Mémoire de Master - 2017

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Des Jumeaux qui s’ignorent D E ST I N S ( D É ) C RO I S É S D U M U S É E D ’A RT M O D E R N E E T D U PA L A I S D E TO K YO

Antoine Contour



Mémoire de Master Réalisé dans le séminaire Architecture et Urbanisme du Tourisme et des Loisirs Sous la direction de Virginie Picon-Lefebvre et de Michèle Lambert-Bresson ENSA Paris-Belleville Février 2017


Sommaire

Sommaire

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• Introduction

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• Chronologie

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• Partie I. Entre composition urbaine classique et scénographie moderne 14

A. Le contexte historique 15 1. Situation artistique 2. La querelle des anciens et des modernes 3. L’Exposition Universelle des Arts et Techniques dans la Vie Moderne de 1973 4. Ensemble urbain sur la colline de Chaillot - B. Une composition urbaine 21 1. L'implantation dans le site 2. Un temple à Paris C. Monumentalité classique et flexibilité moderne

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• Partie II. Les «Friches Culturelles»

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1. Structure et spatialité 2. Muséographie nouvelle (Hautecoeur).

A. Le contexte de l'émergence des Friches Culturelles 35

1. La désindustrialisation 2. Post-modernité et Modernité critique

B. La spécificité de ces formes d’occupation

1. La dimension collective et sociale 2. L’ancrage territorial

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C. Esthétiques

56 1. Esthétique de la monumentalité, de la grandeur 2. Esthétique de la ruine et du déjà-là 3. Esthétique du Ré-emploi

• Partie III. Un Palais pour deux Musées

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A Programmes artistiques 68 1. Le Musée d’Art Moderne de la Ville de Paris 2. Le Centre de la Jeune Création puis le Centre de Création Contemporaine

B. Architectures

1. Extérieur : Le Village et le Temple Grec. 2. Intérieur : Palais-Friche et Palais des Arts

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C. Œuvres et expositions 94 1. Conventionnel / Iconoclaste : Comparaison de deux expositions 2. "L'esthétique relationnelle" comme paradigme artistique à l’œuvre au Palais de Tokyo

• Conclusion

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• Références Bibliographiques

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• Remerciements

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Sommaire


Introduction

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Le Palais de Tokyo est le nom donné au double musée construit le long du quai du même nom1 pour l’Exposition Universelle de 1937 à Paris2, inauguré le 24 Mai de cette même année. Initialement, dénommé Palais des Musées d'Art Moderne, les parisiens lui ont rapidement préféré le nom, plus exotique et moins explicite de Palais de Tokyo. Aujourd’hui, seule l’aile Ouest est désignée comme Palais de Tokyo, et elle abrite un centre national d’art contemporain depuis 2002. L’aile Est, quant à elle, abrite le Musée d’Art Moderne de la Ville de Paris, un musée municipal regroupant les collections d’art moderne appartenant à la ville depuis 1961. Dans la première partie, nous désignerons le Palais de Tokyo comme l’ensemble des deux musées, le bâtiment entier, et dans les parties suivantes, le Palais de Tokyo sera confondu avec le Centre de Création Contemporaine (celui-ci se définissant avant tout sous cette première appellation moins explicite). Ces deux institutions dédiées à des expositions artistiques s’organisent en miroir, l’une en face de l’autre, séparées par un vaste parvis minéral, et rattachées entre elles par une colonnade le long de l’avenue du Président Wilson. Depuis l’extérieur, on perçoit un seul et même bâtiment, certes divisé en deux, en pierre beige et à l’écriture classique. De grandes affiches le long des portes témoignent de la destination muséale de ce bâtiment. Cependant, presque aucune indication à l’extérieur ne permet de savoir que, pénétrer par l’une ou par l’autre porte permettra de vivre deux expériences artistiques diamétralement différentes dans des atmosphères à l’opposée l’une de l’autre. Ces deux institutions sont comme deux jumeaux qui auraient grandis séparément, au sens où ils sont nés d’un même événement (l’exposition universelle de 1937), ont le même aspect extérieur, le même visage, mais leur caractère, leur intérieur est lui, complètement changé, résultant 8 décennies de quasi indifférence.

1 Depuis 1945, le quai de Tokyo est appelé avenue de New-York 2 L'Exposition Internationale des Arts et Techniques de la Vie Moderne s'est tenue à Paris du 25 mai au 25 novembre 1937


Alors que l’aile Est est restée globalement la même depuis les années 70, abritant un seul et même musée d'Art Moderne, l’aile Ouest a subi de multiples transformations et réaffectations durant ses 80 ans d’existence, où près d’une dizaine de projets artistiques s’y sont installés, notamment les collections nationales d'art moderne (aujourd'hui au Centre Pompidou). Excepté ce dernier, il s’agissait souvent de projets temporaires, expérimentaux, en manque de lieux et de moyens et qui ont trouvé dans l’aile Occidentale des espaces d’expression originaux. Jusqu’à l’état actuel, un seul projet d’envergure a été décidé, celui du Palais du Cinéma, mais il a été abandonné au milieu des années 90. Le projet actuel, initialement temporaire lui-aussi, semble avoir réussi là où les autres ont échoué, en trouvant à la fois un public et des fonds nécessaires à sa pérennité. On peut dire que le Palais des Musées d'Art Moderne a emprunté deux trajectoires totalement différentes, l’une plutôt linéaire et l’autre nettement plus tergiversante. Les recherches précédentes qui ont été réalisées sur ces deux institutions l’ont souvent été de manière séparée, se portant soit sur le Musée d’Art Moderne, soit sur le Centre de Création Contemporaine, soit encore sur le bâtiment historique (les deux ailes), négligeant son aspect actuel, et sa dichotomie inhérente aujourd’hui. Pour le Musée d’Art Moderne, il existe une vaste bibliographie concernant les expositions et l’histoire de l’institution mais le rapport entre son architecture est les œuvres qu’elle abrite est moins fourni, notamment pour ce qui est des orientations actuelles du musée, qui cherche à retrouver la spatialité et la scénographie initiale (1937). 3 Pour le Centre de Création Contemporaine, les publications, les photos, les critiques, les interviews, sont abondantes et souvent élogieuses, qu’elles portent sur les différentes expositions ou sur le travail architectural de Lacaton & Vassal. Cependant, le rapport entre la spatialité donnée et la création effective est moins développé. Le Palais de Tokyo est soit vu comme un projet artistique, soit vu comme un projet architectural, plus rarement comme une synergie entre les deux.

3 D'après Dominique Gagneux, conservateur en chef du patrimoine au Musée d'Art Moderne de la Ville de Paris, interrogée en décembre 2017

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La problématique est la suivante : comment le Musée d’Art et Moderne et le Centre de Création Contemporaine, deux institutions artistiques radicalement différentes adaptent-elles ou interprètent-elles, le même bâtiment à leurs exigences et à leurs besoins respectifs ? 8

La recherche tente ainsi de comprendre les raisons de ces différentes formes d’occupation de l’espace, qu’elles soient artistiques, économiques, scénographiques, architecturales,… De manière générale, elle se concentrera d’avantage sur l’originalité de cette structure artistique qu’est le Palais de Tokyo (Centre de Création Contemporaine) en la comparant à une forme d’institution plus connue : le musée d’art, ici le Musée d’Art Moderne. La comparaison permettra de faire ressortir les caractères spécifiques de cette nouvelle forme d’institution artistique, inspirée du Centre d'Art qui, autant axée sur la production que sur l’exposition de l’art, tente de suivre les formes artistiques actuelles (contemporaines). L’originalité, si l'on peut dire, de la recherche réside, d’abord dans la confrontation entre le Centre de Création Contemporaine et son modèle : la friche industrielle, puis ensuite dans une comparaison systématique de thèmes communs aux deux institutions artistiques se faisant face Nous verrons que ces deux institutions semblent relever chacune de paradigmes artistiques différents. L’une est assez "traditionnelle" 4: inscrite dans une continuité, où l’on n’est pas surpris par la mise en place de l’espace et des expositions et l’autre l'est nettement moins, car basée sur d’autres modèles, elle tente de former un nouveau type de programme inspiré par d’autres types d’institutions artistiques ou d'autres phénomènes contemporains. Elle cherche en effet une voie propre en puisant ses références programmatiques et de fonctionnement ailleurs. De manière générale, le fonctionnement, le programme, la communication, et l’identité de ces deux institutions essayent de coller le plus possible à l’art et à leurs modalités respectives qu’elles abritent. Ainsi, la différence majeure se joue ici puisque le Palais de Tokyo est un lieu de création (et d’exposition), conformément aux exigences actuelles de l'art, alors que le Musée d’Art Moderne est très majoritairement un lieu d’exposition.

4 Le Larousse donne la définition suivante, Tradition : Manière d'agir ou de penser transmise depuis des générations à l'intérieur d'un groupe.


La recherche s’organise de la manière suivante : Une première partie est consacrée à l’histoire du Palais de Tokyo (les deux musées historiques), à son architecture originale, éminemment représentative d’une époque, ainsi qu’au paradigme scénographique moderne encore à l’œuvre dans l’aile Est. Une seconde partie est dédiée aux « friches culturelles », en prenant pour hypothèse qu’elles constituent un modèle (conscient ou inconscient) pour le Centre de Création Contemporain. Ces friches culturelles sont d’anciennes friches industrielles transformées en lieu de culture, en lieu d’expression artistique, mais aussi en lieu de sociabilité, de partage et de convivialité. Enfin, la dernière partie traite de la comparaison entre les deux institutions, thème par thème (programme, architecture, œuvres et expositions, paradigmes,...). Elle confronte les informations relevées dans les deux parties précédentes.

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Chronologie

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Palais des MusĂŠes d'Art Moderne


Chronologie

Début du projet d'Exposition Universelle

1934

Lancement du concours d'architecture pour deux musées d'art moderne en septembre. L'équipe de J-C Dondel, A. Aubert, P. Viard et M. Dastugue est déclarée lauréate en décembre

1935

Pose de la première pierre le 5 Juillet par le président Albert Lebrun

1937

Inauguration du Palais des Musées d'Arts Modernes le 24 Mai pour l'exposition : "Les chefs d’Oeuvre de l'Art Français"

1938

Transfert des collections du Musée du Luxembourg et du Jeu de Paume au Palais de Tokyo

1940

Le Palais est mis à disposition des artistes pour l'organisation de salons

1945

Autonomisation effective des deux ailes

Musée d'Art Moderne de la Ville de Paris (aile Est)

Musée National d'Art Moderne (aile Ouest)

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Chronologie

1932


1946

Accueil du Salon de Mai et du Salon des réalités nouvelles 1954

Accueil du Salon de la Jeune Peinture 1959

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Biennale de Paris

Chronologie

1961

Inauguration du Musée d'Art Moderne de la Ville de Paris 1966

1969

Accueil de l'ARC (Animation, Recherche et Confrontation)

1969 1971

Premiers travaux de rénovation

1982

1988

2000

Travaux de sécurité, de mise au norme (agence Canal) ,et réorganisation des collections (agence Jean-François Bodin)

Aile Est


1947

Innauguration du Musée National d'Art Moderne

1975

Déménagement des collections d'Art Moderne vers le Centre Pompidou

1976

Musée d'Art et d'Essais Installation du Fond National d'Art Contemporain 1984

1985

Chronologie

1977

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Installation du Centre National de la Photographie

Début du projet du Palais du Cinéma 1986

Installation de l'Institut des Hautes Etudes en Art Plastiques 1988

1990

1991

Installation de la Fondation Européenne des Métiers de l'Image et du Son

1993 1995 1998

Arrêt du Chantier du Palais du Cinéma

1999

Lancement de l'appel à projet pour l'occupation de l'Aile Ouest

1999

Chantier du Centre de la Jeune Création

2002

Première inauguration

2010

Seconde partie du chantier, devenu Centre de Création Contemporaine

2012

Seconde ouverture au public

Aile Ouest


Le Musée d’Art Moderne

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Fig. 1 Vue depuis le parvis


Partie I. Entre composition urbaine classique et scénographie moderne Le Musée d’Art Moderne de la Ville de Paris

Le projet de réaliser, à la fois le pavillon français d’une exposition internationale et un musée d’art moderne dans la ville de la modernité artistique doit être compris par rapport au contexte, à la fois politique, celui tendu de l’entre-deux-guerres, sociétal, celui de l’émergence de la modernité, et artistique, celui de l’institutionnalisation de l’art moderne. D’autre part il cristallise une querelle existante dans le paysage architectural et artistique, entre les modernes et les anciens, à l’heure où les premiers émergent et s'imposent et où les second s'essoufflent mais résistent.

1. La situation artistique à Paris

Depuis la fin du19ème siècle Paris est considéré comme le lieu par excellence de la modernité. Même si d’autres avant-gardes ont lieu ailleurs en Europe (Berlin et Vienne notamment), la capitale française est à la pointe sur le plan artistique et les avant-gardes y pullulent (fauvisme, cubisme, surréalistes, etc…) Celles-ci commencent non seulement à être d’avantage acceptées en tant qu’art, mais également à remplacer l’art « classique » ou académique au sein des institutions. L’art moderne s’institutionnalise. Il revêt aussi un aspect symbolique, puisque les nations, soucieuses de l’image progressiste, qu’elles souhaitent donner au monde, mettent en avant les avant-gardes représentatives de ce progrès, qu’elles déconsidéraient peu de temps avant. Déjà le Musée de Grenoble en 1919, le Museum Folkwang d’Essen en 1927, le musée d’art de Łódź en 1930, puis le musée Kröller-Müller d’Otterlo en 1938, avaient été parmi les premiers musées en Europe à consacrer une section de leurs collections à l’avant-garde de l’art moderne, alors qualifiée d’ « art indépendant » en France ; tandis qu’à New York était créé en 1929 le MoMA, spécialement dédié à cette période.

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Le Musée d’Art Moderne

A. Le contexte historique


Le Musée d’Art Moderne

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Ainsi, au même moment, à la fois l’Etat Français, et la Ville de Paris changent leur politique d’acquisition d’œuvres, même si ces deux entités restent soucieuses de ne pas mélanger art moderne et art classique. Elles disposent chacune d’un lieu destiné à conserver et exposer leurs collections respectives. L’Etat les abrite dans le musée du Luxembourg et la Ville de Paris dans le Petit Palais. Mais, déjà avant la Première Guerre Mondiale, ces lieux se révèlent exigus.1 L’Etat et la ville de Paris voient alors dans ce programme de musée, initié par l’Exposition Universelle de 1937, le moyen de s’approprier un nouveau lieu de conservation et d’exposition. En effet, ce futur bâtiment ne se contentera pas d’abriter des œuvres pendant 6 mois, pour l’exposition, mais il sera destiné à être conservé après la fin celle-ci.

Fig. 2 Couverture de l'édition 1957 de la Charte d'Athènes, manifeste pour un nouvel urbanisme

2. La querelle entre les anciens et des modernes

La dénomination : Exposition Internationale des Arts et Techniques dans la Vie Moderne, en associant la vie et la modernité, révèle cette foi et cette confiance placées dans cette dernière. Le spectacle de la vie sera définitivement moderne et les arts et les techniques, ici considérés comme indissociables,2 en seront les personnages principaux. Cependant cette modernité revendiquée n’est pas acceptée par tout le monde et peine à masquer une tradition encore très présente. Il existe une querelle, assez vivace à cette époque entre anciens et modernes (en art et en architecture). En 1928, est publiée la Charte d’Athènes, manifeste de l’architecture moderne, qui visant à l’établissement d’une nouvelle société coupée du passé, se propose de repenser totalement le rapport de l’Homme à son espace de vie. Celui-ci doit être éminemment pratique et fonctionnel 3. Le superflu doit disparaître au bénéfice de la rationalité. Pour les contemporains de ce phénomène, les nouvelles formes qui aboutissent de ce paradigme provoquent à la fois émerveillement et angoisse. Émerveillement devant cette nouvelle 1 Jean-Baptiste Minnaert, Un musée «moderne» pour l’art moderne, L’hstoire du Palais de Tokyo depuis 1937 2 « le Beau et l'Utile doivent être, dit-il, indissolublement liés » dira le commissaire général de l'exposition Edmond Labbé 3 Comme en témoigne le premier point de la Charte d’Athène; 1 : concept de zonage qui permet de répartir les espaces urbains selon 4 fonctions : habiter/travailler/récréer/circuler. Tiré de La Charte d’Athènes : modèle de fonctionnalisme. Site internet de Architecture et Urbanisme. Octobre 2009


plasticité logique, juste, épurée des contraintes du passé, et angoisse devant ce futur où la vie de l’Homme semble prendre un rythme machinique, réglé et sujet à l’homogénéisation, voire à l'aliénation. Ainsi, faire un musée uniquement dédié à l’Art Moderne, donc l'art actuel en 1937, n’est pas si évident, et l'on commence à voir des signes d'essouflement de cet art engagé, à la veillie de la seconde guerre mondiale (retour d'une certaine rigueur classique en art et en architecture). L’Art Moderne possède une dimension politique (Guernica), porte parfois un projet de société (le refus des valeurs bourgeoises, l'individualisation) 4, et présente parfois des scènes volontairement déroutantes, voire choquantes (Egon Schiele). Il est donc sujet à de nombreux désaccords et polémiques. La société entre dans la modernité, mais semble se désintéresser des arts nouveaux, en témoigne l’immense succès populaire que remporte l’exposition consacré aux Arts-Français depuis le Moyen-Age qui a lieu au Palais de Tokyo pendant l’Exposition Universelle, et le faible enthousiasme que crée le Pavillon Espagnol5. Ainsi, on peut penser qu’il y a là une double contradiction: entre l’institutionnalisation par une société de l’art moderne et le fait que ce même art moderne s’oppose généralement à cette société, à ses codes, ses représentations, etc. d’une part, et entre cette même institutionnalisation et le faible succès que rencontre cet art à ses débuts, d’autre part.

Le Musée d’Art Moderne

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3. L’Exposition Universelle des Arts et Techniques dans la Vie Moderne de 1937

le 6 juillet 1934, la France décide l'organisation d'une Exposition internationale à Paris5. Ces expositions universelles, dont la première a eu lieu en 1835 à Londres, concomitantes au développement accéléré des techniques, ont officiellement pour but de témoigner au monde entier de la période de progrès dans laquelle il se trouve à travers l’exposition des dernières trou-

4 Rainer Rochlitz, Art Moderne et Société Moderne, Vox Poetica. Avril 2011 5 Sous la direction de Bertrdand Lemoine. Paris 1937. Cinquentenaire de l’Exposition. Catalogue d’Exposition. 1987. Il est intéressant aujourd’hui de remarquer que l’architecture préfabriquée et moderne du Pavillon Espagnol de 1937 est bien d’avantage considéré comme une réussite que l’architecture de placage du Pavillon Français.

Fig. 3 Affiche de l'Exposition


Le Musée d’Art Moderne

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Fig. 4 Face à face entre les pavillons allemand et soviétique au pied du Trocadéro


Les années 30 voient se succéder de nombreuses expositions universelles, moins destinées à resserrer les liens entre les pays qu’à impressionner les autres avec des projets ultra-monumentaux voire mégalomaniaques. Au sortir d'une guerre et à la veille d'une autre, le contexte est en effet propice aux régimes autoritaires voire totalitaires qui cherchent à affirmer leur puissance en faisant construire des monuments à l'image des nouvelles sociétés qu'ils veulent créer; grands, ordonnés, sans failles, etc. Même si la France n’est pas un régime totalitaire, elle reste la seconde puissance coloniale mondiale et pour son exposition de 1937 propose elle aussi trois édifices monumentaux, teinté d’un certain romantisme, et faisant référence à l’architecture grecque ou romaine, destinés à impressionner les rivaux de la République. Dans ce contexte de crise économique et de tensions politiques internationales, l’exposition de 1937 eut également pour mission de promouvoir la paix, même si : "Ironiquement, l’événement est surtout resté célèbre grâce au vis-à-vis belliqueux des pavillons soviétique et allemand. Un affrontement symbolique via l’architecture s’était installé au pied de la Tour Eiffel entre le pavillon de l’URSS avec sa colossale sculpture de L’ouvrier et la Kolkhozienne et celui, gigantesque, de l’Allemagne hitlérienne surmonté de l’aigle nazi."7 On notera aussi la présence, au sein du (très moderne) pavillon espagnol, du célèbre Guernica de Picasso, représentant le bombardement d’une ville républicaine espagnole par l’aviation allemande, qui témoigne de cette la délicate situation que traverse l'Europe au crépuscule de l'affrontement. 6 L’article 1, 1. de la Convention de 1928 concernant les Expositions internationales » les définit comme les manifestations qui ont « un but principal d'enseignement pour le public, faisant l'inventaire des moyens dont dispose l'homme pour satisfaire les besoins d'une civilisation et faisant ressortir dans une ou plusieurs branches de l'activité humaine les progrès réalisés ou les perspectives d'avenir » 7 Hervé Gauville, Exposition Années 30, l’architecture et les arts de l’espace entre industrie et nostalgie au musée des Monuments français, palais de Chaillot. Article tiré de Libération. 6 Février 1997

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Le Musée d’Art Moderne

vailles et innovations techniques.6 Elles sont également des prétextes, que les pays organisateurs et les invités usent afin de montrer leur puissance, leur avancement, leur supériorité, leur fierté, etc. Elles revêtent un caractère compétitif assez prégnant mais qui produit une certaine émulation et se ressent dans la production architecturale ou technique. Ces expositions jalonnent l’histoire de l’architecture et certaines réalisations qui ont eu lieu en leur sein deviennent même des symboles pour la ville qui les a organisées.

