13. couleurs oubliées, la couleur historique

Page 1

couleurs oubliées couleurs rêvées ...vu de l’atelier


culture morte, Culture morte nature morte...


l’inspiration Pourquoi le temps a-t’il fané certaines couleurs plus vite que d’autres ? Pourquoi certaines teintes ont-elles disparu à jamais de l’usage et du langage courant ? Pourquoi n’existent-elles plus dans l’imaginaire collectif ? Le besoin s’en est-il estompé ? La couleur a-t’elle simplement vieilli, est-elle passé de mode ou n’a-t-elle pas suivi l’évolution de la société ? Il en va des couleurs comme de toute chose, certaines meurent ou disparaissent, moins chanceuses ou moins utiles que d’autres. Il est vrai aussi que bon nombre d’entre elles sentent franchement leur ancien régime et que la révolution en a balayé plus d’une… Nous revoilà donc plongés dans ce XVIIIe siècle idéalisé où le luxe, le raffinement et la sophistication des modes de vie influencent même le nom des couleurs. Celles-ci se parent du nom précieux des artistes, des peintres et des favorites, des engouements, des caprices et des modes du moment… tout un art de vivre et de penser qui illumine l’esprit et glorifiera le siècle des Lumières.

la respiration Mission ardue et passionnante du coloriste, retrouver, ranimer, faire revivre des couleurs perdues de vue ou tombées en désuétude. Chaque page de ce cahier présente l’étalon d’une couleur oubliée, telle qu’A3DC l’a retrouvée, mémorisée ou a pu la concevoir, la reformuler. Du temps suspendu, un voyage dans le passé, comme une respiration hors de notre époque… à la recherche de couleurs fanées, perdues dans la nuit des temps, oubliées en chemin et dont il est utile de dresser l’état, comme un conservatoire salutaire d’un pan de culture en voie de disparition...


les beiges oubliÊs Blanc de Chine, Blanc des Indes, Blanc de fil, Blanc de lait, Blanc d’argent, Tristamie, Fleur de seigle,


Couleur de rat, Singe mort, Gris de Payne, Gris de lin, Gris d’été, Fleur de pêcher, Ventre de nonnain

ventre-de-biche Tout droit venu de la chasse, et sans doute de la chasse à courre, ce blanc roussâtre parle de lui-même. Il s’inspire bien évidemment de la peau tendre du cervidé auquel il est courant de prêter toutes les vertus de délicatesse, de douceur et de soyeux. Décrétés par ordonnance du roi, l’habillement et les drapeaux de la monarchie sont codifiés en couleur : les régiments de dragons et de troupes françaises portent, au XVIIIe siècle, veste ventre-de-biche à double boutonnière, boutons d’étain sur bois godronnés, bonnet ventre-de-biche bordé de pluche bleue, ceinturon de bronze… De cet usage de la guerre, la couleur ventre-de-biche gardera une place de choix pour désigner la codification des uniformes en vénerie, des habits de chasse, pour la classification des couleurs de chevaux, en référence aux zones claires du ventre, des flancs et du museau de certaines robes animales. «Les maisons de Madrid sont bâties en lattes et briques et en pisé, sauf les jambages, les chaînes et les étriers qui sont quelquefois de granit gris ou bleu, le tout soigneusement recrépi et peint de couleurs assez fantasques, vert céladon, cendre bleue, ventre-de-biche, queue de serin, rose pompadour et autres teintes plus ou moins anacréontiques ; les fenêtres sont encadrées d’ornements et d’architectures simulés avec force volutes, enroulements, petits amours et pots à fleurs, et garnies de stores à la vénitienne rayés de larges bandes bleues et blanches, ou de tapis de sparterie qu’on arrose pour charger d’humidité et de fraîcheur le vent qui les traverse».

Théophile Gauthier, Visite à Madrid (1845)

Couleur des cheveux de la Reine, Minime, Cendre gravelée, Gris d’épine, Gris de Maure, Drab


les ivoires oubliés Éburné, Queue de serin, Couleur d’aurore, Flave, Espagnol malade, Espagnol mourant, Merdoie, Nankin,


Jaune de momie, Faute de pisser, Fleur de soufre, Beurre frais, Jaune Mérimée, Jaune persan, Couleur d’or

