Rosella Sandri L'utilité de l’observation du bébé selon E. Bick dans la formation de l’analyste
Une des fascination de l’observation du bébé vient du désir, que nous possédons tous, d’assister au mystère non pas de la création ou de la naissance, mais plutôt de la transformation et du développement. L’observation nous confronte à ce mystère : comment passer du visible au non-visible? Comment passer du visible observable du comportement, du geste, du son, au non visible de la pensée, du fantasme, du monde psychique interne qui se constitue et se construit chez un bébé? Il y a aussi un autre aspect qui est propre de la situation d’observation : c’est la fonction de tiers que, très vite, l’observateur acquiert grâce à sa fonction “observante”. En effet, chaque moment de l’observation, permet de créer “une petite distance” par le regard qui devient dans cette situation non pas un simple miroir qui reflet mais, pourrait-on dire, un miroir qui permet de voir ce qui n’est pas visible à l’oeil nu. C’est pour cela que, suivant la méthode d’observation selon Esther Bick, chaque moment est tellement important, puisqu’il correspond à un moment du travail d'élaboration psychique. L'impact émotionnel avec la situation observée, ne se superpose pas à la rédaction écrite, permettant ainsi à l’observateur de parcourir, en la décrivant, la situation d’observation et a écouter ses émotions, qui sont souvent en syntonie avec les émotions du bébé et de sa famille. En même temps, ce moment est aussi un moment de découverte pour l’observateur, qui peut se “surprendre”, en écrivant, à avoir des pensées, des associations qui, tout en ayant un lien avec ce qu’il a vécu au moment de l’observation, peuvent l’éclairer sur des moments de non-compréhension vécus pendant l’observation. De la même façon, au cours du séminaire, de nouvelles pensées surgissent de l’espace du groupe, qui devient
alors “le berceau” dans lequel les bébés observés peuvent être pensés et portés par la rêverie groupale. Du point de vue de la formation de l’observateur, ce qui est important ce n'est pas uniquement le fait de "voir" comment se développe un bébé, mais c'est surtout d'apprendre à penser à partir de la communication primitive d'un bébé et d'apprendre à être sensibles aux tout petits détails et signes corporels autour desquels la vie psychique et relationnelle du bébé va s'organiser. L'essence de cette méthode ne se limite pas à ce qui se passe au cours de l'observation, mais par tout un processus qui se déclenche à partir de l'expérience que vit l'observateur : c'est souvent dans l'après-coup que ce qui a été vécu mûrit, en quelque sorte, à l'intérieur de l'observateur, et peut faire surface lorsqu'il n'y pensera pas intentionnellement. Il pourra s'agir de situations de travail ou parfois des situation plus personnelles dans lesquelles l'observateur pourra ressentir tous les bénéfices de l'observation et l'impact de cette méthode sur sa façon de travailler, de penser, d'être en contact avec sa propre réalité psychique et avec celle de ses patients. Dans l’observation du bébé, il y a aussi des moments où l’observateur devient une sorte de peintre qui non seulement décrit des scènes émotionnellement intenses, mais participe à la transformation grâce à sa capacité de s’émouvoir. Si l’on pense à l’étymologie de ce verbe (du latin exmovere) nous pouvons constater qu’il décrit bien la position de l’observateur, caractérisée par le fait de pouvoir “bouger” d’un visage à l’autre, d’un lieu psychique à un autre, de pouvoir voyager d’une émotion à une autre et en faire une première peinture dans sa rédaction écrite. A ce propos je voudrais citer un court passage de l’observation de Lina à 3 mois, que l’observatrice décrit ainsi (la scène se passe à la salle de bain, après le bain) : Pendant que la maman lui parle Lina la regarde, mais sans doute pas tout le temps, son visage reste bien orienté dans la direction du visage de sa maman, qu’elle fixe pour un
court moment. Par contre elle est très attentive, presqu’immobile, toute ouï à sa maman comme je peux constater par l’immobilisation de son propre corps avec une densité d’écoute et vigilance et l’abandon des doigts en bouche. Lina ne regarde plus vraiment sa maman, comme si elle regardait au travers ou au delà, un mouvement de la maman me fait croire qu’elle cherche à se mettre au centre du regard de Lina. Les sourires de la maman, son ton de voix, me font penser qu’elle perçoit cette attention, cette présence de Lina à son égard. Lina sort sa langue, comme si elle pouvait se prolonger et aller toucher sa maman. Elle émet des petits “Hee”, me faisant penser à une réponse aux paroles de sa maman... (Extrait de l’observation de Lina à 3 mois) Dans ce petit fragment d’observation, l’observatrice insiste sur le temps assez court pendant lequel le