Tous des pédés ? On parle de plus en plus des «homos», remarquait un jour Jean Laplanche — ce qui permet d’évacuer le mot «sexuel». Ceci n’a rien d’anecdotique. L’homosexualité, en effet, c’est la sexualité sans alibi. Celle qui depuis toujours a jeté aux orties le froc de la procréation. À travers les cultures et les âges, c’est même là l’essentiel de son péché : manifester que la sexualité, au risque de tous les dérèglements, est un but en soi. Qu’on y joue comme font les enfants, sans autre but que jouer. Qu’elle excelle dès lors à raviver les périls de l’enfance. On parle aussi bien entendu des «pédés», et ce glissement n’est pas sans rapport avec l’autre. En effet, si le terme «homo» connote en soi une sexualité déviante (par rapports aux prescrits traditionnels ne légitimant que l’hétérosexualié à visée procréatrice), il en marque aussi la relative banalisation, voire même l’honorabilité — ce qui n’est pas sans inquiéter certains. Ce n’est donc pas sans raison – bien que déraisonnable - qu’on parle à tort et à travers des «pédés». À la fois familière et méprisée, la figure du «pédé», plaquée sur celle de l’homosexuel, atteste l’angoisse et la confusion qui souvent guettent dès que la sexualité s’éloigne des sentiers balisés par la procréation. Même les jeux sexuels des enfants, quand ce n’est pas du «docteur», tendent à ne s’autoriser que du «papa-maman». Si, dans l’espace social, la stigmatisation de l’homosexuel en tant que «pédé» apparaît détestable, dans la réalité psychique elle n’a rien de gratuit. Ses racines, en effet, plongent dans les soubassements les plus archaïques des pulsions. À ce niveau, dicté par l’inconscient, le slogan on ne peut plus projectif «Tous des pédés !» n’est pas dépourvu de cohérence. S’ajoute à cela que l’identité contemporaine (fortement polarisée par la traduction en «genre» de la différence anatomique des sexes) est sujette, depuis quelques années, à de fortes turbulences — surtout du côté masculin. Chez les individus les moins assurés, la mise à mal de divers marqueurs sociologiques, aptes à les différencier des «femmes» (tels le pantalon et la direction d’entreprises), ne laisse pas d’inquiéter. Il est alors tentant, faute de mieux, de réaffirmer une
2 virilité menacée en se démarquant bruyamment des dits «pédés». De manière générale, le glissement subreptice de mots et de significations dans l’usage courant (comme lorsque le «foulard», dit islamique, tout à coup devient «voile») en dit long sur l’ampleur des conflits sous-jacents. Symptomatiquement, faire glisser l’homosexualité vers la pédophilie n’a rien
d’anodin.
Ce
n’est
pas
non
plus
sans
conséquences :
anthropologiquement, l’homophobie et la xénophobie participent d’une même dynamique diabolisante générée par la peur de l’autre1. Dans ce contexte, les péripéties récentes de l’église catholique, en matière de divulgation des déviances d’une part de son clergé, s’avèrent des plus révélatrices. À l’observateur des choses vaticanes, il apparaît que depuis belle lurette la hiérarchie a fait son choix entre les curés pédophiles et les prêtres mariés. Un pieux silence néanmoins protégeait les apparences. Aujourd’hui, c’est paradoxalement au moment où la proportion de prêtres pédophiles semble avoir décru que le scandale éclate : il est vrai que la phobie contemporaine de l’abus sexuel est passée par là2. Les autorités ecclésiastiques, de leur côté, se défendent habilement sans rien céder sur la question du mariage des prêtres : si les abus sont regrettables, ils ne sont aucunement liés au célibat, un grand nombre de violence sexuelles sont manifestement le fait de gens mariés. C’est incontestable, mais il n’est pas sûr que l’argument soit pertinent, car ce n’est pas tant le célibat (règle purement disciplinaire, issue de l’idéal monastique, ayant mis des siècles à s’imposer) qui fait question, que la diabolisation de la sexualité lui servant d’argument de vente. Dans l’organisation ecclésiale catholique, en effet, si la règle absolue du célibat ne repose sur aucun argument théologique sérieux, elle bénéficie par contre d’un discrédit constant de la sexualité chez divers pères de l’église — et non des moindres. Pour Saint Augustin (3541
Voir à ce sujet : Francis Martens, «Xénophobie : corps étranger», Anthropologie et
Sociétés, 2010, Université Laval, Québec. 2
En Europe, l’«affaire Dutroux» est, à ce niveau, particulièrement emblématique. On
trouvera une vaste réflexion pluridisciplinaire à ce sujet dans : Vincent Magos (éd.), Procès Dutroux. Penser l’émotion, Bruxelles, Temps d’Arrêt, Ministère de la Communauté Française, 2004.