Isabelle Un blanc jaune… ou plutôt jauni ! Au printemps 1491, les Chrétiens reprennent les hostilités contre Grenade, occupée par les Arabes, avec une armée puissante de dix mille cavaliers et de quarante mille fantassins. Le 26 avril, la reine Isabel de Castille jure de ne se baigner et de ne changer de vêtement qu’à la prise de Grenade. Ce n’est que dans la nuit du 1er au 2 janvier 1492 que quelques fonctionnaires castillans entrent secrètement dans Grenade par un chemin peu fréquenté. Au petit jour, Grenade livre les clés de l’Alhambra, la ville tombe à la chrétienté. La légende raconte que la couleur isabelle vient de celle qu’avait prise le vêtement de lin blanc d’Isabelle la très Catholique, après 10 mois d’hostilités... Le souvenir de ce linge sali aux manchettes noircies est encore bien vivant dans le vocabulaire des couleurs des robes de chevaux : isabelle désigne une monture beige ivoire avec des crins et l’extrémité sombre de ses membres. Rose thé, Caca-Dauphin, Jaune de graine, Mal de pisser, Jaune de gaude, Couleur de Judas, Auréolin


les jaunes oubliés Queue de serin, Couleur Espagnold’Aurore, malade, Faute Espagnol mourant, (1781), Jaune de graine, Queue de Serin, Eburné, de Pisser, JauneCaca-Dauphin de Graine, Caca Dauphin (1781),


Nankin Nankin dont la fondation remonte à 495 avant J.-C. est l’une des plus anciennes villes de Chine du Sud, sur le Yangzi Jiang, le fleuve bleu. Des missionnaires jésuites français y implantent un comptoir au XVIIe siècle et apprécient une toile de coton épaisse, à armure de satin et au tissage serré et solide, fabriquée localement. En souvenir de sa fabrication originaire de Nankin, la toile, par la suite fabriquée en Inde, puis en Europe, arrive par la Méditerranée sous le nom de toile de Nankin. Elle est utilisée dès le XVIIIe siècle en Provence et choisie en confection masculine pour ses qualités de robustesse. Le nankin compose jusqu’au XIXe siècle l’uniforme militaire par excellence (marine, infanterie, cavalerie). Il conquiert alors le vêtement utilitaire, solide, résistant, et il est de bon ton de porter gilet, pantalon ou veste de Nankin. Du nom de la toile, le vocabulaire s’enrichit d’un nom de couleur et nankin devient un adjectif. Sa couleur dont la nuance varie beaucoup, est d’un jaune entre l’abricot et le chamois, comme un souvenir du vêtement de peau qu’il a progressivement remplacé. S’ils forment la jeunesse, les voyages forment également les goûts et les couleurs... «On dînait à 7 heures, et peu après, le général se rendait chez l’Empereur, il y passait presque toutes les soirées. L’Empereur le faisait souvent demander et quelquefois même, la nuit. Lorsque le général s’y rendait, il était toujours en tenue, c’est-à-dire qu’avec un habit bourgeois, un gilet de piquet blanc, une cravate noire, un pantalon de drap bleu ou de nankin, il mettait des bottes à l’écuyère. C’était une étiquette de l’Empire.». Etienne Bouges, Souvenirs napoléoniens de Sainte-Hélène Faute de thé, pisser,Ambre, Jaune Pastel, de gaude,Jaune Couleur de Judas, d’oie, Jaune Jaunede Mérimée, Jaune persan Rose de graine, MalMerde de pisser, gaude, Couleur de Judas, Auréolin


les jaunes oubliés Queue de Serin, Eburné, Couleur d’Aurore, Faute de Pisser, Jaune de Graine, Caca Dauphin (1781),


espagnol malade L’histoire médicale de la fièvre jaune observée chez les compagnons de Christophe Colomb, lors du second voyage en Amérique a visiblement beaucoup inspiré les teinturiers. On sait aujourd’hui qu’il s’est agi du premier choc microbien de l’ère moderne. L’historien de l’époque, Herrera, raconte la scène : “De la peste ou d’une fièvre jaune causée par la grande humidité du pays, les visages des conquistadors étaient devenus d’une couleur jaune de safran, ce qui leur donnait la couleur de l’or que les Espagnols avaient été demander à ses pays éloignés. La plupart des Espagnols tombèrent malades et tout d’un coup, dans l’été 1494, par l’effet de l’air, il en mourut une grande quantité. Francisco Lopez de Gomara, dans son histoire générale des Indes occidentales, appelle “azafranados“ (les ensafranés), ces Espagnols des premiers temps de l’occupation de la nouvelle Espagne. L’apparition de la fièvre jaune coïncide avec l’arrivée des Espagnols, elle n’y existait pas auparavant chez les indigènes et la conquête fut l’origine de son explosion. D’espagnol malade à espagnol mourant, le registre chromatique des teinturiers a profité de ce choc des cultures pour considérablement s’enrichir… Rose thé, Ambre, Pastel, Jaune de graine, Mal de pisser, Jaune de gaude, Couleur de Judas, Auréolin


les roses oubliÊs Couleur de rose pâle, Rose Pompadour, Oeillet rose, Vermeil, Incarnat, Carnation, Cerise vive, Incarnadin,


