Graines de pensée : pistes pour l’analyse d’images à travers quelques photopeintures.
Gabriela David
2005 - 2006
Remerciements
Je voudrais remercier spécialement : mon amie Letizia Amorosi pour son aide avec la diagramation et la mise en page, Violette Bernad, Amélie Queret et Claude Tuduri, (du CISED), pour leurs aide avec mon français, M.D.Danétis pour y croire toujours et finalement Gaston et toute ma famille pour me soutenir chaque jour dans ce long chemin de la création.
Sommaire PREMIÈRE PARTIE : Problématiques de la photo-peinture
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Photo-peinture : un hybride ? Une recherche amorcée dans mon mémoire de Maîtrise Les mises en abyme entre la photographie et la peinture L’hybridation à partir de la variation Regards croisés Greffe, perte et énergies : tout se transforme Ouvrir les œuvres à leur énigme Etablir des ponts entre les images Corpus et contraintes de ma démarche
8 11 13 15 17 19 23 28
DEUXIÈME PARTIE : Essai d’anthologie critique
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Félix Beato et ses images voyageuses Lucas Samaras ou le moi qui devient toi Arnulf Rainer ou l’éternel retour de l’artiste sur soi L’errance désirée de Tony Soulié Mon besoin de saisir sur le vif les expériences éphémères La boîte noire de Witkin, ou la vulnérabilité d’une chair qui crie Candice Breitz une agitatrice de nos préjugés esthétiques / conventions visuelles Voulez-vous être la cible de Shirin Neshat ? Carmen Calvo ou le choc de multiples temporalités Dans la dualité des choses, trouver ma langue L’ouïe dire de Man Ray ou les multiples tonalités d’une passion Duane Michals ou la reformulation du printemps Vincent Verdeguer ou la « greffe » comme métaphore d’une peinture revitalisée Gabriela David ou le temps d’un futur intérieur Les images dans l’écriture de François-Marie Banier Magela Ferrero : détourner vers l’extérieur la violence des émotions Au jour le jour ou rien n’est par hasard Détails et mystères de la photographie de Mario Marotta Mon voyage aux fleurs et aux couleurs Le plein et l’incomplet
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TROISIÈME PARTIE : Des pistes pour l’analyse d’images
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Des pistes pour l’analyse d’images Inventer un ouvre-boîte à image Une démarche fondée sur la transformation Pour une lecture future et croisée de la photo-peinture Bibliographie Annexes Table d’ illustrations Index des noms
74 75 78 83 88 91 92 94
44 46 48 50 52 54 56 58 60 62 64 66 68 70
PREMIÈRE PARTIE : Problématiques de la photo-peinture
Photo-peinture : un hybride ? Une amorcée de ma recherche antérieure.
En écrivant , je me suis rendue compte qu’il y avait plusieurs réflexions auxquelles, au fond de moi, je me devais d’accorder de l’importance, car à cette étape de ma vie, écouter cellesci m’était devenu nécessaire. Peut-être me fallait-il aussi un certain temps de latence pour apprendre, comprendre et surtout pour être prête à accueillir ces réflexions. Néanmoins, il est possible que nous soyons dépassés par nos propres créations, comme la philosophe et essayiste Sarah Kofman le dit : « L’artiste ne sait pas vraiment ce qu’il dit et dit plus qu’il ne croit dire1.» À propos des écrits sur l’art, Didi-Huberman avance : « C’est regarder, et c’est tenter d’écrire ce que le regard œuvre dans la pensée2.» Et pour moi ? Pour moi, le travail que j’ai fait en écrivant ce mémoire de Maîtrise répondait à cet aspect. Comment et pourquoi ? Parce que la mise en forme d’un écrit sur ma propre démarche artistique m’a fait réfléchir et mieux me connaître. Aussi j’espérais que cette recherche mixte serait utile à tous ceux qui voudraient la lire et qu’ils apprendraient ce qui se cache derrière l’acte créateur d’une photo-peinture. Malgré cela, « il est sûrement plus facile de parler de secret derrière les images que de savoir chaque fois de quel type de secret il s’agit ! 3» Dans ma recherche antérieure je cherchais à élaborer une dynamique générale entre les actes, les œuvres et la pensée de mon travail artistique. Les intentions de cette recherche étaient donc d’étudier et comparer la démarche de deux artistes, mise en regard avec ma propre pratique. J’ai commencé à interroger ma propre démarche artistique à partir de ma pratique plastique. Maintenant, après avoir eu cette chance d’écrire, j’ai compris par ma propre expérience
1. KOFMAN, Sarah, L’enfance de l’art, Une interprétation de l’esthétique freudienne, éd.Galilée, Paris, 1985, p. 79. 2. DIDIHUBERMAN, George, Devant le temps, Histoire de l’art et anachronisme des images, éd. de Minuit, collection « Critique », Paris, 2000, p. 228. 3. TISSERON, Serge, le Mystère de la chambre claire. Photographie et inconscient, éd. Belles LettresArchimbaud, Paris, 1996, p. 34.
l’intérêt de l’articulation dynamique entre la production des idées et leur critique dans tout processus de création. « Je peins ce que je ne peux pas photographier, je photographie ce que je ne peux pas peindre4 », affirmait Man Ray, tout en essayant de ne pas établir de hiérarchie entre ces deux domaines. « J’essaie tout simplement d’être le plus libre possible dans ma façon de travailler…5 » Je me suis approprié ses paroles, comme si elles étaient pas les miennes, étant donné que la « dissection » du langage de la photo-peinture est devenue le cœur de mon œuvre et le sujet de mon mémoire de Maîtrise. Je me suis donc efforcée de situer les problématiques, voire les questions-clés que je me suis posées avant et pendant l’écriture de ce livre. Pour les artistes ici présentés/analysés la peinture seraitelle devenue insuffisante au point qu’on doive lui ajouter aujourd’hui une photographie ? Inversement, la photographie ne se suffirait-elle pas à elle-même au point qu’on doive lui ajouter de la peinture ? La double perception qu’exige la photo-peinture est-elle viable ? Comment comprendre le concept de greffe souvent appliqué à la photo-peinture ? Comment surmonter la probable division en deux parties : d’une part la photographie et d’autre part la peinture, dans cette œuvre hybride nommée photo-peinture ? Est-ce qu’il y a des pertes ? Quelles sont-elles ? Ces quelques questions ont été à l’origine de mes observations.
4. VANCI PERAHIM, Marina, Man Ray 18901976, éd. Cercle d’art, collection Découvrons l’art du XXe siècle, Paris, 1997, p. 5. 5. Ibid p. 6.
J‘ai commencé cette recherche en élaborant une liste d’artistes qui font ou qui ont fait de la photo-peinture. Parmi ces artistes, j’ai privilégié l’analyse d’œuvres d’artistes vivants. Mon choix s’est porté sur Tony Soulié et Vincent Verdeguer. Leur démarche m’ayant attirée, j’ai choisi d’approfondir le contact et l’analyse de leurs œuvres. Comme ils habitent à Paris, j’ai préféré avoir un contact direct, les rencontrer dans leurs ateliers et pouvoir dialoguer avec eux en tête-à-tête. Cette chance d’une rencontre personnelle avec Tony Soulié et Vincent Verdeguer m’a enrichie et m’a confirmée dans ma propre démarche. L’analyse comparée de leurs œuvres et des miennes m’a permis aussi de mieux comprendre mon travail. La première partie de l’introduction a été consacrée à la mise en abyme de l’image photographique par l’intervention picturale. Il continue par la notion d’hyperimage et se termine par celle d’hybridation de la photo-peinture. Dans la deuxième partie ont été analysés les enjeux théoriques et pratiques de l’œuvre de ces deux artistes qui travaillent dans le champ de la photo-peinture en France aujourd’hui : Tony Soulié et Vincent Verdeguer. Le troisième chapitre a éré l’occasion d’une réflexion théorique sur ma propre démarche. J’y ai mis en évidence le fait que photographie est devenue un « coup de foudre», ainsi que sa nécessité dans ma pratique. Ensuite, j’ai réfléchi sur l’éphémère de la prise de vue, en relation avec le nomadisme et l’étrangeté. Puis j’ai trouvé le motif et ma série du défilé comme sujet métaphorique de ma propre condition d’étrangère. Cela m’a permis, finalement, de conclure que la peinture peut être comprise comme un exemple d’« aprèscoup ».
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Les mises en abyme entre la photographie et la peinture
Dans le premier chapitre de ma recherche antérieure, j’ai montré que les photographies tissent entre elles un réseau infini et ouvert, propre aux expériences et à l’itinéraire particulier de chacun. Á l’ère du numérique, cette capacité de mise en réseau de la photographie est illustrée et d’autant plus mise en relief d’une façon spectaculaire par les hyperimages6.. Une hyperimage est une image sur une page Web qui contient un lien vers autre chose qu’elle-même : image, texte, page, etc., voire vers d’autres médias. On les active en cliquant sur différentes parties de l’image. Un exemple d’hyperimage pourrait être une image du monde où l’utilisateur, en cliquant sur n’importe quel pays, se verrait transporté dans ce pays. Ce sont des images qui renvoient à d’autres images dans un jeu illimité. Ainsi les photographies deviennent plus que de simples images ; en nous renvoyant à une autre image ou à autre chose qu’elles, elles se transforment en hyperimages. Toutefois, le travail de mémoire et de mise en relation n’est pas propre à la photographie ni aux images numériques. Il se produit aussi par exemple à la vue d’un tableau. Le regard d’un tableau est conditionné et se nourrit aussi de tous les tableaux que nous avons déjà vus et peut-être réalisés.
6. L’analogie entre hypertexte et hyperimage est faite à partir du lien : http:// home.nordnet. fr/~yclaeyssen/
Qu’en est-il alors de la double perception, celle que nous devons mettre en place en regardant une photo-peinture ? Est-ce que la demande simultanée de la mise en abyme du réseau photographique et pictural est viable ? Mais qu’en est-il de la perception d’une photo-peinture ? Est-ce que la photo-peinture ne fait pas appel simultanément à un double réseau de photographies et de peintures ? Oui ; les deux réseaux sont sollicités en même temps et à partir de la même image. C’est sans doute cela qui déstabilise la perception de 11
l’observateur : la réunion simultanée de ces deux réseaux. Comment surmonter le risque de séparer la lecture de l’œuvre en deux perceptions disjointes ? C’est là que se situe certainement l’enjeu le plus exigeant de la photopeinture ; faire en sorte que l’œuvre ne se divise pas en deux, avec d’une part, la photographie et d’autre part, la peinture. L’homogénéité et l’unicité de l’œuvre sont presque toujours mises en cause. Il est ardu d’arriver à une justesse formelle, voire à une hybridation entre les deux médiums. La photographie et la peinture sont toutes deux mises en cause et en question. Tandis que l’hyperimage suppose une association d’images en réseau, dans la photo-peinture, l’enjeu (majeur) est que ces deux réseaux d’associations sont sollicités simultanément et à partir de la même image, et ensuite avec les autres images. Cela signifie qu’une photo-peinture induit l’expérience de lecture suivante : d’une part, la mise en réseau de la photographie avec toutes les photographies que le spectateur porte dans sa mémoire, et d’autre part l’activation de ses réminiscences picturales, toujours à partir de la même image. C’est la réorganisation de ces deux réseaux qui peut déstabiliser la perception. En résumé, dans la photo-peinture, deux réseaux plastiques coexistent et font appel à l’histoire des images photographiques et picturales que le spectateur a conservé dans son propre musée imaginaire.
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L’hybridation à partir de la variation
7 . BERNSTEIN, Leonard, The unanswered question, Six Talks at Harvard, Harvard University Press, Cambridge, Massachusetts and London, England, twelfth printing, 1999. 8. RUBY, Christian, Le champ de bataille postmoderne / néomoderne, Éd. L’Harmattan, Paris, 1990, pp.12-13, cité par Berthet, Dominique, Réflexions sur une esthétique de l’interaction, in Recherches en Esthétique n°5 Hybridation, métissage, mélange des arts, revue du C.E.R.E.A.P., octobre, 1999, p. 29.
Dans la photo-peinture, un autre concept à été pris en compte : celui de variation. Quand nous parlons d’une photo-peinture, la variation de la photographie se fait à partir de la peinture et la variation de la peinture à travers la photographie. Nous pouvons élargir notre compréhension en développant des mises en parallèle avec le concept musical de variation. Dans la musique, les thèmes peuvent être modulés sur plusieurs variations. Mais qu’est-ce que cette nouvelle variation ? Comment comprendre mieux cette variation dans les photo-peintures ? Pour le musicien et compositeur Leonard Bernstein, la variation est : « la violation de l’attente ». Nous attendons quelque chose mais un changement remplace ce que nous attendions. La violation de cette attente est la variation, «la violation est la variation7.» En ce qui conerne la photo-peinture, la variation se produit soit au moyen de la peinture, soit au moyen de la photographie. La plupart du temps, on s’attend à ce que la photographie tirée le soit d’après le négatif. Cependant lorsque cette reconnaissance n’advient pas, la variation qui apparaît représente une violation de la reproduction à l’identique (du négatif), voire aussi une violation de nos expectatives. Mais, ces variations produites nous donnerons de nouvelles versions de la photographie, où l’inclusion de la peinture formera une œuvre hybride. Voilà ce qui nous introduit à la question de l’hybridation. Hybride, terme emprunté au latin classique ibrida « bâtard, sang mêlé » fut altéré en hybrida par rapprochement avec le grec où hubris signifie: « excès, ce qui dépasse la mesure8.» Dans le dialogue qui s’instaure entre les arts : danse et théâtre, peinture et sculpture, peinture et photographie, installation, musique et vidéo, pour n’en citer que quelques-uns, les codes 13
se questionnent les uns les autres, se traversent, réagissent et remanient leurs frontières, arrivant à ce qu’aujourd’hui nous nommons « les inclassables ». Face à la question des limites, l’hybridation est une rupture assumée, un réservoir d’énergies créatrices, dont la résultante deviendra une nouvelle œuvre. Dans le cas de notre analyse, il ne s’agissait de faire ni de la peinture ni de la photographie, mais de composer une œuvre avec les deux. Je rejoins la pensée de Régis Debray lorsqu’il écrit : « La peinture dans tout son arc de vie est un hybride… 9 »
9. DEBRAY, Régis, Vie et mort de l’image, Une histoire du regard en Occident, éd. Gallimard, FolioEssais, Paris, 1992, p. 115.
