Interview_F.MARTENS

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Interview de Francis Martens (2), 12 décembre 2003 par Monique Liart (Bulletin Mensuel de l’École de la Cause)

M.L. : Francis Martens, vous avez lu les interviews de Philippe Fouchet, de Hubert Van Hoorde et de Philippe Hellebois, dans le dernier n° spécial de La Lettre Mensuelle. La proposition de loi Mayeur est accusée, par certains, d’obéir à un système d’évaluation universitaire et de donner une place privilégiée à la faculté de psychologie. Freud et Lacan ont défendu tous les deux la thèse de la psychanalyse laïque. Cela signifie qu’il n’y a pas de formation de base privilégiée pour devenir psychanalyste et que c’est au contraire une source de richesse intellectuelle pour les écoles de psychanalyse que d’avoir des membres venant d’horizons très différents. Il faut évidemment que la véritable formation analytique ait lieu, c'est-à-dire l’analyse personnelle, les contrôles et la formation théorique que dispensent les écoles de psychanalyse hors de l’université. Pensez-vous qu’une loi puisse traduire exactement ce souhait de la psychanalyse et pensezvous qu’il est possible de modifier la proposition Mayeur dans ce sens ? F.M. : La proposition de loi «Mayeur» ne s’attache pas à définir un cadre de formation normalisé, garanti et supervisé par l’État, pour les psychanalystes. C’est totalement étranger à sa visée. Les psychanalystes, par ailleurs, ne sont pas demandeurs. Ce texte donne un cadre légal aux critères d’études pré-requis pour travailler dans le champ très diversifié de la santé mentale. Il ne définit pour autant aucune notion d’«exercice illégal» en la matière. La proposition, tenant compte de la complexité socio-clinique du terrain et de la diversité des parcours professionnels, préserve cette diversité en matière de formation. Elle énumère une série de filières universitaires et non-universitaires qui, donnant une large place à l’enseignement et aux stages en matière de psychologie et de psychopathologie, préparent à travailler dans ce contexte. Mais, tenant compte de la pluralité des voies et des cheminements qui peuvent aboutir à une compétence en matière de santé mentale, elle ne ferme aucune porte. Virtuellement, tous les parcours sont possibles pour autant que les praticiens qui en sont issus acceptent d’éventuels compléments de formation. Un des grands mérites de la proposition de loi, sous le chapiteau général des professions de la santé, est de ne pas faire de la santé mentale un sous-chapitre de celui des professions médicales, comme c’est communément le cas au plan législatif. Ici, les deux champs apparaissent complémentaires, sans subordination de l’un à l’autre — chaque démarche gardant sa nécessaire différence. M.L. : Pensez-vous utile d’introduire une différentiation entre psychanalyse et psychothérapie dans ce texte de loi ? F.M. : C’est non seulement inutile mais dangereux. Si la théorie psychanalytique, de son point de vue, différencie à raison les registres du «psychothérapique» et de l’«analytique» (comme on peut opposer, au sein d’une même cure psychanalytique, les moments de «liaison» et ceux, décisifs mais plus rares, de «déliaison»), du point de vue socio-professionnel la distinction apparaît confuse si on l’emploie pour exclure la psychanalyse du champ des psychothérapies. Elle est, en tout cas, inintelligible au commun des mortels et dès lors au politique. Pour ce dernier, la distinction passe plutôt entre les champs du dysfonctionnement (traité par la techno-médecine) et de la souffrance (accompagnée par la psychothérapie), ou encore entre ce qui relève de l’intervention technique (du traitement et du soin) et ce qui a trait a une prise en compte de la subjectivité humaine dans le champ de la relation et de la parole. Anthropologiquement, cette distinction (qu’elle soit perçue consciemment ou non) est présente dans chaque culture. Dans cette perspective, vouloir situer la psychanalyse hors


