ATELIERS d'ART 124 JUILLET-AOÛT 2016
À VOIR, À SAVOIR ÉCONOMIE ENTRETIEN DÉBAT PAROLE DE CRÉATEUR DOSSIER PORTRAITS REPORTAGE
REPORTAGE
Plymouth College of Art, l’école de l’avenir
ÉCONOMIE
Les entreprises, un écrin possible pour les créations métiers d’art
JUILLET-AOÛT 2016
DOSSIER
ATELIERS d'ART
124
Aux confins du monde France
7€
L’espace de découverte des métiers d’art
itreé2016 l a r iné ptemb
centre de formation agréé pour tous publics : individuels, salariés...
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Typographies
ARTS DU FEU / ARTS PLASTIQUES
Pantone 165 C Orange C=0 M=60 J=100 N=0
-Pour " Atelier ", utilisation de Verdana Bold -Le " l' " est une création. -" d'Ateliers d'Art de France " ( provient de l'enseigne bandeau talents rue Scribe)
école d'art de douai
M 3 se e in – n-vent u j 17 o
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STAGES ET FORMATIONS PROFESSIONNELLES ........................................................... PARCOURS INDIVIDUALISÉS ........................................................... COURS ET ATELIERS ........................................................... ÉDUCATION ARTISTIQUE ........................................................... RÉSIDENCES DE CREATION ........................................................... EXPOSITIONS ...........................................................
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PORTES OUVERTES LE 10 SEPTEMBRE 2016 ...........................................................
75 rue des wetz . 59500 Douai . tél. 03.27.08.75.12 . fax 03.27.08.75.13
www.latelier-viaducdesarts.com
www.ecole-art-douai.com . contact@ecole-art-douai.com
Naturalité et HybridatioN
Manifestation organisée dans le cadre de l'Année France-Corée 2015-2016 www.anneefrancecoree.com
expositioN - veNte du 2 juillet au 11 septembre
du 2 juillet au 31 août : tous les jours de 10h à 13h et de 15h à 19h à partir du 1er septembre : du mercredi au dimanche et jours fériés de 14h à 18h
Entrée payante
Maison de la Céramique du Pays de Dieulefit Parc de la Baume – 26 220 Dieulefit
Tél. : 04 75 50 20 98 www.arts-ceramiques.org
www.ville-guebwiller.fr
Karine BENVENUTI Nathalie DOYEN Marit KATHRINER Laurent PETIT
info@maisondelaceramique.fr www.maisondelaceramique.fr
2016
Conception-réalisation : Batatra - 06 33 28 69 58 - Crédits photos tous droits réservés.
L’ATELIER 55, avenue Daumesnil 75012 Paris 01 43 45 28 79 mardi au samedi de 11 h à 13 h et de 14 h à 19 h
ÉDITORIAL L’Agitation lente
© Glops Photography / Anne-Gloria Lefèvre
Dans le coin le plus reculé de l’atelier, j’ai installé la cuve où se prépare la porcelaine en son état fluide. On s’y aventure à tâtons, de manière à accoutumer son regard par étapes à la pénombre éternelle qui règne en cet antre de toutes les macérations, peuplé de monceaux de récipients, de seaux anciens accumulés là, où fermentent encore des mélanges dont plus personne ne se souvient. Là tourne doucement la barbotine, mue dans les profondeurs de la cuve par un dispositif rotatif de ma fabrication : un agitateur lent. En l’absence de clarté suffisante, on estime l’état de la pâte selon l’intensité du son, en écoutant le bruissement émis par les millions de micro-bulles venues éclore à la surface, depuis le chuintement originel des premiers moments du monde jusqu’au silence de la porcelaine prête à sa mise en œuvre.