Fig. 5 Pavillion espagnol conçu par l'architecte catalan Josep Lluís Sert et Luis Lacasa


Le Musée d’Art Moderne

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Fig. 6 Plan général de l'exposition. On y distingue le Palais des Musées d'Art Moderne en haut à droite du Palais de Chaillot

4. Ensemble urbain sur la colline de Chaillot

Outre son aspect événementiel, l’exposition universelle de 1937 est l’occasion pour la capitale de lancer trois grands projets urbains qui redéfinissent le front de Seine du 16ème arrondissement de Paris. Le plus imposant est le Palais de Chaillot, construit face à la Tour Eiffel par les architectes et grands prix de Rome Léon Azéma, Jacques Carlu et Louis-Hippolyte Boileau, en lieu et place de l’ancien palais du Trocadéro, puit vient le Palais d’Iéna construit par Auguste Perret et ensuite le Palais de Tokyo. Cet ensemble monumental à l’architecture néo-classique est censé prolonger l’axe parisien (la Seine) vers l’Ouest. Les bâtiments sont souvent rigoureux, et ressemblent plus à des temples grecs romains qu’aux « cathédrales de la modernité » qu’ils prétendent être, et ce à une période où toutes les grandes puissances après s’être lancées dans la course à la modernité, à la radicalité, à la nouveauté, etc. retournent à une architecture plus traditionnelle, monumentale, symbolique, etc. En effet, depuis la crise de 1929, les avantgardes sont moins optimistes et peinent à porter le projet de la modernité. En Allemagne, avec l’arrivée des nazis au pouvoir, le Bauhaus a fermé, en URSS avec le tournant stalinien des années 30, les institutions soviétiques ne font plus appel aux suprématistes, ou aux constructivistes issus Vkhoutemas, pour la conception des grands projets, et en Italie, les rationalistes ont déjà pris le pouvoir sur les futuristes et dessinent de grands projets néo-classiques à la gloire du régime.


Que ce soit du point de vue urbain, programmatique, ou du vocabulaire architectural, le projet est dès le départ extrêmement complexe. Il s’agit sur une parcelle réduite et à la topographie capricieuse, non seulement de réaliser deux musées abritant un art nouveau, mais également de relier la Seine au Palais Galiéra (aujourd’hui maison de la Haute Couture), et de concevoir un nouveau monument sur ce même fleuve. Le tout avec un budget modeste pour l'époque de 40 millions de Francs. L’analyse du projet se décline en plusieurs échelles, qui vont de l’échelle urbaine à l’échelle muséographique (celle de l’œuvre). Elle tente d’expliquer cette idée à priori paradoxale du Temple Moderne. Le projet des jeunes architectes Jean-Claude Dondel et André Aubert, associés pour l’occasion aux expérimentés Paul Viard et Marcel Dastugue, relevant plutôt d’un paradigme classique pour la composition, son vocabulaire, et plutôt d’un paradigme moderne, pour sa construction, sa spatialité intérieure et sa muséographie. Cette analyse sera complétée par la comparaison avec certains projets significatifs des préoccupations de l’époque parmi les 120 projets étudiés par le jury entre le 15 septembre et le 30 novembre 1934.

1. L'implantation dans le site

Plus que l’écriture architecturale ou la disposition programmatique, ce qui a déterminé le choix du jury d’opter pour le projet de Jean-Claude Dondel et André Aubert a été son intégration urbaine. Le site dont disposait la mairie de Paris (site qu’occupait l’ancienne manufacture de la Savonnerie) présentait en effet de nombreuses contraintes. D’une superficie relativement réduite d’environ 2 hectares, il présentait une différence d’environ 12 mètres entre son point bas, le quai de Tokyo (aujourd’hui avenue de NewYork) et sont point haut (l’avenue du Président Wilson), celle-ci étant en

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Le Musée d’Art Moderne

B. Une composition urbaine


pente, tout comme les deux autres rues qui ferment l’îlot (la rue de la Manutention et la rue de Gaston-de-Saint-Paul). D’autre part le site, proche de la Seine, était inondable et il a fallu exproprier l’ambassade de Pologne qui occupait le quart Sud-Est de la parcelle.

Le Musée d’Art Moderne

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Avant de penser à faire un musée, il fallait avant tout faire un bâtiment capable de s’accommoder avec l’ingratitude du site. Contrairement au projet de Maurice Boutterin qui constitue en seul bâtiment rappelant le Palais de Doges de Venise, organisé autour d’un patio central, les architectes lauréats décident en premier lieu de séparer physiquement (et donc symboliquement) le musée de la Ville de celui de l’Etat. Il en résulte deux corps de bâtiment se faisant face, avec, entre eux, une succession de parvis s'étageant vers le fleuve. Ces deux corps fabriquent une symétrie assez ri-

Fig.7 Plan du Palais des deux Musées. A gauche l'aile Ouest (Nationale), au centre le parvis et le plan d'eau et à droite l'aile Est (Municipale).

goureuse, qui ouvre le Palais Galiéra sur la Seine. Ensuite ils placent un imposant portique à colonnade entre les deux corps. Ce geste produit une frontalité, unit symboliquement et spatialement les deux musés, atténue le vis-à-vis, transforme ces deux corps de bâtiment en ailes, mais produit un filtre finalement assez opaque entre le Palais Galiéra et le fleuve. A la symétrie horizontale est ajoutée une symétrie horizontale par la réalisation d’un plan d’eau en contrebas des escaliers. Cette double symétrie renforce


l’impression d’ordre, et de composition. On est très loin du projet de Mallet Stevens et de George-Henri Pingusson qui ressemble d’avantage à une usine avec ses sheds, ses immenses parois vitrées et son étagement assez brut ou de celui de Le Corbusier, qui quoique symétrique, se compose d’un seul bloc en H déployé en hauteur, très massif, dont les ailes déclinent en gradin vers leur intérieur. Fermant la perspective vers la Seine, il sera jugé « pas assez Français »8.

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Fig.8 Proposition de Mallet-Stevens et Pingusson

Alors que Pierre Sardou et Roger Lardat (seconde mention) règlent le problème de la déclivité en étageant le projet en descendant vers la Seine, le projet lauréat, propose un emmarchement massif très rigoureux perpendiculaire au sens de la montée, commençant après le miroir d’eau et finissant de manière assez maladroite au pied du portique. La symétrie, en apparence parfaite, cache les difformités du terrain et sa rigidité est adoucie par la courbure des ailes qui s’ouvrent en s’évasant sur la Seine. 8 Jean-Baptiste Minnaert, Un musée «moderne» pour l’art moderne, L’hstoire du Palais de Tokyo depuis 1937

Fig. 9 Proposition de Le Corbusier


Le Musée d’Art Moderne

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Fig. 10 Vues depuis l'extérieur


2. Un temple à Paris

L’aspect immédiat, grâce à la symétrie, à la composition, au rythme des ouvertures et aux colonnades, résonne définitivement comme classique. Cependant l’œil aguerrit remarque que les colonnes sont sans bases ni chapiteaux, les corniches sont allégées, les entablements sont inexistants, et les modénatures réduites au minimum. Ce classique épuré est moins à rapprocher du travail d’Auguste Perret, parfois chargé, que des réalisations contemporaines de Tony Garnier (Hôtel de Ville de Boulogne-Billancourt et la Cité industrielle utopique) ou du Colosseo Quadrato de Rome réalisé par Massimo Lucarelli Beneto et Tutti Caprese. Il est cependant, très en opposition au pavillon espagnol, manifeste d’architecture moderne ouvertement inspiré du Pavillon de l’Esprit Nouveau de Le Corbusier et dans lequel les architectes Luis Lacasa et José Lluis Sert proposent une relecture de l’architecture populaire espagnole (murs de chaux et sols carrelés) en utilisant une rigueur rationnelle, en particulier en ce qui concerne le parcours du visiteur, libre et fluide, sans entrée favorisée.1 Même si l’espace et le budget limités ont empêché la construction d’un jardin de statues initialement voulu par les architectes, la sculpture est également très importante dans l’aspect que prend Palais de Tokyo. Les métopes de Baudry et Gaumont viennent rompre la blanche monotonie des grandes surfaces en pierre de Massangis et de Comblanchien, et les bas-reliefs de Janniot atténuent la rigidité des murs d’échiffre qui soutiennent les escaliers principaux (Allégorie à la gloire des Arts). Les nus de Drivier, Guénot et Dejan, couchés autour du miroir d’eau composent une efficace poésie minérale alors que deux lourdes portes d’acier et de bronze, sculptées par Laszlo Szabo donnent accès aux musée, côté haut. La statue France d’Antoine Bourdelle, l’unique élément non symétrique, vient, comme point d’orgue à cette composition, se positionner au centre, et au sommet des marches, dominer le plan d’eau.2 1 Sous la direction de Bertrdand Lemoine. Paris 1937. Cinquentenaire de l’Exposition. Catalogue d’Exposition. 1987. 2 Les musées d’art moderne à Paris. J-C Dondel, A. Aubert, P. Viard, M. Dastugue « L’architecture d’aujourd’hui ». N°6 juin 1938

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Le Musée d’Art Moderne


C. Monumentalité classique et flexibilité moderne Le Musée d’Art Moderne

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1 Structure et spatialité

Même si l’extérieur du Palais fait penser à un temple et l’intérieur à un musée traditionnel, la pensée structurelle du bâtiment est résolument moderne. La structure est réalisée en béton armée avec un remplissage en brique. Ensuite, les colonnes, les murs, les plafonds et les sols sont parés de pierre noble, de marbre et de calcaire. Cette structure souple en béton armé, dictée par un budget restreint permet cependant une grande flexibilité des espaces. Il n’y a pas d’enfilade de salle comme dans les autres musées (qui sont souvent d’anciens palais), mais des espaces flexibles et naturellement ouverts les uns vers les autres. Déjà la possibilité de fractionner ou d’ouvrir l’espace est présente est une grande liberté dans le parcours des œuvres est suggérée. "Nos musés d'art modernes sont eux-mêmes modernes" diront Jean-Claude Dondel et André Aubert à la veille de présenter leur projet.1 L’accès aux deux musées se fait par le point haut, l’avenue du Président Wilson où le bâtiment est plus bas et la décoration moins affirmée. Cette situation est assez paradoxale, car même si on pénètre sur une façade rigoureusement symétrique, cette dernière reste une façade secondaire, et finalement, l’on entre par derrière à un niveau haut qui empêche de voir la composition dans son ensemble. La visite se fait alors, globalement du haut vers le bas et de la ville vers le fleuve.

Fig. 11 Couverture de journal lors de l'inauguration en 1937

Le rez-de-chaussée haut contient les halls d’accueil, et les grandes pièces courbées sous verrière destinées principalement aux peintures. On descend ensuite au rez-de-chaussée bas grâce à de majestueux escaliers en marbre. Hormis en face de ces escaliers, il n’y a presque pas de fenêtre latérales à cet étage, renforçant une impression d’enfermement lumineux donnée par l’usage presque exclusif de la lumière zénithale.

1 Philippe Gartempes, "Deux Palais tout blancs au bord de la Seine", Le Jour, 23 juin 1935


Les murs du rez-de-chaussée bas, de plain-pied avec le miroir d’eau, sont percés de hautes et larges fenêtres qui éclairent latéralement les sculptures. Sur les rues secondaires, les salles s’organisent en redent à la manière rationaliste, permettant à la lumière de descendre jusqu’à l’étage inférieur. Mais, même avec ceux-ci, la lumière pénètre assez difficilement jusqu’en bas du bâtiment et les artistes qui y sont exposés se plaignent d’avoir été relégués aux caves.2 La partie centrale, entre les deux ailes et sous le portique est totalement dépourvue d’éclairage naturel. Elle abrite des salles de conférence, des salles de projection, et des installations techniques.

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L’étage le plus bas, est en sous-sol par rapport au patio mais s’ouvre sur les rues latérales. Il regroupe les accès et les installations techniques. Dessous, les fondations ont nécessité de lourds frais à cause de l’ingratitude du terrain. Il a fallu couler des semelles en béton armé reposant sur 1800 pieds en béton armé, enfoncés jusqu’à 20 mètres de profondeur.2 On accède aux étages supérieurs grâce à de grands escaliers droits monumentaux. Ces étages abritent l’administration et des salles d’exposition de peinture (dans les redents). Ces dernières sont assez hautes et bénéficient d’un abondant éclairage zénithal (peinture) mais sont fermées sur les côtés. Les verrières sont réalisées en charpente métallique mais elles sont cachées par un faux-plafond translucide qui cache leur esthétique industrielle, jugée impropre à la contemplation des oeuvres. 2 Jean-Baptiste Minnaert, Un musée «moderne» pour l’art moderne. L’histoire du Palais de Tokyo depuis 1937

Fig. 12 Installation des verrières en charpente métallique


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Fig. 13 à 16 Différentes vues du Musée d'Art Moderne dans les années 60 et 70


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2. Vers une nouvelle muséographie

Comme la structure, la scénographie des Musées d'Art Moderne est tout à fait moderne. En effet, c’est l'une des premières fois en France qu’un musée est véritablement créé de toute pièce, et que son architecture sort de terre. Jusque-là, les musées étaient généralement d’anciens palais ou hôtels particuliers transformés en lieux d’expositions. Le Palais de Tokyo se voit dans la situation de pouvoir faire école, et de peut-être devenir un exemple, un modèle pour les suivants. Louis Hautecoeur, grand historien de l’art, administrateur et membre de l’institut des Beaux-Arts pense le musée comme quelque chose en soi. 1Il pose certaines contraintes, nécessaires selon lui à la bonne présentation des œuvres et participe à la naissance de ce nouvel art qu’est la muséographie. Il préconise ainsi l’utilisation de la lumière naturelle zénithale pour les peintures et latérale pour les sculptures, l’absence d’ornements dans les salles d’exposition (sans doute influencé par les théories contemporaines d'Adolphe Loos sur l’ornement2) ainsi que la rationalité de la conception. Le musée doit avant tout veiller à permettre l’exposition optimale des œuvres d’art. Hautecoeur participe à la création d’une nouvelle corrélation entre art et espace en faisant joindre art moderne et muséographie moderne. Il sera invité à prendre part à l’élaboration du projet définitif. Dans les étages courants, la lumière pénètre latéralement et de manière naturelle sans être partiellement occultée. Dans les parties hautes, les verrières translucides amènent une lumière filtrée plus douce, 1 Louis Hautecoeur est l'auteur de Considérations sur l'art d'aujourd'hui (1929) et ses écrits sur la scénograpie et la muséographie ont été regrouppé dans l'ouvrage Architecture et aménagements des musés (1993) 2 Adolphe Loos, Ornements et Crimes, Les Cahiers d'Aujourd'hui, 1915

Fig. 17 Schéma de fonctionnement, appliqué aux étages inférieurs, montrant comment une lumière latérale devient une lumière zénithale


Conclusion de la première partie

Le Palais de Tokyo est un projet de compromis entre composition classique et fluidité moderne. Il illustre assez bien cette époque de transition architecturale. On peut schématiser en disant que, souhaitant faire consensus, contenter tout le monde, le Palais de Tokyo fut jugé trop novateur par les anciens et trop classique par les modernes. Jean-Baptiste Minnaert décrit assez bien la dichotomie inhérente au bâtiment et ce syncrétisme opérant entre deux paradigmes qui se ressent encore aujourd’hui : « L’histoire du Palais de Tokyo est un échantillon du rapport de force entre technique muséographique et célébration du paysage urbain, entre hommes de l’art et personnel politico-administratif, entre identité nationale et modernité internationale, entre temps court de la programmation et temps long d’usages successifs souvent contradictoires. 4 3 Architecture et intervention sur le bâtiment, Scolab, le cahier pédagogique, numéro spécial, Editions du Palais, 2013 4 Jean-Baptiste Minnaert, Un musée «moderne» pour l’art moderne, L’hstoire du Palais de Tokyo depuis 1937

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non directe, et plus homogène, chose assez neuve pour l’époque. Toutefois, l’ouverture de baies zénithales étant rendue impossible dans la plupart des salles des soubassements, les 4 architectes conçoivent un système pour contourner ce problème. La lumière pénétrera dans les salles par des fenêtres situées dans la partie supérieure des murs et des réflecteurs en métal la redirigeront dans les salles au travers de faux plafonds en verre dépoli. Ainsi, la lumière naturelle semble être diffusée dans les espaces d’exposition au travers de baies zénithales, sans que le subterfuge ne soit révélé aux visiteurs. Il existe cependant certains points négatifs pour la muséographie. Faute de budget suffisant, des solutions techniques discutables, nuisant à la fois au confort des visiteurs et à la bonne exposition des œuvres sont adoptées. Il n’y a pas d’air conditionné, certains radiateurs sont placés sous les tableaux, l’installation électrique s’avère dangereuse et les verrières, faute d’être non nettoyables, sont rapidement sales et peu étanches. Ce délabrement annoncé va se poursuivre bien après l’Exposition Universelle de 1937 et il faudra de nombreux et grands travaux pour permettre la réouverture du bâtiment, et l’inauguration, en 1947 du Musée National d’Art Moderne et en 1961 du musée de la Ville3.


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Fig. 18 Bar du Lieu Unique à Nantes, conçu par Patrick Bouchain


Partie II. Les «Friches Culturelles» Une référence pour le Palais de Tokyo?

La notion de « Friche Culturelle » est l’association de deux mots à priori antagonistes et qui joue sur la proximité phonétique entre les termes « culturelle » et « industrielle ». Le terme « friche », est sous-entendu ici comme étant d’origine industrielle et désigne un territoire, un bâtiment, un espace laissé à l’abandon suite au départ des activités qui l’animaient. Le terme « Culturelle » regroupe des activités telles que le spectacle, le cinéma, le musée, etc…mais surtout les pratiques artistiques. On retrouve fréquemment l’utilisation de la notion « Friche Artistique » pour parler sensiblement des mêmes choses. Cependant cette seconde appellation correspond moins à des lieux de représentation de l’art, qu’aux lieux de sa production. La recherche prend pour hypothèse que la Friche Culturelle est un modèle programmatique est esthétique pour le projet du Centre de Création Contemporaine. Elle est d’avantage un lieu de production et d’expérimentation, alors que le musée, modèle traditionnel, est plus un lieu d’exposition et de conservation. Lors du chantier du Palais du Cinéma, les équipes de démolitions « dénudèrent » la structure du bâtiment, et lorsque les architectes et les commissaires vinrent visiter le lieu, et virent cette "carcasse" ainsi abandonné, ils décidèrent de s’emparer de cette idée de « friche culturelle. »1 Cette dernière devient le modèle (plutôt une référence) à la fois pour son programme (lieu de vie, lieu de sociabilité, lieu artistique) et pour son esthétique (monumentale – désacralisée - recyclé). La réoccupation d’anciens bâtiments est quelque chose d’historique, de très banale dans la fabrication de la ville 2et elle-ci s’est toujours faite sur elle-même d’avantage que par addition. Cependant, avec la désindustrialisation, de très nombreux bâtiments en Europe se sont retrouvés rapidement, et parfois longuement, abandonnés. Le paradigme moderne, prédominant jusqu'à récement, et qui pensait d’avantage la ville par addition, et 1 Jean-Philippe Vassal interrogé par David Cascaro, Le musée décontracté, Une installation des Lacaton&Vassal au Palais de Tokyo, ouvrage non publié, 2006 2 Philippe Prost, L’art de la transformation, Cours à l’ENSAPB, Octobre 2016

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Très bien préservé de l'extérieur, quand on pénétrait à l'intérieur du bâtiment, on avait un sacré choc. Il état important de ne pas perdre cette sensation. L'intérieur était le résultat de multiples péripéties"

Jean-Philippe Vassal


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que chaque forme urbaine devant abriter une fonction spécifique, ayant sans doute freiné la réutilisation de ces bâtiments. De manière parallèle, le fonctionnalisme parfois exacerbé de la modernité commence à être remis en question dans les années 703. De plus en plus de personnes se sentent dépossédés de leur quotidien, de leurs coutumes, etc, et décident de les réactiver à travers une entreprise collective4. Ainsi, un processus accéléré de désertion des bâtiments s’est retrouvé face à une certaine volonté collective de réappropriation du quotidien par l’appropriation de l’espace5. Pour schématiser, c’est dans ce contexte historique (qui remonte aux années 60), entre désertification avancée et volonté de s’approprier des lieux, que sont nées les friches culturelles Ces friches culturelles prennent aujourd’hui de multiples formes, impliquent des acteurs très différents, proposent des programmes variés, etc, et ceci en raison de l'extrême diversité de bâtiments ou espaces existants qu’elles occupent, de la manière dont elles sont considérés par les pouvoirs publics ou les habitants, etc. Elles présentent toutes des caractéristiques spécifiques et il serait très laborieux d’initier un classement, une catégorisation des friches culturelles. On peut cependant dégager quelques caractéristiques globalement partagées qui sont réutilisées dans le programme du Centre de Création Contemporaine. Dans un premier temps, la recherche s’attardera sur le contexte de l’émergence des friches culturelles, puis dans un second temps, sur les formes qu’elles peuvent prendre, ainsi que sur leurs acteurs et les motivations de ceux-ci. Enfin, dans un troisième temps, la recherche, plus personnelle, se portera sur les différentes esthétiques, atmosphères, architectures qui produisent l'imaginaire des friches culturelles.

3 Andres Lauren, Grésillon Boris, « Les figures de la friche dans les villes culturelles et créatives. Regards croisés européens », L’Espace géographique, 1/2011 (Tome 40), p. 15-30. 4 Henri Lefebvre, Le droit à la ville, Paris, Éditions Anthropos, 1968 5 Qu’est-ce qu’une friche culturelle ? Entretien avec Patrick Bouchain. Propos recueillis par Romain Des-chambres, octobre 2013, Saint-Pierre-des-Corps


1. La Désindustrialisation

Après la guerre, les sociétés occidentales se transforment de manière rapide et radicale et du fait des mutations technologiques, de nombreuses activités industrielles, et économiques s’arrêtent, que ce soit dans les villes ou les campagnes des pays industrialisés. On peut citer comme exemple que le changement de matériau de chauffage amène à la fermeture des systèmes productifs (mines de charbon du Nord de la France et de la Belgique), que l’obsolescence du programme entraîne l’obsolescence du bâtiment (le 104 à Paris), que la relocalisation de certaines activités produit des bâtiments vides en centre-ville (Abattoirs à Madrid), ou encore que l’arrêt d’une ligne de transport conduit à l’inutilité de ses gares (Recyclerie à Paris). On aussi peut dire que ces mutations d’ordre technologique pour la plupart, réinterrogent la capacité d’un bâtiment ou d’un ensemble urbain à s’adapter à un nouveau contexte. Ces désertions, désaffectations, abandons, etc, soulèvent pour les pouvoirs publics de très nombreux enjeux, et ce, à plusieurs niveaux. Au niveau de la ville, tout d’abord, qui se retrouve avec parfois d’immenses bâtiments vides dans ses quartiers (Tate Modern). Au niveau du territoire ensuite, certaines exploitations ou usines étant dimensionnées à son échelle, leur fermeture a abouti à la formation de paysages sinistrés (vallée de l’Emsher dans la Rhur). Puis, au niveau social, et cela étant assez caractéristique de ce phénomène, puisque certaines usines étaient la raison d’être de certaines villes ou villages, et employant un groupe nombre de leurs habitants, ces territoires se sont retrouvés dépourvus lorsqu’elles ont fermé (mines de charbon du Nord de la France). Enfin, au niveau de la mémoire, puisqu’est apparu la notion de « Patrimoine Industriel ». Certains ensembles industriels étant

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A. Le contexte de l'émergence des friches culturelles


considérés comme ayant, pour une communauté, une valeur particulière. Celle-ci peut être purement architecturale, mais est d’avantage de l’ordre de la mémoire ouvrière, du passé laborieux de ces territoires. Ces bâtiments constituent aujourd’hui de rares trace d’une histoire industrielle riche et complexe1.