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Regards croisés
J’appartiens à une génération qui est née et a été éduquée dans un monde où les images prédominent. Au cours d’anniversaires, de mariages et d’autres fêtes, chacun d’entre nous a expérimenté la photographie comme l’art domestique par excellence. Dans un monde qui marche vite, qui donne beaucoup (trop) d’importance à l’image, l’utilisation de la photographie traduit en quelque sorte notre volonté de lutter contre la disparition des vivant(e)s. Aujourd’hui, avec le numérique, faire de la photographie est une activité familiale qui devient de plus en plus désacralisée, mais qui conserve son aspiration à saisir la vie dans ce qu’elle a d’éphémère. A ce propos, Serge Tisseron avance : « L’acte photographique est volontiers vécu dans l’ivresse de capturer la vie10.» Est-ce que cette « capture de la vie » par la photographie est suffisante ? Comme j’ai tenté de le montrer dans mon mémoire de Maîtrise, ce n’est pas le cas. L’idée de capturer la vie est déjà faussée en elle-même: la vie en tant que telle est insaisissable. Par exemple, ne nous arrive-t-il pas de renoncer à faire développer quelques photos, peut-être par crainte de ne pas y retrouver la vie que nous avions rêvé de capturer au moment de la prise de vue ? Encore une fois probablement oui. Il y a plusieurs modalités dans la mise en relation de la photographie et de la peinture. Sans énumérer tous les modes de fabrication de ce type d’images qu’Hans Belting dans son essai Pour une anthropologie des images nomme « inter-médiales », nous pouvons repérer quatre procédés techniques différents : 10. TISSERON, Serge, op.cit., p. 56.
1) Un peinture réalisée à partir d’une photo en situation de modèle. 15
2) Une peinture réalisée à partir d’une projection, comme par exemple dans le cas des hyperréalistes. 3) Une œuvre incluant un photocollage. 4) Une photo-peinture. Donc, pourquoi faire des croquis à la main si les photographies peuvent jouer le rôle de croquis à partir desquels travailler ? En effet, nombre d’artistes-peintres utilisent la photographie comme point de départ de leur inspiration, mais peu d’entre eux la transforment en y peignant par dessus. Il est nécessaire, alors, de s’interroger sur le statut des images dans la société occidentale contemporaine, car nous sommes davantage dans un monde d’iconoclastes que d’iconophiles. L’image aujourd’hui a un statut trop mimétique par rapport à notre société de consommation : elle est banalisée, presque comme à l’époque byzantine ; nous traversons une querelle des images. Néanmoins, il est très intéressant de voir aujourd’hui qu’encore, le rapport entre la photographie et la peinture continue d’être très significatif. Puisque « La photographie enregistre en parallèle et en même temps autant de connaissances sur ce qu’a vu le praticien, que sur le praticien lui-même. La plupart des photographies ont, elles aussi, cette dimension autobiographique en miroir car elles montrent à la fois ce que l’œil a vu et voulu fixer, et en même temps quel est cet œil qui a vu cela11.» Il faut prendre en considération (comme dans toutes les disciplines artistiques), le fait que la photographie révèle (c’est le cas de le dire !), elle aussi, beaucoup sur le praticien parce qu’elle en révèle autant sur ce qu’il dit que sur la façon dont il le dit.
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11. GARRIGUES, Emmanuel, L’écriture photographique. Essai de sociologie visuelle, éd. L’Harmattan, Paris, 2000, p. 25.
Greffe, perte et énergies : tout se transforme
Comment comprendre le concept de greffe dans le champ de la photo-peinture ? Est-ce la peinture qui se greffe à la photographie ou la photographie à la peinture ? L’une l’emporte-t-elle sur l’autre ? Quel style de corporéité s’inscrit dans une photo-peinture ? Encore une fois, tout est remis en question. Nous avons tenté de montrer qu’il y a toujours interaction entre l’une et l’autre. On pourrait conclure en disant que le devenir photopeinture affecte la photo autant que la peinture12, comme l’action et réaction de deux corps entre eux. J’ai rappelé à ce propos le premier principe de la thermodynamique de Lavoisier : « Rien ne se perd, rien ne se crée, tout se transforme13.» Quand la photo se transforme, il y a une perte. Quel type de perte ? Dans notre cas, la perte se comble sous les traits du pinceau.
12. Cf. DELEUZE, Gilles et GUATTARI, Félix, Capitalisme et Schizophrénie 2, Mille Plateaux, éd. de Minuit, collection «Critique », Paris, 1980, p. 357. 13. LAVOISIER, article écrit par ZIN, Jean, L’entropie, l’énergie et l’information, http://perso. wanadoo. fr/marxiens/ sciences/entropie. htm
Mais il n’y a jamais transformation intégrale en une seule forme d’énergie ; il y a des fuites plus ou moins importantes qui sont, dans notre cas, des zones d’échanges visuels hybrides qui brouillent les limites entre photographie et peinture. Ainsi la perte peut-elle être quelque chose de significatif, de résiliant. Ou bien n’y a-t-il pas un surcroît qui dépasse la somme des deux médiums ? La surface photographique « perdue » est après-coup retrouvée sous une autre forme, sous une forme picturale. On joue avec les limites. On essaye d’effacer ou bien de repousser des limites. Il s’agit d’ouvrir l’œuvre à une hybridation sans fin. Je peux seulement conclure que grâce à ce travail, j’ai pu clarifier le sens de mes activités artistiques. J’ai aussi eu la chance de rencontrer deux artistes contemporains qui travaillent dans le même domaine que moi, ainsi que de 17
connaître leurs démarches plus profondément. De même, j’ai pu aussi établir des passerelles entre la théorie et la pratique propres à la photo-peinture. Au lieu d’une conclusion péremptoire, ce mémoire de Maîtrise constitue donc l’amorce d’une réflexion qui ne peut être qu’imparfaite, problématique et insatisfaisante. Il s’agissait d’une réflexion sur l’acte créateur qui sous-tend la photopeinture. Ma recherche maintenant s’inscrit dans le droit fil de ces réflexions.
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Ouvrir les œuvres à leur énigme
A l’issue de ma recherche antérieure, j’ai réfléchi à la peinture en relation avec les différentes façons de créer, plus précisément avec les diverses démarches artistiques de la photo-peinture, y compris (évidemment) la mienne. Je retrouve des questions analogues dont j’ai parlé, par exemple, cet « à la fois » de la peinture et de la photo. J’y ajouterai maintenant l’interaction de l’image avec du texte. Je me suis rendue compte qu’il fallait que je continue la recherche en analysant toujours davantage la photo-peinture elle même. C’est mon champ de travail, c’est mon centre d’intérêt. Aussi, me suis-je engagée, partant d’une idée initiale, à faire un livre-essai d’artiste, à explorer de nouvelles pistes à partir de ma volonté de changer de registre. Mon véritable espoir et défi d’artiste est d’aboutir à un résultat qui soit simultanément une œuvre/objet d’art et un objet de recherche : une production créative, analytique et bien sûr, sensible. Il s’agit d’unifier ainsi différents critères qui, en tout cas pour moi, ne seraient pas des antagonismes mais seraient plutôt complémentaires entre eux. De ce fait, ma difficulté consiste en ceci: comment transformer mes idées abstraites en produit concret ?
14. DEWEY,00 cité par, Lubart,T., Mouchiroud, C., Tordjman, S. & Zenasni, F. (2003). Psychologie de la créativité. Paris : Armand Colin., p. 16.
Où est l’enjeu de ce projet ? On pourrait penser, comme John Dewey : « un problème bien posé est à moitié résolu14.» Lorsque j’ai constaté qu’une bonne partie du public ne sait pas ce qu’est la photo-peinture, il m’a paru intéressant et pertinent de rédiger une anthologie pour la diffuser. L’objectif est de promener les lecteurs dans la perception et la réception d’œuvres et de les inviter ainsi à faire leurs propres commentaires. La difficulté tient alors maintenant à réunir ces deux choses dans une seule composition : une anthologie de photo-peintures. 19
Mais qu’est-ce qu’une anthologie si non un ouvrage composé de textes ou d’extraits de textes, choisis dans un ensemble préexistant qui peut être l’œuvre d’un auteur unique ou de plusieurs auteurs appartenant à une communauté linguistique, à une époque, à une région, ou que l’on peut rattacher à un même courant ou genre (littéraire). Dans notre cas, il s’agira d’un ensemble d’artistes qui font ou ont fait de la photopeinture. Au sens figuré, une anthologie est une collection de fleurs. Du grec anthos (fleur) et légéin15 (cueillir). Ici comme en poésie, il s’agit d’un re-cueil de courtes pièces choisies, comparées à des fleurs. Pour désigner ce type d’ouvrages, aujourd’hui le terme « anthologie » est le plus couramment utilisé. Il existe des mots au sens voisin comme par exemple: « compilation16 » mais je préfère le terme d’« anthologie » car dans son sens premier il rejoint la métaphore de « graines de pensée », image qui donne nom à ce mémoire. De plus, contrairement à la compilation qui se contente seulement de rassembler, l’anthologie implique des choix à partir d’analyses comparatives et a de ce fait une dimension critique à laquelle je suis attachée. Chaque démarche présentée est comme une graine de pensée, une des multiples façons d’aborder, de penser, de comprendre ou bien de sentir la photo-peinture. Cependant, je voudrais bien préciser que le but de cette anthologie concise n’est pas de faire le recueil de tous les artistes photo-peintres qui méritent qu’on leur porte une attention particulière, mais de donner un spectre de motivations et expressions existantes dans le domaine en relation avec mes propres interrogations de photo-peintre. Ceci fonctionnera comme une sorte d’enquête, un catalogue d’exposition collective de photo-peintres qui vise un travail critique en prenant appui sur l’analyse comparative. J’ai trouvé des ouvrages d’artistes qui, comme moi, cherchent à exprimer leurs perceptions, sentiments, expériences et visions du monde à travers la photo-peinture. Car, à mon avis,
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15. ARON, Paul, et al, Le dictionnaire du littéraire, Presse Universitaire de France, Paris, 2002, p. 14. 16.« Une «compilation » est une œuvre produite par la collection et l’assemblage de matériaux préexistants ou de données qui ont été choisis, ordonnés et rassemblés et mis en ordre de telle manière que son résultat, considéré comme tout, constitue une œuvre originale qui procède d’une instance auctoriale», Article 101 de la Copyright Law. Cité et traduit par FRAISSE, Emmanuel, Les anthologies en France, vers la définition d’un objet littéraire, Thèse de Doctorat en Littérature française, Université de Paris VIII, Paris, 1995, p. 158.
les œuvres jouent le rôle de cartes de visite, ou de miroirs reflétant diverses « postures d’artiste ». En interrogeant leurs oeuvres, on peut mieux comprendre plusieurs façons d’agir et de réagir, et il est davantage possible d’étudier l’importance de ces artistes dans la grande reine Magma de l’art. En ce qui me concerne, regarder mes images en relation avec celles des autres m’aidera aussi à voir dans quelle position me situer. Dans cette anthologie critique nous étudierons quelques œuvres pour bien creuser la spécificité des langages picturaux photographiques. Maintenant, rappelons nous qu’une photo-peinture est avant tout une photographie qui interagit avec de la peinture et réciproquement. Il y a une somme d’opérations précises, mais qui diffèrent de façon subtile ou radicale, d’un artiste à un autre. Ainsi cette anthologie est un objet qui nous renvoie à un autre objet : la photographie. Et si le sujet/propos est encore plus spécifique, comme il l’est dans notre cas puisqu’il nous renvoie à la photo-peinture, , il nous force à y penser dans une perspective ontologique : « Qu’est-ce que la photopeinture ? » La question est posée dans toute son essence plutôt que dans sa matérialité physique. « Par essence, une œuvre d’art ne devrait pas avoir besoin d’être expliquée, mais séduire par sa seule présence17 », disent pertinemment René Bouillot et Franck Martinez. Néanmoins, je veux seulement partager mes impressions sur quelques œuvres sans chercher à les expliquer. Même si elles ne réclament pas de réponses exactes, ces
17. BOUILLOT, René et MARTINEZ, Bernard, Le langage de l’image, éd. VM, Paris, 2000.
(mes) quêtes et questions peuvent ouvrir davantage les œuvres à leur énigme : • Décrire les raisons qui poussent à peindre sur une photographie. Sans les développer, j’esquisserai les principales raisons : insuffisance des médiums, besoin d’imprimer nos propres gestes et signes, envie de donner voix aux images muettes. • Analyser quelques micro-processus de transformation d’une photographie en photo-peinture, faire le tirage et
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peindre par-dessus, peindre sur le verre quand on fait le tirage, greffer la photo à la toile, écrire sur les photos. • Peut-on repérer des façons typiques de penser et de réagir propres aux artistes qui travaillent la photo-peinture ? • Quelle place y ont les règles et les contraintes ? • Peut-on lire une photo-peinture ? Comment ? La double perception qu’exige la photo-peinture est-elle viable ? Comment surmonter la probable division en deux parties ? • Comment différents artistes font face au manque, voire à la frustration que le silence de la photographie fait émerger ? • Comment la mixité photo- peinture renouvelle le regard des spectateurs ? • Comment est-il possible d’aider à l’éducation du regard sans être trop pédagogique ? • Comment mettre en rapport et situer mon propre travail parmi les autres artistes, ou bien parmi les différentes démarches ? Et en relation à l’objet livre, lui-même : • Quels sont les paramètres constitutifs d’un livre-photo : choix des photographies, articulation des images entre elles, mise en page, typographie et qualité d’impression, de papier de reliure, etc. ? • La présence de texte est-elle nécessaire, indispensable ? Comment se fait le rapport texte / image ?
