art & N째 0 - sept. / oct. 2011
ORLAN
art & Une publication de: New York University in France 56 rue de Passy 75016 Paris Tél. 01 53 92 50 80
ADMINISTRATION Directeur de publication : Caroline Montel-Glénisson Secrétaire de rédaction : Bénédicte Donneaud Conception graphique : Daniel Dos Santos
RÉDACTION Rédactrice en chef : Isabelle de Maison Rouge (imaisonrouge@artand.fr) ont collaboré à ce N° : Aurélie Bousquet, Valérie Broquisse, Raphaël Cuir, Marie-Gabrielle Duc, Marie Godfrin-Guidicelli, Aurélie Herbet, Julien Lévy, ORLAN, Stéphanie Pioda, Brigitte Saby, Susana Sulic, David Wulf. Traductrice : Heather Simon
ISSN: en cours Dépôt légal à parution. Contact : contact@artand.fr Crédits photographiques Couverture : Différence(s) et répétition(s), Robe de plis sans corps, Super Palladium, courtesy of Galerie Michel Rein © 2009 ORLAN.
Criel-Plage © Valérie Broquisse www.valeriebroquisse.net
art & Edito La sortie d’un nouveau magazine est toujours le départ d’une grande aventure !
art &
Celle d’ , vous prononcez comme vous souhaitez « art et » à la française ou « art and » à l’anglaise, a démarré cet été 2011. Ce magazine sur le web se situe à mi-chemin entre la revue scientifique et le journal critique. Il se démarque de la presse-papier traditionnelle par son non respect des codes habituels : dictature de l’urgence et de l’actualité, de même qu’obligations économiques. Étant sur le net, il est voué à une très grande diffusion en raison du dynamisme de chacun des partenaires qui relaient à leurs propres réseaux… c’est à dire vous ! Il se veut un carrefour de réflexions, une ouverture tous azimuts.
art & offre une autre lecture de l’art : il se propose d’ouvrir l’art contemporain à des champs et pistes de réflexion les plus vastes et le faire dialoguer avec d’autres disciplines . art & permet de
croiser les regards, oser la créolisation et le métissage, ouvrir des horizons hors des sentiers battus, loin des idées reçues , susciter les rencontres… Dans le sommaire reviennent des rubriques récurrentes et d’autres plus ponctuelles. La spécificité de chacune est de confronter l’art qui nous est contemporain aux enjeux de notre époque par des problématiques variées : art & géopolitique, art & collection, art & économie … par des entretiens, des interviews mais aussi des articles de fond.
art & fait appel à des contributeurs variés et nombreux, spécialistes dans leur domaine. Dans
chaque N°, une carte blanche est donnée à un artiste, un portfolio attribué à un autre et la rubrique « dans les galeries … » revient chaque fois. Pour notre lancement, nous avons confié à ORLAN la Carte Blanche et à Julien Lévy le portfolio. Nous avons également rencontré Christian Boltanski qui revient sur la notion de hasard, Aline Pujo conservateur de la collection d’entreprise de la banque Neuflize Vie, la décoratrice Brigitte Saby. Nous avons choisi de vous présenter le président à vie de Ouest Lumière l’artiste Yann Toma, et vous faire découvrir le collectif qui agit sous le nom de « la Biennale de Paris » Nous avons visité sous un angle particulier l’exposition « our house in the middel of our street » à la Maison des arts de Malakoff et celle de Stéphane Pencréac’h au centre d’art “à Cent Mètres du Centre du Monde” de Perpignan. Nous vous souhaitons bonne découverte et bonne lecture sous la bannière d’Edouard Glissant qui disait «Je peux changer en échangeant avec l’autre, sans me perdre pourtant ni me dénaturer.» (in Poétique de la relation) Isabelle de Maison Rouge Rédactrice en chef
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sommaire Carte Blanche à ORLAN ORLAN Portrait Isabelle de Maison Rouge ORLAN carrefour multiprise Stéphanie Pioda
art & économie Lumière sur Yann Toma - L’art d’entreprendre le monde par l’art Aurélie Herbet
art & collection La collection d’entreprise, entretien avec Aline Pujo par Isabelle de Maison Rouge L’énigme du portrait à lui seul interroge… Marie Godfrin-Guidicelli
art & hasard Hasard, hasard vous avez dit hasard, comme c’est bizarre ! Conversation autour du hasard entre Christian Boltanski, David Walsh et Jean-Hubert Martin Hasard et destinée : les jeux sont faits…rien ne va plus interview de Christian Boltanski par Isabelle de Maison Rouge
art & habitat Our house in the middle of our street Conversation entre Jeanne Susplugas & Raphaël Cuir Entretien d’Aurélie Bousquet avec Nicolas Ledoux Interview par Aurélie Bousquet de Mathieu Mercier
art & géopolitique More is not less Susana Sulic La BDP aux USA programme
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portfolio Julien Lévy
Criel-Plage © Valérie Broquisse www.valeriebroquisse.net
art & exposition La pratique des catastrophes Marie-Gabrielle Duc
art & art de vivre Hybrides Brigitte Saby, David Wulf, Costanza Benedetta Matteucci, l’Héliograf (Anaïs Wulf et Baptiste Morel),
art & livres Dans les galeries de Paris
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contributeurs Aurélie Bousquet Coach, doctorante et interwieuse Our house in the middle of our street, interviews de Nicolas Ledoux & de Mathieu Mercier Aurélie cite volontiers, Ludwig Wittgenstein : « Les frontières de mon langage sont les frontières de mon monde ». © AB
Valérie Broquisse artiste photographe La collection d’entreprise, entretien avec Aline Pujo Une citation que Valérie aime : « Le hasard profite aux esprits préparés » Pasteur ©VB
Rahaël Cuir historien de l’art, Dr. de l’EHESS Our house in the middle of our street, interview de Jeanne Susplugas « Ce qui ne me tue pas me rend plus fort» de Nietzsche, dans Crépuscule des idoles, c’est, paraît-il une mauvaise traduction, mais Raphaël l’adore comme ça. Christine Thanlan Nguyen. © 2006 J. Paul Getty-Trust Marie-Gabrielle Duc écrivain La pratique des catastrophes Une question comme emblème de son rapport au monde «Y a-t-il des rivières où se baignent les rivières...?» Extrait d’un poème de Tristan Tzara ©LG Marie Godfrin-Guidicelli Historienne de l’art et Journaliste indépendante (Théâtre, Danse, Arts visuels & Littérature) L’énigme du portrait à lui seul interroge… Et pour coller à l’audacieuse collection Neuflize, elle cite “Je vais essayer de prononcer des paroles audacieuses, et je veux que vous essayiez d’écouter audacieusement” Chuang-Tzu, Discussion on making all Things Equal © Jean-Louis Aubert Aurélie Herbet fait une thèse en en arts plastiques à l’Université Paris 1 Panthéon Sorbonne et est étudiante chercheur au sein du programme de recherche EN-ER (espace virtuel en extension du réel) de l’ENSAD. Lumière sur Yann Toma - L’art d’entreprendre le monde par l’art Sa maxime : « Chacun touche sur la vie les intérêts du capital qu’il a risqué. » Louis Dumur, extrait des Petits aphorismes sur la vie © Rose Marie Barrientos