Serge Nicole, Président d’Ateliers d’Art de France serge.nicole@ateliersdart.com
Bien souvent il m’est arrivé de surprendre mon assistante, penchée de toute éternité sur la cuve, oubliée dans une méditation circulaire infinie, à contempler les 1 001 bulles venues du fond des temps affleurer à la surface de la barbotine. Mais que chuchotent-elles donc à l’unisson en cette musique infime ? Elles disent que dans quelques jours, après Arcachon en 2012, la communauté des métiers d’art réunit ses assises à Saint-Malo. Que s’est-il passé depuis nos dernières assises ? Il y a eu Révélations en 2013 ! Puis la loi en 2014 ; et ses prolongements législatifs d’aujourd’hui. Notre mobilisation a fait des merveilles ! La dimension de création artistique des métiers d’art a été gravée dans le marbre. Nous avons piloté la structuration du secteur ; telle qu’elle n’existe nulle part ailleurs. À cette ébullition, a succédé l’engouement médiatique. Puis d’autres révélations sont venues : la conscience de notre force collective, notre capacité à agir sur le monde. Cette loi que nous avons portée, nous la ferons vivre jusqu’à son plein épanouissement. Il ne se passe pas un mois sans que nous n’avancions vers sa réalisation, pas à pas, inéluctablement. Depuis 2012, les blés ont poussé. Leurs épis sont encore bien verts tout autour de nos ateliers, mais drus, dressés sur leurs tiges si fermement que les orages ne pourront empêcher la moisson à venir. À observer les bulles qui éclatent à la surface de la cuve, qu’elles viennent de 2012 ou du fond des âges, est assez semblable, tant il s’est écoulé de siècles en ces quatre années. Peut-on même imaginer la situation antérieure ? Nous étions au même cas catastrophique que les designers aujourd’hui. Comme nous-mêmes, ils espéraient hautement cette reconnaissance sociale. Qu’en est-il advenu ? Au moment où s’amoncellent les situations de détresse, les designers, sans place identifiée, sans règle adaptée, relégués dans les métiers de services, subissent de plein fouet les calamités accumulées, dans le silence, dans l’oubli. Par notre mobilisation, nous bénéficions désormais de conditions favorables exceptionnelles qui nous rendent plus forts et changent notre avenir. Dans la cuve, le crépitement précipité des milliers d’explosions minuscules a fait place à de menues éclosions de plus en plus lointaines. Bientôt, la dernière bulle aura éclos et la trace de son sillage à la surface de la barbotine, étendue un instant encore comme la queue d’une comète, se sera éteinte avant de se fondre dans la plus parfaite fluidité d’une porcelaine extrêmement douce et docile, présage de sa limpidité future, lorsque la lumière versera sur la blancheur de sa robe de fascinants éclats.
Ateliers d’Art juillet-août 2016 ❘ 3
Le Couvent de Treigny (89) céramique contemporaine
Bestiaire 23 juillet - 1er novembre 2016
Jean-Luc Belleville Hélène Loussier
C. Allouin-Merccion, J-L Belleville, Capri, C. Chaillou, N. Crestou, M. Degluaire, J-M Doix, J-J Dubernard, Fany G., J. Guillaume, Ch. Hélas-Massaux, Ch. Legendre, H. Loussier Association de Potiers Créateurs de Puisaye Le Couvent - 89520 TREIGNY lecouventdetreigny89@orange.fr
Vernissage samedi 23 avril, dédicace du livre « Bestiaire », de Nicole Crestou, à 16 h. Prix du public, sélectionnez le talent de votre choix.
www.lecouventdetreigny.com Entrée libre - 14 h à 19 h, V S D L, JF et TLJ durant les V S.
céramiqueverre la revue de la
et du
FESTIVAL CERAMIQUE d'ANDUZE de la
13, 14, 15 ao t 2016
Invité d'honneur : Laurent DUFOUR ‐ Karin PUTSCH GRASSI ‐ Lidia SERRA
www.festival-ceramique-anduze.org
SOMMAIRE 6 À voir, à savoir
ATELIERS D’ART N° 124 JUILLET-AOÛT 2016
COUPS DE CŒUR. Éloges de créations, p. 6
EN COUVERTURE
ÉVÉNEMENTS. À ne pas manquer, p. 8
Yan Zoritchak, Énergie Cométaire, cristal optique © pedrosphoto.com
RÉVÉLATIONS. Dans les coulisses de la 3e édition, p. 13
DIRECTEUR DE LA PUBLICATION
ANALYSE D’ŒUVRE. Le Prince des mers, de Geng Xue, p. 14
16 Économie
Serge Nicole
DIRECTEUR ADMINISTRATIF ET FINANCIER
LES ENTREPRISES, UN ÉCRIN POSSIBLE POUR LES CRÉATIONS MÉTIERS D’ART. De nombreux intermédiaires proposent leurs services d’acquisition ou de location d’œuvres et objets d’art aux entreprises. Des opportunités à saisir ?