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Fig. 19 Anciens silos à grains à Rotterdam, rendus caducs par les nouveaux modes de transport et de stockage

1 L’inscription du Bassin Minier du Nord-Pas-de-Calais à la liste du Patrimoine Mondial de l’UNESCO est bien la preuve de la valeur dorénavant « universelle » du patrimoine industriel. Le critère II est le plus explicite : « Le Bassin minier du Nord-Pas de Calais témoigne de manière exceptionnelle des échanges d’idées et d’influences à propos des méthodes d’exploitation des filons charbonniers souterrains, de la conception de l’habitat ouvrier et de l’urbanisme, ainsi que des migrations humaines internationales qui ont accompagné l’industrialisation de l’Europe ».Site internet de l’UNESCO.


2. Post-modernité et Modernité critique

Jean-François Lyotard, lorsqu’il écrit La Condition Post-Moderne en 19792, pense que l’Humanité (du moins l’Occident) est entrée dans une ère qu’il nomme le "Post-Modernisme." Pour lui, l’Homme voit, à cette époque s’écrouler le dernier des grands méta-récits; celui de la modernité3. Celle-ci semble en effet avoir échouée à transformer positivement l’Homme, à le libérer de sa condition sociale, et à le sortir de l’oppression. Lui succède alors cette période post-moderne, libérée d’une dépendance à un méta-récit, et où l’action collective semble se résumer à une somme d’activités individuelles. C’est dans ce contexte de réaction à l’ordre général des choses, qui semble emprunter un chemin périlleux, que naissent des formes particulières de prise en main collective si ce n’est de résistance. L’apparition des « Friches Culturelles » s’inscrit dans ces logiques d'entreprise collective, et de réactivation du quotidien. Constat d'une forme de crise de la modernité Il serait très long de développer sur l’ensemble des symptômes de crise qui semblen toucher la modernité, mais l’on peut cependant résumer ceux qui ont un rôle dans l’apparition des « friches culturelles ». Pour Alain Tou2 Jean-François Loytard, La Condition postmoderne. Rapport sur le savoir, Les éditions de minuit, 1979 3 Un «métarécit» est un discours de légitimation des règles du jeu et des institutions qui régissent le lien social. Dicitonnaire internet Idixia

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Il est intéressant de noter que jusqu’à présent, ces territoires ou ces bâtiments délaissés constituaient un fardeau pour les pouvoirs publics et les populations pour les raisons précédemment évoqués. Cependant, depuis que certains acteurs ont pris conscience du potentiel d’usage de ces ensembles, la situation tend à s’inverser. Même si de manière générale, la fermeture d’un ensemble industriel est un problème pour la collectivité, elle peut également devenir un bon moyen pour la ville d’obtenir un bâtiment déjà construit, à bas prix, et parfois bien situé. La collectivité souhaitant installer un programme peut le faire de manière économique et rapidement. A titre d’exemple, nous pouvons citer le musée d’Orsay, ancienne gare, parfaitement située sur l’axe monumental parisien (la Seine) pour l’implantation d’un vaste musée national.


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raine, la Modernité est en crise ; son entreprise de rationalisation, d’individualisation, de sécularisation, etc, a amené à un certain désenchantement du monde4. Alors qu’elle paraissait salvatrice au siècle des Lumières, en faisant triompher la Raison sur la Croyance5, qui attachait les Hommes à des traditions parfois liberticides, la modernité a parfois détruit les liens traditionnels, qui unissaient les individus entre eux, et ceux-ci à leur société. La spiritualité, qui guidait autrefois les Hommes dans leurs entreprises collectives, semble avoir été remplacée par une logique de rationalisation des choses sensée amener paix et prospérité, mais qui a aussi eu tendance à déconnecter les Hommes de leur milieu (naturel, social, politique,…). Enfin, même si l’individu à commencé à s’émanciper du poids de sa condition (sociale, religieuse, raciale, sexuelle,…), il entre parfois dans une logique d’individualisation6, abandonnant aisément certaines logiques de la collectivité. Cet individualisme augmenté tend à fragiliser les sociétés ainsi que leur capacité à s’occuper de ses individus les plus démunis, au moment où les pays occidentaux voient apparaître chez eux des phénomènes de chômage de masse. La reconsidération des formes anciennes ou traditionnelles Cette forme de critique de la modernité est visible dans l’immobilier par exemple, où l’on préfère souvent l’ancien (la Pierre) au neuf. Il y a là une certaine forme de confiance dans la tradition et peut être un peu de méfiance dans la nouveauté. C’était globalement l’inverse au sortir de la guerre où l’identité se confondait avec un nationalisme belliqueux responsable de tous les maux, et devenait suspecte. Il fallait construire un nouveau monde plus homogène débarrassé de tous ces antagonismes. Cela a été le triomphe du modernisme, du paradigme corbuséen de la table rase, des nouvelles constructions épurées sans rapport à aucune tradition, des grands en-

4 Alain Touraine dans « Critique de la Modernité », Fayard, 1992 5 Dans une lettre à Catherine II, datée du le 29 janvier 1768, François-Marie Arouet di Voltaire écrit : « C’est ce triomphe de la raison [la tolérance] qui est mon salutaire » décrivant ainsi ce que doit être l’entreprise sociétale de la modernité." 6 Ce que Christiant Le Bahrt appelle : « L’individualisation des références » : C’est la volonté qu’a chacun d’interpréter soi-même les informations dont il dispose. On pourrait considérer l’ensemble de ces attitudes comme post-modernes car éminemment modernes dans la volonté d’individualisation mais également critiques, car opposées à l’idée de l’homme-machine (Le Corbusier), du fonctionalisme, etc. Christian Le Bart, L’individualisation, Paris, Presses de Sciences Po (P.F.N.S.P.), « Références », 2008, 320 pages


Le FAIRE, la participation Actuellement, on observe une certaine angoisse que peut avoir l’individu, à la fois d’être noyé dans une masse de personnes, et d’être réduit à un simple consommateur. La société actuelle tend à homogénéiser les pratiques et donc ses citoyens. Il semble que de moins en moins de choses relèvent de la spontanéité, et la marchandisation semble envahir, et nos objets, et nos habitudes.9 Certains individus, de manière collective ou non commencent à envisager l’espace public, les objets qui le compose et les relations avec ses concitoyens d’une autre manière. Ils souhaitent que l’espace (de manière général, public ou privé) redevienne un lieu d’expression pour la citoyen, que les objets soient plus rattachés à l’expérience (moins standardisés), et que les moments de communauté soient moins considérés comme "des spectacles avec des figurants"9, que comme des lieux de véritable relation humaines. Nous pouvons prendre comme exemple l’association Bellastock réunie aux collectifs ETC, EXYTZ et Les Saprophytes, qui en 2013, ont construit le mobilier urbain du Quartier des Pins, quartier "sensible" de la 7 Alain Touraine dans "Critique de la Modernité", Fayard, 1992 8 Kenneth Frampton dans Modern Architecture: A Critical History (World of Art), Thames & Hudson, Londres, 1980 9 Guy Debord. La Société du spectacle, Buchet-Chastel, Paris, 1967

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sembles. Cependant, devant le constat du (relatif) échec de la modernité 7 qui a déconnecté les hommes de leur héritage, de leur patrimoine, et de leur culture, s’est logiquement opéré un début de retour à la « tradition » avec le Post-Modernisme (en Architecture du moins). Ce mouvement (devenu un style) s’attache à réintégrer à l’architecture moderne des éléments issus d’une tradition constructive ou symbolique locale. On voit alors réapparaître des éléments honnis des modernes, les colonnades, les ornements, la couleur, les chapiteaux, etc. Cette situation se prolonge actuellement où la modernité se juxtapose avec des formes traditionnelles aboutissant à des formes hybrides (modernité-tradition). On est toujours dans la modernité, son projet progressiste est loin d'être abandonné, mais elle ne fait plus consensus, fait moins l’objet d’attentes, et est de plus en plus jugée négativement. On pourrait appeler cette période la Modernité Critique par analogie avec ce que Kenneth Frampton appelle « Le régionalisme critique »8. Ainsi, l'aspect très typé des friches industrielles (inscrit dans une période particulière), jugé rétrospectivement, est aujourd'hui reconsidéré comme positif et sa patrimonialisation se met en marche.


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ville de Vitrolles dans les Bouche-du-Rhône à partir d’un marbre rose issu de carrières abandonnées. « Cela a été le projet le plus fort humainement », reconnaît Antoine Aubinais dirigeant de Bellastock. « Les gens étaient étonnés de voir une telle générosité, une telle joie de vivre. Le mobilier est toujours là, intact. A la différence de ce qui se passait d’habitude, il n’a fait l’objet d’aucun acte de vandalisme. »10 L’association a, en collaboration avec les habitants du quartier, construit ce mobilier urbain et décidé de son implantation. Celui-ci n’est pas un mobilier public standardisé implanté de manière arbitraire, mais le fruit d’une collaboration et d’une réelle approche sociale. Cette intervention, par rapport à l’action de la mairie, parait moins détachée, plus directe, plus humaine et donc plus à même d’être acceptée par les habitants. On peut voir dans ces initiatives un esprit de résilience. Cette notion empruntée à la biologie où elle signifie la capacité d’un corps à se régénérer de manière autonome après une altération peut être appliquée aux rapports entre l’individu (le corps) et les altérations de la société. Le premier s’adaptant de manière autonome à ces dernières. Cette application de ce concept à la sociologie est apparue dans les années 80, où des individus ou des groupes d’individus parviennent à s’adapter aux changements apportés par l’ère néolibérale. Michel de Certeau, intellectuel jésuite et, anthropologue des sociétés occidentales, éclaire cette notion (sans forcément l’avoir connue) en expliquant que « il (l’individu) braconne çà et là des morceaux 10 Jean-Jacques Larrochelle. Une ville flottante éphémère s’ébat à Achères. Article tiré du Monde. Juin 2014

Fig. 20 L'association Bellastock à Vitrolles


Emancipation vis-à-vis des masses et du système Aujourd’hui on assiste à la disparition progressive des lieux de sociabilité ; théâtre, bistrots, cafés… au profil de lieu de distraction standardisés (Entertainment) que sont les cinémas, les fast-food, les clubs…où l’individu a parfois l’impression d’être réduit à un simple consommateur. En réaction à ces disparitions, on observe une volonté de sortir de cette dialectique de consommation, et de cette situation, par la découverte de lieux dit « alternatifs », bon marchés, accueillants, communicants, où l’individu serait peut-être mieux considéré et où il pourrait réaliser sa propre expérience quotidienne et non une expérience préfabriquée et commune à tous. On veut vivre une aventure urbaine, écrire une nouvelle histoire, une nouvelle page de son expérience, s’approprier l’espace urbain, vivre la ville, et s’émanciper à travers la pratique d’un espace choisi. On peut schématiquement associer ces nouvelles pratiques urbaines à l’idée du Droit à la Ville d’Henri Lefebvre, tirée du livre du même nom12. Dans celui-ci, Lefebvre dénonce le fonctionnalisme exacerbé des villes et leur incapacité à générer des formes de sociabilité, des histoires, des situations, bref à devenir le lieu de vie qu’elle devrait être. Pour résumer schématiquement, la désindustrialisation a formé des lieux et des territoires en détresse, et la crise que traverse la modernité a d'une part réinterrogé notre héritage, et d'autre part incité certains à se réapproprier un quotidien. La Friche Culturelle est donc la projection, dans un lieu abandonné (la friche industrielle), de désirs de culture et de lien social.

11 Michel de Certeau, L’invention du quotidien, tome 1 : Arts de faire, tome 2 : Habiter, cuisiner, Gallimard, 1990. 12 Henri Lefebvre, Le droit à la ville, Paris, Éditions Anthropos, 1968

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de récits et des images, et il les bricole et les pratique à son gré selon des possibilités ne coïncidant pas avec celles de la production de ces récits et images. Le sens prétendu par les nouvelles institutions du croire est ainsi systématiquement détourné, réinventé. »11 Pour lui l’ensemble des individus ne peut pas être réduit à une masse informe, passive, dépossédée de jugement critique et soumise aux lois d’un système. À leur supposée inactivité, il met plutôt de l’avant leur fonction créative, laquelle serait cachée dans un ensemble de pratiques quotidiennes, qu’il appelle ruses, et qui s’opposeraient aux stratégies des gens au pouvoir ou aspirant à y accéder.


B. La spécificité de ces formes d’occupation

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L’ensemble de ces phénomènes contextuels, associé à la désindustrialisation des sociétés occidentales ainsi qu’aux problèmes qui ont accompagné cette dernière, ont abouti à ces formes urbaines si particulières. Dans une interview, l’architecte et scénographe Patrick Bouchain, dont le travail se porte sur la relation entre la construction d’un espace et l’émancipation des individus par la participation13, résume bien le début de ces phénomènes : « Il y a eu deux choses : la rue et la friche. Puisqu’après 68 et après ces grands évènements, on a pris conscience qu’on pouvait s’approprier l’espace public pour revendiquer sa production ou ses idées, que l’espace public était un espace à partager. Il y a eu toute la naissance des arts de la rue et la renaissance du cirque qui est typiquement un art qui partage un lieu. Et après il y a eu les friches. »14 C’est donc cette volonté, contextuelle, de reprendre en main les choses, de s’occuper de son environnement immédiat, d’agir dans l’espace public qui a amené certaines personnes à occuper des lieux délaissés. Du fait des revendications très fortes de ces personnes, ces nouvelles formes urbaines présentent certaines spécificités (qui ne sont pas présente dans toutes les friches) et l'on remarque généralement que le projet social ou politique passe avant toute considération esthétique. Ces spécificités sont de deux ordres. Tout d’abord, la genèse des friches culturelles découle souvent d’une initiative collective non institutionnelle, par rapport aux acteurs « traditionnels » de la fabrication de la ville (pouvoirs publics et promoteurs privés). Ensuite, ces lieux revendiquent généralement une « inscription territoriale » forte et se veulent inclusifs et ouverts aux habitants. Il convient de noter que nombre de rénovations de bâtiments industriels en lieu de culture ne se retrouvent dans aucune de ces deux logiques (beaucoup sont aujourd’hui des espaces privés alors que d’autres ont été pensés par les pouvoirs publics). Cependant ce sont ces deux spécificités (dimension collective et sociale ainsi que l'inscription territoriale) qui participent le plus à l’imaginaire de la friche culturelle, et qui semblent avoir été prises pour modèle par le Centre de Création Contemporaine. 13 Patrick Bouchain, Construire autrement, édition Actes Sud, coll. « l’Impensé », septembre 2006. 14 Qu’est-ce qu’une friche culturelle ? Entretien avec Patrick Bouchain. Propos recueillis par Romain Deschambres, octobre 2013, Saint-Pierre-des-Corps


1. La dimension collective et sociale

C’est l’une des principales spécificités des friches culturelles. Elle est héritée des mouvements contestataires apparus en Occident dans les années 60. Les friches culturelles sont avant tout des modèles de contestation, des actions qui ont valeur d’exemple à reproduire. Elles requestionnent souvent la place de l’individu dans la société, son rapport au collectif et à l’institution publique, ainsi que la place que prend la culture dans sa vie quotidienne. Le Modèle : les mouvements contestataires politique Fabrice Thuriot dans un colloque consacré aux « Arts de la ville et leur Médiation » explique la genèse des premières occupations des friches industrielles: « Des mouvements de contre-culture et auto-gestionnaires des années 1970 se sont développés dans des grandes villes d’Europe du Nord, suite aux expériences nord-américaines des années 60 (The Factory d’Andy Warhol à New-York en particulier). On peut citer à cet égard la Rote Fabrik de Zürich ou l’Ufa Fabrik de Berlin. »15 Même si ces revendications, liées au contexte des années 60-70 et du rejet de la société de consommation, est moins pertinent aujourd’hui, ce sont bien elles qui ont aboutie aux premières occupations de lieux délaissées par l’industrie ou les services publics (hôpitaux, casernes,…). Un exemple assez connu est celui du quartier de Christiana à Copenhague, anciennement occupé par la caserne militaire de Bådsmandsstræde, qui a été investi par des hippies, des gens dans le besoin, des activistes politiques, etc, et où la culture a tenu (et joue toujours) un rôle capital dans les relations, à la fois entre les habitants, et avec l’extérieur. On peut aussi rapprocher ce mouvement aux occupations, pour des raisons politiques, de logements et de bâtiments vides à Berlin Ouest à la fin des années 70 qui ont abouti à la formation de nombreux squat et d’habitats autogérés. Ce mouvement de contestation politique se répercute alors dans les friches qui deviennent des lieux tout indiqués pour accueillir d'autres manifestations alternatives du quotidien. Cependant ces dernières sont porteuses d’autres revendications, artistiques notamment.

15 Fabrice Thuriot. Les friches culturelles : de l’expérimentation artistique à l’institutionnalisation du rapport au(x) public(s)… et inversement. Communication au colloque Les arts de la ville et leur médiation Les 13-14 et 15 juin 2002 à l’Université de Metz

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Bottom-Up et liberté d'usage En parlant des friches culturelles : « C’est par la pratique et l’usage que le terme est apparu. Ce n’est pas par une pratique autoritaire. C’est venu de la base »16. Pour Patrick Bouchain, un aspect important de celles-ci est le fait qu’elles soient nées des actions de certains citoyens. Ces derniers sont généralement à la recherche de nouveaux modes de sociabilité, de nouveaux rapports entre les individus, moins conventionnels, et moins soumis à des impératifs marchands. Ils proposent donc des lieux où une forme de sociabilité perdue serait remise au goût du jour, où les rapports sociaux seraient plus spontanés, où l’accès à la culture serait d’avantage démocratisé, et où la liberté d’action serait le principal leitmotiv. Ainsi faisant, les friches rafraîchissent l'idée de la Rue et les relations humaines qu’elle semblait porter 16 Patrick Bouchain, Construire autrement, édition Actes Sud, coll. « l’Impensé », septembre 2006.

Fig . 21 Cinéma en plein air dans la "Fabrique Culturelle" de Casablanca

en tant qu’espace public majeur et populaire de communication. La Friche Belle de Mai à Marseille par exemple est largement ouverte et accessible, toutes les activités et les personnes peuvent venir s’installer dans l’espace central, créant ainsi un espace de d’échange et de rencontres fortuites. On trouve également, sous le même toit, certains programmes « traditionnels » de la rue. Au Lieu Unique, ancienne manufacture de la biscuiterie LU et réhabilité par Patrick Bouchain, sont ainsi installés un bar, un restaurant, une librairie, des boutiques et même un hammam. Fabrice Raffin commente le désir de s'organiser soi-même, de faire, de produite qui naissent


Jo Dekmine, directeur du Théâtre 140 et fondateur des Halles de Schaerbeek à Bruxelles, résume assez bien ce que devrait être la raison d’être, ici confondu avec l’usage, de ces lieux : «On viendrait dans ces lieux sur une impulsion. « On pourrait s’asseoir où l’on veut, changer de place, s’étendre même si on est fatigué, emporter son verre de bière ou de limonade, fumer sa cigarette. Une sorte de place publique où rien n’interdirait qu’un guitariste se mette à jouer dans un coin ou qu’un petit orchestre improvise un bal populaire. Le marché doit avoir sa pharmacie perpétuellement de garde, la librairie où l’on peut acheter une gazette à 10 heures du soir ou un tableau ou une orange à minuit, l’Espagnol qui fait des gambas, le boucher musulman qui cuit le méchoui. »18 On est ici assez loin des motivations très revendicatrices des « pionnier » de la conquête des friches et ceci témoigne donc de leur évolution. Même si l’on retrouve des constantes comme la proposition d’un lieu alternatif, l’action associative, l’implication des habitants,… certains de ces lieux semblent avoir été rattrapés par des logiques plus conventionnelles, plus libérales, conservant seulement l’aspect esthétique qui est presque devenu une marque, une forme d’originalité, sensée amener des clients .

