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LE DÉCLIN DE L’EMPIRE PSYCHIATRIQUE JACQUES HOCHMANN1 On s’en va répétant que la psychiatrie française est en crise, crise des moyens, aujourd’hui en régression, mais aussi crise des valeurs et crise de doctrine. Des drames spectaculaires ont porté ce malaise devant l’opinion publique et fait tomber une « nuit sécuritaire » dont les politiques ont aussitôt profité pour annoncer leur intention de légiférer, en affirmant le besoin d’une « réforme en profondeur » de la psychiatrie, mais en faisant craindre un retour à des pratiques d’enfermement qu’on espérait définitivement disparues. Prenant la suite des États Généraux de Montpellier, des appels sur Internet ont fait largement écho à ces préoccupations, reprises depuis par diverses instances syndicales ou associatives et par la mobilisation d’un vaste mouvement de protestation. Cependant les attaques antipsychiatriques et antipsychanalytiques se multiplient : livre noir, église de scientologie, mouvement de certaines associations de parents d’enfants autistes qui, curieusement, tiennent le même langage. Le mythe de l’âge d’or Elle est loin l’époque où un syndicat de psychiatres, unique et puissant, associé à des administrateurs visionnaires, soutenu par l’intelligentsia « de gauche » et les organisations politiques et syndicales avancées, faisait signer à des ministres, qui n’étaient pas toujours spécialement progressistes, des circulaires et des décrets fondant une nouvelle approche plus humaine et plus compréhensive du destin des malades mentaux. Elle est loin l’époque où la représentation nationale se préoccupait plus d’assurer à ces malades une extension de leurs droits sociaux et la défense de leurs libertés, que de faire face, de manière irrationnelle, à une dangerosité largement surévaluée.2 Un accord semblait alors s’être réalisé entre, d’une part, une psychiatrie qui trouvait son sens dans une éthique du sujet, en concevant les troubles psychiques comme une « pathologie de la liberté » (Henri Ey) et, d’autre part, une société plus ouverte au respect d’un pluralisme des conduites admises. Après la découverte des horreurs de l’univers concentrationnaire et du totalitarisme, avec la remise en cause de l’oppression coloniale et de l’exploitation de l’homme par l’homme, avec la reconnaissance des droits de la femme, avec une aspiration à un assouplissement des normes sexuelles, la lutte des psychiatres les plus militants pour rendre leur dignité d’homme aux victimes de l’aliénation asilaire, parfois survivants d’une hécatombe liée à la négligence et aux restrictions alimentaires de la guerre3, rencontrait un état d’esprit libertaire alors dans l’air du temps. La psychanalyse, malgré l’entretien d’inévitables résistances, était devenue, sous diverses formes, d’abord aux États-Unis puis en Europe, un objet culturel à la mode, marquée comme une idéologie de libération. Il n’était plus honteux, il était au contraire recommandé de s’interroger sur soi, de ressentir une souffrance psychique et de réclamer une aide pour analyser et apaiser cette souffrance. Avec le recul de l’eugénisme, dont le nazisme, en l’appliquant à la lettre, avait révélé les sombres soubassements et les redoutables conséquences, l’héréditarisme battait de l’aile. On attribuait moins les désordres mentaux à une tare génétique, héritage laïc du péché originel4, et plus à une réaction aux facteurs d’environnement sociaux ou familiaux. En outre, poursuivant une évolution esquissée dans l’entre-deux guerres avec la découverte des thérapeutiques de choc, la psychiatrie devenait plus active. De nouveaux médicaments faisaient la preuve de leur efficacité (sinon de leur inocuité). Ils changeaient l’atmosphère des divisions hospitalières et permettaient un abord relationnel individualisé. Associée aux développements de l’anthropologie et de la psychologie des groupes restreints, ainsi qu’à une critique sociale Professeur émérite de pédopsychiatrie à l’Université Claude Bernard Médecin honoraire des Hôpitaux de Lyon. Article à paraître dans Psychiatre Française, janvier 2010 2 J. Hochmann (2004), Histoire de la psychiatrie, Paris, PUF, coll. Que Sais-je ? 3 I. von Bueltzingsloewen (2007), L’Hécatombe des fous. La famine dans les hôpitaux psychiatriques français sous l’Occupation, Paris, Aubier. 4 J. Hochmann (2009), Histoire de l’autisme, Paris, Odile Jacob. 1


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plus large, d’inspiration souvent marxiste, une psychopathologie dynamique offrait des bases théoriques aux tentatives de réforme. Dans quelques établissements de petite taille, où une direction médicale avait donné plus d’aise pour transformer l’organisation de la vie dans l’institution, des expérimentations de thérapie collective s’étaient ainsi développées qui, en utilisant toutes les situations de la vie quotidienne, élaborées dans une imbrication de réunions d’équipe, de pavillon, de club, reconnaissaient au personnel infirmier un pouvoir psychothérapique jusque là mal utilisé et offraient aux malades des possibilités d’expression autonome nouvelle, ce que l’un des pionniers, François Tosquelles, appelait une « école de liberté ». D’abord très limité, ce renouveau du traitement moral de Pinel et d’Esquirol, sous une forme démocratique peu habituelle dans les services médicaux, s’étendait petit à petit à un nombre croissant d’hôpitaux psychiatriques. Promulguée par la célèbre circulaire du 15 mars 1960, la politique de secteur permettait alors la mise en place d’une continuité des soins en incitant à généraliser à l’ensemble du territoire l’ouverture de consultations de dépistage, de post-cure puis de soins substitutifs à l’hospitalisation. On vit, peu après, se multiplier les psychiatres, dont la formation, en 1968, s’était séparée de celle des neurologues. Répondant à une demande nouvelle et croissante, ils s’installaient en nombre dans le privé pour y exercer, le plus souvent, comme psychanalystes ou comme psychothérapeutes. Dans le service public, ils dirigeaient des équipes multidisciplinaires plus étoffées et bénéficiaient de crédits conséquents pour améliorer considérablement les conditions d’accueil des centres spécialisés. Ils obtenaient la possibilité d’ouvrir des services dans les hôpitaux généraux et surtout de développer des « alternatives » à l’hospitalisation, en maillant leurs « secteurs » d’un réseau de dispositifs de proximité souples, diversifiés et ouverts sur la communauté. Les besoins spécifiques des enfants et des adolescents en difficulté psychologique, longtemps abandonnés, pour les plus lourdement atteints, dans des garderies sans espoir, au fond des asiles, étaient enfin pris en compte. Des secteurs de psychiatrie infanto-juvénile venaient compléter les rares consultations hospitalières existantes et tentaient de s’articuler avec l’école et avec un ensemble d’institutions médicosociales, souvent mises en place à l’initiative des associations de parents. En 1952, un numéro de la revue Esprit avait pu dénoncer la « misère de la psychiatrie ». Vingt ans plus tard, la situation avait radicalement changé et les années 70 et 80 virent la réalisation de la plupart des préconisations des Livres Blancs des années 60. Certes, tout n’était pas ou ne devait pas rester glorieux dans ces trente et quelques années d’expansion. Sentiment aigre-doux, qui peut être agréable, la nostalgie, si on la cultive trop, n’est pas bonne conseillère. Elle enjolive le passé, elle paralyse les efforts pour changer le présent. Il faut regarder notre histoire récente avec plus d’objectivité. Ce qu’on a appelé, un peu vite, la révolution psychiatrique, avait d’abord mis du temps à s’appliquer. Quinze années séparent les Journées psychiatriques, organisées dans l’immédiat après-guerre à l’initiative du Syndicat des médecins des hôpitaux psychiatriques, de la circulaire de 1960. Celle-ci n’eut, au départ, que peu d’effets et, en dehors de quelques rares expériences novatrices, se limita, dans la plupart des cas, à tracer, pour chaque service, les frontières d’une aire de recrutement, au terme d’une série d’échanges difficiles : « je te donne cette vallée de montagne éloignée mais peu peuplée, contre ce quartier de ville plus proche mais surchargé en problèmes de toutes sortes ». Ce jeu de Monopoly prolongé était en effet plus destiné à égaliser les avantages et les inconvénients rencontrés par les équipes dans leur travail auprès de diverses populations, qu’à se soucier de la cohérence géographique, sociologique et économique de la zone desservie. Il fallut attendre encore douze années pour que des décrets offrant aux psychiatres qui s’engageaient dans la pratique de secteur des compensations financières permettent enfin une application du principe de la continuité des soins et l’ouverture, hors les murs, de structures intermédiaires entre l'hospitalisation et la suspension du traitement. Malgré une posture empruntée à l’Éducation Nationale, qui prétendait installer en tous les points du territoire national un dispositif identique obéissant aux mêmes critères et aux mêmes principes de fonctionnement, les inégalités allaient longtemps persister d’un département à l’autre, en fonction de leur orientation politique ou de leur proximité avec les centres de décision. La loi de 1985, qui légalisa enfin le secteur, un quart de siècle après la circulaire, en donnant aux hôpitaux la gestion du dispositif extrahospitalier jusque-là en partie financé par les Conseils Généraux et placé sous leur