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Julien Lévy artiste portfolio Sa citation du moment : « La vie est supportable uniquement parce que l’on ne va pas jusqu’au bout ». E. Cioran © Naoko Maeda
Isabelle de Maison Rouge historienne de l’art, critique d’art et chercheuse ORLAN Portrait La collection d’entreprise, entretien avec Aline Pujo Hasard et destinée : les jeux sont faits…rien ne va plus Comme Picasso « J’essaie toujours de faire ce que je ne sais pas faire, c’est ainsi que j’espère apprendre à le faire ». © Jerôme Delplanque Stéphanie Pioda historienne de l’art, journaliste pour Beaux-Arts magazine et co-fondatrice du IAD (International Art Diary) ORLAN carrefour multiprise «Aucun rêve, si absurde soit-il, ne se perd dans l’univers. Il y a en lui une faim de réalité, une aspiration qui engage la réalité, qui grandit et devient une reconnaissance de dette demandant à être payée.» Bruno Schulz, «La république des rêves», jolie phrase à laquelle Stéphanie est attachée. © Fabien Bouglé Brigitte Saby Décoratrice et designer Hybrides Deux phrases se rejoignent dans ses préférences actuelles :« Le seul devoir de l’ homme, c’est d’être ce qu’il est » de Nietzsche et « Oliver for ever », en hommage à Olivier Allais qui vient de nous quitter © Anaïs Wulf
Susana Sulic écrivain d’art, Ph.D. More is not less Trouve que la phrase à contrario, « Less is more » de Ludwig Mies van der Rohe le père du Minimalisme s’accorde bien avec la Biennale de Paris ©SS
David Wulf, se présente comme « Écri (re n’est pas ) vain », Hybrides «Ibant obscuri sola sub nocte…» choisie entre mille, cette citation est de Virgile et c’est le plus bel exemple d’hypallage qu’il connaisse © Wulf
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Il existe de très nombreux monographies et commentaires sur ORLAN, sur l’œuvre, comme sur l’artiste ou même la femme. Des textes forts et passionnants mais aussi beaucoup de bêtises. Car ORLAN fascine. Elle intrigue et surprend et il n’est pas rare que certains se méprennent sur ces intentions et perçoivent faussement son parcours, l’enfermant dans des clichés, des images toutes faites. Elle a longtemps dérangé par sa posture et son engagement. Cependant si l’on regarde l’ensemble de son travail, il s’en dégage une véritable logique.
ORLAN, Étude documentaire : Le Drapé-le baroque. Sainte ORLAN libertine se joue des liaisons dangereuses, 1986
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carte blanche ORLAN ORLAN accouche d’elle-m’aime, 1964
Portrait Dès le début en 1964, avec ORLAN accouche d’elle-m’aime, œuvre qu’elle réalise à 17 ans, elle donne physiquement naissance à un être hybride, mannequin asexué. Accouchement de soi et auto-invention, dans cette image du tout début de sa carrière, tout est déjà posé, déjà dit : l’arc est prêt à se déployer. A cette époque elle commence des actions totalement contemporaines des premiers gestes Fluxus. Le corps féminin, et plus particulièrement le sien va lui servir de maître étalon. Plus tard elle fait scandale avec le baiser de l’artiste où elle se tient derrière un plastron représentant son buste dénudé et embrasse qui glisse une pièce dans la fente du tronc qu’elle tient. Tel un distributeur automatique, elle monnaye des « french kiss » au public contre cinq francs. Une sirène électronique retentit la fin du baiser. Les spectateurs peuvent aussi offrir pour la même somme un cierge à une photographie de
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l’artiste en Madone. ORLAN interpelle le public : « Approchez approchez, venez sur mon piédestal, celui des mythes : la mère, la pute, l’artiste. » Cette performance réalisée en 1977 au Grand Palais à l’occasion de la FIAC fait grand scandale et devient très médiatisée. L’artiste date sa vie comme ayant un avant et un après baiser de l’artiste, puisque cette sculpture-performance lui a valu la perte de son emploi, de son atelier et une rupture avec sa famille, ses voisins…Au-delà de la provocation, cette pièce a le mérite de questionner le marché de l’art. Cette oeuvre a été achetée depuis, par une institution publique française sans la présence définitive de l’artiste sur l’autel. Elle est donc devenue un espace commémoratif sans culte mais sacré-sacralisé par l’institution artistique ! Les séries où le corps est le point de départ se succèdent : d’abord les tableaux vivants puis arrive l’étape les opérations-chirurgicales-performances. À cette occasion ORLAN met
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son corps en retrait involontaire, puisqu’elle le remet entre les mains d’un chirurgien qui va pratiquer des « interventions ». Dans son geste initial, elle avait expulsé « l’exil intérieur » qu’elle réfute, elle poursuit donc sa réflexion. Toutefois les opérations n’ont été pratiquées que dans une période réduite à quelques années, de 1990 à 1993. À 31 ans, ORLAN a recours à la chirurgie esthétique. En tant que féministe, elle sait pertinemment que c’est un des lieux où s’exerce le plus directement le pouvoir de l’homme sur le corps, et particulièrement de l’idéologie masculine en regard du corps féminin. Ce travail interroge à la fois l’histoire de l’art, le statut du corps et l’ensemble de la société, il dénonce les normes établies de la beauté et les injonctions du diktat dominant qui s’imprime dans les chairs. Par l’utilisation du corps comme matériau artistique, ORLAN est sans doute une artiste qui pose avec beaucoup d’acuité certaines des questions les plus essentielles de notre époque. Et plus particulièrement celles qui concernent la représentation du corps. Elle l’étend à d’autres thèmes : sa sexualisation, son avilissement, sa starification, son aspect extérieur, comme ses fonctions vitales, son rapport à la douleur, sa médicalisation. La notion de beauté ne l’intéresse pas, seules les questions que ce corps fait surgir la motive et notamment les obligations que la société lui fait subir. Le thème du corps mutant ébranle notre définition de l’identité humaine. Aujourd’hui la science donne réalité à des formes imaginées par la science-fiction des écrivains du passé : clonage, êtres vivants transgéniques… Le corps devenu obsolète est inaccessible, improbable. ORLAN s’interroge sur la notion de représentation et le sens que l’on donne aux