17 Fabrice Raffin. La trame culturelle de la vibration quotidienne. Extrait du Colloque De la Friche Industrielle au Lieu Culturel, Université de Caen, juin 2012 18 Fabrice Raffin. Espaces en friche, culture vivante. Le Monde Diplomatique. Octobre 2001

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dans l'atmosphère libérée de la friche culturelle de la manière suivante : «A partir d’un lien entre culture et quotidien propre à ces actions collectives se construisent des espaces de vie, lieux de débats et de publicité, de sociabilité et de créativité non nécessairement liés aux mondes de l’art ; lieux d’expérimentation sociale, économique, politique, écologique, autres. En toile de fond, leurs protagonistes partagent une interrogation ou une opposition aux institutions. Ils mettent en avant l’idée de tâtonnement non de l’établi, l’expérimentation face au normatif, jusqu’à explorer les interdits sociaux. Ils interrogent l’institué et produisent des formes alternatives aux institutions. Ces dernières représentent pour eux à la fois l’imposition d’usages normatifs dans différents domaines sociaux et simultanément l’imposition de valeurs sociales auxquelles ils n’adhèrent pas a priori.»17


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Repenser le modèle artistique institutionnel Pour Ghyslaine Thorion, spécialiste de la question : «Les occupations de friches correspondent à un manque cruel d’infrastructures culturelles, à un besoin de larges espaces pour appréhender l’art autrement, pour créer en toute liberté. Les friches dédiées à l’art naissent de « la dialectique du manque et du désir. » Les entreprises de « défrichage » ou de « mise en culture » des friches sont ainsi généralement l’œuvre de précurseurs visionnaires (Francine Fort et Michel Jacques pour le Centre d’Architecture Arc en Rêve à Bordeaux, Christophe Pasquet pour l’association Usine Ephémères, l’association l’Oreille est Hardie pour le Confort Moderne à Poitier,…) qui cherchent à repenser le modèle artistique traditionnel et les conditions de diffusion de la culture.19 C’est en partie à cause de ces réactions contre l’institutionnalisation de l’art et des formes artistiques que produit celle-ci, que naissent les friches artistiques. Celles-ci tentent de faire émerger leur propre définition de la culture et de l’art, plus populaire, plus participative, plus locale et plus quotidienne. Déjà, à la fin du 19ème siècle, l’image d’Epinal de l’artiste était celui du bohème qui subsistait difficilement sous les toits de Paris, mais vivait passionnément son art, sacrifiant donc son confort à la perfection de son art. Cette image était déjà une réaction contre les peintres académiques de cette époque qui semblaient échanger leur liberté artistique contre leur prospérité matérielle. L’artiste bohème était le symbole du désintéressement. Aujourd’hui, l’image de la lutte contre l’académisme, la norme, les arts convenus, n’est plus celle du bohème mais semble plutôt à aller chercher du côté de l’art populaire, indigène, local.20 Les friches revendiquent une culture qui soit « non ségrégé » de la vie, qui ne se joue pas seulement dans des lieux spécifiques, fermés, cloisonnés,… Les formes culturelles ne doivent pas être séparées de « l’expérience ordinaire », de la vie quotidienne. Ces cultures indigènes, souvent nommées « cultures alternatives », et qui semblent spontanées et désintéressées, interrogent ainsi les institutions, mais aussi la segmentation croissante des domaines et activités sociales (Weber, 1959, 1964). Elles se présentent comme des modes de résistance aux segmentations des domaines et des acteurs de la vie sociale, elles tentent de « recoller les morceaux ». Pour Fabrice Raffin, la multi-disci19 Ghyslaine Thorion, « Espaces en friche, des lieux dédiés à l’expérimentation et à la création culturelle », Communication et organisation, 26 | 2005, 114-126.


Le manifeste du Lieu Unique illustre bien ces revendications :21 «Métissage des formes artistiques Abolition des frontières entre les disciplines et entre scène et public Diffusion d’une culture tant populaire qu’expérimentale Renouvellement des formes artistiques» Institutionnalisation, reconnaissance et prise en compte de ces mouvements « En plus de 30 ans, ces lieux qui fonctionnent toujours, sont devenus des équipements majeurs de leur ville : la Ufa Fabrik à Berlin, le Melkweg à Amsterdam, les Halles de Schaerbeek à Bruxelles, l’Usine à Genève, etc. Des parcours qui ne manquent donc pas de surprendre au regard d’une posture initiale contestataire, mais qui montrent la force des processus d’apprentissage et de socialisation internes aux projets culturels décrits. » 22 Patrick Bouchain voit lui dans ces friches le rôle nouveau qui a été accordé aux artistes dans les processus de mutation de certains espace publics : «C’est peut-être la première fois qu’il y a un processus d’accompagnement par les 20 Fabrice Raffin. La trame culturelle de la vibration quotidienne. Extrait du Colloque De la Friche Industrielle au Lieu Culturel, Université de Caen, juin 2012 21 Site internet du Lieu Unique 22 Qu’est-ce qu’une friche culturelle ? Entretien avec Patrick Bouchain. Propos recueillis par Romain Deschambres, octobre 2013, Saint-Pierre-des-Corps

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plinarité des formes culturelles doit être représentative de la diversité des individus qui y participent ainsi que de leurs aspirations respective.20 La culture est nécessairement plurielle, multiple, réceptive à l’altérité. Ce qui est recherché est moins une forme extraordinaire de culture qu’une forme spécifique ou personnelle. Le pluriel est de mise tant ces formes culturelles ne sont pas homogènes, évoluant à chaque génération, liées à des styles et des disciplines chaque fois originaux : chanson, jazz, rock, reggae, techno, hip-hop pour la musique par exemple. Le point commun de cette diversité culturelle serait leur lien direct entre culture et quotidien, leur place dans la vie de ceux qui les portent, leur enracinement local (« Grassrooted »). L’idée de la culture plurielle ne peut être comprise sans celle de la culture collective. Il règne dans les friches un esprit démocratique, chacun est libre d’apporter ce qu’il veut ou ce qu’il suggère bon de l’être. Le but n’est pas la chose exprimée mais le fait d’exprimer quelque chose. L’objectif est d’avantage politique qu’artistique, social qu’esthétique. L’idée est de banaliser la culture dans des moments agréables de convivialité, à travers le potentiel festif et de rassemblement de ces lieux.


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artistes d’une modification de l’occupation d’un bâtiment. Et c’est peut-être la première fois que des artistes ont été associés à un projet urbain, même si c’est un projet urbain apparemment défaillant puisqu’il est en obsolescence. Ils ont été associés à la mutation d’un espace public qui ne leur était pas destiné. » Disant ceci, il témoigne lui aussi d’un début d’institutionnalisation de ces processus et d’une reprise en main des pouvoirs publics, les friches s’étant parfois substituées aux initiatives publiques traditionnelles. En France, on peut faire naître ce processus d’institutionnalisation des friches aux années 80 lors de la politique « d’élargissement du champ d’action culturel » menée par le premier ministre Jack Lang. Celle-ci s’est appliquée à des pratiques qu’on appelait autrefois mineures : les musiques populaires, les arts décoratifs (la mode, la publicité, le design), les arts de la rue,... 23 Ces pratiques de « création » déjà consacrées par leur succès auprès de la jeunesse et par leur popularité auprès de larges couches de la société, étaient également présentes dans les friches culturelles. Certaines d’entre-elles, pionnières dans ces pratiques, se sont donc naturellement institutionnalisé. Pour Marie-Hélène Poggi et Marie Vanhamme : « Avec la consécration d’une approche dite plurielle, la culture entendue comme expression de groupes sociaux trouve dès lors sa place et sa légitimité vis-à-vis de l’institution. »24 Il semble donc que la réussite de ces lieux de culture ait favorisée la reconnaissance institutionnelle des arts qu’ils produisaient. On peut reprendre pour exemple le Lieu Unique à Nantes qui en été « promu » au rang de Scène Nationale, toujours dans cette politique de décentralisation culturelle voulue par le ministère Lang.

2. L’ancrage territorial

Fabrice Raffin, en parlant des aménagements des friches dit : « L’inscription urbaine dans les faubourgs des villes de la totalité de ces initiatives n’est pas un choix. Au mieux est‐elle un choix par défaut. »25 Il entend par là 23 Augustin Girard. Les politiques culturelles d’André Malraux à Jack Lang : ruptures et continuités, histoire d’une modernisation. Hermès 1996 24 Poggi Marie-Hélène, Vanhamme Marie. Les friches culturelles, genèse d’un espace public de la culture. In: Culture & Musées, n°4, 2004. Friches, squats et autres lieux : les nouveaux territoires de l’art ? (sous la direction de Emmanuelle Maunaye) pp. 37-55. 25 Fabrice Raffin. La trame culturelle de la vibration quotidienne. Extrait du Colloque De la Friche Industrielle au Lieu Culturel, Université de Caen, juin 2012


que ces initiatives s’installent là où elles peuvent, là où elles trouvent un lieu. D’ailleurs elles naissent souvent devant le constat de l’inoccupation de ce lieu. Cependant la majorité de ces projets possèdent une dimension commune qui est celle de l’inscription territoriale. Les friches culturelles sont avant tout l’œuvre de riverains et sont destinées aux habitants vivant à proximité. Et même si certaines associations opèrent « à distance », comme l’association Friches Ephémères 26, la majorité « fait partie » du contexte. Les friches culturelles sont avant tout liées à un contexte géographique et socioculturel précis.

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26 Parmi les lieux montés par l’association, on trouve la Base dans les Hauts de Seine (1987-1990), l’Hôpital Ephémère à Paris 18ème (1990-1997), l’Usine de Méru dans l’Oise (1990-1994), le Quartier Ephémère à Montréal-Canada (1994-1999), Le Lien à Fès, Tétouan, Casablanca au Maroc, Mains d’oeuvres à Saint-Ouen (2000-…), le Garage à SaintOuen (2001-…), la Caserne à Pontoise (1999-2004), la Fromagerie à Aubervilliers (2002-…). Amélie Thiénot. Les friches artistiques, Territoires singuliers. Mémoire de TPFE. Sous la direction de Janine Galiano. 2003

Fig. 22 Fabrique Théâtrale de Loosen-Gohelle (Pas-de-Calais)

Tout d’abord, elles composent avec un lieu, une activité, une histoire préexistante, et forment donc des témoignages physiques de l’histoire ouvrière et populaire de ces lieux, ensuite, de par leurs dimensions, elles constituent un véritable enjeu urbain, et enfin leur « réactivation » est également synonyme de dynamisation sociale d’un territoire.


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De la « Mémoire Laborieuse Locale » vers la Patrimonialisation L’Usine à Genève, les Frigos à Paris, El Matadero (l’abattoir) à Madrid, La cartonnerie à Pont-Audemer, Le Magasin à Grenoble, les Halles de Schaerbeek à Bruxelles, etc, toutes ces friches reprennent soit le nom de leur ancienne activité, soit des termes appartenant au champs lexical de l’industrie. On notera aussi que la Friche Belle de Mai à Marseille, ou la Recyclerie dans le 18ème arrondissement, tout en restant dans un champ lexical similaire, assument déjà leurs nouveaux statuts et témoignent de l’évolution du lieu.27 Toutefois, la dénomination de ces lieux se veut souvent assez directe, voire parfois brute, et fait comprendre explicitement au visiteur qu’il se trouvera dans un lieu non conventionnel si ce n’est alternatif. Premièrement, et avec ce geste, les friches associent les dimensions créatrices des anciens et nouveaux pro-grammes. Elles légitiment leur nouvelle action, elle aussi créatrice. Pour Gyslaine Thorion, « Ces dénominations induisent une certaine image de l’art : l’art est un geste, un travail. Elles lient l’art, jugé souvent comme conceptuel, abstrait, à la mémoire du monde industriel où domine le faire. C’est une proposition du retour à la matière, l’idée d’une vitalité collective, laborieuse qui est ici sous-jacente. »28 Cette association se comprend aussi par le fait que les pratiques artistiques nécessitent sensiblement les mêmes espaces que les activités industrielles. Deuxièmement, leurs différentes dénominations prolongent l’histoire de ces lieux. Elles participent à leur dimension patrimoniale. Elles sont le reflet de nouvelles considérations patrimoniales et sociétales apparues dans les années 70 lors des premières fermetures d’usine. Devant la promesse d’un avenir incertain, les pouvoirs publics ont commencé à se rendre compte de la grande valeur architecturale, scientifique, ou historique de ces lieux. Alors que ces bâtiments semblaient être déconsidérés du temps où ils étaient utilisés, leur fermeture a révélé leur fragilité, leur valeur historique (inscrite dans une époque), et donc le besoin d’en conserver certaines en tant que témoignage d’un passé laborieux, d’expression d’une civilisation, de savoirs-faire,... En outre, à leurs époques, ces usines, ces magasins, ces 27 Il convient de dire que Le Channel à Calais, le 104 à Paris, le Lieu Unique à Nantes, par exemple, ne témoignent pas explicitement de leur ancienne activité, leur dénomination relève leur inscription à un lieu particulier. 28 Ghyslaine Thorion, « Espaces en friche, des lieux dédiés à l’expérimentation et à la création culturelle », Communication et organisation, 26 | 2005, 114-126.


Aujourd’hui, la notion de Patrimoine Industriel, même si elle n’a pas permis l’inscription de celui-ci au titre des Monuments Historiques, à encourager envers lui une forme d’attention. Il est rare que sa destruction soit directement envisagée, voire totalement réalisée. Celle-ci a lieu lorsque le bâtiment est trop délabré pour être réutilisé ou lorsque un nouveau programme peut se permettre politiquement et économiquement de le remplacer (Halles de Paris). Les friches industrielles constituent un exemple particulier de bâtiment à valeur patrimoniale, utilisé quotidiennement. Cette utilisation quotidienne permet à ces bâtiments, et contrairement aux musées situés dans des bâtiments « patrimonialisés », d’évoluer, de prolonger leur histoire, et de résister au figement qui guette les bâtiments trop "labellisés". Les friches industrielles réussissent donc à conjuguer valeur d’usage et valeur patrimoniale. Les enjeux urbains de la désindustrialisation «La place des espaces abandonnés dans les villes est telle qu’une étude de l’American Institute of Architects prévoit que durant ce siècle, 90% des interventions architecturales dans les villes concerneront des structures existantes. Les friches représenteraient en Europe 200 000 hectares dont 80% liées à la désindustrialisation (usines, entrepôts, halles…). Seul 20% sont réhabilitées à des fins économiques ou, plus rarement, à l’initiative des Pouvoirs Publics et en raison de leur valeur patrimoniale, à des fins culturelles: musées, universités, médiathèques. La plupart de ces anciens lieux de production ne suscitant pas l’intérêt des promoteurs, ni celui des Pouvoirs Publics sont laissés en l’état, façade noircie, murs lézardés, fenêtres brisées,

29 Actes du Colloque Patrimoine industriel et Société Contemporaine, Le Creusot, 19-22 septembre 1976, Ecomusee, 1979, 91 p

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gares,... ont en effet vu défiler de très nombreuses histoires, des moments, des joies lors des augmentations, des peines lors des plans de licenciement, toutes inscrites dans une mémoire collective. C’est dans le but de sauvegarder cette mémoire qu’est apparu la reconnaissance des bâtiments et sites industriels en tant que Patrimoine. Cette notion est apparue en Angleterre dans les années 40 et à la fin des années 70 en France, notamment à la lumière du colloque organisé au Creusot en 1976 ayant pour thème « La conservation du Patrimoine Industriel dans les sociétés contemporaines. »29


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déchets dans l’espace urbain.»30 Cette introduction de Marie Vanhamme expose bien l’ampleur du phénomène d’obsolescence qui touche actuellement les villes et les territoires européens. Pour ceux-ci, la présence de bâtiments abandonnés en leur sein présente de nombreux enjeux. Ces derniers sont d’ordre économique et social puisque leur fermeture plonge certains habitants dans le chômage, paysager, car ces bâtiments laissent généralement une marque profonde dans leur environnement (la tour de la Tate Modern culmine à 99m de hauteur au centre de Londres), et enfin foncier, car ces espaces sont parfois bien situés dans les villes, à l’heure où celles-ci cherchent généralement à se densifier. A Sochaux, jusque dans les années 90, environ un quart de ses habitants étaient employés dans les fameuses Usines Peugeot. A cause des délocalisations successives, la ville a progressivement perdu 1/3 de ses habitants. Elle en compte aujourd’hui environ 3900 (2013) alors qu’elle en comptait 7 500 en 1962.31 A l’échelle américaine, la ville de Detroit capitale de l’automobile (Ford, Genral Motors, Chrysler), compte aujourd’hui 700 000 habitants contre 1 800 000 dans les années 50.32 Ces deux exemples illustrent bien les enjeux économiques auxquels doivent répondre les villes et les territoires face à la désindustrialisation. Le fait de dépendre d’une seule activité économique peut se retrouver extrêmement préjudiciable lors du ralentissement de celle-ci. Aujourd’hui la représentation collective de l’usine abandonnée réside autant dans les images de poutres en acier effondrées, de sols jonchés de gravats et de verrières brisées, que dans les paysages de déshérence économique qu’elle évoque. La désindustrialisation a parfois amené à la formation de vastes paysages inhospitaliers, déserts, froids, vides, certes intrigants, mais problématiques lorsqu’il s’agit de les utiliser quotidiennement. Ces représentations collectives ont amené naturellement une déconsidération des espaces industriels. Cependant, celle-ci tend à être contrebalancée aujourd’hui par la révélation de leur(s) potentiels(s). Alors qu’elles étaient autrefois synonymes d’échec, les friches industrielles semblent dorénavant, 30 Marie Vanhamme. Préface de la Publication Art en friches. Usines désaffectées, fabriques d’imaginaires. Editions Alternatives. Novembre 2001. 31 Christophe Deroubaix. Les trois raisons de la faillite de Detroit. Site internet du journal l’Humanité. Dimanche, 21 juillet, 2013 32 Jacques Balthazard. Psa Sochaux, troisième site industriel de France sous la barre des 10 000 salariés. L’est républicain. 29/04/201


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porteuses de promesses notamment dans les grandes villes où le foncier se fait de plus en plus rare (cela est nettement moins vrais dans les campagnes par exemples où subsistent le plus de friches). Ces espaces restent de moins en moins longtemps à l’état de friche, et sont soit détruits soit réaménagés en fonction de leur état, de leur potentiel d’usage, de leur adaptabilité, des volontés publiques, etc. La ville de Bilbao par exemple a entrepris dans les années 80 de rénover les bâtiments industriels abandonnés qui étaient situés en son centre. Aujourd’hui, associées à l’expressif Musée Guggenheim, ces rénovations participent au « renouveau » de la cité Basque33. Ainsi la désindustrialisation, peut soit devenir un poids pour les collectivités et les habitants, soit participer, à travers la réhabilitation, à leur dynamisme symbolique (re-naissance) et social (ré-activation), et à l’attractivité de ces territoires. 33 Franciso J. Gacia de la Torre. Bilbao, Arquitectura, secunda edicion. Garcia de la Torre Arquitectos. 2013

Fig. 23 Nouvel usage pour un ancien théâtre à Detroit

Producteur de lien social La sociologue Ghyslaine Thorion explique dans un article paru en 2005 dans Communication et Organisation à propos des friches que celles-ci : « […] ont vocation à transformer l’environnement urbain, à créer une dynamique culturelle de proximité, à se rapprocher des publics que souvent les organisateurs nomment « populations » pour bien marquer leur enga-


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gement dans la vie de la cité. Cet engagement, nous le résumerons sous les termes de « culture participative », de « culture du lien social. »34 On pourrait rajouter que cet engagement est fortement localisé comme en témoigne l’objectif qu’assigne la municipalité marseillaise à la Friche Belle de Mai, celui « d’animer un quartier mort culturellement et éviter sa trop forte déshérence. »35 Le but est de développer des projets socioculturels avec les acteurs locaux, de les faire partager des choses, de les impliquer dans leur quotidien et aussi de « diffuser la culture » : Les diffusions des œuvres ouvrent de multiples endroits fermés à la population. Elles permettent le métissage des personnes lors de représentations, de journées portes ouvertes, l’accès à un public autre, jusque-là peu enclin à la fréquentation de lieux culturels. En matière d’art contemporain, c’est une alternative aux galeries d’art réservées souvent à des initiés.»34 Ces lieux décalés expérimentent de nouvelles modalités de rapports au public, poursuivent une recherche exigeante d’un nouveau public, considéré non plus comme simple spectateur mais co-auteur de l’œuvre. « Le lieu existe plus fort que le spectacle et les gens plus forts que le lieu »36, estime Jo Dekmine. Le lieu, l’espace est un prétexte à la sociabilité, à la création d’une historie collective, comme en témoigne la construction du « Grenier du Siècle » à Nantes où les habitants qui le souhaitaient ont déposé un objet qu’ils jugeaient représentatif de leurs existences, dans une boite en fer blanc destinée à n’être ouverte qu’un siècle plus tard.37 En remplissant un rôle la fois social et culturel, les friches culturelles se sont transformées de facto en équipement public de proximité. Même si leur statut et leur fonctionnement sont différents, elles remplissent, de manière alternative, des fonctions semblables. Leur action se veut avant tout territoriale comme le montre la déclaration d’intention du site internet de Culture Commune, Scène Nationale du Bassin Minier du Pas-de-Calais, une friche transformé notamment en théâtre : « Association intercommunale de développement artistique et culturel, Culture commune est née en 34 Ghyslaine Thorion, « Espaces en friche, des lieux dédiés à l’expérimentation et à la création culturelle », Communication et organisation, 26 | 2005, 114-126. 35 Andres Lauren, Grésillon Boris, « Les figures de la friche dans les villes culturelles et créatives. Regards croisés européens », L’Espace géographique, 1/2011 (Tome 40), p. 15-30. 36 Fabrice Raffin, Espaces en friche, culture vivante, Le Monde Diplomatique. Octobre 2001 37 Christophe Catsaros, Laurence Castany. Le Lieu Unique. Le chantier, un acte culturel / Nantes, Actes Sud Beaux-Arts, L’Impensé, Septembre, 2006


On peut schématiser en disant que ces actions de rénovation urbaine pour une réactivation sociale sont d’avantage destinées aux catégories populaires chez qui le lien social fait d’avantage défaut qu’aux catégories plus aisées. Cependant, certaines entreprises de régénérations de quartiers industriels amènent aussi d’autres catégories séduites par la perspective d’espaces habitatifs bon marchés et originaux et d’équipement culturels alternatifs de proximité, entraînant ce fameux phénomène actuel de gentrification qui a tendance à éloigner les catégories populaires des quartiers « attractifs » et « dynamiques » de la ville. On peut prendre comme exemple le projet Flon à Lausanne, ancienne plate-forme de stockage composée d’une série de bâtiments et de hangars, transformée en magasins de fripes, d’artisanat, dancing, galerie d’artiste,... qui, en raison de sa centralité, et de son dynamisme, a attiré de nouvelles catégories de Lausannois, plus aisées. Le Flon, au regret de certains de ses anciens habitants, est rentré dans le rang, est devenu un quartier normal de la ville. « C’était un endroit anarchique. Aujourd’hui les gens aiment bien mais c’est devenu un endroit un peu plus banal, plus normal, qui commence à devenir un endroit de ville ordinaire » disait un habitant interrogé par Andres Lauren.39

38 Site internet de Culture Commune, scène nationale du Bassin Minier du Pas-deCalais. 39 Lauren Andres, « Temps de veille de la friche urbaine et diversité des processus d’appropriation : la Belle de Mai (Marseille) et le Flon (Lausanne) », Géocarrefour, Vol. 81/2 | 2006, 159-166.

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1990, enjeu majeur de la transformation, de la réhabilitation, de la mise en mouvement d’un territoire -le Bassin minier du Pas-de Calais- au moment de la fermeture de la dernière mine de la région. Rassemblant communes et intercommunalités, unies dans une même volonté de se construire un devenir, elle se donne pour but de soutenir la mise en œuvre de nouvelles politiques culturelles et d’initier des projets artistiques en tous lieux et sous toutes les formes, pour et avec les personnes du territoire. »38 Ces initiatives prennent généralement bien compte le lien qui existe entre malaise « socio-culturel » et désindustrialisation avancée.


