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ABONDANCE

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VITRY-SUR-SEINE Vol. 01 Num. 000 1er FEVRIER, 2009

NOTRE MEDIA VOUS EMMENE LA OU VOUS N’AVEZ AUCUNE CHANCE D’ALLER

OU TOUT ARRIVE LE MEME JOUR

L’ESPACE PUBLIC DE L’EVENEMENT Temps personnel Images public. Économies de l’image.

EDEN 005 -- IMPRESSION JET D’ENCRE SUR AFFICHE DOS BLEU - 320X240

THE WORLD Réseaux d’îles artificielles pour milliardaires en villégiature à Dubaï Images du paradis à travers l’Histoire et mondialisation L’image du paradis, telle que les sociétés l’ont formée en Occident, ne change pas. Le lieu du bonheur parfait demeure le jardin, un espace clos, dans lequel la nature a été maîtrisée par la main de l’homme, où tout chante les louanges d’un créateur et est convenu d’avance. L’homme travaille sans peine ni souffrance, il vit nu et éternellement jeune, le temps n’existe pas pour lui dans la forme moderne du temps régulier ou temps réel. Tout s’écoule

en un rythme séculier, la frontière entre l’homme et la femme, et l’homme et l’animal, est fragile, mais élastique et ferme ; c’est une haie, un bosquet, une coquille souple comme une peau vite déchirée, un lien ténu. Tout s’ouvre sans risque connu, tout s’épanouit sans peine. Eve peut bien être la moitié d’Adam, cette moitié charnelle est aussi peu limitée que l’homme à partir duquel elle a été conçue. Puisque ni Adam ni Eve ne détiennent la mesure des événements qui lient leur sort l’un à l’autre, ni l’un ni l’autre n’éprouvent de peine à s’estimer mutuellement, à cultiver la terre et à domestiquer des bêtes. Le travail, en tant que moyen pénible, souffrance nécessaire pour parvenir à une fin (celle de la reproduction de l’espèce, celle des plantes à cultiver ou des

bêtes à élever), n’existe pas pour eux, parce qu’Adam, en tant que créature installée par Yahvé dans l’Eden, est ce qui permet à Yahvé de voir et de se représenter le monde qu’il s’est créé ; en ce sens, Adam est, dans la Bible, supérieur aux anges. Au XII° siècle, pour le sufi andalous Ibn ‘Arabi, Adam était la pupille dans l’œil d’Allah et la clé permettant à Allah d’ouvrir son trésor . Nous assistons, avec Ibn ‘Arabi et le soufisme, à une métaphysique de l’immanence qui trouvera en Occident ses plus ardents défenseurs dans les personnes de Leibniz et de Bergson : cette idée que l’homme est vibration de matière, comme Dieu (Bergson), et qu’il a besoin de Dieu pour être, comme Dieu a besoin de l’homme. Continue page 2

PLENTY RUD MAGNA

BEAU FIXE, TEMPS MORT, MATCH NUL, PUR PRODUIT, PRODUITS TOXIQUES, PLUIES ACIDES, CATASTROPHE NATURELLE, RECHAUFFEMENT PLANETAIRE, VENTS CONTRAIRES, PROGRAMME

INTERROMPU…CERVEAUX DISPONIBLES, BLING BLING, CERCLE VICIEUX, ECRAN TOTAL, PROJET PHARAONIQUE, GRANDES FORTUNES, CAPITALISME ESTHETIQUE, MILLIARDAIRES FAIR, DANSE MACABRE…ALLER

VOIR, VOIR VENIR, FAITS DIVERS, MENACE TERRORISTE, TERRAIN MINE, NEGOCIATIONS GELEES, AVION FURTIF, DEGATS COLLATERAUX, AFFAIRES CLASSEES, GAME OVER…PARACHUTE DORE, OR NOIR, ECHEC

INDUSTRIEL, SOLDES MONSTRES, CRASH FINANCIER, GREVE GENERALE, FONDS SOUVERAINS, PATRONS VOYOUS, TRESOR PUBLIC, QUARTIERS SENSIBLES, PARADIS FISCAUX… ENOUGHCILIQUISISL

