La main à pied Arthur François
La Main à pied Arthur François
144 av de Flandre - Métro Quatre Chemins 11 octobre 2013 - 2 Du 144 Avenue de Flandre au métro Quatre Chemins, on ne fait pas une longue promenade. Le chemin – est-ce un des Quatre ? – se parcourt en une quinzaine de minutes, peut-être un peu plus en trainant la patte ; il y a à peine plus d’un kilomètre. Alors, oui, il faudra sans doute surmonter quelques obstacles, les obstacles que l’on rencontre aux portes de Paris, mais que peut-il bien nous arriver ? Par quoi pourrions-nous être surpris ? A dire vrai, rien n’est franchement, définitivement surprenant. Ce sont des endroits déjà connus, où tout du moins des endroits dont la teneur ne nous est pas étrangère. Et pourtant. Et pourtant, nous y trouvons nombre d’aspects, détails ou énormités, tout à fait insoupçonnés. Tout y est, en sommes, comme un toujours-déjà-jamaisvu. Cela me fait penser à la surprise éprouvée il y a de ça quelques années, où, levant le nez, les yeux encore mal ouverts, lors d’un itinéraire quotidien parcouru des milliers de fois, rue de la Jonquière, j’ai aperçu la façade d’un immeuble que je n’avais jamais remarquée. Une façade sans rien d’exceptionnel, non, mais assez agréable, en brique et faïences, agrémentée de bow-window. 3
Car en quittant l’école d’architecture pour se diriger vers Aubervilliers et Pantin, nous ne faisons que traverser un espace, un territoire déjà fréquenté. Et si ce n’est pas cette avenue Jean Jaurès que nous connaissons, ce sera l’avenue Jean Lolive. Territoires populaires, aussi bien à Paris que dans ces communes de la « ceinture rouge », mais territoires clairement identifiés, et à l’esthétique déjà connue. Cependant le simple fait d’ouvrir les yeux, les oreilles – mais aussi le nez –, de se mettre dans une position de réception et non plus d’action change toute la perception que nous pouvons avoir de tel ou tel lieu. Et ce qui nous avait jusqu’à présent effleuré prend désormais une importance conséquente. Bien sûr, je m’étais déjà fait la question de savoir pourquoi tel magasin affiche « Le Roi de la Boutargue » alors que le terme français est celui de « poutargue »1. Mais l’avais-je consigné ? En avais-je fais mention quelque part ou à quelqu’un ? Nous savons tous ce à quoi ressemble une sortie de ville, une porte de Paris. Et pourtant, j’ai découvert qu’entre Paris et l’avenue Jean Jaurès, nous devions passer sous quatre ponts différents, aux qualités chaque fois différentes. Après le second, je m’étais déjà dit que c’était bon, qu’il n’y en aurait plus. Eh bien si. Dont un, insoupçonné, portant une voie ferrée désaffectée et non identifiée, bordée de chemins informels. Dessus, j’ai pu y voir passer un homme, qui y trouvait sans doute là un raccourci. Quant à savoir par où il était arrivé, et surtout par où il allait descendre de son promontoire… C’est là que le territoire devient véritablement intéressant : pour chacun d’entre nous cette notion sera différente, mais c’est au moment où le territoire se fait mystérieux, quand il recèle 1
Il semblerait que le terme « boutargue », bien que moins courant que « poutargue », soit tout aussi correct. La plupart des langues latines utilisent d’ailleurs un « b ».