3 430), par exemple, il n’y a rien de plus puissant que les caresses d’une femme pour tirer l’esprit d’un homme vers le bas. Indissociable du péché originel, la concupiscence s’incarne pour l’homme dans «ce mouvement honteux qui sollicite les organes (…), soulevant à la fois les passions de son âme et les instincts de sa chair (La Cité de Dieu, XIV, 15, 16). Face à un tel péril, Saint Paul avait déjà résolu que le mariage, même si de loin inférieur au célibat, était un moindre mal — en tant que «remède à la concupiscence». Mais la partie n’est jamais gagnée. Au XIXème et au XXème siècle, la macération de la chair et le terrorisme antisexuel connaissent de beaux jours dans l’enseignement religieux. L’obsession pseudo-médicale de la masturbation («impureté contre nature»), héritée du siècle précédent3, se voit lestée comme jamais par les menaces de l’Enfer. C’est dans ce sillage qu’évolue encore le célibat ecclésiastique, verrouillé par des papes euxmêmes victimes d’une telle éducation. Il y va moins, autrement dit, de renoncement à un bien privé (l’épanouissement sexuel) au profit d’un bienfait collectif (le service à la communauté), que de terreur face aux périls du sexe et aux manigances séductrices des créatures — maman mise à part. Bien que rétive au «pansexualisme freudien», la promotion du choix sacerdotal n’hésite pas, en effet, à jouer des sentiments les plus 3
Dès le XVIIIème siècle, le délire anti-masturbatoire, traduit en douze langues, du médecin
suisse Simon-Auguste Tissot (1728-1797) inonde le monde occidental de sa terreur de l’onanisme (L’onanisme. Dissertation sur les maladies produits par la masturbation, Lausanne, 1760 ; dernière réédition, Paris, 1905). Dans la première moitié du XXème siècle, «La chaste adolescence», ouvrage traduit du hongrois en onze langues, de Mgr Tihamer Toth, en s’adressant d’homme à homme au «jeune homme au cœur pur» ne lui cache rien des réalités de la vie : «Tu as déjà entendu parler n’est-ce pas de plantes insectivores. L’insecte sans méfiance vient se poser sur leurs feuilles velues, mais dès cet instant il est pris et la feuille se referme avidement. Lorsque quelques jours après elle se rouvre, du malheureux insecte il ne reste qu’un triste débris : la plante a sucé toute sa force, toute sa vie… De même le péché d’impureté suce la force d’âme du jeune homme qui sans méfiance s’est jeté dans ses griffes. C’est pourquoi des changements si visibles apparaissent dans son caractère et sa conduite, même souvent dans sa santé physique, qu’il lui est impossible – bien qu’il le veuille – de les cacher aux autres. Car l’aigle ne peut plus voler aussi bien, quand il a trempé ses ailes dans la boue.» (La chaste adolescence, Casterman, Paris-Tournai, 1940, p 73). Nul doute que les papes Jean-Paul II et Benoît XVI n’aient trouvé, en leur temps, ce livre sur leur table de chevet.
4 massivement œdipiens. C’est ainsi que, peu avant le concile Vatican II, l’auteur de ces lignes, abrité de la pluie sous le porche d’une église bretonne4, a la surprise de rencontrer ces mots sur une affiche promouvant la «semaine diocésaine des vocations» : Mères, donnez un fils à l’église ! Il ne vous quittera jamais (sic). Les prêtres pédophiles, en fait, semblent moins victimes du célibat comme tel que d’une infantilisation terrifiante en matière de sexualité. L’église institutionnelle restant une organisation exclusivement masculine, il semblerait logique d’y voir des hommes se consoler des rigueurs de la règle avec des partenaires du même sexe. Ainsi, dans la république monastique orthodoxe du Mont Athos, l’homosexualité, selon Jacques Lacarrière (L’été grec, 1974), semble ne pas avoir trop de mal à se manifester. Il est vrai que, depuis l’an 1045, un décret de l’empereur Constantin Monomaque interdit radicalement l'accès de la Sainte Montagne «à toute femme, à toute femelle, à tout enfant, à tout eunuque, à tout visage lisse» — interdiction qui vaut pour tout animal non mâle (poules exceptées) et restreint fortement les possibilités de choix. Au sein de l’église catholique, l’éventail des possibilités semble plus large mais la diabolisation du sexuel est telle5 que même la voie discrète de l’homosexualité entre adultes se trouve réprimée (nonobstant les œillades de Jean vers Jésus dans les fantasmes iconographiques de la Dernière Cène). Par contre, loin du Mont Athos, la présence d’enfants de chœur prépubères ne souffre pas d’objection. On ne saurait donc s’étonner de voir le refoulé sacerdotal faire retour épisodiquement par la pédophilie, ni de voir son dévoilement entravé par une rigoureuse omerta. Tout ceci apparaît limpide – bien qu’imprudent quand Mgr Tarcisio Bertone (le bras droit du pape) signale, sous la pression des médias, que «nombre de psychologues, de psychiatres, ont démontré
4
Notre Dame de Port-Blanc, commune de Penvénan, Côtes-d’Armor.