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Etablir des ponts entre les images
J’ai donc décidé de continuer ma recherche en développant davantage la liste d’artistes qui font ou qui ont fait de la photo-peinture. Parmi eux : quelques photographes qui, au début de la photographie, retouchaient/coloraient les photos à la main comme c’était le cas de Beato et Wirgman, avec l’école de Yokohama, Kusakube Kimbei, Samuel Bourne ; puis les surréalistes : Brassaï, Marcel Duchamp et Man Ray. Puis je me suis intéressée à des œuvres d’artistes de la période contemporaine à travers différentes thématiques telles que l’importance de l’altérité (Arnulf Rainer, Candice Breitz, Lucas Samaras, Jan Saudek et Joel-Peter Witkin). Le tissage de la photo et l’écriture (François– Marie Banier, Peter Beard, Duane Michals, Shirin Neshat, Elizabeth Lennard et Magela Ferrero). D’autres familles thématiques se sont également constituées telles que les dimensions du déplacement dans l’espace ou l’espace dans l’espace (John Baldessari et Tony Soulié). L’exploration de la temporalité exprimée par Carmen Calvo ; l’interrogation de la spécificité du médium à travers des approches vraiment diverses (Joan Fontcuberta, Mario Marotta, Ouka Lele, Gérard Richter, Agnès Thurnauer, Vincent Verdeguer et moi-même). Ou encore celles qui proposent une approche quasi picturale comme Alan Chassanoff, David Bierk, Melvin Charney, Francis Gazeau, Mats Leten, Boris Mikhailov, Antonio Muntadas, Sarah Nind, Pierre et Gilles et Pierre Reimer. Décortiquer et creuser cette liste pourrait bien constituer l’essentiel de mon travail de recherche futur. Les artistes ici présents ne constituent pas un groupe réellement homogène et leurs origines et formations sont très diverses. Cependant j’ai dû les choisir en essayant de faire un déploiement le plus varié possible. Toute image (ici aussi) est le résultat d’un choix, d’un 23
cadrage, d’une intention. Ce début d’anthologie est en conséquence une sélection qui devient un corpus évolutif. Elle m’a servi aussi à apprendre, à faire et à établir des choix, à faire des élections. Regarder est un acte plastique. Regarder c’est distinguer. Alors, comment choisir les artistes ? Quelle œuvre peut à la fois les représenter, (m’) émouvoir et appartenir à un ensemble ? Par conséquent, la photographie ne rend que plus interrogative sa surface, qui devient superficie où se déposent multiples interrogations. Le rapport texte-image a toujours induit un rapport transversal. Que veut dire « lire » une image ? Même si du texte à la photographie, nous changeons de paradigme esthétique, on partira de l’idée (désormais répandue) selon laquelle les images sont aussi des textes. C’est-à-dire des « tissus » (des textures) d’éléments capables de former des ensembles signifiants dont il est possible de décrire le fonctionnement et les effets induits. Le corpus d’images ici présenté forme un grand texte dont chaque partie concise établit un pont entre les images. « Deux axes potentiellement narratifs : chaque photo contient son commentaire, sa charge signifiante interne, verticale et, mise en série, elle participe au développement horizontal d’un récit, au sein duquel son sens initial peut varier. Comme une sorte d’unité de sens placée dans le discontinu d’une phrase au sein d’un texte18. » Quelquefois il faut passer par le texte pour revenir davantage à l’image ; à l’image mentale et, si possible, à l’image sensorielle. Essayer d’arriver à ce que Serge Tisseron appelle dans son livre : nuage/soleil, L’image funambule ou La sensation en photographie: « l’image sensible ». Car, il s’agit davantage de sensations que de l’énigmatique et fascinante dialectique du voir et faire voir. Les ouvrages se font pour déclencher des sentiments. Dans cette perspective, je me suis efforcée, d’être à la fois « une fabricante et une fournisseuse d’images », pour donner en partage quelques unes des images qui m’ont frappée. 24
18. DEBAT, Michelle, essai collectif sous la direction, La photographie et le livre, analyse de leurs rapports multiformes, Trans Photographique Press, 2003, p. 134.
Étant donné que la relation texte-image est une composante fondamentale du mémoire, il ne s’agit pas d’anticiper sur les textes qui présentent cette articulation chez les artistes, mais de justifier et permettre de poser les enjeux théoriques principaux de cette articulation. Par exemple, pour l’artiste catalan Joan Fontcuberta, la photographie elle-même est une structure textuelle. La photographie lui permet de raconter, d’articuler des descriptions, d’imaginer et de réaliser les histoires les plus fantastiques19. Nous nous demandons alors, pourquoi ce désir de les dissocier si quelque part il s’agit de la même œuvre avec une structure différente ? Pour commencer à réfléchir autour de la relation imagetexte, composante fondamentale du mémoire, nous pouvons dire qu’il y a trois moments importants dans l’analyse : 1. la description, 2. la recherche des contextes, 3. l’interprétation.
19. PUJADE, Robert, Du réel a la fiction, la vision fantastique de Joan Fontcuberta, éd. isthme, Paris, 2003, p. 25.
Si l’expérience nous mène à comprendre vite que ces trois temps sont en fait indissociables car, par exemple, décrire c’est déjà interpréter, force est de reconnaître que nous tenons là, sinon une méthode, du moins une marche à suivre. C’est peut-être en relation avec le second point annoncé plus haut -la recherche des contextes– que résident les principales difficultés. Pour cela, j’ai décidé d’utiliser simplement la démarche de chaque artiste et les images elles-mêmes, qui, pour moi, sont et seront leur propre contexte. D’ailleurs, dans ce mémoire, la même chose concerne d’autres articulations à l’œuvre (articulation entre peinture et photo, articulation entre médium photo et d’autres médiums, articulation entre temporalité et espace de représentation, etc.) Parce que la photographie les rejoint dans leur état d’errance et d’interrogation. Selon Michelle Debat, « depuis des années et des années de livres, le rapport du texte et de l’image a changé, il
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peut même se passer de texte. À l’origine c’est grâce au livre de photos qu’il y a eu la vulgarisation des images20.» Si on poursuit sa logique, maintenant c’est l’existence de l’Internet qui les a fait exploser en termes de réception et de diffusion. Dans ce travail de recherche nous étudions les relations, et cherchons ainsi à articuler ce que l’image donne à voir et à imaginer. Il s’agit du matériel inscrit dans le champ visuel, mais aussi de ce qui se tisse entre les choses matérielles, les connexions que nous créons et nos images mentales. Il y a une valeur ajoutée. Une valeur potentielle qui n’est pas sa présence physique mais quelque chose qui appartient à l’articulation du récit globale : un récit visuel qui s’élaborera dans la tête de chaque récepteur. Nous essayons ainsi de trouver et de faire partager une méthode de connaissance qui favorise les passages. Tout ne tient pas ensemble et rien n’est donné sans intermittence, avec tous les risques que comportent les métissages possibles. Ici, ce travail de recherche n’existerait pas sans les photos. Celles-ci ne sont pas des illustrations du texte, mais le corps même de l’ouvrage. C’est à partir des documents présentés que le livre se constitue. Nous n’avons pas voulu réduire les visuels au statut d’illustration d’un texte. Chaque œuvre contient son commentaire et sa charge signifiante interne. Et, c’est avec cette mise en série que les œuvres participent au développement horizontal d’un récit global ou d’une nouvelle forme de savoir en entraînant le regard. De cette façon, nous ne sommes pas dans une logique texteimage ou image-texte, nous sommes dans une troisième logique qui n’est pas la somme des deux. Évidemment, le texte a des incidences sur la perception de chaque œuvre et inversement. Les images doivent permettre aux récepteurs de développer une abondance de liens. Nous sommes non
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20. DEBAT, Michelle, op.cit., pp. 32 et 55.
seulement dans le visuel mais aussi dans le tactile. Par exemple : dans un livre photographique, nous nous retrouvons davantage dans les paradigmes littéraires que dans ceux de l’ordre du muralisme. Nous regardons autrement une exposition qu’un écrit. Le dispositif texte-image-texte-image nous invite à nous retrouver dans une lecture avec de multiples allers-retours et des « feuilletages ». La relation relève du tête-à-tête ou du face-à-face, avec l’ensemble de l’objet et non avec une relation collective ou anonyme comme dans la plupart des expositions. Ici la rencontre se veut intime entre le lecteur et les œuvres.
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Corpus et contraintes de ma démarche
Pour ce travail, je me suis donné la contrainte ou bien la consigne de ne pas écrire plus d’une page par artiste. Un texte, sur la page de gauche, en regard d’une image, sur la page de droite. C’est pourquoi ce travail est aussi un apprentissage de condensation, de synthèse. C’est pour cela qu’il peut y avoir certainement des oublis ou des omissions. Mais, faire des choix et les soutenir constitue toujours une très belle et difficile leçon de vie. Étant donné que « je n’ai d’autre méthode que celle de faire», parce que « tout est difficile, tout est contradictoire, tout est possible21», je formule le souhait qu’en lisant ce travail, que le lecteur soit aussi pris par lui, par ses images et par son contenu. J’espère réellement que cette anthologie serve de tremplin vers d’autres recherches, d’autres découvertes. Je compte sur ce dispositif singulier pour inviter à faire des interprétations, des analyses et des choix personnels. Je compléterai cette présentation par une description rapide de la démarche adoptée pour ma recherche : les moyens utilisés, l’organisation du travail expérimental et un rapide exposé des points forts du mémoire constituent une sorte de plan développé, justifiant le face à face image /texte et l’articulation des artistes qui est finalement productrice d’un discours. J’ai opté pour un dispositif qui met les œuvres proposées en relation intrinsèque avec ma démarche personnelle. De cette façon, les thèmes que j’analyse à travers les autres œuvres sont aussi ceux qui me touchent directement. Mes moyens utilisés pour faire les analyses sont des reproductions. Dans la première partie, l’analyse de la démarche de Félix Beato, Lucas Samaras et Arnulf Rainer 28
21. JOUFFROY, Alan, « Je n’ai d’autre méthode que celle de faire… », Opus International N°70-71, éd. Georges Fall, Hiver 1979, Paris, pp. 64-65.
interroge, les thèmes suivants : les voyages, l’altérité, l’étrangeté, les images intérieures, les images extérieures et l’autoportrait. Dans la démarche de Tony Soulié, le concept qui s’imbrique avec celui de l’errance est celui de l’erreur. Le sujet de l’altérité revient chez Witkin et chez Breitz en s’ajoutant au sujet de l’hybridation et des questionnements sur les critères occidentaux de beauté, ce qui nous renvoie au concept d’erreur ou de correct / incorrect, auparavant vu chez Soulié. A travers de l’œuvre de Shirin Neshat nous nous posons la question de comment trouver ou bien faire des images qui nous aident à produire de la pensée, plus précisément de la pensée plastique, la pensée visuelle. Ensuite, avec Man Ray, Carmen Calvo et Duane Michals, nous visitons la superposition de différentes temporalités dans une même œuvre et observons la reformulation d’œuvres classiques. Puis, avec la démarche de Vincent Verdeguer et l’œuvre de Mario Marotta nous interrogeons directement les limites de nos médiums d’analyse (photographie et peinture). En lien avec la démarche de François-Marie Banier et de Magela Ferrero et ses rapports entre photographie et écriture, je pars du concept de « greffe » : emploi métaphorique de l’ancien français, adaptation du latin de graphium (poinçon à écrire) et du grec grapheion qui a lui-même donné le mot « graffite » (écrire, tracer).
En résumé, les vingt éléments du corpus développées dans la partie principale du mémoire sont articulées selon une logique que l’on pourrait décomposer en cinq grands thèmes : • l’importance de l’altérité, • les dimensions du voyage et du déplacement dans l’espace 29
intérieur ou extérieur, • l’exploration de la temporalité, • l’interrogation de la spécificité du médium, • le tissage entre photo et écriture. Dans mes propres œuvres et dans leurs analyses, j’aborde, directement ou indirectement ces sujets. Par exemple : le Moi et sa construction, les identités, les palimpsestes temporels, mes expériences éphémères, mes images intérieures et leur relation avec celles de l’extérieur, ensuite la recherche d’optiques nouvelles, de nouveaux dispositifs et clés pour éclater les points de vue et enfin l’art de multiplier et ouvrir la pensée artistique. Je sais qu’il y a bien entendu d’autres possibilités infinies d’articulations à envisager, mais je ne perds pas de vue que proposer une confrontation des différents artistes et ces textes respectifs avec mes réflexions et mes interrogations sur ma démarche personnelle est un très bon moyen de construire l’architecture conceptuelle de cette partie importante du mémoire.
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DEUXIÈME PARTIE : Essai d’anthologie critique
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Félix Beato et ses images voyageuses
« Le peintre ne sait ni d’où il vient ni où il va22 » Jean Bazaine
Comment les images voyagent-elles à travers le temps et l’espace ? Ici colorée à la main, la photographie devient représentation du réel, construction de la pensée anthropologique. Les premiers « artistes ethnographes » témoignent de leurs voyages, des endroits et des moeurs nouvellement explorés. Auparavant, les photos nous décrivaient de nouvelles cités, des vêtements différents. Elles sont ainsi devenues calepin de voyage, carnet de croquis optique et mécanique et premières fenêtres sur de nouvelles sociétés. On peut imaginer que pour le photographe occidental vénitien du dix-neuvième siècle, qu’était Félix Beato, la façon qu’avait cet homme chinois de porter ces biens sur son dos était très bizarre, voire très épuisante. Il était probablement lui aussi un voyageur, un marcheur à bout de souffle, qui rentrait sous le soleil brûlant avec ses poissons frais du marché. La photographie rend compte d’une surprise réciproque : celle de rencontrer, de trouver et d’apercevoir quelqu’un d’étranger, le différent, le nouveau, l’inhabituel. La pause et la pose de tous les deux la signifient avec leurs regards qui se croisent. L’art de Beato est ce désir de chercher et de capturer, comme l’ombre de la canne où se glisse, en tamponnant le cliché, la signature de l’artiste. Dans l’éphémère du temps, le modèle et le photographe créent un réseau d’échanges, de compétences et de secrets, qui tissent une trame de complicité. Et alors c’est dans l’étrangeté que nous remettons en question nos propres frontières intérieures et que nous nous trouvons hélas, dans un état de création permanent. C’est pourquoi l’étrangeté nous apparaît comme une grâce. Car évidemment, c’est l’inconnu qui attire le plus. «Je me voyage » dit Julia Kristeva : tel est le principe de ce nomadisme intérieur qui rend libre.