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tutelle, corrigea certaines de ces inégalités. Mais le développement de l’appareil sectoriel et le redéploiement du personnel vers de nouvelles structures dépendaient désormais du volontarisme des équipes médicales et de leur capacité à imposer leurs vues, avec le soutien des tutelles, dans une négociation avec les directions administratives et les organisations syndicales. Les directeurs étaient très diversement préparés à accepter une dissémination hors de leur contrôle de leurs personnels sur une ville ou un arrondissement. En dehors de quelques personnalités d’exception, ils peinaient à comprendre l’organisation particulière de la psychiatrie si différente de celle des hôpitaux généraux, plus en phase avec leur culture. Leurs réticences entraient en résonance avec celles de certains syndicats du personnel infirmier, technique et administratif, qui redoutaient de perdre leur capacité de mobilisation auprès des agents des centres médico-pédagogiques ou des centres de jour, à la fois plus éloignés des cellules centrales et plus indépendants dans leur travail. Cette « alliance objective » reçut épisodiquement, au moins au début, le renfort de quelques conseils généraux plus soucieux de construire encore de nouveaux hôpitaux que d’inaugurer des réalisations moins visibles : un appartement thérapeutique, un service d’hospitalisation à domicile. Il résulta de tous ces éléments une grande disparité quantitative. Sur le plan qualitatif, la disparité (plus que la diversité souhaitable) était également la règle. Établis sans contrepouvoirs, à la tête de petites baronnies, avec peu de liens entre elles autres que purement administratifs, les chefs de secteurs pouvaient, sans souci de coordination avec leurs voisins, s’adonner à leurs caprices institutionnels ou à leurs toquades théoriques. Malgré l’existence de conseils départementaux de santé mentale, les frontières étanches entre secteurs n’étaient guère favorables à l’intersectorialité et laissaient s’installer des doublons. Il suffisait, par ailleurs, de traverser une rue pour trouver ici des soignants férus de psychanalyse lacanienne, soumis au Grand Autre et aux jeux du signifiant, et là un stipendié des compagnies pharmaceutiques ne connaissant que les psychotropes et méprisant la parole. Une mutation, le départ à la retraite ou le décès d’un responsable, en changeant brutalement l’orientation d’un service, laissaient alors sombrer une expérience vivante dans la banalité et la bureaucratie, au prix de conflits paralysants source d’absentéisme, de désengagement ou de démission. Le secteur souffrait surtout de défauts structuraux. Conçu, au départ, dans la perspective d’une société encore peu urbanisée et relativement stable, il était mal adapté pour affronter la mobilité des usagers, d’où, au fil des déménagements ou des pertes d’ancrage territorial, des changements de prise en charge, voire des ruptures préjudiciables à la continuité des soins dont les équipes persistaient à se réclamer. Parfois machine à exclure les indésirables, sous le prétexte du « hors secteur », le dispositif sectoriel restait sans réponse devant la marée montante des « sans domicile fixe », dont le nombre devait s’accroître avec la crise économique, le chômage et la précarité de l’emploi, mais aussi avec l’apparition d’une nouvelle politique dite de « désinstitutionalisation ». Cette politique, qui ne figurait pas dans les objectifs premiers, avait obtenu, pour des raisons différentes, toutes les faveurs de deux groupes habituellement antagonistes : les professionnels ordonnateurs des dépenses et les pouvoirs publics gardiens de l’équilibre budgétaire. Les uns y voyaient l’occasion, longtemps espérée, d’un dépérissement de l’asile, dont de nombreuses études avaient montré le caractère inévitablement « totalitaire » et qu’ils tenaient pour responsable d’une aliénation sociale surajoutée à l’aliénation mentale. Les autres cherchaient à diminuer un nombre de lits excédentaires, avec le but avoué de faire des économies. Rapidement, les structures plus légères mises en place pour remplacer les lits hospitaliers, réduits souvent de plus de la moitié et parfois ramenés au tiers, se révélèrent insuffisantes, cependant que leur accroissement était freiné, dans la mesure où elles apparaissaient, à l’expérience, très consommatrices en personnel bien formé et, tout compte fait, aussi onéreuses que l’hospitalisation classique. Il s’en suivit un raccourcissement considérable des durées d’hospitalisation, mais sans poursuite, hors de l’hôpital, des soins ou de l’hébergement, et donc l’apparition, avec le système de rotation dit « de la porte tournante », de clochards schizophrènes, laissés à eux-mêmes dans les rues des cités ou renvoyés à des organismes caritatifs ou d’assistance sociale, qui se jugeaient incompétents. D’autre part, comme jadis l’asile de Pinel et d’Esquirol, le secteur était victime de son succès. Toute une population qui, quelques années auparavant, n’aurait jamais eu recours


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aux services d’une équipe psychiatrique, attirée par la gratuité totale et le besoin nouveau de trouver une écoute, venait désormais consulter dans les centres médico-psychologiques. Des sujets déprimés ou anxieux, des victimes de stress ou d’attentats sexuels, des patients souffrant de troubles du comportement alimentaires, d’addiction, de phobies ou d’obsessions, des enfants ou des adolescents en difficulté scolaire ou de conduite, des couples ou des familles en détresse, s’inscrivaient sur des listes d’attente de plus en plus longues, au détriment des pathologies plus graves, notamment psychotiques, pour lesquelles l’organisation de secteur avait été conçue. La tentation était alors grande de se centrer sur ces clientèles nouvelles moins difficiles à contenir et avec lesquelles on pouvait se contenter de quelques consultations plus ou moins espacées assorties de médicaments ou de psychothérapies brèves, à visée cathartique ou de modification du comportement, en se désengageant de l’accueil et du traitement de la folie dans tous ses états, dans l’urgence de la crise, comme dans le soin au long cours des états chroniques. D’autant que l’absence quasi totale de liens avec le secteur privé (considéré par certains des initiateurs du secteur avec une hostilité analogue à celle des militants laïcs envers l’école libre, dans la guerre scolaire qui, peu avant, avait fait rage) ne favorisait pas les transferts de clientèle et les complémentarités. L’antagonisme traditionnel, l’atmosphère de concurrence ou, au mieux, l’ignorance mutuelle dans laquelle, en dépit des textes officiels, continuaient à se tenir, dans bien des cas, les dispositifs sanitaires et les dispositifs médicosociaux, la crainte des premiers de perdre des moyens en acceptant de convertir une partie de leurs outils en institutions relevant des seconds, contribuaient encore à un manque de collaboration et à un engorgement des secteurs. Certains surent y trouver des remèdes efficaces et continuer à répondre aux besoins de la population en soins mais aussi en accompagnement social et en réhabilitation. Mais ces expériences de pointe, reposant souvent sur une créativité et un engagement peu communs, difficiles à maintenir longtemps, ne firent pas facilement école. Qu’elle correspondît ou non à la réalité, progressivement s’imposait, auprès des usagers, l’image d’une psychiatrie publique de secteur enraidie dans ses convictions doctrinales, peu efficace et surtout peu accessible et peu disponible. La proclamation de la nécessité d’une demande préalable à toute intervention, au nom du respect de la liberté individuelle, le refus de l’action concrète au prétexte de privilégier la seule écoute du discours, la sacralisation du secret médical imposant des barrières à toute collaboration efficace avec les familles et les autres interlocuteurs sociaux et interdisant toute pratique de réseau, bref une caricature des principes de la cure type de psychanalyse, transposés sans nuance aux dispositifs de secteur, fonctionnaient comme des remparts derrière lesquels les équipes soignantes, plus exposées par leur insertion dans la cité, retrouvaient l’abri protecteur des anciens murs de l’asile. Les grands principes initiaux de la psychiatrie communautaire : la conception de la psychose comme une sociopathie, une souffrance à plusieurs dont celle du malade identifié n’est que le témoin le plus voyant, la nécessité d’incarner le travail avec les psychotiques dans une aide concrète, avaient fait long feu. Les médias, en résonance au malaise des usagers, multiplièrent alors leurs critiques. Plus sensibles aux échecs qu’aux succès, ils trouvèrent dans les insuffisances du secteur une occasion d’émouvoir l’opinion publique. Devant la montée des mises en cause et pour compenser ce déficit d’image, les équipes psychiatriques, qui pourtant jamais n’avaient été aussi nombreuses, oubliant le temps qu’il avait fallu pour que la politique de secteur sorte de ses limbes, ignorant le caractère très localisé et très inégal de son application ainsi que ses défauts originels, se laissèrent alors aller au découragement et, arguant du manque de moyens, cultivèrent, de plus en plus, le mythe de l’âge d’or. Un malin esprit aurait pu prétendre que le secteur était pleuré avant d’avoir existé. Le courant de libéralisation qui l’avait porté avait, de plus, par certains de ses excès, engendré une réaction qui risquait de l’atteindre profondèment. Il faut ici parler de ce gauchisme de la psychiatrie moderne qui s’est appelé l’antipsychiatrie. Les antipsychiatries On devrait dire plutôt les antipsychiatries : un phénomène récurrent qui accompagne, depuis ses débuts, l’histoire de la psychiatrie et qui a entraîné, aux différentes époques, la crispation défensive des psychiatres sur des positions qui leur faisaient perdre leur identité.


