La consigne
La consigne, les dessins des métiers d’art réunit un fonds de dessins insolite et inédit de cinquante créateurs qui transforment la matière au cœur de leurs ateliers. Céramiste, feutrier, sculpteur sur bois, verrier d’art ou encore orfèvre... tous ont accepté de dévoiler leurs esquisses, leurs épures et, à travers elles, une part de leur imaginaire. À l’initiative de l’association Les Traces Habiles, cet ouvrage a été récompensé par le Prix « La Pensée » de la Fondation Ateliers d’Art de France. Il révèle l’extraordinaire richesse et la diversité des processus créatifs à l’œuvre dans les métiers d’art.
Prix public : 31.50 € TTC ISBN 979-10-96404-04-9
La consigne, LES DESSINS DES MÉTIERS D’ART
LES DESSINS DES MÉTIERS D’ART
La consigne LES DESSINS DES MÉTIERS D’ART
Directrice de la publication : Aude Tahon Direction éditoriale et artistique : Claire Combeau et Anne Wintrebert Coordination du projet : Emmanuelle Droy et Françoise Aïtgougan Graphisme et mise en page : Anne Ladevie Secrétariat de rédaction : Jean-Marc Eldin et Bruno Mousel Photogravure : Les Artisans du Regard Dessin de couverture : © Marie-Anne Baccichet / SAIF, 2017
© Les Éditions Ateliers d’Art de France, mai 2017 ISBN : 979-10-96404-04-9 Imprimé sur papier Munken Lynx 150 g/m2 Impression : Imprimerie Chirat 42540 Saint-Just-la-Pendue Dépôt légal : mai 2017 N° ???
« Le dessin est une écriture qui permet d’accéder aux fondements de la pensée humaine, il est l’essence d’une mémoire partagée… » ANNE-LISE COURCHAY, artiste du livre, parchemin designer
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Dessin : Isabelle Emmerique, laqueur.
Révéler l’identité des métiers d’art Créée en 2011 par Ateliers d’Art de France, notre fondation est la seule portée par des professionnels de métiers d’art et dédiée à l’ensemble de notre secteur. C’est un ovni dans le paysage actuel des fondations dont le nombre croit chaque jour. Par ses projets, notre fondation permet de révéler au public toute l’inventivité et l’énergie qui animent les artisans créateurs. En tant que Présidente de la Fondation Ateliers d’Art de France, qui encourage le dépassement de la vision traditionnelle des métiers d’art, je suis heureuse que cet ouvrage voie le jour. La consigne, les dessins des métiers d’art est né d’une belle et audacieuse initiative menée par Les Traces Habiles, association lauréate en 2016 de la seconde édition du Prix « La Pensée » décerné par notre fondation. Distinguer un projet dont l’auteur, par son regard, sa pensée ou ses écrits, participe au rayonnement, à la valorisation ou à l’histoire des métiers d’art : tel est l’objet de ce Prix. Son comité de sélection, composé de six personnalités du monde de l’édition, des médias et de l’art, a choisi à l’unanimité de récompenser ce travail sensible, poétique, qui propose de découvrir le processus de création à l’oeuvre dans nos ateliers. Être créateur, c’est avoir des envies, des idées, y réfléchir et les concevoir, puis passer à l’acte. L’acte singulier de nos métiers d’art est celui de la transformation et du jeu avec la matière. À travers ce recueil d’esquisses et d’épures, de croquis, de mises en couleurs, ce sont les traces intimes de la pensée du créateur qui nous sont ici révélées. Ce sont cinquante professionnels des métiers d’art qui partagent leur histoire, leur imaginaire et leur démarche créatrice, à travers une diversité de métiers : céramiste, verrier, feutrier, sculpteur sur bois, coutelier, créateur papier, lumigraphe, orfèvre, créateur de mobilier, bijoutier, mosaïste... Notre maison d’édition, Les Éditions Ateliers d’Art de France, a pour vocation de diffuser une pensée sur les métiers d’art et d’oeuvrer à la reconnaissance de la place de l’artisan créateur dans notre société. L’ouvrage que vous allez découvrir ici, par son propos, y contribue pleinement. Il projette notre identité et nos valeurs tout en faisant partager l’élan créatif des milliers de femmes et d’hommes qui, chaque jour, transforment et subliment la matière dans l’intimité de leur atelier. AUDE TAHON
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Présidente de la Fondation Ateliers d’Art de France
Dessin : Bertrand Secret, céramiste.
