†† Jean le Bot & Ange de Larue
†† «Le calvaire de Tchikatilo» est un long métrage
expérimental réalisé par Mikhail Volokhov et présenté pour la première fois à l’occasion du 27e festival du film de Moscou en 2005. Une édition spécialement placée sous le signe de la paix en hommage à l’anniversaire de la fin de la seconde guerre mondiale. †† Il y met en scène les hypothétiques derniers songes d’Andreï Tchikatilo, tueur en série de l’ère soviétique, peu de temps avant son exécution. Volokhov s’immisce dans la psyché d’un homme sensible et inadapté, jugé sans morale par l’histoire, pour nous faire envisager au travers d’une mise en scène simple et un humour incisif, la complexité des psychanalyses du monstre de Rospov. Loin des iconographies putassières qui exhibent Andreï comme un monstre sanguinaire sans vergogne, Volokhov nous livre ici un récit teinté d’absurde qui nous dépeint
†† «le mal du monde par le mal de la Russie.» (Sobel)
†† Mikhail Volokhov est un auteur dramatique russe né en 1955 à Novomoskosvk en Russie, élevé par sa grand mère sous l’ère Brejnevienne. il détonne très tôt, en effet suite à sa première expression écrite scolaire, ses parents l’envoient dans un asile psychiatrique à Moscou pour des tests psychologiques approfondis. Il suivra par la suite des études d’ingénieur dans la même ville pour finir par se consacrer à l’écriture et à la traduction d’ouvrages.
†† Son Oeuvre, à l’image de l’histoire de son pays, est étroitement liée à la France.
†† Il écrit au total une quinzaine de pièces, entre autre « Paris! Paris! », « Les lesbiennes du bruit de tsunami », ou bien « Cache-cache avec la mort », notamment mise en scène par Bernard Sobel au Théâtre de Gennevilliers en 1993. Peu connu du grand public mais reconnu par ses pairs, et notamment proche du grand Ionesco, il s’est pour un temps, exilé à l’ouest, loin du passé soviétique qui a pétris son oeuvre, avant de fatalement réinvestir la capitale de
†† « la plus grande prison du monde » (Leon Novojonov), Moscou.
†† Andreï Tchikatilo aka le monstre de Rospov est considéré comme l’un des plus grand tueurs en série du siècle passé. Né en république socialiste d’Ukraine en 1936, il y est, très jeune, confronté aux aléas du collectivisme: la famine, et la violence qui en découlent. Il étudie la littérature, devient professeur, se marie et malgré une impuissance manifeste, obtient un fils et une fille Youri et Lûdmilla. Ce sont ses passions qui l’amèneront sur le chemin du Calvaire.
†† S’en suit une funeste épopée jalonnée, entre autre, de viol sur mineur ou de cannibalisme fétichiste, qui le mènera à être exécuté d’une balle dans la nuque le 14 février 1994, date paradoxale pour un eunuque. †† L’étude de cette œuvre n’est absolument pas préméditée, elle m’est tombée dessus tout à fait par hasard au détour d’une page youtube. La mise en scène originale ainsi que l’antisémitisme primaire m’ont assez interloqué pour arrêter définitivement mon choix malgré le fait qu’au premier visionnage je n’avais absolument rien compris. L’étude plus approfondie du script traduit par René Guerra, mais aussi bon nombre de pages fournies par Mikhail Volokhov lui même, m’ont grandement aidé à embrasser l’œuvre dans sa complexe globalité, confortant ainsi mon choix initial.
†† Un humour noir, cinglant, sans limite, je me sentais à la maison.
†† L’auteur, plus accoutumé à la grande communion théâtrale, tenait, selon ses dires, à l’épuration et la fixation sur support de la mise en scène. Il s’est ainsi enfoncé seul avec sa caméra de 7 kilomètres dans les sous bois enneigés et a commencé à tourner aux alentours de 5 heures du soir pour, dit il, « s’imprégner de l’ambiance ». S’en suit un plan unique de 1 heures et 12 minutes où l’acteur/réalisateur rampe dans la neige en déclamant le texte. Un mode de réalisation, qui, aux vues des conditions peu confortables, relève de la véritable performance artistique. L’auteur tenait à un mode de réalisation sans filtre, sans triche possible, car selon lui, l’objectif de l’art est que le spectateur se sente concerné, or s’il y a triche dans le processus de réalisation, on s’adresse moins directement au spectateur. †† Le choix du lieu de tournage semble avoir pour but de nous ramener là où le monstre sévissait. En effet une partie du mode opératoire consistait la plus part du temps à isoler ses victimes dans les bois. La caméra quant à elle est à terre et semble être hissée par l’acteur à l’aide d’une chaine au fur et à mesure qu’il progresse dans la neige. Potentielle allégorie du christ portant sa croix. Mais l’auteur dément toute analogie. †† “ Le calvaire de Tchikatilo ”, comme toutes les œuvres de Mikhail Volokhov, est empli d’une charge symbolique considérable. Il sanctifie ici l’un des personnages les plus controversé de l’époque soviétique, car il était in-envisageable pour le parti unique d’admettre qu’un « serial killer » puisse exister dans une confédération idéalisée. Ce calvaire est l’occasion d’envisager notre christ rédempteur sous un axe peut être plus fin et pertinent que celui qui ma été donné d’envisager lors de mes recherches. Le spectaculaire y est mis de côté pour laisser s’exprimer un homme qui n’a, lors de son procès, daigné offrir comme seule défense à son auditoire, que l’exhibition inopinée de sa verge flasque. †† Andreï surnage, il ne se sent nullement représenté par le jury populaire, n’a de ce fait aucun compte
à lui rendre ; ses ressorts sont d’un autre ordre, cosmique. Il aurait peut être préféré qu’on le crucifiât, évitant ainsi la longue solitude de l’ennui carcéral avant une mise à mort qu’il jugerait sans relief. Au fond, ce calvaire n’a rien d’un repenti. Andreï, se considérant non coupable, justifie ses actes par une vague mission d’épuration cosmique, qu’il qualifie d’altruiste. Il évite selon ses dires, à 52 âmes d’être blessées et perverties par les épreuves imposées par la vie en société. Il prêche un discours antisocial en plein dictature socialiste, un illuminé en somme, comme le Christ en son temps. †† Il n’a plus de repères, comme bon nombre de ses camarades. Andreï, et plus généralement le peuple russe n’ont, face à la pauvreté, pas même le luxe de se tourner vers la religion. Car le peuple russe, fondamentalement très pieux, a été, sous le socialisme, privé de l’opium orthodoxe. Un facteur de déracinement supplémentaire, qui annihilait tout échappatoire à la misère et au mal ambiant.