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de secrets que nous aimerions percer, qu’il acquiert à nos yeux et pour la première fois une valeur profonde. La ville que nous ne regardons pas retourne donc, d’une certaine manière, à son état sauvage, et redevient un espace dont nous repoussons la « frontier ». Pouvoir saisir cet espace nouveau-né et le re-transformer en territoire est un des plaisirs immenses qu’il y a à parcourir les villes, puisque c’est un des moyens à la fois les plus simples et les plus forts d’appropriation. Il était tout à fait probable que nous allions rencontrer certains des éléments que nous avons remarqués. Tels ce petit parterre autrefois de gazon, cette camionnette appartenant sans doute à une prostituée, etc. Mais qui aurais bien pu prédire la mimique d’un chien, ou bien encore la limite flottante, dérivant au gré des vents, de la zone d’influence d’un pont, créée par la limite de l’espace dans lequel l’odeur d’urine est proprement insupportable ? Il y a également une vertu fondamentale dans le fait d’effectuer « soi-même » sa promenade : s’il est impossible de prédire un chien, ou une odeur d’urine, on peut par contre les imaginer. Certes, en faisant une entorse à la réalité ; mais peu importe, tant que le récit reste vraisemblable. Et, si l’on peut également s’imaginer la structure d’une ville, il parait cependant difficile de réussir à la deviner de manière à la fois précise et sûre. Qui aurait pu me dire que toute activité notable, toute vie de quartier, serait comme déplacé en retrait par rapport à l’avenue : non pas remisé, mais simplement déplacé. Comme s’il ne fallait pas, ou que l’on ne pouvait pas avoir ces activités sur le trajet le plus susceptible de les accueillir. Le marché est sur une place en arrière, s’en trouve de la sorte magnifié, et, si l’on peut dire, « mystérifié » ou « mystérisé ». Peut-être est-il possible d’inventer une telle structure urbaine , mais il s’agit déjà là d’un autre travail, puisque tout est inventé, et non déduit à partir des connaissances que l’on peut déjà avoir de tel ou tel lieu. 5
Il est tout aussi difficile de s’imaginer, a priori, l’existence de cette halle au poisson, de cette criée. Et surtout, il est difficile de s’imaginer l’effet qu’il peut produire sur telle ou telle personne. Ainsi de s’imaginer qu’elle évoque en moi les greniers toscans, et une partie de l’architecture de l’Italie fasciste. Ses briques sont régulières comme celle de la gare centrale de Florence, et espacées comme sur le grenier situé en face de la maison d’amis, près de Vico d’Arbia. Oui, ce grenier, pas un autre. Surtout, il y a la variété des espaces urbains, de la forme de la ville. Elle est évidemment bien présente dans notre esprit à tout moment – chaque quartier est différent. Mais cette variété y est ici décuplée, parce que c’est justement ce que nous recherchons : des sensations nouvelles à chaque fois, à chaque pas. Particulièrement, bien sûr, sur un trajet comme celui-ci, qui nous met en contact avec trois communes différentes, et dont les aménagements, ne serait-ce qu’esthétiquement, seront très probablement différents. Mais que l’on s’imagine donc marchant le long de la Karl Marx Allee, à Berlin, ou, de manière encore plus marquée, sur la portion de la Frankfurter Allee au-delà du Ring, à Lichtenberg. La promenade parait lugubre et surtout monotone. Et pourtant, si l’on y regarde de près, et même sur deux immeubles staliniens identiques dans leur construction, on découvrira une variété infinie de motifs et de détails. Le contexte sera légèrement différent, car l’un des deux aura pour arrière-plan un autre immeuble ; le béton n’aura pas vieilli exactement de la même manière, et laissera, là où les fers l’on fait éclater, des traînées brunes différentes ; et, à telle fenêtre, nous verrons des jardinières, ou bien des rideaux particuliers. On ne se baigne jamais deux fois dans la même rivière. Non. Il bel et bon de résumer une telle idée en une phrase aussi courte et lapidaire, mais, de la sorte, elle devient applicable à tous les domaines, en toute situation, 6
au rique de parfois devenir un dogme. Ne vaut-il mieux pas se laisser persuader, lentement, par la réalité à laquelle nous nous heurtons, frottons, avec laquelle nous retrouvons et qui, à travers ce choc, nous ouvre bien grand les yeux, les narines, les oreilles ? Allons donc caresser quelque pierre ou pièce de bois, et savourer des midiye dolma, une sfogliatella, ou autre chose encore, proposés par un vendeur ambulant d’une rue d’Istanbul ou de Naples. Afin de ne pas laisser nos deux derniers sens insatisfaits.
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Hiver Le bitume, usé, Lors d’un froid intense et sec, Brille, parfois. Comme constellé de petit cristaux à peine réveillés.
