Cimetière/ évolution du programme

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va-t-on vers un «paysagement» du cimetière ? évolution du programme, de la commande, de l’interprétation

/audrey aubert /master urbanisme et aménagement /spécialité paysage et aménagement_ensp Marseille /mai 2 0 1 7


/résumé Si le cimetière renvoie à la symbolique de la disparition, il peut aussi être l’espace offrant l’opportunité de trouver une forme de spiritualité. Il propose, au travers d’espaces proches de la nature, une image de cycle de vie et de régénérescence. Il est aussi le support d’un parcours paysager, qui offre des temps de pause et de contemplation à travers l’espace et le temps. Depuis toujours et jusqu’à maintenant, l’espace funéraire est en lien avec la terre et l’environnement proche ou lointain ; aujourd’hui, il se traduit aussi dans une volonté et une logique durable, écologique, environnementale. Quel avenir pour le cimetière d’aujourd’hui et de demain ? Il fait face aux mêmes problématiques que les villes puisqu’il est habité, et doit être conçu comme espace mutable ou proposant des usages partagés. Cela se traduit par un projet de paysage qui intègre la vie, la biodiversité et la mort, que l’homme qui vient se recueillir et le flâneur qui se promène, s’approprient. If the cemetery refers to the symbolism of the disappearance, it can also be the space offering the opportunity to find a form of spirituality within it. It proposes, through spaces close to nature, an image of life cycle and regeneration. It is also the support of a landscape course, which offers time for pause and contemplation through space and temporality. At all times since today, the funerary space has been linked to the land and with the near or distant environment ; Today, it is also reflected in a long-lasting, ecological and environmental will and logic. What future for the cemetery today and tomorrow? It faces the same problems of the cities since it is inhabited, and must be conceived as a mutable space or offering shared uses. This results in a landscape project that integrates life, biodiversity and death, that the man who visits to recollect and the loiterer who walk, appropriate area.

/mots clés /cimetière /cimetière écosystémique /méditation /environnement /appropriation


va-t-on vers un «paysagement» du cimetière ? évolution du programme, de la commande, de l’interprétation

«Au moment de proposer un nouveau type de cimetière parisien, trois convictions préalables s’étaient construites. Tout d’abord le cimetière n’est pas le lieu de la mort, il n’est ni hôpital, ni maison, ni la route. Ensuite, le cimetière s’adresse aux vivants, recueille une vie vécue avec intensité. Tous les visages de la tragédie grecque s’y expriment, sidération, déni, colère, abattement, tristesse, résignation, acceptation, puis le souvenir, la nostalgie, la joie de retrouvailles, etc. Enfin, le cimetière comme lieu a un rôle de médiateur, une vocation à accompagner le deuil, à équiper la mémoire, tant collective qu’individuelle, à dire l’humanité et la personne.» L’horizon de la mémoire, P. Madec

Le culte des morts est caractéristique de l’espèce humaine. Les réflexions portées sur ce qu’est la mort, la mémoire, le deuil, le besoin d’appartenance à un lieu, ont toujours existé et se traduisent par différentes typologies de cimetières à travers le monde et dans le temps. La ville des morts, dans ses formes complexes et variées, reflète une idéologie et une temporalité. Certaines cultures et sociétés placent le cimetière au centre de la vie quand d’autres le mettent à l’écart, suivant le rapport qu’elles entretiennent à la mort. La société occidentale a mis une distance spatiale entre le cœur de ville et le cimetière pour répondre aux problématiques induites de ce programme ; sanitaires, fonctionnelles, etc. Aujourd’hui, l’espace du cimetière hors de la ville a été rattrapé par l’urbanisation croissante des villes et s’est retrouvé être l’espace autour duquel nous habitons. Il est parfois devenu le lieu de promenade ou de visite curieuse, l’espace vert et calme que l’on recherche dans une ville où tout est en perpétuel mouvement. La place du cimetière change peu à peu malgré lui. Le cimetière renvoie à des évocations négatives ; celles de la disparition et de la peine associée, de l’inconnu. Espace d’accueil et d’accompagnement des morts dans leur dernière demeure, il doit pourtant être aussi au service des vivants qui le pratiquent. C’est en 1994 que Philippe Madec, architecte, met en garde au travers de sa conférence1, les paysagistes et architectes, de l’importance du programme de cimetière et de leur nécessité d’intervenir et de s’investir sur cette thématique.