5
C’est ainsi que les positions crispées sur l’avortement procèdent moins, en réalité, d’une
défense inconditionnelle de la vie, que de l’horreur atavique d’une sexualité non excusée par la procréation. D’où ce sentiment de porte-à-faux dans les déclarations les plus vertueuses de la hiérarchie catholique.
5 qu’il n’y avait pas de relation entre le célibat et la pédophilie» et que «beaucoup d’autres ont démontré (…) qu’il y a une relation entre homosexualité et pédophilie»6. Plus limpides encore, les paroles embarrassées du porte-parole du Vatican, le père Federico Lombardi, lorsque - tentant de redresser la barre face à un tollé général – il précise que le cardinal Bertone se «référait évidemment au problème des abus commis au sein du clergé et non à ceux commis dans l’ensemble de la population» (ibidem). Confondante enfin, la confirmation apportée par le cardinal Roger Mahony (Californie) quand il confie à la victime d’un curé prédateur multirécidiviste : «Nous savions que tu étais abusée, mais tu étais une fille. Si tu avais été un garçon, cela aurait été scandaleux» (témoignage rapporté dans le film documentaire d’Amy Berg : Deliver Us from Evil, USA, 2006)7. Arrivé à ce point, force est de constater que la confusion entre pédophilie et homosexualité, pour ne relever d’aucune évidence clinique, n’est pas le fruit du hasard. En fait, c’est la crainte de la sexualité tout court qui, dans une société d’hommes, fait se rabattre des adultes immatures vers les terrains de jeu de l’enfance. Ceci ne se passe pas évidemment sans conflit, tant du côté des exigences collectives que de celui des normes intériorisées. C’est bien pourquoi, lorsque la société devient moins répressive en matière d’homosexualité, les mâles les moins assurés ont besoin de se refaire une virilité – voire une vertu - sur le dos des «pédés». De ce point de vue, l’insulte homophobe, l’agir pédophilique, la confusion entre pédophilie et homosexualité, ne sont que deux sous-produits d’une même angoisse face aux exigences inlassables des pulsions et aux précarités croissantes de l’identité. Il y va alors du mot «pédé» comme du substantif «voile». D’une part, c’est lorsqu’une immigration qui rasait les murs ose affirmer sa différence, notamment par le port du «foulard», que celui-ci se dramatise en «voile» — héritant du poids de la burqa. De l’autre, c’est quand l’homosexualité se trouve enfin décriminalisée et peut apparaître au 6
La Tribune de Genève, 14 avril 2010.
7
Le Monde, 10 avril 2010.
6 grand jour comme une sexualité sans prétexte, que l’homosexuel se voit subrepticement ramené à l’état criminel de «pédé». Rien ici de particulièrement ludique. À ce niveau d’enlisement dans l’imaginaire, discours idéologique et vacillement individuel sont inextricablement liés. S’il est malaisé de faire entendre raison, on peut néanmoins tenter de cartographier aussi objectivement que possible la réalité socio-clinique de la pédophilie. Dans l’environnement occidental, on l’a vu, cette dernière déborde largement celle de l’agir pédophilique, au point qu’elle peut apparaître comme une véritable métaphore du sexuel au sens freudien. En effet, elle vient théâtraliser sur le devant de la scène sociale la question de la sexualité en tant que telle, de la violence qui lui est liée, et du rapport de celle-ci au traumatisme. Psychiquement, pour la psychanalyse, ce dernier se rapporte à un débordement et à une effraction. Le trauma se rapporte ainsi métaphoriquement à la notion de blessure physique : au sens propre d’ébranlement du corps et de percement de son enveloppe, comme c’est le cas lors de toute blessure de quelque importance. Plus fondamentalement, la conception psychanalytique du «sexuel» qui a trait à l’érotisation potentielle de toute partie et de toute fonction du corps (sur le modèle de la sexualité infantile ; Freud, 1905), et plus largement de toute activité portée par le désir, naît d’une extension générale de ce que Breuer et Freud avaient pu déceler, à gros traits, dans l’étiologie de l’hystérie. À savoir, une séduction perverse durant l’enfance manifestant ses effets après-coup, sous l’empire des ébranlements de la puberté (Breuer et Freud, 1895). Étendant ce modèle au tout venant des rapports à l’autre, la «théorie de la séduction généralisée» (Laplanche, 1987) voit dans le «sexuel» non pas tant l’extension psychique de la fonction génésique, que la conséquence de la nécessaire érotisation des rapports prolongés entre les enfants et les adultes. Dans cette perspective, la sexualité se voit «implantée» - dans les cas pathologiques et traumatisants «intromise» - au fil des soins quotidiens apportés par l’adulte au jeune enfant. À noter que des soins purement fonctionnels débouchent chez le nourrisson sur la dépression et le marasme (Spitz, 1945) et que la séduction ordinaire de l’enfant par l’adulte procède chez ce dernier de motions