PALM ISLAND - INSTALLATION - GRAVIER PEINTS

ABONDANCE DE MANQUES Que peut-on dire sur l’abondance en pleine crise financière? Que peut-on dire sur l’abondance quand, de tous côtés, experts, d’économie comme d’écologie, ne parlent que de manque, d’argent et de matières, premières, forcément premières... A quand la crise des matières secondes? A moins que seul ce dernier marché puisse échapper à la crise? Lorsque les matières, tout comme l’art, auront leur premier et leur «second marché», celui où l’on fait les affaires les plus lucratives sur les oeuvres des artistes posthumes.. Dans le marché de l’art, un bon artiste est un artiste mort, sauf cas d’espèces. Il ne reste qu’à anticiper le second marché des «matières mortes», quand tout le pétrole aura brûlé et que plus aucune crise financière ne sera de taille à en faire Continue page 3


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...THE

Au IV° siècle avant Jésus Christ, le taoïste Tchouang-tseu décrivit (ou imagina ?), dans son Œuvre, la société des premiers hommes, qu’il nomma les hommes célestes. Selon lui, les hommes célestes vivaient jadis en harmonie avec le Ciel et la Terre, et n’avaient nul souci du lendemain. L’espace, sur lequel ils habitaient, était fermé, sans rapport ni commerce avec les hommes éloignés de leur terre comme de leur horizon. Leur société était primitive et vivait en vase clos, en ostracisme : « À l’époque régnait la vert parfaite, les hommes marchaient posément. Leurs regards étaient droits. En ce temps-là, il n’y avait ni sentier ni chemin dans les montagnes, ni bateaux ni ponts sur les eaux. Les hommes se multipliaient et vivaient à l’endroit même où ils étaient nés. Les oiseaux et les quadrupèdes se groupaient ; les herbes et les arbres croissaient librement. Une mince attache suffisait pour amener ces animaux à la promenade. On pouvait grimper jusqu’au nid des corbeaux et des pies pour les observer. » Quel rapport, ici, entre la société des hommes célestes, le paradis et The World, ce nouveau réseau d’îles artificielles construites au large de Dubaï ? Quel rapport, en premier lieu, entre le paradis tel que la bible l’a décrit et la société des hommes célestes ? La société des hommes célestes, dépeinte par Tchouang-tseu dans son Œuvre, n’est pas surnaturelle et, s’ils sont divins, leur pouvoir ne dépasse pas celui de l’homme ordinaire. S’ils vivent au paradis et s’ils sont le paradis, comme Allah pour Adam, s’ils sont le tao, l’origine du monde, cette origine, quelque invraisemblable qu’elle puisse être pour les contemporains de Confucius, de Tchouang-tseu ou pour nous-mêmes, ne fait l’office d’aucun culte. S’ils sont vénérés par les sages chinois, leurs actions n’ont rien de remarquable ni de merveilleux, mais demeurent le plus souvent cachées, secrètes et prêtent, par là même, à confusion. La société des hommes célestes ne permet donc pas aux profanes de chanter des épopées et de perpétuer, par une cérémonie, de hauts faits. Ce qu’il y a d’extraordinaire avec l’origine du tao, c’est qu’elle n’a rien d’extraordinaire et que les ancêtres qui la composent n’ont pas décidé des fondements de la société chinoise. Nous sommes donc bien loin du Continue page 4