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La psychiatrie n’est jamais allée de soi et a, de tout temps, engendré son contraire. Créée au départ pour donner au fou un statut d’être humain, cette « médecine spéciale » a été continuellement attaquée dans ce qui faisait sa spécificité ; elle a connu, par réaction, des inflexions multiples qui tendaient à protéger ses agents d’une disparition programmée, en cherchant dans leurs racines médicales une légitimité souvent en contradiction avec leurs objectifs initiaux de soutenir l’aliéné dans sa marche vers l’humanité et la socialisation. Dès leur origine, à l’aube du 19ème siècle, les psychiatres ont osé affronter la peur immémoriale du fou. Ils ont découvert, jusque dans son aliénation extrême, le « sujet de la folie », un être humain parlant, qu’ils ont arraché tant à la dérision du bouffon qu’à l’animalité de l’insensé (quelquefois, il est vrai, pour l’y replonger quand sa parole devenait trop dérangeante et qu’il leur fallait obéir aux impératifs sociaux de normalisation). Mais, à leur tour, comme leurs patients, à la fois objet de rejet et de fascination, ils ont soulevé, eux aussi, des sentiments mélangés. On les a accusés tantôt de réprimer trop énergiquement des semblables, qu’ils ont pourtant été parmi les premiers à reconnaître comme tels, tantôt de se montrer trop naïfs et trop laxistes et de laisser vaquer des bêtes féroces. Tantôt on s’est indigné qu’ils fassent échapper, sous prétexte de « démence », des criminels à une légitime sanction, tantôt on leur a fait le procès d’enfermer abusivement des personnes pour la vie. Cette première antipsychiatrie, déclenchée d’abord par des juristes et par des publicistes qui trouvaient de nombreux échos dans l’opinion, a conduit les deuxièmes et troisièmes générations d’aliénistes, les successeurs de Pinel et d’Esquirol, à adopter des positions organicistes qui se sont opposées à une première médecine des passions et ont progressivement fossilisé le traitement moral des pionniers en une pratique de pure gardiennage. Dans cet asile, utopie sociale qui avait dégénéré, une théorie fatale, la théorie de la dégénérescence, a condamné, pour longtemps, les aliénés devenus des « malades mentaux » à un sombre pronostic d’incurabilité et de transmission inéluctable du mal à leur descendance. Qu’importe, les psychiatres avaient sauvé leur respectabilité et purent, pendant presque un siècle, justifier, au nom de la protection de la race et de la société, les internements à vie, avant d’expérimenter, sans beaucoup de soucis éthiques, quand l’absence de thérapeutique efficace leur devint pesante, les traitements de choc et la psychochirurgie. L’antipsychiatrie se maintenait mais restait discrète et sans effet notables. Paradoxalement, elle s’est réveillée au moment où le secteur s’ébauchait et où de nouvelles générations de psychiatres remettaient vigoureusement en cause l’ancien asile et ses pratiques de ségrégation et de deshumanisation. Des sociologues et des philosophes de renom, renouant avec une tradition ancienne, ont repris la dénonciation de la psychiatrie, alors qu’elle libérait ses patients de la camisole et, changeant de fondement théorique, trouvait dans la psychanalyse et dans ses dérivés l’inspiration de pratiques relationnelles nouvelles. Considérant ce réformisme comme une manœuvre de diversion, les nouveaux censeurs de la psychiatrie ont vu dans les pratiques libérales qui s’esquissaient une forme plus subtile et plus moderne de répression, au service de l’ordre public, une « fliquiatrie de secteur » pour les uns, un contrôle social infiltré dans les replis les plus secrets de la vie intime, pour les autres. Quelques professionnels ont alors tiré de cette antipsychiatrie des philosophes des conclusions pratiques et, conscients de l’existence d’une souffrance chez certains sujets, ont proposé des lieux d’accueil démédicalisés et dépsychiatrisés où néanmoins l’expérience du voyage psychotique pourrait être vécue jusqu’à ses ultimes limites, dans un climat bienveillant et sécurisé qui rappelait celui des « retraites » ouvertes au 19ème siècle par des quakers anglais. Valorisant la psychose dans une perspective surréaliste, ces « antipsychiatres » stricto sensu, ont refusé d’assumer les dimensions sociales du métier, la protection de la société concomitante au soin du malade, cette double vocation qui fait toute la difficulté de la psychiatrie surtout publique. Si nombre de leurs tentatives ont versé dans un méli-mélo anarchique et se sont éteintes avec la disparition de leurs fondateurs, elles ont apporté à l’ensemble des expérimentations qui se développaient alors au sein des « institutions intermédiaires » un souci d’accompagner le malade dans une grande proximité avec lui et un respect pour la fonction réparatrice du symptôme. Au même moment, ces institutions bénéficiaient, sur le plan théorique, des critiques des philosophes qui invitaient à replacer la psychiatrie dans son histoire et à dépister, grâce aux enseignements historiques,


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la possibilité, toujours présente, derrière les meilleures intentions, de voir renaître l’ « institution totalitaire » (E. Goffman). Malgré leurs excès, les deux antipsychiatries, celle des philosophes, celle des antipsychiatres proprement dits, avaient donc, comme un aiguillon, accéléré l’évolution humaniste des soins psychiques. Il n’en fut pas de même pour deux autres anti-psychiatries, développées dans la suite des deux premières. Prenant acte de la réduction idéologique de la maladie mentale à un « mythe »5 et de la psychiatrie, dans son ensemble, à un discours incohérent, sans pertinence, et sans efficacité pratique, des politiques et des administrateurs ont vite conclu à son absence totale d’intérêt social. Une antipsychiatrie des gestionnaires est alors venu s’adjoindre à celle des philosophes et à celle des antipsychiatres. Si aucun accord théorique ne permettait aux psychiatres de s’entendre sur leurs diagnostics, de justifier leurs thérapeutiques et de mesurer leurs effets, si, comme l’affirmait de conserve philosophes, sociologues et antipsychiatres, la psychiatrie se limitait à contrôler et à réprimer des déviances sociales largement induites par ses institutions ségrégatrices, il y avait tout avantage, pensèrent-ils, à la faire disparaître. Un policier, un gardien de prison sont plus utiles et moins onéreux que des psychiatres, leur langage et leurs objectifs sont plus clairs. On ne le sait pas assez, mais ce discours, manifesté surtout aux États-Unis, au début des années 80, a purement et simplement menacé la psychiatrie d’extinction. C’est alors que, dans une perspective de défense corporatiste, les psychiatres américains ont cherché, comme l’avaient fait jadis en Europe leurs ancêtres post-pinéliens, un salut dans la conformité au modèle médical et se sont ralliés à un néo-kraepelinisme. Ils ont globalement abandonné les principes psychopathologiques qui, depuis plus d’un demi-siècle, avaient fait la grandeur de leur discipline et qui, avec la sociologie critique et la dynamique des groupes, également d’importation américaine, avait largement contribué au développement de notre psychothérapie institutionnelle et de notre psychiatrie de secteur. À cette manœuvre de survie, s’est ajouté le souci nouveau de la médecine tout entière de contrôler des dépenses de santé devenue insupportables pour l’économie, en instituant de nouvelles pratiques. Chaque usager a été vivement encouragé à s’inscrire auprès d’organisations de maintien de la santé (health maintenance organizations) concurrentielles et cotées en bourse, qui proposaient au moindre coût, pour chaque groupe homogène de malades, des programmes thérapeutiques validés selon des méthodes dites de l’evidence based medicine, inspirées de l’évaluation de l’efficacité des antibiotiques. La classification du DSMIII, imposée ensuite par l’OMS au monde entier sous une forme à peine modifiée, a été le résultat d’une stratégie de défense d’une profession déstabilisée par l’antipsychiatrie, qui cherchait à convaincre le pouvoir politique, les compagnies d’assurance et l’opinion de la scientificité du diagnostic psychiatrique ramené à celui de troubles morbides identifiés et dûment catégorisés, faisant l’objet d’un consensus vérifiable et objets d’un guide universel des bonnes pratiques faciles à transmettre et dont l’effet était facile à mesurer. L’optique psychodynamique, qui avait prévalu depuis un demi-siècle et qui avait conduit à une entreprise sans précédent de réintégration et de socialisation de la folie dans le concert humain, ne correspondait pas à ces critères. Elle était de plus attaquée par une quatrième antipsychiatrie, celle des usagers. C’est surtout dans le domaine de l’autisme infantile qu’elle connaît aujourd’hui ses plus notables développements. Pathologie énigmatique, l’autisme suscite des réactions extrêmes qui évoquent, parfois, une véritable contamination psychique. Les interlocuteurs de l’enfant autiste s’enferment facilement dans l’adhésion fanatique à une théorie ou à une pratique exclusives de toutes les autres. D’un côté, des psychanalystes sans vergogne ont attribué le trouble dans sa totalité à l’effet transmis d’un secret de famille, à l’enfermement de l’enfant dans la jouissance maternelle, à sa soumission aux pulsions mortifères des parents ou à l’interdit pervers de son accès à la position de sujet. De l’autre, des organicistes tout aussi militants et sectaires n’y ont vu qu’un désordre neurologique, une tare génétique, un défaut métabolique. Bien qu’ aucune de ces théories ne soit prouvée, les défenseurs des unes et des autres ont fait preuve d’un égal dogmatisme. Une véritable bataille de l’autisme a alors fait rage dans les médias et sur Internet, au nom de croyances aussi fragiles les unes que 5