Le dessin dans le champ des métiers d’art
Le dessin, langage non verbal par essence interculturel, est pris ici comme témoin de la « pensée en cours ». Trace et tracé, empreinte de la main et de l’esprit, il est dessin et dessein. Malgré l’omniprésence du « e-graphisme » et de la dématérialisation, artisans, concepteurs, créateurs, « faiseurs », chercheurs... nombreux sont ceux qui utilisent le dessin manuel pour consigner leurs intuitions, constituer un réservoir d’inspiration ou expérimenter de nouvelles directions. Dans le champ interdisciplinaire des métiers d’art, le dessin n’est pas une finalité en tant que telle mais l’empreinte du chemin qui précède et ponctue la création. Traits, signes, notes codées, projections de fantasmes, esquisses indécises ou dessins de synthèse réalisés après coup, tous ces tracés forment un ensemble insolite qui restitue la diversité des pratiques. Ces dess(e)ins, tout en étant liés aux influences culturelles et aux savoir-faire professionnels, se saisissent du graphisme, du motif, du support, de l’échelle, de la série pour se déployer en toute liberté. Réalisées à l’abri de l’atelier et totalement désinhibées du regard de « l’Autre », ces étapes préliminaires, intimes et décomplexées, sont les gammes quotidiennes qui permettent de (re)connecter la tête et la main, l’esprit et la matière, la pensée et le geste. À l’inverse d’une illustration qui s’appuierait sur le réel, le dessin évolue alors dans ce qui n’existe pas encore, un magma de pensées en devenir. À ce titre, il est vivant. Apprécié pour sa simplicité, son économie de moyens, son efficacité, son pouvoir d’évocation, sa séduction aussi, il est défendu, y compris par les plus jeunes, comme étant un acte incarné et signé. De plus en plus présent dans les portfolios des créateurs, le dessin devient alors la caution d’une démarche authentique. Ces pratiques sont au coeur des questions que pose notre modernité, en termes de valorisation des savoir-faire et des « savoir-penser », de transmission et de conservation du patrimoine culturel. À l’heure de la surconsommation d’images virtuelles, dans une époque qui privilégie le « fait » sur le « faire », la valorisation des étapes de création est une façon de rendre hommage aux hommes et aux femmes qui cherchent à transcender la matière en lui insufflant une part de leur humanité et d’ouvrir au public de façon sensible et cultivée les portes de la création. CLAIRE COMBEAU
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Fondatrice de l’association « Les Traces Habiles »
Dessin : Collectif Hypernuit, créateurs bijoutiers.
Penser avec les mains, manier la pensée
Au-delà de la grande dichotomie entre arts et sciences, entre savoirs et
Symétriquement, le travail de la pensée, les arts du langage, écrit ou figuratif, ne
savoir-faire, entre la main et l’intellect, une nouvelle forme d’anthropologie,
sont pas des processus désincarnés et dématérialisés. Qu’il s’agisse de concepts
comparative et historique, s’attache à explorer le continuum de gestes et
ou de nombres, d’observations ou d’informations, d’intuitions ou de corrélations
d’opérations qui, dans chaque culture humaine, est à la base de tout acte de
logiques, d’idées, de sons ou de signes, ce sont autant d’objets qui se prêtent au
création, qu’il s’agisse d’artefacts, de pensée ou de discours. Par artefact, nous
maniement, à l’assemblage, à la mise en forme et en espace, à la transformation
entendons l’outil, la matière première travaillée, ses étapes de transformation,
selon les étapes d’un processus de fabrication.
sans qu’il soit possible de poser d’emblée une distinction entre l’utilitaire et l’esthétique, entre l’art et la technique tant ces deux dimensions sont entrelacées. La pensée englobe les opérations mentales, non seulement dans leur dimension neurocognitive, mais aussi dans leur nature sociale et culturelle, dans leur historicité : ces opérations sont en effet formalisées, enseignées, pratiquées dans des contextes sociaux particuliers, dans des communautés d’apprentissage et d’exercice, qu’il s’agisse de milieux professionnels, d’institutions savantes ou de pratiques du quotidien. Calculer, raisonner, comparer, imaginer, organiser, exposer, abstraire, se remémorer, critiquer sont autant d’exemples de telles opérations. Les discours, portés par la voix et l’écoute, ou par l’écriture et la lecture, mettent ces opérations en forme, les inscrivent dans des chaînes temporelles et logiques, les assujettissent aux lois d’une langue naturelle ou artificielle, vernaculaire ou savante, aux principes d’une raison graphique ou figurative. Ils en permettent aussi la circulation sociale, dans les multiples formes de la communication et de la transmission.