De la demeure à la dernière demeure, Conférence donnée à Wroclaw (Pologne) en ouverture du Symposium UNESCO-ICOMOS sur l’art des cimetière, P. Madec, 1994

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Depuis plus de vingt ans, le cimetière moderne prend diverses formes au sein de la culture occidentale. Il sera ici question de traiter l’évolution de la forme du cimetière, celle de la commande et de l’interprétation des professionnels qui le traitent. Nous poserons plus largement la question : Va-t-on vers un «paysagement» du cimetière ? Dans un premier temps, nous définirons différentes typologies de cimetières et verrons l’évolution des mises en œuvre qui répondent à différentes problématiques de ville. Quelques cimetières remarquables étudiés serons présentés. Nous verrons ensuite que le cimetière évolue parce que la commande change. Aujourd’hui nous portons une attention particulière à l’écologie, enjeu majeur de notre siècle, et aussi à la place (en terme de dimension) que peut prendre le cimetière. Consommateur d’espace auparavant éloigné des centres urbains, il est à présent au contact ou au sein même des villes toujours plus étendues ou plus denses. Le cimetière est confronté à la même problématique spatiale que les villes. Il sera intéressant de montrer quels sont les outils possibles de projet et les réflexions actuelles sur ce programme complexe et lourd de signification.

/Différentes typologies de cimetières dans le temps

Les premières traces de cimetières remontent à la préhistoire. De cette époque jusqu’à l’Antiquité, le cimetière a un rapport à la nature fort. Le contact du corps à la terre est direct, le corps retrouve la position horizontale parallèle à la courbure du notre planète. À la préhistoire, il s’agissait de simples mises en terre sans monument associé. On parle de champ funéraire. L’espace funéraire du cimetière, qui se distingue par la présence d’un lieu de culte en son sein, apparaît au Moyen-Âge. Les cimetières antiques sont intéressants car ils sont aujourd’hui encore mystérieux et cachent bien des secrets. Nous exposerons ici les pyramides d’Égypte parce qu’elles sont les plus anciennes nécropoles verticales connues à ce jour et qu’aujourd’hui, elles s’inscrivent dans un patrimoine archéologique et architectural extraordinaire. Les pyramides en Égypte Antique montrent combien le culte des morts est très important à cette époque et dans la société. Réservées aux rois, reines et grands notables de la société égyptienne, les pyramides sont des tombeaux qui par leur forme, leur envergure et leur monumentalité sont remarquables. Ces caractéristiques répondent plus à la grandeur des pharaons hébergés dans les tombeaux qu’à la surpopulation des villes. Cette organisation spatiale ne témoigne pas particulièrement d’une réponse sanitaire ou pratique dans la manière de construire la ville des morts à coté de celle des vivants, mais permet plutôt de maintenir une place privilégiée de la haute société (même défunte) autour du monde vivant. On peut parler de témoignage et de récit d’une façon de mettre en scène les hiérarchies