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Dans les pages de Joseph Conrad En nous laissant emporter et emmêler dans les méandres de l’écriture de Conrad, nous sommes dans une autre époque, dans un autre monde. Certes, c’est, en un sens, briser les règles que de recourir non pas à la promenade physique, mais à la promenade intellectuelle. Mais au diable ces règles. Elles ne sont établies que pour mieux en jouer. Cependant, bien plus que les lieux, villes, ou paysages, Conrad décrit les personnes, les caractères, les situations et les âmes. Les états de l’âme. A travers son écriture, il arrive à mettre sous nos yeux, à faire exister de manière quasi-physique ce monde aujourd’hui disparu, à la géographie elle-même disparue. Et par la vision médiatisée que nous nous en faisons, il nous autorise, à notre tour, à avoir jugements, impressions et sentiments. A éprouver. Lord Jim, à ce titre, peut être vu comme un mélange entre un vieil atlas, illustré de gravures, et des photos d’époques diverses, aux couleurs à la fois vives et fânées, aux contours craquelés mais vifs. Ainsi, évidemment, qu’un récit social autant que psychologique ou d’aventures. Lors de la description de l’arrivée de l’équipage du Patna au bureau maritime, ou plutôt lors de leur sortie du bureau, le récit de la scène faite par Marlow est saisissant. Sur plus d’une dizaine de pages, extrêmement peu d’in11
formations filtrent sur le décor dans lequel évoluent les protagonistes. Et pourtant, nous arrivons à nous figurer sans aucun problème cette scène et son spectacle général une indication savamment distillée çà et là, alliée à cette description extensive des personnages, nous dressent un tableau complet. Car les présences de cet énorme capitaine, du conducteur du gharry, de Jim, à l’écart, ainsi que des deux derniers membres de l’équipage (sans compter Marlow, sur lequel nous n’avons aucune information) créent déjà une scène dans un espace donné, incompressible, et qui nécessite un certain espace pour respirer, si l’on peut dire. A la distance entre les personnages s’ajoute l’espace qui doit nécessairement se trouver autour d’eux, suffisant pour leur permettre d’évoluer, même s’ils ne le font pas. Et, dans un arrière-plan que nous imaginons assez distant, la présence d’un kiosque à musique. Théâtre d’une Angleterre impériale et coloniale, à peine sortie du règne de Victoria. Cependant, si Marlow loge à l’hôtel Malabar, et si l’on suppose le Patna parti d’Asie du Sud-Est pour La Mecque et Médine, nous n’avons aucune certitude quant à la localisation précise de l’action, et ne sommes donc pas bien sûrs d’être sur cette côte de Malabar. A ce stade, rien ne vient le confirmer, et nous pourrions aussi bien être au Sud de la péninsule arabique. À Aden ? Et pourtant, malgré ces indications parcellaires, il est aisé de se représenter cette place coloniale, vaste, entourée de bâtiments plus ou moins administratifs, et peu fréquentée lors des faits. On ne compte donc que six personnes, dont une que l’on ne voit pas. Le kiosque, dans sa distance, offre comme un écho aux vitupérations du capitaine, et mets en valeur, souligne le silence ambiant sur lequel s’appuient les sons et voix qui nous parviennent. La présence ou non d’arbres est à ce stade peu importante, et gênerait presque la non-évolution sur scène des per12
sonnages. Nous percevons indistinctement l’architecture, nous ne sommes pas certains de la présence d’arcades ou bien de galeries, de l’usage du bois ou bien de la pierre. Mais une forte aridité domine dans les rapports entre les différents caractères, appuyée par la placidité passive du cocher du gharry : la scène sera sèche, nue, aride. Et pourtant truculente. Mais, ailleurs dans le récit de Lord Jim ou d’autres œuvres, la même sensation domine, et nous sommes en mesure de percevoir tel morceau de tôle rouillée : il est devant nos yeux, nous pouvons le toucher, et voir l’eau qui perle à sa surface. Les frondaisons de la jungle sont là, et nous sentons de loin leur touffeur. Ou la fraîcheur des Andes, avec sa végétation rase. C’est tous nos sens qui sont, de manière permanente, en éveil. Le manque d’information sur les décors n’en dessine que plus ses contours, de l’ambiance générale jusqu’au détail le plus signifiant. Notre peau est sans cesse mise à l’épreuve par de nouvelles sensations, et nos yeux découvrent, dans un recoin, un nouvel élément enrichissant le récit et l’impression qu’il produit sur nous (« seuls les détails sont importants », pourrait-on presque dire, en reprennant Debray). Parce que nous nous enfonçons toujours plus dans les méandres de l’âme humaine, nous ne pouvons pas ne pas être entraînés dans les méandres du lieu qui abrite ou accueille cette âme. Comme support, certains choisissent un fond uni, sobre, neutre ; Conrad au contraire nous prend avec lui et nous fait visiter les coulisses, ce sans quoi rien ne pourrait avoir lieu. Parfois ce sont les lieux qui en disent long sur les personnages : nous avons ici le contraire. Mais seulement initialement. Car à leur tour, les lieux, décrits discrètement par Conrad, et que nous construisons magistralement, parlent des personnes.