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22. BAZAINE, Jean, Exercice de la peinture, éd. de Seuil, Paris, 1973.
Hausierer, Felix Beato
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Lucas Samaras ou le moi qui devient toi
« C’est à partir de traces qu’il est possible de reconstituer une identité23.» Sarah Kofman
Lucas Samaras se partage entre ses activités de modèle, artiste, comédien, directeur, spectateur et critique : il quête notre reconnaissance. Dans sa cuisine austère et ordinaire, il est son propre motif : il (se) cherche. Probablement, comme tous les artistes, il cherche sa place dans le monde. De plus, il s’observe comme s’il était « l’altérité ». Faut-il rappeler que les mots altérité et altération ont la même racine ? Les œuvres de Lucas Samaras constituent un corpus qui lui permet de se (re)mettre en relation avec le monde. « Je est un autre », ou bien je pourrais le devenir. En d’autres termes, dans sa démarche et sa technique, il s’invente des liens, des jeux, des rapports étroits entre la conception et la pratique, ici intrinsèquement imbriquées. Lucas Samaras altère ses photographies avec une approche picturale qui relève de l’autoportrait. Néanmoins, contrairement à la plupart de ses autoportraits, dans cette œuvre, nous ne distinguons pas son visage. Dans la série de Polaroids SX.70, pendant que l’image se développe lentement et que l’émulsion reste encore molle, Lucas Samaras la malaxe et l’expérimente, ces gestes donnent l’illusion que l’image de son corps est véritablement un corps plastique. Il y a une double profondeur: une présence réelle et virtuelle, physique et optique. Mais que cherche-til à retrouver ? Pourquoi cette quête devient-elle pour lui si fondamentale ? Sa démarche constituerait-elle un motif de déception face à ses propres images? Pourquoi ? Parce qu’elle n’entretiendrait pas un rapport de vraisemblance avec ses images intérieures ? Nous voyons ses gestes qui sortent directement du centre de son corps, de son torse nu et même de sa zone pelvienne, comme de lui vers nous. Ses « photo-transformations » agissent certainement sur lui-même, mais l’aspect autoréférentiel de son œuvre dépasse largement son auteur. Alors, cet autoportrait re-travaillé de Lucas Samaras nous fascine, mais il nous désoriente aussi. Un trouble pour nos sens, un labyrinthe.
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23. KOFMAN, Sarah, L’enfance de l’art, une interprétation de l’ esthétique freudienne, éd. Galilée, Paris, 1985, p. 102.
De la sÊrie d’auto polaroids, photo-transformations, Lucas Samaras
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Arnulf Rainer ou l’éternel retour de l’artiste sur soi « Rien à faire, sinon le répéter, ce corps, le recouvrir, le raturer, dans le geste d’une interrogation à la fois affectueuse et violente. Prendre la photo, la tramer, la mettre en abîme, descendre jusque dans le grain de sa matière, la bombarder, la tramer, recomposer, l’alléger, la faire sombrer.24 » Régis Durand
Dans la plupart de ses ouvrages, Arnulf Rainer fait comme s’il voulait faire des études du corps humain sans avoir l’obligation d’en faire une vraie dissection ou des incisions. Mais on ne peut pas seulement ouvrir le corps humain pour le connaître. C’est ainsi que chez lui, les cicatrices, les balafres multicolores, impalpables, ne sont pas formellement superficielles. C’est la (sa) vie en train de devenir. Dans ce tableau représentatif d’un des précurseurs de la photo-peinture contemporaine, nous pouvons apprécier la rapidité d’exécution de l’œuvre, l’ivresse de la vitesse de ses pulsions. C’est ainsi que les traits agressifs et intuitifs de Rainer nous confrontent à une mort, où la couleur ajoutée reflétera peut-être la rêvasserie d’un autre instant. Néanmoins forte et violente, sa peinture reste poétique et davantage qu’un maquillage pour revenir à la vie : la tâche de Rainer consistera ainsi en l’élaboration d’une topographie nouvelle, une « auto-topographie ». Il s’est lui-même photographié dans des photomatons, le visage grimaçant : l’image est ensuite raturée, griffée selon un procédé qui exacerbe la grossièreté de son expression. L’œuvre est comme « barbouillée », défigurée pour renaître autrement, comme dans un autre corps. La maltraitance de sa propre image est à la fois la mise en abyme d’une quête inhérente à la photo-peinture et aussi une façon d’interroger son regard sur sa propre image ; l’éternel retour de l’artiste est un retour sur soi. Le risque de l’effacement, le temps qui passe et qui efface, est au cœur de tout fabricant d’images. Le visage humain et son potentiel d’expression, dérobé, resteront ainsi, pour nous, un mystère persistant et difficile à dévoiler. Autant de manières de souligner l’insoutenable légèreté du paraître, et de rire, ainsi, de la difficulté de la condition humaine.
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24. DURAND, Régis, La part de l’ombre. Essais sur l’expérience photographique, éd. La Différence Paris, p. 120.
DĂŠtail De la sĂŠrie Face Farces, Arnulf Rainer
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L’errance désirée de Tony Soulié « N’oublie jamais que tu es un voyageur en transit.
25
» Edmond Jabès
Tony Soulié est un artiste qui parvient à conjuguer son travail et sa passion des voyages. Est-ce la nécessité de voyager qui le fait travailler ou l’inverse ? Il y a toujours cette interaction entre les deux. Pour lui, cette quête de l’inconnu devient une véritable errance désirée ; sans doute cherche-t-il ailleurs ses propres stimulations artistiques. Ceci expliquerait, peut-être, son besoin de prendre des photos lorsqu’il voyage. L’artiste prend en compte et joue avec les événements fortuits, le hasard et l’imprévu, les échecs techniques soudains et imprévisibles. Il les transforme en créations. Pour lui, l’accident est -dans le discours comme dans le fait- une manière de s’en remettre au hasard et de laisser ainsi advenir des formes visuelles inédites. Mais ses « erreurs » photographiques, Soulié les juge admissibles et il travaille et compose avec elles. Il reste concentré très librement à l’intérieur de son travail, car comme le dit Rainer Maria Rilke, « Les ‘perspectives et intuitions dernières’ ne sont données qu’à celui qui est et qui reste au cœur du travail…26 » Ainsi sa photographie n’est ni figée, ni arrêtée et le transforme lui-même en promeneur dans ses propres œuvres. Un tiers du tableau, est rempli de taches. Tony Soulié m’a raconté qu’elles provenaient d’un dépôt de moisissure sur la pellicule photographique27. Ainsi, dans toute la série, ces taches deviennent le leitmotiv. C’est justement de ces accidents dont nous avions parlé précédemment, disant qu’il les accueille délibérément dans son œuvre. De quelle façon ? Il décide de les accentuer avec du rouge foncé ! Ce faisant, ses taches n’apparaissent-elles pas comme des blessures, comme des cicatrices, ou comme des trous ? Sous ces questions, il y a le temps qui s’écoule. Le temps de la photographie prise, le temps de l’écartement, le temps de la séduction. On restera donc séduits par son œuvre. Car on sait que voyager, loin ou près, physiquement ou émotionnellement est quasiment nécessaire pour tout un chacun.
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25.http:// www.evangileet-liberte. net/elements/ numeros/164/ articles.html et http:// hemelaarde. mystiek.net/ 26. RILKE, Rainer Maria, Lettres sur Cézanne, Traduits de l’allemand et présentées par Philippe et Jaccottet, éd. Seuil, Paris, 1995, p. 25. 27. Entretien avec l’artiste, 6 novembre 2004.
Détail, Conspiration Stellaire, São Tomé, Tony Soulié
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Mon besoin de saisir sur le vif les expériences éphémères « …c’est bien accueillir l’esprit de la vague, accepter le fluant et le flottant, une vie-passage et pourtant essentielle…28» Christine Buci-Glucksmann
Les gens que nous voyons dans cette image, et qui nous voyaient, vêtus de leurs costumes traditionnels, avaient très froid. L’Hôtel de Ville de Paris ressemblait à la scène d’un film Fellinien. Voilà la trace graphique de ma première fête du nouvel an chinois en France. Encore aujourd’hui, je marche, je parcours, je poursuis et j’habite ce lieu ; ce n’est plus le verbe « traverser » mais pas encore non plus le verbe « contempler ». Avec comme prétexte, photographier les nouvelles expériences que je vis, je me donne à expérimenter; il y a un jeu de réciprocité entre le désir de prendre des photos et la légitimation de voir, de respirer et d’être. Il neigeait fortement. Peut-être est-ce pour cette raison que, plus que jamais, je sens que je dois être très attentive à ce que je vis. Je sais que, presque tout passage est fugitif et fragile, alors je veux rentrer au cœur de l’aventure. Je cherche et parfois je trouve ce chemin. Des moments, des espaces ou des rencontres que je ne peux pas manquer, autant de rendez-vous où je ne peux pas être en retard. Je dois essayer de traverser ce temps-là, ses intensités et ses « intranquilités». Néanmoins, comment est-il possible de se rapprocher de l’autre si différent de soi-même ? De quelqu’un qui est fait de la même matière que soi ? Quelquefois, moi aussi, je suis glacée. Le monsieur ne parle pas ma langue et moi non plus la sienne. Nous sommes à Paris tous les deux, alors, comment rompre les barrières et recréer un territoire commun? Comment construire notre identité ? La construction d’une identité est vraiment difficile. Et à la base, y a-t-il un sens à une identité culturelle commune ? « Les identités » ne sont-elles pas une appellation fluctuante ?
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28. BUCIGLUCKSMANN, Christine, Esthétique de l’éphémère, éd. Galilée, Collection écritures, Paris 2003, p. 20.
De la série Le défilé, Gaby David
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La boîte noire de Witkin, ou la vulnérabilité d’une chair qui crie « Le secret de la force des images est sans doute la force de l’inconscient en nous29.» Régis Debray
Comme s’il avait voulu ouvrir sa propre boîte noire, l’artiste va chercher des images surgies des plus sombres plis de son inconscient peuplé de visions surréalistes. C’est sa façon de nous faire partager son imaginaire, ses folies, ses hantises, ses troubles. In fine tout fait signe, comme le dit Sarah Kofman : « D’une façon générale, la vie de l’artiste nous permet de comprendre l’élection (inconsciente) du matériel et du thème, la spécificité des fantaisies de ses héros30.» Clairement chez Witkin, l’individu est le centre de ses préoccupations, mais avec quelle étonnante étrangeté nous montre-t-il la métamorphose des corps ! Affichant bizarreries, bosses ou cicatrices, il remet en question les critères conventionnels de la beauté. Allant au-delà de la relation habituelle entre le photographe et son modèle, il travaille en étroite collaboration avec ses sujets, les révélant dans toute leur imperfection et leur vulnérabilité. Avec son style qui le caractérise, Witkin ne travaille pas sur le tirage photographique, mais dans la chambre noire où il peint sur le verre, pendant qu’il fait le tirage : des couches nébuleuses qui enrichissent davantage notre perception. Artiste hybride, modèles hybrides, son oeuvre déborde aussi des frontières traditionnelles. Ici, Witkin reprend le mythe de Léda et rend hommage à la peinture et sculpture classiques. Mais son «Léda» est âgé et androgyne et le nouveau-né est par terre. Entre un fond mystérieux et des figures un peu surréelles, se crée une atmosphère apocalyptique, fantasmatique et contrastée, entre le grotesque et une belle mélancolie. L’image est incontrôlable mais finement élaborée. Dans une alternance de pulsion et de répulsion, et à travers des archétypes toujours reformulés, Witkin nous fait voir notre humanité désemparée dont ses modèles les plus choquants deviennent protagonistes, allégories de la crudité de notre vie. Ses œuvres taillées à vif sont ainsi travaillées par les spasmes de notre époque et les cris muets de la chair. Un bizarre qui devient beau. Encore une fois, si loin, si proche, l’autre, c’est nous.
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29. DEBRAY, Régis, Vie et mort de l’image, Une histoire du regard en Occident, éd. Gallimard, FolioEssais, Paris, 1992, p. 155. 30. KOFMAN, Sarah, L’enfance de l’art, Une interprétation de l’esthétique freudienne, éd. Galilée, Paris, 1985, pp. 95 et 108.
Leda, Joel-Peter Witkin
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Candice Breitz une agitatrice de nos préjugés esthétiques / conventions visuelles
« La peau est presque toujours disponible pour recevoir des signes, apprendre des codes, sans qu’ils interfèrent avec d’autres. La peau ne peut pas refuser un signe vibrotactile ou électrotactile : elle ne peut ni fermer les yeux ou la bouche ni se boucher les oreilles ou le nez 31.» Didier Anzieu
Parfois il nous faut de l’humour noir et de la dérision pour nous exprimer. Candice Breitz jeune artiste sud-africaine (1972), explore le terrain de la représentation par ce biais. Toutefois, c’est avec une tristesse profonde qu’elle s’approprie des photographies et des fragments de photographies pour créer, dans cette œuvre, des rapports à quelques unes des réalités de son continent. Nous sommes confrontés à la mort et au racisme, deux fléaux qui accablent encore aujourd’hui fortement l’Afrique. Dans cette photographie, très ironiquement, avec un cadrage classique, sans aucune quête particulière, et seulement à partir du correcteur blanc, la peau du modèle -une fille noire autochtone- est « corrigée ». Ici, comme une deuxième peau, la peinture est une couche qui recouvre les choses. Comme une métaphoreparabole, la peinture prend sa place, se fixe, mais elle sèche de l’extérieur vers l’intérieur et sa surface devient dure. Á la fin, le corps devient un squelette plat, caustiquement souriant. Les traits blancs du correcteur de Candice Breitz sont tremblants, car si elle contrôle en partie l’image qu’elle fabrique, elle n’a par contre aucune prise sur l’apartheid. Même si elle n’y est pas étrangère. Candice nous montre profondément ce qu’elle est, et ce qu’elle veut, car, même en couvrant, son intimité survient et la démarche de l’artiste est transparente et ses moyens d’expression restent les plus sustentateurs. Recouvrir en occultant ce qui est dessous ( sans le laisser transparaître ) expose l’artiste à devoir faire le deuil de ce qui a été préalablement représenté : il me semble que la problématique du deuil n’est pas étrangère à la démarche de cette artiste. Alors qu’elle essayait davantage non de peindre mais de comprendre.