dans la société. La dimension symbolique est très forte : la verticalité et la grandeur de la pyramide peuvent dépendre de la puissance du défunt. D’autre part, la découverte progressive des précisions implacables quant au positionnement et à l’orientation des pyramides (ainsi que des autres sites archéologiques), laisse penser qu’il y a à cette époque, un travail méticuleux et précis de relevés géographiques, géologiques, météorologiques et astronomiques, mathématiques et rigoureux. Les hypothèses sont nombreuses mais l’exactitude géométrique de la grande pyramide de Khéops questionne encore aujourd’hui sur le rapport qu’elle entretient avec les astres, le delta du Nil, les vents et sables du désert. La pyramide est en lien entre environnement le plus proche jusqu’au plus lointain, et s’insère dans un contexte fort. On peut dire que ces sites qui interrogent aujourd’hui encore et passionnent, ont été implantés en fonction de l’infiniment grand paysage. Les nécropoles sont une autre forme de cimetière antique. C’est un groupement de sépultures séparées des lieux de culte. Elles étaient généralement implantées le long des axes de communication et situées sur des hauteurs avec une vue dégagée sur le grand paysage. Les nécropoles ont un intérêt patrimonial et urbanistique parce qu’elles racontent une logique d’urbanisation et de fonctionnement spatial de la ville valable aujourd’hui encore: distanciation du cimetière par rapport au centre-ville, espace laïc sans lieu de culte ou mise à distance de celui-ci, présence d’un parcours paysager assumé. Les nécropoles ont été parfois souterraines. Elles tendent à disparaître autour du VIIe siècle et avec elles la disparition progressive des sarcophages au profit des coffrage en bois ou en tuile qui se répandent, les cercueils. Entre le VIIIe et le IXe siècle, on est dans une interrogation et une volonté de rapprocher le cimetière des lieux de cultes, notamment proche de l’église. L’espace funéraire est alors accompagné de toute la dimension symbolique, spirituelle et religieuse qui est affirmée par le patrimoine cultuel, et les rituels sont plus souvent pratiqués. Le XIe siècle voit apparaître la forme du cimetière chrétien que nous connaissons, classiquement situé autour d’une église. À partir du XVIIIe siècle en Europe occidentale, le cimetière est souvent situé aux portes des villes. La crémation, apparue au XIIe siècle, s’est développée au XIXe siècle. Elle consiste à brûler et réduire en cendres un corps humain décédé et placer les cendres dans une urne ou les répartir dans un lieu spécifique. Aujourd’hui, elle s’accompagne de nouveaux programmes : le columbarium2 et la cavurne3 sont des équipements destinés à accueillir les urnes. Une urne peut aussi être placée dans un caveau ou une sépulture, privé ou familial. Le columbarium et la cavurne font l’objet de projets architecturaux plus que paysagers mais peuvent trouver un dialogue avec l’espace qui les entoure et faire partie d’un projet paysager. 2 3

monument cinéraire destiné au dépôt des cendres d’un défunt petit caveau qui renferme une ou plusieurs urnes, construit en pleine terre


