Bruxelles, 17 avril 2012 Chers Marie-Claire Lambert, Morgane Lobjois, Yvan Mayeur, suite à notre rencontre du 14 mars autour de la proposition Muylle (échange auquel Yvan Mayeur n’a pu être présent), je voudrais souligner les priorités de l’APPPsy (Fédération nationale agréée des psychologues praticiens d’orientation psychanalytique : numériquement la plus grande association de psychologues cliniciens et de psychologues psychothérapeutes de Belgique francophone). En effet, depuis des années, nous avons travaillé de concert avec Yvan, divers élus PS et leurs collaborateurs, autour de plusieurs projets et propositions de loi – concernant la psychologie clinique et la psychothérapie – et nous avons le sentiment qu’au cours de la dernière législature le contact s’est un peu perdu. C’est dû en partie à notre propre lassitude : jouer le garde-fou depuis une douzaine d’années pour contenir les mêmes visées corporatistes (resurgissant sans cesse sous des noms différents) n’a rien d’enthousiasmant alors qu’il y a tant de priorités urgentes du côté de la santé mentale. C’est dû aussi à l’ambiance de manipulation qui a entouré l’avant-dernière resucée du projet Aelvoet : la proposition Goutry. Dans le groupe de travail, consacré essentiellement à la psychologie clinique, lors de l’audition des experts, le plus grand groupe de psychologues cliniciens francophones a été – malgré sa demande répétée d’être entendu - systématiquement écarté ! Pourquoi ? Parce qu’il fallait ne faire entendre que les experts favorables à un texte auquel, pour des raisons essentielles, nous nous opposons depuis longtemps. Aujourd’hui, le serpent de mer réapparaît sous la forme d’un copié/collé bâclé des textes précédents : la proposition Muylle. À chaque législature, le même lobby de psychologues (essentiellement néerlandophones) convainc un(e) parlementaire (sous prétexte de préserver les psychologues de l’exercice illégal de la médecine et de protéger le public des charlatans) de redéposer, après un vague lifting, un même papier dont la finalité - pour des raisons tactiques - n’est visible qu’en filigrane : dans le cadre de l’Arrêté Royal 78, donner à l’exercice de la psychologie clinique un cadre législatif de type paramédical, qui permette dès que possible de doter les psychologues cliniciens (après «splitsing» de la sécurité sociale) de numéros de code INAMI - ou plutôt RIZIV - sur le mode des kinés. Cela implique organiquement la mise sous la dépendance des Commissions Médicales Provinciales de la pratique des psychologues cliniciens et, plus spécifiquement, de celle des psychologues psychothérapeutes. Or, ceci est totalement inacceptable. Non pour des raisons de susceptibilité identitaire, mais parce c’est en radicale contradiction avec les réalités du terrain. Nous sommes partisans certes d’une mise à jour et d’une simplification de l’A. R. 78 (nous avons proposé une réforme de fond en ce sens tout en étant conscients qu’elle se heurte pour l’instant à trop de corporatismes), mais pas sur un mode prenant comme référence normative l’exercice de la médecine dans les années trente. À cette époque, la médecine disposait de peu d’arsenal technique (ni antibiotiques, ni psychotropes, encore moins d’imagerie médicale) et le personnage du médecin, sa culture, sa formation humaine, son expérience étaient déterminantes dans sa relation
aux patients. Les études de psychologie n’existaient pas et le «docteur», appuyé sur sa seule sensibilité et son seul bon sens, intervenait souvent de facto comme conseiller, psychologue, psychothérapeute. Aujourd’hui, nombre de médecins sont devenus des techniciens spécialisés en tel ou tel organe. Cela nous sauve quelquefois la vie, tout en laissant dans l’ombre les dynamiques profondes (conflits, stress, angoisse) qui ont mené au dysfonctionnement des organes lésés. Ceux qui tentent de remettre les dysfonctionnements locaux dans la dynamique générale d’une vie – les bons généralistes, les psychiatres bien formés – correspondent à une minorité souvent marginalisée. L’enseignement de la psychologie a pratiquement disparu des études de médecine. Par contre, depuis la seconde guerre mondiale, les études de psychologue, de travailleur social, les formations à la psychothérapie, ont prospéré. Pratiquement, ces dernières correspondent à des cursus réalisés après – ou parallèlement - aux études supérieures (y compris pour les psychiatres). En fait, l’écrasante majorité des psychothérapeutes ne provient pas de la filière médicale, et la plupart des formations à la psychothérapie sont assurées par des psychologues psychothérapeutes — pour les psychiatres y compris. En d’autres termes, la psychologie et la médecine contemporaines évoluent dans des rapports de complémentarité et d’indépendance l’une par rapport à l’autre, et l’exercice de la psychothérapie n’est plus que très marginalement le fait des médecins. De plus, dans le contexte dominant de la techno-médecine, la pratique même de la psychiatrie se voit menacée (surtout en milieu hospitalier). Le psychiatre, en effet, est de plus en plus réduit au rôle de prescripteur et sa formation spécifique amenuisée comme peau de chagrin. En fait, l’idéologie néolibérale - via l’association des psychiatres américains (APA) - a véritablement fait main basse sur la réflexion et la pratique psychiatriques, en imposant peu à peu aux psychiatres du monde entier un «manuel diagnostique et statistique» (le DSM-IV) qui, refusant de s’interroger sur le contexte – somatique, psychique, social – des souffrances psychiques, les réduit à des «troubles» (disorders) qu’il faut éliminer du paysage sans s’interroger sur leurs causes. Ce refus de la réflexion psychopathologique est tout simplement un refus de la pensée au profit du maintien d’un ordre social donné — quelles que soient les souffrances qu’il occasionne. Nous sommes ici devant des choix politiques. Car qu’en est-il de la réalité socio-clinique ? Selon les prévisions épidémiologiques les plus récentes (OMS), la dépression est annoncée à court terme comme la seconde cause non pas simplement de maladie mais d’invalidité au monde (après les maladies cardio-vasculaires). Or, dans le monde occidental, elle se voit corrélée en premier avec la solitude, en second avec le chômage. Ces faits parlent d’eux-mêmes. La complexité de la maladie mentale et des comportements associés impliquent une approche interdisciplinaire dans le respect des différences. Vouloir paramédicaliser la psychologie clinique et la psychothérapie est non seulement anachronique et corporatiste, mais lourdement idéologique. D’un point de vue légistique, c’est en outre absurde. Pourquoi, dans l’Arrêté Royal 78, les psychologues cliniciens - dont la pratique s’avère hétérogène à la médecine - seraient-ils paramédicalisés ? Alors que les dentistes – peu suspects d’échapper à la techno-médecine – ne le sont pas ? Merci de bien vouloir être attentifs à cet aspect des choses et bien à vous, Francis Martens Président de l’APPPsy __________________________________________________________________________________________ FEDERATION NATIONALE AGREEE DES PSYCHOLOGUES PRATICIENS D’ORIENTATION PSYCHANALYTIQUE app.psy@skynet.be, 53, rue du Président, 1050 Bruxelles, http://www.apppsy.be