images. Son corps lui sert de matériau de base à cette réflexion. Ce n’est pas, comme trop de gens l’ont cru, pour être la plus belle femme du monde, qu’elle le modifie par la chirurgie esthétique. Au contraire, elle va jusqu’à lui greffer des bosses sur les tempes! C’est pour poser les questions cruciales de notre époque : le statut du corps et son devenir dans notre société aux prises avec les nouvelles technologies, les manipulations génétiques… Première artiste à utiliser l’acte chirurgical à cette fin, elle dérange un public qui vient avec ses complexes, ses habitudes, ses fantasmes. Les réactions sont souvent épidermiques, mais le discours d’ORLAN se fraye son chemin, « Tout mon travail repose sur le “ et ” : le privé & le public, l’intérieur & l’extérieur, le laid & le beau, le comique & le tragique… » explique t-elle. Succession de scandales, la démarche d’ORLAN garde une cohérence qui en fait toute la force : renaissance, réincarnation, elle donne vie à différents mythes, celui de Pyg-
Par l’utilisation du corps comme matériau artistique, ORLAN est sans doute une artiste qui pose avec beaucoup d’acuité certaines des questions les plus essentielles de notre époque. malion, les déesses de la mythologie peintes par les plus grands artistes, les canons de beauté de toutes les civilisations. « J’ai changé de visage, j’ai vendu mes baisers d’artiste et je vends ma chair sans que le ciel me soit tombé sur la tête. J’ai agi sans avoir peur, en ne me sentant aucunement influencée ou menacée par la peur collective et ancestrale de toucher à l’intégrité du corps. » précise-t-elle. Les dernières séries de photographiques numériques, les self hybridations, qui font se télescoper le visage de l’artiste et les normes de beauté tirées d’autres civilisations « Selfhybridation Précolombienne », « Self-hybridation Africaine » et « Self-hybridation Indiens d’Amérique », ont pour but de croiser et de mettre en perspective les canons de beauté d’autres cultures et médias (sculpture, photo, peinture) avec sa propre image. Dernièrement la spectaculaire sculpture Bump Load, s’inscrit dans la suite logique des self-hybridations africaines, mais plus poussée sur le plan de l’interactivité par une programmation électronique très sophistiquée puisqu’elle réagit à la présence du public. À la fois africaine, cyber et ressemblant à ORLAN, cette figure métissée, évoque la pointe de la technologie, et la nécessité de l’hybridation. Par l’utilisation d’images d’un minerai, le coltan, fait d’atomes de carbone, matériau rare, cher, précieux et radioactif que l’on retrouve dans nos téléphones portables et ordinateurs, ORLAN soulève des questions. Ce métal attire tous les regards, objet de toute convoitise, il se situe au cœur des conflits. À la pointe des recherches concernant les instruments qui nous aident dans la vie de tous les jours et nous servent à communiquer, il se trouve être de haute dangerosité, sacrément toxique et nuisible pour notre santé, mais surtout dont les conditions d’extraction font bien plus de dégâts sur la santé des africains! Sa nouvelle série de sculptures, Différence(s) et Répétition(s), Robe de plis sans corps, présente des femmes sans corps, ni tête, juste un drapé, avec l’empreinte d’un corps absent. Le vêtement, animé, vivant et bouillonnant, devient corps, et vice-versa. Copy, remake, réemploi, allusion à son travail sur le baroque des années 80 où elle dialoguait avec l’histoire de l’art et en particulier la statuaire du Bernin, ces oeuvres soulèvent la question de la copie et du clonage. Dernièrement, dans son projet du Manteau d’Arlequin, ORLAN développe et continue d’explorer l’idée de croisement et
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carte blanche ORLAN, Le Baiser de l’artiste, 1977
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d’hybridation, en utilisant le médium plus charnel qu’est la peau. Elle questionne aussi la relation actuellement établie entre la (bio)technologie et la culture artistique. « La figure d’Arlequin, dans le motif du manteau, représente une figure de l’hybridation. L’idée est de présenter la réalisation d’un manteau composite, organique, fait de l’assemblage de culture de cellules. Ces cultures posent différentes questions de natures techniques et éthiques et l’installation parle de la fragilité du vivant et de la difficulté pour un artiste plasticien de travailler avec, puisque les cellules sont invisibles à l’œil nu et aussi très difficiles à maintenir en vie. » indique l’artiste. Toutefois, par ses multiples recherches et orientations, elle surprend toujours arrivant la où l’on ne l’attend pas. Or comme l’on a toujours tendance à vouloir enfermer les gens dans des tiroirs pour leur coller des étiquettes, elle échappe aux classements et aux catégories. Les gens aiment connaître et reconnaître, et ORLAN sait aiguiser la curiosité. Comme le rappelle Vanessa Clairet de la galerie Michel Rein « elle se remet en jeu, en cause, se réinvente .» Artiste multidisciplinaire et multifacettes, ORLAN utilise la vidéo, la photo numérique, la peinture, la sculpture, et réalise de nombreuses performances tout au long de sa carrière. Artiste historique mais aussi de maintenant, elle sort des cadres et poursuit ses chantiers de réflexion dans la profondeur. Son travail est vu dans le
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monde entier où son actualité toujours très vivante donne le tournis, non par l’ampleur de ses présentations mais surtout par leur qualité. Ainsi on peut voir son installation à Nantes dans la Chapelle de l’Oratoire, pour un solo show , « Un boeuf sur la langue ». Elle participe actuellement à l’exposition du Centre Pompidou « Paris-Delhi-Bombay » avec une installation produite par des collectionneurs qui vient d’être achetée par un grand collectionneur américain. Elle est présente dans “Pudeurs et Colères de Femmes, un regard actuel au delà des voiles”, à la Fondation Boghossian de Bruxelles. Mais aussi dans « “L’Énigme du Portrait” au Mac elle vient d’exposer au Sheldon Museum, va exposer à la fondation Anneberg Los Angeles, à Moscou elle participera à “Inspiration Dior” au Puschkin Museum of Fine Arts, Moscow en Russia et est invitée pour une exposition personnelle au “Thessaloniki Performance Festival, ORLAN GUEST OF HONOUR, réalise deux expositions en Colombie au Musée d’Art Moderne de Bogota & Musée d’Art Moderne de Medellin et participe à l’exposition des artistes français dans les collections de Miami pour art Basel. ORLAN a déjà eu 6 