Anne-Sophie Marchal 2ème année / 1er semestre
Bibliographie critique Anne Bossé
Bibliographie critique Analyse comparative
L’écriture de la ville L’impact des objets urbains sur notre quotidien
• Espaces et société, Les langages de la rue, édité par L’Harmattan, 1997. • Académie Nationale des Arts de la Rue, Le livre blanc des arts de la rue, édité par le Centre de recherche d’Urbanisme,1979. • Patrick Gaboriau, La civilisation du trottoir, édité par Austral, 1995.
Le mobilier urbain est l’ensemble des objets et dispositifs mis en place pour répondre aux besoins des usagers et faciliter leurs déplacements. Il est la « concrétisation physique » de lois votées par les pouvoirs publics en matière de politique d’aménagement de la ville. Il existe d’ailleurs une véritable compétition entre les municipalités pour offrir aux habitants un cadre de vie plus harmonieux et plus fonctionnel. L’aménagement d’une ville est une sorte de vitrine de cette dernière puisqu’il est le reflet de son dynamisme et de son identité. C’est un réel enjeu politique et économique qui fait d’une ville un lieu touristique, si elle est agréable à vivre ou à visiter. L’histoire du mobilier urbain est assez récente puisqu’il se développe surtout au XIXe siècle sous le nom « d’équipement léger de la voirie ». Il est codifié et harmonisé par Haussmann, lors des grands travaux de réaménagement de Paris. La notion de « mobilier urbain » n’émerge que dans les années 60 aux USA en réaction à l’accumulation hétéroclite des objets urbains. On voit alors apparaître une réglementation et une nouvelle façon d’aborder le projet global d’aménagement, puisqu’il est désormais pensé et validé par deux acteurs à la fois, les aménageurs et les élus. Les décisions prises sont alors reprécisées dans une charte et dans un cahier des charges, qui définit les orientations générales du projet et les caractéristiques et l’implantation du mobilier urbain utilisé. Ce cahier des charges contient aussi tous les plans établis par les aménageurs qui retranscrivent le statut et l’ambiance de l’espace étudié, afin de répondre aux mieux à ses besoins d’aménagement. La difficulté à aménager un espace public est qu’il n’y a pas réellement de règles à suivre. Le meilleur moyen reste de l’étudier minutieusement en prenant le temps de l’observer, en y retournant plusieurs fois et pourquoi pas en demandant directement aux usagers quels seraient, d’après eux, les changements réellement utiles à entreprendre. Après avoir lu les trois livres qui abordaient la notion de mobilier urbain de manières différentes, j’ai porté ma réflexion sur l’impact de l’aménagement urbain sur nos vies quotidiennes. L’aménagement urbain est une notion assez large qui englobe, entre autre, la mise en place d’une « écriture urbaine », celle du mobilier urbain. J’ai renommé ce dernier de cette façon car je me suis aperçue qu’il était un réel langage à décrypter par les usagers de l’espace public afin de parcourir la ville sans encombre. Je rejoins alors Florence Pizzorni qui souligne que chaque objet est un mot, chaque séquence de rue est une phrase. Je me suis alors demandée de quelle manière les usagers appréhendaient ces objets urbains, comment réussissaient-ils à le lire pour les comprendre. Pour cela, je me suis, dans un premier temps, penchée sur les fonctions même du mobilier urbain. Je me suis ensuite intéressée aux conséquences de son intégration dans la ville. Enfin, j’ai cherché à établir les conséquences qu’il a sur nos déplacements et notre perception de la ville au quotidien.