7 largement inconscientes : c’est ainsi, par exemple, que le comportement d’allaitement se verra largement modulé par la mère, mais sans intention consciente, selon le sexe de l’enfant allaité. Pour la psychanalyse, l’inconscient est précisément issu du refoulement de l’excès d’excitation et de signification auquel tout enfant est exposé durant les relations précoces. Incapable, de par son impotence infantile, de se soustraire physiquement à ce trop de stimulation, il ne peut psychiquement qu’en assimiler une part (se la «traduire» : Freud, 1897 ; Laplanche, 1987) et - faute de pouvoir le supprimer - refouler ou enclaver le reste pour ne pas en être envahi (Dejours, 2001). On voit que, dans cette conception, le modèle du traumatisme reste structuralement présent via le mode «intrusif» qu’ont en commun l’implantation et l’intromission. Il ne s’agit pas ici que de spéculations métapsychologiques. D’une part, le modèle est ancré dans le plus quotidien de la clinique ; de l’autre, il ne manque pas de lettres de noblesse étymologiques. Employée à bon escient, l’étymologie s’avère souvent bonne conseillère : loin de toute coquetterie érudite, elle relève de l’archéologie de la pensée et de la généalogie du sens. Dans le registre qui nous occupe, il apparaît que le sexuel et l’intrusion font de tout temps bon ménage, bien que forcément violent. En effet, si «violence» est issu du latin violentia, de même origine que violo («violer»), ce terme est lui-même dérivé de vis qui signifie «force exercée contre quelqu’un» ainsi que «viol», tandis que le pluriel de ce même vis – vires - désigne tout bonnement les parties «viriles» (Ernout et Meillet, 1985). Dans le raccourci d’un seul et même mot, l’organe masculin apparaît ici étymologiquement indissociable du viol, tout comme ce dernier s’avère le prototype de toute violence. Pour remonter d’une autre façon dans le temps, il n’est pas inutile de différencier pédophilie et pédérastie. Si la pédophilie est considérée comme une perversion, la pédérastie appartient, en Grèce antique, aux pratiques institutionnalisées qui introduisent l’adolescent de bonne famille au statut de citoyen adulte : ceci, via son initiation par un maître et amant qui vient l’arracher au giron familial (sur le mode d’un rapt ritualisé) pour le faire naître ensuite à la vie sociale de la cité. Au siècle passé, le mot «pédéraste» a quelquefois désigné l’érotisation
8 des rapports entre un adulte de sexe masculin et un adolescent ou préadolescent du même sexe, mais ce sens est devenu obsolète. D’un point de vue médico-légal enfin, la pédophilie englobe de nos jours l’univers des pratiques sexuelles, réprimées par la loi, entre individus ayant atteint la majorité sexuelle et personnes n’en n’ayant pas l’âge (celui-ci pouvant varier selon les pays). La question psychopathologique de l’étiquetage «pervers» - couramment utilisé en matière de pédophilie - fait, de son côté, question. D’un point de vue anthropologique, chaque culture constitue un type d’équilibre instable entre le régime pulsionnel du «tout et tout de suite», sous-jacent aux raisons de vivre de chacun(e), et celui des exigences tout aussi vitales de la vie collective obligeant à modérer les pulsions. De façon générale, dans la tradition occidentale, les autorités morales incarnées tout d’abord dans les pratiques rituelles et les discours religieux tendent à ne légitimer la sexualité que par la procréation. Saint Paul, on l’a vu, s’il valorise la chasteté, consent au mariage en tant que moindre mal et «remède à la concupiscence». Les autorités scientifiques et pédagogiques emboitent le pas. Dans la jeunesse de Freud (né en 1856), la sexualité réputée non perverse se limite au rapport hétérosexuel, génital, adulte, en vue de la procréation. À ce titre, la masturbation n’est pas moins perverse que la pédophilie. Qui plus est, en français, l’adjectif (abjectif ?) «pervers» se rapporte à la fois au substantif «perversion», une notion psychiatrique ou psychopathologique, et au mot «perversité», une qualification morale. Il est donc on ne peut plus chargé. La psychanalyse certes change radicalement le regard mais sur un mode très progressif. Qualifiées métaphoriquement de «perversion polymorphe», les pratiques érotiques généralistes des enfants deviennent le prototype de toute sexualité. En réalité, on n’avait pas attendu Freud – mais sans le conceptualiser comme lui - pour se rendre compte qu’en matière de sexualité la composante instinctuelle est minime, le rapport précoce à l’autre primordial, la finalité érotique essentielle et la visée procréatrice anecdotique. Sous cet angle, la psychanalyse redéfinit totalement la notion de perversion en ciblant le profil du pervers plutôt que celui de la perversion. Il ne s’agit plus tant dès lors de tel acte pervers en soi, que de tel rapport à l’autre entraînant telle façon perverse d’agir.