rétrospectives ! Elle figure en bonne place dans les 100 chefs d’œuvres des Editions du Centre Pompidou où n’apparaissent que 6 femmes dont 2 vivantes. Elle expose chez Guy Pieters en octobre. Ses œuvres sont visibles au Lacma, au MoCA, au Getty à Los Angeles. Etablie, très connue, voire reconnue, ORLAN n’est pas forcément valorisée autant qu’elle devrait l’être en France et souffre d’avoir été enfermée dans un mode un peu étroit ! Camille Morineau, conservatrice à Beaubourg, en donne une explication « ses opérations chirurgicales firent aussi écran, d’abord sur son oeuvre bien plus complexe (que la seule performance et son rapport au corps) et ensuite sur son interprétation (une oeuvre qui ne serait que scandaleuse et théâtrale, uniquement fondée sur l’image). » Cette vision est confirmée par Michel Rein, le galeriste parisien qui la soutient et voit en elle « une extraordinaire artiste engagée qui n’hésite pas à se mettre en péril y compris sa vie. C’est quelqu’un de très en avance, visionnaire, mais injustement traitée par le milieu artistique. » Et la collectionneuse Catherine Julien Laferrière nous le confirme en disant qu’ORLAN est « née du mauvais côté de l’Atlantique » « en plus ne possédait pas le bon sexe et qui plus est
ORLAN, Le Baiser de l’artiste. Le distributeur automatique ou presque !, 1977
« ORLAN est une surfemme, une féministe dans le bon sens. Elle est aussi d’une intégrité totale, elle est droite dans le chemin qu’elle s’est choisie. » était une très belle femme sublime, elle aurait été moche, les choses auraient été différentes. Mais là, elle avait tout mauvais, elle n’était pas au bon endroit, à la bonne période, elle a été en but aux critiques et jalousies » précisant qu’il s’agit d’une artiste en avance et donc « pas souvent perçue à sa valeur », mais elle ajoute dans que « ça ne saurait tarder car on parle de plus en plus d’elle dans le milieu muséal et éditorial» ! À quand son exposition personnelle à Beaubourg ? Quand lui proposera-t-on de représenter la France à la biennale de Venise ? « Son œuvre ne laisse jamais indifférent, même si parfois les images données sont assez insoutenables, ses hybridations ou ses dernières sculptures sont magnifiques, légères et ont des formes généreuses, tout comme ORLAN l’est elle-même » ajoute-t-elle. Ainsi, il n’est pas question de réduire l’ensemble de l’œuvre à quelques pièces sulfureuses…il faut savoir regarder au-delà de la pellicule ou de la performance pour percevoir qu’ORLAN est également une artiste des mots et de la parole. Cependant, comme le rappelle la philosophe Christine Buci-Glucksmann « si ORLAN est bien une artiste
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ORLAN Self-hybridation précolombienne, Refiguration / Self-Hybridation n°1, 1998
conceptuelle, elle aime toujours aussi la chair et la couleur. » Elle arrive à traduire plastiquement des notions aussi complexes que la sexualité, l’identité, le rapport à l’image, thèmes auquel tout à chacun se trouve confronté dans sa vie. C’est là que l’on trouve la preuve de l’extrême continuité des thèmes abordés par ORLAN, on y perçoit un vocabulaire, une grammaire, des règles et un véritable langage. Le mot est toujours au centre du travail d’ORLAN. Ce qui fait dire à Blandine Chavanne, la conservatrice du musée de Nantes qui accueille la dernière oeuvre de l’artiste : « Les sujets de l’œuvre d’ORLAN tournent autour d’art & science. Elle développe cette idée dans son exposition à Nantes, par des mots qui font forcément écho chez nous: collectif, la surfemme ou empêchement, ces mots sont choisis avec soin. Ce sont des mots courants qui aujourd’hui ont une véritable actualité et traduisent bien la contemporanéité des propos d’ORLAN. Car elle est, de toute évidence, une artiste qui a besoin de l’échange ». Et Christine Buci-Glucksmann
poursuit : « A travers ces trois mots : le tout monde, dérèglement et singularité se dessine donc l’œuvre d’ORLAN, prise dans le tout monde du métissage, toujours dérangeante et « déréglante », toujours marquée de sa singularité plurielle. » Aussi s’il fallait nommer la démarche d’ORLAN tout comme l’artiste, il faudrait écouter ceux qui la connaissent bien. Tous saluent son courage. Catherine Julien Laferrière nous précise que « cette jeune femme très belle a osé utiliser son corps et s’est s’inscrite dans la lignée de ces artistes qui, dans les années 70 n’hésitaient pas à se transformer pour l’art, pour être une partie intégrante de cette histoire de l’art qui concilie vie et art ». Quand on interroge Sophie Duplaix , conservatrice à Beaubourg elle répond sans hésiter : « courageuse, c’est le premier mot qui me vient à l’esprit…. » Sandra Mulliez, mécène qui œuvre pour soutenir le travail de l’artiste précise encore : « ORLAN est une surfemme, une féministe dans le bon sens. Elle est aussi d’une intégrité totale, elle est droite dans le chemin qu’elle
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carte blanche Lady Gaga en la copiant ne s’y est pas trompée, en la prenant comme source d’inspiration, la chanteuse (...) rend hommage à une autre référence qui a déjà sa place dans l’histoire de l’art. s’est choisie. » Et Catherine Julien Laferrière d’ajouter : « Elle ne fait jamais dans le commercial, c’est une artiste sans concession, qui n’est jamais rentrée dans ce schéma à l’inverse de beaucoup d’artistes, elle n’est jamais tombée dans cet écueil, n’a jamais été tentée de se répéter » elle est « fidèle à son engagement ». Poursuivons la liste de mots qui avec lesquels peu à peu se fait jour le portrait de cette artiste. « ORLAN est une force dans tout ce qu’elle fait, dans son travail, dans ce qu’elle défend, dans son action et son engagement. C’est une guerrière » indique Sandra Mulliez. Ainsi ORLAN peut en effet être identifiée à une amazone prête à se couper le sein pour mieux manier son arc. Dans son approche ORLAN ne laisse rien au hasard, et « possède une très grande exigence, à son égard ainsi qu’à l’égard du travail qu’elle va montrer. Elle souhaite que l’on arrive à traduire au plus juste son projet. » dit Blandine Chavanne. Ce que confirme Sandra Mulliez qui précise qu’elle « regarde chaque détail, ne laisse rien passer, elle très rigoureuse et inflexible dans ses choix et ses orientations. Elle ne se taira pas, ira toujours au bout . » Une autre qualité de la plasticienne que souligne Catherine Julien Laferrière est sa générosité, de même que sa sensualité débordante. « Quand elle vous prend dans ses bras, on s’y sent bien, elle