...THE WORLD mythe magique des origines, de cet Urzeit ou Temps d’avant le temps, dont parlent Roger Caillois dans L’homme et le sacré et Mircea Eliade dans Aspects du mythe. L’Urzeit, cette genèse commémorée au nouvel an par nombre de sociétés primitives et par les religions du Livre, n’induit plus de cérémonies, de fêtes, de carnavals ni de potlatch. Selon Tchouang-tseu, le tao semble trop énigmatique, car non merveilleux, non ésotérique, non magique, et son enseignement par trop anarchiste pour être admis par la société chinoise de l’antiquité. À l’origine, affirme Tchouang-tseu, l’homme se confondait avec son environnement comme le poisson dans la vase, le gris était couleur locale et les hommes avaient le goût du fade. Nous sommes, en l’occurrence, bien loin de la conception judéo-chrétienne du Paradis ou de The World à Dubaï ; nous sommes pourtant, avec Tchouang-tseu, étrangement proches de la représentation moderne de l’homme des premiers temps, plus proches encore, me semble-t-il, avec Tchouang-tseu, que le mythe du bon sauvage de Montaigne et de Rousseau (Le bon sauvage, lui, était encore bon). So far away, so close. Avec la représentation taoïste du premier homme, nous sommes confrontés à une pensée nescientifique , une Nescience qui, elle, a des fondements anthropologiques et philosophiques, de cette pensée nomade et rhizomique propre aux sociétés proto-agricoles. Telle pensée, Abel davantage que Caïn, Héraclite plus que Parménide, Deleuze et Gattari plus que Heidegger ou Baudrillard, n’a pas de cadre ni d’enclos et échappe donc à l’Histoire des courants et des idées. Elle est le saut, la pensée en acte dont parlait Deleuze. Contre la philosophie du plan et du territoire, Deleuze écrivait à ce sujet dans Différence et répétition : « Tout autre est une distribution qu’il faut appeler nomadique, un nomos nomade, sans propriété, enclos ni mesure. Là, il n’y a plus de partage d’un distribué, mais plutôt répartition de ceux qui se distribuent dans un espace ouvert illimité, du moins sans limites précises. Rien ne revient ni n’appartient à personne, mais toutes les personnes sont disposées çà et là, de manière à couvrir le plus d’espace possible. Même quand il s’agit du sérieux de la vie, on dirait un espace de jeu, une règle de jeu, par opposition à l’espace comme au nomos sédentaire. » Telle est la représentation contemporaine du paradis.

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Le paradis n’est pas The World ni l’Eden de Dante ou de Péguy, une carte du monde réduite aux caprices touristiques d’un milliardaire, d’un armateur, ou le rituel d’une ethnie ou d’une religion, mais elle est flux, trajet, éthique de la dispersion. Le paradis n’est pas non plus une utopie, ou l’Utopie, ni l’impossible ou l’Impossible, mais un non-lieu réduisant la realpolitik en un jeu de sorcier et en la farce du fou. Le paradis est rumeur, Révolution électronique de Burroughs et l’anamnèse dont parle Mircea Eliade dans Aspects du mythe. L’histoire des religions, l’anthropologie, l’ethnologie et la poésie peuvent être des avatars amenant à cette anamnèse un lecteur éclairé. Nous pouvons nous reconnaître en l’homme des grottes de Lascaux et, tel Pierre Guyotat, le recréer à travers l’écriture ; l’évolution des sciences historiques nous permettent aujourd’hui cette anamnèse. Telle anamnèse est un antidote contre l’idéologie néolibérale et la mondialisation. Ce qu’il y a de manifeste, dans l’Histoire du XX° siècle, et ce depuis dada, c’est la façon dont les hommes ont su s’affranchir des discours dominants en créant leur propre réseau international et leur propre culture. Il s’agit d’inventer de nouvelles règles du jeu et de nouveaux antidotes, que l’on nomme cela Ecologie comme Gattari, Ecosophie comme Beuys, Tao, Zen, Fluxus, La Mère folle, Potlatch, psychogéographie, punk ou dada, il s’agira toujours d’une lutte pour pouvoir les inventer et pour nous laisser les inventer.