C. Esthétiques

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Lorsque l’on pénètre dans une friche culturelle, on remarque certains aspects physiques : hauteur, lumière, matérialité,… qui caractérisent de suite ce type de lieu. Ces aspects, et leurs associations, fortuites ou non, produisent certaines esthétiques, propres aux friches industrielles. Le terme esthétique est ici moins compris dans son sens philosophique qui cherche à définir objectivement ce qui est beau et ce qui ne l’est pas,40 que dans un sens plus prosaïque, cherchant d’avantage à relever puis à décrire les caractéristiques propres de ces lieux, et comment elles provoquent certaines impressions chez le visiteur, et guident une certaine création chez l'artiste. Ces caractéristiques originales que ces lieux partagent et qu’on ne retrouve généralement pas ailleurs leur donnent un certain charme, une certaine beauté. Se retrouver seul sous une verrière située à 30 mètres du sol, portée par des poteaux en acier rouillé est une expérience très particulière de l’espace. L’échelle domestique est totalement abandonnée au profil de l’échelle de la production de masse, dans laquelle on a peu l’habitude de se mouvoir. Les sens sont quelque peu désorganisés, de la même manière que lorsque l’on se retrouve dans une Cathédrale. « Vous ne dites pas les mêmes choses dans un petit espace que dans un grand » 41 Louis Kahn parle ici de la discussion, mais on peut aisément remplacer ce terme par celui de la création. On ne créé pas les mêmes choses dans un espace et dans un autre, l’environnement agissant toujours, à un moment donné sur la personne qui créé. Si l’on prend Louis Kahn à la lettre, ces types si particuliers d’espaces, les friches industrielles, ne sont donc absolument pas neutres dans le processus créatif des gens qui y travaillent et qui y produisent. On distingue ici trois esthétiques : celle de la monumentalité, donnée par les dimensions et la lumière, celle du déjà-là et de la trace du passé, donnée par les marques du passé encore restante, et enfin celle du ré-emploi, donnée par les nouvelles interventions qui parsèment les friches culturelles, les éléments rapportés mais qui composent avec l’architecture. 40 D'après la définition du Littré 41 Louis I. Kahn, « Silence et lumière », Presses polytechniques et universitaires romandes, Lausanne, 2000, p. 44 [trad. Philippe Meier]).


1. Esthétique de la monumentalité, de la grandeur Les machines à vapeur, les chaines de montage, le décloisonnement des espaces, la taille des outils de productions amènent naturellement les espaces qui les contiennent à s’élargir. Le besoin de lumière naturelle amène ces mêmes espaces à s’élever. Ainsi, pour des raisons techniques, les bâtiments industriels sont généralement grands et lumineux. Assimilés aux cathédrales car possédant des caractéristiques physiques similaires (grande hauteur, lumière arrivant par le haut, matériaux simples et massifs, froid qui y règne, écho qui s’installe, …), on peut dire que comme ces dernières, ils possèdent une sacralité inconsciente. On dit souvent des grandes usines qu’elles sont les cathédrales des temps modernes, l’expression d’un génie humain collectif, impersonnel. 42 Fabrice Raffin, La trame culturelle de la vibration quotidienne, Extrait du Colloque De la Friche Industrielle au Lieu Culturel, Université de Caen, juin 2012

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« Les friches issues du processus de désindustrialisation enclenché principalement depuis les années 1970, présentent des spécificités qui sont distinctes de l’architecture dite « urbaine » (immeubles d’habitation, équipements publics, etc..) ou « rurale ». On pourrait qualifier ces lieux par un certain gigantisme à l’échelle du paysage, des situations urbaines souvent très particulières, le plus souvent à l’écart des centres‐villes, et fréquemment constituant de faubourgs. Les matériaux et textures particuliers sont également spécifiques : fonte, acier, verre et brique industrielle, assemblés dans des systèmes constructifs particuliers, qui permettent notamment le franchissement de grandes portées, afin de libérer au maximum l’espace de production de toute entrave structurelle; l’espace intérieur est souvent constitué de grands volumes avec des hauteurs conséquentes, baignés d’une lumière zénithale et ponctués de trames de poteaux répétitives. En l’absence de chauffage et d’isolation, les amplitudes thermiques sont accentuées en hiver et en été; la poussière et les odeurs résiduelles des anciennes activités imprègnent encore souvent les lieux. Les infrastructures, ponts roulants, machines et objets abandonnés, relatent la mémoire de l’activité ancienne et participent à l’esprit des lieux (genius loci) ; les textures des murs et leurs coloris portent les cicatrices du passé, et se métamorphosent sous l’effet de la lumière. »42


C’est cette analogie avec d’autres espaces qui partagent les mêmes caractéristiques qui donnent à certains bâtiments industriels une impression de solennité. Un exemple est celui de la Tate Modern à Londres, ancienne usine de turbine électrique transformée en centre d’art, où l’espace central, très haut, en longueur et éclairé à son sommet, possède les caractéristiques spatiales d’une Cathédrale gothique.

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«Dans d’autres formes esthétiques, on retrouve le besoin d’utiliser les traces du monde industriel comme éléments de scénographie. Pour les artistes, les variations de l’espace permettent de développer des projets inattendus, de s’ouvrir à de nouvelles expériences, de mettre en valeur le patrimoine. Chaque artiste investit de ses oeuvres l’usine ou l’entrepôt en se servant de l’architecture originelle du lieu, des teintes sur les murs ou des objets laissés à l’abandon. L’art se fond dans un espace où règne le poids de l’histoire. L’atmosphère générée est alors singulière et surprenante.»

Cette impression de solennité est parfois renforcée par la décoration des éléments d’architecture ; les poteaux, les murs, les sols et les toits. Il arrive que comme dans les cathédrales gothiques, ces éléments soient finement ouvragés, ciselés, dessinés,… et renforcent le caractère précieux et donc solennel de ces édifices. C’est le cas du 104 à Paris où les poteaux et les poutres en acier sont délicatement découpés, allégeant visuellement la structure. Parfois, ces lieux ne sont pas décorés, le sol est uniforme, les murs lisses, les poteaux minimaux, et ces lieux éminemment fonctionnels perdent quelque peu leur aura et leur transformation est plus compliquée car l’esprit du lieu est moins perceptible. Cette monumentalité donnée par les grandes surfaces et les grandes hauteurs influe sur la création. Elle donne un sentiment de liberté et incite inconsciemment au déploiement de grandes œuvres, à la mise en place d’œuvres bruyantes, énergiques, dynamiques. Même si cela peut paraître évident on observe une volonté de réaliser quelque chose à l’échelle du lieu, de s’accorder à l’esprit du lieu. « Les friches permettent d’appréhender l’espace librement, autrement. Un « lieu où la place du public, de la scène, les entrées et sorties des artistes sont modifiables, où la lumière naturelle peut surgir, comme dans une cathédrale »43 confie Dominique Chante, metteur en scène. L’architecture des lieux offre une liberté totale à la recherche et à la création, car grâce à ses dimensions et à sa flexibilité intrinsèque elle est modifiable, adaptable selon les projets artistiques.

Ghyslaine Thorion 43 Ghyslaine Thorion. Espaces en friche, des lieux dédiés à l’expérimentation et à la création culturelle. Communication et organisation n°26. 2005


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Fig. 24 Tate Modern à Londres

2. Esthétique de la ruine et du déjà-là

Initialement, le non-fini n’est pas une esthétique et si les équipements techniques, certaines machines qui peuplent l’espace les trous dans les murs, les peintures partielles, les marques des coups sur le sol restent visibles, c’est d’avantage par manque de moyen que par choix. Tous ces éléments sont autant de traces qui témoignent d’une activité initiale. Ces éléments, en tant qu’unique apparition d’un lointain44 (Benjamin) donnent au bâti44 Walter Benjamin, L’Œuvre d’art à l’époque de sa reproductibilité technique, Payot, Paris, 1939


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Fig. 25 Bâtiments industriels en ruine

ment une aura, un crédit supplémentaire, et aujourd’hui, certains projets culturels en quête d’identité (d’aura) revendiquent cette esthétique. C’est le cas de l’école d’architecture de Roma Tre, ancien abattoir, où les rails et les crochets servant à suspendre les animaux, ont été conservés et rénovés, assumant ainsi l’histoire, presque sordide, du lieu. Qu’elle soit fortuite ou volontaire, cette esthétique est une caractéristique essentielle des friches culturelles, et rares sont celles qui l’abandonnent totalement, au profil d’une autre, qu’elle soit celle du luxe, de la domesticité, de la tradition,… car elle apparaîtrait immédiatement comme incongrue. Le choix des termes qui désignent certaines friches est, sous un autre angle, symptomatique de cette appropriation des codes, comme le souligne Philippe Chaudoir de “Hors Les Murs” pour qui tout un vocabulaire de la production industrielle qualifie ces sites culturels. C’est ainsi que l’on trouve : “Main d’œuvres” à Saint Ouen, “l’Usine” à Blagnac, “Les Labos” à Aubervilliers, “Les Tanneries” à Dijon, “La Fonderie” au Mans, “L’Antre-peaux” à Bourges, “UfaFabrik” à Berlin, “Les Halles de Schaerbeek” à Bruxelles… "Ces dénominations induisent une certaine image de l’art : l’art est un geste, un travail. Elles lient l’art, jugé souvent comme conceptuel, abstrait, à la mémoire du monde industriel où domine le faire. C’est une proposition du


Autant que la dénomination du nouveau lieu qui s’inspire ou reprend celle de l’ancien, la considération des traces du passé, du non-fini, est quelque chose qui permet une certaine appropriation du lieu, qu’elle soit à visée créatrice (artiste) ou juste temporaire (visiteur). En effet un lieu possédant des impuretés, des marques, quelques éléments vieilli est, inconsciemment, d’avantage apte à supporter une activité qui, par son action répétée, serait susceptible de lui nuire. Pour Patrick Bouchain : « En travaillant sur des friches industrielles, je devais laisser la trace de ce qui avait été construit, même si cela avait été mal fait. J’ai complété cette réflexion en affirmant qu’il valait mieux réaliser un bâtiment non fini. On a des bâtiments trop finis. C’est comme si c’était une mort avancée. Pour faire des lieux ouverts, il faut construire des lieux bruts qui laissent la possibilité à son occupant d’oser le transformer lui-même, de se l’approprier. C’est ce que j’appelle la petite appropriation. »46 Pour Anne Lacaton: "Une forme de perfection, souvent recherchée dans les musées impose une distance entre les œuvres et le spectateur. Finalement, l'imperfection qui peut exister au Palais de Tokyo rend assez familière l'approche à l'art. Ca ne veut pas que c'est vulgaire, imprécis, ou de qualité inférieure. C'est simplement une forme plus humaine."47

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retour à la matière, l’idée d’une vitalité collective, laborieuse qui est ici sous-jacente. »45 On assiste alors à un mélange d’un retour à une histoire commune, propre, d’une volonté de recyclage physique de ces lieux (Rénovation et prolongement d’un imaginaire). Les deux univers, créatif (friche culturelle) et productiviste (usine) étant généralement perçus comme assez proches, on se rend compte que le lieu productiviste tend à donner une légitimité à la chose créatrice produite en son sein. On pourrait dire qu’il y a là une certaine connivence créatrice entre ces deux programmes qui expliquerait à fortiori leur présence dans (sensiblement) les mêmes espaces.

"Finalement, l'imperfection qui peut exister au Palais de Tokyo rend assez familière l'approche à l'art." Anne Lacaton

45 Ghyslaine Thorion Extraits de : Usines désaffectées : fabriques d’imaginaires. Marie Vanhamme. Patrice Loubon. Editions alternatives. Paris. 2001 46 Qu’est-ce qu’une friche culturelle ? Entretien avec Patrick Bouchain. Propos recueillis par Romain Deschambres, octobre 2013, Saint-Pierre-des-Corps 47 Anne Lacaton interviewé par David Cascaro dans Le musée décontracté, Une installation des Lacaton&Vassal au Palais de Tokyo, ouvrage non publié, réalisé en 2006


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Le Cappricio ou la ruine habitée On repère également de nombreuses analogies avec le Cappricio (Caprice en français), genre pictural où sont représentés des éléments architecturaux, réels ou fantasmatiques, en ruine ou non, produisant des atmosphères et des situations fantastiques, voire oniriques ou surréalistes. Certains mettent en scène des architectures antiques en ruine et des personnages (paysans, flâneurs, enfants…) contemporains des peintres (comme le montre la Gravure de Piranèse représentant un paysan faisant paître ses bœufs dans ce qui semble être la ruine d’un temple grec). Le Capriccio produit des atmosphères intemporelles qui dégagent un sentiment de calme et de sérénité. Parfois ces atmosphères semblent post-apocalyptiques, où les grandes civilisations auraient disparues et auraient laissé la place à une époque profane, de paix, et où ces architectures antiques seraient simplement des décors, des arrières plan, traversés indifféremment par de banals personnages. Ceux-ci trouvent un écho particulier avec le Palais de Tokyo par exemple, puisque comme celui-ci, ils mettent en scène une architecture classique délabrée, dénuée de toute portée symbolique, de toute fonction sacrée et arpentée par des personnages banals, et profanes (le staffage. 48). Ainsi, que 48 En peinture, le mot staffage, terme hybride provenant de l’allemand, désigne les figures humaines et animales d’une scène, en particulier dans les paysages, qui ne sont pas le sujet principal de l’œuvre. Définition Wiktionnaire

Fig. 26 Giovanni Paolo Panini, Un capriccio de ruines classiques avec Diogène jettant sa coupe, vers1730


ce soit dans une gravure de Piranèse ou dans le Palais de Tokyo, on retrouve cette même impression parfois étrange, ce décalage entre un lieu et son public. C’est ce décalage qui produit des situations originales, une atmosphère particulière.

3. Esthétique du Ré-emploi

Aujourd’hui la logique de destruction/reconstruction d’une architecture ou d’un objet, celle de la tabula rasa, chère au mouvement moderne, commence à s’essouffler. Cependant si l’on envisage d’avantage la réutilisation des choses anciennes, deux logiques principales parfois contradictoires, ou qui se complètent, mènent à celle-ci. Tout d’abord elle est la conséquence d’une prise de conscience politique de la nature finie de nos ressources naturelles, ensuite elle est souvent motivée par le côté esthétique qu’elle propose. Toute entreprise de réemploi possède inévitablement un côté politique et un côté esthétique. L’intention politique s’esthétise, et l’esthétique se politise. Parfois l’intention esthétique est masquée ou justifiée par une posture politique même si celle-ci est en réalité contingente.49 Dans les friches industrielles, on observe une tendance assez générale au ré-emploi de certains éléments, dans une forme propre ou détournée, que ce soit pour les chaises, les luminaires, les tables, les meubles de bar, certains parements,… 49 C’est le syndrome du jean troué. Le jean troué étant le symbole du négligemment esthétique au profil de considérations anticonformistes (Kurt Cobain), à partir du moment où il est non seulement revendiqué mais commercialisé, en tant que jean troué, il devient uniquement esthétique et perd son rôle de symbole. L’absence d’esthétique est une esthétique.

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D’autre part, le capriccio est une réflexion critique sur la succession ou l’enchaînement des Epoques, sur l’Héritage, ce qui est laissé aux générations futures et sur la manière dont cet Héritage est appréhendé à une époque ultérieure. Comme si la « grande architecture » avait été, en fin de compte, rendu au peuple, car arpentée librement par lui et avait perdu toute fonction symbolique. L’architecture est désacralisée et ré-employée. Le cas du Palais de Tokyo est représentatif du cas où l’architecture est conservée, révélée mais totalement désacralisée et donnée aux visiteurs, dans sa totalité, et presque dans sa vieillesse.


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Fig. 27 La Recyclerie, ancienne gare de la petite ceinture dans le 18ème arrondissement à Paris

Prenant pour exemples les squats Ouest-Berlinois des années 70-80, de nombreux lieux, en France et dans le monde, ont récemment vu le jour dans les grandes villes. A la différence près que ces lieux n’abritent plus des marginaux ou des immigrés, mais des catégories de populations totalement différentes séduites, non par une attractivité économique, mais par l’imaginaire que ces lieux proposaient. Ces lieux actuels sont dits « alternatifs » mais sont souvent des lieux de gentrification. Pour caricaturer, les nouvelles populations qui investissent ces lieux cultivent un goût pour l’original, le particulier, le différend, et rejettent à la fois les codes "bourgeois" et les codes "mainstreams" (populaire aujourd’hui) tout en s’appropriant d’anciens éléments populaires (les bistrots) ou des éléments venus d’ailleurs (les restaurants africains). Pour caricaturer et pour reprendre une expression de Roland Barthes, on assiste alors à la création d’un nouvel imaginaire « pseudo-populaire métissé», «alternatif-confortable» pour « petit-bourgeois » (les fameux bobos). D’autre part, cette catégorie de population souvent jeune, cultivée, et ouverte sur le monde est séduite par les arts de la rue, les évènements de quartier, la vie en plein air, etc, bref des pratiques éminemment populaires, signe qu’un renversement des conditions s’opère. On pourrait également poursuivre en disant que les catégories « vraiment » populaires sont, elles, séduites par l’imaginaire bourgeois, celui du luxe, de l’ostentation, du neuf, etc. achevant ce renversement des conditions.


Le paragraphe précédent introduit ces tendances actuelles qui s’emploient à reconsidérer les restes, les laissés-pour-compte de la société productiviste industrielle. Elles sont le signe qu’on ne s’inscrit pas dans sa logique qui mène à la fois au gaspillage et à l’homogénéisation. Elles sont parfois mal considérées, s’apparentant à de la débrouille, à quelque chose de mal fait, de sale, de laid, et étant associées aux modes de vivre des populations précaires ou du tiers-monde. Cette rusticité qu’amène le réemploi est généralement revendiquée par les usagers des friches culturelles (ne serait-ce que dans le terme friche culturelle) alors qu’elle est encore méprisée par d’autres, car associée à des imaginaires encore trop éloignés des codes qui prévalent aujourd’hui. Le réemploi est un geste politique puisqu’il tend à s’opposer au système actuel, qui basé sur la croissance infinie, condamne presque ces initiatives qui pourrait lui nuire. Bien entendu, la prise de conscience s’est opérée et le réemploi s’immisce progressivement dans nos habitudes, et n’est plus déconsidéré, mais commence à être envisagé (dans la construction par exemple même si il n’est pas systématique). Nous entrons petit à petit dans l’ère de ce que nous pourrions appeler la post-production.50 Celle-ci est globalement née en 1972 et la réunion du Club de Rome, où l’Humanité qui, prenant alors conscience du caractère fini de la planète et donc de la nécessité, devant la surconsommation des ressources de celle-ci, commence à revoir ses systèmes de consommation et de production. Aujourd’hui, l’individu se rend compte que le modèle dominant 50

Nicolas Bourriaud, Post-Production, Les presses du réel, 2003

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A l’échelle architecturale, on assiste la production de lieux « informels », dont le sens, la forme, ou leur spatialité se détache des normes connues. L’expérimentation par opposition à la standardisation est de mise. Par exemple pour un bar éphémère ; la cohérence, le design, l’harmonie… ne sont pas recherchés, au profil de l’économie et de la créativité. Plus le lieu joue avec ces codes, mêle habilement ancien et nouveau, plus il est vu comme "tendance". De la même manière, à l’échelle de l’objet, plus un objet du lieu est détourné de sa fonction initiale plus il aura de succès (si il s’adapte à sa nouvelle fonction bien sûr). L’archétype de cet objet est bien sûr la palette de manutention, objet éminemment standard aux dimensions fixes (80x120cm) et qui permet travaillé ou non, une multitude d’utilisation originales (étagères, chaises, escaliers, jardinière…). Il agit comme le symbole de la standardisation détournée.


n’est pas soutenable (traduction littérale de l’anglais sustainability)51 et il cherche alors à s’en affranchir, et à fabriquer lui-même son cadre de vie. Il propose une attitude citoyenne et responsable en réutilisant tout ce qui peut l’être, et en limitant sa consommation de choses périssables.

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Une anecdote montre que l’attention à l’existant, à ce qui a vécu, n’est pas née de cette réunion du Club de Rome mais était déjà présente dans certaines cultures et a pu prendre des formes originales. Dans la tradition japonaise, lorsqu’une théière était fendue, il était d’usage de combler la fente avec soit un fin dépôt d’or, soit quelque matériau de couleur dorée, qui loin de la masquer, la révélait. Ainsi, pendant la cérémonie, l’hôte présentait la théière à son invité du côté où elle présentait la « blessure », celui-ci se servait, puis représentait la théière à son hôte en lui présentant également le côté fendu. Cette trace de vécu conférait à l’objet une nouvelle valeur, une nouvelle dimension, et le jeter aurait été considéré comme une négation de son histoire. Réutiliser et Faire Aujourd’hui deux volontés sont souvent, et de manière assez naturelle, associées (le réemploi et le faire) car elles sont porteuses de ce qu’on pourrait appeler une « idéologie alternative » où le rapport au monde est revu sous un autre angle. Il s’agit de ne pas concevoir avec des choses, objets, matériaux, standardisés, fixes, aux objectifs précis et limités qu’on nous impose, mais de sélectionner ces éléments, de les requestionner, et de leur trouver une nouvelle utilisation. Il s’opère alors une forme de distanciation critique vis-à-vis du mode de production et de distribution des objets. Dans les friches, règne souvent une joyeuse athmosphère créatrice, motivée par la satisfaction de produire quelque chose soi-même, que ce soit une danse, un dessin, ou un gâteau. Encore ici, il est intéressant de regarder le travail qu’entreprend depuis quelques années l’entreprise/collectif/association Bellastock. L'association d’anciens étudiant en architecture possède à la fois la volonté de réutiliser les choses anciennes (de faire du recyclage) et celle de faire physiquement quelque chose, de ne pas rester détaché de la matière. Elle essaye de faire 51 Sustainabiliy : la traduction rigoureuse de ce terme anglais est durabilité. Cependant la traduction littérale soutenable traduit mieux ce que notre environnement peut supporter sur le long terme. La durabilité renvoyant plus à la pérennité.


