S ’ i l S S AvA i e n t une nouvelle à 2 voix
Rixile & Antoine Maine
Š 2015. Toute reproduction interdite sans l'autorisation des auteurs.
S ’ i l S S AvA i e n t une nouvelle à 2 voix
Rixile & Antoine Maine Sur les chapitres impairs : voix de Rixile Sur les chapitres pairs : voix d’Antoine Maine
ChapiTre 01
premier étage. Dans cet appartement vieillot il y a une moquette jaune sur les plinthes et un parquet abimé. il a déjà abrité beaucoup de vies. J’ai disposé de la chaleur, de la couleur, mes livres et mon piano. J’ai trouvé un espace dans lequel je peux vivre lentement. Je cherche une fine présence, la mienne, celle face à laquelle je me retrouve tous les soirs. Vertige insupportable que j’évite. J’ai peur du vide. Je remplis chaque parcelle de ma vie. Je remplis les nuits aussi. Chaque minute m’effraie. alors je vis à la folie, je joue, je chante, je ris. Je finis mon chapitre, place le marque-pages que Charlotte a réalisé et dépose mon livre sur la table du salon. echarpe blanche, manteau bleu, je descends l’escalier de moquette grise. Je marche. J’avance dans la ville. Je longe le fleuve. il m’apaise. Je l’entends chanter. Je vois le héron, l’ami. Chante-t-il, lui qui ne craint ni le vide ni l’attente ? Je croise des parents qui font rire leurs enfants, leur apprennent à rouler, à avancer plus vite. - On fait la course ? Mon écharpe vole au vent. Je marche jusqu’à la chute. J’aime l’entendre arriver. Je m’approche d’elle jusqu’à ce que le bruit de l’eau devienne étourdissant. Je m’enivre du fracas avant de repartir. Le fracas. Il y a six mois. Je poursuis ma déambulation. Je me crois dans les rues de paris, légère. J’aimerais danser là-bas. 4
Je ne veux pas rentrer dans mon espace. il n’y a personne. Je voudrais dormir avec le fleuve, ses bras m’accueilleraient, je serais sa protégée. Les gens que je croise ne me regardent pas. Derrière mes lunettes, je les observe. ils seront peut-être un jour dans mes rêves. Je brûle d’envie de les saluer, de leur chanter une mélodie, s’ils savaient.
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ChapiTre 02
J’ai refermé le portail. Une dernière fois caressé le bois. paume de la main contre les planches de châtaignier. La peinture s’écaille. Je n’ai jamais été un bon peintre. J’avais fait ça, il y a quelques années. C’était l’été. Un ciel bleu et vide. Clémence préparait des confitures. Groseilles du jardin. Je sens encore le parfum. acide et sucré. Charles jouait dans l’ombre rassurante du poirier. il se racontait des histoires. histoires de gamin qui joue tout seul. histoires de super-héros et de super méchants. histoires où tout se termine toujours bien. Avec mon vaisseau le plus rapide de la galaxie, je vais te rattraper et te transformer en bouillie. Alors ne me parle plus jamais comme ça. Ou quelque chose du genre. Un mélange de dialogue de dessin animé et d’invectives entendues lors d’une dispute à la maison. Deux tours de clé. Un passage par l’agence immobilière. Déposer le trousseau et les derniers papiers. J’ai refermé le portail. Je ne verrai plus ce jardin, la maison en son cœur. Bientôt une autre famille sera ici. aimeront-ils la confiture ? peut-être ne toucheront-ils même pas aux groseilles. C’est le merle alors qui s’en régalera. Salut l’oiseau. Tu vas me manquer. J’aimais ta compagnie. Tu arrivais à tire-d’aile dès que j’approchais du potager avec ma bêche. Tu savais que j’allais mettre à l’air de gros lombrics. il te fallait alors vaincre ta timidité, t’approcher de moi prudemment, l’œil aux aguets, quelques sauts rapides et d’un coup de bec précis, flèche jaune, saisir la proie ainsi offerte et t’envoler. Tu étais parfois l’unique sourire de ma journée. Mais ça tu ne le savais pas. J’ai pris la route maintenant. Le gamin s’est endormi à l’arrière. Son sommeil me réconforte. Dans le rétroviseur, j’aperçois la barre des montagnes qui semblent s’éloigner de moi. Lentement glisser derrière l’horizon. Comment vivre si loin d’elles ? Demain, nous serons dans cette ville. Un appartement au bord du fleuve. F3, deux chambres, une pour Charles, une pour moi. Un balcon. De là, on ne verra plus la montagne. Le fleuve en bas, est large. il paraît qu’il y a une chute d’eau, un peu plus loin, en aval. après le pont.