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31. ANZIEU, Didier, Le Moi-peau, éd. Dunod, Paris, 1985, p. 14.
Ghost Series # 4, Candice Breitz
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Voulez-vous être la cible de Shirin Neshat ?
“ Through poetry/art humans have survived 32 ” Shirin Neshat
Entre le mode de présentation du sujet, la pose et le titre de la série, il y a un jeu. Là où on ne peut vraiment pas plaisanter, un jeu de mots peut nous faire réfléchir. Comment produire de la pensée chez le spectateur ? Comment les images nous aident-elles à produire de la pensée ? Ce sont peut-être deux des grandes questions que nous nous posons face au travail de Shirin Neshat, artiste iranienne qui, en exil politique, a subi un déracinement. Les modèles féminins de la série Women of Allah (1993-97) sont des femmes qui renversent le stéréotype et l’idée ancrée du martyre. Clairement, on sent qu’à travers cette série de photo-peintures, elle critique et essaie de démêler plastiquement l’idéologie de l’islam. Dans cette difficile pensée qu’est la pensée plastique, Neshat atteint une réussite à la fois sensible et intelligente (l’œuvre plastique comme représentation concrète de la pensée visuelle). Ici, la résistance féminine nous est montrée dans sa crudité. Mais, pourquoi cette femme allongée, endormie, en repos ou morte, porte-elle un fusil entre ses pieds nus ? On peut remarquer l’analogie de position avec les pieds « en éventail » qui évoquent tout aussi bien le repos provisoire d’une bonne sieste que celui, définitif des défunts auxquels on accroche une étiquette d’identification dans les morgues (le canon de fusil y fait fortement penser). Des pieds nus, écrits, clin d’œil avec le henné presque quotidien. Une synthèse de la complexité analytique de la réalité : d’un côté, la révolution d’une femme musulmane candide et traditionnelle, de l’autre, sa dévotion à Dieu, inséparable du crime et de la violence. Si elle marchait avec son fusil, toute sa poésie disparaîtrait-elle ? C’est la mise en abyme d’une foi singulière, ou celle de la singularité de la foi, qui nous place, spectateurs, en position de cibles. Alors, sortie de l’abyme, comme le dit M. François Jeune, personne n’est à l’abri des possibles impacts de l’image.
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32. NESHAT, Shirin, CV, ciel variable, N°72, juin 06, p. 32.
Guardians of Revolution, Shirin Neshat
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Carmen Calvo temporalités
ou
le
choc
de
multiples
« Comment se brancher sur le temps et la mémoire de l’objet, comment interroger son vide essentiel ? Dans quel temps situer l’image produit, et à quel effet ? Par rapport à quel origine ? 33»« Peut être en effet la photographie ainsi utilisée est–elle la « peinture » d’aujourd’hui – sous réserve que l’on entende ainsi non pas une technique ou un médium, mais une manière de penser le monde34.» Régis Durand
Avec l’intuition de tout grand artiste, Carmen Calvo exprime dans une dimension iconique l’étymologie fondatrice du masque, qui désigne n’importe quel accessoire de tissu ou de carton destiné à dissimuler le visage. La notion de masque peut être aussi reliée au mascara que l’on met sur les cils pour les recourber et les noircir. En effet, dans les langues ibériques, mascarar signifie « tacher de noir » et même en ancien français, il existait le verbe se masquier avec le sens de « se noircir ». La femme garde mystère ; cache-toi, et on te verra mieux ! Carmen Calvo arrive ainsi à dire un maximum de choses avec un minimum de faits, voire de traits. La photo de la jolie dame maquillée se lamine en raison d’une tache noire. Alors, un ensemble de temporalités prend naissance. De ce fait, il me semble évident de souligner que l’image n’existe pas alors uniquement au présent. Car la tache la rend plus atemporelle : elle suspend la photo. Il y a ici une sorte de « collision » de plusieurs temporalités dans la même œuvre. « L’image est un ensemble de rapport de temps35» dont cette pluralité d’instances nous amène forcément à une pluralité de regards. Cette superposition de visions et de possibles lectures illustre encore une fois que peinture et photographie, ne sont pas antinomiques mais complémentaires.
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33. DURAND, Régis, La part de l’ombre. Essais sur l’expérience photographique, éd. La Différence Paris, p. 223. 34. Ibid., p. 213. 35. loc. cit.
Au Be, Carmen Calvo
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Dans la dualité des choses, trouver ma langue
« [...] les habitudes du pays précèdent vous abandonnent, sans que les autres, les nouvelles, vous aient encore suffisamment abruti 36. » Louis Ferdinand Céline
France 2005. Le voile, en porter ou pas ? Montrer ou cacher ? Ce qu’un artiste dit n’est-il pas caché ou presque ? Comment exprimer ce que l’on a en soi, cette gamme infinie de sensations et d’émotions simultanées ? Comment trouver notre propre langage ? « Changée la langue, la pensée suivra. C’est justement le lieu d’invention de l’artiste : inventer de nouvelles langues. Et le langage des images s’y prête bien mieux que celui des mots…. C’est pourquoi la peinture me paraît plus propre que tout écrit à tirer la pensée hors de ses ornières et à lui ouvrir des champs neufs37.» Je suis en quête d’images, d’œuvres, qui entraînent à modifier le regard. Incitations à des optiques nouvelles. Nouveaux dispositifs et clés pour éclater les points de vue ; l’art pour multiplier et ouvrir la pensée artistique. J’éprouve la nécessité d’élaborer quelque chose qui n’a pas de mots. Qui me serve à la fois à m’exprimer et à me retrouver. À trouver ma langue, mon langage. Comment réfléchirai-je sur mon oeuvre si pour moi, mon oeuvre est déjà ma réflexion ? (Ma réflexion = pratique-inconsciente ?) Avec mes couleurs, avec ma palette assez contrastée, avec mes matériaux à l’eau, autant de hiéroglyphiques à dévoiler.
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36. CELINE, LouisFerdinand, Voyage au bout de la nuit, éd. Gallimard, Paris, impr. 2006. 37. DUBUFFET, Jean, Bâtons rompus, éd. de Minuit, Paris, 1986, p. 87.
El velo, Gaby David
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L’ouïe dire de Man Ray ou les multiples tonalités d’une passion
« Tout peut être transformé, déformé, éliminé par la lumière. Sa souplesse est la même que celle du pinceau, exactement 38. » Man Ray
En dessinant très sagement seulement deux ouïes, Man Ray transforme la photographie de Kiki de Montparnasse assise. Il lui crée une peau neuve. Il lui dessine un tatouage. Cependant, que regarde-t-elle ? Cela restera énigmatiquement hors champ. La position de sa tête coiffée d’un turban nous rappelle, en lui rendant hommage, les baigneuses d’Ingres. Mais cela va plus loin qu’une simple appropriation, car si Man Ray joue avec l’expression populaire « avoir un violon d’Ingres » c’est-à-dire un hobbie, il nous révèle surtout son propre amour pour cette jeune femme érotisée. Rencontres insolites, assez communes chez les surréalistes. Hybridation entre la photographie d’une femme et un violon sémantique. Envie de jouer avec les photos, avec des instruments, ou tout simplement avec la lumière et le son ; un couple qui voyage toujours ensemble. Capable d’en tirer des accents, comme si c’était un véritable instrument, Man Ray réussit à effleurer les multiples tonalités et sonorités de sa passion. Pourtant nous nous demandons : quelle est la musique qui émane d’une femme assise ? Son corps nu, vu de dos et revisité de façon simple et symétrique, nous répond mystérieusement et silencieusement. Cette page devient alors la portée avec laquelle, vous lecteur, devez improviser votre propre musique.
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38. http://www. meteofrance.com/ FR/actus/dossier/ archives/moisphoto/dos.htm
Le violon d’Ingres, Man Ray
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Duane Michals ou la reformulation du printemps
« Soit vous êtes défini par le medium, soit vous redéfinis le medium en ce qui concerne vos besoins 39. » Duane Michals
Même si évidemment, chaque artiste est fait d’influences diverses40, Duane Michals reformule et revisite le Printemps de Botticelli à sa propre manière. Car pour lui ce n’est pas Flora troublée par Zéphyr ; le modèle de Michals est un homme-garçon mis en scène : on imagine qu’il prend la pose en fonction du dessin qui sera produit ensuite. L’artiste fait des multiples clins d’oeil à la peinture classique, (op.cit.) à la photographie mise en scène, (par exemple le Baiser de Doisneau) à la pose et même au surréalisme (par des raprochements bizarres). Grâce à cet hommage rendu à Boticelli, passé et présent se conjuguent pour donner corps au mystère du temps. Jeu de juxtaposition printanier, la peinture est ici la part de la composition la plus poétique, la plus enluminée. Tout et chaque partie de la composition nous est connu, mais à la fois tout semble bizarre, composite et baroque. Avec cet effet d’incrustation pictographique, donné par les fleurs peintes, Michals trouve la voix de son modèle, qui devient son propre « son visuel ». Une sonorité qui se détache du noir et blanc de la photographie, et qui est traduite par le biais des traits et des couleurs. Ainsi, l’artiste interroge davantage les possibilités et limites du médium photographique. D’une part à travers la peinture et d’autre part en faisant le lien avec le monde sonore. Avec un joyeux sens de liberté et d’expérimentation, des thèmes profonds comme le désir, le temps, la jeunesse et les cycles (des saisons) sont ici exprimés en toute simplicité.
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39. http://www. designtaxi. com/features. jsp?id=295 40. Cf. la publicité de la tournée de Shakira, 2006, qui se trouve en annexe.
Printemps, Duane Michals
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Vincent Verdeguer ou la « greffe » comme métaphore d’une peinture revitalisée «... derrier, dessous la peinture, une effacement présent, ils sont derrière, ils sont toujours là 41. » Vincent Verdeguer
Pour Vincent Verdeguer, la photographie est un stimulus, une trame de départ, un déclencheur qui animera son champ pictural d’une autre manière. Comment ? L’artiste cherche à faire disparaître les limites de la photographie et celles de la peinture et à faire fondre la peinture par mimétisme dans la photographie. Avec ses matières et ses couleurs, il traverse les frontières, en se jouant des médiums. Pour nous, en tant que spectateurs, la tentation de chercher la limite entre photographie et peinture est grande, de même que celle de voir et comprendre la capacité du peintre à « rivaliser » avec la photo. De loin, ce sont des œuvres très photographiques mais si on s’approche d’elles, elles apparaissent très picturales et très matérielles. Un combat visuel et spatial, un besoin d’élargir l’espace photographique, en le prolongeant et en l’intégrant à la peinture. La « greffe » est son dispositif conceptuel, sa métaphore d’une peinture revitalisée. Mais qu’est-ce qui est greffé à quoi ? Etant donné que Vincent Verdeguer introduit la photographie dans la toile, on peut penser que c’est elle qu’il greffe. Parfois, c’est plutôt l’inverse; car c’est la peinture qu’il impose comme la structure de la toile, en la greffant sur la photographie, en lui donnant un corps plus palpable, plus physique. La question du corps est ici liée à l’incorporation de la peinture, de la photographie et du corps de l’artiste lui-même. Pour cet artiste, le centre est un lieu de focalisation et de perspective. C’est le lieu auquel on ne peut échapper. Il « attaque» autour de la photographie et de cette façon, construit son propre hors champ. Ses paysages, dans lesquels il renforce l’arrangement géométrique des marais salants, accentuent non seulement la perspective, mais aussi les couleurs. Ici, il est question du paysage et de son imaginaire. Pour Vincent Verdeguer « l’objectif de toute (son) investigation (le) porte vers une quête du milieu, de la fracture, de l’interstice, de l’entre de la photo et de la peinture42. »
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41. Entretien avec l’artiste, novembre 2004. 42. SOULAGES, François, Vincent Verdeguer, «(Se) vaincre & non (se) convaincre», L’artiste en jeu, http://www. galerie-isselin. com/verdeguersoulageII.html
DĂŠtail, Perspective saline, Vincent Verdeguer
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Gabriela David ou le temps d’un futur intérieur
Il me faut faire des choix dans cette ‘humus’. Gabriela David
Cette forêt est habitée, présente, comme une palpitation, comme une énergie. Les couleurs orange, rouge, jaune et noir y donnent, de manière ambiguë, autant la sensation d’incendie que de coucher de soleil. Mais qu’est-ce que cet arbre au centre du cadre ? Est-ce la représentation de la vie, de la mort, symbole d’une angoisse trop forte pour quelle s’exprime ? En regardant cette oeuvre un peu fantasmagorique, je me demande : comment dire la relation entre les images qui m’environnent et mes propres images intérieures les plus fluctuantes, les plus flottantes ? Elles sont tout le temps en transformation : mon œil rêve et caresse au passage mes images changeantes. J’observe l’espace, en tant qu’ensemble. Puisque l’accent est mis sur la symbolisation et non sur la netteté de l’image, nous devrions la reconvertir tout le temps. C’est le contraire d’un « instant décisif », c’est plutôt un temps qui continue, une sorte de futur intérieur. En effet, l’événement continue même après que la photographie ait été faite ; il se prolonge même jusqu’aujourd’hui. On se dit « Qu’est-ce qu’il y a eu avant ? » En même temps, on pense à ce qui pourra se dérouler après. Il y a plusieurs dimensions temporelles dans un même temps, comme dans les palimpsestes. Cette image nous projette dans le constant devenir du monde et nous fait accompagner ainsi son continuel mouvement. Ainsi il y a un temps de maturation nécessaire pour l’assembler différemment à chaque fois, ajuster l’image intérieure avec la singularité de l’image photographique. Peindre, c’est recréer un nouvel espace pictural et cela donne toujours une perméabilité et une nouvelle ouverture à la photographie. Entre chien et loup.
