Etre ronde dans un monde carre
«le monde ne
Le jour où j’ai compris que
tournait pas rond » Par Anaïs Seyo Orsini
J
e n’ai pas toujours été ronde. Pendant des années, seul un minuscule bidon d’enfant trahissait ma préférence pour le goûter en tant que repas de la journée. J’étais déjà grande pour mon âge, avec de longs bras, de longues jambes, le teint mat et les cheveux frisés. Une véritable publicité pour la France métissée que je représentais à merveille à mon insu. Et pourtant, déjà, ce simple petit bidon affolait ma mère et la poussait à me faire examiner par des spécialistes qui, évidemment, lui disaient que tout était normal chez moi. J’ai commencé à m’arrondir après l’apparition de mes règles. Mes seins et mes hanches ont commencé à se développer. Je n’avais que 11 ans mais je ressemblais déjà à une femme. A 12 ans, je faisais déjà du 42. De quoi rendre dingue ma mère qui, à coup de phrases chocs comme « regardes-toi, tu es tellement grosse » ou « aucun homme ne voudra de toi tellement tu es grosse », exprimait sa désapprobation. Faire du 42 à 12 ans, c’est quand même inquiétant, me direz-vous. Seulement à 12 ans, je mesurais déjà 1m68 et que, lorsque 50% du sang qui coule dans vos veines est du sang africain, les chances d’avoir une bonne paire de fesses sont grandes. Avec mes 50% de sang hollandais restant (les nordiques ont souvent une carrure imposante), on peut dire que, génétiquement, je n’étais pas bien partie pour être une brindille. Mais ma mère ne l’entendait pas de cette oreille. Il faut dire qu’elle-même a passé sa vie au régime, terrorisée par ses propres rondeurs. Mais si elle avait été la seule, j’aurais peutêtre pu m’en accommoder. Mon frère, alors en plein âge bête, m’appelait tour à tour « grosse vache », « la baleine », « le cachalot ». Lui qui avait été mon complice et mon protecteur pendant toute mon enfance devenait mon pire bourreau. Et puis, il y avait également la méchanceté des enfants du collège. Comme j’avais une forte personnalité et que les insultes anti gros étaient particulièrement blessantes et humiliantes, c’était devenu la parfaite arme pour me rabattre le caquet. En France, on n’aime pas les gens qui ont suffisamment confiance en eux pour s’affirmer. Surtout quand il s’agit de femmes. On cherche toujours un moyen de les faire taire. Tant pis pour les dégâts psychologiques. Enfin, comment gérer l’appétit sexuel des hommes qui vous mettent la main aux fesses à n’importe quelle occasion quand on est si jeune ?
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Voilà. C’est là que tout a basculé. Alors que je ne voyais pas vraiment où était le problème d’être un petit peu plus charnue que les autres, j’ai cédé. A force d’entendre que j’étais moins jolie, moins douée, moins appréciable à cause de mon poids, j’ai fini par le croire et par penser que la solution miracle était de faire un petit régime. J’ai mis alors le doigt dans l’engrenage. J’ai enchaîné les régimes avec des résultats catastrophiques. Je perdais, puis reprenais le double. Weight Watchers, hypo protéiné, hyper protéiné, les coupe-faim, le régime sans les mots en P, régime vapeur, régime salade… Je les ai tous fait. A 21 ans, j’explosais les 100 Kg si bien que j’ai fini par me faire poser un anneau gastrique. Si on m’avait foutu la paix à 12 ans, j’aurais certainement atteint mon 1m72 actuel, sans prendre de poids. J’aurais été pulpeuse, sans plus. Quelle aurait été ma vie alors ? Je me pose parfois cette question avant de me reprocher d’avoir cédé. Mais comment peut-on expliquer à des adultes, à des médecins, qu’à 12 ans, on ne peut pas entreprendre un régime, que c’est l’échec assuré ? Comment peut-on résister à une telle pression sociale à l’heure où vous êtes si fragile et que ceux qui sont supposés vous protéger, vous aimer quoi qu’il arrive, hurlent au loup avec le reste du village ? J’aurais tant aimé avoir cette force-là. Mais à cet âge-là, la force de caractère n’est souvent qu’une façade. J’ai touché le fond à la pose de cet anneau gastrique. Pour perdre du poids, j’en ai perdu : 40 Kg en un an. Mais à quel prix ! En plus d’être totalement obsédée par mon poids, j’étais fréquemment malade à cause d’aliments qui ne passaient pas. Et puis, j’avais du mal à assumer mon nouveau corps. Non seulement je n’avais pas assez de recul pour voir tout le poids que j’avais perdu lorsque je me regardais dans la glace mais en plus, cette perte de poids brutale faisait que mes seins dégringolaient jusqu’à mon nombril et que j’avais un excédent de chair qui tombait sur mon pubis. Je me dégoûtais. J’étais tellement mal dans ma peau. Un jour, alors que j’étais à quatre pattes au-dessus de la cuvette de mes toilettes à vomir un malheureux bout de dinde qui ne passait pas, je me suis demandé pourquoi je faisais tout ça. Je me suis demandé si le mal-être que je ressentais venait plus de mon surpoids ou plus de ma perte de poids éclair.