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Les fonctions du mobilier urbain Le mobilier urbain lie étroitement deux fonctions principales qui sont celle de rendre nos déplacements plus agréables et confortables, et celle de les sécuriser. Rendre nos déplacements plus agréables
Chaque objet urbain répond à un besoin précis suite à des problèmes qui ont été révélés après des incidents ou une demande particulière des usagers. Ils autorisent ou interdisent la plus part de nos actions quand nous marchons dans la rue ou dans des espaces publics, c’est pourquoi on leur assigne souvent une place si importante dans la ville. La puissance du choix du type d’objet urbain choisi et de son emplacement réside dans le fait que ces objets doivent pouvoir se faire oublier tout en gérant les flux et les déplacements de chacun. Pendant l’étude d’un projet d’aménagement d’espace public, les professionnels concernés doivent prendre en compte plusieurs notions et les croiser entre elles. Le repos des passants, la propreté, la sécurité, l’accessibilité, l’information, l’aspect esthétique… sont autant de problématiques à considérer. Les dispositifs d’information et de communication sont primordiaux dans un espace puisqu’ils vont permettre aux individus d’être en contact avec la ville en s’y situant, par exemple, ou en prenant connaissance des services et activités qu’elle propose (les différents salons organisés, les horaires d’une piscine…). Ces objets urbains sont de l’ordre du « pratique » tout comme les cabines téléphoniques, les parcs à vélo, les abris bus, les stations de tramway, les boîtes aux lettres… D’autre part, on peut considérer que l’ensemble des panneaux liés au code de la route, qu’ils soient destinés aux piétons ou aux voitures, fait aussi parti du mobilier urbain. Les objets urbains sont souvent utilisés pour reprendre la fonction du panneau, mais de manière moins « violente ». En effet, dans certaines villes, on observe une mauvaise coordination de la gestion des panneaux au fil des années, les multipliant sur une même portion de rue. Ce phénomène risque de perdre l’automobiliste qui doit pouvoir lire toutes ces informations en même temps, et risque d’agresser visuellement le passant. A l’échelle du piéton, le mobilier urbain a de toute façon plus de sens étant donné la taille des panneaux utilisés, ces derniers ayant été conçus pour être vus de loin. En effet, Jacques Mullender dans Le livre blanc des arts de la rue nous dit qu’il y a un réel besoin de signalétique qui indique de loin les chemins ouverts à la circulation et les directions essentielles qu’il faut suivre. La signalisation urbaine est donc au cœur des débats quand il s’agit d’aménager un espace, et il y a régulièrement des refontes de la signalisation pour assurer une meilleure perception de celle-ci et procéder à une rationalisation du choix des mentions, comme le souligne l’ingénieur J-F Michel dans le Livre Blanc des arts de la rue. D’autre part, les piétons aspirent à se déplacer dans des espaces propres visuellement et olfactivement parlant, car moins il y a de perturbations pour les sens dans la rue, plus le trajet est agréable. Les poubelles et les conteneurs sont donc là pour tenir la ville propre, tous 2
comme les cendriers, les distributeurs de sacs plastiques pour les chiens etc. Il va de soi que sans le service de nettoyage de la mairie, nos villes ne sembleraient pas aussi propres. De même pour l’habitant, la rue, qui constitue une prolongation de la maison, ne doit pas être envahie par le bruit, souligne Jacques Mullender. Cependant, le mobilier urbain ne se suffit pas à lui-même et il faut des lois, des règles et des personnes pour assurer la bonne gestion de notre quotidien et faire que nos déplacements soient tout aussi agréables. Sécuriser nos déplacements Le mobilier urbain joue un rôle fondamental dans la gestion de la sécurité des usagers de l’espace public, que ce soient les piétons, les automobilistes, les cyclistes… L’ensemble des dispositifs de signalisation comme les panneaux ou le traitement au sol est le principal atout du mobilier urbain pour gérer cette sécurité. Dans La civilisation du trottoir, Patrick Gaboriau parle de l’impact que le trottoir a sur notre sécurité puisqu’il a lui-même son propre langage. Le trottoir est l’élément dans la ville que nous utilisons le plus quotidiennement c’est pourquoi nous ne faisons plus attention aux différents revêtements utilisés pour garantir notre sécurité : les aménageurs décident de placer des plaques en métal qui peuvent être anti-dérapantes ou qui indiquent un dénivelé, la fin d’un trottoir ou l’annonce d’un passage clouté pour