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Home is everything, Gabriela David
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Les images dans l’écriture de François-Marie Banier
« À la racine, l’écriture et l’image ne font qu’un
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» Paul Klee
Chez François-Marie Banier, la notion d’écriture est très puissante. Mais aussi la notion d’ « image-sensation », comme émotion. À travers ses tableaux, nous revenons toujours à l’image intérieure. Car nous le savons, les mots trahissent les images, et cet écrivain plasticien a besoin de tous ses outils pour s’exprimer. « Entre l’artiste et son œuvre s’installe quelque chose de l’ordre d’une conversation ; l’œuvre se comporte comme un interlocuteur vivant44» de sorte que, sans ses propres écrits, ses représentations s’échappent, nous échappent, et leur intelligibilité devient davantage énigme. « Les lignes d’encre sur la photo sont comme une veine le long d’un bras, elles alimentent l’image, tiennent la composition45.» L’aspect ludique de la peinture emmène l’œuvre hors de la narration attendue. Pourtant, dans la photo de Lucinda Childs, la beauté se démontre et se donne à ses mots comme la grâce. Le texte tourne autour du personnage central et saute d’une partie à l’autre, superposant, comme dans la vie, divers événements et impressions à la fois. C’est ainsi que face à cette merveilleuse et intrigante photographie en noir et blanc, notre esprit s’efforce de recréer des parentés avec des formes et des termes connus. Dans cet ouvrage, tout simple et pour cela complexe de François-Marie Banier, il y a simultanément l’espace de son intimité et de sa générosité à déplier, à ouvrir, à se dé-livrer, délibérément face à la photo et à nous.
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43. KLEE, Paul, Guide de l’orientation, Zentrum Paul Klee, Bern, Suisse, 2005, p. 28. 44. EHRENZWEIG, Anton, L’ordre caché de l’art, éd. Gallimard, Paris, 1991, pp. 93 et 144. 45. MONTEROSSO, Jean-Luc, Les carnets de la Maison de la Photographie, N°19, Paris, 2003, p. 20.
Lucinda Childs, F.M.Banier
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Magela Ferrero : détourner vers l’extérieur la violence des émotions « Sourtout il faut passer au non-savoir : car en ce chemin, laisser son chemin, c’est entrer en chemin.46 » St. Jean de la Croix
Analyser l’œuvre de Magela Ferrero m’est particulièrement cher, non seulement parce qu’elle est une amie, mais aussi parce qu’elle fait part d’une douceur et d’une délicatesse extrêmes. Photographe qui écrit, naturellement, au long des dernières décennies elle a su sensiblement tisser ses deux passions. Plus que voisine de palier, Magela Ferrero est voisine des portes de la vie. Elle a un vocabulaire singulièrement naïf, dans laquelle réside sa propre vérité. Là, se trouve sa capacité à rester sincère, même au-delà de ses expériences de vie. La photographie est un de ses liens artistiques avec le monde, une prise de terre47 qui l’aide à détourner vers l’extérieur la violence des émotions. Cette photo nous montre un endroit qui lui est important, lieu d’une réclusion forcée. Ainsi cette image-porte apparaît fantomatique, rouge, sanglante, presque agonisante ; son texte-poème devient prière, à la fois barrière entre le spectateur et la photo. Le trou de cette porte, comme s’il donnait sur la cabine d’une croisière, nous invite à regarder dedans, à y jeter un coup d’œil rapide, furtif mais aussi curieux. Là où la porte à peine entrouverte nous appelle, le noir peut aussi s’évacuer dehors et nous amener à l’aventure.
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46. cité par BAZAINE, Jean, Exercice de la peinture, éd. de Seuil, Paris, 1973. 47. Je traduit de l’expression en espagnol : «un cable a tierra » qui fait référence à des choses qui stabilisent.
De la sĂŠrie ir corriendo, Magela Ferrero
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Au jour le jour ou rien n’est par hasard « Dans l’Uruguay sur l’Atlantique L’air était si liant, si facile, Que les couleurs de l’horizon S’approchaient pour voir les maisons 48. » Jules Supervielle
Cette image, qui me tient très à cœur est la toute petite première de mes photo-peintures. En l’an 2000 j’ai déménagé pour vivre seule. Pendant presque deux ans, au jour le jour, j’ai photographié de ma fenêtre le paysage, le temps qui passe, le temps perdu : à Montevideo le temps passe lentement. En effet, autrefois nommé la Suisse d’Amérique, l’Uruguay est maintenant dépeuplé, un peu suspendu dans le temps de jadis. Cependant, il y a toujours des ciels très différents, des couchers de soleil, des lumières attirantes. Paradoxalement, la vue reste continuellement la même et à la fois toujours distincte. Est-ce alors moi qui change ? L’anecdote se résume à ce dialogue : Marcelo, mon frère, vient chez moi me rendre visite. En rentrant dans mon atelier il examine cette photo retravaillée qui est accrochée au mur. Il me demande : « estce que cela appartient à ta dernière série ? », je le regarde et je lui réponds aussitôt : « oui, oui ». C’est ainsi que j’ai commencé à peindre sur cette chère série appelée Blanes, au jour le jour. Juan Manuel Blanes était le nom de la rue où j’habitais, en hommage à l’un des peintres classiques les plus célèbres de l’Uruguay. Peut-être encore étonnée d’intervenir sur la photo, je l’ai fait seulement avec une couleur ; néanmoins j’ai griffé l’image et l’architecture, le bâtiment qu’on voit à gauche est muté en silhouette d’animal, presque infantile. La construction se transforme en allégorie du corps : notre corps-hôte. Aujourd’hui, le Parque-Hotel, nom de l’ancien hôtel réputé au bord de la mer, où l’on se laissait brunir par le soleil, lieu symbolique de vacances, synonyme de légèreté et de fête, est devenu le siège du Mercosur40. En haut à droite il y a une trace laissée exprès : la marque de mon empreinte digitale, qui, une fois agrandie, devient celle d’un géant qui décide de lutter contre l’animal fantôme. Á la fin, il n’y a pas de hasard.
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48. ROY, Claude, Jules Supervielle, éd. Seghers, Collection Poètes d’aujourd’hui, Paris, 1970, p.101. 49. Mercosur (Mercosud en français) est la communauté économique des pays de l’Amérique du Sud : Argentine, Brésil, Chili, Uruguay et Venezuela est l’abreviation de « Marché Commun du Sud.»
DĂŠtail, Blanes, Un dia a la vez, Gabriela David
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Détails et mystères de la photographie de Mario Marotta
« Les bêtes savent trop de choses et ne sont pas heureuses.50 » Henri Bosco
En tant que journaliste, Mario Marotta met à l’épreuve notre désir de connaître le fin mot de l’histoire. L’expression «hay que parar la oreja» (il faut tendre l’oreille), qui donne le titre de cette œuvre en espagnol fait appel à l’écoute attentive. Mais l’artiste ne nous explique pas vers quoi dresser l’oreille. Éventuellement au message que les animaux peuvent nous transmettre si on leur prête suffisamment attention. Est-ce à la déprédation de la faune ou bien à notre propre voix intérieure quand elle nous appelle ? Nous regardons la bête et elle nous rend fixement notre regard. Est-ce une chèvre ou bien un animal marin ? L’objet n’est pas nécessairement reconnu mais connu. Fort probablement, Mario Marotta fait plusieurs clins d’œil à son médium préféré, la photographie. Comme s’il avait besoin de nous « dire » que ce que nous voyons est une photographie : l’étiquette Ilford, les yeux rouges, le portrait en premier plan l’attestent. Tout s’amalgame : l’étrangeté du connu, du banal, du médium, des matériaux utilisés. Il se déplie une vague d’impressions personnelles, légères et dispersées. Si on sait la lire, la démarche de M. Marotta est profonde, avec un mystère et une atmosphère singulière. Il faut examiner les détails, que ce soit ceux du cadrage ou ceux du trait. L’exercice tient de la lecture et de l’observation. À tel point qu’avec la manipulation pictographique de cette image « le représenté n’est plus seulement là pour montrer mais pour faire penser, il nous intrigue par son étrange familiarité et ouvre à de multiples interprétations51.»
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50. CARLIER, Robert, Dictionnaire des citations françaises et étrangères [ouvrage publ. sous la dir. de Robert Carlier... et al.] éd. Larousse, Collection Expression, Paris, 1992, p. 86. 51. DEBAT, Michelle, Essai collectif sous la direction, La photographie et le livre, analyse de leurs rapports multiformes, Trans Photographique Press, 2003, p. 158.
Hay que parar la oreja, Mario Marotta
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Mon voyage aux fleurs et aux couleurs
« Personne ne voit réellement une fleur, elle est si petite. Nous n’avons pas le temps – et voir prend du temps, comme devenir des amies prend du temps. Si je pouvais peindre la fleur exactement comme je la vois, personne ne verrait ce que je vois parce que je la peindrais petite comme la fleur est petite. Ce pourquoi je me suis dit à moi-même : je peins ce que je vois – ce que la fleur est pour moi, mais je la peindrais grande et ils seront surpris de prendre le temps pour la voir. Je réussirai à ce que les new yorkais affairés prennent du temps pour voir ce que je vois des fleurs… et bien, je vous ai fait prendre du temps pour voir ce que j’ai vu 52. » Georgia O’Keefe
Cette citation de Georgia O’Keefe, peintre américaine (18981986), épouse d’Alfred Stieglitz me fait me souvenir aux fameuses Callas de Frida Kalho et à celles de Tina Modotti. J’ai toujours été enchantée par les fleurs et par les couleurs, par leur relativité et par leur énigme. D’une manière générale, je peux dire que dans mes œuvres, la couleur joue un rôle capital et en particulier d’accentuation lyrique. Choisies en fonction de plusieurs critères : leurs transparences, leurs capacités d’amplification chromatique, la compatibilité de ces matériaux avec le papier photographique et leur capacité à enrichir le réel et à le rendre ainsi plus fantastique, plus onirique, romantique et vigoureux. Ici mes fleurs, decoupées en noir, forment une sorte de matrice, une structure modifiable en tant que telle, sortes de silhouettes graphiques, peuvent même nous rappeler des ombres chinoises. Le monde ne serait-il pas tout simplement un grand théâtre, un grand spectacle d’ombres ? Dans cette image, c’est le côté graphique qui (me) captive. Mes photographies deviennent traits et surfaces initiales. Mes éléments deviennent signes. Comme s’il s’agissait de combler l’absence inhérente à la photographie -le sujet lui-même- et de faire peut-être ainsi du plein à partir du vide. Cependant, ce n’est pas la peinture en tant que telle qui m’intéresse, mais l’interaction que je peux apporter entre elle et la photographie. Dans ce mariage parfois en crise, je me bats pour garder les deux sensibilités vivantes, celle du médium photographique et celle de la peinture. Peut-être n’y a-t-il qu’une sensibilité à l’origine de la création de l’œuvre d’art ? J’en suis certaine : c’est une image féminine écrite avec mon corps.
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52. www. artcyclopedia. com/artists/ okeeffe_georgia. html
Calitas Cavia II, Gaby David
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Le plein et l’incomplet
« Ce qui m’a toujours sauvé, c’est que je n’ai jamais su ce que je voulais 53. » Georges Braque
Quand j’étais enfant, je rêvais d’avoir une maison dans les arbres. C’était la maison des voisins que je voyais. L’herbe d’en face qui est toujours plus verte que la nôtre, le caprice de croire que ce qui ne nous appartient pas peut être plus savoureux. Mais cette cachette au centre de la photo est d’un « bon bois ». Un escalier nous amène là-haut vers une lumière très blanche. Un éclairage bizarre qu’il y a parfois en Uruguay pendant les orages d’été. Les traits rose fuchsia accentuent les diagonales, nous font monter à petits pas, comme ceux d’une petite fille. Ces lignes nous donnent l’axe et nous démontrent que malgré tout, les souvenirs d’enfance se lavent, comme ici dans cette photo, presque doucement, avec de l’eau de Javel, et disparaissent, quelquefois même malgré nous, de nos cœurs. Néanmoins on le sait : les taches de Javel restent ineffaçables. Je cherche à ce que mes œuvres donnent à voir non seulement ce que j’ai vu, mais aussi ce que j’ai vécu. En conséquence, je voudrais qu’elles incitent davantage à voir d’une nouvelle façon, comment cet instantlà pourrait être interprété, et même ré-interprété ; c’est une sorte d’épaisseur matérielle et psychique que ma peinture explore en creux. Est-ce que ma peinture trace toutes les sensations et les émotions qui ont été vécues, ou ne peuventelles s’y développer qu’à travers la photographie ? Dans ce cas, comment créer ce qu’on ne voit pas dans la photo ? Comment prolonger un moment vécu, au-delà de son incomplétude ?