Nicolas Darras
RÉDACTRICE EN CHEF Anastasia Altmayer (anastasia.altmayer @ateliersdart.com)
20 Entretien
COMITÉ DE RÉDACTION
THOMAS PARIS – LES ENJEUX D’UNE ENTREPRISE DE CRÉATION. Spécialiste du management de la création et de l’innovation, Thomas Paris met en exergue les spécificités de la gestion des entreprises-ateliers d’art.
Véronique Martin, Serge Nicole, Sébastien Panis, Aude Tahon.
ONT COLLABORÉ À CE NUMÉRO Valérie Appert, Eva Bensard, Virginie Chuimer-Layen, Marie Lepesant, Elisa Morère, Marion Perrier, Aurélie Sécheret.
24AUDébat SERVICE DU LUXE : CRÉATEURS OU « PETITES MAINS » ?
PHOTOGRAPHIES
Dans certaines filières, les professionnels des métiers d’art sont sollicités par l’industrie du luxe. Est-ce un deal gagnant-gagnant, et quels sont précisément les enjeux pour chacun ?
Séverine Baur, Alexis Lecomte, Gilles Leimdorfer, Guillaume Rivière.
MISE EN PAGE ET RÉDACTION GRAPHIQUE
29 Parole de créateur
Isabelle Iglésias, Nicolas Gateau, (Pixel Image ✆ 00 33 3 87 69 18 18)
CLAUDINE RUELLAN – UN BAIN DE SENSATIONS. Entre terre et mer, la céramiste trouve dans les flots toute son inspiration.
SECRÉTARIAT DE RÉDACTION Virginie Mardiné (TEMA/presse ✆ 003387698900)
CORRECTION-RÉVISION Lina Fafet (Pixel Image ✆ 00 33 3 87 69 18 18)
IMPRESSION Interprint – Groupe Morault (57)
PUBLICITÉ Mathieu Tournier ATC, 137 quai de Valmy 75010 Paris ✆ 00 33 6 62 23 52 70 m.tournier@groupe-atc.com
ABONNEMENTS Tarif d’abonnement pour un an (6 numéros) : 36 euros Service Abonnement, Jaël Houblon, Les Éditions Ateliers d'Art de France, 8 rue Chaptal, 75009 Paris ✆ 00 33 1 44 01 08 30 jael.houblon@ateliersdart.com
ÉDITEUR Les Éditions Ateliers d’Art de France 8 rue Chaptal, 75009 Paris ✆ 00 33 1 44 01 08 30 Fax : 00 33 1 44 01 15 67 www.ateliersdart.com
N° ISSN 1275-9570 DÉPÔT LÉGAL juillet 2016 N° COMMISSION PARITAIRE 1119 G 90057 La reproduction, même partielle, d’articles ou de documents parus dans Ateliers d’Art est soumise à notre autorisation préalable.
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DO S SIER
Aux confins
DU MONDE
Son centre est partout, sa circonférence nulle part. Verre, céramique, métal, éclairage deviennent les outils par lesquels les professionnels des métiers d’art nous rendent l’invisible visible, et l’univers, à portée de main !
Portraits 38MARIE GRIMAUD. Créatrice d’âmes, p. 38 JOEY LEUNG. Pêcheur en eaux profondes, p. 42
Reportage 46PLYMOUTH COLLEGE OF ART, L’ÉCOLE DE L’AVENIR. Au sud-ouest de l’Angleterre, à Plymouth, il existe une école d’art unique au monde qui place les savoir-faire et la créativité au cœur de ses formations. Pleins feux sur une institution augurant un nouvel avenir pour la création artisanale.