9 Dans le règne humain, la sexualité est moins régie par l’instinct (mis pratiquement hors jeu) qu’organisée par des scénarios fantasmatiques aux soubassements largement inconscients. Érotisant de telle ou telle façon le rapport à l’autre, ces mises en scène s’efforcent de le transformer en partenaire — autrement dit, de le «séduire». C’est à ce niveau que se rencontrent logiquement les deux substantifs qui viennent confluer au sein du mot «pervers» : si d’un point de vue psychopathologique, le pervers est celui qui fait de l’autre l’objet plutôt que le partenaire de son scénario fantasmatique
(perversion),
du
point
de
vue
de
l’éthique
cette
instrumentalisation (perversité) se trouve aux antipodes des relations de coopération, de réciprocité et de solidarité qui rendent possible la vie en société. Dans cette perspective, l’acte pédophilique - impliquant, par définition, l’impossibilité d’un réel consentement - semble faire de l’habitué de telles pratiques un pervers en soi. Mais la réalité est plus nuancée. Dans les écrits psychanalytiques, la notion métaphorique de «structure» (névrotique,
perverse,
psychotique)
est
un
piège.
Elle
enferme
machinalement les individus dans des catégories quasi entomologiques. Mieux vaut parler, au niveau des personnes, de comportement à prévalence perverse ; au niveau des actes, d’agir pervers — les seuls actes intrinsèquement pervers étant sans doute la torture et la mise à mort. Au plan statistique, en tout cas, les pédophiles entrent beaucoup moins dans la catégorie des pervers proprement dits que dans celles des personnalités narcissiques, des états déficitaires, ou - plus communément - des grands névrosés immatures. Les agir pervers quant à eux se produisent le plus souvent à l’intérieur des familles : la plupart du temps, dans le cadre d’une prise de pouvoir des adolescents sur les enfants moins âgés. Les conséquences sur les victimes sont des plus diverses et peuvent se manifester longtemps après les faits. La notion d’après-coup (ou d’effet traumatique différé) reste une des découvertes cliniques les plus fécondes de la psychanalyse (Laplanche, 2006). L’importance du traumatisme est en soi difficilement prédictible : selon l’environnement relationnel et les outils offerts à l’élaboration, des événements objectivement violents peuvent se traverser quelquefois sans dommage, alors que des séductions «tout en douceur» peuvent se révéler à terme gravement traumatisantes.
10
Si l’érotisation de la vie prend sa source dans la sexualité infantile, il est sans mystère que des adultes demeurés infantiles soient tentés par des pratiques sexuelles avec les enfants. Le fait semble avéré de tout temps et il semble impossible de déterminer avec certitude si les pratiques pédophiles apparaissent plus fréquentes aujourd’hui que jadis. Dans certains contextes, comme celui des anciens internats catholiques, leur éclosion tout comme leur dissimulation apparaît éminemment cohérente. Par contre, la sensibilité exacerbée au danger représenté par les pédophiles demeure une particularité de notre époque. Depuis quelques années, bien au-delà des faits réels, le leitmotiv de l’abus sexuel parcourt l’imaginaire et les textes législatifs occidentaux. Au point que de nombreux praticiens en santé mentale, en matière de secret professionnel, semblent avoir perdu tout repère. La délinquance sexuelle, il est vrai, constitue une zone frontière propice aux égarements : ainsi, selon le regard – clinique ou juridique - on parlera de «rechute» ou de «récidive». En fait, l’obsession du harcèlement s’est cristallisée aux États-Unis avant d’atteindre nos rivages. Elle semble contemporaine de la libéralisation qui a permis de montrer pratiquement tout de la sexualité au sein de l’espace public. Les mésaventures d’un président américain (risquant la destitution pour des ébats privés dans le Bureau Ovale) s’inscrivent en partie dans ce contexte. Une expression moins contenue de la sexualité peut susciter en retour des angoisses de chambre d’enfant, au point que le législateur, sollicité par l’émotion collective, ait du mal à maintenir ses marques. En France notamment, le fichage informatisé de délinquants sexuels de toute nature, après purgation de leur peine, fait problème. Cette stigmatisation à vie de citoyens ayant déjà «payé leur dette à la société», risque de créer un précédent. D’un autre côté, la dangerosité de certains criminels ne laisse pas d’inquiéter : surtout si, ayant été à fond de peine, ils n’ont pu bénéficier de l’encadrement ni de la mise à l’épreuve assortis à la libération conditionnelle. Le problème est donc réel. Quelles solutions imaginer pour que le remède ne soit pas pire que le mal ? Quelles dérives éviter ? Il importe que des normes édictées en référence à quelques prédateurs peu nombreux n’en viennent à fragiliser, à force d’exceptions aux principes, les bases mêmes de la démocratie. Vu cet