Les jardins du souvenir4 sont des espaces végétalisés neutres souvent situés au sein du cimetière. C’est un lieu de dispersion des cendres collectif. Le recueillement personnel est plus difficile mais le traitement du jardin est l’occasion de générer des sous-espaces propices à l’appropriation du lieu, notamment en créant des repères visuels ou qui éveille les sens et définissent des endroits particuliers. C’est une partie du cimetière qu’il est important de traiter aujourd’hui parce qu’il répond d’une certaine manière à la problématique de la consommation d’espace, par l’absence d’espace construit au profit de la végétalisation. On peut même se poser la question de la possibilité de faire un jardin du souvenir comme programme à part entière en lieu et place d’un cimetière. L’enfeu5 consiste lui, à placer un cercueil hors-sol plutôt que de l’inhumer dans une fosse. Ce procédé existe depuis le XVIIIe siècle en France et était réservé à l’origine pour les nobles. L’enfeu était par exemple, encastré dans l’épaisseur du mur d’une église ou d’un cimetière. La mise en place du procédé de l’enfeu a permis d’expérimenter le cimetière vertical et rentable en terme d’espace. Aujourd’hui, l’expansion des villes est au cœur des débats et des réflexions urbaines. Le cimetière vertical, cimetière-tour ou cimetièreimmeuble, n’est en rien une fantaisie architecturale ; il est une réponse non seulement à la problématique de surpopulation constante des cimetières qui sont de véritables «villes des morts», mais aussi à celle de l’urbanisation permanentes des villes, consommatrices d’espaces au point de rattraper et d’intégrer les cimetières dans l’urbanisation. L’exemple très représentatif des cimetières-tour que nous présentons maintenant est le cimetière Saint-Pierre à Marseille, le plus haut de France. Il est construit en 1972 par l’architecte R. Durandau. Sa forme est à l’image de la ville rentable et efficient, développée fortement dans les années 70, les problématiques de densification étant similaires. Par ailleurs, la densité des tours du cimetière vertical St-Pierre lui permet d’avoir une position privilégiée non loin du centre de la ville. Ce projet est composé de deux bâtiments en barres de quatre niveaux et de cinq bâtiments de huit niveaux dont le plan est en H (avec la présence d’une passerelle entre deux barres). Baptisées «cathédrales du silences» ou «HLM de la mort», ces édifices ont beaucoup de ressemblance avec des immeubles d’habitations typiques des années 70. Elles sont construites avec une systématisation et une rentabilité qui les rendent impersonnelles. Les coursives et escaliers sont traités en béton. Cette typologie de cimetière répond à un soucis d’espace ; c’est l’extension du cimetière classique originel, qui, rattrapé par l’urbanisation de la ville, s’est étendu verticalement. La grande densité des cathédrales et l’efficacité en terme de construction font de cette extension un exemple et une réponse symboliquement forte de ce que pourrait être le cimetière de demain.

jardin de recueillement dédié à la dispersion des cendres des défunts et qui intègre un dispositif pour l’inscription de leur identité 5 casier étanche en élévation destiné à recevoir un cercueil 4


Malgré la déconnexion totale entre cimetière et environnement, on peut considérer qu’il est en lien avec le grand paysage et avec l’extérieur puisque tout est ouvert et qu’il n’y a ni vitrage, ni isolation. On reste en contact avec le temps et l’espace environnant du reste assez peu tranquille voire bruyant du fait de sa proximité avec l’autoroute. Certes, on trouve une certaine tranquillité à mesure que l’on s’élève aux niveaux supérieurs et l’avantage est de bénéficier d’une vue imprenable, mais le cimetière est privé d’un contexte propice au recueillement. Celui-ci est important et même primordial et doit être moteur de réflexion dans le projet. Le processus de promenade, de méditation, le deuil et plus largement le temps de la prise de conscience de l’espace et de la temporalité, de la perte sont perdus ; c’est en faisant l’expérience du lieu que l’on se rend compte que ces dimensions ont disparues, en tout cas semblent moins fortes. On perd la dimension sacrée et le romantisme que le cimetière plus classique possèdent. Le cimetière-tour est d’une certaine manière désacralisé, démystifié. Si les cimetières-tour n’ont pas bonne presse dans ce qu’ils renvoient en terme de symbolique et d’esthétique, il n’en reste pas moins un bon moyen de se questionner sur ce que doit être le cimetière contemporains. Cette tentative de forme particulière leur donne la possibilité d’éveiller la curiosité, elle suscite l’interrogation et la critique qui sont des vecteurs d’évolution et de recherche de la forme du cimetière idéal. Nous poursuivons notre réflexion vers des projets plus modernes qui affirment une certaine dématérialisation concrète ou suggérée ; d’abord avec les cimetières connectés virtuels, ensuite avec le cimetière paysager6 quasiment disparu dans une prédominance de nature. Ce dernier sera le point de départ de notre questionnement du «paysagement» du cimetière. Le cimetière a été dématérialisé à son paroxysme et au sens propre avec sa virtualisation sous la forme de site internet. En 1995, le premier cimetière virtuel est mis en ligne. Les «visiteurs» ont la possibilité de créer des monuments aux morts pour eux-mêmes et leur proche. En 2005, le phénomène s’étend et les pompes funèbres français développent ce service. Le phénomène de société ultra moderne, où le tout-connecté permet de rassembler les personnes, éloigne et divise paradoxalement la société. Le cimetière étant un lieu de mémoire collective au départ, il devient quelque chose d’immatériel, qui n’existe pas réellement. Le deuil passe pourtant par l’acceptation de la vie et la proximité avec le monde vivant réel aide à ce cheminement. De plus, la marche «soigne» ; elle participe au bon cheminement de la réflexion, permet de s’oxygéner et de se sentir en vie. David Le Breton, dans son livre Marcher, Éloge des chemins de la lenteur, nous fait part de cette réflexion :