T. Sasz (1968), Le mythe de la maladie mentale, tr. fr., Paris, Payot, 1977.


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les autres. L’origine de l’autisme, vraisemblablement multifactorielle, alliant probablement déficit fondamental et organisation défensive dans une voie finale commune, reste, en effet, inconnue. Si, à l’époque où elle dominait, la psychanalyse a été utilisée par certains auteurs à succès, souvent eux-mêmes rangés sous le drapeau de l’antipsychiatrie, pour répandre, sans nuances, des hypothèses ressenties par les parents comme des accusations, actuellement, avec la montée en puissance des neurosciences, elle est rejetée en bloc. Ignorant sans doute que de nombreux psychiatres d’inspiration psychanalytique s’étaient, dès le début, opposés aux outrances de leurs collègues, des mouvements de parents en colère ont répandu l’idée selon laquelle une écoute à la recherche du sens d’un symptôme implique nécessairement une culpabilisation de la famille, de la mère surtout. Après avoir fait porter leurs attaques essentiellement sur la psychanalyse et sur ses supposés postulats psychogénétiques exclusifs, après avoir demandé l’éviction de toute référence psychodynamique de l’enseignement et de la recherche dans le domaine de l’autisme et des autres troubles envahissants du développement et la mise hors la loi du terme même de psychose infantile, des associations extrémistes attaquent désormais la pédopsychiatrie française dans son ensemble. Elles assimilent ses traitements au mieux à un charlatanisme inefficace, au pire à une maltraitance et portent plainte devant le Comité national d’éthique et devant le Conseil de l’Europe en attendant de traîner devant les tribunaux des psychiatres dont les options thérapeutiques leur déplaisent. Elles réclament le transfert des crédits affectés aux soins psychiques vers des mesures de simple accompagnement à l’intégration sociale assorties éventuellement de traitements éducatifs fondés sur une technologie de modification du comportement. Une dérive sectaire semble alors s’esquisser et l’on retrouve le discours musclé de l’Église de Scientologie dans certaines mises en cause, avec un amalgame d’accusations contradictoires : la référence à la psychanalyse, le surdosage en médicaments, l’usage de thérapeutiques soi-disant invasives, comme les enveloppements humides, assimilées, horresco referens, à des électrochocs,. L’exemple de l’autisme est annonciateur d’une offensive d’ampleur qui s’étendra probablement à toute la psychiatrie. On conçoit que cette offensive, là aussi, soit perçue de manière relativement positive par des gestionnaires qui y trouvent un argument pour réduire les sommes allouées aux institutions traitant des troubles psychiques. Au mythe de l’âge d’or s’oppose donc le mythe d’un âge de fer brutal dont la psychiatrie actuelle ne serait qu’une survivance appelée à disparaître. Le grand renversement C’est dans ce contexte que s’opère aujourd’hui, sous nos yeux, le grand renversement décrit par Alain Ehrenberg6. Il correspond à une modification profonde de la relation entre le normal et le pathologique aboutissant à une conception différente du mal. Désormais, le malade mental, qui fut l’objet de la psychiatrie, c’est à dire un sujet souffrant au niveau de ce que Maine de Biran, au début du 19ème siècle, appelait déjà le « sens intime », devenu avec Freud une nouvelle forme de réalité, la réalité psychique , disparaît au profit de deux autres formes de pathologie : le handicap psychique d’une part, la victime du stress de l’autre. Le handicapé psychique, est essentiellement considéré comme un sujet déficitaire auquel un trouble neurodéveloppemental ou thymique, un certain niveau congénital d’anxiété ne permettent pas de faire face correctement aux exigences de son autonomisation dans le monde. La victime de stress, elle, s’est trouvée temporairement débordée par un traumatisme purement extérieur dont elle garde une trace qu’il lui faut seulement expulser comme une écharde restée fichée dans sa chair. Le mal n’a que deux localisations possibles, soit il vient du dedans, inscrit dans une tare génétique, soit il vient du dehors sous la forme d’une attaque analogue à celle d’un microbe. Les deux peuvent se conjoindre, comme dans l’hypothèse stress-vulnérabilité, si populaire aujourd’hui, qui associe un modèle génétique et un modèle de type infectieux pour rendre compte de la schizophrénie. Les termes de stress et de vulnérabilité ont en commun de décrire des nuisances subies passivement par un sujet conçu, a priori, comme un produit de l’évolution adapté à son environnement et construit pour résoudre de manière rationnelle les problèmes posés par A. Ehrenberg (2004) « Les changements de la relation normal-pathologique. À propos de la souffrance psychique et de la santé mentale » Esprit n° 304 p. 130-155.

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cet environnement. Ils servent à occulter la part active du sujet dans la construction de son mal, son obscur désir de souffrir, sa recherche obstinée de l’échec, tout cet irrationnel profondément inscrit en lui, qui entre en conflit avec sa raison et qu’il essaie, sans succès, de tenir en bride en élaborant des compromis symptomatiques ou en s’inventant une néoréalité pour dissimuler les déceptions causées par une rencontre douloureuse avec la réalité des autres. Ce qui est alors nié c’est la subjectivation des sensations venues de l’extérieur, le sens qui leur est donné en fonction de l’histoire du sujet, une histoire à laquelle sa vulnérabilité génétique éventuelle participe mais qui ne se résume pas à cette vulnérabilité. Ce qui est effacé c’est l’existence d’une instance transformatrice interne, construite dans l’intersubjectivité, où les éléments bruts fournis tant par le monde extérieur que par l’organisme se combinent en un récit intérieur, éventuellement tronqué, figé et douloureux, que le soin psychique d’antan avait pour fonction première de rétablir ou de fluidifier. Ce grand renversement obéit d’abord à des raisons financières, notamment à un souci de réduction des durées de séjour ou de prise en charge, dans une optique de réduction des coûts et d’amélioration de la productivité. Le handicapé psychique peut être accompagné à moindre prix qu’un malade et sortir plus vite d’un champ psychiatrique onéreux dont les diverses antipsychiatries ont dénoncé le caractère illusoire voire nocif. L’intervention psychiatrique se limite alors au diagnostic, un domaine où les échelles et les critères dont elle s’est fait une spécialité lui permettent d’affirmer sa scientificité. Elle peut, dans les situations de crise où le handicap, dûment compensé par des mesures sociales qui réduisent son désavantage, se « décompense », faire usage de méthodes spécifiques : les médicaments, les électrochocs. Elle peut même commencer à espérer un affinement de la psychochirurgie qui la rendrait à nouveau acceptable. Le stressé, lui, bénéficie également de thérapies brèves, fondées sur un renouveau de la catharsis, le debriefing sous toutes ses formes. Il s’agit moins, dans tous les cas, d’accompagner dans la durée un processus psychopathologique que de rétablir, à un niveau acceptable, des équilibres temporairement menacés, équilibre du handicapé stabilisé, équilibre du sujet normal, atteint incidemment par des facteurs extérieurs et, finalement, équilibre budgétaire. Mais cette réorientation de la psychiatrie vers la santé mentale (et l’abandon corrélatif de pans entiers de l’objet traditionnel du soin psychiatrique au long cours à des mesures purement sociales) correspond aussi à une profonde mutation de la conception globale du sujet dans les sociétés libérales. Ce qu’on a appelé le « sujet entrepreneurial »7 est censé fonctionner comme une entreprise vouée à prendre des risques pour maximiser ses profits et minimiser ses pertes dans un régime de concurrence fondé sur la transaction et non plus sur l’échange. Soumis à une idéologie de la performance à court terme, ce sujet de la jouissance égoïste immédiate n’a plus à s’embarrasser des vieilles solidarités, du bien commun ni du partage d’une histoire commune. Il n’est plus un sujet pluriel, lieu de contradiction. Homogène, rationnel, il est tout entier voué à ses activités de production et de consommation et à la recherche du profit. Il n’est que l’intériorisation des processus économiques construits de manière raisonnable qui le gouvernent. La souffrance psychique n’est donc plus une des manifestations possibles d’une problématique ontologique commune à tous les êtres humains. Elle n’est que la traduction d’un défaut isolé de fabrication que la société, soumise à la pression des usagers, a décidé de protéger (alors qu’en bonne logique sélective son porteur devrait disparaître) ou qu’un accident de parcours devant être rapidement corrigé. Le trouble (traduction française admise de l’anglais disorder) est donc bien un trouble à l’ordre public et privé (le public étant dorénavant coextensif au privé) qu’il s’agit de faire disparaître et dont le degré de disparition peut et doit être mesuré. De la mesure avant toute chose L’organisation de la psychiatrie répond de plus en plus à ces directives. Dans l’idéologie d’une économie de marché qui infiltre les services publics (l’État, à son tour, étant conçu sur le modèle d’une entreprise de droit privé) les institutions psychiatriques (comme, ailleurs, les P. Dardot et C. Laval (2009), La nouvelle raison du monde. Essai sur la société néolibérale, Paris, La Découverte.

