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Etant donné - texte de Elodie Morel

« Étant donné » est une exposition invitant à la discussion, au débat. Dans le cadre de l’exposition « Les yeux palpitent, le cœur crépite », l’objectif est de mettre en avant la relation artiste / spectateur et de rendre à ce dernier toute sa place d’acteur au sein de cet échange. Le spectateur est donc invité, à l’issue de la visite, à tracer son propre « système » d’explication sur le paper-board de la petite salle.

Antoine Perez postule clairement sa subjectivité (il fait partie de l’OSI, Observatoire Subjectif International), son refus absolu de l’absolu et l’absurdité du dogmatisme. Ses schémas nous donnent à voir la complexité du monde à travers des systèmes éphémères et infinis, autrement dit une vision holistique qui peut être absente de la vision occidentale, et qui s’ancre plutôt dans les philosophies extrême-orientales. Ces systèmes se nourrissent des sérigraphies sur papiers peints, des dessins et des sculptures qui les encadrent : Une vision du monde nourrie de voyages, de réflexions politiques et sociales, et de dialogue interculturel. La Toguna Tate Modern, maquette de la célèbre galerie londonienne, monument post industriel par excellence, ici réalisée en torchis, est un exemple de la manière dont Antoine Perez fait dialoguer (ou se fracasser) les codes. A l’origine, la sculpture était liée à une case à palabres, lieu de discussion où l’égalité est induite par la forme basse de l’objet (voir le carnet retraçant le projet). La forme induit l’usage, et les relations sociales qui lui sont liées. La sculpture s’insère dans la salle intitulée Ajustements dogmatiques, composée de sérigraphies de Selon nos calculs, la terre est bien carré, parodie d’une affirmation scientifique écrasant de son « expertise », répétée industriellement comme pour mieux endoctriner le visiteur, et que complète le poème « Étant donné » (poésie protocolaire). Diogène (issu du tableau de Gérome, 1860), symbole d’une vie dénuée et proche de la Nature, côtoie Marcus Coates, artiste dont les performances « chamaniques » tendent à la rédemption des rapports de l’Homme à la Nature, et une vision « entertainement » de la déforestation avec le surgissement d’une fenêtre Youtube à travers le papier peint. La planète des vaches, mur de la salle centrale, évoque le fameux film La planète des singes (lui même issu d’un roman de 1963 de Pierre Boule), remise en question de notre évolution darwinienne. La question de l’action artistique nous met face à nos responsabilités et notre capacité d’« agir dans le champ social ». L’œuvre d’art est questionnée comme production (industrielle ?) et mise face à sa capacité d’aliénation. L’illusion du spécialisme confronte une vision de l’art discount, consommation rapide et vidée de sens, face à la tradition presque devenue illusoire de la traction animale comme source lente et durable d’énergie ; le peintre du dimanche, outillé du dernier cri, symbolise le regard « éclairé » d’un spectateur limitant l’art à son jugement esthétique (à confronter à la citation de Picasso sur le mur opposé). Les deux sculptures de la grande galerie nous parlent d’autres échelles et d’illusions : un aileron de baleine « customisé » au point de ressembler à une langue... En effet, comment l’Homme peut-il traduire les besoins et la protection d’une espèce dont nous ne parlons pas la langue ? Dans Les cargos meurent aussi, les champignons bien réels grignotent une image bien fragile de porte-conteneur. On pense aux organismes vivants et transportés malgré eux d’un coin à l’autre de la planète, forme de viralité mondialisée parmi d’autres. Enfin, C’est en bûchant qu’on devient bûcheron montre le positionnement de l’artiste, humble face aux géants de l’histoire des arts, et qui l’enrichit à son tour par ses modestes réalisations et avec ses propres moyens. Sa quête est celle de l’être humain, de trouver sa place parmi ses pairs.

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Élodie Morel, 2014

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