Bruno Lemoine

La sagesse des prophètes, Ibn‘Arabi, Albin Michel, Paris : 1974. L’œuvre de Tchouang-tseu, in Le taoïsme. Unesco, 1969. Le grand livre du mois, Saint-Amant-Montrond : 1997. Pp. 185-186. Je poursuis ma citation de Tchouang-tseu, quelques lignes seulement ont été enlevées, mais… « Sur quoi survinrent les saints. Ils firent effort pour pratiquer la bonté et se tendirent vers la justice et ainsi le doute apparut sous le ciel. La musique ayant amolli les hommes, lesriteslesayantdissociés,ladiscorde apparut sous le ciel. » P. 187. Voilà pour la Nescience. L’œuvre de tchouang-tseuétaitlelivredechevet d’Henri Miller, puis il y eut Kerouac, Ginsberg, Filliou… On parla à leur sujet de clochards célestes. Nota : Albert Cossery est mort il y a quelques mois… Il y en a d’autres encore en vie (mais un disciple ne donne pas les noms de ses gurus), il y enaurad’autresaprèsnous…Rienne se perd, tout se transforme... Lire à ce sujet Lipstick Traces.

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... MANQUES

baisser le prix, dès lors qu’il sera sanctifié comme objet muséal, rare, et donc artistique... A l’ère du règne du marché, l’art se conjugue toujours et encore avec la rareté, pas l’abondance.. Y a -t-il quelque chose ou quelqu’un hors du marché ? C’est en substance la question que pose Barbara Kruger lorsqu’elle porte ses guêtres d’artiste là où le marché se pare des signes de l’abondance, dans ce temple de la consommation qu’est le «super marché». Royaume du «Plenty « où semble s’offrir la profusion: «Plenty shoud be enough».. but it’s not... Dans ce jeu du «plenty» dont la traduction littérale est plutôt la «suffisance» que la logique de l’abondance, il n’y en a jamais assez. Qu’on soit privé du nécessaire par manque d’argent, ou qu’on ai tout juste assez d’argent pour rentrer dans la course à la consommation, le ressort de la course, c’est le manque, encore et toujours. Le pouvoir d’achat, c’est la méthadone de la société de consommation qui produit du manque et de l’addiction. Restent les vraies pénuries, elles aussi entretenues, celles où les

manques sont sévères, pour que les consommateurs se tiennent tranquilles et n’aspirent qu’à monter dans l’échelle où on atteind le seuil des drogués qui ne manquent que de ce qu’ils croient désirer et ne serait plus de l’ordre du besoin. Mais est-ce vraiment dépasser l’ordre du besoin que de se hisser un cran plus haut dans le manque? Abondance-leurre et pénurie ne sont que des machines célibataires produisant du manque à la louche. Les manques, c’est pire que les trains, ça cache toujours un autre manque. Preuve que ce n’est pas si vide, un manque: en son creux, bric à brac des objets du désir, brocante où l’amateur de manque cherche «l’objet rare».. Logique de collectionneur, toujours à la recherche de «l’objet rare»: qui pourrait imaginer un collectionneur d’abondance? L’objet du désir: ce dont on va priver les autres, en se l’accaparant, pour que surtout il ne circule pas, pour qu’il ne soit pas partageable. La vraie abondance, c’est quand le partage est mutiplicateur au lieu d’être dans la logique de pénurie et de manque du déshabiller Pierre Continue page 6

TIME - PHOTOGRAPHIE CONTRECOLLEE SUR ALUMINIUM - 215 X 400 cm


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ZOOM DIVIN

... MANQUES

P u b Ta x a A s s u r a n c e s , G o o g l e E a r t h , T h e Wo r l d ( D u b a i ) Les mass-médias ne sont pas seulement un instrument de propagande idéologique et politique, ils ne sont pas seulement un outil de manipulation de la conscience critique, influençant les intentions de vente et de vote, signalant ce qu’il faut penser et acheter, assimilant l’esprit à un enjeu marketing, tel le téléphone portable faisant de la communication une billevesée ou l’appareil numérique transformant l’image photo de nos proches en un bibelot. Toute une métaphysique est à l’œuvre derrière les non-dits, des prêtres se cachent, n’osant avouer leur sacerdoce, des médiateurs, hommes de radio, de télé, de communication, qui inventent pour nous des cosmogonies, mondes n’ayant plus de rapport avec nos sociétés, univers déconnectés du quotidien des masses, spectateurs pratiquant, malgré eux, la messe, fidèles inconscients, avalant, jour après jour, le flux tendu des visions des gurus.