Doigt de mort, Ocre de chair, Doigt de rose

nacarat Corruption sans doute du mot incarnat (dans le Dictionnaire de l’Académie royale des Sciences de Paris, l’Art du fabricant d’étoffes de soie), nacarat est décrit comme “un rouge vif exalté par un jaune beaucoup plus vif que le cramoisi“. Agrippa d’Aubigné parle de nacarade en 1630… De l’espagnol nacarado qui vient de nacar, la nacre, nacarat tire sur le rouge de la nacre de perle. Un rouge entre cerise clair et orangé très doux, tirant légèrement sur le rose, avec des reflets nacrés, ceux de la carnation, blancheur rosie de la peau ou fraîcheur du teint clair. Diderot précise dans le Règlement des manufactures et teinturiers de laines d’août 1669 que “les nacarats, appelés de bourre, sont teints de gaude & de bourre de poil de chèvre, fondue avec la cendre gravelée & il est défendu d’y employer le fustel“, un colorant jaune provenant du sumac. Nacarat ne s’applique donc pas seulement à la couleur des soies mais aussi à celle de la peau nacrée qui s’intimide et s’empourpre. Le rose est très pâle et très doux, le rose porcelaine d’un teint de lait. Subsistance outre-Manche, les anglais utilisent le mot carnation pour désigner la fleur d’œillet, ce qui donne une indication sur la qualité de ce blanc rosé très tendre, égal au vermeil de la peau claire. “Elle voulait ne pas paraître embarrassée, mais elle sentait que le plus vif incarnat colorait ses joues“.

Madame de Genlis

“L’Aurore aux doigts de rose les eût trouvés pleurant sans l’idée qu’Athéna, la déesse aux yeux pers, eut d’allonger la nuit qui recouvrait le monde : elle retint l’Aurore aux bords de l’Océan, près de son trône d’or“.

Homère, L’Odyssée

“Mademoiselle Pontal perdit un petit ruban couleur de rose & d’argent déjà vieux. Beaucoup d’autres meilleures choses étaient à ma portée; ce ruban seul me tenta, je le volai…“.

Jean-Jacques Rousseau, Les Confessions.

Pluie de rose, Couleur de feu fin, Péché mortel, Couleur de chair tendre, Aurore, Cuisse de nymphe émue


les oranges oubliés Orange de Mars, Orange persan, Maure doré, Mordoré, Gomme gutte, Gomme de Xanthan, Roussard,


carthame La carthame ou chardon jaune d’Egypte est une fleur de Méditerranée, de la famille des asters. Appellée également safran des teinturiers, elle contient un colorant orangé, la carthamine, à la fois dans ses fleurs et dans ses fruits, riches en graines oléagineuses. Le pistil rouge orangé de la carthame sert parfois de remplaçant au safran, puisque la carthamine depuis toujours colore les tuniques des bonzes bouddhistes. Les pistils donnent aussi une couleur orange pâle à la nourriture. Elles sont fréquemment vendues aux touristes sous le nom de safran, en Hongrie ou en Afrique du nord (et probablement dans beaucoup d’autres régions du monde, puisque le propre de l’autochtone est de tromper le touriste). La valeur des fleurs en tant qu’épice est presque nulle mais leur qualité de colorant justifie l’utilisation comme plante tinctoriale. Bien que les fleurs sèches de carthame apparaissent de temps en temps dans les préparations d’herbes mixtes méditerranéennes, elles ne sont typiques d’aucune cuisine, à l’exception de citations dans les livres de cuisine de Géorgie. Les fleurs de carthame pourraient également être celles du souci ou les pétales de l’œillet d’Inde. Aucune de ces fleurs n’a davantage de saveur ni davantage d’intérêt. Nulle difficulté, dans ces conditions, à comprendre que la couleur ait disparu dans la nuit des temps… Tango, Flamme, Carthame, Maroquin, Feu, Safran bâtard, Orange du Cambodge, Orange de cadmium


les rouges oubliés

“Madame Matifat qui avait voulu se donner un air digne, dansait coiffée d’un turban et vêtue d’une lourde robe ponceau lamée d’or, toilette en harmonie avec un air fier, un nez romain et les splendeurs d’un teint cramoisi“. Honoré de Balzac, César Birotteau