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universités) doivent être soumises à la concurrence et faire la preuve non seulement de leur efficacité (la qualité du service rendu) mais aussi de leur efficience, c’est à dire de leur capacité à rendre ce service au moindre coût. Leur nouvelle « gouvernance » doit permettre à chacun de leurs agents d’intérioriser le modèle dominant de l’entreprise, de devenir de petites entreprises vouées chacune à l’évaluation de sa performance et à l’incitation au mieux faire par des sanctions et des récompenses destinées à accroître sa productivité. D’où un système managérial fondé sur une chaîne de surveillances, de la direction générale à la direction des soins et aux pôles, des pôles aux services et aux unités fonctionnelles. Le rôle de l’encadrement devient prédominant dans un mode de gestion des « ressources humaines » qui tient peu compte de la spécificité des tâches à gérer et qui peut être transposé à n’importe quelle entreprise de service ou de production de biens de consommation. L’usager, dont le pouvoir s’est accru, n’est plus considéré dans ses particularités, de destinataire d’un soin. Il est le consommateur d’une prestation dont il est seul capable d’apprécier l’adéquation à ses besoins et qu’il peut choisir entre plusieurs offres mises en compétition. Ce qu’on appelle la démarche qualité n’est rien d’autre que ce pouvoir idéal de l’usager au sens large (le patient, sa famille, les associations qui les représentent, mais aussi les financeurs et les pouvoirs tutélaires qui ont confié au service une mission dont leurs experts notent les résultats, enfin, en bout de chaîne, le pouvoir politique et les électeurs qui le sanctionnent). La multiplication des cadres, dans une période de diminution des postes de personnel soignant, est un des symptômes de cette mutation. Les cadres ne sont plus ou sont moins des animateurs d’équipe. Ils sont devenus, souvent à leur corps défendant, des surveillants évaluateurs (au moment où ils abandonnaient cette dénomination, peut-être trop révélatrice de leur nouvelle fonction). Ce qu’ils doivent transmettre n’est plus le fruit d’une expérience clinique qui leur aurait valu leur promotion, mais un modèle générique de l’entreprise devenue une fin en soi. Le temps consacré à l’évaluation l’emporte sur le temps passé aux actions devant être évaluées. L'agenda, les choses qu'on doit faire, devient, si l'on peut dire, un evaluenda. Toute action doit donc être construite en fonction de sa mesure. On comprend dès lors le succès actuel des diverses méthodes inspirées du béhaviorisme et du conditionnement opérant. Elles sont cohérentes avec la conception du sujet « néolibéral », qu’il soit soignant ou soigné, comme une entreprise ayant des objectifs de productivité. Les thérapies d’inspiration comportementale contiennent la mesure dans leur structure même. On a pu les comparer à un aide-mémoire qui permettrait ensuite à celui qui les aurait pratiquées, comme thérapeute ou comme patient, de remplir correctement, à la manière de QCM, les différentes échelles d’évaluation. Elles sont le témoin d’une nouvelle culture du résultat ciblé, peu regardante, du reste, sur la valeur intrinsèque du résultat dès lors que ce résultat correspond aux objectifs définis au départ et renforce, par son existence même, la foi dans la méthode, donc son efficacité. La remédiation des défauts cognitifs, le développement des habiletés sociales, la correction des troubles de la conduite mais aussi les divers modes de coaching8 participent de cette culture générale de l’Applied Behavioral Analysis (A.B.A.) devenue, métonymiquement, une technique de traitement de l’autisme revendiquée par nombre de parents. La parcellisation et la réification des tâches soignantes, leur réduction à des protocoles faciles à quantifier et faciles à assimiler font partie de cette même culture. La recherche en psychiatrie a subi la même évolution vers le quantifiable. Contrairement à ce qui se passe dans l’histoire des sciences et des techniques, le nouveau paradigme, ne correspond à aucune découverte nouvelle. Aucun travail sérieux n’est venu démontrer l’inefficacité de la psychiatrie de secteur d’inspiration psychodynamique, qui s’était développée pendant plusieurs décennies, ni falsifier ses hypothèses. Là où elles ont été réellement appliquées, les pratiques de secteur ont rendu de grands services, et des enquêtes de satisfaction pourraient rendre compte de leur succès. On leur a préféré des méta-analyses portant sur des méthodes destinées à faire disparaître des symptômes précis, conçues en prévision d’une évaluation future.Ces méta-analyses, très orientées, n’ont pris en compte que les travaux qui répondaient aux critères de l’evidence based medicine, 8

R. Gori et P. Le Coz (2006), L’Empire des coachs. Une nouvelle forme de contrôle social, Paris, Albin Michel.


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ce qui éliminait, d’entrée de jeu, toutes les recherches portant sur des prises en charge globale, destinées à renouer les liens entre le sujet et la société et à l’aider, en développant ses capacités de symbolisation et en élaborant ses angoisses les plus profondes, à donner du sens à sa vie. Il est, du reste, difficile de trouver des publications rendant compte de ces recherches. En effet, ne sont actuellement admises, dans les revues internationales, que les études chiffrées. En dehors de l’enclos préservé des sciences cognitives, la psychopathologie a pratiquement disparu. Les innovations institutionnelles n’ont plus guère de retentissement, et les seules études sur les traitements psychologiques, acceptées par des comités de lecture dont les psychanalystes ont été exclus, concernent les thérapies comportementales. Avec la psychopharmacologie, l’épidémiologie se taille la part du lion. Les études épidémiologiques ont pour but de renseigner les pouvoirs publics sur les besoins des populations, mais, sensibles à différents groupes de pressions, elles peuvent aussi faire artificiellement apparaître des besoins. Là encore le cas de l’autisme peut servir de modèle. Le lobbying très efficace de la puissante association américaine de parents d’enfants autistes a permis de faire modifier les critères diagnostiques des troubles envahissants du développement et, avec la notion de spectre autistique, de faire passer la prévalence de 5 pour 10.000 (chiffre admis dans les années 80-90) à 1 pour 150, avec une croissance annuelle de 15% et une prévision de plus de 1% de la population dans les années qui viennent. Les recherches génétiques et d’imagerie structurelle ou fonctionnelle se multiplient. Elles portent souvent sur des séries plus limitées, voire, comme encore dans l’autisme, sur de très petites cohortes, mais ont l’avantage de montrer à ses détracteurs la scientificité de la psychiatrie et de lui garder une place au sein des universités médicales, elles-mêmes soumises au principe de la concurrence généralisée et à la mesure de l’importance d’une discipline par le poids numérique de ses publications. Il ne s’agit plus, en effet, pour les psychiatres universitaires de former des médecins sensibles à la dimension relationnelle de leur métier et d’encadrer la formation de psychiatres capables d’animer une équipe de soins et d’apporter à leurs patients une aide psychothérapique. Il s’agit plutôt de lutter pour leur survie, en accumulant des travaux scientifiques indexés, à impact factor élevé, mais dont les applications pratiques sont encore peu nombreuses. Un fossé au sein de la psychiatrie, rappelant l’époque de la neuropsychiatrie, menace à nouveau de diviser psychiatres universitaires et psychiatres de terrain, dont les intérêts sont, à nouveau, devenus divergents. Un récent congrès des internes en psychiatrie montrait déjà, en certains endroits, la profondeur de ce fossé et la distance entre les préoccupations « scientifiques » de certains universitaires et les attentes de leurs étudiants avides de connaissances cliniques. Pour une refondation de la psychiatrie publique. Modérons notre propos : tout ne va pas aussi mal ! Il faut distinguer la réalité quotidienne de l’ode à l’idéologie néolibérale telle qu’elle est entonnée par les économistes et les politiques qui lui sont acquis, ou telle qu’elle est insidieusement reprise par les médias. L’apologie de la concurrence et de la performance n’a peut-être pas autant d’effets concrets qu’on veut bien le dire. Dans le domaine précis qui nous intéresse, elle n’a pas complètement déraciné le sens du service public. Les valeurs de dévouement, de disponibilité sont encore d’actualité Malgré le temps perdu en évaluations et mesures de toutes sortes, malgré les nombreuses réunions consacrées à la nouvelle gouvernance, il reste plus que des traces d’un engagement soignant authentique, et une résistance diffuse aux mots d’ordre néo-libéraux n’attend que des occasions pour se manifester. On l’a vu il y a quelques mois. Il s’agit donc seulement de proposer ici quelques pistes de réflexion afin de renforcer ce mouvement de résistance et de donner quelques matériaux pour continuer à construire l’avenir d’une psychiatrie de secteur, qui ne saurait être considérée comme un modèle achevé. Il faut peut-être commencer par redéfinir l’objet de la psychiatrie et par le limiter. La psychiatrie a débuté comme une médecine des fous. Même si elle a pu s’intéresser ensuite à des pathologies plus proches de la normalité et moins aliénantes, c’est encore dans le traitement des psychoses qu’elle doit, selon nous, trouver ses racines. Or la notion de psychose déjà éliminée, en ce qui concerne l’enfant, des classifications internationales tend à devenir aussi une notion obsolète dans la pathologie des adultes. La médecine des troubles mentaux est actuellement dominée, on le sait, par la figure, à vrai dire assez