La Planète bleue (1 sec.) Traversée de la couche d’ozone de la Planète bleue (0,3 sec.) Vue plongeante sur le continent américain (0,1 sec.) Nuages (0,1 sec.) Nuages (0,1 sec.) Les gratte-ciels de New York vus d’en haut (0,2 sec.) Des nuages (0,1) Un quartier de New York (0,1) Un nuage (0,05) Un homme-lambda (0,1) Sommet du crâne de l’homme-lambda (0,1) Le cuir chevelu de l’homme-lambda ; l’épi de cheveu de l’homme-lambda (0,1)

– C’est d’abord une sphère dans un anneau (2 sec.)

– Traver sée d e la tête d e l ’h o mm e -lamd a, comme S ph è re -mic ro cor resp ond ant à S p hère -M ac ro (0, 1)

Puis le Zoom devient percée (0,25 sec.),

– Traversée du microcosme de l’homme-lamba –

– Le Zoom est l’œil de l’aigle, la traversée des apparences, l’Œil omni-ventri-plénipotent du dieu blanc. – Le Zoom divin de l’aigle blanc et fasciste plonge dans l’anneau qu’il s’est lui-même confectionné, pour voir le monde qu’il s’est fait mariner sept jours (0,25 sec.) Le Zoom va plus vite que la lumière et découvre des galaxies qui avancent devant lui, comme la Béatrice de Dante tirée par un Griffon (1 sec.) Puis, jets d’étoiles aveuglantes alentours, tels les rais des lumières rouges, blanches et vertes lors du dénouement de 2001 l’odyssée de l’espace (2 sec.) Un trou noir (0,5 sec.)

Pluton, Neptune, Saturne, etc. (1 sec.)

Et maintenant, vous louez un espace sur la carte Google Earth. Vous êtes une institution, une association, une communauté ou un particulier et vous louez un espace visible par tous sur la carte Google Earth. Vous voulez montrer l’identité des criminels sexuels dans une ville de Floride, et Google Earth devient la carte du monde des criminels sexuels dans une ville de Floride. Vous voulez montrer l’identité des criminels à Chicago et les lieux où ils agissent, et Google Earth devient la carte du monde des criminels de Chicago et des lieux où ils agissent.

pour habiller Paul. Miracle des petits pains: l’abondance, féconde, naît du partage. Mais quand des artistes s’essayent à cette performance évangélique, «plenty» n’est jamais «enough» . Alors que peut faire un artiste, aujourd’hui, en matière d’abondance, dans cette société de consommation où nous sommes tous des «addicts»? Peut-être, ressortir, de la «boîte à Kant», cette vielle idée: le plaisir libre? B. Krugger pointait, déjà, que le plaisir chasse le désir . Le plaisir libre, c’est celui qui fait l’économie du cortège des manques dont le désir tisse sa toile. c’est celui qui surgit à l’improviste, dans un espace temps où l’on est soustrait à l’impatience de ses manques. Les artistes contemporains sont-ils en mesure de créer des dispositifs pour nous prouver qu’il existe des plaisirs qui ne soient pas des addictions? Parfois, au détour d’une récréation , d’une installation... Tout d’un coup les gens se mettent à parler, à jouer, presque comme s’ils étaient libres, comme dans un espace-temps au ralenti où on a oublié la course à qui montera plus haut dans l’échelle des manques. Le seul problème, c’est que quand l’artiste a réussi, les visiteurs, encore happés par la mémoire de ce dispositif, n’ont plus qu’un mot: encore...