regard du bébé reste fixé sur le visage de la maman. Ainsi, si nous pouvons remarquer une qualité “pénétrante” de ce regard qui a été bien décrit dans les travaux de G. Haag (1984), nous pouvons également remarquer une qualité “réflexive” soulignée par l’immobilité et l’attention de Lina. En effet regarder signifie tout d’abord garder et faire attention (prendre garde). Dans l’échange de regards que nous pouvons imaginer entre le bébé et la maman, c’est comme si le bébé portait à l’intérieur le visage de sa maman, ensemble avec sa voix, avec ce que l’observatrice appelle la densité d’écoute, qui semble être une forme d’imprégnation qui touche tout son être psychique et corporel. L’observatrice souligne que c’est comme si le bébé regardait au travers ou au delà, ce qui amène la maman à se mettre au centre de l’attention de Lina. Pour terminer cette belle séquence, Lina sort sa langue, donnant à l’observatrice l’impression qu’elle peut toucher sa maman et, pourrait-on ajouter, la prendre en elle. Cela semble confirmé par le son “hee” en réponse aux paroles de la maman, comme si un dialogue s’était instauré entre les deux. Pour que le bébé puisse se représenter son propre visage, il est essentiel qu’il ait intériorisé le visage de sa mère. Ce visage, dans sa qualité de cadre contenant, doit posséder suffisamment de mobilité et en même temps de stabilité pour permettre au bébé de se reconnaître tout en se sentant reconnu : c’est la condition pour qu’un dialogue soit possible, qui transforme le visage de l’autre selon ce qui lui est envoyé. Si
le visage reste impassible (comme dans l’expérience du still face) ou s’il donne au bébé le sentiment qu’il va se “décomposer” sous l’impact de ses identifications projectives, le bébé se sentira soit dans l’impossibilité d’atteindre sa mère, soit avec une impression de “violence” des émotions qui risquerait d’abîmer sa mère. Dans les deux cas, le bébé peut se créer une sorte de ségrégation interne dans laquelle les parties du Soi ressenties comme étant les plus précieuses, les plus vraies, sont dans l’impossibilité d’aller vers l’extérieur et de trouver une mère prête à les accueillir. J’ai rencontré souvent cette problématique chez des patients adultes avec lesquels le travail en face à face m’a semblé particulièrement utile. Une patiente, notamment, me parlait souvent de l’importance, pour elle, du visage et disait régulièrement avoir l’impression que le sien était tout gonflé, tout déformé. Elle se sentait obsédée par son visage, qu’elle évitait de regarder dans le miroir. Cette même patiente m’avait parlé longuement de l’impact que le visage de sa mère avait eu pour elle, du fait que l’émotion semblait toujours déborder de son visage, qui pouvait se “décomposer” sous l’impact d’une émotion. Elle avait l’impression, par contre, que son propre visage était très statique, même lorsqu’elle vivait intérieurement de fortes émotions : c’est comme si elle pouvait “congeler” ses émotions. Elle affirma s’être sentie soutenue par mon visage, par le fait qu’il n’était pas impassible et qu’en même temps il n’était pas débordé ou déformé par l’émotion. Ariane, une jeune femme en quête de son identité, se plaignait souvent, au cours de la relation psychothérapeutique, du fait qu’elle sentait son visage se transformer sous l’impact de l’émotion. Elle rougissait d’une façon assez particulière, avec des grandes taches rouges sur tout le visage qui me faisaient penser à de grosses gouttes de couleur qui auraient transpercé de l’intérieur. Cette patiente avait été confrontée à une mère dont l’état psychique et le comportement étaient complètement imprévisibles, avec l’irruption d’épisodes psychotiques où elle devenait “autre” et n’était plus reconnaissable. Lorsque Ariane était enfant, elle avait développé une sensibilité particulière qui lui permettait, dans certaines limites, de prévoir, d’anticiper le changement de “climat
émotionnel” sur le visage de la mère, exactement comme nous essayons de le faire en scrutant le ciel. Les nuages annoncent-ils de la pluie? Ou bien quelques rayons de soleil parviendront-ils à les chasser? Le thermomètre émotionnel d’Ariane était devenu une sorte de système de contrôle très rigide, avec lequel elle essayait également de maîtriser ses propres émotions. Lorsque cela n’était plus possible, un débordement de la couleur émotionnelle devenait visible sur son visage. Ariane regardait très peu mon propre visage, probablement par crainte d’y voir “le reflet” de ses émotions, ou d’être envahie par les miennes. Elle me lançait uniquement un coup d’oeil furtif au début et à la fin de la séance, comme si elle voulait voir mon visage “avant” et “après” la séance, peut-être pour s’assurer qu’il était toujours le même et que l’impact avec ses contenus psychiques ne l’avait pas détérioré ou déformé.