les nonvoyant par exemple. Le trottoir dévoile aussi un ensemble de signes graphiques qui sont souvent des codes techniques, des dates, des distances… Le mobilier urbain du trottoir est aussi une forme de langage que les piétons, cette fois, comprennent instantanément étant donné qu’il a été installé dans le but de « simplifier » leur trajet. C’est donc un langage qui leur est entièrement destiné. D’autre part, Patrick Gaboriau pense que le trottoir est un intermédiaire entre les mondes intime et collectif puisqu’il est le passage entre les bâtiments et la rue. Il nous parait évident de marcher sur un trottoir en sortant de chez nous mais pourtant, il est une réelle sécurité pour les piétons car grâce à lui, nous n’avons pas à nous inquiéter du passage des voitures ou des deux roues. De plus, souvent légèrement en hauteur, il est vraiment un élément de sécurité essentiel dans la ville d’aujourd’hui. Le mobilier urbain est aussi un élément important à prendre en compte pour les personnes à mobilité réduite, que ce soient les handicapés, les personnes âgées, les femmes enceintes, les enfants en bas âge, pour qu’ils puissent se déplacer sans dérangement. De nouvelles lois sont votées chaque année pour que la ville leur soit toujours plus accessible mais un bon nombre de solutions à déjà été trouvées : bateaux anti glissants, « refuges » au milieu des larges avenues, une signalisation indiquant la priorité aux piétons etc. La notion de « mobilier urbain » renvoie souvent à des objets fixes, ce qu’il est la plus part du temps mais parfois, pour cause de travaux ou pour cause d’évènements comme une foire ou une manifestation, une autre nature de mobilier urbain vient épauler le premier : celui qui est temporaire et 3
mobile comme des barrières de sécurité encadrant un tronçon de rue ou une bouche dégout. Ce dernier exemple est un que nous vivons assez souvent et c’est un des plus dangereux. La sécurité passe aussi par les équipements d’éclairage public, qui incarnent aussi l’atmosphère vivante qu’une ville peut offrir par rapport à certaines petites villes ou villages de campagne. M.Tafforeau, qui travaillait à la direction générale des collectivités locales souligne d’ailleurs dans Le livre Blanc des Arts de la rue que l’éclairage public c’est l’ambiance de la lumière, c’est la prolongation de la vie et de l’activité en ville…. Mais l’éclairage public est avant tout un élément fondamental de confort pour le citadin, qu’il soit piéton ou automobiliste, pour que chacun puisse appréhender l’autre dans la rue quand il fait nuit. •
Quand le mobilier urbain s’intègre dans la ville : perception cohérente de la ville
Entre fonctionnalité et esthétisme Chaque année, designers et plasticiens cherchent de nouveaux profils pour nos objets, comme s’ils sortaient une collection d’habits ou de mobilier, sans forcément remettre en cause l’utilité même de l’objet. Nous pouvons cependant nous demander si la totalité de ces objets a encore un sens puisque, comme dit précédemment, chaque objet répond à une problématique précise et la société évoluant, les besoins des usagers de l’espace public ont sûrement aux aussi évolués. En effet, nous n’investissons pas la ville de la même manière selon la génération à laquelle on appartient, selon l’environnement dans lequel on a grandi... D’autre part de nos jours, aménager des espaces publics ne peut se faire sans prendre en compte les contraintes environnementales qu’un aménagement induit. Il existe un désir de plus en plus poussé de la part des citoyens en ce qui concerne l’éco-conception, qui consiste à prendre en compte le cycle de la vie d’un produit depuis l’extraction des matières premières jusqu’à sa fin de vie, de manière à rationaliser l’aménagement en choisissant scrupuleusement la nature d’un objet urbain, que ce soit par sa forme, ce qu’elle induit et par ses matériaux. L’ergonomie d’un objet entre donc en jeu et doit participer du même coup à son intégration. Certains systèmes intelligents ont été trouvés pour limiter les dégâts sur l’environnement comme le système bi puissance, encore trop peu exploité, qui permet un éclairage différencié selon les heures de la nuit. Installer du mobilier urbain coûte cher à la municipalité, c’est pourquoi le coût global d’un objet urbain est un important facteur de choix. En effet, à son coût d’achat s’ajoute son installation, son entretien et l’entretien des réseaux d’exploitation, comme l’électricité et l’eau qu’il peut demander dans certains cas. Le choix du mobilier utilisé se concentre donc sur sa facilité d’entretien et sa résistance au climat, à la fréquence de passage et d’utilisation du mobilier.
