Collection Artistes de la matière - Alain Mailland, l'âme du bois

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Sophie Bassouls est une photographe française qui a, notamment, dirigé le service photo de L’Express et du Figaro Littéraire, et couvert l’actualité littéraire pour l’agence Sygma. Elle travaille, depuis le début des années 2000, en freelance et collabore régulièrement à la revue d’art Area. Au fil des années, elle a constitué un fonds extrêmement riche de portraits d’écrivains et d’artistes.

Collection ARTISTES DE LA MATIÈRE La collection propose une série de monographies d’artistes de la matière sous trois angles principaux : le Créateur, l’Œuvre, la Matière. Chaque ouvrage articule la voix de l’artiste, celle d’un critique d’art et l’œil d’un photographe pour offrir sur l’œuvre un regard complet et novateur.

ALAIN MAILLAND L’ÂME DU BOIS « Je cherche dans le bois le vivant », telle est la clé de l’art d’Alain Mailland. Maître du Woodturning Art, il observe et reproduit les structures circulaires de l’univers, de l’atome à la galaxie, inspiré par l’infinie rotation du tour sur bois. Installé dans les Cévennes, il utilise principalement les bois précieux de sa région aux motifs et couleurs extraordinaires – le pistachier, l’arbousier, le filaire, le micocoulier – dont il tire des pièces fines qui épousent les formes et le rythme de la nature. Ses œuvres peuvent flotter dans l’espace et se présenter en tout sens. On croit voir une fleur et c’est une méduse, ou l’inverse. Délices des métamorphoses. Par ses sculptures, Alain Mailland nous offre des utopies visuelles qui nous émeuvent, car elles conjuguent la grâce des plantes et l’énergie d’un derviche tourneur dans une ode élégiaque au vivant.

L’ÂME DU BOIS Texte Alin Avila Photographies Sophie Bassouls

© Sophie Bassouls

Longtemps producteur à France Culture, il a publié un grand nombre d’ouvrages et dirige la revue d’art contemporain Area.

ALAIN MAILLAND, L’ÂME DU BOIS

Alin Avila est historien et critique d’art.

ALAIN MAILLAND

Alain Mailland

Né en Côte d’Ivoire en 1959, Alain Mailland vit d’abord en région parisienne, puis s’installe dans le Sud de la France comme charpentier-menuisier. En 1987, il découvre le tournage qui ne le quittera plus. Il développe alors des techniques particulières – décentrage, cintrage, sablage – et affirme son propre style pour sculpter des pièces d’inspiration marine ou végétale. Il acquiert rapidement une réputation internationale pour l’originalité de son travail et expose depuis plus de quinze ans. Plusieurs de ses pièces figurent dans des musées, notamment aux États-Unis, et dans des collections privées.

Prix public en TTC : 14,90 € ISBN : 979-10-96404-02-5

Collection ARTISTES DE LA MATIÈRE


ALAIN MAILLAND L' ÂME DU BOIS Texte Alin Avila Photographies Sophie Bassouls


L’ESSENTIEL

TOURNEUR, tourneur d’art. Les Anglo-Saxons disent Woodturning

artist.

AVANTPROPOS

L’ESSENTIEL

Voilà un titre qu’Alain Mailland revendique et par lequel il appartient à une sorte de confrérie internationale au sein de laquelle il est très reconnu. Cependant, le tournage proprement dit ne constitue même pas le quart de son travail. Pourquoi ne pas le nommer plus simplement « sculpteur » ? Vous viendrait-il à l’idée de dire que Rodin est un « staffeur » parce qu’il utilise du plâtre et de la filasse ? Que Michel-Ange est burineur parce qu’il creuse la pierre, armé de ciseaux et de burins ? Que César est ferronnier parce qu’il use de tenailles et d’un chalumeau ? En France, en raison de la formation universitaire, des académismes multiples et de l’esprit de corps qui règne dans l’art, être tourneur sur bois ne fait pas « artiste ». Pour combien de temps cet aveuglement idéologique priverat-il la sculpture et l’art français de quelques uns de leurs plus originaux créateurs, parce que l’intitulé qui les classe ne « convient » pas ? Si, aux États-Unis, l’art contemporain du bois a trouvé sa place et bénéficie d’une reconnaissance institutionnelle grandissante, qu’il est présent dans un nombre considérable de musées, on ne peut que constater le retard de la France où l’on ne parle à ce sujet toujours pas d’art, mais d’artisanat. Alain Mailland, qui vit en France, est reconnu là-bas comme l’artiste subtil qu’il est ; des dizaines de musées possèdent ses œuvres, mais pas dans son pays.