Le derme (0,1)

Isabelle Rieusset-Lemarié

L’épiderme (0,05)

«Barbara Kruger: PLENTY SHOULD BE ENOUGH» (Interview Rainer Fetting), in db artmag: «And that is exactly what Barbara Kruger has been doing since the late ’70s. She wanted her messages to penetrate thecyclesofconsumerismandgoods, «to enter the marketplace,» as she explained in 1999, «because I began tounderstandthatoutsidethemarket there is nothing—not a piece of lint, a cardigan, a coffee table, a human being.» cf. la video de Barbara Kruger, Plenty (2008), à la quelle fait référence le titre del’installationd’AlfredGharapetian, «Abondance», réalisée en janvier 2009 dans la ville de Vity-sur-Seine. Dans cette vidéo, entre des images de produits de grande consommation, se décline la phrase «Plenty should be enough». cf. «LA BELLE ABONDANCE», Culinary and street performance around a wood burning field kitchen. Creation 2004./../It takes two hours and a half for five to cook with loving care a delicious dish to be shared with the audience. /.../They all do their best but are sometimes overcome by their incompetence and awkwardness to create with love a simple recipee shared generously with the public (vegetable soup, hot chocolate, fruit compote, toasted sweet bread...). La Belle Abondance has delighted the eyes, ears and taste buds of the public about forty times. cf. V. Gorner, F.T. Moll, H. Wagner, B. Kruger, Barbara Kruger: Desire Exists WherePleasureisAbsent,Kerber,2007. cf. L’espace récréationnel de rikrite tiravanije, pavillon d’accueil du parc

Des veines (0,05) Des vaisseaux (0,05) Des globules (0,05) Des molécules (0,2) SLOGAN TAXA ASSURANCE LE SPECTATEUR EST LE ZOOM TRANSCENDANT DANS L’ŒIL DIVIN DE L’AIGLE BLANC ET FASCISTE VOUS ETES LE ZOOM TRANSCENDANT DANS L’ŒIL DIVIN DE L’AIGLE BLANC ET FASCISTE PLUS BESOIN DE GURUS PLUS BESOIN DES SUTRAS L’ANAMNESE EST A PORTEE DE ZAP

– La voie lactée (0,2 sec.) Le système solaire (1 sec.)

Vous avez la carte du monde dépliée devant vous, ou le globe sphérique, la Planète bleue à genoux, attendant vos ordres, Vous plongez sur New York, tel le cosmonaute dans 2001 sautant dans sa capsule, un 11 septembre, Vous explosez, telle une bombe lancée par Nixon au Chili, un 11 septembre, Vous êtes en pleine simulation de viol, Vous inventez le terrorisme transmental.

Et maintenant, avec Google Earth, vous choisissez le lieu sur lequel le Zoom transcendantal doit plonger.

Et maintenant, vous avez les moyens de vous payer une villa sur The World, vous êtes un milliardaire et vous voulez votre place sur les îles artificielles représentant la carte du monde, à Dubaï. Vous voulez une villa sur une île de The World représentant l’Europe, mais il ne reste plus que l’Afrique, et vous n’aimez pas le tiers-monde, vous ne voulez pas du tiers-monde. Alors vous faites monter les enchères, et les émirs de Dubai font monter les enchères. Vous dites que vous n’êtes pas un sale nègre, que vous n’avez rien d’un sale nègre ! Vous déclarez que vous voulez votre place au soleil et que vous aurez votre place au soleil ! Il y a du soleil pour vous et il n’y a pas de soleil. Il n’y aura jamais assez de soleil pour vous. Vous êtes le soleil. AMEN Bruno Lemoine


PLAY - PAUSE SUR PLAYGROUND L’Abondance d’Alfred Gharapetian glisse sur des réalités que nous explorons tous, chaque jour. Quelle est la place de l’image dans nos vies? Quels sens, quelles interprétations lui donner? De quelle source provient-elle? Peut-on encore la voir, en plus de la regarder, ou quelqu’un s’en occupe pour nous? En creux, bien entendu, il nous parle du pouvoir de l’image sur nos consciences, et sa capacité à produire une fiction à partir d’un matériau réel. Une fiction pour se substituer aux faits, une mise en récit des évènements, ce qu’on appelle également le storytelling. Aucune surprise à cela. Après s’être emparé des techniques de marketing, le storytelling vampirise depuis quelques années la communication par l’image. Et ce sont les cartes de l’information qui s’en trouvent redistribuées. Le cœur de l’événement disparaît au profit d’une approche plus spectaculaire, plus féconde en dramaturgie. Dès lors, la compréhension reste suspendue dans le vide.