Alizarine, Andrinople, Aniline, Incarnat, Garance, Kermès, Ecarlate, Rouan, Rubescent, Sang


ponceau Dans l’Encyclopédie, celle de Diderot et d’Alembert, ponceau est ce “rouge foncé qui fait une belle couleur de feu. Les étoffes & les rubans de soie teints en ponceau sont d’un prix considérable. Les rubans d’Angleterre de cette couleur sont fort estimés & ne peuvent guère être imités ni pour la teinture ni pour la fabrique, dans les rubaneries des autres nations.Cette couleur a pris son nom de la fleur du ponceau qui n’est autre chose que le petit pavot commun, appelé traditionnellement coquelicot et qui croît naturellement dans les blés & dont la couleur est d’un parfaitement beau rouge“. Ponceau qui désigne ce rouge vermillon vif, flamboyant et lumineux de la floraison du pavot, fut une teinte extrêmement en vogue au début du XVIIIe siècle en France. On ne saurait mieux dévoiler ici l’éphémère d’une couleur aussi fragile et fugace que cette floraison furtive de printemps, en rappelant comment le coquelicot ne peut être cueilli sans faner immédiatement. Ponceau disparaît dès le milieu du XVIIIe siècle, remplacé par le bleu devenu soudain et pour toujours, la couleur européenne par excellence.

Dragon, Couleur de Feu, Cramoisi, Ratine, Ponceau faux, Cochenille, Cinabre, Gueules, Amarante


les violets oubliés Evêque, Pourpre, Caput mortuum, Tête de mort, Violet de Solferino, Violet de Mars, Bois de campêche,


Prune de Monsieur, Maurelle, Orcanette, Giroflée, Violet de Hollande, Violet de bois d’Inde, Muscat

zinzolin Emprunté à l’italien giuggiolena ou à l’espagnol cinzolino signifiant “sésame“, c’est à partir de la graine de cette plante qu’ on obtient une teinture violette, d’un beau violacé rougeâtre et délicat. Zinzolin, c’est ainsi qu’on nomme une des nuances du rouge de garance, qui tire un peu sur le pourpre. Le souvenir de cette couleur est conservé grâce au registre des couleurs de teintures en tapisseries et manufactures initiées par Colbert. De même, le recueil des Descriptions des Arts & Métiers, par l’Académie des Sciences de Paris (1774), établit le savoir-teindre des fabricants d’étoffes de soie de l’époque : zinzolin y est un beau violet rouge obtenu grâce aux teintures de cochenille. Une autre francisation du nom a proposé un temps l’emploi de gingeolin mais le mot est lui aussi tombé dans l’oubli, encore plus vite que l’italien zinzolin et plus vite encore que la couleur elle-même.

“L’eau du fleuve toute remuante, toute vagueuse où les lueurs d’émeraude & les lueurs de rubis des bateaux semblent y mettre les ondes bigarrées d’une étoffe zinzolin“. Jules & Edmond Goncourt, Journal (1894)

Violet de Bayeux, Violet de folium, Violet d’orseille, Lavendé, Violet de tournesol, Couleur de veuve réjouie


les bruns oubliés

Couleur de Constipé, Singe envenimé, Couleur de rat , Ombre de Turquie, Sépia, Feuille morte,

“Elle était vêtue d’une robe de faille couleur puce qui crissait à tout mouvement.“ André Gide, Si le grain ne meurt...

Puce se pare à la fin du XVIIIe siècle de toutes les variations liées à l’imagination des teinturiers : tête de puce, ventre de puce, ventre de puce en fièvre de lait, dos de puce, jeune puce, vieille puce, cuisse de puce, puce enamourée… Feuille morte, Lavallière, Oeil du roi, Dos de cerf, Terre de Cassel, Boue de Paris, Terre d’Ombrie,