L’OBSERVATION DANS LA SITUATION ANALYTIQUE On pourrait prendre l’image du bébé au sein comme une métaphore de la situation analytique, non seulement dans le sens de “rêverie maternelle” développé par Bion (1962) , mais aussi dans le sens d’une rythmicité commune entre analyste et analysant à l’intérieur de la séance. Les deux membres du couple analytique se rencontrent, se mettent en mouvement d’une façon synchronique. Les mouvements sont presque toujours les mêmes, avec quelques petites variations en fonction des émotions du moment. Ensuite chacun s’installe à sa place; le plus souvent l’un parle, l’autre écoute. Il peut y avoir aussi des moments de silence, parfois des bruits corporels (par exemple, des gargouillements du ventre) venant de l’un ou de l’autre membre de la diade. A cela il faudrait ajouter d’autres éléments sensoriels : la lumière du jour ou d’une lampe, un bruit provenant de l’extérieur ou de l’intérieur de la maison, parfois un parfum ou une odeur corporelle. Un climat particulier s’instaure, dans lequel les éléments sensoriels, émotionnels, verbaux et non verbaux contribuent à l’installation d’un dialogue, au-delà des mots qui sont prononcés (ou qui ne sont pas prononcés). L’art analytique dépend aussi, en partie, de la capacité qu’acquiert l’analyste de
s’installer d’une façon suffisamment harmonieuse dans un rythme qui convient à chaque analysant. Il se crée ainsi une sorte de musique dans laquelle chacun partage un temps, un espace, un “instrument”, tout en sachant écouter l’autre et en même temps s’écouter soi-même. Ce que l’analyste a à apprendre de l’observation du bébé c’est aussi le fait que, tout comme une mère s’adapte au bébé, l’analyste s’adapte à chaque patient trouvant un langage, une tonalité affective, une intonation de la voix ou certains gestes et attitudes corporels qui peuvent varier selon le patient, en une sorte d’adaptation émotionnelle. Il faut un certain temps, pour les parents, pour accueillir le bébé, lui faire une place, trouver un rythme commun avec lui, tout comme il faut un certain temps pour que l’analyste et l’analysant trouvent leur rythme commun. Accueillir un patient dans notre espace intime signifie aussi lui laisser utiliser nos “objets”, les objets concrets de notre cabinet en tant qu’objets qui font partie du cadre et qui nous représentent. Cela signifie également nous laisser utiliser en tant qu’objet, parfois même en tant que premier objet subjectif qui fait vivre au patient un état intermédiaire entre subjectivité et altérité. Dans la relation analytique, certains patients semblent découvrir le temps après une utilisation massive de l’identification projective qui tend à effacer la séparation et les limites imposées par le cadre analytique. C’est souvent dans la rythmicité du temps d’attente et des retrouvailles qu’une notion de temps interne commence à être expérimentée. Je voudrais, à ce propos, évoquer certains rêves de patients adultes qui me sont apparus comme des signes de l’intériorisation d’un rythme commun et l’instauration d’un temps interne. Ces rêves surviennent après un certain temps de travail psychanalytique, lorsque la rythmicité est suffisamment installée à l’intérieur de l’espace psychique, mais peuvent également se manifester au début de la relation analytique, lorsque la recherche d’un temps et d’un rythme communs sont particulièrement importantes. La plongée au fond de la mer