Cette image manipulée, Abondance en est traversée de toute part. Dans Eden et la succession d’images récupérées chez les voyagistes censées produire une idée positive du dépaysement (en réalité, des clichés convenus mêlant palmiers, soleils et centres de vacances); dans RawMaterial©Extralight, pour lequel l’artiste a réalisé deux diaporamas montrant plusieurs séquences de foules anonymes en défilé. Ces foules qui, par instants, au gré de subtils enchaînements vidéos, s’affichent au moment où apparaissent des leaders aussi emblématiques que Bush ou Jean-Paul II. Etrange raccourci des images, d’autant que ces derniers surgissent au milieu d’une foule cette fois-ci conquise. Etrange encore, au vu de ces images que Gharapetian a estampillé d’un copyright, preuve symbolique qu’elles appartiennent à tous et sont (ou devraient être) la propriété de chacun. A la lecture complice de l’image, Gharapetian substitue de l’ironie, véritable poste avancé d’une

critique qui s’étale en plusieurs temps. Le deuxième acte pourrait être l’installation échelle réduite d’un Palm Islands de Dubaï. Si la métropole qatari est le nouvel avatar du capitalisme mondialisé, les îles artificielles en sont l’émanation la plus caricaturale et partant, la plus séduisante. Une véritable métaphore du paradis terrestre conçu comme des îlesghettos et entretenant l’idée d’un monde qui clive ses réalités. D’un côté la richesse et l’abondance. De l’autre la pauvreté et la pénurie. Avoir plus pour désirer plus en somme: l’abondance serait-elle la dernière possibilité de réenchanter le monde? Et l’île de l’abondance permet-elle de le réenchanter ou de s’en échapper ? Au contraire, vouloir à tous prix rejoindre ce nouvel Eden n’est-il pas un moyen de convertir au modèle unique le dernier bastion de virginité topographique ? Le paradis postmoderne est décidémment difficile à déchiffrer. A croire que le désenchantement a pris le pas. Que le pragmatisme a dépouillé les dernières illusions. Les différentes temporalités à l’oeuvre

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dans l’exposition pourraient le suggérer. La séquence image par image de l’explosion de l’horloge à Hiroshima en 1945 (Time), celle des fumées échappées du World Trade Center (AT&T), c’est la seconde tragique qui atteint l’éternité. Sur un autre tempo, l’accélération des images de Eden, le manège inépuisable du logo d’Al Djezira, les va-et-vient du tunnel de Breath Light, c’est la boucle incessante d’une ritournelle patinée par l’hypermédiatisation. Difficile d’échapper à la vacuité de l’entertainment, au play-pausereplay des images ou aux narrations préprogrammées. En découpant les images (ou les logos, ce qui revient au même) en les décortiquant, les séquençant, en faisant tourner, défiler, clignoter, Alfred Gharapetian allume des contre-feux et rend possible la critique à l’intérieur même du système. Non pas tellement pour réenchanter le monde, plutôt pour comprendre d’où vient notre désenchantement. Emmanuel Posnic

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N°000-Editée pour

Abondance

Alfred Gharapetian 9 janvier – 1er mars 2009 tous les jours (sauf lundi) 14h à 19h Galerie municipale 59, avenue Guy Môquet Vitry-sur-Seine .

Co n c e p t i o n g r a p h i q u e - A l f r e d. G h a r a p e t i a n . C r é d i t s p h o t o g r a p h i q u e s - S y l v a i n . Le fe u v r e . Fl o r e n t . Fa g u e r . É d i t é e p a r l ’ I m p r i m e r i e d e l a Vi l l e d e V I T RY- S u r - S E I N E


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