Jus de Prune, Merde d’Enfant, Opéra brûlé, Opéra Tison, Feu d’Opéra, Mordoré, Nègre, Nég’ Marron

ventre de puce

A partir de 1770, l’anglomanie fait des ravages à la cour de France… Lassée du classicisme strict à la française, jugé ennuyeux, Marie-Antoinette s’entiche de tout ce qui vient d’Angleterre, une mode plus simple, plus naturelle, libérée des carcans : jardins à l’anglaise, courses de chevaux, redingotes et robes à l’anglaise (on abandonne les paniers pour les tournures), chapeaux et coiffures (la perruque est délaissée, afin de rester en cheveux)… et la fameuse couleur puce ! Durant l’été 1775, Marie-Antoinette porte une robe très simple de taffetas aux sombres reflets brun violet devant Louis XVI qui s’écrie en la voyant : «Oh ! C’est la couleur des puces !». Le nom resta et toute une année, on ne porta que des falbalas couleur puce, déclinés selon les savantes nuances des teinturiers. La mode extravagante de ce brun violacé foncé est lancée par la Reine et la formule du Roi fait sensation. Aussitôt les élégantes voulurent s’habiller de cette couleur si particulière. La vogue s’étendit jusqu’aux hommes et déboula dans tous les secteurs de la création : mobilier, coiffure, mode, faïencerie et porcelaine, décoration intérieure… Les Anglais y voient, un peu circonspects, la couleur de l’insecte écrasé, gorgé de sang que la souveraine adore. Ce sera une couleur emblématique de l’époque Regency, à un temps où l’on se dit citoyen du monde, cosmopolite, ouvert aux autres et aux échanges des modes. Le souvenir de cette couleur est conservé grâce au British National Trust…

Terre de Sicile, Ombre de Cologne, Oreille d’ours, Terre d’ombre de Chypre, Couleur de selle à dos,


les marrons oubliÊs Couleur de pain bis, Castagna, Bouse de vache, Biste, Ficelle, Fiente, Ris de Guenon, Pain d’Epices


Couleur de constipé, Singe envenimé, Merde d’oie, Couleur de boeuf enfumé, Singe mourant, Singe mort

bureau Dans le perpétuel balancement entre substantif et qualificatif de la couleur, entre l’objet et son apparence colorée, l’adjectif et le substantif de la couleur bureau méritent que l’on s’y attarde un peu... La bure est un tissu de laine assez grossier, une toile dans laquelle les hommes ont toujours confectionné des sacs et des vêtements. On rappellera ici que Saint François s’était, au grand scandale des bien pensants, mis à nu sur la grande place d’Assise, afin de bien marquer qu’il ne voulait plus garder un atome de vêtement venant de la société matérialiste de son temps. Nu, François prit un sac de toile de bure et s’en recouvrit : ce fut le premier froc franciscain. La toile de bure devenait ainsi le vêtement de l’ascèse, le tissu grossier des soutanes, des froqués et des robes de religieux. Bure est à l’origine du mot bureau. Puisque cette étoffe bureau, c’est-à-dire d’un brun naturel, recouvrait une table de travail, le mot a progressivement et par métonymies successives, désigné la table elle-même, puis la pièce où elle se trouve, puis un lieu de travail administratif en général, voire une administration ou l’institution ellemême. Et ce serait sans parler de l’ancien prénom français Bureau, un prénom porté par les lettrés, ceux chargés de travaux d’écriture, d’enluminure ou de copie, et notamment les moines eux-mêmes... Si la toile de bure peut revêtir différentes couleurs, allant du marron rouge aux bruns foncés, la couleur bureau désigne un beau brun chaud et naturel. A l’instar de celui du bois dont on fait les meilleurs bureaux...

Couleur de pain bis, Pain d’épices, Ris de guenon, Bistre, Bouse de vache


les verts oubliés Sinople, Prasin, Smaragdin, Vert de vessie, Vert d’Antioche, Vert d’Aubusson, Vert de Saxe,


Vert de Sèvres, Vert d’Armor, Vert de montagne, Vert d’Artois, vert d’huître, Glauque