Conclusion de la seconde partie

Les friches culturelles forment un phénomène assez récent, nées à la fois du contexte de la désindustrialisation, et à la fois de l'émergence de nouvelles manières alternatives d'occuper l'espace public et l'espace artistique. Fragiles transmetteurs d'une culture populaire et d'une sociabilité retrouvée, elles composent avec une certaine poésie, donnée par une atmosphère mêlant ruines et souvenirs, et par une certaine chaleur et une humanité régnante Certes précaires, elles restent cependant porteuses d'un message social, incluant, participatif, créatif, émancipateur, et finalement populaire.

52 Jean-Jacques Larrochelle, Une ville flottante éphémère s’ébat à Achères, Le Monde Culture. Juin 2014.

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retrouver aux participants de ses festivals, le « plaisir de la matérialité, des choses vraies. »52 S’opère alors une forme de purgation où la conception et la réalisation d’un projet se retrouvent simultanées. Le fait de participer physiquement à la construction de quelque chose est presque salutaire dans l’architecture d’aujourd’hui où l’on conçoit quelque chose d’éminemment physique sans réellement se confronter à la réalité. Cependant, le fait d’être présent, de participer n’est pas seulement une tendance uniquement architecturale. Actuellement se dégage une plus grande propension qu’ont certaines personnes à s’impliquer, à se rendre dans un lieu, à faire des choses, et à ce titre l'émergence des friches industrielles est bien un phénomène contextuel.


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Fig. 28 A gauche la Fée Electricité de Raoul Duffy au Musée d'Art Moderne et à droite Le Mini Market de Surasi Kusolwong au Palais de Tokyo


Partie III. Un Palais pour deux Musées Identités comparées

A Programmes artistiques

1. Le Musée d’Art Moderne de la Ville de Paris

En 1953, le docteur Girardin lègue environ 500 œuvres au Musée d’Art Moderne. Elles constitueront la base des collections permanentes du Musée d’Art Moderne de la Ville de Paris qui ouvrira en 1961. Dès l’origine, cette institution est destinée à conserver et à exposer ces œuvres, ainsi que celles qui viendront par la suite. Aujourd’hui, grâce aux nombreux dons et aux acquisitions, le Musée d’Art Moderne de la Ville de Paris abrite environ 11 000 œuvres, essentiellement des tableaux et des sculptures, dont les plus connues ont été réalisées par Picasso, Picabia, Derain, Chagal, Mo1 Jean-Baptiste Minaert. Un Musée «Moderne» pour l’art moderne, 1937-1976, L’histoire de Palais de Tokyo depuis 1937, Edition du Palais, 2012

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C’est sous la formule « Une seule pierre pour deux musées », que Raymond Escholier, critique d’art commente la pose de la première pierre du musée en 1935 par le président Albert Lebrun.1 Il ne pensait pas si bien dire, car l’aspect extérieur (la pierre dans laquelle sont réalisées les façades) ne témoigne quasiment pas des différences qui règnent en son sein. Tout sépare actuellement ces deux institutions, excepté leur dimension artistique. Que ce soit la programmation, la temporalité de l’art qu’ils exposent, le public qui les visite, les aménagements intérieurs, les parcours, les impressions, les ambiances, … tout conduit à vivre deux expériences distinctes. Parcourir successivement l’une puis l’autre, dans un temps restreint, est de ce point de vue-là extrêmement enrichissant, et ce sera donc à la fois à travers une approche sensible et personnelle, ainsi qu'une approche plus rationnelle, que se déroulera la comparaison de ces deux expériences, artistiques et spatiales.


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digliani ou encore Chirico. Parmi ces œuvres, on note la présence de La Danse de Henry Matisse, le Mur de Peinture de Daniel Buren, ou encore la Fée Eléctricité de Raoul Duffy. Ces riches collections permanentes sont complétées par la tenue de grandes expositions temporaires, rétrospectives, expositions thématiques, consacrées à des artistes ou à des mouvements issus de la modernité (entendue ici en tant que courant artistique débuté au début du siècle et terminé après la seconde guerre). Selon Dominique Gagneux, conservateur en chef du patrimoine, la vocation du musée est essentiellement de « conserver et de faire découvrir des œuvres et des artistes modernes. »2 La particularité de ce musée réside, selon la conservateur, dans le fait que étant parisien, il est extrêmement bien placé pour raconter l’histoire de l’art moderne, dans la ville qui l’a vu naître. Inscrit dans une offre culturelle très concurrentielle à Paris, le musée tente de se démarquer (du centre Pompidou notamment, qui avec sa formidable collection d’art moderne, est la référence absolue à Paris voire dans le monde pour ce qui concerne cette période), en exposant des artistes un peu laissés pour compte, parfois méconnus, qui mériteraient, pour diverses raisons, un coup de projecteur supplémentaire. Même si bien entendu, de nombreuses expositions portent sur de grandes figures de l’art moderne ou contemporain, telles que Chagal en 1995, Delaunay en 1973, Otto Dix en 1971, ou encore Basquiat en 2011.3 Officiellement, tout type de public est visé, du plus jeune au plus vieux. Dans les faits, lorsque l’on parcourt le musée, on croise d’avantage de personnes âgées, généralement occidentales, que de personnes plus jeunes, même si l’on rencontre quelques étudiants, dans des études artistiques ou non. C’est également un lieu prisé par les sorties culturelles scolaires révélant ainsi sa dimension pédagogique (essentiellement dans les collections permanentes). Alors que les collections permanentes sont souvent presque désertiques, on note une certaine affluence lors des expositions temporaires qui semblent assurer la fréquentation et la pérennité du musée. On note également que le Musée d’Art Moderne de la Ville de Paris a accueilli de 1966 à 1988, une structure destinée à la création et à la révélation de nouveaux artistes. Cette structure appelée l’ARC pour Anima2 3

Interview de Dominique Gagneux réalisée en décembre 2016 D'après le "Rapport d'Activité du Musée d'Art Moderne"


tion, Recherche et Confrontation était une structure engagée, créée à un moment social, politique et artistique particulier (la fin des années 60) qui avait pour but artistique de « décloisonner les arts. »4 Ayant pris conscience des métamorphoses artistiques de ces année-là, les directeurs ont décidé de créer une structure en accord avec son temps qui soutiendrait la création contemporaine et les formes, aussi originales et déroutantes soient-elles, que l’art pouvait prendre. Cette structure possédait également un objectif social assumé qui était : « d’atteindre une nouvelle « classe moyenne » , de « toucher un public neuf à travers des associations : syndicats d’étudiants, d’enseignants, de fonctionnaires, comités d’entreprises, mouvements de jeunesse » 5. Un programme d’activités important corroborait la mission pédagogique : présentation d’œuvres par les artistes et les critiques, tables rondes et débats,… Le « musée-forum» était un lieu vivant, festif et ouvert sur la ville. Les œuvres gagnaient l’extérieur et s’installaient sur le parvis du musée.

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Il est intéressant de voir ici que ce programme, résolument orienté vers la création (et non la conservation), et vers l’implication des visiteurs (plus que la contemplation), né dans l’aile Est, resurgit quelque part, à travers le programme et l’orientation du Centre de Création Contemporaine de l’aile Ouest. Les thématiques de création contemporaine et de lieu de vie sont reprises, 40 ans plus tard par une autre institution nationale. On peut donc penser que cette structure a inspiré l'esprit du Palais de Tokyo actuel. 4 Annabelle Ténèze, Exposer l’art contemporain à Paris. L’exemple de l’ARC au Musée d’art moderne de la Ville de Paris (1967-1988) , Thèse soutenue à la Sorbonne, 2004 5 Ibidem

Fig. 29 Expositions permanentes du Musée d'Art Moderne


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Fig. 30 Les commissaires et critiques d'art Jérôme Sans et Nicolas Bourriaud

2. Le Centre de la Jeune Création puis le Centre de Création Contemporaine

En janvier 1999 Christine Macel, alors inspectrice de la création rédige un rapport à la demande de la Délégation aux arts plastiques qui annonce la volonté du ministère de la Culture de la Communication de créer au Palais de Tokyo un lieu dédié à la jeune création. Le ministère organise alors un appel à projet. Deux jeunes commissaires, Nicolas Bourriaud et Jérôme Sans, qui avaient déjà réfléchi à l’ouverture d’un centre d’art à Paris y répondent ensemble. Alors que le ministère de la culture envisageait un programme plutôt éphémère destiné à occuper les locaux, les deux commissaires lauréats proposent au contraire une occupation pérenne du bâtiment. Ils imaginent alors un programme novateur qu’ils souhaitent adapté au mode de vie et aux pratiques artistiques contemporains. Commissaires et conservateurs Dans le panorama artistique contemporain, le commissaire d’exposition6 est un personnage à part, au centre des pratiques artistiques, puisqu’il fait le lien entre les «fabricants » d’art (les artistes) et les « consommateurs » (le public ou les acheteurs). Nicolas Bourriaud et Jérôme Sans, enrichis de leurs diverses expériences en France et à l’étranger sont parfaitement conscient du rôle de leur fonction et leur expérience artistique leur confère une certaine légitimité à diriger ce type d’institution. Nicolas Bourriaud (d’avantage critique d’art) ayant écrit des articles pour New Art International, Art Press, Beaux-Arts Magazine, fondé et cofondé les revues Documents sur l’Art et Revue Perpendiculaire et ayant dirigé des expositions à la Biennale de Venise, au Capc de Bordeaux et au Basilico Fine Art de New-York et Jérôme Sans (d’avantage commissaire d’exposition) ayant conçu des expositions pour la Biennale de Venise, la Festival d’Avignon, ou encore la Triennale de Milan. Le projet institutionnel de Centre pour la Jeune Création est défini par les commissaires, fraîchement nommés directeurs artistiques pour l’occasion, comme : «l’élaboration d’une plate-forme de dialogue pour 6 "Un commissaire d’exposition est une personne physique (ou un groupe de personnes) chargée de concevoir et organiser une exposition temporaire, que ce soit une exposition monographique ou de groupe. Le commissaire d’exposition détermine le choix des pièces présentées, la problématique ou la thématique de l’exposition, la mise en espace des œuvres dans le lieu accueillant le projet ainsi que leur restitution auprès des publics sous toutes formes de diffusion, effectue les choix relatifs au catalogue et y rédige, souvent, des textes. Il est donc l’auteur de l’exposition." Définition Wikipédia


Un Anti-musée De nombreux détracteurs on a pu qualifier le Palais de Tokyo de « brouillon muséal » ou de « musée décontracté. »8 Ces qualificatifs à priori péjoratifs sont revendiqués par les deux commissaires pour montrer à la fois que juger un centre d’art contemporain à l’aune du musée est dépassé, qu’il se démarque en presque tout d’une institution muséale (dont le but premier est, rappelons-le la conservation des œuvres dans un but pédagogique) mais aussi qu’il est un laboratoire pour l’art bien plus que le lieu de son exposition, et un lieu de vie ou le rapport aux œuvres est bien moins figé et conventionnel que dans un musée. En effet à partir du moment où l’on peut être amené, voir même invité à marcher sur une œuvre, l’abîmer, la créer, la détruire, etc… ce rapport est totalement nouveau et parait incongru (voire incompréhensible) si on le juge avec des critères traditionnels. Pour Jérôme Sans : « Il s’agit de monter un projet à la mesure de la création actuelle. Depuis 20 ans, tout le monde critique l’institution, reconnaissant que ses critères sont caducs par rapport à une création mobile et polymorphe. Notre projet, très simple, polyvalent, conçu comme un ensemble à plusieurs facettes, s’inscrit plutôt en réaction à l’actualité internationale.»9 Le projet dénonce explicitement le musée et l’art traditionnel, ses codes, ses valeurs, ses relations entre visiteur et œuvre, etc. La critique porte sur le fait que la visite d’un musée se résume parfois à la confirmation et à la vérification d’images que l’on avait déjà en tête et pas vraiment à la contemplation ou à l’appréciation d’œuvres. Cela tend parfois à l’absurdité comme le montre l’exemple de la Joconde qui n’est visible qu’une poignée de seconde, exactement le temps nécessaire à la prise d’une photo. On assiste ainsi à la dis7 Sophie Tasma-Anargyros. Nicolas Bourriaud et Jérôme Sans, une attitude vitale et libre pour la création contemporaine. Tiré de Intramuros n°92. Décembre/Janvier 2001. 8 Extraits tiré du Film Notre Histoire 9 Sophie Tasma-Anargyros. Nicolas Bourriaud et Jérôme Sans, une attitude vitale et libre pour la création contemporaine. Tiré de Intramuros n°92. Décembre/Janvier 2001.

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la création française et internationale, d’un lieu de ressources et d’échanges, d’un espace pour le débat esthétique ouvert, pour offrir au public une grande proximité avec la création contemporaine.»7 On peut articuler le projet des deux directeurs autour de plusieurs thématiques. Il se place en opposition avec le musée traditionnel, puise dans des références externes au monde de l’art, est vu comme une expérience totale pour les visiteurs et comme un lieu de création et de transmission pour les artistes.

"Trash, squat, désordre, l’art en train de se faire, minimalisme branché, carcasse à la mode, ruine-in, friche branchée, bâti sur les ruines d’un musée renaissance, le nouveau musée pour de nouveaux arts" Paola Nicolin


parition de l’expérience de l’art, due selon Benjamin à la « reproductibilité technique » et au fait que l’on connaisse l’œuvre avant de l’avoir vue en vrai. Il n’y a plus l’expérience de la surprise, de la déception, de l’émerveillement…, seul reste la satisfaction du « j’y étais », et la prise de la fameuse photo-souvenir censé prouver au monde la véridicité de cette affirmation. 10

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Contrairement à un musée où les lieux sont pensés avant tout en termes de lumière et de dimension, car destinés avant tout à l’exposition d’œuvre, le Palais de Tokyo puise ses inspirations ailleurs. Puisqu’il ne se contente pas d’être un lieu d’exposition, mais qu’il se présente comme lieu de vie, de rencontre, de participation, de création, ses références regardent plus du côté de la vie que vers les injonctions du white cube. Les architectes optent pour la place Jemaa-el-Fna à Marrakech, qui n'a pas de limites et possède une activité de nuit et une activité de jour, et les commissaires pour des lieux plus génériques comme les forums, les friches, les places, les marchés, les villages, les lofts, etc, sensés créer un imaginaire à l’opposé de celui du musée. Ces termes renvoient également à l’idée d’espace public où le citoyen serait actif et œuvrerait au sein d’une communauté. 11 Pour ce qui est des institutions, le Riverside Studios de Londres, le PS1 de New-York, on encore le capcMusée de Bordeaux dans les années 80 sont autant de lieux singuliers, des lieux de proximité, différents, aventuriers, qui ont influencé l’implantation d’un lieu pour la contemporanéité à Paris.12 Un projet vu comme un outil pour les artistes (français) Le but avoué du Palais de Tokyo est avant tout celui de soutenir et de diffuser la création artistique contemporaine nationale, Nicolas Sans parle de « caisse de résonance pour la scène Française. »13 Cependant, le lieu ne « produit » pas uniquement des artistes français, au contraire, des artistes du monde entier sont conviés à y présenter des expositions. C’est pour tous ces gens un lieu qui se veut tremplin, élément déclencheur pour des artistes en quête de reconnaissance. Lorsqu’il réalise une exposition au Palais, l’artiste bénéficie de la « signature » Palais de Tokyo, censée marquer le franchissement d’un cap. On peut véritablement dire que le Palais produit des ar10 Walter Benjamin, L’Œuvre d’art à l’époque de sa reproductibilité technique, traduit par Frédéric Joly, Paris, Payot, 1939 11 Habermas. L’espace public. 1993 12 12 Jean-Baptiste Minaert. Un Musée «Moderne» pour l’art moderne, 1937-1976, L’histoire de Palais de Tokyo depuis 1937, Edition du Palais, 2012 13 Extrait tiré du Film Notre Histoire


Faire l’expérience de la contemporanéité La visite du Palais de Tokyo est pensée comme une expérience de la contemporanéité. On vient y voir des choses en action, des choses nouvelles, d’où le sentiment assez déroutant que l’on peut avoir lorsque l’on y pénètre. On y entrevoit des futurs possibles, des pourquoi pas. Par ailleurs, l’expérience se veut totale (Gesammtkunstwerk14 ), tout y est (à priori) réalisable : on peut y manger, s’y reposer (à défaut d’y dormir), participer aux activités, discuter avec certains artistes, assister à l’accrochage et au décrochage des expositions, etc. Cette volonté d’une expérience totale est le reflet d’une société hybride où se mêlent de plus en plus les programmes et les activités. Pour Jérôme Sans « L’art n’est plus rivé à ses propres limites, il ne peut se lire qu’en regard d’une vision transversale, lié à la création en musique, au cinéma, à la gastronomie, à la mode, au design. » 15 D’autre part, la spatialité et les expositions sont souvent (comme c’est le cas pour l’art contemporain en général) volontairement iconoclastes. Ainsi, elles provoquent un sentiment (angoisse, dégoût, culpabilité, etc …) et donc une réflexion et pourquoi pas, un avis critique ou un positionnement. Le lieu se veut donc à la mesure de l’art qu’il abrite, cherchant comme lui à provoquer les sentiments, les ressentis, mais aussi des situations et des rencontres. Il est dans le même état d'esprit. 14 Art total en allemand Même pour les architectes et les commissaires qui se sont installés dans des locaux pendant la durée du chantier afin de vivre pleinement l’aventure du Palais. 15 Sophie Tasma-Anargyros. Nicolas Bourriaud et Jérôme Sans, une attitude vitale et livre pour la création contemporaine. Tiré de Intramuros n°92. Décembre/Janvier 2001.

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tistes comme une boite de production le ferait pour un groupe de musique. Comme ce dernier, il met à sa disposition un lieu et du matériel nécessaire à la mise en forme d'un projet. L’attitude du Palais est expérimentale. On ne sait pas ce qui va ressortir d’une proposition, si elle réussira, c’est un pari à chaque fois. Là encore on s’éloigne du musée qui expose les œuvres les plus connues et les plus consensuelles possibles. Ici le but est au contraire, de promouvoir l’audace, la nouveauté, l’inconnu. Là l’œuvre fait la réputation du musée, ici, le centre de création fait celle de l’œuvre ou de l’artiste. On peut comparer ce second phénomène aux ateliers de la Renaissance où le prestige d’un atelier faisait la réputation d’un jeune peintre. Ce dernier se servant du premier comme un tremplin faisant décoller sa carrière.

«Les horaires sont eux-aussi particuliers. Ils prennent en compte le fait que les gens travaillent généralement le matin et la journée, et ne sont donc disponibles que le soir pour faire des visites. Ainsi est instauré l’horaire midi-minuit qui offre au Palais de Tokyo une temporalité propre, calquée sur les modes de vie contemporains. La place Djemaa-el-Fna à Marrakech est utilisée comme autre référence, autant spatiale que temporelle, car elle est connue pour avoir deux vies, deux identités, une de jour et une de nuit, et pour vivre non-stop.» Jérôme Sans


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A l’heure de la culture événementielle Aujourd’hui, la prolifération des réseaux sociaux, favorise la multiplication d’événements, de rencontres, de moments, bien délimités dans le temps et l’espace (gage de leur unicité et de leur non-inscription dans un quotidien16 (Marc Augé). Ces évènements ont pour objectif (prétendent) la mise en place d’un moment heureux et souhaitable au titre qu’il est différent d'un quotidien qui serait devenu monotone. Il y a un certain engouement pour ce genre de manifestations éphémères qui durent le temps d’un été (GroundControl), d’une semaine (cinéma Villette) ou d’un jour (Nuit-Blanche). Ce sont souvent des manifestations «in » ou « branchées » fréquentées généralement par des classes socio-économiques assez précises : entre 20 et 30 ans, professions intermédiaires ou supérieures, milieux étudiants, milieux artistiques ou créatifs, « très-urbains » (habitant de Paris par rapport à ceux de banlieue), etc. On pourrait justifier cette culture de l’événementiel en s'appuyant sur W. Benjamin, en disant que l’événement possède une aura. En tant que moment unique, non reproductible ou alors de manière espacée dans le temps, il fait dire à celui qui l’a vécu : « j’y étais, j’ai vécu quelque chose. » 17 Ce quelque chose de vécu est une impression fuyante, difficile à définir, mais perçu comme gratifiant, positif, agréable.

Fig. 31 Discrimination Day, Exposition Universelle 1, Palais de Tokyo,2005

Le Palais de Tokyo se situe dans cette logique événementielle puisque les expositions sont souvent très courtes (2 mois contre 6 mois au centre Pompidou par exemple) et s’enchaînent rapidement, certaines se déroulant sur la journée (24h Foucault). Le site organise également des performances, des rencontres, des soirées cinéma, des conférences, etc. Ainsi on est presque sûr de ne jamais y trouver la même chose. La volonté d’y trouver quelque chose de différent à chaque fois est assumée. On pourrait dire que l’on vient consommer de l’art, consommer des moments. D’autre part, la possibilité d’y faire d’autres activités (restaurant, bar, rencontres avec les artistes, ...) fait que les séjours se prolongent et que l’expérience du lieu se complexifie (plusieurs activités dans plusieurs sous-lieux du bâtiment). On assiste alors à ce que Laurent Matthey appelle la « Consommation de moments urbains 16 Ce que Marc Augé appelle la « surabondance événementielle » dans « Nonlieux, introduction à une anthropologie de la surmodernité" (1992) 17 Walter Benjamin, L’Œuvre d’art à l’époque de sa reproductibilité technique, traduit par Frédéric Joly, Paris, Payot, 1939


heureux. » 18 Pour lui, ce concept est autant une stratégie de communication d’un projet qu’une manière actuelle et collective de vivre la ville à l’heure où semblent se réduire les espaces de libertés.

On pourrait être amené à dire que : plus que l’art contemporain, c’est la possibilité de passer un moment original, qui attire les visiteurs au Palais de Tokyo. L’art contemporain n’est pas l’objectif, il est un moyen pour visiter ce lieu et vivre un moment particulier. Contrairement au Louvre ou au centre Pompidou où l’on vient plus se cultiver, s'éduquer apprendre une histoire de l’art, se renseigner sur un artiste ou un mouvement, la visite du Palais de Tokyo peut d'avantage être vu comme une expérience de la contemporanéité (moins un apprentissage qu’une expérience). De par le fait qu’il s’occupe avant tout d’interactions entre les visiteurs et un lieu, le Centre d’Art Contemporain en général complète sa démarcation d’avec le musée qui lui conserve et expose les traces (les objets d’art) d’une mémoire collective.