54 Bloc-notes
AGENDA. Expositions, Salons et festivals en France et à l’étranger, p. 54 INFOS PRO. Appels à candidatures, petites annonces, lauréats, stages, p. 56 PRATIQUE. Carnet d’adresses, points de diffusion, copyrights, p. 62 Ateliers d’Art juillet-août 2016 ❘ 5
À VOIR, À SAVOIR ■ COUPS DE CŒUR Paul et Virginie, à table !! ALICE AUCUIT Pièce extraite d’un service de 6 assiettes en porcelaine émaillée 27 cm (Ø) ➥ 1 300 € En vente sur contact direct avec l’artiste (atelier sur l’île de la Réunion) www.aliceaucuit.com ✉ o.gres.dalice@wanadoo.fr ✆ 06 92 28 93 22
The Challenge PETER DEMETZ Bois (tilleul) sculpté 115 x 100 x 29 cm ➥ 35 000 € En vente à la galerie Liquid Art System, Capri et Positano (Italie) www.liquidartsystem.com www.peterdemetz.it ✉ contact@peterdemetz.it
Dimanche MARINE BIDOUX Verre thermoformé 21 x 27 x 21 cm ➥ 760 € En vente sur contact direct avec l’artiste www.marinebidoux.fr ✉ mb@marinebidoux.fr ✆ 06 83 91 60 69
6 ❘ Ateliers d’Art juillet-août 2016
À VOIR, À SAVOIR ■ COUPS DE CŒUR
À Voix Basse AGNÈS SÉBYLEAU Ficelle de lin crochetée 60 x 20 x 15 cm ➥ 400 € En vente sur contact direct avec l’artiste www.sebyleau.ultra-book.com/book ✉ sebyleau@gmail.com ✆ 06 87 32 01 37
Cage Cache PAULINE OHREL Fil de fer 50 x 50 cm ➥ 1 500 € En vente sur contact direct avec l’artiste www.paulineohrel.net ✉ pauline.ohrel@free.fr ✆ 06 88 23 00 62
Rosebud FLORENCE BRUYAS Sculpture issue d’une série de 9 pièces en céramique, lustre or, fourrure synthétique rose 15 x 15 cm ➥ 350 € En vente à l’atelier : 2 rue des Mutilés-du-Travail, 42 000 Saint-Étienne www.florence-bruyas.fr ✉ florence.bruyas@hotmail.fr ✆ 06 18 64 63 71
À VOIR, À SAVOIR ■ ÉVÉNEMENTS
Ceramix, ou l’art céramique SANS LES CÉRAMISTES TEXTE D’ANTOINE LEPERLIER, MAI 2016.
Jessica Harrison, Shirley, 19 x 15 x 14 cm, 2014.
Ceramix » est une exposition dont l’enjeu proclamé est de transgresser la hiérarchie entre les arts mineurs et les arts majeurs. Ce parcours s’attache à mettre en évidence la profondeur historique d’un mouvement de céramiques artistiques qui se développe dans l’art contemporain depuis quelques années. Ce n’est pas le moindre des mérites de ses deux commissaires que d’avoir réuni cet ensemble d’œuvres incontestables et d’avoir ainsi validé le caractère artistique de la céramique en lui donnant une place dans le domaine de l’art contemporain. Cependant d’où vient qu’au sortir de cette exposition des contradictions apparaissent, et que, d’évident, le propos devienne arbitraire et contestable ? Selon les commissaires ayant initié « Ceramix », la céramique serait digne d’intérêt en ce qu’elle serait discriminée comme art mineur et en ce que ses propositions repousseraient les limites d’un art conformiste entretenant des hiérarchies entre les arts. On remarquera cependant que les artistes exposés ne sont généralement pas associés au domaine des arts mineurs. Tous ces artistes ont et ont eu une carrière reconnue dans l’art contemporain. Ils n’ont jamais eu à subir l’ostracisme social et symbolique vécu par les céramistes, qui malgré les combats menés depuis des décennies pour faire droit à l’artification de leurs pratiques, n’ont jamais pu faire reconnaître quant à eux leurs œuvres dans le monde de l’art. Qu’ils travaillent exclusivement ou épisodiquement avec cette matière, les artistes présentés ici n’ont jamais vu leur statut contesté du fait de leur pratique céramique, bien au