céladon Honoré d’Urfé narre dans l’Astrée, long roman-fleuve de plus de 5000 pages, publié de 1607 à 1628, l’histoire contrariée des amours de Céladon et d’Astrée dans la Gaule du Ve siècle. Dans ce récit courtois, Céladon est un jeune berger épris d’Astrée. Celle-ci le repousse qui s’imagine qu’il la trompe. Désespéré, il se jette dans les eaux tumultueuses d’un torrent. Le courant l’emporte et le noie. Les dieux, en hommage au disparu, appelleront Céladon un des fleuves thessaliens bordant le Parnasse, la colline sacrée. De cette mythologie galante, une couleur de vert clair tourmenté d’écume, vitreux, un peu voilé et translucide restera dans la mémoire des précieux et des gens de lettres. Et c’est parce que le roman est écrit à une période où les produits Qingci des ateliers chinois de Longquan font fureur en France que la couleur des porcelaines chinoises fut rapprochée de celle des vêtements de Céladon, toujours représenté vêtu de rubans vert torrent. La couleur est restée, reprise dans le monde entier, un céladon ressenti «comme des nuages verts saisis dans un tourbillon de glace» selon les lettrés chinois. Un vert de même glaçure que le beau vert glauque dont on a peine aujourd’hui à penser qu’il était un compliment, lorsque l’on louait la couleur glauque et magnifique des yeux d’ Athéna, la déesse. “Je suis priée d’un bal et je me voudrais leste, singulière et brillante. Je suis lasse des couleurs pleines. “Rien n’est plus aisé» dit la suivante, et elle toucha gris de perle, avec un clair-obscur qui ne ressemblait à rien, et dit : “Voyez, Mademoiselle, comme cela fera bien avec votre coiffure de la Chine, votre mantelet de plumes de paon, votre jupon céladon et or, vos bas cannelle et vos souliers de jais; surtout si vous vous coiffez en brun, avec votre aigrette de rubis“. Denis Diderot, Les Bijoux indiscrets Vert d’Iris, Pers, Vert viridien, Vert de mer, Vert d’osier, Vert de terrasse, Vert naissant, Vert grec


les bleus oubliés Bleu turquin, Bleu mourant, Bleu Nattier, Bleu Chardin, Cendre bleue, Bleu céleste, Bleu oriental,


Bleu grec, Couleur du roi, Bleu d’Egypte, Azurin, Céruléen, Safre, Bleu Guimet, Bleu céleste, Cérulé

bleu turc Le 21 mars 1721, l’Ambassadeur turc, Mohammed Effendi, ainsi que toute la suite ottomane en délégation, arrivent par l’entrée ouest du Jardin des Tuileries. Il vient présenter ses lettres de créance au jeune roi Louis XV dont la Cour est installée à Paris, au Palais-Royal. Cette entrée comprenait une chevauchée, parfaitement mise en scène, qui amusa beaucoup les badauds et impressionna les courtisans. Par la suite, l’Ambassadeur de l’Empire du Milieu dont le pays était un allié de la France, fut reçu par le Roi au palais. Sa longue redingote d’un bleu inconnu surprit autant que le bleu de l’uniforme de ses janissaires. La mode de l’exotisme et des turqueries s’empara de ce bleu oriental, paré de toutes les vertus. Le bleu turc devint à la mode. Il fut repris en décoration intérieure, objets décoratifs et faïences vernissées, entre le bleu lapis de la porcelaine de Chine et le cobalt du bleu de Delft. Souvenir de ce bleu turc, le bleu turquin de la céramique d’Iznik, à la belle couleur foncée et savamment grisée, en garde fidèlement la mémoire.

Pastel, Guède, Bleu de fève, Barbeau, Smalt, Tekhelet ou bleu biblique, Bleu de Turquie, Perse, Indigo


les noirs oubliés Noir de pêche, Noir d’ivoire, Noir de pêche, Noir de laine, Noir de vigne, Noir de campêche, Noir de vase,


noir d’os

Le noir d’ivoire, au-delà de l’oxymore, nous met sur la bonne voie… il s’agit bien d’obtenir un noir profond à partir d’une matière première blanche. C’est ainsi que les os frais d’animaux, de préférence longs et cylindriques, furent calcinés puis broyés en une fine poudre ajoutée à un liant. Os dégraissés et râpés de mouton, d’éléphant, de rhinocéros, de cerf dont les andouillers sont particulièrement appréciés… ont ainsi enrichi les palettes de l’Egypte ancienne et de la Grèce antique. Rien n’interdit de penser par ailleurs que le noir d’ivoire fut à l’origine utilisé dans les premières représentations picturales de l’art rupestre, vu sa permanence, sa stabilité, son fort pouvoir couvrant et colorant. L’une des dernières utilisations de ce noir animal remonte au XIXe siècle, lorsqu’il fut intégré à une recette inégalée de cirage anglais, à bien faire sécher puis à polir. La pratique de ce charbon d’os, appelé aussi noir de Cologne, a évidemment disparu… sauf en Asie. L’os calciné serait encore l’un des ingrédients secrets de la recette d’une encre de Chine souple, profonde, soyeuse et lisse. Le noir d’os n’est plus en Europe, politiquement correct… Ténèbre, Imperator, Noir de noix de galle, Oeil de mouche, Rubican, Veuve éplorée, Noir de suie , Niger

avis de recherche

Noir de Mars, Noir de Maure, Corneille, Ministre en faveur, Noir ultime, Outrenoir, Racleur de cheminée