On rappellera ici les métaphores artisanales qui donnaient sens au travail créatif des poètes grecs du VIe siècle avant J.-C. : à l’inspiration reçue des Muses ou d’Apollon, elles substituaient le ciselage, la sculpture, le tissage et le polissage des mots et du langage, au fil d’un travail d’écriture et de composition qui se définissait comme artisanal et s’inscrivait donc dans une économie de la commande et de la rétribution, au même titre que tout autre artefact. On pourrait évoquer aussi les métaphores artisanales et manuelles qui sous-tendent le discours réflexif et métalinguistique sur les opérations de pensée : dérouler ou entrecroiser des fils, nouer et dénouer des questions, labourer des domaines, creuser des problèmes, bâtir des théories, bétonner des argumentations, poser les fondations d’un système, consolider une hypothèse, travailler à la beauté d’une démonstration, élaborer, découper, articuler, modéliser, mais aussi ciseler le style, la beauté d’un texte ou d’un discours. On revisitera les mnémotechniques de l’Antiquité classique comme de la Renaissance européenne, où l’art de penser comme celui de discourir s’appuient sur le parcours mental d’architectures et d’images
La fabrication d’un artefact, par l’interaction de la main, de l’outil et de la matière,
réelles ou virtuelles auxquelles sont associés les verba et les res que l’on veut
met en jeu la projection et la matérialisation d’une idée, la modulation des
réactiver : on ne peut penser si l’on n’est pas aussi architecte, peintre, sculpteur.
gestes et l’anticipation de leurs effets, la production de formes, de surfaces, de
On pourrait enfin rêver au projet d’une nouvelle anthropologie des techniques
textures dans un espace bi- ou tridimensionnel, des opérations complexes de
qui serait attentive à ce que les artefacts et les savoir-faire ont permis de penser,
schématisation, de figuration, d’abstraction qui s’appuient autant sur les capacités
de concevoir, d’imaginer et de théoriser dans différents contextes culturels, à
inventives de l’individu que sur les codes esthétiques et l’univers visuel d’une
différentes époques : la roue, la colonne, le télescope, le microscope, le métier à
culture et d’une tradition.
tisser, la machine à vapeur, l’aiguillage, l’ordinateur, le microprocesseur comme
Un artefact est aussi un objet discursif que l’on nomme, que l’on décrit, que l’on raconte, que l’on explique ou que l’on commente : du mode d’emploi à l’ekphrasis
modèles opératoires pour des formes de pensée et de discours, comme métaphores à l’interface de la main et de l’intellect dans les ateliers des savoirs.
narrative, de la critique d’art au discours réflexif des acteurs sur leur pratique, les artefacts sont des objets de langage qui peuvent ainsi entrer dans une nouvelle forme de circulation sociale, être communiqués, transmis et mobilisés dans différents contextes de perception et d’usages socialement déterminés.
CHRISTIAN JACOB Directeur de recherche au CNRS et directeur d’études à l’EHESS
Spécialiste des traditions lettrées et scientifiques dans l’Antiquité classique, Christian Jacob est aussi engagé depuis plusieurs années dans un travail interdisciplinaire et comparatiste sur les pratiques de savoirs, sur les lieux, les communautés, les champs qu’elles délimitent. Il a notamment dirigé le projet Lieux de savoir (vol. 1. Espaces et communautés, vol. 2. Les mains de l’intellect, Paris, Albin Michel, 2007-2011) et publié en 2014 Qu’est-ce qu’un lieu de savoir ? dans l’Encyclopédie numérique d’OpenEdition Press.