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morcelée, que lui a donnée, en 1980, la communauté psychiatrique nord-américaine, pour les raisons rappelées ci-dessus. Ne nous y trompons pas, le DSM III et les moûtures successives qui l’ont suivi ne sont que des symptômes du malaise d’une psychiatrie entrée dans l’ère néolibérale de l’industrie des soins. On ne fera pas disparaître la fièvre en cassant le thermomètre. Néanmoins, en s’établissant, contre l’avis initial de ses promoteurs, comme un véritable traité de psychiatrie qui définit l’objet et les méthodes de la discipline, il est devenu un instrument de pérennisation de la soumission aux lois du marché concurrentiel. Grâce à Roger Misès et à ceux qu’il a su réunir autour de lui, la pédopsychiatrie française a proposé une alternative crédible. Pour étendre cet effort à la psychiatrie de l’adulte, il convient de prêter la plus grande attention aux insatisfactions qui commencent à s’exprimer outre-atlantique et de participer ainsi indirectement ou directement aux travaux préparatoires du DSMV9. L’approche catégorielle sur laquelle le DSM est actuellement construit conduit à multiplier les cas de co-morbidité au-delà du raisonnable. De plus, il suffit d’un groupe de pression pour faire apparaître ou disparaître une nouvelle catégorie. C’est ainsi que l’homosexualité pathologique a été effacée d’une liste où le trouble des personnalités multiples n’a fait qu’un passage éphémère. L’approche dimensionnelle, esquissée dans l’axe II, n’est actuellement d’aucune utilité pratique puisque seuls les diagnostics sur l’axe I sont acceptés par les compagnies d’assurance, ce qui explique, incidemment, l’absence des troubles de la personnalité dans les différentes évaluations américaines et donc l’avantage accordé aux thérapies comportementales qui n’ambitionnent pas de modifier la personnalité mais s’attaquent seulement aux symptômes cotés sur l’axe I. Or de nombreux auteurs anglosaxons plaident actuellement pour une prise en compte des facteurs de personnalité, dans une perspective trans-nosographique. Il pourrait y avoir là un lieu de rencontre possible ouvrant sur une réévaluation psychodynamique des troubles psychiques qui ferait une place à l’histoire propre du sujet. Il faudrait alors introduire une approche processuelle, pour éviter de figer l’approche dimensionnelle en simple caractérologie, par une série d’échelles statiques, où chacun viendrait définitivement se placer, du normal au plus ou moins pathologique, sur un barreau de la dépression, de l’anxiété, de la schizoïdie ou de l’autisme. L’autisme, ainsi, peut être décrit en terme de « processus autistisant » comme une construction défensive, élaborée au cours d’une vie, pour faire face à un entrecroisement interactif et mouvant de difficultés environnementales et génétiques, qui peut être modifiée par diverses stratégies thérapeutiques. On pourrait de même parler de « processus psychotisant » ou de « névrotisation ». D’autre part, afin d’obtenir un consensus et de faire taire ceux qui moquaient le manque de fiabilité inter-juge des diagnostics psychiatriques différents psychiatres d’obédience théorique différente faisant un diagnostic différent pour un même malade - les auteurs du DSM ne se sont pas seulement abstenus de toute référence théorique. Ne disposant d’aucune image radiologique, d’aucun tracé électroencépahalographique et, après la ruine des espoirs de la psychiatrie biologique, d’aucun test de laboratoire fiable, ils ont dû opter, pour affirmer leurs diagnostics, sur des critères purement audio-visuels. Seule l’observation d’un comportement, l’écoute d’un type de discours ou de l’expression d’une plainte permettent de remplir les critères du DSM pour affirmer une dépression ou un trouble anxieux, pour suspecter un trouble schizophrénique ou un trouble autistique. Or, il existe, à côté de la vision et de l’audition, un autre sens, dont les recherches modernes nous montrent, d’ailleurs, l’implantation neurobiologique. Qu’on l’appelle intuition ou empathie, ce sens, basé à l’origine sur une imitation interne des comportements d’autrui et sur la construction de représentations partagées, fonde ce processus que la psychanalyse a décrit sous le nom d’identification10. La référence à ce sens est indispensable dès lors qu’on veut déceler, au-delà des symptômes superficiels tels qu’ils se donnent à voir et à entendre dans le comportement, la signification de ces symptômes pour le sujet, la place qu’ils occupent dans son monde interne. Cette place n’est pas immobile, elle fait l’objet, au sein de l’identité de chacun, d’une mise en histoire qui se construit et se modifie dans la relation à autrui. Comme Paul Ricœur nous l’a enseigné, Sur les critiques des DSM III et IV et les réflexions préparatoires au DSMV cf. l’article très documenté de S. Demazeux, « Les catégories psychiatriques sont-elles dépassées » Philonsorbonne, n°2, 2007-2008, 67-88/169. 10 N. Georgieff (2007) « Psychanalyse et neurosciences du lien. Nouvelles conditions pour une rencontre entre psychanalyse et neurosciences », Revue française de psychanalyse, 71 (2), p. 501-516. 9


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l’identité d’un individu s’établit quand on la raconte, empruntant à la fois à l’histoire réellement advenue et aux modèles de la fiction, à ce que Ricœur appelle la mise en intrigue, en différenciant l’identité- ipséité, être soi-même en continuité dans le temps, de l’identité-idem comme réidentification du même ou du semblable11. Le soi, l’identité narrative, répondent à la question qui et non à la question quoi. C’est une ascription à un pronom personnel (Je, Tu, Il, Nous). On ne peut pas répondre à la question « qui suis-je ? » autrement que par un récit. Il fut un temps, pas très lointain, où les revues de psychiatrie racontaient des histoires de cas et l’élaboration à laquelle ces cas avaient donné lieu. Elles permettaient au lecteur de s’identifier à la fois au patient et à ceux qui l’avaient pris en charge. Des monographies sont à nouveau nécessaires pour reconstruire une nomenclature qui tienne compte de la personne du patient et de son identité narrative. Ces monographies doivent se fonder nécessairement sur une théorie, corrélatif indispensable de l’empathie, si l’on veut que celle-ci garde la dimension d’un processus cognitif et ne sombre pas dans une pure communion affective. La théorie est un organisateur d’histoires, un « métanarratif » pour reprendre le terme du psychanalyste américain Roy Schafer, qui parle aussi d’ « empathie narrative » pour décrire le processus relationnel par lequel un sujet aide un autre à organiser son expérience en récit structuré12. Peut-on espérer rénover le DSM en enrichissant la saisie des données audiovisuelles avec des informations apportées par l’identification du psychiatre, encadré et étayé par un ensemble de théories génératrices de récits, à son patient et à son histoire? La botanique nous a déjà montré que pour résister à la fois à l’usure du temps et à la diversité des espèces une taxinomie solide se fondait nécessairement sur une théorie. Seule la théorie, en donnant cohérence à l’histoire du patient, permet d’envisager dans une filiation psychopathologique la diversité des symptômes et d’éviter l’inflation des co-morbidités. La dépression, l’angoisse, les troubles du comportement s’expliquent alors mutuellement et ne sont pas simplement juxtaposés dans un puzzle insignifiant de catégories mal délimitées rappelant l’inventaire de Jacques Prévert. Plaider pour un retour à la théorie ne signifie pas l’assujettissement sans critique à un dogme. La psychiatrie des cinquante dernières années a trop souffert d’une fétichisation des diverses théories qui l’ont influencée, au gré des modes. Certains types de réactions antipsychiatriques, le refus de comprendre, l’absorption dans l’ineffable d’un « vécu » commun fusionnel, comme le retour à la pseudo-solidité d’un athéorisme psychologique combiné à une adhésion à un scientisme médical qui prétend savoir beaucoup plus qu’il ne sait, sont les conséquences, opposées mais finalement parallèles dans leurs effets, de cette fétichisation. Un certain pan-psychanalysme doit donc être soigneusement évité. Quelques psychanalystes (Searles, Rosenfeld, Bion) ont essayé de prendre en analyse d’authentiques psychotiques et de leur offrir un cadre analogue à celui des cures dites type proposé aux névrotiques. Ce faisant, ils ont jeté des lumières nouvelles sur le fonctionnement psychique de ces patients et sur le transfert psychotique, mais les données obtenues avec un nombre de cas limité par un nombre d’analystes également limité ont ensuite été généralisées à l’ensemble de la psychiatrie au prix d’un certain nombre de confusions. Nous en relèverons deux types. Un premier type concerne la confusion entre ce qui est reconstruit dans une analyse, une histoire qui donne sens à l’actuel, et ce qui est réellement advenu au cours du temps. Ce qui est reconstruit doit être relativisé : une analyse ne donne accès qu’au monde tel que le patient se le représente avec la triple déformation : du fantasme de l’enfant qu’il fut (différent de la réalité objective, c’est à dire telle qu’elle aurait pu être perçue par un tiers étranger à l’expérience de l’enfant), du souvenir de l’adulte qu’il est devenu et qui déforme son expérience passée en fonction de toutes celles qu’il eut ensuite et de son expérience présente, enfin du vécu transféro-contretransférentiel de la cure, des déformations induites par ce vécu particulier et suggérées consciemment ou inconsciemment par les interprétations de l’analyste, par le désir de lui plaire ou de lui déplaire. Cette confusion a été à l’origine de théories étiologiques reprenant la première théorie freudienne du traumatisme de séduction réhabilitée et généralisée par Ferenczi. On en a vu, à propos de l’autisme, des 11 12