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LE GOÛT DU CONCRET

PARCOURS


ALAIN MAILLAND

LES PREMIERS travaux qu’Alain Mailland considère comme des œuvres sont des coupes et des vases pris dans un bois qui héberge une loupe1‚ et ce jusqu’au jour où il rencontra les acteurs américains du Woodturning Art, à Philadelphie, en 1998. Mais revenons en arrière. Au plus loin, évoquons les jeux de l’enfance. Avec sa mère, pharmacienne de profession (elle avait suivi des cours d’herboristerie), ils avaient l’habitude d’arpenter la campagne pour collecter des plantes qu’ils disposaient dans un herbier. Puis il fallait parcourir une Flore, cet ouvrage qui, d’observations en déductions, permet de rechercher à quel ordre et famille appartiennent les plantes, pour, au final, pouvoir en dire le nom. Y parvenir construit le regard, en forgeant l’art de reconnaître, nommer et savoir. Que faire de son adolescence ? C’est l’art qui l’intéresse. Aussi décide-t-il de suivre les cours de l’École des beaux-arts de Cergy-Pontoise. En 1979, celle-ci a l’ambition d’être un laboratoire conceptuel, mais le jeune Alain cherche du concret. Comment le trouver là, dans ce fatras de bavardages ? Il y peint mais ce n’est pas ce qu’on lui demande. Sa sensibilité est instinctive et manuelle, peu spéculative ; au bout de deux ans, il refuse de s’ennuyer plus longtemps. Il quitte donc cette école et la région parisienne pour s’installer dans les Cévennes au sein d’une communauté comme il en existait tant dans ces années-là. Même si elle est difficile, cette vie lui convient mieux. S’en suivent des petit boulots, généralement dans la construction, et il devient charpentier.

Avec sa mère, ils avaient l'habitude de collecter des plantes 6

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ALAIN MAILLAND

PARCOURS

Un ami se retrouve un jour en possession d’un tour à bois et lui dit : « Toi, le charpentier, ne veux-tu pas le tester avec moi ? ». Alain découvre pour la première fois cette machine à deux têtes. Il comprend assez vite comment s’en servir, et tous les jours, durant deux mois, dès le travail fini, il se précipite pour l’utiliser. Voir naître la forme sous ses doigts, la forme pure d’un cylindre, d’une légère pression de la gouge. Et le bois qui enfle, s’évase ou rétrécit. Cela l’étonne, l’émeut et, comme il aime pousser les limites de sa curiosité, il se renseigne et devine que les possibilités de l’outil doivent être supérieures à celles qu’il vient de découvrir. Il apprend que des stages sont proposés et décide presque aussitôt d’en suivre un, puis un autre.

Alain découvre pour la première fois cette machine à deux têtes

En 1998, il découvre qu’à Philadelphie un centre invite sur projet des créateurs : The Centre for Art in Wood2, fondé en 1986 par Albert LeCoff, qui organise symposiums et expositions. Il tente sa chance. Il réussit. Là-bas, il est accueilli par des pairs qu’il ignorait et qui lui offrent une considération dont il n’avait pas idée.