couleur couleurs perdues En revanche, il semble bien que certaines couleurs soient définitivement perdues, faute de traces ni dans la peinture ni dans la décoration intérieure. «Vin turquoise, orangé, feuille morte, isabelle, zinzolin, couleur du roi, minime, triste-amie, ventre de biche ou de nonnain, amarante, nacarade, pensée, fleur de seigle, gris de lin, gris d’été, orangé pastel, céladon, astrée, face grattée, couleur de rat, fleur de pêcher, fleur mourante, vert naissant, vert gai, vert brun, vert de mer, vert de pré, vert de gris, merdoie, jaune paille, jaune doré, couleur de Judas, d’aurore, de serin, écarlate, rouge sang de bœuf, couleur d’eau, couleur d’Ormus, argentin, singe mourant, couleur d’ardoise, gris de ramier, gris perlé, bleu mourant, bleu de la fève, gris argenté, couleur de sel à dos, de veuve réjouie, de temps perdu, flammette de soufre, de la faveur, couleur de pain bis, couleur de constipé, singe envenimé, ris de guenon, trépassé revenu, Espagnol malade, Espagnol mourant, couleur de baise-moi-ma-mignonne, couleur de péché mortel, couleur de cristalline, couleur de bœuf enfumé, de jambon commun, de souci, de désirs amoureux, de racleur de cheminée, couleur de vérolé, jus de nature…», ce teintier qu’énonce consciencieusement Agrippa d’Aubigné dans les Aventures du baron de Faeneste (1619) semble bel et bien définitivement enterré. Listées pour se moquer de la folle excentricité des élégantes à la recherche de nouvelles teintes de bas et de rubans, ces couleurs n’ont-elles d’ailleurs jamais existé autrement que dans l’esprit fantasque d’un singulier écrivain ? Quoi qu’il en soit, la littérature seule, si elle est en mesure de nommer la couleur et d’en fixer le souvenir, est impuissante à la décrire, à l’établir, à la normer. C’est une partie du patrimoine que l’on oublie, perdu à jamais et dont seule, l’écriture garde l’ombre.


couleur + couleurs retrouvées La perte de certaines couleurs anciennes n’est pas toujours irréversible, certaines reviennent à la surface, à la faveur d’un grattage d’enduit ou d’un badigeon qui les recouvrait, à un décapage précautionneux d’une couche plus moderne. C’est le travail régulier d’A3DC dans ses études de coloration du patrimoine, de centres historiques, de villes anciennes, de retrouver certaines couleurs historiques encore exhumables... D’autres couleurs ont également la chance de vivre et de survivre en Angleterre où l’enregistrement et la gestion des couleurs historiques sont une affaire d’état. Le British National Trust a pour mission la défense et la valorisation du patrimoine historique, y compris l’étalonnage, le classement et la protection des couleurs du passé, telles que relevées dans les lieux les plus emblématiques du pays. Les couleurs sont élevées outre-Manche au rang de patrimoine et certains industriels britanniques de la peinture industrielle y ont trouvé une source d’inspiration et de légitimité sans égal qui fait aujourd’hui fureur en Europe. C’est fort de toutes les dimensions culturelles de la couleur, son histoire, sa géographie, ses connotations, ses valeurs d’usage, ses habitudes sociologiques, avec un œil aiguisé sur tous les continents et toutes les époques qu’A3DC travaille, en connaissance de cause, ses projets de colorations, préconisant des recommandations affûtées et durables, parfaitement adaptées à un lieu et à une époque. Afin d’en respecter l’esprit et la lettre...


Il en va de la survivance de la couleur comme de la vie même. Certaines couleurs connaissent des engouements soudains, effet de mode ou caprice de diva, d’autres restent de grands classiques intemporels, d’autres encore apparaissent, nourries par les tendances, avant de replonger dans l’obscurité. D’autres enfin, ont disparu définitivement… Leur origine, leur secret de fabrication ou leur matière première se sont perdus : le murex et sa pourpre. Le jaune de cobalt et son pigment orangé inimitable, le rouge d’Andrinople et sa recette considérée comme un secret commercial majeur, percé uniquement au Moyen Age, qui mélangait urine, excréments, graisses rances, huiles et sangs d’animaux. La disparition de l’orseille, ce lichen précieux poussant sur la roche en bordure de Méditerranée et son violet magnifique. L’exploitation désormais difficile de la plus grande ressource mondiale de lapis-lazuli en Afghanistan, à cause de l’insécurité politique, le danger des biens et des personnes, les rudesses climatiques et les risques encourrus à s’y aventurer… D’autres couleurs se sont effacées avec le temps. Perdues, estompées, oubliées, fanées, dénaturées, effacées, recouvertes, badigeonnées… C’est la mission d’A3DC de retrouver en architecture les couleurs historiques, celles d’origine voulues et utilisées par le concepteur. C’est la mission d’A3DC de recenser les couleurs géographiques, celles liées aux matériaux de construction trouvés sur place, aux habitudes socioculturelles des bâtisseurs, au climat et à l’ensoleillement. C’est aussi une mission de conservatoire de la couleur que de recenser, enregistrer, fixer et établir des couleurs culturelles que le temps laisse de côté.