contraire. Aussi n’y a-t-il pas une certaine indécence à « héroïser » ces artistes sélectionnés pour l’exposition, alors que ceux qui subissent véritablement le poids des hiérarchies ne sont pas même mentionnés ? En s’appropriant en quelque sorte leur combat, cette exposition capitalise à bon compte sur l’aura d’un art maudit et contesté, qu’affectionnent particulièrement les tenants de l’art contemporain institutionnel. Tandis que l’aura des artistes sélectionnés se trouve confortée par cette confrontation à une matière réputée taboue, l’ex-
clusion des céramistes du domaine de l’art se trouve quant à elle d’autant renforcée. Car ne nous y trompons pas, ce n’est pas la céramique en tant que matière qui est maudite mais bien plutôt les céramistes qui la transforment. Cette récupération d’un combat légitime s’opère dans une vulgate familière au monde de l’art contemporain dans sa version institutionnelle, vulgate mettant en scène pour ensuite le défendre, un art d’avant-garde prétendument contesté, toujours en rupture et en butte à une censure venant d’une société conservatrice et d’académies dont il n’aurait de cesse que de transgresser les règles. Cet art contemporain dont il sera toujours pointé le côté à la fois « subversif » et « contesté », a cependant ceci de paradoxal qu’il couvre et intègre tous les genres, et toutes les pratiques et en tant que genre majeur et hégémonique il se caractérise précisément par sa capacité constamment renouvelée, de bousculer les règles érigées par lui-même et de tout tolérer en son sein pourvu qu’il en maîtrise les définitions, les codes et les limites, mais aussi d’exclure tout ce qui pourrait le contester. « Ceramix » passe entièrement sous silence l’histoire de la céramique en tant que pratique. La définition utilisée pour « céramique » est à ce titre instructive. Pour les commissaires, la céramique n’est qu’une matière, la « terre cuite ». La pratique elle-même (« fabrication des objets récipients en terre cuite », cf. Larousse), c’est-à-dire la céramique en tant que matériau, n’est mentionnée que de façon condescendante en rappelant la « collaboration » entre praticiens et plasticiens, artisans et artistes. C’est ainsi que le travail, le savoir-faire, la « cuisine » de l’émail et de la terre, ne sont pas évoqués, et pas même envisagés comme pouvant être partie prenante à la création de l’œuvre d’art céramique. Cette céramique-là est cantonnée au domaine de la céramique utilitaire englobant par extension tous les contenants. Cette conception résolument anti-artisanale de la céramique satisfait ainsi à l’orthodoxie esthétique d’un art conceptuel institutionnel qui reprend à son compte la division des arts telle qu’elle fut instaurée par l’académie de Lebrun au XVIIe, séparant
«
8 ❘ Ateliers d’Art juillet-août 2016
À VOIR, À SAVOIR ■ ÉVÉNEMENTS
Elsa Sahal, Fontaine, 2012. Ateliers d’Art juillet-août 2016 ❘ 9
À VOIR, À SAVOIR ■ ÉVÉNEMENTS
En haut : Thomas Schütte, Anna et Blumenoval, 2014. Thomas Schütte, Untitled (Ceramic Sketches), 1997-1999. En bas de droite à gauche : Robert Arneson, Current Event, 1973. Viola Frey, Artist mind artist studio, 1993. Robert Arneson, George and Mona in the Baths of Coloma, 1976. Robert Arneson, American Standard, 1965-1976. Robert Arneson, Captain Ace, 1978.
10 ❘ Ateliers d’Art juillet-août 2016
À VOIR, À SAVOIR ■ ÉVÉNEMENTS
Johan Creten, Les Amants - Les Coqs, grès émaillé, 77 x 114 x 88 cm, 1994.