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Animaux Bagnole, libellule, moto Piéton - passant-, chien, rat Camion, camionette et trottinette Mobylette pêt-pêt. Métro. Tous vont et viennent et se tournent autour.
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Fréjus – Saint-Raphaël – Cannes Fréjus n’est pas au bord de la mer. Je l’ai appris lorsque je suis arrivé, un soir de novembre, à la gare de Fréjus, en voiture, sur mon chemin vers Cannes. J’étais parti de Paris le matin, pour me rendre dans le Sud, pour une semaine. Les aléas faisant, mon trajet s’est finalement révélé assez complexe, par rapport à l’habituel Paris-Cannes en TGV, ou encore en train de nuit. J’avais dû prendre un TGV de type Ouigo à la gare de Marnela-Vallée, en direction de Montpellier. Puis, arrivé à SaintRoch, traverser la ville pour rejoindre un covoiturage sur le parking d’un McDonald’s, à direction de Fréjus. De là, il ne me restait plus qu’à prendre le train, un régional, sur son trajet côtier, pour atteindre Cannes. Même si la traversée de Montpellier avait été assez chaotique, en raison d’une panne sur le tramway dans une ville que je traversais pour la première fois, nous avions réussi à rattraper notre retard, et sommes arrivés à une heure tout à fait correcte à Fréjus. Vers 20 heures. J’étais parti de Paris il y avait déjà plus de dix heures. Seulement, à Fréjus, des travaux de modernisation sur les voies font qu’en cette période, l’horaire de passage du dernier train est décalé. Avancé. A avant mon arrivée. 17
C’était assez stupide, car la conductrice du covoiturage dans lequel j’étais m’avait proposé quelque instant auparavant de me déposer à Saint-Raphaël, où des trains circulent jusque tard. J’avais refusé, arguant de ma certitude de trouver un train, et elle venait tout juste de repartir. Apparemment, il ne me restait plus qu’à marcher jusqu’à Saint-Raphaël. Après avoir demandé à un passant s’il existait une autre alternative, demande à laquelle il a répondu par la négative, une jeune femme m’a rejoint, m’expliquant qu’elle se trouvait dans la même situation, à la différence qu’elle devait se rendre à Nice. Au moins ne serions-nous pas seuls. Il a fallu que nous demandions notre chemin à différentes personnes, et toutes semblaient relativement peu assurées quant à la marche à suivre : - « Traversez la vieille ville, oui, par-là, et allez à la gare des autobus, il devrait encore y en avoir. » - « Non, il n’y a plus d’autobus, ça, j’en suis sûr. Mais je ne sais pas comment vous pouvez faire. » - « Descendez, passez sous le pont, tournez à droite, euh, non, à gauche… » Jusqu’à ce que nous tombions finalement sur un couple dont la femme disait faire le chemin de temps à autres. A pied. Il semblait que ce fut la première personne à utiliser ses pieds que nous rencontrions. Même son compagnon réfléchissait en termes de circulation automobile. S’il avait pu nous faire prendre la rocade et le contournement, il l’aurait fait. Nous nous retrouvions donc avec un itinéraire longeant la mer – la mer, c’est mieux, nous avait expliqué notre guide – ; mais il fallait déjà rejoindre la mer. Ce n’était cependant pas bien compliqué, à peu près tout droit. Et, une fois la mer atteinte, il suffisait de la suivre, de la longer. Rejoindre la mer, déjà, prenait un certain temps. Et Fréjus, pas plus que Fréjus-Port, ne sont des lieux très 18