Dans un soucis de réduire au minimum l’utilisation du minéral, les caveaux sont enterrés sous des dalles de gazon

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«Marcher c’est avoir les pieds sur terre au sens physique et moral du terme, c’est-à-dire être de plain-pied dans son existence. Et non à côté de ses pompes, pour reprendre une formule bien connue. Le chemin parcouru rétablit un centre de gravité dont le manque nourrissait le sentiment d’être en porte-à-faux avec son existence. Marcher c’est retrouver son chemin. Une manière de progresser soudain à pas de géant. La volonté est de prendre congé de soi pour devenir autre au fil de l’avancée en usant la maladie et les tristesses. Les premières heures d’une marche amènent à un allègement des soucis, à une libération de la pensée moins encline à la rumination et plus sollicitée par une recherche de solution du fait de l’ouverture à l’espace qui semble élargir le regard sur les choses. La marche est une relance, un refuge intérieur pour se reconstruire en élaguant un moment toute sollicitation extérieure à la reconquête de soi.»

Nous menons notre analyse et notre réflexion vers deux manières de faire projet avec le paysage. Faire disparaître le cimetière dans un espace naturel ou le traiter de manière complémentaire avec la nature, tels sont les axes d’étude développés. /cimetière écosystémique ou comment penser le cimetière avec et par la nature Comme évoqué, la dématérialisation de l’espace du cimetière passe aussi par la disparation et la mutation de son traitement classique. La plupart du temps, le cimetière est principalement composé d’un traitement minéral avec la forte présence de stèles (support en pierre vertical), de pierres tombales (partie horizontale) et des allées piétonnes et carrossables en asphalte ou en pierre (sans compter les bâtiments nécessaires à son bon fonctionnement). Le cimetière paysager, lui, cherche à réintroduire plus de végétation, préserver la biodiversité et à s’inscrire dans un contexte paysager fort. Nous allons pointer les enjeux et problématiques du cimetière tel qu’il est conçu aujourd’hui et voir quels sont les leviers et les marges de manœuvre possibles pour garantir une nouvelle forme de cimetière, un nouveau traitement et une inventivité en terme d’usages et de formes paysagères. Le cimetière peut sembler être un espace hermétique aux activités extérieures, et c’est d’ailleurs le cas la plupart du temps. C’est un lieu qui par nature, n’est pas soumis au bruit ni à la circulation automobile permanente, la faune et la flore peuvent donc plus facilement se développer. La démarche actuelle vise l’introduction de nouvelles activités en son sein, permettant de rendre les lieux plus attractifs, parfois seulement moins dérangeants pour les habitants qui vivent autour. La dématérialisation spatiale du cimetière en jardin funéraire7 un moyen d’apporter de nouveaux usages et une forme de renaissance