déjà le dessein (le concept) du travail du matériau. On comprend les limites de la subversion affichée. Intégrer une nouvelle matière à l’art tel qu’il se définit actuellement est tout à fait acceptable au regard de ses règles, en revanche reconnaître comme artistes des céramistes issus de l’« angle mort » dans lequel les discriminations institutionnelles les ont confinés, c’est-à-dire les sortir de l’artisanat d’art pour admettre leur démarche artistique, constitue la limite que « Ceramix » ne franchit pas ; ce serait reconnaître l’égale dignité des approches sensibles du matériau d’avec les approches conceptuelles, et cela risquerait de mettre en cause un des paradigmes non-dits mais néanmoins fondamentaux de l’art contemporain académique. Pourtant, la mise en évidence d’un espace artistique commun s’enracinant sur les échanges constants entre le monde de l’art et celui de la céramique, aurait autrement mis à l’épreuve et de façon plus radicale les codes de l’art dominant que vise à subvertir « Ceramix ». La frilosité des commissaires à aborder la céramique artisanale en voie d’artification, se manifeste dans la manière dont elles intègrent Voulkos et les céramistes américains des années 50/60 : voilà déjà de nombreuses années que leur combat a été reconnu outre-Atlantique. Que n’en fontelles autant à l’égard de ceux qui, en France, en Scandinavie ou en Grand-Bretagne, poursuivent un combat commencé avec eux ou à leur suite ? En revanche, et de façon attendue, sont exprimés dans le catalogue des regrets de n’avoir pu exposer l’urinoir de Duchamp et les carrelages de Raynaud. Dès l’instant où ces œuvres sont en terre cuite (donc en céramique selon sa définition réductrice), elles auraient pu avoir leur place dans l’exposition ; on ne semble pas se soucier de savoir si la question céramique a jamais mobilisé ces artistes. Ceux-ci n’ont pourtant jamais articulé la moindre réflexion sur cette matière, ni encore moins sur sa pratique ; leur concept ne le soupçonnant même pas. Seulement, en convoquant ainsi des figures légitimes et autorisées de l’histoire de l’art contemporain, et afin qu’il n’y ait aucune ambiguïté sur le genre de céramique ainsi défendue, les commissaires rassurent un marché, leurs pairs, et réaffirment la domination académique du tout-conceptuel dans l’art institutionnel, eût-il intégré la terre cuite.
Il n’est pas question ici de contester la place de ces artistes dans ce type d’exposition, bien au contraire : à notre sens les approches sensibles et conceptuelles de la céramique ont une égale dignité quand elles sont guidées par une démarche artistique. Mais il faut comprendre qu’avec les intentions les plus « subversives » du monde, les commissaires ne font que renforcer les hiérarchies existantes, fondées sur ce que j’ai appelé le dogme de « l’Immaculée Conception de l’art ». En n’intégrant pas les céramistes à cette exposition – on aurait pu s’attendre à voir des Decœur, Deblander, Dejonghe, Bayle, Champy, McKirdy ou Corregan, Fabre ou encore Praudel, etc. ; il y a tant d’absents… –, et en restreignant la définition de la céramique à la matière et non à une pratique de matériau, elles achèvent de les reléguer au rang de sous-traitants et de potiers. Elles mettent de plus en péril un marché déjà confiné dans l’« angle mort », à mi-chemin entre les marchés de l’artisanat d’art et de l’art contemporain, et grâce auquel cependant ces céramistes vivent depuis des décennies. Cette histoire de la céramique expurgée et revisitée, mélangeant toutes les productions liées à la terre sans chercher à en révéler la cohérence esthétique, ne donne place en définitive qu’à la seule production céramique pouvant souscrire à une définition non artisanale et reconnue tant sur le marché de l’art que par le monde académique et muséal. Cependant, malgré ce renforcement et cette extension des règles académiques, le mouvement est lancé, l’exposition en fournit la preuve malgré elle, qui abolira ces distinctions déjà dépassées dans les faits. Car les choses évoluent, des artistes plasticiens qui s’adonnent entièrement à ce médium étendent les limites d’un art convoquant tout l’artisanat, et leurs expériences retrouvent celles des céramistes qui euxmêmes s’en sont déjà émancipés. Leurs œuvres prendront place dans un monde de l’art qui, attaqué de toutes parts, ne pourra qu’évoluer et étendre son champ. Le mérite de cette exposition tient alors à ce qu’elle permet de faire un état des lieux des résistances mais aussi des perspectives. Le vrai combat pour les arts mineurs reste quant à lui ce qu’il a toujours été depuis la Renaissance, à savoir sortir du contrôle symbolique et social des statuts d’artiste et d’artisan par des académies. ■ Ateliers d’Art juillet-août 2016 ❘ 11