†† Père de famille émasculé, Andrei ne se reconnait pas dans ses pairs.
†† Volokhov le dépeint comme un amoureux transi, sensible, profondément marqué par l’inhumanité de ses congénères. Un homme peut être trop sensible pour survivre dans des territoires, encore aujourd’hui, emplis d’un rapport très primaire à la virilité masculine. Andreï n’accepte pas l’injustice de son impuissance, cela le ronge et le met sur la touche du jeu de la séduction. Ilm décidera par la force des chose de s’affranchir des règles et normes de la séduction obligée, pour porter atteinte aux plus faibles : femmes et enfants; souvent de manière peu conventionnelle : cannibalisme à caractère fétichiste. †† Andreï vit sa vie au travers de sa non sexualité, ce qui l’amena à une misanthropie viscérale, à l’image du boucher chevalin de « Carne » (1991) et « Seul contre tous » (1998) de Gaspard Noé, bougon esseulé par la solitude, Philippe Nahon y affirme que le seul rôle de l’homme sur terre est de s’y comporter comme « une bonne bite bien dure », or les deux bouchers n’ont plus l’envie. Des hommes à qui on reproche un manque d’humanité sans que ceux ci puissent rétorquer d’un intérêt suffisant pour celle ci.
†† C’est ce rapport quasi ubuesque à la vie, à la chair, qui marque leur existence, «aussi distant envers le bien qu’envers le mal» (Pouchkine).
†† Cet absurde métaphysique quotidien, philosophie concrète, qui est selon l’auteur propre au peuple russe et pertinemment imagé par l’usage appuyé du mat. Argo populaire russe qui fait effet d’une véritable idiosyncrasie chez Tchikatilo. †† Mikhail Volokhov fait partie de ces dramaturges russes, tels que Tarkovsky ou Tchékov profondément marqués par leur enfance au sein de la Mère Patrie.
En effet la torpeur des steppes de l’Oural enfante bon nombre d’auteurs profondément caustiques qui ne cessent de nous dépeindre, au travers de l’absurde, la froideur et la solitude d’une Russie rurale livrée à elle même. †† Une démolition anthropologique de l’homme russe en tant qu’homme universel, c’est l’objet de la métaphore que tisse Mikhail Volokhov au travers de ce calvaire. Andreï le dit lui même des lèvres de Volokhov « le système politique m’a enfanté, a fait de moi un loup ».
†† C’est la faute à Rousseau.
†† En effet comment Andreï peut il se sentir coupable lorsqu’il s’est construit dans un système qui se veut égalitariste , mais ne peut en définitive rien pour combler la carence qui le tiraille? Qui plus est chapeauté par des tueurs de masse. Tarkovsky dit que la violence d’état détruit l’innocence, c’est en cela qu’Andreï ne se sent nullement coupable et qu’il n’a aucun état d’âme à creuser l’absurde. †† Personnage foncièrement bon mais assigné en marge, Andrei est de ceux qui, dès la naissance, se trouvent coincés dans une réalité cosmique qui n’est pas la leur. Volokhov nous fait envisager au travers de ses tiraillement internes, le tchikatilisme, ultime degré de déchéance humaine inhérent à une Russie blessée par des années de socialisme utopique. L’auteur le définit comme, le théâtre de Kairos par essence, entre supplice divin et catharsis terrestre; la mise en exergue d’un mal intérieur universel via les travers d’un personnage en marge. †† « Apprendre à baisser la tête, devant le magma pastel » (Diapsiquir, 180°, Necrocosm).
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bibliographie. † Mes recherches ont reposées sur: Des documentaires youtube sur Andreï Tchikatilo: https://www.youtube.com/watch?v=Wz9nrrbt644&t=160s https://www.youtube.com/watch?v=cC7dqZjpCbU https://www.youtube.com/watch?v=n8jS0ndIg1w&t=517s † Des écrits sur Le Calvaire de Tchikatilo présent sur le site de l’auteur : http://volokhov.ru brousilovsky nikita strouve cirill razlogov Merci infiniment à Mikhail Volokhov d’avoir accepté de répondre à mes questions pour aiguiller mes écrits. †