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ChapiTre 03
Mon ventre me brûle. il se souvient. Je ne m’y arrête pas. Je dois l’oublier. Je rentre. J’avale un bout de pain et de fromage, ni pour la faim ni pour l’envie, mais pour pouvoir tenir. La soirée sera longue. Je passe rapidement la brosse dans mes cheveux, refais mon chignon, vérifie ma silhouette dans le miroir. Je place livres, partitions et bouteille d’eau dans mon sac. Je ferme la porte de mon appartement. Deux tours de clé. Je descends l’escalier, le pas léger. La ruelle laisse place à la grande rue sonore. Je marche jusqu’à l’arrêt. J’aime prendre le tramway. La machine glisse lentement. J’écoute son arrivée, le bruit des rails qui précède celui de l’appareil. J’entre dans la rame. J’y lis des poèmes, en harmonie avec l’engin, sa lente avancée, les passagers, la ville qui défile. Ce moment m’apaise. Je suis loin. Je voyage en poésie. Dans ma tête, les mots chantent. Les gens vivent, je fredonne. S’ils savaient. La répétition nous mènera loin. Les seconds violons flâneront. Les violoncelles caresseront. Le hautbois scintillera. Nous resterons humbles et appliqués. Les notes, seules, dicteront. Je partirai vite après la répétition retrouver mon appartement silencieux. Dans l’escalier, mon pied heurtera un jouet, un tricycle miniature rouge et gris se confondant avec la moquette. Mon ventre se nouera. Mes yeux pleureront. La nuit sera longue.
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ChapiTre 04
J’étais parti juste avant l’aube. Le jour n’était encore qu’un liseré de blanc sale, coincé entre la ligne brisée des crêtes et le pied du ciel. J’avais garé la voiture sur le petit parking juste en dessous du col, vide à cette heure-ci. Dehors m’attendait le silence. L’air était d’un froid aigu. Dans la pénombre, je m’étais avancé sur le sentier. prudent. Je ne savais pas où je posais les pieds. J’ai marché comme ça, de plus en plus vite au fur et à mesure que montait le soleil. Je découvrais le chemin, les pierres, les roches. Sur les pentes raides, au milieu des éboulis, poussaient les myrtilles. Un à un, les sommets apparaissaient. pointes minérales plantées dans le ventre mou des nuages. Je pensais qu’à longues enjambées, je finirais bien par épuiser la colère qui grondait en moi. ai marché longtemps. Me suis arrêté enfin, au sommet d’une butte, assis sur un rocher. ai contemplé le lac en contrebas. Les premiers oiseaux venaient s’y abreuver. Le décor se dressait, vierge dans la lumière blanche. ai senti faiblir la colère. Dans le silence des pierres, il y eut un bruit. Cela venait d’un bosquet de genévriers. Un peu plus bas. Quelques arbres gris tassés au milieu des rochers. Le feuillage bruissait. On percevait comme un souffle. Un souffle puissant. Des mouvements furtifs. Juste une ombre entre deux troncs. plus loin. Une masse brune se dégagea. Un geste souple. Je ne bougeais pas. J’étais pétrifié. alors, l’ours quitta l’abri des arbres. J’étais parti juste avant l’aube. Charles passait la nuit chez un de ses copains. Je marche le long du fleuve. La ville dort sous un voile de nuages blafards. Je sens encore la cicatrice, tout au fond. Là où s’était logée la colère, autrefois. Cela faisait plusieurs mois. J’étais revenu du monde des pierres. Sauvé par un ours. C’est lui qui désormais trimballerait ma colère à travers la montagne. il saurait bien la fatiguer. en venir à bout. alors, elle glisserait au sol, vidée de son jus amer, roulerait jusqu’au premier plat et commencerait une nouvelle vie. Une vie de pierre parmi les pierres. Dans le haut silence. Je marche en pensant à cette pierre que j’aurais pu devenir. Quand le jour s’est levé, j’étais arrivé à la chute d’eau.