Je choisirais à titre d’exemple, le rêve d’une patiente - que j’appellerai Stefania - avec laquelle la création d’un rythme commun avait été plutôt difficile. J’avais dû, pendant les premiers mois de la relation analytique, lui proposer un horaire provisoire en raison de l’urgence de sa demande et de la détresse qu’elle exprimait. Stefania avait eu quelques difficultés à s’adapter au cadre analytique, il lui arrivait d’oublier ses rendez-vous, ou d’arriver avec beaucoup de retard. Ce n’est qu’après un certain temps, lorsque notre rythme de travail et le cadre avaient pu se stabiliser, que Stefania commença à amener des rêves, dans lesquels elle exprimait des angoisses liées à cette difficulté d’”accordage”, qui fait penser à certaines difficultés que peuvent avoir les parents au début de leur relation avec un bébé. Dans un de ces rêves, Stefania faisait de la plongée au fond de la mer, dans des eaux assez claires. Elle rencontrait de gros poissons et ensuite, dans une sorte de couloir très profond, beaucoup de gens dont les visages étaient très effrayés et qui ne faisaient pas vraiment attention à elle, comme s’ils ne la voyaient pas. Elle était obligée, vu le nombre de personnes qu’elle croisait, de se mettre sur le côté pour éviter de se faire piétiner par la foule. Les associations de Stefania suite à ce rêve, l’avaient amenée à me parler du fait qu’elle avait aimé pendant une période de sa vie, faire de la plongée dans des mers où l’eau était particulièrement claire et lumineuse. Elle était fascinée par la vie sous-marine, mais en même temps elle essayait d’éviter les mers dont les eaux étaient trop sombres, tout comme elle évitait les eaux trop profondes. Elle avait fait ensuite un lien entre la montée de ses angoisses et l’impossibilité, pour elle, de plonger encore dans la mer. La dernière fois qu’elle avait pu le faire, Stefania avait eu très peur car, juste avant de s’immerger, avait-elle dit, elle avait “perdu le rythme”. Elle n’avait pas pu respirer au bon moment et s’était ensuite sentie submergée par les vagues, avec une impression de suffocation. La foule de gens très effrayés et qui ne la voyaient pas avait été associée par Stefania aux patients qu’elle pouvait parfois croiser chez moi, au moment de son arrivée ou de son départ. Nous avions interprété ce rêve comme une représentation de la plongée dans “mes eaux”, dans mon corps et mon esprit qu’elle voyait comme une mer peuplée de vie, de présences, mais aussi de dangers, représentés surtout par “la foule” de patients en tant que bébés rivaux, qui pouvaient occuper mon esprit et la mettre à
l’écart. Stefania avait associé les profondeurs de la mer, avec le couloir qui s’y trouvait aux profondeurs de son psychisme avec ses dangers, y compris, avais-je ajouté, le danger d’une relation transférentielle dans laquelle je pouvais devenir une mère primitive et suffocante par rapport à sa vie psychique naissante (le canal étroit pouvait faire penser à la sortie de l’utérus). Stefania avait pu ensuite faire le lien entre la peur de perdre le rythme et ses difficultés, dans la vie de tous les jours, à trouver des repères temporels, et aussi ses oublis très fréquents, y compris parfois des séances. Elle avait ensuite parlé de son vécu par rapport à sa mère, qu’elle disait avoir été trop rapide, ne lui laissant pas le temps et prenant souvent des décisions à sa place, la mettant ainsi devant le fait accompli. Elle avait évoqué des sentiments de rage et d’impuissance vécus à ces moments-là, avec une impression de non-existence qui l’avait amenée, d’une part, à se coller davantage à sa mère et, d’autre part, à enfermer ses parties-bébé dans des sortes de Limbes situées dans des eaux si profondes et si sombres, que ces parties n’avaient jamais pu remonter à la surface.
LES “PARTIES-BéBé” CHEZ LE PATIENT ADULTE Il m’arrive parfois, en rencontrant un patient adulte de me demander : “Quel bébé il y a-til en lui?” Cette question ne signifie pas tellement que j’essaye de “donner un visage” de bébé à l’homme ou la femme qui sont avec moi, mais signifie plutot que je suis particulièrement à l’écoute de “régions” du fonctionnement psychique dans lequel se trouvent ce que j’ai appelé “les parties-bébé” de l’adulte.