vous couve, vous enveloppe, vous vous sentez en sécurité, aimé. Il y a quelque chose de maternel en elle, même si elle a toujours rejeté la maternité, elle est comme une louve, spontanée et naturelle » confie-t-elle. Elle ajoute qu’ORLAN «est curieuse et attentionnée » et qu’elle développe une « vraie relation d’amitié pure & sincère ». La sincérité et l’authenticité sont encore deux autres maîtres mots qui reviennent souvent dans la bouche de ses admirateurs ainsi Blandine Chavanne : précise « personnage hybride car multiple, vraiment très curieuse, on ne peut réduire son œuvre à un engagement politique, féministe ou artistique car ce n’est pas suffisant. Je dirai qu’elle est une artiste authentique. » Quand à Michel Rein, il la désigne comme « brillante, attachante et cohérente dans sa démarche.» Rien d’étonnant alors à ce que le parcours de cette artiste, hors du commun, fascine les jeunes générations chez qui elle fait des émules. Lady Gaga en la copiant ne s’y est pas trompée, en la prenant comme source d’inspiration, la chanteuse qui se positionne comme une référence pour la génération actuelle, rend hommage à une autre référence qui a déjà sa place dans l’histoire de l’art. ORLAN suscite l’enthousiasme et sait dynamiser ses assistants comme
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ORLAN Vue de l’exposition Un boeuf sur la langue, Musée des Beaux Arts de Nantes, Chapelle de l’Oratoire, Nantes, France, 2011
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ses étudiants. Elle est très à l’écoute des jeunes avec qui elle travaille ou à qui elle enseigne et s’entoure toujours de personnes nouvelles, sur qui elle porte toujours un regard bienveillant. Sandra Mulliez la qualifie volontiers de « jeune à vie » et Sophie Duplaix d’affirmer c’est une « militante (dans le meilleur sens du terme !), provocatrice, sensible, vive, acharnée, généreuse et communicative, enfin, optimiste et profonde. Et physiquement: majestueuse ! » Et laissons le mot de la fin à Catherine Julien Laferrière qui résume bien et le
personnage et l’artiste : « une femme merveilleuse qui mérite d’être connue en tant que femme, en tant qu’artiste et en tant qu’intellectuelle. Elle a encore beaucoup de choses à dire, elle qui possède une grande culture et une connaissance très étendue ainsi qu’une philosophie de la vie extraordinaire. Elle n’est jamais superficielle » ! Isabelle de Maison Rouge
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ORLAN carrefour multiprise Pour sa carte blanche, ORLAN a souhaité donner la parole à la critique d’art Stéphanie Pioda qui porte son regard sur les dernières œuvres de l’artiste.
Ci-dessus : ORLAN Vue de l’exposition Un boeuf sur la langue, 2011
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Alors qu’elle a exploré son corps comme territoire et comme matériau, ORLAN s’absente de son œuvre un temps. Toutefois ORLAN demeure ORLAN, « une artiste conceptuelle, qui aime la chair, la couleur et la matérialité », c’est son ADN. Ainsi, quelque soit le matériau utilisé, ORLAN se fait chroniqueur de son temps et reste cohérente à son œuvre, elle s’exprime sur son époque… la nôtre.
ORLAN est au cœur de l’actualité, au Centre Pompidou, elle présente dans le cadre de l’exposition « Paris-Delhi-Bombay » jusqu’au 19 septembre, Draps-peau hybridé, – fusionnant les couleurs françaises et indiennes – qu’elle habille de sequins virevoltants dans une grande fluidité, soulevés par le souffle d’une ventilation. On reste dans la lignée des hybridations qui ne sont cependant plus « self ». Si le spectateur s’attend à retrouver ORLAN telle qu’il la connaît, il se trouve surpris. Car depuis toujours l’artiste surgit là où l’on ne l’attend pas. Bien insérée dans l’art le plus contemporain, elle a toujours pris la liberté de choisir des médiums les plus variés en fonction de ce qu’elle souhaite exprimer, de choisir le chemin qui lui permet de révéler le mieux une idée, « de donner corps au squelette du concept », d’interroger le moment. Ainsi en 2009, à l’abbaye de Maubuisson, dans le Val d’Oise (France) dans son exposition « Unions mixtes, mariages libres et noces barbares », elle présente dans la salle des religieuses Différence(s) et Répétition(s), trois sculptures plis qui sont le souvenir des corps des nonnes
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Le propos de l’artiste n’a pas changé depuis ses origines : dénoncer l’aliénation du corps et de l’esprit, questionner le statut du corps face aux pressions sociales, idéologiques et religieuses. niées dans leur féminité, leur sexualité, leur liberté de mouvement et de parole. Cependant, les drapés, réalisés sans moule pour éviter d’imposer un nouveau carcan, sont amples, dynamiques et vivants, en mouvement. La puissance du Bernin est là, l’extase sensuelle de SainteThérèse aussi, mais ORLAN a amplifié l’excès baroque et levé le joug qui contraignait ces corps et les empêchait de ressentir. La filiation avec la Sainte ORLAN des années 1980 est indiscutable, cette fois, les drapés sont les témoins de corps fantômes auxquels elle rend la chair. Ces trois œuvres sont actuellement reprises dans l’exposition « Pudeurs et Colères de Femmes, un regard actuel au- delà des voiles », à la Fondation Boghossian de Bruxelles, où elles occupent la place d’honneur. Le propos de l’artiste n’a pas changé depuis ses origines : dénoncer l’aliénation du corps et de l’esprit, questionner le statut du corps face aux pressions sociales, idéologiques et religieuses. C’est ce qui est également à l’œuvre dans No comment (placée dans les anciennes latrines de l’abbaye de Maubuisson), une installation réalisée à partir de téléviseurs superposés en forme de croix et diffusant des plans choisis de matchs de foot. Au pied de cette croix, des ballons – sur lesquels sont reproduits des extraits concentrant la charge érotique du Cantique des Cantiques (Que tu es belle, […] Tes lèvres sont […] Tes deux seins sont…) – apparaissent comme autant d’offrandes déposées par des fidèles, ou comme une foule venue assister à la crucifixion du foot, dans la jouissance! La foi chrétienne et le foot, mêmes manipulations des masses, mêmes dévotions, même combat. No comment est signé du pseudonyme AAKA ORLAN (And Also Known As ORLAN, mention figurant également sur son passeport), une manière d’affirmer que l’artiste est plurielle, multiple, nomade et qu’elle ne se laisse enfermer ni dans un cadre, ni dans un mode d’expression. Ce qu’elle dénonce, elle le revendique pour elle-même. L’artiste est un catalyseur des mutations de la société et les donne à voir accentuées ou transposées via son filtre artistique. « Je suis ouverte aux autres, à moi-même et à ce que je vois. ». Le parcours d’ORLAN n’est pas linéaire et les nouvelles pistes de recherches restent des chantiers ouverts. Certaines œuvres attendent d’être réactivées en fonction des lieux d’exposition, comme les mesurages des rues et des institutions avec l’ORLAN-corps ou la déclinaison des grands reliquaires qu’elle souhaite produire dans d’autres langues (ils existent déjà en 19 langues). Les Self-hybridations sont quant à elles célébrées, tout