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ChapiTre 05
Mel et rose me proposent d’aller dormir à la bergerie. J’accepte. J’ai besoin de sortir de la ville, lire la poésie ailleurs, ramasser des cailloux, distinguer le ciel de la terre. Je prépare duvet, oreiller, chaussures pour marcher et mousse au chocolat. Mel adore ça. Dans la bergerie, il n’y a ni eau, ni électricité, ni brebis. La forêt nous accueille. Le froid nous surprend. Nous allumons un feu dans la cheminée et nous passons la soirée ensemble, la chaleur face à nous, le froid dans notre dos. Nous nous éclairons à la bougie. C’est fou comme une bougie peut inviter la lumière. Nous ouvrons une bouteille de vin pour accompagner la mousse. Nous écoutons les crépitements du bois, le souffle des flammes, les paroles murmurées, les peines, les silences, le soir qui tombe. Nous inventons une mélodie. Chaque note est juste. L’harmonie autour de nous. Dans cette justesse-là, je me sens apaisée. Le silence qui nous entoure me réconforte. La forêt m’enveloppe de ses arbres. La nuit est belle. elle me porte vers la tonique du matin. Les montagnes m’offrent leur poésie. Je n’ouvre pas mon livre. Tout est beau ici. De retour dans la ville, je retrouve l’immeuble, ses pierres. J’ai glané quelques cailloux. Je les mélange à ma collection, les touche, les explore. Mes mains y puisent leur force. Mon corps tente d’oublier. Je crois que l’appartement vide du deuxième a accueilli un nouvel arrivant. J’entends des pas nouveaux. en guise d’accueil, je m’installerai au piano. Qui entendra les notes filer sous mes doigts ? Je n’ai que la musique à offrir. Mon unique présent. 9
ChapiTre 06
Ça se passe de l’autre côté du fleuve. Sur la longue avenue qu’ombragent les marronniers. ils sont en fleurs depuis quelques jours. et ça dessine comme des petites taches sur le pelage d’un animal. Un animal long et vert avec des touches de rose et de blanc. Dans la cuisine, les fenêtres sont grandes ouvertes. Bras tendus pour accueillir le printemps. J’épluche les pommes de terre. Je m’efforce de ne faire qu’une seule et longue pelure. Tout là-bas s’élève le brouhaha du peuple en marche. Ce bruit de mille vies qui piétinent dans la tiédeur de l’après-midi. On vocifère des slogans, les balance par-dessus les têtes et ils retombent mollement sur le macadam. On agite les banderoles en lettres capitales et ça fait flip-flop dans le vent. On veut l’égalité tous ensemble tous ensemble non non non à l’injustice ras le bol des guignols à bas à bas la dictature la lutte continue solidarité avec etc. C’est jour de grève. Grève nationale. La ville est bloquée. Tout le pays sans doute. il n’y aura pas de courrier aujourd’hui. Je nettoie les carottes. Charles est dans sa chambre. Je l’entends. pas d’école. pas de travail non plus. Le nouveau chantier commencera demain. Je n’arrive pas à m’intéresser à ce qui se passe dehors. Je me souviens pourtant des années de colère, des années de lutte. Des paroles de vérité que l’on se passait de main en main. Du temps lointain des certitudes et des volontés d’avenir. Des aurores idéales qui d’heure en heure se dilueront dans le grand bain des jours. Cela a existé, mais ça devait être la vie d’un autre. Un autre à visage de moi. C’est jour de grève et je tranche les poireaux. J’ai emmené Charles au parc. Jouer au foot. Nous rentrons en passant par le pont. On s’arrête pour regarder les poissons. ils sont là stationnés à contre-courant. Leurs corps qui ondoient sous la caresse des longues plantes aquatiques. Chevelures des naïades. Dans l’entrée de l’immeuble, on entend de la musique. Quelqu’un joue du piano, ça doit être au premier étage. Sur les marches, la moquette est grise et usée. On s’assoit pour écouter. Charles s’appuie contre mon épaule. La musique est belle. Ce soir, nous mangerons la soupe de légumes.