Ces régions touchent
également les limites entre le corporel et le psychique, le corporel n’étant pas uniquement ce qui s’exprime au niveau du corps, mais toute la zone dont le fonctionnement s’enracine dans les premiers niveaux du développement psyco-corporel. Je pense principalement aux premières formes de symbolisation, étroitement enracinée dans le corps et, surtout, au corps en tant que premier espace et en tant que premier “objet” pour le bébé, lui permettant de se donner une première représentation des événements psychiques.
Lorsque je parle de parties-bébé chez l’adulte je fais référence à des aspects de la personnalité qui ont gardé un mode de fonctionnement primitif, étroitement lié aux expériences vécues dans la plus petite enfance. Naturellement un adulte ne peut pas avoir un souvenir conscient des expériences qui ont laissé en lui des traces à un niveau très archaïque; toutefois, si l’analyste a pu suffisamment approfondir la signification des expériences primitives d’un bébé, (et l’observation du bébé est un moyen excellent pour cela), il est possible de développer une sensibilité et une écoute à ces “parties-bébé” du patient adulte. Souvent, nous pouvons découvrir chez le patient des aspects de la personnalité qui essayent de se développer et qui se trouvent à un état embryonnaire. Pour reprendre une expression chère à Bion, ils seraient comme des “pensées en attente d’un penseur” ou, pourrait-on dire aussi, comme des bébés en attente de pouvoir naître et se développer. La relation analytique est investie dans ces cas d’un état d’attente particulière, en tant que seule possibilité qui pourrait permettre à ces parties de trouver un contenant pensant et vivant. Je voudrais à ce propos citer le rêve de Sylvie, une femme avec des fortes tendances dépressives et des problèmes de dépendance de l’alcool. Sylvie avait décidé de se faire hospitaliser pour une période de désintoxication, même si cette idée l’angoissait beaucoup. A la séance avant son départ, elle avait raconté un rêve qui, malgré la grande détresse, me semblait amener une note d’espoir, comme un rayon de soleil qui cherche à percer les nuages. Elle m’avait d’abord parlé du fait que son compagnon lui avait offert, dans la réalité, un couple de oiseaux, qu’elle laissait libres de voler dans la maison et qui, à son dire, rentraient dans leur cage uniquement pour se reposer. Ces oiseaux avaient eu des petits et elle se sentait très touchée par leur arrivée. Dans son rêve Sylvie découvre que la maman oiseau, qui a un plumage très coloré (avec des tons qui vont du rouge au jaune ocre, à l’orange foncé), a eu quatre ou cinq petits. Ils ont le même plumage de leur maman et ils sont aussi beaux qu’elle. Sylvie dans le rêve était assise sur un canapé et la maman oiseau venait déposer ses petits sur sa poitrine, un peu comme si elle les lui confiait avant son départ.