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A ces contraintes budgétaires s’ajoutent un besoin d’esthétisme qui s’illustre par une homogénéité des formes, des couleurs et des matériaux du mobilier. Ceci peut se faire soit par similitude entre les différents objets, que ce soient au niveau des matériaux, des procédés de mise en forme ou de la structure, soit par contraste pour l’opposé à l’architecture existante et ainsi mettre en avant les qualités de chaque élément de la ville. Quel que soit le choix de ces objets urbains, l’aménagement de la ville, d’une rue piétonne, d’une place doit permettre aux usagers d’avoir une perception cohérente de cette première. Dans Le livre blanc des arts de la rue, le plasticien Esther Gorbato souligne d’ailleurs que lorsqu’on décide d’intervenir sur une parcelle de rue ou d’espace public, on agit sur l’ensemble de ces derniers pour garder une vision globale. Parallèlement dans le même livre, Jean Balladur précise qu’il faut éviter la création d’un mobilier urbain stéréotypé, qui pourrait effacer l’identité d’un espace public et ainsi nuire à l’ambiance qu’il dégage, comme nous le verrons un peu plus loin. La pertinence de l’emplacement Les zones piétonnes se sont développées à partir des années 70 en France pour réhabiliter les vieux centres qui n’étaient pas bien vus à l’époque. En effet, ils n’étaient pas assez entretenus et regorgeaient d’immeubles insalubres, poussant les habitants à partir vivre plus en périphérie pour gagner en confort. La deuxième cause qui a poussé à la création de ces zones est de sécuriser les déplacements du piéton part rapport aux voitures, car ce n’est qu’à cette époque que les autorités et les aménageurs de l’espace public ont prie conscience que la voiture prenait une place considérable dans les rues, suite à son développement d’après guerre. Des rues et ruelles entières ont donc été condamnées à la circulation régulière de véhicules afin de rendre les déplacements du piéton aussi sécurisés qu’agréables. Le traitement au sol de ces zones piétonnes ainsi que l’implantation d’un mobilier urbain adapté aux nouveaux besoins des piétons ont donc faits l’objet de recherche. Le travail le plus difficile a été d’aménager ces zones sans détruire l’identité d’un quartier ou d’une rue, comme propose R.M Antony dans le Livre Blanc des arts de la rue, le trottoir doit être revêtu de préférence d’un matériau de provenance locale en harmonie avec les caractéristiques régionales. Un autre co-auteur de ce livre, Jean Balladur, souligne lui aussi que la rue, bien qu’elle ait un rôle fonctionnel à garder, doit être l’objet d’une analyse minutieuse des aménageurs pour ne pas lui enlever sa personnalité. Il est d’ailleurs un peu inquiet de voir que les professionnels tendent à homogénéiser l’espace et ainsi détruire petit à petit son caractère spécifique. Il souhaite qu’on arrête de tout vouloir conformer et qu’on revienne à individualiser chaque ville, à l’aménager sans la dénaturer, en respectant son passé, ses coutumes, son atmosphère. Les matériaux utilisés doivent donc avoir sens, êtres justifiés par rapport à l’emplacement de l’objet urbain mais aussi par rapport à la fonction qu’il incarne. Dans cette logique d’implantation réfléchie, il faut aussi prendre compte le dimensionnement, le traitement plastique et le traitement de la surface lié à la résistance dans le temps de l’objet pour choisir l’objet le plus adapté à son environnement. Par exemple, pour ce qui 5
ait de la signalétique destinée aux automobilistes aux abords de la zone piétonne, les panneaux doivent être de taille optimale pour être vus de le loin sans entraver la vue des piétons. De même, certains objets joueront sur la couleur ou la forme pour être vus de loin par les piétons ou au contraire se feront plus discrets et esthétiques pour lui donner envie qu’il s’assoie, investisse une place, une fontaine… Comme souligné au début, le meilleur moyen pour aménager une zone piétonne, tout comme n’importe quel espace public, reste pour les aménageurs de « vivre cette zone piétonne » pour comprendre ses flux et ses