Les créateurs
BENOÎT AVERLY sculpteur sur bois
MARIE-ANNE BACCICHET artiste verrier
LUCIE BALANÇA verrier
EMMANUELLE BÉDUNEAU feutrière
PIERRE BONNEFILLE artiste muraliste
JEANNE BONNEFOY-MERCURIALI céramiste
ANNA BOROWSKI sculpteur sur matériaux de synthèse
créateurs bijoutiers
MATHILDE JONQUIÈRE mosaïste
PASCALE KLINGELSCHMITT plasticienne céramique verre gravure
PAULINE KRIER tapissier créateur
SABINE LALANDE céramiste
AURÉLIE LANOISELÉE brodeuse
NATHANAËL LE BERRE dinandier
ISABELLE BRAUD
SYLVAIN LE GUEN
créatrice papier et peinture
tabletier – éventailliste
JEAN-NOËL BUATOIS coutelier
BASTIEN CARRÉ lumigraphe
SÉBASTIEN CARRÉ bijoutier
MATHILDE CAYLOU verrier
ÉTIENNE CHAMPION sculpteur de masques
DAPHNE CORREGAN céramiste
ANNE-LISE COURCHAY artiste du livre, parchemin designer
ROLAND DARASPE orfèvre
KARIMA DUCHAMP céramiste
PATRICK LOUGHRAN céramiste
ALAIN MAILLAND tourneur-sculpteur sur bois
THIERRY MARTENON sculpteur
OLIVIER MELILLI orfèvre
HÉLÈNE MOUGIN céramiste
MYLINH NGUYEN sculpteur métal
XAVIER NOËL doreur ornemaniste
BÉRENGÈRE PARIS ennoblisseur textile
FRANÇOIS-XAVIER RICHARD dominotier - fabricant de papier peint
MARYSE DUGOIS
ANNE-LISE RIOND SIBONY
artiste papier de soie
verrier
CLÉMENTINE DUPRÉ céramiste
ISABELLE EMMERIQUE laqueur
MARION FILLANCQ verrier – bijoutier
LUCIE FROLET créatrice de mobilier en bois moulé
KAREN GOSSART ET CORENTIN LAVAL vanniers
MARIE GRIMAUD joaillière
MARTINE HARDY céramiste
s Dessin : Emmanuelle Béduneau, feutrière.
COLLECTIF HYPERNUIT
NELLY SAUNIER plumassière
JULIAN SCHWARZ sculpteur sur bois
BERTRAND SECRET céramiste
ALEXANDRA TOLLET céramiste
GÉRALD VATRIN artiste verre contemporain
JULIETTE VERGNE ennoblisseur textile
CHRISTINE WAXWEILLER céramiste
BENOÎT AVERLY SCULPTEUR SUR BOIS
« Je ne dessine pas assez ! » C’est ce qui me vient spontanément à l’esprit lorsqu’on évoque le dessin en lien avec mon travail. J’y recours néanmoins : pour noter une idée qui me traverse l’esprit, mais aussi pour faire des recherches. Dans mon travail, les idées et les nouvelles pièces viennent en faisant, les évolutions se font petit à petit. Je dessine souvent plusieurs fois les mêmes choses, que ce soient des pièces que j’ai en tête ou simplement du dessin abstrait, jusqu’au moment où le crayon dérape un peu ou qu’une nouvelle idée arrive sans crier gare, timidement : une ligne qui change de direction, une texture un peu différente, et de là naît l’esquisse d’une sculpture. Je vois cela comme quelque chose d’assez darwinien. J’aime dessiner, sans forcément espérer qu’il en sorte quelque chose, c’est pour moi une bonne approche de la création : voir ce qui vient spontanément, faire, refaire et voir ce qui s’impose, sans trop gâcher de matière.
Benoît Averly vit et travaille en Bourgogne. Après un bref stage de tournage sur bois en 2002, il s’oriente naturellement vers la sculpture. Instinctif, il crée des œuvres aux contrastes subtils. Son travail, exposé dans des galeries d’art en France et à l’étranger, est prisé par de nombreux collectionneurs et architectes d’intérieur.
Dessins dans l’idée de murales, réalisés en voyage, 2016.
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MARIE-ANNE BACCICHET ARTISTE VERRIER
Mon travail évolue à la frontière des mondes de l’enfance et de l’adulte. Mes souvenirs fonctionnent comme des flashes, déclencheurs de chacune de mes pièces. Je tente de me réapproprier ces souvenirs fantasmés, rendus inaccessibles par le temps. Les réminiscences du passé se couchent d’abord sur le papier, avant d’investir l’espace physique. Ces « dessins prématurés » font partie intégrante de mon travail plastique. Mon esprit se libère et ma main glisse intuitivement sur le support jusqu’au moment où je prends conscience que le volume est enfin né. Le verre est mon matériau de prédilection. Ma gestuelle est simple, mon action est directe et se répète jusqu’à saturation. L’accumulation crée l’illusion. L’objet final ne semble plus être celui de départ. L’inattendu fait surface. Je joue avec le spectateur, je le surprends. Un glissement s’opère. Mes objets sont fragiles, à la limite de la disparition. Mes installations attirent, amusent mais cachent une violence inhérente. Un drame est en suspens.
Marie-Anne Baccichet commence sa formation en 2004 à l’école des Beaux-Arts de Nîmes. Puis elle décide de poursuivre son cursus à l’atelier Verre de l’école des Arts décoratifs de Strasbourg où elle obtient un DNSEP (Diplôme national supérieur d’expression plastique) en 2010. Elle vit et travaille actuellement à Strasbourg.
Études « Totem » et « À l’abri » 2012-2014.
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