Ce rêve m’avait fait penser à la naissance de parties précieuses dans le psychisme de la patiente, grâce à la relation analytique, qui pouvait l’aider à donner naissance aux bébés-oiseaux, dont elle ne pouvait pas, pour le moment, s’occuper. Elle devait les confier à une mère substitutive, représentée dans le rêve par la patiente elle même qui, pouvait introjecter les bons aspects de notre relation. En même temps j’avais l’impression qu’elle me demandait de prendre soin de ces parties bébé d’elle même, pendant son absence. Sylvia était très émue après ce rêve, elle pleurait doucement comme on aurait pu l’imaginer pour une mère qui doit quitter son bébé peu de temps après sa naissance. L’image du rêve de la patiente avec les petits oiseaux, m’avait fait penser à certaines images de madonnes avec l’oiseau, qui apparaissent dans la peinture de la renaissance italienne. Qu’est-ce qu’elles représentent ces images de Madonnes à la beauté discrète qui, d’un sourire enigmatique accueillaient ces oiseaux auprès d’elles? Pourrait-on comprendre la présence de ces oiseaux en tant que représentation de parties-bébé, en tant qu’objets beaux et fragiles, qui possède la légèreté et de l’élégance d’un oiseau qui vole? Tout cela paraît également lié à la beauté et à la fragilité des processus de développement qui, lorsqu’ils restent enfermé comme des oiseaux dans une cage ne peuvent pas se développer et dès qu’ils peuvent profiter de la liberté commencent à voler et à avoir des relations fécondes. Les rêves des futures mamans L'arrivée d'un bébé touche souvent, chez la future mère, des zones de fragilité dans sa construction psycho-corporelle que, dans le travail analytique, vont remonter à la surface, entre autre dans les rêves. En même temps, l’arrivée d’un bébé éveille aussi chez les futurs parents des espoirs de développement de leurs parties-bébé et donc de reprise de développement psychique. Pour cette raison, je trouve particulièrement fécond le travail avec les futures mamans : elle nous permettent l'accès à un temps de construction psychique très intense et nous offrent, à la même occasion, des clés de compréhension de leur développement
psychique, surtout dans ses aspects les plus problématiques. Je me souviens de l'émotions intense que j'avais lu un jour sur le visage d'une jeune femme que je retrouvais pour sa séance. Elle m'annonça, quelques minutes plus tard, qu'elle venait d'apprendre qu'elle était enceinte. J'étais la première personne à laquelle elle l'annonçait, je comprenais alors la signification profonde du "rayonnement" que j'avais lu sur son visage en la retrouvant ce jour là. Ce bébé arrivait après un long travail analytique dans lequel la jeune femme avait traversé, dans la relation transférentielle, des angoisses primitives qui touchaient les fondements de son sentiment d'exister et un désespoir profond enfermé en elle depuis des années. Cette femme avait développé, au cours de sa grossesse, une grande capacité d'entrer en relation avec le bébé et de se représenter ce qui se passait pour elle au niveau corporel. Elle me permettait ainsi d'assister à la construction d'un espace qui n'était plus seulement son espace psychique interne, mais qui devenait un espace corporelpsychique habité par le bébé. Ce bébé prenait de plus en plus de place dans le corps et dans la tête de la jeune femme et, au fur et à mesure que la grossesse avançait, les sentiments d'être envahie dans son espace vital devenaient de plus en plus importants. Elle commençait à se sentir menacé par les varices qui lui avaient abîmé les jambes et par une hernie, qui lui faisait craindre de devoir subir une opération après son accouchement. Les angoisses qui touchaient son intégrité corporelle et psychique s'exprimaient dans de nombreux rêves. Dans un de ces rêves elle voyait une femme qui devait accoucher, allongée sur une table d’opération. Les médecins avaient pratiqué une anesthésie locale et le bébé naissait par césarienne. Elle voyait plein de sang et constatait que les médecins qui s’occupaient de l’opération étaient distraits par les personnes qui passaient. Elle pensait qu’ils ne devraient pas négliger trop longtemps la patiente et qu’ils devraient plutôt la recoudre. En examinant mieux la patiente elle s’apercevait avec horreur qu’ils avaient fait une coupure très nette, comme à la hache et que tout le bas du corps était par terre. Elle se demandait, dans le rêve, si les médecins, avec leur distraction, n'allaient pas perdre ses jambes qu’ils avaient abandonnés à terre. Ce rêve me semble bien illustrer les angoisses liée à l'enfantement avec toutes les