champ risque tout simplement de la voir mise hors jeu : par exemple, au Conseil National de la Santé Mentale. M.L. : Pensez-vous que les écoles de psychanalyse seront habilitées à reconnaître la formation de leurs membres ? Feront-elles partie du Conseil national de la santé mentale ? N’est-il pas dangereux d’installer ainsi un système d’évaluation, qui risque, au fil du temps, de devenir totalitaire ou asservi à tel ou tel groupe de pression (médical, psychologique, politique) ? F.M. : Du côté de la reconnaissance, l’enjeu ne se place pas là. Il est essentiel que le trajet particulier qui aboutit à l’émergence d’un psychanalyste (qualité dont seuls in fine ses analysants pourront témoigner) reste du ressort des associations de psychanalystes. En ce qui la concerne, la proposition «Mayeur» - outre l’encadrement législatif des professions de la santé mentale – prévoit la protection d’un titre de psychothérapeute, sur base de formations supplémentaires qui restent à définir. Il relèvera du choix de chacun(e) de vouloir ou non bénéficier de ce titre. Mais, en tout état de cause, que l’on appartienne au cadre défini légalement des professions de la santé mentale ou non, que l’on porte le titre de «psychothérapeute» ou non, il restera, pour tout qui a choisi le parcours psychanalytique, à être reconnu en tant que «psychanalyste» par tel ou tel groupe de formation à la psychanalyse. On pourra toujours se réclamer de ce simple label. Par contre, il est clair que le fait de porter, en outre, le titre de «psychothérapeute» donne un surcroît de visibilité – et donc de critères de discernement – à tous ceux qui sont amenés à faire un choix en la matière, qu’il s’agisse de particuliers ou de pouvoirs publics. En matière de formation à la psychothérapie, il importe tout particulièrement de ne pas confondre condition nécessaire, ou souhaitable, avec condition suffisante. Nous connaissons tous l’importance du cursus extra-académique auxquels s’astreignent les futurs psychanalystes : en tout premier lieu leur propre cure. Il en va de même dans d’autres mouvances psychothérapeutiques. Il est souhaitable que le futur Conseil National de la Santé Mentale soit sensible à cet aspect des choses. À nous de nous faire entendre, et tout d’abord comprendre. Quant à la composition précise du Conseil, il paraît peu imaginable – numériquement - d’y voir siéger des représentants de chaque groupement de psychanalystes, car il doit donner place à de multiples instances représentatives des divers courants et pratiques en matière de santé mentale. Il importe surtout que chaque école de pensée soit représentée de manière équitable. Pour terminer, il faut préciser que, dans le contexte belge, il ne s’agit pas d’«évaluation» de pratiques mais de critères de définition de statut et de titre pour celles et ceux qui souhaitent en bénéficier, sans exclusive de départ. La chasse aux sorcières n’est pas au programme. Côté «totalitarisme», le mot m’étonne un peu. Tout état de droit peut évidemment partir à la dérive, mais – à condition que son contenu ne soit pas inique – c’est précisément la fonction tierce de la loi qui protège du totalitarisme, qu’il soit violent ou larvé. Il n’est pas étonnant, enfin, qu’en matière de santé mentale la psychiatrie et la psychologie se voient souvent citées. S’agissant de violons, on se réfèrera plus volontiers aux luthiers qu’aux orfèvres : mais nombre d’orfèvres s’avèreront meilleurs musiciens que divers luthiers. Ce qui serait fâcheux, c’est que les luthiers prétendent à un monopole sur la pratique du violon. L’image vaut ce qu’elle vaut… C’est une façon de m’amener à dire qu’en tant que président du groupe de psychologues cliniciens numériquement le plus important en Belgique francophone*, je ne suis pas mécontent de notre absence de corporatisme. Sous la législature précédente, un projet de loi donnait le monopole de l’exercice de la psychothérapie aux psychologues et aux médecins, rejetant tous les autres dans les eaux troubles du «counseling». Notre groupe a combattu ce projet et l’a fait échoué. Notre identité de psychanalystes n’y est pas pour rien. * APPPsy (Association des Psychologues Praticiens d’Orientation Psychanalytique)


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