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ChapiTre 07
Je joue beaucoup ces derniers temps. J’enchaîne les études, les pièces des grands, quelques compositions. il y a dans mes doigts une force insoupçonnée. Les voisins doivent commencer à me haïr. J’aime jouer la fenêtre ouverte quand le soleil s’invite chez moi. Le printemps m’offre ses bras. J’ai l’impression d’un échange entre lui et moi. il pénètre doucement dans mon salon. Je lui offre les notes qui sortent prendre l’air. pour me détendre, je cuisine quelques petits gâteaux. Je les offrirai à l’homme à l’enfant. Je lui dois bien ça. il doit être affolé d’être arrivé là. Jusqu’où mon piano résonne-t-il ? Comment l’entend-il ? J’aime la pâte dans mes mains. Je pétris, je malaxe, j’incorpore, je muscle mes doigts. Ma tête ne pense plus à rien. Mon ventre se repose. Ça sent les fruits confits, la cannelle, le sucre et le chocolat. Je dispose les petites formes sur les plaques recouvertes de papier sulfurisé. Les cuissons s’enchaînent. Je laisse refroidir. Je m’assieds avec Duras. Je n’ai jamais écrit, croyant le faire, je n’ai jamais aimé, croyant aimer, je n’ai jamais rien fait qu’attendre devant la porte fermée. Je me décide. J’enveloppe les petits gâteaux dans un sachet transparent. Je ferme avec un beau ruban. Je monte l’escalier et me tiens debout devant la porte fermée. Je suis bien trop timide pour parler, trop blessée pour sourire, trop gênée pour sonner. 11
Je pense à Duras. Je ne dois pas attendre. Je frappe à la porte. L’homme ouvre. J’aperçois d’abord le visage de l’enfant derrière lui. Je m’appuie sur son regard curieux. - Voici quelques confiseries pour m’excuser de tant de piano. Je voudrais maintenant qu’il referme sa porte, que je puisse m’enfuir, m’en retourner à mon ventre meurtri, m’enfouir dans l’écriture de Marguerite Duras et oublier les yeux de l’enfant.
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ChapiTre 08
Toujours pas de courrier ce matin. Je remonte le cours du fleuve. Ça et là, pointent quelques îlots que l’on dirait échoués. Grises baleines ensablées que la mer dans sa retraite a oubliées. S’y perchent les hérons, les cormorans, les mouettes et les canards. et en cette saison, quelques sarcelles en route pour le Nord. en période de basses eaux, j’imagine que l’on pourrait gagner l’autre rive simplement en sautant d’île en île. en prenant pied quelques fois sur les roches plates qui affleurent. On traverserait le fleuve ainsi, mais à la dernière station, on ferait demitour. Ma vie est sur cette rive-ci. Le fleuve est une frontière. hier nous avons rencontré la voisine du dessous. elle nous apportait des confiseries pour s’excuser du dérangement, du bruit. C’est elle, le piano que l’on entend. J’étais en train de désinfecter ma main. Une blessure au travail dans l’après-midi. Un poirier à tailler. Un coup de sécateur. Le gant que j’avais oublié. Le pouce entaillé et le sang qui coule. Je désinfectais et ça recommençait à saigner. abondamment. elle a frappé à la porte. J’ai attrapé une serviette pour protéger ma main. Suis allé ouvrir comme ça avec la main enturbannée. Tandis qu’elle parlait, je sentais le sang qui imbibait le coton. J’ai répondu, bafouillé quelques mots. Bonsoir. Il n’y a pas de problème. Ne vous inquiétez pas. On n’entend presque rien. Merci. Le sang et tout le reste, je souhaitais qu’elle s’en aille. Soigner mes plaies. Je ne voulais pas lui dire que le jour de la grève nous nous étions assis sur les marches pour écouter le piano. C’est Charles qui le lui a dit. il était content pour les gâteaux. Je ne voulais pas lui dire que c’était beau. C’est Charles qui le lui a dit. Je voulais qu’on me laisse. elle m’a dit : Vous êtes blessé ? J’ai dit : Oh, rien de grave. Merci pour les… confiseries. Au revoir. J’ai refermé la porte. Je suis celui qui attend sur une île au milieu du fleuve.