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53. http://www. dubois-gerard. com/Mesreflexions.html
Casa Punta I, Gaby David
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TROISIÈME PARTIE : Des pistes pour l’analyse d’images
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Des pistes pour l’analyse d’images
« […] regarder des images équivaut à une forme de lecture très créative, une lecture où nous devons transformer des images en signifiés et cellesci en récits.54 » Alberto Manguel
Selon les exigences universitaires habituelles, une bonne conclusion se construit en cherchant à articuler ensemble les conclusions provisoires adoptées pendant le développement dans le texte principal pour en vérifier la cohérence. Cela supposerait que chaque élément d’argumentation ou de démonstration comporte une conclusion qui précise la position personnelle de l’auteur par rapport à la question mise en débat. Dans mon cas, il ne s’agira pas de faire ici du « copiercoller » pour fabriquer un texte de conclusion définitif, mais plutôt de partager avec vous mes réflexions a posteriori et les proposer à la discussion. Je trouve que cette méthode s’imbrique davantage dans la perspective gestaltiste de ce travail. Parce que « L’image d’une oeuvre d’art existe entre des différentes perceptions : entre ce que le peintre avait imaginé et ce qu’il a mis sur la toile ; entre ce que nous pouvons nommer et ce que les contemporains du peintre pouvaient nommer ; entre nos souvenirs et nos apprentissages, enfin, entre tous nos différents vocabulaires. Quand nous essayons de lire une œuvre d’art, elle plonge dans un abyme infini de doutes et de multiples interprétations55. »
54. MANGUEL, Alberto, Leer imagenes, una historia privada del arte, Traduit de l’anglais par Carlos Jose Restrepo, Alianza éd., Espagne, 2002. p. 185. 55. Ibid., p. 31.
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Inventer un ouvre-boîte à image
C’est en réfléchissant à la manière d’ouvrir en général, plutôt qu’aux ouvre-boîtes, que les concepteurs ont eu l’idée des canettes à onglets. Pourquoi utiliser cette parabole ? En effet, c’est en regardant et en interprétant plusieurs et diverses photo-peintures que j’ai pu finalement présenter un éventail déplié, une sorte de salade de fruits, où chaque fruit fait finalement partie (systémique) d’un tout des différentes pratiques esthétiques. En relation à ces propos on pourrait citer ceux de Dubuffet : « […] le principe de juxtaposer des fragments disparates est fécond pour la création. Pas seulement pour elle ; aussi dans le domaine de la pensée. Il introduit la polyphonie dans celle-ci56.» Diverses œuvres, qui au début furent composées à la première personne et qui sont un incessant croisement entre poésie et vie quotidienne, entre sens commun et mystère, entre gravité et humeur, entre anecdote et réflexion la plus inspirée, ici assemblés, deviennent partie d’un tout. Dans le plan formel, même si ce travail est fondé sur la synthèse, la répétition et la différence, des extraits de fragments finissent par atteindre, paradoxalement un seul corps. La matérialité du livre devient alors ma deuxième façon de « faire corps » avec la photographie.
56. DUBUFFET, Jean, Bâtons rompus, éd. de Minuit, Paris, 1986, p. 17.
Il s’agit simplement de comprendre toutes les alternatives comme un tissu d’expériences et de besoins qui affectent différents artistes et différentes photo-peintures. Car les ouvrages cultivent, à travers l’hybridation qui les distingue, non seulement le magnétisme qui les transforme en photographies davantage singulières, mais la vérité que préserve leur pénombre. Cette recherche, concise anthologie autour de la photopeinture, est devenue pour moi un moyen de mieux interpréter 75
et de mieux risquer d’en révéler ses « zones » cachées. Même si au départ chaque artiste a ses propres déclencheurs qui motivent sa raison de peindre ou d’intervenir sur une photo, ou même s’il a des contradictions opérationnelles, comme le dit bien M. Ropars Wuilleumier : « L’image a toujours donné lieu à la recherche d’un savoir, qui s’attacherait aussi bien aux règles de sa fabrication, optique et mécanique, qu’aux machinations intellectuelles ou psychiques dont elle est l’agent57.» Or, le groupe d’artistes ici présentés, utilise à n’en pas douter, des codes photo picturaux partageables : leur rapport à l’expérimentation en relation aux médiums, leur rapport au doute et à une constante mise en cause de l’image photographique. Cependant, « le procès verbal que l’on instruit alors concernant l’objet visualisé devient alibi d’une véritable saisie de son contenu qui échappe complètement à la verbalité58 .» Je me demande donc comment réfléchir sur des choses qui intrinsèquement font partie du silence. Comment exprimer verbalement ce qui doit être exprimé plastiquement, ce qu’il est impossible de dire ? Comment trouver cette richesse potentielle en détournant les résistances ? Est-ce qu’« il y a quelque chose de profondément subversif à ne rien vouloir exprimer ? 59» Ou encore « apprendre à ‘lire une photo’, n’est-ce pas d’abord apprendre à respecter son mutisme ? 60» À ce propos Régis Debray répond : « une image venue du fond du corps commence toujours par m’imposer silence. Un bon tableau, dans un premier temps, nous désapprend la parole et nous réapprend à voir61.»
Il s’agit donc ici d’unir la pensée verbale et la pensée visuelle pour faire appel et induire à la perception plastique la plus globale et totale possible, et accéder ainsi à ses contenus non-verbaux.
57. ROPARSWUILLEUMIER, Marie-Claire, L’Idée d’image, Presses Universitaires de Vincennes, 1995, p. 8. 58. DANETIS, Daniel, Critique et enseignement artistique : des discours aux pratiques, sous la direction de BONAFOUX, Pascal et DANETIS, Daniel, Série Références, Éducation et Formation, éd. L’Harmattan, 1997, p. 325. 59. DEBRAY, Régis, Vie et mort de l’image, Une histoire du regard en Occident, éd. Gallimard, FolioEssais, 1992, Paris, p. 68. 60. Ibid., p. 78. 61. Ibid., p. 67.
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« Projeté lui-même hors de toute durée, le peintre lie aveuglement sa vie à celle de cette œuvre qui n’aura pas de fin puisque sa dernière toile s’arrêtera sur une interrogation62.» Pour la simple et bonne raison que c’est à travers un registre sensori-moteur que les arts non verbaux trouvent leur propre langage.
62. BAZAINE, Jean, Exercice de la peinture, éd. du Seuil, Paris, 1973, p. 40.
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Une démarche fondée sur la transformation
La nature et l’essence des photo-peintures sont atteintes quand elles sont modifiées, réécrites, condensées et réduites. Mais comment comprendre ce geste ? Ou encore pourquoi at-il lieu ? Nous allons réfléchir autour de quelques réponses à ces questions. La mémoire humaine altère, confond, agglomère, mélange, déforme. Comme si sa fonction était aussi de diffuser autrement, d’organiser différemment ou bien de modifier ces objets culturels nommés photos63. À mon avis, c’est dans la création que nous disposons davantage d’outils qui nous aident dans ce processus de déformation / transformation. Car la construction et la destruction s’opposent et s’équilibrent entre elles. C’est cela l’imagination : traiter, élaborer les images fournies par la perception. La transformation est donc un concept important à tirer de notre sujet d’analyse. Car, nous l’avons vu, c’est en utilisant la peinture, les interventions écrites et le geste corporel sur le positif que la photographie prise initialement est transformée. Transformer : v.tr. Faire passer d’une forme à une autre, donner un autre aspect, une autre forme à, changer, modifier, renouveler. Interroger la photographie, la surexposer, la tremper, la sécher, la colorier, la détruire, la brûler, c’est en même temps la transformer et même détruire les stéréotypes qui l’entourent. Évidemment, les modifications opèrent aussi au niveau de l’artiste et de la construction de sa personne. D’ailleurs l’image transformée donne une autre puissance : la photo-peinture nous rapproche d’une image spécialement floue et discutable ; elle nous amène inconsciemment ainsi à la sensation que le monde est en constante transformation. 78
63. DAGEN, Philippe, L’Art impossible, De l’inutilité de la création dans le monde contemporain, éd. Grasset, Paris, 2002, p. 220.
Ce qu’on voit n’est pas ce qui était vu par l’artiste au moment de la prise de vue, ou par l’appareil photo, alors… l’expérience devient plus personnelle, plus entreprenante, à tel point que c’est grâce à cette « fluidité » propre à la photopeinture que le spectateur doit, quelque part, faire partie de l’œuvre et devenir actif. Il doit faire l’amalgame lui-même. Parce « qu’une photo nette impose l’idée que nous aurions vu les choses de la même façon que le photographe, une photo approximative ou inattendue impose toujours l’image du photographe face à ce qu’il a fixé. En définitive telles photographies nous sont très précieuses pour comprendre la nature même de l’image64. » Ce qui est privilégié ici est l’atmosphère dégagée, la sensation transmise et non la pureté de la photographie. Grâce à cela, observer de plus près « The making of » de la photo-peinture nous invite, subtilement et en conséquence, à changer notre regard sur les images.
64. PLOSSU / TISSERON, nuage /soleil, l’image funambule ou la sensation en photographie, éd. Marval, 1994, p. 16. 65. http://www. olats.org/ livresetudes/ etudes/norman. php
Cette anthologie invite le public à choisir, à son tour, parmi les ouvrages retenus, et bien sûr à aiguiser sa curiosité en ce qui concerne l’acte plastique créateur. Autrement dit : heureusement que, comme l’affirme Bongiovanni : « plus qu’à toute époque antérieure, l’homme contemporain doit apprendre à habiter et à gérer des positions et des points de vue multiples, voire contradictoires. Ainsi, cette tendance vers un état labile et changeant serait ‘la base d’une posture moderne’. Le travail artistique provoque des changements de ‘points de vue’ et incite à renouveler notre regard sur le monde, à porter un autre regard sur le monde. Il renforcerait donc notre capacité à assumer une vie moderne changeante, étendant notre forte capacité d’adaptation65. » Parce que transformant ce qu’il a vu, le rôle de l’artiste devient donc celui de montrer beaucoup plus que ce qu’il voit. Indirectement et intuitivement on essaye d’élargir les repaires, les codes préétablis et les modes de compréhension rassurants. Certainement, le récepteur peut être désorienté et se demander comment voir ce qu’il voit, dans la mesure où il
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n’est ni face à du pictural, ni face à du photographique ; cette mixité renouvelle son regard et l’oblige à abandonner ses anciens canons pour risquer une nouvelle approche sensible, à ouvrir, à s’ouvrir, à se jeter dans l’intriguant champ de l’image sensation. Malraux dit : « il faut réveiller les gens. Bouleverser leur façon d’identifier les choses. Il faudrait créer des images inacceptables. Les forcer à comprendre qu’ils vivent dans un drôle de monde. Un monde pas rassurant. Un monde pas comme ils croient66.» Car c’est à travers ces simples gestes que notre perception et notre compréhension du monde sont considérées. Plus précisément, ces photopeintures font appel à notre attention et à la façon dont nous recevons les connaissances et les diverses stimuli du monde. Pourtant, ceci nous renvoie à la force de l’art, à celle à laquelle nous pouvons tous accéder, sans vraiment avoir besoin de connaissances préalable67. Car, d’habitude, c’est l’artiste qui se présente comme le « chercheur-explorateur » du sensible. Tandis que dans le cas de la photo-peinture, nous pouvons tous expérimenter des sensations face à l’œuvre et quelque part nous retrouver en situation-sensation d’être artiste. Mais, peut-on réduire une œuvre seulement à la sensation ? Comment pouvons-nous, devons-nous percevoir et recevoir davantage les œuvres avec tout notre corps et pas seulement avec nos yeux ou notre tête ? Les lecteurs de cette anthologie participent à deux modes de réactions : « un mode régressif, émotif, réactivant les plaisirs du livre d’images de l’enfance et ses effets de construction de l’esprit et un mode interrogatif, plus décrypté, d’investigation, et la lecture de l’image par contamination avec la lecture du texte68. » Il faudra alors être attentif, car ce double processus de saisissement nous expose à différentes données, ou bien au risque de trop réfléchir à notre comportement.
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66. MALRAUX cité par DAGEN, Philippe, op.cit., p. 177. 67. Cf. DANETIS, Daniel, et al., op.cit., p. 326.
Tout ceci me rappelle le livre d’Umberto Eco : « Le nom de la rose », dont un personnage meurt du poison qu’il ingurgite, sans le savoir, quand il humecte avec sa langue son doigt pour feuilleter les pages du livre qu’il lit. Tout son entourage était convaincu que la mort du lecteur avait pour cause la nature du savoir ainsi acquis. De manière analogue, est-ce que nous sommes aujourd’hui en train d’étouffer notre imagination par un excès d’informations, de savoir et d’images, paradoxalement sans le savoir ? C’est ainsi que l’«art» que nos corps consomment, font et subissent devient polysémique et signifiant. Néanmoins, dû à sa popularité et à sa banalisation, parmi le grand Magma de l’art, la photographie est un dispositif qui renforce notre processus d’abandon face à la grandiloquence de la perception / réception de l’art. En conséquence, estce que quelque chose se perd dans cette démarche ? Certes, mais c’est une perte qui se reconstruit. Souvent on a tendance à associer la perte avec quelque chose de négatif : on a peur de perdre. On a peur de se perdre soi-même. Mais être capable d’accepter ce que l’on a perdu, autrement dit, de lâcher prise, est peut-être la façon de se laisser aller à d’autres pensées plus ouvertes. Là, une transformation visuelle pourra être vue et ainsi le tableau et la photographie perçues sous un angle différent. Pareillement, cette opération est en elle-même une mise en abyme de cette réception–transformation. Or, non seulement les photographies sont transformées, mais aussi le regard des personnes est transformé.
68. DEBAT, Michelle, La photographie et le livre, analyse de leurs rapports multiformes, Trans Photographique Press, 2003, p. 148.
