions itself and finds some solutions that are themselves challenged. Throughout this work, we will be looking for inhabitants, architects, politicians, in order to understand where the construction using adobe stands, and what are the factors allowing or not its reappropriation. Betwen tradition and modernity, immersed in the collective imagination of the original villages, we will question ouselves on the different factors encountered.
Mots-clés : Huajuapan de Leon, Identité Indigène, Maisons en Adobe, Programmes Gouvernementaux