agréables en morte saison, d’autant plus après la tombée de la nuit. Alors que je connais bien plus les villes du Sud, cette ambiance étrange m’a pourtant fait penser à ces villes balnéaires du Nord, hors-saison, vides. Mais de jour. Alors que nous étions là de nuit. Il n’y avait que des logements vides et sombres ; pas de commerces, ou fermés. Et nous marchions le long d’une seule et même route, ou rue. Une rue-route perpendiculaire à la mer, une rue-route vide, le long de laquelle passait parfois une voiture, à une vitesse assez élevée, permise par l’absence de vie. C’était une route de campagne en plein hiver, c’était tout aussi vide. Il n’y avait pas un chat, c’est bien le cas de le dire. Si, parfois, nous avons pu observer un restaurant ouvert. Vide, si ce n’est le personnel. Aux fenêtres des villas et petits immeubles alentour, pas une lumière. Et cette rue ne change pas. Elle reste la même, uniforme et lancinante, jusqu’à ce que nous finissions par sentir un changement dans l’odeur, dans l’air. L’iode, l’approche de la mer. Confirmé peu après par des immeubles un peu plus hauts et un peu plus laids. Nous arrivons juste derrière ce qui est appelé « le port », oui, à Port-Fréjus. Une abomination comme j’espère que l’on en a peu fait. Il s’agit d’une excavation a priori artificielle créée perpendiculairement à la ligne de côte, et qui coupe donc le littoral en deux. Arrivés à l’endroit où elle brise cette ligne, nous devons donc contourner l’ensemble du port, ce qui nous donne tout loisir d’observer les magnifiques exemples d’architecture qui l’enserrent, parsemés de tristes néons, agrémentés de vitrines éteintes, et rythmés de loin en loin par des musiques vides sortant de bars vides. Le tout en tournant autour de mesquines petites embarcations de plastique, fatiguées, même, de faire clapoter l’eau contre leurs flancs. Plutôt que de continuer le long de la côte, pour devoir ensuite revenir de nouveau dans l’intérieur, nous décidons de prendre une parallèle, en retrait de deux rues. 19
Enfin, je décide. Ma compagne de promenade suivait docilement, sans dire un mot, émettant seulement de temps à autre quelque son, accroissant encore ce sentiment de vide, d’état semi-végétatif dans une ville fantôme. Cette nouvelle rue était encore plus triste que la précédente. Encore plus moche, aussi. Portée par des résidences fermées bas de gamme. Fermées aussi bien en raison de leur aspect, de leur nature, que de l’impression particulière qu’elles dégagent en cette saison. Y-a-t-il véritablement des gens, des êtres humains, qui les ont dessinées ? Je serai bien incapable de dire le nom de cette rue. Sur les dix minutes que j’ai dû la suivre, parues une bonne demi-heure en raison du la monotonie et de cette compagnie silencieuse, je n’y ai pas vu une seule plaque. Le postier connait-il l’adresse ? Du courrier arrive-t-il seulement ici ? C’est triste à en mourir. Nous changeons de rue. Pour prendre une autre parallèle, un peu plus en retrait. Une parallèle qui longe la voie ferrée, nous rapprochant symboliquement de notre but. Au moins le talus est-il envahi par des herbes folles, et çà et là poussent quelques arbres. Nous arrivons enfin au croisement d’une rue dont quelques petits immeubles semblent dater du début du XXème siècle, signe que nous approchions d’un centre. Un peu plus loin, un bar-restaurant, pour la première fois à peu près engageant. - « Pour la gare, quel chemin devons-nous prendre, s’il-vous-plaît ? » La gare se trouvait à tout juste deux pâtés de maisons. Elle était là, presque devant nous, brusquement toute proche, comme surgie de nulle part, alors que durant tout le trajet elle paraissait si lointaine et comme inaccessible. C’est avec la plus grande lassitude que nous fîmes les derniers pas. *** 20
Le prochain train était en théorie un TGV. Mais il avait trente minutes de retard. Le nouveau-prochain devenait donc un TER. Quarante-cinq minutes plus tard. J’allais dîner dans un des plus chers et plus mauvais restaurant chinois que j’ai pu voir. En revenant, le TER avait lui aussi trente minutes de retard ; toute la ligne était désormais touchée : il n’y a qu’une voie par sens. J’allais donc revenir au TGV. Peu après, le retard passa à cinquante minutes. *** J’arrivais finalement à Cannes à onze heures trente.
