Longtemps producteur à France Culture, il a publié un grand nombre d’ouvrages et dirige la revue d’art contemporain Area.
Gaëtane Girard est une photographe française :
journaliste et auteur. Après des études de littérature anglaise, elle part vivre au Danemark puis en Espagne où elle se forme à la photographie. De retour en France, elle documente le monde de la création pour la presse et l’édition. La photographe parcourt l’Europe pour saisir l’univers sensible des artistes, travail qui nourrira expositions et livres. Ses séries photographiques traduisent un regard singulier et interrogent le monde avec poésie.
Collection artistes de la matière La collection propose une série de monographies d’artistes de la matière sous trois angles principaux : le Créateur, l’Œuvre, la Matière. Chaque ouvrage articule la voix de l’artiste, celle d’un critique d’art et l’œil d’un photographe pour offrir sur l’œuvre un regard complet et novateur.
ALLAIN GUILLOT
explorateur du verre « C’est ce que je fais qui m’apprend ce que je cherche ». Allain Guillot est un explorateur du verre. Il mobilise émotions et pensée, lie la recherche à la réalisation, l’art contemporain à l’Antiquité. Chacune de ses pièces est comme une manifestation essentielle des possibilités contenues dans la matière « verre ». On pourrait le qualifier d’« essentialiste ». Ses pas dans les traces des anciens, il se veut compagnon des anonymes romains et des souffleurs de la Renaissance. Lui, eux, et tous ceux qu’il a formés appartiennent à une même confrérie : celle des « gentilshommes » du verre. L’atelier du verrier n’est pas moins grand que le monde.
Allain Guillot, explorateur du verre
Alin Avila est historien et critique d’art.
allain GUILLOT
explorateur du verre Texte Alin Avila Photographies Gaëtane Girard
Allain Guillot, né à Chaniers
en Charente-Maritime, commence à 14 ans son apprentissage à la verrerie Domec à Bordeaux, où il découvre le verre en fusion. Il part ensuite à Paris où il s’initie à la pratique du verre filé au chalumeau. Après un passage dans une verrerie artisanale dans le Midi, il exerce cinq ans à la verrerie-cristallerie de Vianne dans le Lot-et-Garonne. En 1977, il crée son propre atelier à Boisse en Dordogne et, à partir de 1989, arrête la fabrication utilitaire pour se consacrer à la création. En 1992, il adhère à l’Association Française pour l’Archéologie du Verre et mène des expérimentations sur les verres antiques et médiévaux. En 2004, il reçoit le titre de « Meilleur Ouvrier de France ». Il est expert « verrerie-cristallerie » auprès de la Cour d’appel de Bordeaux.
Prix public en TTC : 14,90 € ISBN : 979-10-96404-03-2
Collection Artistes de la matière
alLain Guillot
explorateur du verre Texte Alin Avila Photographies GaĂŤtane Girard
L’essentiel
Au berceau des géniales inventions se murmurent des légendes qui fluctuent au gré du temps. « On raconte que des marchands phéniciens, ayant relâché sur le littoral du fleuve Bellus, préparaient leur repas et que ne trouvant pas de pierre pour exhausser leurs marmites, ils employèrent à cet effet des pains de natrons de leur cargaison. Ce nitre ainsi soumis à l’action du feu et avec le sable répandu sur le littoral du fleuve, ils virent couler des ruisseaux transparents d’une liqueur inconnue »1 nous dit Pline l’Ancien.
Avantpropos
L’essentiel
Dans sa transparence, le verre réunit force et mystère des éléments premiers : feu, air, terre, eau. « Vif est le verre, fils du feu, pour cette raison que l’or et lui sont les deux extrémités de la nature »2 nous dit l’alchimiste qui, dans sa trousse, cache la boule magique qui connaît le passé et lit l’avenir. Le verre rapproche les lointaines galaxies et ouvre les portes de l’infiniment petit. L’optique, science chérie des astronomes et des philosophes, fait de lui l’intercesseur de tous les savoirs. Mais aucun dieu, aucun maître ne le patronne ni ne le veille. Voilà qui convient à l’impétueux tempérament d’Allain Guillot qui n’aime manifester qu’une seule foi : « Oui, je suis verrier ». La vie d’Allain Guillot mobilise émotions et pensée. Elle lie la recherche à la réalisation, l’art contemporain à l’Antiquité. Allain Guillot cherchera toujours ce qui, dépassant le merveilleux, se tient dans le réel. Il s’intéresse à la foule des traces industrielles comme archéologiques, qui suggèrent le récit des sociétés, de leurs mœurs et de leurs arts. Ses pas dans les traces des anciens, il se veut compagnon des anonymes romains et des souffleurs de la Renaissance. Lui, eux, et tous ceux qu’il a formés appartiennent à une même confrérie. L’atelier du verrier n’est pas moins grand que le monde.