11 enjeu, le débat n’est pas un luxe. Il sera d’autant plus fécond qu’il s’appuiera sur des faits cliniques et statistiques rigoureux. L’assimilation de l’homosexualité à la pédophilie ne souffre aucun clin d’œil, ni aucune approximation. Les pressions de l’opinion, celles de nos propres ressentis, s’accroissent dès qu’il s’agit de sexualité : un registre à la croisée de l’espace intime et de l’ordre public, qui laisse chaque humain face à ses propres questions, de même qu’il confronte chaque société à celles de ses justes limites. Car comment trouver un équilibre acceptable entre pulsion sexuelle et norme culturelle, élan vital et protection de la vie, asphyxie et chaos ? Réfléchir à la délinquance sexuelle et à la façon de s’en protéger débouche sur un questionnement lié à la définition même de l’humanité, en même temps qu’au balisage d’un champ (les «bonnes mœurs») qui se redéfinit sans cesse à mesure qu’évoluent les sensibilités. Certes, quelques points cardinaux résistent à travers l’histoire, tels les interdits de l’inceste, du meurtre, et de la violence faite aux enfants. Mais déjà à ce niveau, les définitions oscillent. Notre société, il y a peu, ne voyait aucune objection au travail des enfants. Un peu plus haut dans le temps, relisant Le Banquet (une œuvre de Platon faisant partie des fondements de notre philosophie), on est stupéfait de tomber sur un passage comme celui-ci : Il devrait y avoir une loi qui défende d’aimer les enfants, afin qu’on ne gaspille pas tant de soin pour une chose incertaine. On ne peut prévoir, en effet, ce que deviendra un enfant et s’il tournera bien ou mal, soit au moral, soit au physique. Les hommes de bien s’imposent spontanément cette loi à eux-mêmes, il faudrait l’imposer aussi aux amants vulgaires (Le Banquet, IX, d). Essayons dès lors de cerner pragmatiquement une part du sujet, en soulignant d’emblée qu’il est capital de ne pas confondre ce qu’est le délinquant sexuel avec ce qu’il représente pour la société. Il s’agit de deux réalités sans commune mesure. Ainsi, du point de vue diagnostique, on l’a souligné, nombre de délinquants sexuels sont arrêtés pour avoir commis des actes dits pervers, sans pour autant appartenir à la catégorie psychopathologique des pervers. Parmi les pédophiles, on en trouve assez peu au sein de la population carcérale. Mais cela ne facilite pas les choses pour autant : contrairement à celle des pervers
12 - promis à la récidive - l’évolution des névrosés est incertaine. D’un point de vue psychodynamique, divers indicateurs du risque de rechute existent, mais nous ne disposons d’aucune étude à grande échelle. Du côté statistique, les recherches abondent mais font plutôt long feu. En effet, la récidive, en matière de délinquance et de criminalité sexuelles, semble peu prédictible à partir de statistiques portant sur des variables liées à l’histoire et à l’environnement des sujets ayant eu maille à partir avec la justice (Ciavaldini, 2001). C’est ce qui ressort notamment d’une recherche de Hanson et Bussière (1998) menée à partir de 61 études de divers chercheurs, échelonnées entre 1943 et 1995, et qui porte sur une population totale de 28.972 délinquants sexuels. Pour une culture comme la nôtre, à ce point sensible au spectre de la violence sexuelle, une telle constatation ne laisse d’inquiéter. Une crainte pouvant en cacher une autre, il importe de rester au ras des faits en attirant l’attention sur divers éléments qui peuvent aider à maintenir un cap là où les soubresauts de l’opinion – sa fureur légiférante apparaissent difficilement résistibles. Tentons donc de recadrer la pédophilie et l’abus sexuel dans leurs justes dimensions. Tout d’abord en n’assimilant pas l’homosexualité à la pédophilie, et ensuite en ne confondant pas les ravages individuels – bien réels - occasionnés par les pédophiles avec leur dangerosité sociale : anecdotique comparativement à d’autres formes de criminalité. Rappelons que, dans le domaine statistique, la délinquance sexuelle clairement répertoriée se rapporte aux actes qui ont été judiciarisés (un grand nombre ne seront jamais identifiés). En outre, les actes recensés couvrent un spectre de délinquance très hétérogène qui va de l’exhibitionnisme au viol, en passant par l’attentat à la pudeur (une matière floue et changeante laissée pour bonne part à l’appréciation des juges). Dans ces conditions, le traitement scientifique des données apparaît des plus aléatoire. De plus, bien que non majoritaires, ce sont habituellement les actes les plus violents qui serviront de référence en matière de prévention générale de la récidive. D’où la tendance, pour éviter tout risque, à ficher exagérément une part de la population — au prix de confiner dans la clandestinité ceux qui, dans un contexte plus serein, auraient pu emprunter