d’abord à Nantes, avec une œuvre inaugurée en octobre, Radiographie des temps et réalisée dans le cadre du 1% artistique liée à la construction d’un nouveau bâtiment pour la Faculté de Médecine et de Pharmacie. Ses hybridations numériques africaines, relativisant les standards de beauté occidentaux, se sont chargées de l’histoire de la ville et de son passé esclavagiste. Jouant sur la destination « médicale » du lieu, les noirs et blancs sont inversés, comme sur une radiographie lisible sur un écran rétro-éclairé et qui permet de voir à l’intérieur du corps les anomalies, les failles, le
ORLAN, Radiographie des temps, 2011
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ORLAN Robes sans corps : Sculptures de plis, 1983-2009
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pathologique mais aussi le normal. Telle une invitation à la réflexion pour qui prendra le temps de lever les yeux au plafond. À venir en 2012, deux expositions « Solo Show » en Colombie – au Musée d’Art Moderne de Bogotá et au Musée d’Art Moderne de Medellín – avec la création de nouvelles Self-hybridations précolombiennes, ces créatures mutantes à la source de mythologies contemporaines sans divinités à adorer ou d’une autre grille de lecture du monde. ORLAN est une artiste engagée et son art est politique inspirant un projet de société. Être libre, c’est sortir de ce qui sclérose les esprits, confronte au rapport dichotomique opposant féminin et masculin, noir et blanc, sainte et putain, jouissance et douleur, le bien et le mal… Loin de stigmatiser les différences, elle les utilise pour s’en nourrir, pour s’enrichir. Ces hybridations entrent en résonance avec le métissage, l’acculturation ou le syncrétisme (religieux ou pas) à l’œuvre déjà dans les civilisations anciennes et qui ont participé de leur grandeur sans pour autant avoir
figé l’histoire. « L’avant-garde ne réside plus dans l’art, mais dans les sciences, les biotechnologies, précise ORLAN. Mon intérêt artistique pour le sujet passe par le détournement. » C’est peutêtre là le territoire de la nouvelle subversion et le domaine qui transformera de façon significative le statut du corps dans les années à venir. D’où son travail sur la culture de cellules, cristallisation de ce moment charnière où la science aborde un chapitre révolutionnaire de l’histoire des biotechnologies et n’en est qu’à ses balbutiements. Tout en soulevant les problématiques du clonage, des mutations génétiques, de l’éthique, de la responsabilité… S’intéresser à la cellule est une manière d’offrir un autre point de vue sur le monde, débarrassé des a priori sur la couleur de peau, la nationalité, la religion, le sexe, les différences de générations… Une cellule n’affiche aucune caractéristique identitaire. C’est aussi s’intéresser à l’unité élémentaire de la vie, et endosser le manteau du démiurge comme ORLAN a accouché d’elle-m’aime en 1964. Le démiurge est à l’origine de toute cosmogonie, de tout système, mais ne se veut pas pour autant maître du monde. Elle dialogue alors avec l’universel, la vie, l’humanité. C’est ce qui transparaît dans la métaphore du manteau d’arlequin. On assiste au glissement de l’autoportrait à « l’autoportrait universel », de l’abandon du « je suis » pour le « je sommes ». La connaissance de l’infiniment petit redonne sa juste place à l’être humain dans l’univers, la perception de l’intérieur du corps relativise les codes et barrières sociales. Ce travail sur les cellules n’est pas sans rappeler les opérations chirurgicales-performances réalisées de 1990 à 1993. Cependant l’artiste tient à préciser « C’était un message par rapport à une époque et je ne pensais pas y retoucher. Lorsque j’ai voulu faire la culture de mes cellules, il a fallu faire une biopsie que j’ai mise en scène. C’était « afin de » et ce n’était pas un but en soi. » Ici, dans l’installation de la Chapelle de l’Oratoire du musée des Beaux Arts de Nantes, l’accent est donné au langage, plastique comme celui des mots. « Un boeuf sur la langue », titre mystérieux, fait allusion à une expression qui évoque l’impossibilité d’exprimer sa pensée, ses sentiments. Par ce clin d’œil, ORLAN propose des mots très contemporains qui donnent un sens particulier à l’actualité et invite à l’échange ainsi
« L’avant-garde ne réside plus dans l’art, mais dans les sciences, les biotechnologies. Mon intérêt artistique pour le sujet passe par le détournement. »
ORLAN Vues de l’exposition Un boeuf sur la langue, Musée des Beaux Arts de Nantes, Chapelle de l’Oratoire, Nantes, France, 2011
Expositions citées Upcoming en 2012 : Participera en octobre 2012 à la prochaine Shanghai Biennale, Shanghai Contemporary museum, curator Gong Yan,(Chine) Solo exhibitions aux Musée d’Art Moderne de Bogota & Musée d’Art Moderne de Medellin, curator Ricardo Arcos-Palma, Colombia En cours : Expose actuellement à Shanghai, à l’occasion de la Shanghai Art Fair, dans le stand d’Hélène Lamarque à l’American Pavilion Artiste invitée d’honneur à la 3° Biennale de Tessalonique (Grèce) (18 septembre-18 décembre) pour le Festival de la performance du 19 au 25 septembre 2011 « ORLAN. Un bœuf sur la langue » Chapelle de l’Oratoire du musée des Beaux-Arts, Nantes, du 1er juin - 25 septembre 2011 www.museedesbeauxarts.nantes.fr « Paris-Delhi-Bombay... » Centre Georges Pompidou, Paris, du 25 mai au 19 septembre 2011 www.centrepompidou.fr