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Perruque et bousillage parcours
alLain Guillot
Allain Guillot naît à Chaniers, sur les bords de la Charente. L’employée de mairie qui consigna sa naissance, en 1948, offrit deux L à son prénom. Il est le second d’une famille de sept enfants dont la mère s’occupe. Son père travaille aux chemins de fer. L’enfant est turbulent et pas le meilleur des élèves. Son certificat d’études passé, il n’est pas question qu’il continue au collège. Que faire du haut de ses 14 ans ? Ne veut-il pas être cuisinier ? Mais aucune offre ne se présente… Dans le journal, une annonce l’interpelle. La Verrerie Domec à Bordeaux recrute des apprentis, formation et contrat à la clef. L’usine Domec, créée en 1912, emploie alors mille ouvriers et bénéficie d’une solide réputation ; sa production s’exporte pour moitié. Son père l’accompagne pour un premier entretien. Après une série de tests psychomoteurs et quelques formalités, il est admis dans l’établissement qui combine pratique et enseignement. Il vit tout près dans un internat. « Comme ça le patron était sûr que l’on serait à l’heure ! ». À peine arrivé, il participe au labeur d’une équipe. Son premier job est celui du « gamin » qui aide le souffleur. Muni d’un long crochet, il transporte des cylindres brûlants que lui tend le « verrier » pour les mener sur le tapis du « four à recuire ». La chaleur et le bruit, les gestes ordonnés et précis… Il découvre que l’ouvrier, petit segment de la chaîne de production, ne s’adonne qu’à une unique et même tâche toute la journée. Une pause, seulement pour un casse-croûte et aller pisser, puis reprise du ballet. Parfois, peu avant que la huitième heure ne s’achève, on inverse les postes sous la houlette du même chef de place. Curieux, Allain épie, vole du regard les manières de chacun, mais furtivement, car il ne faut pas casser l’ordonnancement et le rythme, faillir au strict rôle attribué. Dans un bruit permanent, il lui faut, au claquement d’un coup de pied, ouvrir puis fermer le moule qui imprime sa forme à la bulle de verre qu’y dépose le souffleur. D’un hochement de menton, il est « tourneur de poste » et accroche la « canne » près du fourneau… Chaque geste, riche d’un outil, d’un nom et d’une tradition, pénètre son corps.
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alLain Guillot
parcours
Ici, une seule maîtresse, la matière, contrainte par l’empreinte d’un outil ou par le souffle d’un homme. Côte à côte, chevillés entre eux, les ouvriers se dissolvent dans la brigade. Inlassablement, une action après l’autre, courte, précise, ils répètent, répètent les mêmes tâches. Muscles et tendons d’une laborieuse bête humaine. Demain, ils feront pareil, ou autre chose, mais pareil...
La « perruque3 » est une pratique riche de sens. Dès le milieu du XIXe siècle, les théoriciens du mouvement ouvrier l’encouragent et qualifient de « reprise individuelle » ce moment où l’ouvrier produit quelque chose qui n’est que pour lui. Répandue dans toute l’Europe, dans chaque profession, dans chaque région, on la connaît chez les verriers sous le nom de « bousillage » ; en Angleterre, on la nomme « end of day glass ».
Au dortoir, la fatigue l’emporte. À quoi rêve le verrier dont les productions peuvent faire rêver ? Très tôt se lever, à moins que, cette semaine, les 3-8 ne le contraignent à rester debout… Les jours, les mois passent ; il comprend maintenant ce qu’il fait. Fier, il sait « cueillir » et « marbrer », il « mailloche », parfois il « souffle » sous le regard d’un vieux travailleur qui l’observe. Celui-là s’appelle Marek ; en peu de mots, il lui prodigue de rares conseils. Allain aime cela car il est curieux : « Oui dis-moi, dis-moi encore... ». Malgré l’usure et parfois l’épuisement, il éprouve du plaisir à découvrir des choses nouvelles. Doser le sable et ce qui l’accompagne, veiller au feu, attentif à la mutation de la matière, fasciné par son incandescence.
Le bousillage se présente comme un défi entre verriers. C’est à qui fera la pièce la plus audacieuse, la plus drôle, la plus… Ce terme dont on ignore l’origine semble bien mal approprié tant il s’agit de ne pas gâcher de matière, mais au contraire de la sublimer. Activité buissonnière dans le monde taylorisé de la production industrielle, le bousillage se développe à l’abri des mouchards, avec un parfum d’interdit. Il réunit un clan, crée parfois une sorte d’aristocratie au sein de l’établissement et manifeste l’amour du travail dans la résistance même à son organisation. Une logique de l’honneur bien connue des sociologues : « Il s’agit d’accomplir les devoirs que la coutume fixe à la catégorie particulière à laquelle on appartient »4. Heureux moments où le jeune apprenti découvre et s’initie à des tours de main que les vieux verriers ne livrent qu’à ceux qu’ils ont choisis pour la relève... Patrons et maîtrise s’y montrent généralement hostiles, même si quelquesuns ont bien compris que c’est dans cette forme de compagnonnage sauvage que se forge la culture d’entreprise.
Ici, une seule maîtresse, la matière, contrainte par le souffle
En fin de journée, avant que l’autre équipe n’arrive, un temps de détente constitue le moment privilégié de ce qu’on appelle « la perruque ». Dès que le contremaître a le dos tourné, l’ouvrier, sur son temps payé de travail, récupère des matériaux – une chute, des résidus, un bout de ceci, de cela – et réalise un objet qui pourrait lui être utile ou, le plus souvent, quelque chose sans utilité, réalisée pour la seule beauté du geste.
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Fier, il sait « cueillir » et « marbrer », il « mailloche » parfois
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