Dès les années 1930, Bob Stocksdale3 et James Prestini4 développent des objets du quotidien aux formes épurées inédites. Ceux-ci sont en bois ; les nodosités des racines qu’on n’utilisait pas et les veinages que l’on avait tendance à cacher y sont exaltés. En les maintenant apparents, ils produisent des effets la fois sauvages et modernes, proches des textures de l’art contemporain d’alors.

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ALAIN MAILLAND

Ni l’usage domestique, ni les habitudes de production ne soumettaient la création de ces jeunes tourneurs. Ils durent inventer des outils et donnèrent à ce qu’ils faisaient un nom : The Woodturning Art. Ce qui comptait : que ce soit beau par l’effet conjoint de la forme et de la matière, que chaque pièce soit unique, cachant en elle les secrets de sa vie végétale, de sa résistance aux intempéries et à toutes les marques de l’environnement. Qu’elle soit ainsi témoignage aussi bien de l’homme que de la nature. Avec eux, la matière et le créateur ont part égale dans l’œuvre. Un premier journal, Fine Woodworking5, fédère ces artistes-artisans et fait connaître ce qui en est encore au stade de l’aventure. Il est vrai que les pays anglo-saxons sont très sensibles à ces pratiques, vantées dès le milieu du XIXe siècle par William Morris, fondateur du mouvement Arts and Crafts en Grande-Bretagne. Aux États-Unis, dès la fin du XIXe siècle, de nombreuses communautés s’établissent à partir de ces idéaux de vie simple et d’activité artisanale. Dans ces années 1930 où les froides théories du Bauhaus tendent à s’imposer dans le design, ces objets du quotidien paraissent des offenses aux concepts de rationalité et de production de masse. Anti-design dans un premier temps, le Woodturning Art influencera les écoles nordiques : Alvar Aalto, architecte et designer finlandais, adepte de l’architecture organique, mais aussi Charlotte Perriand et tant d’autres qui prirent en considération l’âme du bois. C’est dans le sillage de cette histoire et de ses précurseurs que s’ouvre l’aventure d’Alain Mailland.

La pièce témoigne de l'homme et de la nature

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LES BOIS VERTS DES CÉVENNES ATELIER

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ALAIN MAILLAND

ATELIER

LES CÉVENNES, Alain Mailland en parle comme s’il y était né. Pourtant, voilà seulement quelques années qu’avec Elisabeth Mézières, sa compagne, et leur fils, ils ont sauté le pas et quitté Uzès et ses garrigues pour ce vieux pays voisin, protégé par sa nature aux beautés arides. « Les Cévennes, ce n’est pas une de ces contrées qui se laissent apercevoir, côtoyer, toiser, parcourir, aimer, quitter, elle ne peut être ni un passage, ni une passade. On est dedans ou dehors. » proclamait Jean-Pierre Chabrol6, le chantre littéraire de Chamborigaud, la commune où ils se sont installés. Au lieu dit Prat Nouvel, sur le bord de la route de Valmale, caché par un de ses nombreux coudes, voici un mas de pierre, construit avec cette ancestrale technique qui donne aux bories l’allure d’être le fruit de la nature plus que de l’homme. Après avoir gravi une route à l’allure d’un chemin de montagne, dans un paysage magnifique de pins rectilignes parmi lesquels subsistent d’antiques châtaigniers dont le pays était jadis couvert, on arrive au mas. Des amas de bois nous y accueillent. Ils sont de toutes sortes, bien rangés et classés comme des livres dans une bibliothèque. Des rouelles d’un cèdre qui a dû être immense exaltent leurs parfums – « Pourquoi n’en ferais-je pas une table où plusieurs plateaux s’imbriqueraient ? » –, des troncs sauvages ou déjà travaillés en poutres – « Celui-là, je le destine à un aménagement futur » – ou en billes – « Pour le feu ! Ici il faut se chauffer une grande partie de l’année ». Et d’autres, de forme et de genre variés : « Ils me serviront bien un jour, et j’ai besoin de leur présence, de les voir sans savoir… ».

J'ai besoin de leur présence, de les voir sans savoir...

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