besoins réels en mobilier urbain pour le confort de ses usagers. Dans tous les cas, la plus part des auteurs des trois livres se rejoignent sur l’idée que la rue et l’espace public en général doit garder une forme de désordre dynamique, une sorte de « désordre ordonné » qui leur donne de la vie et du rythme. A la difficulté de ne pas nuire à l’identité d’un environnement urbain s’ajoute celle d’éviter les redondances d’objets urbains qui pourraient gêner les piétons physiquement ou visuellement parlant. On peut alors imaginer plusieurs solutions comme utiliser un objet remplissant deux fonctions différentes en implantant, par exemple, un banc ou une jardinière à un emplacement interdit au stationnement de véhicule. La redondance évite ainsi le fouillis, le chaos urbain et permet une meilleure lisibilité de chaque élément. Cette recherche d’économie de matière doit être soutenue par une étude pointue des relations existantes entre les objets urbains dans l’espace public car, même si chaque objet à une fonction à assurer, il ne prendra tout son sens que dans sa mise en relation avec les objets qui l’entoure, afin de créer un environnement cohérent, harmonieux et unifié. D’autre part, il semble important de remettre en cause à échelle régulière ces espaces aménagés pour voir s’il ont toujours du sens, s’ils sont toujours aussi cohérent et si l’emplacement de chaque objet urbain est encore vraiment pertinent, car parfois les habitants même se posent la question…Les aménageurs ont donc un rôle important à jouer sur la lecture de la ville puisqu’ils sont eux-mêmes auteurs de ce langage urbain. •
L’impact de cet aménagement sur nos vies
L’impact sur nos mouvements et nos déplacements Nos déplacements sont donc régis par l’ensemble des objets urbains installés dans la ville, influant nos choix au quotidien sur les parcours que nous faisons. Ces choix sont généralement inconscients, une rue mal éclairée peut nous induire à en emprunter une autre par exemple, ou un revêtement de sol peut nous paraitre plus agréable sur un trottoir qu’un autre etc. Nous sommes parfois contraints de nous décaler de notre trajectoire, de contourner un objet s’il vient à nous gêner, comme une barrière de sécurité temporaire ou un objet de taille trop imposante.
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L’écriture de la ville est un langage que l’on apprend depuis le plus jeune âge. Dans Le livre blanc des arts de la rue, Jean Pelletier remet en cause l’éducation nationale et son système d’enseignement dépassé en proposant de faire découvrir aux enfants la ville sous toutes ses formes, pour qu’ils puissent, assez jeunes, comprendre certains enjeux pouvoir agir quand ils seront adultes. Il faut les initier aux multiples contraintes de l’aménagement de l’espace en les emmenant directement dans la rue pour qu’ils vivent un maximum de situations urbaines, et qu’ils soient ouvert à la ville comme aux espaces plus naturels. L’écriture de la ville est un langage qui nous ait devenu tellement évident que nous n’y prêtons plus guère attention que quand les objets urbains sont placés de manière éphémère ou quand ils présentent une particularité de forme, de matière ou de couleur qui nous intrigue. C’est ce que Moles, dans Le livre blanc des arts de la rue appelle des microévènements à l’échelle de l’objet.. De plus, les objets urbains sont tellement nombreux et présents dans l’espace urbain que le passant s’est habitué à ne plus réellement les considérer. Ils peuvent tout de même nous surprendre quand, au détour d’une rue, on découvre une petite place ou un petit espace permettant de nous assoir sur des bancs et ainsi nous reposer. Ici encore, le trottoir joue un rôle primordial dans le choix de nos déplacements puisqu’il délimite des pâtés de maison et des îlots suivant minutieusement la courbe des bâtiments, dessinant ainsi un véritable labyrinthe urbain. De cette manière, il participe à donner un rythme à la ville et à nos déplacements. Nous changeons ainsi de trottoir, passant d’un quartier à un autre en se laissant porter par celui-ci, empruntant ponctuellement des