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qu’aux débats. Par ce dispositif qu’elle a inventé, l’artiste fait écho au dialogue citoyen en réalisant une installation interactive qui prend toute son ampleur lorsque le spectateur s’approprie les mots associés aux mannequins et s’engage sur une réflexion personnelle. Car les mots pour ORLAN sont des starters, ils font partie du concept et de sa méthode de travail. Choisis avec soin, ils sont tous en rapport avec l’intérêt que l’artiste porte aux recherches biologiques, scientifiques et médicales, mais également à l’époque. Dans un contraste entre obscurité et couleur, l’artiste sait surprendre et étonner. L’installation est totale, elle est à vivre, à ressentir. Un personnage sombre et énigmatique domine l’espace, puis les corps-sculptures, porteurs de mots, noirs également, sur le contre-champ, deviennent colorés, recouverts de ce fameux manteau d’arlequin, de même le chœur de la chapelle, le décor s’enveloppent de ce tissu de velours chatoyant. Au-delà du personnage de la Commedia dell’arte c’est la manière dont le manteau est fabriqué, avec des pièces de nature et d’origine différentes qui amène la réflexion. Avec sa résille, il devient le support de projection de cellules hybrides dansantes où de bons (phages) et mauvais virus imprimés sur un tissu de velours de soie qui permet de voir l’intérieur du corps. Tous ces chantiers menés par ORLAN sont autant d’invitations de l’artiste à une seule injonction : « Hybridons-nous ! » Stéphanie Pioda
« Radiographie des temps » Faculté de Médecine et de Pharmacie, Nantes, France, octobre 2011 www.univ-nantes.fr/88790594/0/fiche___pagelibre/ ? Archives : « Unions mixtes, mariages libres et noces barbares » Abbaye de Maubuisson, site d’art contemporain du Conseil Général du Val d’Oise, Saint-Ouen-l’Aumône, France, du 30 septembre au 8 mars 2010 www.valdoise.fr
Visitez le site d’ORLAN www.orlan.net
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Bâtiment Ouest-Lumière de Puteaux en 1993
Lumière sur Yann Toma , L’art d’entreprendre le monde par l’art La sortie de l’ouvrage monographique Yann Toma aux éditions Jannink est l’occasion de découvrir la vie d’un artiste et chercheur investi pleinement dans une entreprise hors du commun et de mieux comprendre ce qu’est un artiste entrepreneur. « Ceci n’est pas une monographie, le lecteur n’est ni face à une chronologie exhaustive, ni à une lecture objective du monde. Il s’agit ici de mise sous tension du corps et des idées, au cœur d’un état de perpétuel mouvement ». D’entrée de jeu, l’artiste informe son lecteur (en latin, français et anglais) qu’il ne lui livre pas ici sa monographie mais les fragments d’une vie artistique capable de générer de l’imaginaire à partir d’un monde actuel en constante mutation.
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L’ouvrage témoigne de son activité riche et prolifique. Le volume est massif : quatre cents pages, environ sept cents illustrations et une vingtaine d’entretiens, de contributions d’artistes, de théoriciens ou encore de poètes (parmi les auteurs figure notamment Edouard Glissant, Valérie Da Costa, François Noudelmann, Richard Shusterman, etc.). Il se
décompose en plusieurs temps, rencontres et événements déterminants, entrecoupés d’interludes offrant au lecteur des parties plus personnelles de la vie de Yann Toma. On y découvre ainsi ses parents, Claudette Scouarnec et Jean-Pierre Toma, tous deux danseurs étoiles, mais aussi d’autres scènes de vie nous laissant entrevoir quelques temps forts de l’intimité de l’artiste. Mais peut-on vraiment dissocier l’homme, de l’artiste, de son entreprise ? Dès son enfance, Yann Toma s’intéresse à la fois au monde artistique et à celui de l’entreprise. Il imagine ainsi sa première exposition, Exposition de Diamants, à l’âge de sept ans et sa première entreprise fictive à l’âge de douze ans : la Yann Toma’s Corporation, accompagnée d’une campagne publicitaire évocatrice « Ne brûler plus votre argent. Donnez tous à la Société Yann Toma ».
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Toutes ces expositions rendent compte des différentes activités de l’entreprise et mettent en exergue la volonté toujours plus accrue de l’artiste à interroger le monde des affaires. Ce désir de créer et d’entreprendre ne le quittera plus. Après des études de commerce international, il intègre l’université de Paris 1 Panthéon Sorbonne afin de suivre un cursus en art et sciences de l’art dans lequel il développera sa pratique. Sa rencontre, pendant sa formation, avec l’artiste et enseignant Michel Journiac va être déterminante. Artiste emblématique du body art, Journiac l’influencera en lui transmettant son intérêt pour le corps pensé comme vecteur du politique et de l’artistique. Ces enseignements seront les fondations de son futur projet qu’il débutera dès 1991 : s’approprier artistiquement l’ancienne usine électrique Ouest-Lumière de Puteaux (construite en 1901 par Gustave Eiffel et progressivement détruire dès 1992) afin de réactiver son passé industriel. Durant trois années, il investit l’usine et constitue un véritable mémorial en y collectant de multiples objets. Rouleaux de cyclographe, dossiers administratifs, schémas techniques, etc. vont ainsi servir d’archives à la mémoire de Ouest-Lumière et de matière première à la création d’installations qu’il exposera in situ. Dès lors, l’artiste devient un « habitué » du site ce qui lui permet de s’infiltrer dans ses moindres recoins. Peu à peu, il s’empare symboliquement de la mémoire de l’usine et constitue par là même son territoire d’explorations et d’expérimentations artistiques. L’expérience au sein de Ouest-Lumière devient sa principale source d’inspiration. En 1994, il rachète le nom à l’INPI (O-L étant nationalisée par EDF dès 1946), et s’autoproclame « Président à vie de Ouest-Lumière » : d’entreprise privée de production d’énergie électrique, elle devient « entreprise d’énergie artistique ». La rencontre entre les univers artistiques et entrepreneuriaux, traditionnellement opposés, donne alors lieu à un échange énergétique entre l’artiste, devenu entrepreneur de O-L et l’ancienne usine, réactivée et de nouveau productrice. En se désignant Président à vie, Yann Toma entraîne avec lui des individus désireux de participer à son aventure. Un réseau impressionnant se constitue autour de son entreprise symbolique, comportant, entre autre, un Comité exécutif (composé d’un Vice président, d’un directeur de Cabinet, d’un grand Chambellan, etc.), plus de trois cents actionnaires, d’une centaine d’agents et d’une centaine de milliers d’abonnés qui œuvrent pour Ouest-Lumière. L’entreprise devient une entité hybride, à la fois vectrice de création et productrice de relation. Aussi, l’actionnaire, l’agent ou le simple abonné se voit proposer de multiples services délivrés par l’entreprise : qu’il s’agisse des Crimes
Garage de soucoupes volantes, « un lieu en travaux », 1999
Dynamo POST-BANKRUPT, 2008
Logo de la Yann Toma’s Coporation, 10 x 10 cm, 1981.