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ChapiTre 09
J’ai vu qu’il saignait. Je n’ai rien fait. Ma mallette n’était pourtant pas loin. L’homme ne voulait pas de soin. Les mots de l’enfant m’ont fait du bien. Je redescends les marches une à une. Je ne veux pas rentrer. Je m’assieds sur la moquette grise. Je prends ma tête entre mes mains. J’entends encore l’enfant me parler, résonance de ma souffrance. Je me souviens de la voix de rose, le jour où elle m’avait accompagnée. elle savait. Je lui avais envoyé un message dans le soir, le seul que j’avais pu écrire, fil invisible dans la nuit m’emportant vers le refus de cette vie. il n’y avait plus de refuge désormais. La voix de l’enfant du voisin résonne encore dans mon ventre. J’y pose mes mains. Je veux garder sa parole en moi, dans le coin douloureux, la déposer puis l’absorber, étendre sa voix comme un pansement. Je dois me relever. Cet enfant. Ses yeux. Sa tignasse ébouriffée. et l’autre, celui qui ne viendra jamais. Je décide de rentrer chez moi. Je n’ai pas le choix. Qui m’accueillera ? Sinon les marches pas après pas ? Dois-je penser à l’enfant ? S’il avait été ? Si j’avais pu passer mes mains dans ses cheveux, faire chanter ses yeux, l’embrasser, le border dans des histoires, le regarder dormir, le nourrir, lui raconter le fleuve, les poissons, lui faire traverser le pont, lui donner doucement ma voix, l’entourer de mes plus tendres bras. Si j’avais voulu. Je referme ma porte, deux tours de clé. Je pars vadrouiller. Je suis fatiguée.
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Mes yeux se mettent à briller. Les rues sont presque désertes. Je marche jusqu’à la place royale. - Pourquoi tu pleures ? Ça ne peut pas arriver comme ça, pour rien. il n’y a personne. L’enfant ne dira jamais rien. Mon ventre est vide.
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ChapiTre 10
Le courrier est arrivé ce matin. Une enveloppe blanche noyée dans la multitude colorée des messages inutiles. La lettre est maintenant posée sur la table de la cuisine. Là. Dehors j’entends les oiseaux, une tondeuse dans le parc voisin, le bruit de la ville et le bleu du ciel. La lettre est si lourde que l’air qui passe en courant est incapable d’en agiter les plis. elle est lourde comme une pierre. Une pierre de la montagne. Une pierre de la colère. elle m’écrit qu’elle ne viendra pas. Ne viendra plus. et quelques mots autour de ça, impuissants à masquer l’essentiel. L’horizon qui s’efface. C’est une femme qui écrit sur des feuilles de papier, les plie en trois, les glisse dans une enveloppe, ajoute une adresse, un timbre. et le jour d’après, cela tombe sur la table. Des mots à l’encre bleue pour dire que tout est fini. il me faudra des minutes longues comme des heures creuses pour me lever, saisir la feuille, la fourrer dans la poche du jean, poser mes pieds dans les pas de l’ombre et quitter l’appartement. Je vais chercher Charles à la sortie de l’école. Sur le chemin, je m’arrête au bord du fleuve. Des vagues agitent son dos. il semble tourmenté. Je sors la lettre, la déchire en mille petits morceaux. Sur la berge, le héron m’observe. inquiet, il se balance d’une patte sur l’autre. Derrière lui, j’entends le grondement de la chute. Dans le fracas des gerbes d’eau, se noieront bientôt mille petits papillons aux ailes arrachées. Qu’est-ce qu’on mange ce soir, Papa ? me demande l’enfant. Il reste de la soupe et j’ai acheté du fromage. Ça ira ? Je me dis qu’il y a encore beaucoup de soupe. Je pourrais proposer à la voisine du dessous de venir la manger avec nous. C’est une bonne soupe et je n’ai pas été très aimable avec elle l’autre soir. Je n’en parle pas à Charles. Ce sera une surprise. Je crois qu’il aime bien cette femme. en arrivant dans le hall de l’immeuble, je reconnais sa voix à l’étage. elle parle. Sa voix est douce. elle dit : A bientôt. puis : Moi aussi. elle ne nous a pas vus. Je regarde maintenant l’homme qui descend l’escalier, le pas léger. il passe devant nous, se dirige vers le parking. J’entends la porte au premier étage qui se referme. Lentement. J’arrête Charles au pied de l’escalier. Je lui dis d’attendre. Et si avant de rentrer, on allait se promener au parc ? il est d’accord. On fait la course ?
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Š 2015. Toute reproduction interdite sans l'autorisation des auteurs.
S ’ i l S S AvA i e n t une nouvelle à 2 voix Ça parle d’un fleuve, d’un piano, d’un escalier mais aussi de confiseries, de grève nationale et d’un ours. Ça raconte le silence de nos vies.
Rixile
Antoine Maine
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