18 Laurent Matthey, « Urbanisme fictionnel : l’action urbaine à l’heure de la société du spectacle »,Métropolitiques, 28 octobre 2011. 19 Martine Robert. Jean de Loisy, maître iconoclaste du Palais de Tokyo. Site internet des Echos. Mai 2015

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Autres programmes Outre les espaces d’exposition, l’aile Ouest du bâtiment de Dondel et Aubert abrite des programmes qui participent à l’expérience totale du Palais de Tokyo. On y trouve des concessions comme le Smack, le Tokyo Eat et le Monsieur Bleu qui sont des restaurants, une librairie près de l’entrée ainsi qu’une boite de nuit qui donne sur le quai (Yoyo club). D’autre part, certaines parties du Palais sont privatisables, et apportent visibilité et bénéfices, en échange d’une caution artistiques pour les évènements qui y prennent part. On a ainsi vu prendre place dans les grands espaces de la courbe une soirée pour Canal +, une réception pour Microsoft, ainsi que le lancement d’un parfum Zadig&Voltaire et d’une glace Magnum. Ces privatisation permettant en outre de fidéliser le mécénat, et d’amener des clients. 19

Fig. 32 Les 30 ans de Canal + au Palais de Tokyo


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Fig. 33 à 36 Expositions au Musée d'Art Moderne • Henri Matisse, La Danse, Permanent

• Pierre Henry, Autoportraits, 2015

• Jean-Michel Basiquat, Retrospective, 2011 • Serge Poliakoff, Le rêve des formes, 2005


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Fig. 37 à 40 Expositions au Palais de Tokyo • Michael Lin, Installation, 2002

• Numen/For Use, Inside, 2015

• Céleste Boursier-Mougenot; Acqua Alta, • Katharina Grosse, Construction à Cru, 2015 2005


B. Architectures

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1. Extérieur : Le Village et le Temple

Les deux ailes du Palais de Tokyo sont à première vue les mêmes. Elles ne sont en tout cas pas radicalement différentes. Le bâtiment dans son ensemble conserve une volumétrie assez monumentale, et restent très présent, le beige de la pierre de parement et le rythme des colonnes et des ouvertures. Cependant, certains détails différencient ces deux ailes et témoignent eux-aussi des deux considérations qui ont dicté la réhabilitation de ces deux ailes. "Il (En parlant du polycarbonate) possède beaucoup de qualités. Nous regrettons qu'ils soit considéré comme un matériau pauvre. A la base c'est un matériau très performant, très resistant, très léger, et très économique" Anne Lacaton

Sur l’avenue du président Wilson où se trouvent les deux entrées principales, de grandes passerelles sont jetées entre l'aile Ouest et la rue. Elles viennent descendre ensuite dans la cour. Ces passerelles recollent le bâtiment à la rue, et le rendent accessible. Elles suppriment l’aspect « château avec des douves » que peut avoir l’aile du Musée d'Art Moderne qui, hormis l’entrée semble totalement imperméable, les fenêtres étant soit grillagées soit occultées de l’intérieur et le bâtiment étant détaché de la rue. Sur la rue de la Manutention (côté Palais de Tokyo) qui descend vers la Seine, on retrouve les escaliers métalliques qui s’élancent depuis les façades, atténués par de grands arbres. Sont également présents des jardins partagés qui altèrent la sacralité de la façade du bâtiment et qui, face à des immeubles assez bas, et grâce au calme qui y règne, donnent à la rue de la manutention un petit aspect village. « Je croyais que c’était un truc comme ça, à l’abandon ». Phrase entendue devant les jardins partagés. Là aussi, on relève une certaine appropriation du lieu. En outre, on retrouve des éléments reconnaissables dans l’esthétique de Lacaton&Vassal, de l'économie, de la simplicité et de l'évidence, à savoir les escaliers métalliques très simples et l’usage du polycarbonate dans un cadre métallique, et pour protéger les escaliers et comme marquise.


Entre les deux ailes se dressent le parvis, et le miroir d’eau qui sacralisent visuellement cet endroit. Cependant la certaine sérénité que dégage généralement la sacralité est ici mise à mal par le mélange du bruit des voitures en contrebas et des skates qui frappent le sol en pierre en retombant. Cette dernière activité est devenue au fil du temps, une des identités du Palais de Tokyo et celui-ci est devenu avec le Trocadero un « spot » incontournable du skate parisien. Les skateurs utilisent les éléments « naturels » du parvis : les marches, les rebords, les parterres ainsi que des éléments métalliques rapportés et participent au dynamisme et à l’originalité de ce bâtiment. On note aussi, que depuis le parvis, seul l’aile Ouest est accessible. On y a en effet installé des passerelles métalliques, qui sont le signe d’une certaine volonté de lier les choses, de créer des relations entre l’intérieur et l’extérieur, et d’utiliser pour une même activité le parvis et les espaces intérieurs. Le parvis haut est lui aussi intéressant puisque chaque institution y a installé son café. Celui du Musée d'Art Moderne dispose de chaises et de tables métalliques beiges et marrons qui reprennent les couleurs de la pierre de façade et des encadrements de fenêtre en métal alors que celui du Palais de Tokyo dispose lui, des chaises totalement banales en plastique, rouges et bleues, des câbles suspendus qui permettent de couvrir l’espace, ainsi que des pots de fleur géants qui viennent le décorer. La dichotomie entre conventionnel et décalé est là aussi respectée.

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Sur l’avenue de New-York (côté Seine), l’ambiance, notamment sonore, est très différente à cause du flot presque ininterrompu de voitures. La présence de la Tour Eiffel et de la Seine nous fait comprendre que l’on entre dans le dispositif monumental de Paris. La partie Ouest possède son restaurant, qui avec sa végétation, ses bâches, son activité, altère la monumentalité et rompt la minéralité du patio tout en redonnant vie au bâtiment. La façade sud de l’aile Est, reste elle dépouillée, vide et blanche. Sur la façade rue Gaston de Saint-Paul, le Palais est très fermé, assez froid. Cette rue est fermée par un grillage qui lui donne un aspect privé. Cette façade se retrouve donc dans une résidence. L’entrée sud du Musée d'Art Moderne, inutilisé aujourd’hui, avec sa porte en bronze, sa statue et sa typographie grecque, possède un aspect suranné qui contraste avec le restaurant en terrasse du Palais de Tokyo. Pour résumer, la porte est abandonnée et la façade est privatisée.


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Fig. 41 à 44 Façades de l'aile Ouest donnant sur la rue Gaston de Saint-Paul


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Fig. 45 à 48 Façades de l'aile Est donnant sur la rue de la Manutention


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2. Intérieur: le Palais des Arts et le Palais-Friche

De 1991 à 1992 l'architecte Pierre Large est engagé pour rénover l'intégralité des façades du Palais des Musées d'Art Moderne.20 Cette rénovation, ultime action d'envergure réalisée conjointement par les deux parties témoigne premièrement de l'importance primordiale que revêt, pour les pouvoirs publics l'aspect extérieur (alors que l'intérieur est plus négligé), et surtout renforce le contraste saisissant qui peut exister l'extérieur et les intérieurs, entre un Palais des Arts et un Palais en Friche.

Le Musée d’Art Moderne De l'inauguration en Mai 1937 jusqu'à l'ouverture du Musée d'Art Moderne en 1961, l'aile Est n'a connue aucune rénovation de grande ampleur. Cependant, étant donné le faible niveau de finition de la construction, des travaux de maintenances ont eu lieu (et toujours aujourd'hui) de manière fréquente. En 1971 les architectes Pierre Faucheux et Michel Jausserand entamèrent les premiers travaux d'envergure.21 Ils aménagèrent de nouveaux programmes, principalement en ajoutant des planchers, transformèrent l’accueil et décloisonnèrent les espaces qui l'avaient été au gré des usages. Cette opération fut poursuivie deux décennies plus tard par l'architecte Jean-François Bodin, concepteur entre autre, de l'aménagement de la cité de l'architecture, et du Musée Picasso, qui aménage la salle matisse et repense le parcours des collections permanentes. Enfin, au début des années 2000, l'agence CANAL est mandatée pour régler des problèmes d'accessibilité et de mise au normes.

20 David Cascaro, Le musée décontracté, Une installation des Lacaton & Vassal au Palais de Tokyo, ouvrage non publié, 2006 21 21 Jean-Baptiste Minaert. Un Musée «Moderne» pour l’art moderne, 1937-1976, L’histoire de Palais de Tokyo depuis 1937, Edition du Palais, 2012


Après avoir passé les portiques de sécurité, nous entrons dans un grand hall regroupant l’accueil, les vestiaires, la billetterie, etc. Excepté le sol en linoléum bleu foncé, et la typographie en noir, tout est peint en blanc, que ce soient les murs, les plafonds, les comptoirs. Ce dualisme Noir et Blanc donne à l'espace une impression de sérieux, de solennité, voire d’aseptisé mais aussi un sentiment d'intemporalité car il supprime ou recouvre toutes les marques du temps (la pierre, le béton, etc sont recouverts d'une couche de peinture). Il est ensuite possible de monter pour voir les expositions temporaires et la salle Duffy, ou de descendre par de sombres escaliers pour se rendre dans les collections permanentes. Si l'on choisi d'emprunter ces derniers, nous accédons à une vaste salle, bordée par le parvis central et percée de hautes fenêtres. Ici la pierre d'origine tapisse le sol et certaines parois, et l'on se sent d'avantage dans un Palais. De grands tableaux sont affichés sur le mur opposé au fenêtres, et entre ces dernières, prennent place de petits tableaux. Ceux-ci semblent un peu écrasés par les dimensions des fenêtres et par l'effet de contre-jour qu'elles provoquent. Sans doutes, est-ce dû au fait que ces salles ont initialement étés conçues pour accueillir des sculpture, d'avantage que des peintures. Ensuite le parcours se fait dans une boucle, longeant le parvis, puis la Seine et la rue Gaston de Saint Paul avant de déboucher à nouveau dans le grand Hall. Seuls les salles situées le long de cette dernière voie bénéficient d'un peu d'éclairage naturel, et abritent d'avantage des sculptures.

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Fig. 49 et 50 Hall et espace inférieur du Musée d'Art Moderne


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Si l'on choisi de monter les escaliers longeant la salle Duffy, on se retrouve dans une succession de petits espaces qui finissent par déboucher sur de grandes salles sous verrières. L'ensemble de ces espaces accueille généralement des expositions temporaires. Alors que pour des raisons liées à la conservation des peintures, l'éclairage du Musée d'Art Moderne est souvent artificiel et contrôlé, ces espaces sous verrière constituent l'un des rares endroits où la lumière naturelle pénètre abondamment. Cet espace est généralement occupé par des expositions de sculpture ne nécessitant pas de contrôle particulier de la lumière. Conformément au reste du musée, le sol est lisse, les murs peints en blanc et les installations techniques cachées.

Fig. 51 et 52 Espaces sous verrière (exposition Carl André)

Le Musée d'Art Moderne possède en son sein deux salles spécialement dédiées à de grandes œuvres : la salle Duffy accueillant la Fée Electrique, et la salle Matisse accueillant la Danse. Alors que la première est véritablement mise en valeur, en haut de vastes escaliers, dans un espace rigoureusement symétrique, plongée dans le noir et éclairé d'en dessous par de nombreux spots, la seconde se perçoit au détour d'un couloir en descendant vers les collections permanentes


Entre 2000 et 2002, les architectes Anne Lacaton et Jean-Philippe Vassal ont réalisé une première intervention, à l’époque considérée comme éphémère, qui concernait un tiers du bâtiment. Avec le succès du site, les directeurs et le ministère de la culture décident non seulement de prolonger l’aventure mais aussi d’agrandir les espaces disponibles à la création et à l’exposition. Ces seconds travaux ont lieu entre 2010 et 2012 toujours dirigés par la même agence22. L’analyse se porte autant sur les intentions initiales que sur les espaces, leur répartition et leur fonction tels qu’ils sont aujourd’hui, au moment où presque l’intégralité du bâtiment est occupée, ouverte au public ou destinée aux personnes y travaillant.

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Le Palais de Tokyo

22 La première intervention concernait la mise au normes de 7800m2 pour un budget de 3.08 M d'euros HT (valeur 2012) et la seconde concernait l'aménagement de 16 500m2 pour un budget de 13M d'euros HT.

Fig. 53 Photos de chantier. Coulage de la dalle béton dans la grande salle sous verrières


Budget Le faible budget devient une stratégie de projet, non une contrainte, et même une certaine forme de stimulation, comme en témoigne la note d'intention (voir ci contre)23. On décide de se concentrer sur l’essentiel, à savoir l’accessibilité, et la sécurité (incendie et « structurelle »). Ainsi, les premiers travaux, invisibles, concernent les fondations, les murs de soutènement, la rénovation des poteaux endommagés, etc. Ensuite, les verrières sont remises en état, des conduits de désenfumage, de ventilation, et de chauffage sont mis en place et les réseaux de fluide sont installés. Les travaux sur la statique sont réalisés à l’échelle du bâtiment tout entier, avec déjà l’optique de rénover l’intégralité des espaces. « Les travaux seraient poursuivis jusqu’à épuisement du budget, ensuite le bâtiment et ses 5000m2 ouverts au public, resterait en l’état, brut comme l’art du même métal. » 24. Encore aujourd’hui le Palais de Tokyo possède un aspect inachevé symbolique mettant en abyme l’évolution, la transformation permanente, le caractère non fini et expérimental de l’art contemporain. Même si, pour différentes raisons, le Centre tend à homogénéiser ses espaces en peignant les murs en blanc.

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23 Note d'intention rédigée par l'agence, Décembre 1999 24 Interview Nicolas Bourriaud et Jérôme Sans. Le Palais de Tokyo. L’art en chantier. Beaux-Arts Magasine "Pousser la recherche sur l'économie au maximum. Le critère économique est posé dès le commencement du projet, comme un élément déterminant de gestion et de création. Se poser sur chaque choix, la question du plus efficace, du moins cher, du plus fiable, du plus adapté." Note d'intention

Fig. 53 et 54 Photos avant et après le chantier


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S’installer dans l’existant A aucun moment, que ce soit dans la réflexion des architectes ou des deux premiers directeurs, ne s’est posé la question de la réhabilitation dans un état d’origine. Dès le début, il a été décidé de tenir compte de ce « qu’on avait sous la mains », c’est-à-dire les restes d’un chantier abandonné, une carcasse vide, quelques problèmes structurels, et surtout d’immenses surfaces et hauteurs à disposition. Plus que la remise en état, c’est l’inscription dans un site, son activation qui ont décidé de la forme de l’intervention.

Fig. 55 Image de projet fournir par l'agence. Seuls des transats ont été ajoutés sous la verrière existante

Celle-ci tient d’avantage de l’installation (pour reprendre un terme cher à l’art contemporain), et du fait de venir habiter un espace qui est déjà-là, que de la création d’un espace nouveau, comme l'explique Anne Lacaton : "[...] Nous nous sommes appropriés ce terme d'installation parce qu'il correspondait à la fois à une pratique de l'art contemporain et à l'approche qui nous semblait la plus intéressante dans ce lieu dans le cadre du projet demandé : "s'installer" comme lorsqu'on cherche le meilleur coin pour planter sa tente ou installer sa caravane [...]" 25

25 Anne Lacaton interrogée par David Cascaro, Le musée décontracté, Une installation des Lacaton&Vassal au Palais de Tokyo, ouvrage non publié, 2006

“Si le soleil entre dans la maison, il est un peu dans votre cœur.” Le Corbusier


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Potentiel d’usage Cette considération de l’usage avant le fond, qui est l’un des leitmotiv principaux de l’agence, transpire dans les images de projet que celle-ci a fourni. On y voit des personnes ajoutées, déambulant dans les espaces tels qu’ils avaient été trouvés lors de la première visite, aucune architecture n’est dessinée, seules les lumières sont renforcées, les sols nettoyés, et des usages sont suggérés par des meubles, des plantes ou encore des affiches. Si le bâtiment est laissé comme tel, avec ses imperfections, ses marques du temps, ses ratures, etc. c’est autant par souci d’économie que par la possibilité d’appropriation (et donc d’usage) que ces éléments amènent (mélange assumé de nécessité et de posture radicale). « Nos rêves nous entraînent

Fig. 56 Image de projet fournir par l'agence. Une orangerie et du mobilier, ajoutés sous la verrière existante, suggèrent un nouvel usage, un possible

vers de vastes espaces clairs, un peu désaffectés, un peu utilisés par hasard, un peu libre d’usage. »26 disait Jacques Hondellatte, le mentor des deux architectes. C’est donc assez naturellement que les architectes ont cherché leurs références d’avantage du côté de la vie, des relations humaines, que de l’architecture à proprement parler. Pour Paola Nicolin : « Ils récupèrent d’autres modèles organiques/spatiaux d’inspiration européenne et nord-africaine : le jardin botanique, le marché, la place, la rue, le passage 26 Jacques Hondelatte. Logement, mythogénèse et mélancolie. Collection Etat des lieux. Les éditions du demi-cercle. 1989


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métropolitain, la caverne, les égouts, le lounge ou le squat de luxe (le loft). »27. Les architectes diront également que « L’idée est de retrouver la liberté d’une place publique. Espace indifférencié par excellence, elle gère le minimum de choses pour une richesse d’événement incomparable. » 28. Pour arriver à cette fin, les éléments fixes sont minimums et correspondent essentiellement à la structure et aux équipements techniques. Ils permettent ainsi à la plus totale des expositions d’être réalisée mais aussi à une multitude d’expositions plus petites de prendre place simultanément. Il suffit de diviser les espaces avec des rideaux, des cimaises, des meubles ou de l’éclairage pour produire un lieu très complexe, interchangeable, pluriel. On retrouve presque l’idée du théâtre qui avec ses rideaux permet à chaque exposition (acte) de produire son propre décor et sa propre histoire. Architettura e curatela, Paola Nicolin, Domus, n°959, P38-397 Nouveaux lieux, New art locations, Le Palais de Tokyo et le Plateau

Fig. 57 et 58 Image de projet et image actuelle. Le projet consistant essentiellement en des occupations, les deux images semblent presque identiques


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«The Fun Palace Venir et repartir … ou juste jeter un coup d’oeil en passant. Pas besoin de chercher l’entrée - on peut entrer partout. Ni portes, ni foyer, ni queue, ni guichet : tout est ouvert. Regarder, prendre un ascenseur, une rampe, un escalator, pour aller vers tout ce qui semble intéressant… Choisir ce que l’on veut faire, ou regarder quelqu’un d’autre le faire. A toute heure du jour ou de la nuit, hiver comme été, c’est pareil. Si il pleut, le toit arrête la pluie mais pas la lumière …» Cedric Price


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Circulations Jean de Loisy, actuel directeur du Palais de Tokyo dit à propos de ce dernier que « Cet espace est une sorte de Piranèse »1 au sens où, comme dans les gravures du célèbre artiste du Settecento, règne un certain désordre, où l’on perd un peu ses repères, et où se dessinent de nombreuses circulations, de nombreux chemins, de nombreux possibles. Exceptées les installations techniques, les seules interventions architecturales d’envergures concernent les circulations verticales. Des ascenseurs et des escaliers, traversant les planchers, sont disséminés dans le Palais et complètent les escaliers monumentaux en pierre existant. Un majestueux escalier hélicoïdale en acier est installé à proximité de l’entrée et constitue, comme symbole d’un projet fait essentiellement de circulation, le principal élément rapporté. Anne Lacaton résume ainsi l’importance de ladite circulation : « Le Palais de Tokyo est un lieu parisien qui offre au public le luxe de pouvoir déambuler, circuler, se couper de l’extérieur et entrer dans un univers .»2 La référence choisie pour la seconde intervention est celle du Fun Palace d'Eric Price, structure utopiste, qui porte à son paroxysme le déplacement dans l'espace. 1 Interview de Jean de Loisy par Jean-Baptiste Minaert. Un Musée «Moderne» pour l’art moderne, L’histoire de Palais de Tokyo depuis 1937, Edition du Palais, 2012 2 Interview de Anne Lacaton et Jean-Philippe Vassal par Jean-Baptiste Minaert. Un Musée «Moderne» pour l’art moderne, 1937-1976, L’histoire de Palais de Tokyo depuis 1937, Edition du Palais,

Fig. 59 Vue sur l'escalier métallique et sur les poteaux ignifugés


C. Œuvres et expositions Comparaison

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1. Conventionnel / Iconoclaste : Comparaison de deux expositions

A travers une expo au Musée d’Art Moderne et une au Palais de Tokyo, toutes deux considérées comme représentatives de ce qui se passe dans ces institutions, l’idée est de décrire, d’analyser et de comparer ces expositions afin de voir de quels paradigmes artistiques elles relèvent. Il s’agit de comparer la manière dont l’exposition utilise l’espace, les rapports qu’ont les personnes aux œuvres, les manières dont les personnes utilisent l’espace, etc. A priori, ces deux expositions sont par essence très différentes, et chacune représentatives des expositions présentées dans ces institutions, puisque pour le premier, il s’agit d’une rétrospective d’un artiste décédé issus du mouvement moderne, (Bernard Buffet) sur une vaste partie de son travail, et pour le second, il s’agit d’une proposition artistique d’un artiste vivant (Tino Seghal). On pourrait résumer un disant qu’il s’agit respectivement d’une exposition d’œuvres et une œuvre-exposition. Pour l’un, un ensemble d’œuvres (ici des peintures) forment une exposition, qui donne à voir l’ensemble du travail d’un artiste, alors que pour l’autre, une seule œuvre, envahissant littéralement les espaces, donne à voir une idée qu’a eu un artiste à un moment.

Bernard Buffet au Musée d’Art Moderne1 Après avoir acheté son ticket, on quitte le grand hall pour traverser une petite porte et enfin parvenir dans une pièce plus petite, en chicane, qui à l’abri des regards du hall, constitue la première salle de l’exposition. Dans cette première salle est bien évidement affichée une frise chronologique qui rappelle les grandes dates de la vie de l’artiste. Comme souvent, ce sont des écritures noires collées aux murs blancs. L’exposition se fait ensuite de manière linéaire, le visiteur s’arrête le temps qu’il souhaite devant un tableau puis passe au suivant et ainsi de suite. Il y a donc un parcours, également linéaire, tracé de manière à ce que le visiteur repasse le moins de fois Fig. 60 Affiche de l'exposition vue dans le métro

1 Bernard Buffet, Rétrospective, Commissaire de l’exposition : Dominique Gagneux, Du 14 octobre 2016 au 05 mars 2017.


possible devant le même tableau. Ce parcours est organisé par des cimaises disposées en quinconce. Lorsque le parcourt rencontre les courbes "naturelles" du bâtiment, les cimaises s'y superposent, rendant son orthogonalité à la pièce, préférant la cohérence du parcours à la présence d'éléments spatiaux perturbateurs.