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Terrasse Langueur de la ville au soleil et sous la pluie. Pourquoi nous promènerions-nous ? Asssieds-toi, asseyonsnous donc à une terrasse, à regarder les gens passer, pressés ou déambulants. Ils se promènent pour nous, nous amènent tant de choses, et nous emmènent ailleurs encore.
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144 av de Flandre - Métro Quatre Chemins 11 octobre 2013 - 1 Toujours-déjà-jamais vu. Corentin Cariou Stratification Poutargue en français, bottarga en italien. Le roi de la boutargue. Fruits et légumes et bouchons. Scission. Echappée à droite. Soleil à droite. Gauche : brique + train Devant : bouchon + train Tour : porte ? Limite ? Va-t-il y avoir un changement ? Chien dans l’herbe mouillée. Horaire du matin, travaux du matin. Pont moins gai. Pas refait. TGV. On quitte Paris ? Personne ne veut quitter Paris, tous veulent y rentrer. Le nez dans ma cigarette, je ne sens rien. Mais rumeur, klaxon, grincement, roulement, sirène. Sous le pont, c’est ce qui se fait de mieux. Pont passé. 1ères désaffections, 1ères herbes folles. Feuilles mortes et bières éparses. Chemin sauvage pas sauvage monte le talus du train. Prostituée ? Odeur forte. Couvre la cigarette. Algérie. 25
Multiplication des possibles. Paris déborde cependant : Glazart 2 ponts, 3 ponts, 4 ponts. Gazon, parterre de laissé-pour-compte. Pavé. Petits et gros. Parc. Fréquentation ? Berlin-Est. Herbes sauvages et hautes, traversées de chemins spontanés. Largeur et rétrécissement. Hôtellerie cheap. Commerce ? Entre bretelle et bretelle. Années 60-70. Par où passent ces gens que je vois ? Passages secrets. Occupation diurne et nocturne. Criée aux poissons. Italie fasciste, grenier toscan. Ligne de voitures à vendre. Spontané et organisé. Changement de département, changement de revêtement de sol. Avenue-route. La richesse du quartier se joue, plus qu’à Paris, dans les transversales. Discount. Ameublement. Grande diversité du bâti sur une période assez resserrée. Hauteur, style, retrait, forme. On voit le ciel. Possibilité de respirer, mais on ne s’arrête pas. Bon, les magasins sont encore fermés. Trou noir, tunnel garage. Immeuble en chantier. Bancal. « La ville de demain » Grande surface grande. On respire. Dans le café, on continue à mettre ses merdes par terre. Garage des Deux Communes. Vente en gros. Terrain potentiel ? Projet ? Projet ANRU. Cour en arrière, place en arrière, marché en arrière. Tout est caché ou presque. 26
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02:26 La brume a tout enveloppé. Seule une ligne de points, halos lumineux, indique les directions à suivre. Heureusement, parfois, la ville s’éloigne, et finit par disparaître. Je vais la suivre.
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Illustrations Page 8 : Via Caracciolo, Naples, au mois de juillet. Photo Arthur François Page 14 : Lee Marvin, dans Le Point de Non-Retour (Point Blank) de John Boorman (1967) Page 22 : le port de Palerme, à l’aube, un 31 décembre. Photo Arthur François Page 28 : Campagne siennoise, en décembre. Photo Arthur François Couverture : illustration Arthur François
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Réalisé dans le cadre du cours « Écrire les lieux » de Catherine Zaharia. ENSAPLV - Janvier 2014