passages piéton, qui ne sont finalement que la continuité du trottoir sur la chaussée. Ils ont été imaginés pour notre sécurité et pour réguler les flux entre automobilistes et piétons. Les feux tricolores et les feux de passage pour piéton sont donc des objets urbains qui ont été créé pour réguler ces flux, et le marquage au sol, ces fameux « clous », sont là pour guider le piéton, qui une fois encore ne les emprunte que par habitude et non en y pensant vraiment. D’une manière plus « poétique », certains projets de réaménagements urbains tendent à vouloir nous redonner le temps de vivre, nous réapprendre à profiter d’un moment ou d’un espace. C’est ce que nous dit Roger Klaine, directeur du développement à l’Institut européen d’écologie, dans Le livre blanc des arts de la rue. Un peu plus loin, il précise que le paysage de l’homme marchant doit être à sa mesure et à sa portée. Le mobilier urbain a un grand rôle à jouer dans ce cas car il doit réellement donner envie aux passants de s’y approcher, de l’utiliser pour se reposer, se détendre. Par exemple, il existe une petite place à Metz sur laquelle on trouve un cadran solaire avec une phrase écrite : « Passant, prends ton temps, sinon c’est lui qui te prendra. » Je trouve cet exemple particulièrement poétique bien que chaque espace public a son identité et donc « ses petites astuces » pour surprendre et captiver le passant. La végétation est un élément clé pour tenter le passant de faire une pause, d’où l’installation de jardinières, de fontaines…Pourtant, même dans ce cas on trouvera sûrement des arceaux autour des arbres ou autour d’une 7
pelouse, qui continuent à nous influer quand à nos mouvement selon ce qu’ils nous autorisent ou interdisent de faire. Pour revenir sur une idée développée à un plus haut, les panneaux du genre « Interdit de marcher sur la pelouse » ou les gardiens épiant les passants sont généralement bien moins vus qu’une simple suite de petits arceaux métalliques, qui aura pourtant le même effet, mais de manière moins « violente ». Allier moments de détente et respect des interdits est donc possible et l’utilisation de mobilier urbain, aussi discret soit-il, semble être une des meilleures solutions. La création de lien social L’aménagement urbain peut être aussi source de création de lien social étant donné, par exemple, l’orientation de certains objets les uns par rapport aux autres, étant donné l’originalité de certains d’entre eux etc. Cette idée se lie naturellement à son inverse qui est le fait que l’espace public est aussi l’espace de l’anonymat par excellence. Ainsi, nous n’avons pas d’obligation à entrer en contact avec les autres passants, rendant ce contact encore plus fascinant et surprenant quand il se produit. L’espace public comme créateur de lien social est aussi une notion qui se heurte au discours des architectes fonctionnalistes et hygiénistes, que dénonce Patrick Simon dans Les langages de la rue, pour ne considérer la rue et ses espaces que comme un moyen de réguler des flux, sans permettre aux usagers de s’approprier ces espaces. Dans Le livre blanc des arts de la rue, Moles souligne lui aussi que les générations d’avant ont très souvent privilégier la fonctionnalité et la praticité de la rue au lieu de se pencher sur sa fonction d’existence et de station afin de profiter un peu plus de ce que la rue peut nous offrir. Dans Les langages de la rue Jean-Jacques Delfour, professeur de philosophie, affirme que la rue est un lieu social dans lequel l’espace de la société se sent de plus en plus à l’étroit alors que jadis elle était un lieu spécifique de socialité. La création de lien social est tout de même, pour certains aménageurs ou certaines villes, une intention assez présente. Ainsi, ces premiers cherchent à ne pas penser les fonctions de la ville de manière séparée et de faire disparaître la notion « d’objets urbain » au profit de la création d’espaces et d’ambiances, où les vides de la ville ne sont plus considérés seulement comme des lieux fonctionnels mais plutôt comme des lieux de sociabilité. L’espace urbain analysé et conçu dans son