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Interview de Dominique Gagneux réalisée en Décembre 2016

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Les tableaux sont disposés de manière chronologique comme dans la majorité des expositions, afin de constater l’évolution (ou non) du style de l’artiste, ses adaptations à un contexte. La rétrospective se veut donc exhaustive et claire pour tout le monde. Le fait que l’organisation se fasse de manière chronologique et non par des thèmes transversaux, permettant à tout un chacun d’appréhender cette exposition de la manière la plus simple. Dans ce parcours, la lumière est entièrement artificielle, de manière à être facilement contrôlée et à en avoir la même quantité à tout moment de la journée. Quelque part le fait de ne pas voir l'extérieur désoriente le visiteur, et les murs, les poteaux semblent ne plus vraiment avoir de sens puisque l'on ne sait pas ce qu'ils portent et ce qu'ils séparent. Les sols et les murs sont parfaitement lisses et seul le plafond est perturbé par des éclairages, dans le but de réduire au minimum l’impact visuel du contenant et d’ainsi se rapprocher au maximum de système de la white box où le contenant s’efface totalement au profil du contenu. Cette manière de faire de la scénographie tend vers l’adage disant qu’ « une bonne scénographie, c’est une scénographie qui ne se voit pas ». A aucun moment, on ne cherche à bouleverser le visiteur, à réinterroger ses sens, à le perturber dans sa lecture des œuvres, tout doit être intelligible. La commissaire Dominique Gagneux nous confie que lorsque l'exposition traverse des espaces un peu "faibles ou résiduels", la scénographie doit s'adapter, par des cimaises de couleur, des coins sombres pour les films, des éclairages augmentés, des bancs,etc.2 , et assurer une continuité. Ainsi, l'exposition court dans une succession de pièces, que l'on devine jointes à la hâte, comme en témoigne les portes de secours, les extincteurs, les installations techniques que l'on peut croiser entre deux salles. A la discontinuité spatiale s'oppose cependant la continuité des œuvres. Le rythme implacable des tableaux assure la fluidité de la visite, et marquer une pause s'avère difficile, de toute manière il n'y a, à ce niveau presque rien d'autre à voir.


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Les tableaux sont accrochés aux cimaises et éclairés par des projecteurs. Cette mise en lumière de l’œuvre confère à cette dernière un aspect sacré, solennel, les visiteurs hésitant généralement à s’en rapprocher de peur de la toucher. On observe parfois des marques aux sols qui indiquent quelle est la « bonne distance » à respecter pour apprécier au mieux l’œuvre et qui témoignent d’un rapport assez contraint du visiteur envers elles.

Tino Seghal au Palais de Tokyo1 Tino Seghal est un artiste anglais né en 1976 dont le travail s’inscrit parfaitement dans une nouvelle forme d’art émergente. Reprenant l’idée Duchampienne selon laquelle l’artiste ne fait rien d’autre que décider, ses œuvres mettent en scène des figurants qui interagissent à la fois avec l’espace et avec le public. L'artiste est physiquement absent de l'œuvre et celle-ci est alors constituée par les figurants, le public et par les relations qui se déroulent entre-eux, par les situations qui en découlent. Ses travaux, hérités des premiers happening de Yves Klein2 sont représentatifs de l’art contemporain actuel. Au Palais de Tokyo Tino Seghal bénéficie des plus vastes espaces qu’il n’ait jamais eu à sa disposition. Soucieux de révéler à la fois ses plus grands volumes et ses plus petits recoins, l’artiste anglo-allemand installe son exposition dans l’ensemble du bâtiment. L’exposition ici ce sont les personnes, les gens, les visiteurs. Une fois la queue pour entrer finie, un enfant s’approche de nous et nous demande naïvement « qu’est-ce que l’énigme ? » ou alors « quelle est la question ? Déroutés, voire effrayés, au moins mal à l’aise, les visiteurs tentent de répondre à la question ou l’esquivent puis sont accostés par un des «figurants ». Celui-ci devient un guide, il entraîne le spectateur avec lui dans les espaces du Palais en lui parlant de tout et de rien, de philosophie autant que de pluie, de psychanalyse autant que d’anecdotes. L’artiste met en scène la discussion, la promenade amicale, la conversation désintéressée. Ainsi, les visiteurs parcourent avec le guide les espaces su1 Exposition “Carte Blanche à Tino Seghal” Commissaire Rebecca Lamarche-Vadel, Du 12/10/2016 au 18/12/2016. 2 « Un happening est un environnement exalté, dans lequel le mouvement et l’activité sont intensifiés pendant un temps limité et où, en règle générale, les gens s’assemblent à un moment donné pour une action dramatique. » Allan Kaprow, Happenings in the New York Scene. Art News, May, 1961


Dans cette « carte blanche » Tino Seghal provoque des situations, des rapports humains. On peut d’ailleurs y retrouver un côté « situationniste » à la Debord revendiqué3. L’individu s’émancipant à la fois de la société marchande qui produit une forme aliénée de la sociabilité, et de la « société du spectacle » où les relations humaines se perdent dans des représentations d’elle-même,3 sans spontanéité, sans originalité et sans vie. Ici, il n’y a aucune trace physique, tout est joué, tout est vécu et l’œuvre est avant tout présente dans la mémoire des visiteurs. Pour Marc-Olivier Wahler, ancien directeur, ce qui importe c’est l’espace négatif entre les œuvres : «Après tout, c’est cet espace que traverse le visiteur, puisque ses allées et venues entre les œuvres dessinent une chorégraphie à chaque fois renouvelle. L’exposition est reçue et comprise prioritairement avec le corps, dans une façon de se mouvoir dans l’espace, dans une manière de découvrir et de réfléchir 3

Guy Debord. La société du spectacle. Buchet/Chastel. 1967

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périeurs, puis au bout d’environ une demi-heure l’abandonnent aux étages inférieurs. Ici, des figurants, sous les verrières métalliques et au milieu des poteaux en béton bruts, improvisent une chorégraphie, ils marchent, courent, rampent, s’agenouillent, se lèvent, sautent puis chantent. C’est le corps et sa relation aux autres corps et à l’espace qui sont mis en scène dans ce happening. Dans une pièce du sous-sol, quatre personnes font chacune face à un mur et se parlent sans se regarder, ironisant ainsi sur le caractère conventionnel des discussions que l’on peut avoir. Dans une autre pièce totalement plongée dans le noir, des figurants émettent des bruits étranges, rient et chantent. Rares sont les visiteurs qui osent s’aventurer totalement dans cette salle qui reprend quelque part le thème du train fantôme. Dans l'une des anciennes salles de cinéma, on pénètre lorsque l’obscurité est totale. Lorsque la lumière se rallume brusquement, une très jeune figurante anglaise entame un monologue sur les raisons de sa présence ici. Lorsqu’elle pose une question, un second enfant figurant et présent dans l’assistance lui répond. Ils dialoguent ensuite ensemble en invitant, avec plus ou moins de succès, les spectateurs à venir y prendre part. Rares sont ceux qui osent se mettre en scène de la sorte (peut-être est-ce du à une connaissance limitée de la langue de Shakespeare dans laquelle se déroule la « conversation », ou alors à une certaine incompréhension toute légitime face à ce type, encore déroutant, d’art).


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Cette dernière exposition est très représentative d’une certaine manière de faire de l’art contemporain, qui consiste d’avantage en la création de situations sensées interpeller le spectateur, qu’en la production d’objets physiques, aussi déroutant, virtuoses, ou esthétiques soient-ils. D’autre part, il est intéressant de voir que cette exposition tout particulièrement interroge le concept « d’esthétique relationnelle »6 développé par Nicolas Bourriaud l’un de deux initiateurs du Centre de Création Contemporaine, notoirement connu pour ses écrits sur l’art, sa manière de se faire et sa place dans la société actuelle. Valéry Didelon résume ainsi : « Le projet des directeurs du lieu, J-S et N-B, parie (ce qui n’est guère neuf depuis les années 1970) que l’art contemporain relève moins de ses supports, que des champs de relation qu’il peut établir. »7

4 Marc-Olivier Whaler. De l’exposition au Programme. Interview de Christophe Kihm. Dans l’Histoire du Palais de Tokyo depuis 1937. 5 Du moins sous sa forme traditionnelle 6 Nicolas Bourriaud. Esthétique Relationnelle. Les Presses du Réel. P 121. 1998 7 Valéry Didelon, L’économie dans l’architecture, A propos du Palais de Tokyo. Domus, Février 2002

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avec son corps. »4 On est très loin de la dimension patrimoniale des œuvres, qui appartiennent à l’humanité ou à un groupe d’individu, et que l’on perçoit dans des expositions plus conventionnelles, comme lorsque l’on va voir la Joconde par exemple, et la question de l’éducation du citoyen, qui était une des raisons d’être majeure du musée à ses débuts, semble elle aussi bien lointaine.5


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Fig. 61 Ă 64 Exposition Bernard Buffet au MusĂŠe d'Art Moderne


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Fig. 65 Ă 68 Exposition Tino Seghal au Palais de Tokyo


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Fig. 69 Couverture du livre Esthétique Relationnelle

2. "L'esthétique relationnelle" comme paradigme artistique à l’œuvre au Palais de Tokyo

Ce principe est longuement développé dans le livre de Nicolas Bourriaud du même nom1, paru en 1998, soit quelques temps seulement avant l’annonce du projet de Centre pour la Jeune Création. Ce livre sert de méthode, de point de référence à l’élaboration du projet mais surtout aux futurs choix qu’opéreront les commissaires quant à la sélection des artistes, des œuvres et à leur mise en place. C’est à la fois une analyse critique des manières de faire de l’art aujourd’hui (les années 90), une tentative pour expliquer ces phénomènes, ainsi qu’un ouvrage référent pour les commissaires d’exposition. Nicolas Bourriaud définit ce principe comme suit : « Esthétique relationnelle : Théorie esthétique consistant à juger les œuvres d’art en fonction des relations interhumaines qu’elles figurent, produisent ou suscitent. »2 Causes Dans ce livre Nicolas Bourriaud explique l’origine de ce nouveau et presque imperceptible paradigme artistique. Il part du constat que la marchandisation tend à envahir tous les aspects de nos sociétés, et à s’immiscer dans les comportements des individus. Pour lui, « Le lien social est devenu un artefact standardisé »3 et « La mécanisation générale des fonctions sociales réduit progressivement l’espace relationnel »4. Il n’est pas non plus optimiste sur l’avenir, et de manière presque divinatoire il écrit en 1998 : « D’autre part, l’émergence de nouvelles techniques, telles que le réseau numérique et le multimédia, invoque un désir collectif de créer de nouveaux espaces de convivialité et, la « société du spectacle » succéderait donc la société des figurants, où chacun trouverait dans des canaux de communication plus ou moins tronqués l’illusion d’une démocratie interactive… » 5 L’art d’aujourd’hui serait dit relationnel car les sociétés actuelles exerçant une emprise trop forte sur les relations interhumaines, celui-ci chercherait à en créer d’autres, libérées d’une quelconque idéologie extérieure. « C’est 1 2 3 4 5

Nicolas Bourriaud. Esthétique Relationnelle. Les Presses du Réel. P 121. 1998 Ibidem. p 121 Ibidem. p 6 Ibidem. p15 Ibidem. p26


là que se situe la problématique la plus brûlante de l’art d’aujourd’hui : est-il encore possible de générer des rapports au monde, dans un champ pratique – l’histoire de l’art – traditionnellement dévolu à leur « représentation » ? (…) la pratique artistique apparait aujourd’hui comme un riche terrain d’expérimentation sociales, comme un espace en partie préservé de l’uniformisation des comportements. »6 L’art retrouverait alors une dimension politique, qu’il semblait avoir perdu jusque-là, il deviendrait le lieu de la sociabilité désintéressée.

Les nouvelles formes que prend l’art Cette analyse plutôt convaincante du jeune critique d’art et commissaire d’exposition explique les différentes formes que peut prendre l’art contemporain aujourd’hui, diamétralement opposées aux formes physiques que prenaient les arts classiques et modernes. Ainsi: « (…) les figures de ré6 7 8

Ibidem. p7-8 Ibidem. p 11 Ibidem. p47

« La partie la plus vivante qui se déroule sur l’échiquier de l’art se déroule en fonctions de notions interactives, conviviales et relationnelles ». Nicolas Bourriaud

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L’art comme moyen de résister Pour l’auteur, l’art contemporain, intègre les mutations actuelles des sociétés occidentales et opère dans ces années, un nouveau changement de paradigme. «L’avant-garde a cessé de patrouiller en éclaireur, la troupe s’étant immobilisée, frileuse, autour de certitudes. L’art devait préparer un monde futur, il modélise aujourd’hui des univers possibles. »7 Il ne s’agit plus pour l’art de guider naïvement les désirs des Hommes, de préparer le terrain pour un nouveau monde, forcément meilleur, mais de tenir compte du monde existant, et se présenter comme un « interstice social »8, à l’intérieur de laquelle ces expériences , ces nouvelles possibilités de vie s’avèrent possible. L’art abandonne cette idée progressiste portée par la modernité et vient occuper les espaces de résilience. « L’utopie se vit aujourd’hui au quotidien subjectif, dans le temps réel des expérimentations concrètes et délibérément fragmentaires. »37 «L’art continue alors à revêtir une dimension politique. Il cherche à faire s’exprimer des comportements non homogènes, propres à chaque individu et à chaque situation, et« (…) elles (les œuvres d’art) produisent des espaces-temps relationnels, des expériences interhumaines qui s’essaient à se libérer des contraintes de l’idéologie de la communication de masse ; en quelque sorte, des lieux où s’élaborent des socialités alternatives, des modèles critiques, des moments de convivialité construite. »37

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férence de la sphère des rapports humains sont désormais devenues des « formes » artistiques à part entière ; ainsi les meetings, les rendez-vous, les manifestations, les jeux, les fêtes, bref l’ensemble des modes de la rencontre et de l’invention de relations, représentent aujourd’hui des objets esthétiques susceptibles d’être étudiés en tant que tel (…) » 9

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Il poursuit en expliquant que : « L’aura de l’art ne se trouve plus dans l’arrière-monde représenté par l’œuvre, ni dans la forme elle-même, mais devant elle, au sein de la forme collective temporaire qu’elle produit en s’exposant. » 10L’œuvre qui, dans sa caractéristique formelle a perdu son aura au sens Benjaminien 11, à cause de sa reproductibilité technique, pourrait la retrouver, en tant qu’objet catalyseur de situations, de moments de sociabilité uniques. Elle pourrait participer à ce que Nicolas Bourriaud nomme «l’émancipation de la dimension relationnelle de l’existence. »12 L’art contemporain opère donc un déplacement radical par rapport à l’art moderne dans le sens où il ne nie pas l’aura de l’œuvre d’art mais en déplace l’origine et l’effet. 9 Ibidem. p29 10 Ibidem. p65 11 Walter Benjamin. L’Œuvre d’art à l’époque de sa reproductibilité technique, traduit par Frédéric Joly, Paris, Payot,1939 12 Ibidem p 64


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Fig. 70 Hiroshi Sugimoto, Salle 37


Conclusion

Comme deux jumeaux qui auraient été séparés à la fin de l'enfance, le Musée d’Art Moderne et le Centre de Création Contemporaine ont chacun suivi leur propre voie. Quasiment inséparables à l’origine, 80 ans de vie passée à s’ignorer, l’un pourtant en face de l’autre, ont conduit à l’affirmation de deux caractères bien différents. On pourrait dire que l’un des deux frères est resté sage, qu’il a décidé de poursuivre le rôle qui lui était initialement assigné et pour lequel il s’est toujours montré à la hauteur, et que le second, ayant vécu une adolescence difficile, faite d’occupations partielles, de déménagements, et de projet avortés, ai décidé lui, d’assumer pleinement son caractère alternatif, sa nouvelle identité, son originalité. Il est inutile de préciser que le jumeau le plus rangé est le Musée d'Art Moderne et que le jumeau le plus turbulent est le Centre de Création Contemporaine, même si il convient de nuancer en affirmant que l'un est l'autre surprennent ou déçoivent, par leur audace ou leur frilosité. Il semble que l’aile Est, qui a évolué de manière plus linéaire, et abrité principalement un seul programme (le Musée d’Art Moderne), semble aujourd'hui regarder autant vers le passé, vers la période qui l’a fait naître, et vers les arts qu’elle a exposé au début, que vers les arts contemporains, et leur modalités actuelles. Le Musée d’Art Moderne est considéré aujourd'hui comme un musée historique (ayant de nombreuses raison de l'être), qui présente des œuvres et des artistes du passé et dans un objectif pédagogique conventionnel, et des œuvres plus récentes, témoignant d'une certaine volonté de la part des directeurs et de commissaires à élargir leur base artistique. Cependant, les espaces tendent à retrouver leur aspect initial (1937) à se rapprocher de l’esprit, qui devait résider dans le musée lors de ses jeunes années. On pourrait dire que le Musée d’Art Moderne tend à la fois à devenir à l’art moderne ce que le musée d’Orsay est à l’impressionnisme, attirant une clientèle essentiellement parisienne et étrangère, séduite par des expositions portant sur des périodes fastes de l’art à Paris, et à la fois à s'intégrer dans des circuits plus contemporains.

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L’aile Ouest, est aujourd’hui un lieu beaucoup plus difficile à définir. Mêlant production et exposition de l’art, il se situe d’avantage dans une approche artistique expérimentale, inspirée de la Kunsthalle qui se veut contemporaine et révélatrice des pratiques actuelles. Assumant la dégradation de ses espaces, rappelant l'architecture de certains espaces industriels, décidé à tourner la page et à en écrire une autre sur le papier qui a servi à rédiger la première, et ouvertement inspiré de la friche culturelle le Centre de Création Contemporaine ne suit pas les mêmes logique que dette dernière. Premièrement c’est avant tout un lieu géré et voulu par le ministère de la culture, dans des espaces qui ont presque toujours été destinés à l’exposition. Ce n’est donc pas un lieu où spontanément une association ou un collectif est venu s’installer pour réaliser quelque chose à dimension sociale et/ou culturelle mais une véritable institution artistique nationale, financée en partie par des fonds publics et des fonds issus du mécénat privé. Ensuite, le Palais de Tokyo utilise la friche culturelle en tant que modèle, séduit par l’aspect participatif, interactionnel, émancipateur, etc. de cette dernière. Dans les faits il reste un lieu privé, payant et d’avantage fréquenté par des catégories aisés, des initiés et par des jeunes étudiants que par les catégories plus modestes qui fréquentent les friches culturelles. Enfin, les artistes qui exposent les œuvres au Palais de Tokyo sont systématiquement professionnels, et très souvent, préalablement adoubés, connus ou reconnus par le monde de l’art contemporain. L’art exposé est là aussi assez conforme à ce qui se fait dans les autres galeries d’art à la pointe en Europe et dans le monde. Le Palais de Tokyo est certes alternatif, en décalage avec son environnement (le 16ème arrondissement), et avec les autres institutions nationales parisiennes, mais il est loin d’être populaire et accessible à tous comme tendent à l’être les friches culturelles. Pour Patrice Joly, critique d’art, le Palais de Tokyo : "produit l’illusion d’une friche, et le côté underground assumé : « renvoie aussi bien à l’idée d’une culture populaire faite des déchets recyclés de la culture officielle qu’a l’idée d’une culture d’avant-garde et de résistance. L’Underground permet de se concilier les faveurs d’un public autochtone et sert aussi d’alibi avant-gardiste pour des publics spécialisés»1.

1

Patrice Joly, Tokyo Blues, Revue A+, n° 176, Juin-Juillet 2002


Pour les deux ailes, on remarque que l’architecture (les aménagements intérieurs notamment) tente de correspondre au maximum au programme artistique dans le but d’amener le visiteur à vivre l’expérience la plus totale au sens ou l’espace et ce qui y est exposé agissent de concert. Il ne s’agit pas de savoir si il faut retourner à un état initial ou préserver la ruine, mais plutôt de savoir que faire pour un musée d’art moderne et que faire pour un centre d’art contemporain novateur. Restaurer l’esprit du lieu d’un côté, et désorienter les visiteurs et désacraliser le lieu de l’autre, sont des choix relatifs et non des choix absolus, impliquant d’avantage la capacité des architectes (Jean-François Bodin et Lacaton & Vassal notamment) à s’adapter à des exigences particulières, que leur capacité à designer graphiquement des espaces d’exposition abstraits détachés de tout contexte. Comprendre les modalités de production et d’exposition de l’art moderne et de l’art contemporain est donc essentiel avant d’organiser, de dessiner, de créer, d’agencer, etc. ces espaces. Aujourd’hui, l’une et l’autre institution ont leur place dans le paysage artistique parisien, et malgré leur proximité, elles ne se marchent pas sur les pieds, ne sont pas concurrentes, les deux ayant un rôle bien déterminé, car s’occupant chacune d’une période artistique propre et correspondant à des manières particulières d’envisager l’expérience artistique (ou muséale). Cependant, on peut presque regretter un manque de coopération entre ces deux structures situées pourtant l'une en face de l'autre, puisque des espaces tels que le parvis pourraient être utilisés pleinement, la visite des deux ailes pourrait se faire simultanément, une seule expérience, mêlant deux parcours radicalement différents serait possible, des passerelles existeraient, visiter l’une permettrait de visiter l’autre ensuite, et le parcours successif de l’une puis de l’autre permettrait, par la comparaison immédiate, une certaine transversalité ou un certain recul critique sur telle ou telle manière d’envisager l’art, son exposition, sa mise à disposition du public, etc. Ainsi, ce rapprochement entre des jumeaux à priori fâchés l'un contre l'autre, pourrais donner raison à Michel Tournier qui écrivait en 1975 que : "Des jumeaux vrais ne sont qu'un seul être dont la monstruosité est d'occuper deux places dans l'espace".

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Remerciements

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