implications qui y sont attachées : transformations corporelles et psychiques, réactivation de problématiques primitives qui touchent aux premiers niveaux de construction psycho-corporelle, angoisses de perte catastrophique ou d'hémorragie sans fin liés à la représentation de l'accouchement. L'expérience d'observation nous aide à faire un lien entre ces processus et les niveaux primitifs du développement psychique : l'angoisse de perdre la moitié du corps en se séparant du bébé, nous fait penser aux premières lignes de clivage dans le développement le bébé, qui touchent d'abord le clivage vertical( gauche-droite) et ensuite le clivage horizontal (le haut et le bas du corps). Dans le cas de ma patiente, par exemple, le clivage entre le bas et le haut du corps, avait touché une problématique très importante de sa petite enfance : à l'époque où elle commençait à investir le bas du corps, avec l'analité et les zones érogènes sexuelles, sa mère avait donné naissance à une petite soeur. Nous avons pu reconstruire, dans la relation transféro-contrétransférentielle, les sentiments de perte catastrophique qui étaient associés à cet événements : sentiments qu'on pourrait résumer comme une perte d'une moitié corporelle, à une époque où la petite fille se vivait encore, psychiquement, soudée au corps de sa mère. Dans le rêve, la mère risque de perdre la moitié de son corps, à cause d'une coupure trop nette et des médecins distraits... Sans doute, la petite fille qu'elle était avait du sentir que sa mère était "distraite" ou occupée par un autre bébé pendant la grossesse et ensuite a du vivre une coupure brutale lorsque, vers dix-huit mois, elle a "vu" sa mère avec un autre bébé. Au niveau du transfert, cette patiente se sentait particulièrement "arrachée" de la relation avec moi lorsqu'elle rencontrait un autre patient ou devinait sa présence pendant qu'elle attendait. En ce qui concerne sa relation avec son bébé, si au début de la grossesse elle était rayonnante, à l'approche de l'accouchement, elle était très angoissée par le vécu de séparation. C'était comme si elle allait perdre non seulement le bébé dans le ventre mais aussi toute une partie de son corps, comme elle l'exprimait dans son rêve. Elle craignait en même temps que je devienne comme les médecins distrait, qui ne pensaient pas à recoudre ou à rassembler, par l'attention, toutes ses parties clivées. Je suis d'avis que les rêves des femmes enceinte (et nous savons que l'activité onirique est très intense les derniers mois de grossesse) sont particulièrement intéressants en ce
qui concerne la compréhension de certaines angoisses qu’une mère peut vivre pendant sa grossesse, qui font déjà partie du développement de la relation avec le bébé.
CONCLUSIONS Nous pouvons dire qu'une analyse représente aussi, en quelques sortes, une situation d'"observation", mais une observation de type particulier, dans laquelle l'espace psychique de l'analyste, avec les résonances qu'il contient, est révélateur de ce que le patient est en train de vivre dans son monde interne. Lorsqu'il s'agit d'enfants ou d'adultes avec troubles de la pensée, l'analyste doit accomplir un passage des éléments protomentaux, avec leurs liens intimes aux éléments corporels, aux éléments utilisables pour la pensée. Ce travail implique une certaine dose de douleur psychique pour le patient, mais aussi pour l'analyste, qui, tout comme le patient, peut se trouver parfois dans l'incapacité momentanée d'accomplir son travail de transformation psychique. Cela est du, le plus souvent, à l'intensité et à la violence des identifications projectives qui sont évacués par le patient "dans" l'analyste. Cette opération peut avoir comme effet une impossibilité de penser et d'accomplir le travail de transformation nécessaire pour la continuation du travail analytique. Dans cette optique, l'observation telle que nous la concevons, devient un instrument précieux pour apprendre à écouter le patient et ensuite à essayer de donner un sens à sa communication. Lorsque cette attitude d'observation est utilisé dans la relation analytique, elle peut devenir la source d'une nouvelle approche aux niveaux primitifs de la pensée, qui s'exprimer à travers la corporéité, à travers l'action mais aussi, à un niveau plus élaboré, à travers certains rêves. En effet, les rêves représentent un matériel précieux, que nous pouvons apprendre à écouter comme une sorte de mémoire du corps et des premiers mouvements
psychiques. Dans cet esprit il est possible, au cours d’une analyse, d’avancer des hypothèses qui n’ont pas une valeur de reconstruction “historique” de la petite enfance du patient, mais qui ont plutôt la valeur de permettre un travail de liaison, d’intégration à l’intérieur du psychisme, avec des émotions primitives. Souvent, cela est possible grâce à des mise en images, des métaphores qui peuvent naître en nous grâce à l’expérience d’observation des bébés. Il est intéressant de voir quel type d’association le patient peut amener, après une reconstruction qui touche ses “parties-bébé”; lorsque le patient peut utiliser la pensée onirique, il est intéressant d’écouter certains rêves comme une sorte de mémoire des premiers vécus psychiques et corporels. Mon hypothèse est également que certains rêves représentent des tentatives de penser et de résoudre des questions très importantes qui n’ont pas pu être élaborés pendant la petite enfance et qui vont “remonter à la surface” suite à l’impact émotionnel vécu dans la relation transférentielle.