ensemble est une notion assez récente qui pourrait se définir comme une envie de « reconquête de l’espace public ». L’Homme et ses aspirations sont donc remis au centre du débat, comme le souligne Patrick Simon dans Les langages de la rue, en prenant le quartier de Belleville comme exemple, pour montrer le rôle de lieu d’échange et de rencontre que peut avoir un espace urbain. Dans ce quartier cosmopolite de Paris, il y a eut un réel partage de l’espace public via un processus inconscient. En effet, de nombreux signes matériels et immatériels viennent délimiter des espaces dans la rue, comme si chaque espace appartenait plus ou moins à une personne, une famille, un groupe, représentant leur nationalité d’origine. Ce processus s’est développé grâce à la diversité des enseignes de commerces dans des langues étrangères et à la 8
diversité de la nature même des commerces, par ce qu’il s’y vend, par les clients, par le fait que des personnes se retrouvent à discuter dans la rue dans leur propre langue, qui est une réelle appropriation sonore de l’espace public. La rue et son mobilier urbain a une place importante à Belleville et semble mieux qu’ailleurs prendre tout son sens. Les trottoirs ont, par exemple, étaient prévus assez larges pour que les commerçants puissent ouvrir leur boutiques sur la rue tout en discutant avec les clients, sans gêner le passage. Des groupes d’amis se rencontrent et discutent, s’assoient sur les bancs mis à disposition, comme si tout avait été pensé pour favoriser des rapports conviviaux. Les habitants de ce quartier, quelque soit leur origine, se sont donc appropriés l’espace public bellevillois en partie grâce au fait que l’aménagement de ce dernier le permettait, grâce à l’implantation d’un mobilier urbain adapté et cohérent. Patrick Simon souligne du même coup que la rue peut être un véritable lieu d’expression dans le sens qu’elle est une sorte d’échantillon de la vie urbaine, une théâtralisation des rapports sociaux. Il est rejoint par Florence Pizzorni qui avance que la rue est une espèce de cadre de la mise en scène de la vie quotidienne, puisqu’elle est le lieu où nous passons finalement le plus de temps. De même, Moles pense que la rue un caractère de théâtre permanent où se déroulent quotidiennement des micro-évènements, qui sont des petits évènements qui surviennent dans la sphère personnelle de l’être, une sorte de déviation de l’attendu. Ceux-ci participent activement à la création de lien social car ils tendent à rapprocher les passants attirés par un même hasard, une même situation. Patrick Gaboriau dans La civilisation du trottoir soutient lui aussi cette idée et va encore plus loin en affirmant que ces micros-évènements nous marquent parfois à vie, faisant que nous sommes tous plus ou moins attachés à un quartier, à une rue ou un immeuble. De plus, nous traversons quotidiennement des espaces qui peuvent nous faire penser à des endroits que nous avons déjà vus ou vécus, soulignant une fois de plus que le trottoir, et à échelle plus large l’espace public, constitue une expérience collective.
Le mobilier urbain est donc une notion qui dévoile une multitude de facettes quand on l’étudie un minium. J’ai trouvé cette expérience d’étude vraiment intéressante car elle m’a permis de me rendre compte à quel point les objets urbains nous étaient si familiers, nous sécurisant et nous guidant au quotidien, tout en restant aussi discrets. D’autre part, les trois livres que j’ai lu m’ont éclairé quant au fait que, à sa mission principale d’être fonctionnel, un objet urbain, en contact avec d’autres, est aussi créateur d’espaces et d’ambiances, nous permettant de « vivre l’espace public » et de « vivre la rue » d’une manière parfois vraiment agréable. De plus, que l’on marche en étant dans ses pensées ou que l’on soit porté par l’envie de parler à d’autres passants, Patrick Simon nous indique que l’espace public devient un réel lieu de médiation entre les différents participants à la vie sociale locale et entre les usagers de l’espace public que nous sommes tous…
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