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Ci-contre : Organigramme Ouest-Lumière, photomontage
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sur commande, Extases, ou des Mises en veille, l’artiste entrepreneur offre à son public un large panel de prestations, mettant à la fois en scène le corps du « client » et le processus artistique. Dès lors, Edouard Glissant, éminent poète, philosophe et « Grand Magnat des imprévus » au sein de O-L, écrit dans le magnifique préambule ouvrant la monographie, que l’on ne se situe pas à Ouest-Lumière mais en Ouest-Lumière. Ce sentiment de vivre au cœur de l’œuvre et non à sa périphérie étant induite par la relation privilégiée qui lie l’artiste à son public. Ouest-Lumière produit également des œuvres en relation avec son secteur d’origine : l’électricité. La lumière, les flux, l’énergie, le monde du travail sont les thématiques récurrentes de ses productions et expositions. Pour n’en citer que quelques unes, on pense ici aux photographies de Flux radiants, au Garage de soucoupes volantes (photographie intégrée à la collection du Centre Pompidou), à la série de peintures Post-Bankrott (exposition à la galerie Bourouina, Berlin) ou encore à Dynamo Post-Bankrupt (installation participative qui eut lieu au musée Zadkine durant la Nuit Blanche 2008). Toutes ces expositions rendent compte des différentes activités de l’entreprise et mettent en exergue la volonté toujours plus accrue de l’artiste à interroger le monde des affaires.
L’affaire de l’imprimerie Paul Dupont, Crime de Stéphane P., 2000.
Artiste, mais aussi enseignant chercheur au sein de l’université Paris 1, il crée en 2006, au sein du CERAP (Centre de Recherche en Arts Plastiques), la ligne de recherche Art & Flux, observatoire de la mouvance des entreprises artistes, composée de nombreux chercheurs (en sociologie, esthétique ou en histoire de l’art) et d’artistes entrepreneurs (entre autre Iain BAXTER&, fondateur de la N.E Thing compagny, reconnue comme la première entreprise artiste). Ces entreprises ne sont pas des entreprises classiques. Elles sont pensées comme œuvre et engagent une posture critique vis-à-vis du monde entrepreneurial. Elles s’insèrent dans le champ du réel pour mieux appréhender les rapports entre art, économie et société. Le politique et l’engagement citoyen sont des valeurs partagées par ces artistes.
Ces entreprises s’insèrent dans le champ du réel pour mieux appréhender les rapports entre art, économie et société. Le politique et l’engagement citoyen sont des valeurs partagées.
WIKILEAKS – Les câbles litigieux Ouest-Lumière, 2011
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rant sur la quatrième de couverture de l’ouvrage. « Begin at the beginning and go on till you come to the end ; then stop »1 semble en effet bien traduire ce besoin insatiable qu’a l’artiste de créer : celle-ci nous laissant entendre qu’il ne suffira pas d’une seule monographie pour classer l’œuvre – inclassable - de Yann toma… To be continued. Aurélie Herbet
Liens :
1. Citation issue d’Alice in Wonderland, Traduire par « Commence au commencement et continue jusqu’à arriver à la fin ; ensuite, arrête »
Monographie sur Yann Toma www.lespressesdureel.com/ouvrage.php?id=2117 Yann Toma www.ouest-lumiere.org Blog du président westlumiere.over-blog.com
U.N Energy, 2008
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DYNAMO-FUKUSHIMA Yann TOMA & Ouest-Lumière
A l’occasion des journées européennes du patrimoine, Yann Toma a occupé l’espace de la nef sous la verrière du Grand-Palais
Donnez votre énergie pour le Japon ! Dans le cadre des journées européennes du patrimoine dédiées cette année au thème du voyage, le Grand Palais – Réunion des Monuments Nationaux invite Yann Toma, Président à vie de OuestLumière, entreprise fictionnelle de production et de distribution d’énergie artistique, à installer une chaîne humaine sous la nef du Grand Palais, un véritable pont qui nous emmène jusqu’au Japon. Par des dispositifs fédérateurs et joyeux, Yann Toma entend mobiliser et exprimer sa solidarité avec le Japon, soutenir les populations qui, actuellement aux antipodes, souffrent de la catastrophe nucléaire de Fukushima. Les spectateurs sont invités à être actifs et productifs au sein de cette oeuvre tout en vivant un voyage immobile et métaphorique. Accompagnés par la communauté japonaise de France, les visiteurs du Grand Palais sont invités à venir investir leur énergie sous la nef dans une impressionnante course cyclique, ayant pour fil conducteur, la masse énergétique humaine ( ou “une dynamo humaine”). En constituant une chaîne humaine sous la plus grande verrière d’Europe avec l’énergie de chacun comme matière première, il s’agit d’inviter le public à transformer le Grand Palais en une immense antenne de lumière intégralement tournée vers la population japonaise. Il s’agit d’inviter le spectateur à stimuler la circulation de l’énergie qui nous lie et nous met en mouvement pour l’avenir de l’humanité. Samedi 17 & dimanche 18 septembre 2011 Nef du Grand-Palais
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http://www.dynamo-fukushima.org/
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Dynamo-Fukushima, 2011
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