13 un chemin thérapeutique. Quoi qu’il en soit, les chiffres – même rétifs au traitement scientifique - ne sont pas sans intérêt. Quelques-uns rendent perplexe. En France, par exemple, en 1995, les crimes et délits à caractère sexuel représentent 12,50% des motifs d’incarcération (Rapport, 1995). Toujours en France, une étude publiée en 2002, sur base d’un dépouillement du casier judiciaire, fait état d’un taux général de récidive (toutes délinquances confondues) de 59%. Selon la Direction Centrale de la Police Judiciaire, une ventilation de ce chiffre ne donne qu’un taux moyen de 15% de récidive chez les délinquants sexuels, tous motifs d’incarcération confondus (Tournier, Mary-Portas, 2002) — ceci à l’exact opposé de leur image dans les médias. En 2004, la Sécurité Publique et la Protection Civile du Canada soulignent que le niveau de récidive sexuelle chez les délinquants sexuels est plus bas qu’on a tendance à le croire et que les politiques fondées sur l’hypothèse suivant laquelle tous les délinquants sexuels présentent un risque de récidive élevé ou (…) présentent un même risque de récidive, entraînent une surveillance plus étroite qu’il n’est nécessaire des délinquants à faible risque (Recherche en bref, 2004). Ajoutons qu’identifier un délinquant à son acte peut contribuer à en faire un récidiviste. La Sécurité Publique et la Protection Civile canadiennes se réfèrent à une publication récente de Harris et Hanson (2003-2004). Basée sur une population de 4.724 délinquants (canadiens, américains, anglais, gallois), leur étude constate que, 20 ans après leur libération, 73% d’entre eux n’ont été ni condamnés, ni accusés, pour un autre méfait sexuel. À la lumière de ces chiffres, provenant de sources particulièrement fiables, on voit que l’impact réel de la récidive en matière de délinquance sexuelle semble nettement surestimé. Plus largement, c’est la nuisance même de cette forme de déviance qui apparaît surévaluée, surtout si on la compare à des fléaux aussi socialement destructeurs que la délinquance économique ou le grand banditisme — pourtant perçus comme moins angoissants. Comment expliquer une telle anomalie, sinon par le fait que la délinquance sexuelle inquiète plus par ce qu’elle représente que par ses
14 effets réels8 ? Certes, au plan individuel, les méfaits peuvent s’avérer atroces pour les victimes et leurs proches, mais en réalité leur nombre pèse peu sur la sécurité générale. C’est leur amplification dans l’imaginaire collectif qui fait aujourd’hui question, car elle peut nous entraîner dans des dérives irrattrapables. En effet, la peur liée au débridement sexuel est tout sauf banale. Enracinée au cœur des sentiments de sécurité et d’identité, elle cède difficilement au discours de la raison. La sexualité, on l’a vu, est par essence un lieu de conflictualité. De surcroît, pour chaque individu, la différence des sexes se trouve au foyer de polarisation du désir (élan vers le masculin ou vers le féminin) en même temps qu’au lieu d’émergence de l’identité (fille ou garçon). Dès lors, quand l’identité se trouve menacée, les angoisses liées à la sexualité s’amplifient. La précarité matérielle ajoute encore au sentiment d’insécurité. Comment, dans ces circonstances, résister aux pressions de la rue ? Comment aborder avec mesure la question de la délinquance sexuelle ? Depuis une génération, les bouleversements économiques et symboliques ne sont pas minces (qu’on pense au mariage homosexuel). Beaucoup n’y retrouvent plus leurs marques. En Belgique, «l’affaire Dutroux», si l’on veut s’en souvenir, n’était pas, en tant qu’affaire, une affaire de criminalité sexuelle. À l’occasion d’un fait-divers tragique dont furent victimes des enfants, se trouvaient crûment mises en lumière les carences de l’État. Une des réponses fut la «Marche Blanche» (1996). Au fil de celle-ci, avec dignité, des milliers de citoyens adultes s’identifièrent à des enfants abusés (Protégez nos enfants !, et non pas Protégeons nos enfants ! scandaient inlassablement les calicots). Il s’ensuivit une sensibilité exacerbée au thème du harcèlement et de l’abus sexuels. Celle-ci se cristallisa autour de grands procès faisant long feu (crèche Clovis et collège St-Pierre, Bruxelles), fort proches thématiquement et sociologiquement des procès de sorcellerie des XVIème et XVIIème siècles (à une époque précisément où l’identité occidentale tanguait tout autant que de nos jours). Quelquefois, les professionnels perdirent leurs repères, confondant les positions d’expert, de parent, de thérapeute et d’enquêteur. En France, «l’affaire d’Outreau» (2001) ne fut pas de reste : des magistrats
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À ce propos, voir dans cette même collection : Didier Robin, Violence de l’insécurité.