cap sur la couleur chaque époque a sa couleur… Tout comme les autres couleurs, ADC recense les couleurs anciennes, cherche à retrouver les couleurs du passé des lieux, s’inspire de l’histoire, des écrits, des peintures, des traités, des croquis… pour tenter de ranimer les teintes oubliées ou disparues. La plupart de ces appellations anciennes venant des créations de tisseurs ou des métiers du fil, au hasard des colorations obtenues par des bains de couleurs plus aléatoires qu’aujourd’hui, l’avenir de ces couleurs perdues est sans doute à rechercher du côté des ancestraux colorants naturels, à base de plantes tinctoriales. Le XXIe siècle montre un nouvel engouement marqué pour les teintures naturelles à base de plantes et autres végétaux, mousses et champignons. Depuis 30 ans, ADC qui a le sens et la culture de la couleur, note leur apparition, leur résurgence, leur fréquence, l’évolution de leurs qualités chromatiques, par secteur, par saison, par cible. Il enregistre leur succès, leur demande, leur rencontre avec un marché… parfois, leur échec, leur refus. Ce design de la couleur répond à un marketing de la couleur, une intervention nouvelle et sensible de décodage des envies, au service de l’entreprise, du produit industriel, de l’architecture et du cadre de vie.


Plus de trente ans d’expérience dans le domaine de la couleur appliquée à l’architecture et au produit industriel ont permis de mettre au point une méthodologie précise, pointilleuse qui alimente une banque de données inestimable et incomparable sur les habitudes socioculturelles de l’usage de la couleur dans le monde. Pays par pays, région par région, marché par marché… Pour conquérir de nouveaux consommateurs, éviter les faux-pas, connaître ses gammes de couleurs sur le bout des doigts, correspondre aux attentes des acheteurs où qu’ils se trouvent, les anticiper et y répondre, et assurer le succès du produit sur son marché, la couleur doit être conçue au plus juste. Aéroports de Paris, Principauté de Monaco, Arkema-RésinoPlast-PSA, cuisines Lapeyre, Tollens, Saint-Gobain GlasSolution, Zolpan, Ministère de la Culture-Direction du Patrimoine, Villes de Nîmes, Joigny,Viviers-en-Vivarais, Saint-Germain-en-Laye, Limoges, Châlons-enChampagne, Musée du Louvre, Villa Médicis, IQAP, Tefal, Groupe Seb, Rowenta, Krups, Calor, S.N.C.F., R.A.T.P., Thibierge & Comar, Zuber-Rieder, Beiersdorf-Nivea Beauté, Matra-Alcatel, Paris-Opéra Garnier, Faculté de Jussieu, Hôpital du Kremlin-Bicêtre, Hôpital Broca, Forum des Halles, Les Grands Magasins du Printemps, Hanty Corée, Hino Motors, Aga, Solmer, Sommer, Gerflor, Régie des Transports Marseillais, Oberflex, Skinplate, Emalit, Polyrey, MiraX, Akzo-Nobel Powder Coatings Polydrox, Selles-Céramiques de Touraine, Cycles Gitane, Taylormade, Facom, Toutlemonde-Bochart, Packard-Bell, Siplast, Peintures Lagae,Verrerie Aurys, Pradel Mirrors & Glass, Bianchini-Férier... nous ont déjà fait confiance.

atelier 3D couleur sensiblement différent

61, rue de Lancry 75010 Paris contact@a3dc.paris www.a3dc.paris Tel 01 42 02 34 86 Fax 01 42 03 27 73

graphisme vu par perrine Balleux

couleurs oubliées, couleurs rêvées...

la méthodologie


Turn static files into dynamic content formats.

Create a flipbook
Issuu converts static files into: digital portfolios, online yearbooks, online catalogs, digital photo albums and more. Sign up and create your flipbook.