P. Ricœur, Soi comme un autre. R. Schafer (1983), L’attitude analytique, tr.fr., Paris, PUF, 1990.


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exemples regrettables, mais on pourrait en dire autant de la notion de mère schizophrénogène élaborée conjointement par Frieda Fromm-Reichmann et Theodor Lidz, ou des excès de l’optique transgénérationnelle. Un non dit, un secret transgénérationnel peuvent, chez certains sujets et dans certaines familles, maintenir une gêne communicationnelle qui s’ajoutent à des secrets banaux relevant de l’intimité, à des non dits habituels, sur la sexualité des parents par exemple. Cet implicite peut entretenir des difficultés et, dans certains cas, il est possible, par sa levée, de soulager une tension. Vouloir lui attribuer la capacité étiologique de créer une distorsion de la personnalité aussi profonde qu’une psychose, c’est faire preuve de beaucoup de légèreté ou d’un dogmatisme débridé. Un deuxième type de confusion est la confusion entre la mise en lien d’événements de vie conscients ou préconscients susceptibles de s’inscrire dans une histoire cohérente et compréhensible, relevant d’une psychologie commune (« vous êtes déprimé parce que vous avez perdu votre travail et parce que vous êtes déprimé vous avez tendance à penser que le monde est globalement mauvais et donc à attribuer à tous ceux qui vous entourent des sentiments négatifs à votre égard ») et une interprétation en termes de désirs et de défenses inconscients s’inscrivant profondément dans la manière dont le sujet s’est au fil des âges constitué, mais dont la validité est tributaire d’un dispositif particulier. Notamment, les interprétations en termes de substitutions de signifiants et de jeux de langage n’ont aucun sens en dehors d’un cadre psychanalytique strict spécifiquement basé sur le seul échange de mots. Dans un contexte institutionnel, ces associations ludiques, construites associativement dans l’échange des soignants leur sont parfois utiles pour survivre devant leurs malades et pour continuer à penser. Mais ce pur effet du contre-transfert doit être analysé comme tel et contrôlé. Les constructions destinées à aider le patient et éventuellement sa famille à s’orienter dans un chaos interne et relationnel sont d’un ordre différent. L’expérience a montré que seules ont de l’intérêt les interprétations susceptibles d’être communiquées aux patients et susceptibles de les aider, c’est à dire susceptibles d’être comprises par lui. En dehors du setting analytique et d’une cure prolongée, avec un grand nombre de séances par semaine, seules sont généralement comprises et fécondes des interprétations superficielles et simples créant des liens dynamiques entre des sentiments ou des émotions conscientes et des événements de la vie quotidienne. Tout le reste n’est que mauvaise parodie de psychanalyse ou supercherie de gourou. La cure des psychotiques dans un milieu institutionnel n’est donc pas une cure psychanalytique. Elle se sert de la psychanalyse pour aider les soignants à supporter les patients, à rester accueillant à leurs projections. Elle se sert des découvertes cliniques de la psychanalyse pour repérer des processus psychologiques généraux : le clivage, l’identification projective, l’idéalisation, c’est-à-dire pour développer une autre façon d’apprécier les symptômes, en étant attentifs à ce que les symptômes font ressentir aux soignants et pas seulement à leur observation extérieure. Elle oriente l’esprit pour donner à ces symptômes valeur de communication. Mais la cure institutionnelle des psychotiques a des stratégies spécifiques qui reposent sur l’observation et le maniement d’une relation particulière, celle établie entre deux groupes d’individus ou entre deux individus, dans un contexte spécifique, celui des échanges de la vie quotidienne au sein d’une institution dont l’objectif est de diminuer la souffrance psychotique et de faciliter l’adaptation, à la vie courante. La psychanalyse n’est d’ailleurs pas le seul ingrédient du « bricolage théorique » nécessaire à la cure institutionnelle. La psychosociologie, les théories systémiques et, aujourd’hui, certaines des données des sciences cognitives peuvent contribuer à son perfectionnement. Enfin la cure institutionnelle n’est pas que verbale. Si elle cherche à narrer continuellement ce qui se passe dans l’institution, afin d’aider les patients à constituer ou à reconstituer leur récit intérieur, sur un mode moins rigide, enrichi d’harmoniques polysémiques, elle s’appuie essentiellement sur des échanges d’actes. Ce qu’on fait ou ne fait pas est souvent, avec un sujet psychotique, plus important que ce qu’on dit (ou ne dit pas). Pour pouvoir raconter quelque chose, il faut disposer d’événements vécus en commun, c’est-à-dire d’une série d’actions. L’espace institutionnel, favorable au développement et à la mise en scène de ces actions partagées, devient alors, au sens winnicottien, un espace de jeu. Faut-il rappeler que, pour cet auteur l’apprentissage du jeu


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est un préalable essentiel à l’interprétation du jeu ? Bien souvent, avec un psychotique, on n’ira pas plus loin. Un espace de jeu est un espace où tout le monde joue. L’un des points essentiels de la refondation proposée ici est de restaurer, ou de maintenir là où il existe encore, le plaisir de jouer. Ce plaisir mérite une halte. Il ne s’agit pas du plaisir de décharge lié à la satisfaction orgastique d’une pulsion, mais du plaisir calme et tranquille trouvé-créé en transformant la réalité et en « fonctionnant »13 comme transformateur de cette réalité. Il disparaît lorsque domine l’excitation et nécessite, pour être maintenu, une réserve, une mise en latence de la satisfaction immédiate par une activité auto-érotique où la source et l’objet se réunissent pour constituer une boucle dans laquelle l’activité de mentalisation vient se loger. On peut le qualifier d’auto-érotisme mental, plaisir pris avec le fonctionnement même de l’appareil psychique. L’activité plaisante de rêverie de la mère (W. Bion) donnant des soins à son nourrisson, accueillant ses projections nées de la frustration, les contenant, les transformant et les articulant en un scénario signifiant qu’elle lui restitue comme un embryon de narration qu’il pourra ensuite s’approprier et développer à sa guise pour découvrir, à son tour, le plaisir de penser, est une bonne métaphore de ce jeu particulier qu’est le soin psychique et du plaisir qu’y trouve celui qui s’y adonne. Ce plaisir, différent du plaisir de décharge, s’oppose également à l’autosensualité solitaire, figée dans la répétition et les intérêts restreints. Bien tempéré, il est contagieux. Il invite à l’échange, à la constitution d’une identification croisée entre deux auto-érotismes. C’est peut-être l’ingrédient thérapeutique essentiel du cocktail institutionnel proposé aux psychotiques, ces malheureux qui ne savent pas jouer, prenant le jeu pour une réalité hyper-réelle et redoutant une persécution par une pensée, dont la nature même est de les placer devant le deuil inévitable et impossible de l’objet, inhérent à l’activité de représentation. Dans une atmosphère empathique où ils se sentent acceptés, accompagnés et psychiquement contenus par l’attention et la présence des soignants, les psychotiques peuvent progressivement transformer leurs angoisses, leur délire et leur sentiment de déréliction en un plaisir de penser, d’abord très discret et solitaire, mais qui devient, au fil de la fréquentation de l’institution, un plaisir commun d’élaborer un vécu collectif ancré sur les évocations multiples des souvenirs partagés. Dans une société où la réalité psychique tient de moins en moins de place et où le « game », le jeu avec des règles préétablies, prend toute la place disponible, au détriment du « playing », le jeu créatif spontané et gratuit (D.W. Winnicott), y a-t-il encore une place pour le plaisir de jouer que nous plaçons à la base du soin psychique ? C’est en tous cas à dessiner cette place et à la défendre contre les empiétements de l’économique que les travailleurs de la psychiatrie doivent, à notre sens, s’attacher. Pour cela cinq directions peuvent être esquissées. Cinq directions… 1) La première est de restaurer le sens de l’équipe, de ce collectif soignant théorisé jadis par les promoteurs de la psychothérapie institutionnelle. Il s’accommode mal des règles de surveillance de la nouvelle gouvernance. Contraint par la réalité économique, il ne peut pas, certes, faire l’impasse sur les dures contraintes de la rentabilité et doit accepter, sous une forme ou sous une autre, de se soumettre à une évaluation de son efficacité. Mais la mesure de la productivité de l’entreprise de soins ne doit plus l’emporter sur sa fonction : procurer aux soignants, dans leur travail, une qualité plus qu’une quantité de plaisir psychique, pour qu’ils puissent le transmettre aux patients. L’autogestion de l’équipe doit inévitablement être encadrée, on l’a peut être trop oublié aux temps héroïques où la « santé n’avait pas de prix ». Mais cet encadrement doit rester discret, secondaire, au service de l’institution pour assurer son entretien en bon état de marche, et ne pas venir contredire les objectifs même du soin. C’est l’huile dans les rouages et non le combustible et le mouvement produit. Il doit surtout favoriser, au lieu d’une compétition généralisée, sur le mode de l’entreprise, une coopération, des échanges mutuels et solidaires au service d’une histoire commune, un « jouer ensemble » pour pouvoir se raconter les uns aux autres les différentes étapes du jeu. J. et E. Kestemberg (1966), « Contribution à la perspective génétique en psychanalyse », Revue française de psychanalyse, 30, p. 581-713.