15 professionnels abandonnèrent tout recul par rapport aux faits qui leur étaient soumis, entraînant une erreur judiciaire aux conséquences mortelles. Souvent, les enfants souffrirent d’«abus du deuxième type». Il importe d’appeler ainsi les intrusions traumatisantes causées par des investigations médicales, psychologiques, policières, provoquées par des accusations sans fondement. À ce niveau, les litiges en matière de droit de garde se transformèrent en champ clos. Les accusations d’inceste se banalisèrent. Un chiffre mérite d’être cité. En France, une enquête, mise à jour en septembre 2000 (Enquête statistique, 2000) fait état de 89% d’acquittements ou de non-lieux pour une population de 81 pères accusés d’abus sexuels sur leurs propres enfants. Seuls 20% des pères innocentés retrouvèrent ensuite des relations normales avec leurs enfants. De leur côté, les véritables pédophiles ont hérité d’un statut de «bouc émissaire paradoxal». Il n’est pas excessif de nommer de cette façon des individus qui, à l’occasion d’un comportement réprouvé, sont pris comme cible pour la projection des angoisses générales du groupe — ce qui les expose évidemment eux-mêmes à l’arbitraire et à la maltraitance (tout particulièrement en matière de vie carcérale et de libération conditionnelle). Il est frappant, par ailleurs, de constater que c’est au moment où les enfants sont protégés comme jamais, qu’ils sont perçus comme les plus menacés. Mais ce n’est qu’une apparente contradiction : la protection socio-juridique accrue des enfants va de pair avec la délégitimisation progressive des parents et des éducateurs. En conséquence, s’il ne reste plus de parents – mais seulement des «grands» et des «petits», piégés dans des rapports de rivalité et de séduction - qui donc va protéger les enfants ? Même si la délinquance sexuelle sert de fourre-tout symbolique aux angoisses du temps, il n’empêche qu’elle existe vraiment. C’est la tâche de la police et de la justice de s’y opposer, dans un cadre législatif défini par des choix politiques. C’est aussi le lot des professionnels de la santé mentale d’y porter remède, en réfléchissant à ce que la déviance individuelle peut refléter du malaise social. Si la pédophilie, comme il apparaît, se rapporte à l’immaturité grave plus souvent qu’à la perversion, il faut en conclure que l’hypercontrôle infantilisant ne peut que la favoriser. Il est essentiel, dans
16 cette foulée, d’harmoniser les approches répressive et thérapeutique. Au cœur des affaires qui ont bouleversé l’opinion (qu’il s’agisse des épisodes «Dutroux» ou «d’Outreau»), ce ne sont ni les techniques, ni les moyens policiers qui ont fait défaut : ce sont des dysfonctionnements institutionnels qui les ont mis en échec. Qui plus est, des options techniquement efficaces en matière d’investigation conçues sans garantie politique, peuvent miner les bases de la démocratie (pour preuve, le Patriot Act américain et ses métastases européennes). Exiger toujours plus de protection débouche, en réalité, sur une infantilisation aussi pathogène pour les sociétés que pour les individus. Si danger il y a, c’est surtout de voir s’accomplir la prophétie d’Alexis de Tocqueville quand, vers 1830, dans «La Démocratie en Amérique», il se demande quelle forme revêtira la tyrannie dans le monde démocratique de demain ? Ses mots résonnent avec force dans le monde contemporain : « Je vois une foule innombrable d'hommes semblables et égaux qui tournent sans repos sur eux-mêmes (…). Chacun d'eux, retiré à l'écart, est comme étranger à la destinée de tous les autres (…). Au dessus de ceux-là s'élève un pouvoir immense et tutélaire, qui se charge seul d'assurer leur jouissance et de veiller sur leur sort. (…) Il ressemblerait à la puissance paternelle si, comme elle, il avait pour objet de préparer les hommes à l'âge viril; mais il ne cherche, au contraire, qu'à les fixer irrémédiablement dans l'enfance; (…) il pourvoit à leur sécurité, prévoit et assure leurs besoins, facilite leurs plaisirs, conduit leurs principales affaires; (…) que ne peut-il leur ôter entièrement le trouble de penser et la peine de vivre? » Une société sans risque est une société sans vie. Produit de l’imaginaire collectif plus que de la réalité médico-légale, l’image démesurément amplifiée du pédophile témoigne, en creux, de la mise en danger des enfants autant que du désarroi des adultes, face au brouillage conjoint des repères intergénérationnels et de diverses balises en matière de sexualité. Comme l’a remarqué Karl-Leo Schwering (université de Paris VII), par-delà ses outrances l’inflation médiatique de l’image du pédophile a tout d’un mythe contemporain : dans une absence croissante de repères et une identification nostalgique aux privilèges de l’enfance, elle correspond,
17 en plein, à la recherche tâtonnante d’une distance plus juste entre les adultes et les enfants. En attendant mieux, il reste que désigner préventivement en chaque adulte un abuseur potentiel ne peut que confiner les enfants dans les terreurs de l’enfance. De même, traiter les «homos» de «pédés» témoigne à la fois d’une identité mal en point et d’un rapport pusillanime à la sexualité.
Francis Martens, 2010
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