Les peintures, les photographies et les images en général, ne sont ni les médicaments, ni les miroirs du monde, pas même des représentations du monde. Naturellement elles font «rhizome » avec le monde. Notre relation au monde est aidée par des images. Les œuvres d’art nous aident à couper et à (en) cadrer ce tissu organique nommé monde. Ensuite chaque culture différente, puis chaque personne,
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les observera différemment69. « Regarder une photographie consiste à organiser le sens des signes présents dans l’image, certains tout au moins, en fonction des attentes du moment. Elle est perçue et comprise en tant que document ou fiction suivant une dominante constituée par les composantes de l’image sélectionnées par le lecteur, sa réalité et les conditions de la lecture70. » Les moyens relationnels qui décident des significations des choses varient selon les degrés d’intimité entre les liens que nous entraînons avec elles. Les artistes qui nous parlent avec la photographie la mettent en cause. Ils interrogent ses composants, son pouvoir, ils détournent nos perceptions et cherchent ainsi à nous interroger. En réfléchissant aux moyens, la question de la nature de l’image photographique est obsessionnellement posée, tant par l’emploi de procédés que par les multiples sujets abordés. Généralement, dans la photo-peinture le spectateur perçoit sensiblement le modus operandi, les couches de peinture, les taches d’encre et/ou les aquarelles ou les autres matériaux que l’artiste a ajouté ou enlevé. Les gestes qui en même temps font la naissance et l’effacement de l’image. C’est presque grâce à ce processus que «…l’artiste nous fait participer à sa création, il nous permet sans doute de relier les espaces multiples et les étapes successives de notre expérience psychique et nous permet de goûter, à notre tour, ce sentiment de plénitude qui constitue l’un des facteurs du plaisir esthétique71.» Heureusement tout est possible dans ce réseau multiforme d’exploration. Je ne cherche donc pas à tout comprendre. Ici aucune ligne narrative pour tenir le « patchwork », seulement de multiples visuels pour trouver davantage de couleurs du prisme.
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69. DELEUZE, Gilles et GUATTARI, Félix, Capitalisme et Schizophrénie 2, Mille Plateaux, Les éd. de Minuit, collection « Critique », Paris, 1980, p. 31 et pages suivantes. 70. DEBAT, Michelle, op.cit., p. 144. 71. LEDOUX, Michel, Corps et Création, éd. Les Belles Lettres, Paris, 1992, p. 38.
Pour une lecture future et croisée de la photo-peinture
Une photographie d’un objet n’est pas l’objet même, elle en est une représentation, d’un type distinct de la même représentation picturale du même objet, par exemple. D’abord c’est dans le corps et puis, c’est dans l’appareil que se construit l’objet sensible. Chaque famille d’appareils détermine ainsi la sensibilité d’une époque et détermine une forme a priori de la perception, la manière dont chaque époque se représente ce que c’est que percevoir. C’est ce que l’on appelle son aisthesis propre. Les artistes présentés dans cette anthologie ont chacun leur style singulier, mais tous s’inscrivent dans une aisthesis semblable, et ils se distinguent par là des autres artistes. À chaque appareil son époque, à chaque époque sa manière de percevoir, c’est-à-dire de construire le sensible. Ces formes a priori de la sensibilité sont des formes de construction du rapport au temps.
72. PUJADE, Robert, Du réel à la fiction, la vision fantastique de Joan Fontcuberta, éd. Isthme, Paris, 2003, p. 35.
Tandis qu’aujourd’hui intervenir sur l’image est devenu une opération qui se fait habituellement par le biais du numérique, l’intervention photographique au moyen du geste ‘analogique’ devient un rappel à la matérialité et plus que tout, un rappel à notre corporéité non virtuelle. Intuitivement, nous interrogeons notre rapport au corps physique / psychique, à son rôle et à la chair du geste avec ses rythmes et ses coups de pinceaux. Même dans la publicité nous pouvons voir de plus en plus d’exemples d’interventions, de retouches dans l’image photographique : pour n’en citer que deux : les derniers campagnes de Microsoft et de Folio. Depuis la numérisation de la photographie, celle-ci tend à s’ancrer d’avantage dans notre quotidien. Mais attention, « Le numérique déplace la nature de la photographie vers un concept de pure information visuelle72.» 83
Une photographie d’un objet n’est pas l’objet même, elle en est une représentation, d’un type distinct de la même représentation picturale du même objet, par exemple. D’abord c’est dans le corps et puis, c’est dans l’appareil que se construit l’objet sensible. Chaque famille d’appareils détermine ainsi la sensibilité d’une époque et détermine une forme a priori de la perception, la manière dont chaque époque se représente ce que c’est que percevoir. C’est ce que l’on appelle son aisthesis propre. Les artistes présentés dans cette anthologie ont chacun leur style singulier, mais tous s’inscrivent dans une aisthesis semblable, et ils se distinguent par là des autres artistes. À chaque appareil son époque, à chaque époque sa manière de percevoir, c’està-dire de construire le sensible. Ces formes a priori de la sensibilité sont des formes de construction du rapport au temps. Tandis qu’aujourd’hui intervenir sur l’image est devenu une opération qui se fait habituellement par le biais du numérique, l’intervention photographique au moyen du geste ‘analogique’ devient un rappel à la matérialité et plus que tout, un rappel à notre corporéité non virtuelle. Intuitivement, nous interrogeons notre rapport au corps physique / psychique, à son rôle et à la chair du geste avec ses rythmes et ses coups de pinceaux. Même dans la publicité nous pouvons voir de plus en plus d’exemples d’interventions, de retouches dans l’image photographique : pour n’en citer que deux : les derniers campagnes de Microsoft et de Folio. Depuis la numérisation de la photographie, celle-ci tend à s’ancrer d’avantage dans notre quotidien. Mais attention, « Le numérique déplace la nature de la photographie vers un concept de pure information visuelle72.» J’ai remarqué que parmi les amateurs de photographie, les designers et les artistes en général interviennent tous, d’un façon ou d’une autre, sur la photographie. Avec des logiciels tel que Photoshop, il est aujourd’hui vraiment impressionnant
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de constater que tout le monde retouche, recadre, retravaille ses photographies chez lui. Les enfants eux-mêmes aiment déformer, changer, réaliser de simples manipulations. En subissant cette suite d’actions, la photographie se rapproche davantage de la peinture. Même les icônes de logiciel nous incitent à penser à la peinture. Ce sont des pinceaux carrés ou pointus, des palettes de couleurs, des pots de peinture, etc. La photographie devient ainsi plus palpable mais aussi plus surréelle. Cela m’amène à dire que ce sont ces liens entre photographie et peinture qui finalement habitent l’image. Dans le cas des photo-peintures, il y a une syntaxe manuelle qui nous rapproche de l’écriture. C’est dans cet interstice entre des images décalées, hybrides, qu’il se passe quelque chose d’énigmatique, de l’ordre de l’interrogation et qui va plus loin que la simple représentation. La photographie peinte permet d’être dans cet « au delà » dont parlait Paul Klee, lieu où l’on ne peut pas établir formellement de frontières.
73. ARON, Paul, SAINTJAQUES, Denis, VIALA, Alain, Le dictionnaire du littéraire, Presse Universitaire de France, 2002, Paris, p. 14. 62. Cf. FRAISSE, Emmanuel, Les anthologies en France, vers la définition d’un objet littéraire, Thèse de Doctorat en Littérature française, Université de Paris VIII, Paris, 1995, p. 10.
Revenant à la première partie de ce travail, nous avons vu que toute anthologie suppose un choix, un classement et des regroupements selon un point de vue a posteriori qui recourt souvent à des notions peu ou pas utilisées par les écrivains ou artistes concernés. En conséquence, « les anthologies ne se contentent pas de refléter les goûts et les préoccupations d’une époque ou d’un groupe social, elles peuvent aussi créer une nouvelle façon de lire et d’interpréter les textes du passé73.» Ici le labeur n’est pas de pure conservation, il est surtout de sélectionner et de mettre en valeur quelques photopeintures : il reste bien une affaire de regard. Avec le recueil des différentes œuvres, cette anthologie est en effet une lecture, un acte critique. Disposer, entrelacer, comme dans la construction. Pour moi, l’anthologie devient une démarche créatrice. 85
En outre, cette recherche interroge sur notre rapport à la photographie travaillée et retouchée. Cependant si les évolutions de l’image sont envisageables, elles sont dues à la complexité de tous les rapports image-société plutôt qu’à la seule vertu des techniques qui peuvent la développer. Nous pouvons ainsi conclure que la redéfinition et la réévaluation de la photographie, voire de l’image, sont en constant éclaircissement, de même que l’acte de sa transmission. Parallèlement, cette recherche hésite entre deux modes de sélection : celui qui cherche à proposer des ouvrages représentatifs de la production dont elle rend compte et celui qui prétend donner des ouvrages significatifs dans leur agencement global à l’intérieur du livre74. Cette « anthologie-critique » ne cesse d’osciller entre la généralisation et la spécialisation ; en somme, elle nous propose une économie de la lecture et une économie dans la lecture : dans un même mouvement, elle proclame sa volonté de faire voir moins et s’affirme comme moyen de faire voir plus. Voir moins en réduisant une œuvre à un extrait significatif, et voir plus en renvoyant à l’intégralité de chaque démarche artistique. Auparavant c’était dans un atelier que l’on fabriquait les images, puis ce fût au laboratoire ; maintenant c’est l’atelier qui devient laboratoire ; un lieu pour regarder, pour analyser les curieuses alchimies qui se font entre les images, qui oscillent constamment comme des pendules éternels.
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Annexes
Détail, Primavera , Boticelli, peinture (tempera) sur toile, 203 X 314 cm, Florence, 1485-1487
publicité de la tourné mundiale de Shakira, 2006
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Table d’illustrations
Hausierer Felix Beato 9 1/2 x 7 5/8 Albumen épreuve colorée à la main Japan
Autopolaroids Lucas Samaras Polaroid SX 70 photo-transformation Etats-Unies 1973
De la série Face Farces Arnulf Rainer craies et crayons sur photo 40,5 x 50,5 cm 1969-1971
ca. 1870s
Conspiration Stellaire, São Tomé, Tony Soulié technique mixte sur photo 60 X 80 cm, détail France
De la série Le défilé Gaby David photo-peinture dimensions variables France 2002-2003
Leda Joel-Peter Witkin Gelatin–Silber-Print, getont 38,0 X 38,0 cm Los Angeles 1986
2003
Ghost Series # 4 Candice Breitz C-print, carte postale d’Afrique retravaillée au correcteur blanc 102 X 69 cm 1994-1996
Guardians of Revolution Shirin Neshat Photographie Noir et blanc et encre 109 x 99 cm 1994
Au Be Carmen Calvo Technique mixte, collage, photographie 148 X 93 cm Espagne 2001
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El velo Gaby David photo-peinture dimensions variables France 2005
Le violon d’Ingres Man Ray Epreuve aux sels d’argent reahusée de crayon et encre de Chine 28,2 X 22,5 cm MNAM, Paris 1924
Home is everything Gaby David photo-peinture 120 X 2OO cm France 2006
Printemps Duane Michals peinture sur photo n/c Etats Unies n/c
Perspective saline Vincent Verdeguer technique mixte sur greffe photographique 140 x 99 cm France 2001
Lucinda Childs F.M.Banier Encre sur photographie 160 X 110 cm 2 juillet 1998
De la serie “ir corriendo» Magela Ferrero Photographie noir et blanc plus écoline plus texte en encre de chine 10 x 15 cm Uruguay 2003
Blanes, Un dia a la vez Gaby David photo-peinture 50 X 70 cm Uruguay 2002
hay que parar la oreja Mario Marotta technique mixte n/c Uruguay n/c
Calitas Cavia II Gaby David photo-peinture 50 X 70 cm France 2004
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Casa Punta I Gaby David photo-peinture dimensions variables 2005
Index des noms Anzieu, 44 Aron, 20, 85 Baldessari, 27 Banier, 23, 29, 60, 61, 93 Bazaine, 32, 62,77 Beard, 23 Beato, 23, 28, 32, 33, 92 Bernstein, 13 Berthet, 17 Bierk, 23 Bongiovanni, 79 Botticelli, 54, 91 Bosco, 66 Bouillot, 21 Bourne, 23 Brassaï, 23 Braque, 70 Breitz, 23, 29, 44, 45, 92 Buci-Glucksmann, 40 Calvo, 23, 29, 48, 49, 92 Céline, 50 Charney, 23 Chassanoff, 23 Childs, 60, 61 Dagen, 78,80 Danétis, 9, 76, 80 David, 8, 23, 41, 51, 58, 65, 69, 71, 92, 93 Debat, 24, 26, 66, 81, 82 Debray, 14, 42, 76 Deleuze, 17, 82 Dewey, 19 Didi-Huberman, 8 Dubuffet, 50, 75 Duchamp, 23 Durand, 36, 48 Eco, 85 Ehrenzweig, 60 Ferrero, 23, 29, 62, 63, 93
Fontcuberta, 23, 29, 88 Fraisse, 20, 86 Garrigues, 16 Gazeau, 23 Guattari, 82 Ingres, 52, 53 Jabés, 38 Jeune, 50 Jouffroy, 28 Kalho, 68 Kiki, 56 Kimbei, 23 Klee, 60 Kofman, 8, 34, 42 Kristeva, 32 Lavoisier, 17 Ledoux, 83 Lele, 23 Lennard, 23 Leten, 23 Lubart, 23 Malraux, 80 Man Ray,13, 23, 29, 52, 53, 93 Manguel, 74 Marotta, 23, 29, 66, 67, 93 Martinez, 25 Michals, 23, 29, 54, 55, 93 Mikhailov, 23 Modotti, 68 Monterroso, 60 Mouchiroud, 19 Muntadas, 23 Neshat, 23, 29, 46, 47, 92 O’Keefe, 68 Pierre et Gilles, 23 Plossu, 79 Pujade, 25, 84 Rainer, 23, 28, 36, 37, 42, 92 Richter, 23
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Rilke, 38 Ropars Wuilleumier, 75, 76 Ruby, 13 Samaras, 23, 28, 34, 35, 92 Saudek, 23 Shakira, 54,91 Soulages, 56 Soulié, 10, 14, 23, 29, 38, 39, 92 Stieglitz, 68 Supervielle, 64 Thurnauer, 23 Tisseron, 8,15, 28, 83 Tordjman, 19 Vanci-Perahim, 9 Verdeguer, 10, 14, 23, 29, 56, 57, 93 Wirgman, 27 Witkin, 23, 29, 42, 43, 92 Zenasni, 19