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Bref, ce qui est en train de venir au premier plan, le souci administratif de produire des actes pour satisfaire les tutelles et gagner des points supplémentaires dans l’attribution des budgets, doit s’effacer modestement à la seconde place et laisser le premier rang au plaisir de fonctionnement du collectif soignant-soigné sur lequel pourra s’étayer le plaisir d’élaborer, d’évoquer, de penser du patient individuel. 2) La deuxième direction renoue avec un souci de théoriser. Ce souci permet de lutter contre les non-sens institutionnels, les occupations bouche-trou destinées seulement à « occuper » les soignants et les patients, en justifiant administrativement la présence des uns et des autres dans un temps et un lieu donné et en multipliant des actes tarifés. Il ne s’agit pas, comme on l’a trop fait, de se prosterner devant l’idole d’une théorie « explique tout » ni d’abuser d’une théorie a priori qui, en dressant des tabous, limite l’action plus qu’elle ne la favorise. Il s’agit plutôt, après avoir agi, de s’interroger sur le sens de son action et de mettre cette action en histoire en la reliant à d’autres actions antérieures ou en l’inscrivant dans un projet « individualisé », c’est-à-dire mis à son tour en regard de ce que l’on sait de l’histoire du patient et des échos trouvés à son histoire personnelle et familiale dans son histoire institutionnelle, cette dernière reproduisant souvent et aidant à mieux comprendre les aléas des premières. La théorie, encore une fois, n’est ici qu’un cadre « méta-narratif », une fabrique d’hypothèses conçues comme autant de germes pour de nouveaux récits. La protocolisation des soins, la fixation d’un certain nombre d’objectifs au sein d’un programme, peuvent, dans certains cas, fournir, elles aussi, des cadres narratifs, à condition qu’elles n’étouffent pas la créativité et un certain degré de spontanéité et qu’elles ne s’enferment pas dans la reproduction stéréotypée d’un modèle qui, comme des stéréotypies d’autiste, cristallise et caricature ce qui fut, un jour, inventé dans un échange vivant. Ces pratiques purement commémoratives marquent, parfois, comme autant de catafalques, le souvenir d’initiatives disparues dont la force innovante s’est depuis longtemps dissipée. C’est dire la vanité des soi-disant validations de ces pratiques par des mesures qui n’en saisissent que la coquille. 3) La troisième direction est de relancer un militantisme. La psychiatrie institutionnelle puis la psychiatrie de secteur se sont développées dans un contexte militant, celui d’une lutte pour créer des institutions nouvelles, mais aussi pour se détacher d’un passé asilaire encombrant. L’asile faisait figure de contre-type. Comme une matrice repoussante sur laquelle, a contrario, se moulaient les nouvelles pratiques, il aidait les militants à se définir, dans une rupture. Le terme est aujourd’hui redevenu à la mode pour désigner plutôt un retour en arrière. À l’époque, il entretenait une exaltation, une passion, un combat, autant d’aliments pour un narcissisme d’équipe communiqué parfois aux patients et aux familles qui avaient le sentiment de participer à une expérience nouvelle, hors des cadres établis. L’auteur de ces lignes a ainsi le souvenir de soins intensifs à domicile de patients psychotiques en crise où le désir de « tenir », comme dans un fortin assiégé, face à la violence de la folie, d’éviter l’hospitalisation, la contention et les surdosages médicamenteux, fonctionnait comme une machine à produire de l’estime de soi, pour les soignants d’une disponibilité à toute épreuve, pour les parents d’une tolérance et d’une endurance exceptionnelle et, en fin de compte, pour le patient lui-même bénéficiaire d’une présence et d’une attention continues. Les conditions ne sont plus les mêmes. L’hôpital psychiatrique, malgré la multiplication aberrante des hospitalisations sous contrainte, malgré l’extension inquiétante des chambres d’isolement, labellisées et banalisées par des règles architecturales et une procédure ad hoc, malgré le renouveau des murs, des grillages et des diverses mesures administratives ou techniques dites de « sécurité », malgré l’apparition de vigiles à ses portes et de bracelets électroniques aux bras des patients suspectés de dangerosité, offre tout de même, dans l’ensemble, un confort et une liberté qui n’ont plus guère de rapports avec l’ancien asile. Les séjours y sont devenus brefs, peut-être trop brefs, on l’a dit. Le niveau de culture global du personnel y est plus élevé. Des comités d’éthique, des associations d’usagers sont là pour éviter, de manière plus sourcilleuse, les déviations. Il est donc moins évident de le combattre. D’autre part, on l’a dit aussi, les mœurs ont changé et les temps du « chacun pour soi » sont moins favorables aux luttes collectives pour des changements sociaux, pour l’ouverture de « nouveaux espaces de liberté ». Enfin, les grandes idéologies qui animaient ces luttes se sont largement effondrées. Une inquiétude écologique consensuelle a remplacé


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la lutte des classes. Quand l’ennemi commun est principalement le changement climatique ou la « malbouffe », quand l’avenir redouté est d’abord celui des espèces animales ou végétales en danger, il est plus difficile de se mobiliser pour mieux accueillir et aider celui qui souffre dans son être intérieur et pour donner aux fous, jadis assimilés, comme enjeux des batailles politiques, aux prolétaires ou aux colonisés, une place plus digne dans notre société. Pourtant, on ne saurait renoncer au militantisme. Lui seul peut fournir l’énergie nécessaire pour ne pas céder à l’inertie et à l’enfermement bureaucratique que suscite, par réaction, la proximité avec des malades psychotiques et que renforce, on l’a vu, le fonctionnement néo-libéral imposé, aujourd’hui, aux institutions psychiatriques comme aux autres entreprises de service. Il y a, en effet, une véritable collusion entre deux types de fonctionnement, celui de l’industrie de soins, celui des psychotiques, acharnés tous deux à s’engager dans ce que Bion a appelé une « attaque contre les liens » ou à exprimer une « haine de la pensée », au point qu’on peut parfois se demander, en guise de boutade, si, sous deux visages, il ne s’agit pas du même fonctionnement et si l’idéologie néo-libérale n’est pas une forme d’épidémie psychotique. Deleuze et Guattari semblaient faire ce diagnostic ! Sans céder à ces amalgames faciles, contentons-nous de réclamer l’invention d’un nouveau militantisme psychiatrique. Il sera, de plus, un bon antidote à la dérive que pourrait faire craindre notre apologie du plaisir dans le soin : un fonctionnement autocentré où l’équipe trouverait son plaisir (excité plutôt que tranquille) soit en s’enfermant avec ses patients dans la conviction de son excellence, soit en les oubliant pour se consacrer à une analyse de groupe où l’on ne s’occupe que de soi et de l’entre-soi. On en a vu des exemples. Militer, dans un cadre collectif qui dépasse celui de l’équipe, impose d’échanger avec les autres, de se mettre au service des autres pour des avancées communes, au lieu de se contenter d’être seulement bien ensemble, avec parfois la conviction de faire mieux que les autres. 4) La quatrième direction est difficile à explorer. On a dit, à plusieurs reprises, que notre âge n’était guère favorable à la psychiatrie telle que nous la concevons, c’est-à-dire, étymologiquement, à un soin psychique donc relationnel. L’opinion publique, soumise à un véritable matraquage publicitaire, est davantage sensible aux recherches et aux méthodes qui nient le psychisme et réduisent les désordres mentaux à des anomalies neurologiques natives ou à des effets de stress, également réduits, en dernier ressort, à leurs effets sur le fonctionnement biologique. Si elle s’intéresse à l’accueil des victimes de ces anomalies et de ces stress c’est dans une optique de normalisation et de compensation purement sociale. Comment changer cet état d’esprit ? Comment rétablir le prestige de la pensée, le sens de l’intériorité et de la métaphore, et l’importance du soin apporté à promouvoir, en chacun et, plus particulièrement chez ceux qui souffrent d’un manque dans ce domaine, des capacités d’élaboration, de remémoration, d’évocation, de transformation des matériaux bruts d’expériences vécues en un récit intérieur, mobile, vivant et fluctuant ? Au début du secteur, il s’agissait de faciliter l’intégration sociale des adultes, des adolescents, des enfants souffrant de troubles graves du développement et de la personnalité. Les promoteurs se souviennent du temps passé en rencontres avec les travailleurs sociaux, les médecins généralistes, les commissaires de police, les voisins, en réunions de quartier, en interventions au sein des établissements scolaires, pour accroître la tolérance au psychotique, faciliter son maintien à domicile, son entrée dans une classe ou dans un atelier. La presse, l’édition, la radio ou la télévision alors soutenaient ces efforts. Comment les motiver à nouveau pour qu’elles retrouvent un intérêt dans la promotion du soin psychique ? Comment nouer entre les usagers, l’ensemble des professionnels concernés et les chercheurs sérieux de nouvelles alliances ? Comment relancer une campagne qui viendrait contrer celles des nouveaux neuro-psychiatres en mal de légitimité médicale, celles de certains chercheurs peu scrupuleux en mal de crédits, celles de certaines associations de familles qui, quoi qu’on fasse, resteront résolument antipsychiatriques ? Un vaste programme de reconquête de l’opinion est urgent. 5) Osons une cinquième direction. Pour faire de la psychiatrie, il faut des psychiatres. La politique inconséquente de réduction des formations, suivie depuis des années, sans tenir compte du déséquilibre de la pyramide des âges d’une profession qui a connu, dans les années 70, une brusque expansion, laisse prévoir une diminution drastique du nombre des


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psychiatres et donc, dans le service public et associatif, une augmentation des postes vacants, déjà nombreux. La formation substitutive offerte à des médecins généralistes et l’importation de psychiatres étrangers ne sauraient suffire à pallier ces manques. La situation n’est donc guère favorable pour entreprendre la refondation proposée ici. À moins d’envisager une réforme plus profonde. Elle consisterait à ouvrir l’accès aux responsabilités actuellement exercées par des docteurs en médecine spécialisés ou qualifiés secondairement en psychiatrie à d’autres professions : des psychologues cliniciens, des travailleurs sociaux, des cadres éducatifs ou de santé. Cela nécessiterait sans doute des changements dans la formation de ces professionnels, un renforcement de la prise précoce de responsabilités cliniques par les psychologues par un véritable internat rémunéré en psychologie (à l’exemple de ce qui existe en Suisse), une formation psychopathologique plus approfondie des autres professions. Cela aurait l’avantage de diversifier l’abord de la psychiatrie et, peut-être, pour effet secondaire, de la détacher de sa seule légitimation par son appartenance, souvent problématique, à la médecine. Serait-ce nécessairement un mal ? Il ne faudrait simplement pas que cette ouverture soit, une fois de plus, l’occasion d’économies et qu’elle aboutisse, comme c’est déjà le cas pour les assistants généralistes et les psychiatres étrangers, à remplacer les psychiatres statutaires par un personnel souspayé et sans garanties de carrière. Comme disait, je crois, Saint Thomas d’Aquin, il faut un minimum de confort pour pratiquer la vertu. J. H.


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