paysagère. L’introduction du monde vivant dans son espace pourrait aider à accepter la vie et à intégrer de nouveaux usages moins lourds de sens. Le cimetière est un sujet qui regroupe les réflexions portées sur l’écologie, l’économie et l’intégration du programme public dans le paysage. Depuis plusieurs années, la préservation de l’environnement et de la biodiversité est un sujet au cœur des débats et aujourd’hui, on voit enfin apparaître des nouveaux principes de construction et des nouvelles formes de gestion en urbanisme, en paysage et en architecture plus efficace en terme d’écologie. La mutation du cimetière minéral vers la végétalisation est aujourd’hui une volonté grandissante. La logique environnementale tend vers la remise en cause de l’utilisation de la pierre dans la fabrication des stèles ; les carrières exploitées en permanence pour retirer cette matière première s’épuisent pour une demande toujours constante. Dans les faits aujourd’hui, les cimetières sont les espaces publics les plus touchés par l’utilisation des pesticides, d’insecticides et de fongicides. Près de 70% des collectivités territoriales enquêtées par une étude8 ont répondu par la positive. Par ailleurs, les cimetières (et les terrains de sports) sont les seuls équipements publics à être exemptés par la réglementation du 1er janvier 20179 qui interdit l’utilisation de pesticides d’origine chimique pour le traitement de leurs espaces. La conception d’un cimetière pensé avec des espaces et aménagements en matériau minéral entraine des difficultés à tendre vers d’autres méthodes plus douces de gestion et d’entretien. L’analyse écologique des espaces se résume par une forte augmentation de la température du fait de l’absorption de la chaleur par la pierre et de sa retransmission et du reflet important de la lumière indirecte. À cela s’ajoute l’usage important de pesticides pour le traitement des espaces et aménagements : la végétation spontanée dans un cimetière minéral peut être assimilée à une forme d’abandon ou à un entretien imparfait. Un cimetière qui semble abandonné est triste et le lieu du deuil et de la méditation perd de son sens et de sa symbolique d’accompagnement du défunt. De plus, les produits chimiques sont polluants pour le sol, toxiques pour le monde vivant et par ailleurs émetteurs de gaz à effet de serre dans le processus de fabrication. Le cimetière est aussi un espace public qui doit être contenu dans un périmètre fermé par une enceinte. Celle-ci peut être un obstacle à la trame verte et/ou bleue et donc aux corridors écologiques. Enfin, la tonte de l’herbe à outrance est défavorable au bon développement du système racinaire et incompatible à l’accueil pérenne de la biodiversité. On peut dire que cet espace d’accueil des défunts et des visiteurs, l’est paradoxalement très peu pour le monde vivant, faune et flore. On se demande pourquoi vouloir maîtriser la nature et par extension la vie dans un espace qui tend à gérer la mort.

Le cimetière dit «écosystémique» consiste à laisser le naturel prendre le dessus

l’ensemble des éléments compris dans le programme de cimetière sont intégrés à un projet de parc et sa composition paysagère. L’absence de caveau permet le développement naturel de la flore. Lieu de commémoration des morts autant qu’espace de promenade. 8 étude Natureparif 2016 9 page suivante 7


sur la maitrise de l’espace par l’homme. La nature est libre, gérée mais n’est pas travaillée. Elle peut dans le cimetière, nous évoquer la symbolique de la vie après la mort, de la régénération, le cycle et nous apporter les repères spatiaux temporels dont nous avons besoin pour trouver notre place dans le monde. Nous avons au quotidien, besoin d’horloges naturelles ; elles permettent de nous repérer et peuvent être un moyen d’accompagnement du deuil. Il y a l’évocation d’un espace où rien n’est créé, rien n’est perdu, tout est transformé, rien n’est contraint ; le corps redevenant poussière, terre. Il faut l’envisager dès la conception, au cœur même du processus de projet, puis dans sa gestion pour une parfaite cohérence. Le but de faire un projet durable et évolutif dans le temps. La gestion différenciée en est une application. C’est un mode de gestion qui varie selon la typologie des espaces et de l’usage, selon la temporalité des saisons, et qui contribue à l’amélioration de la qualité de vie des êtres vivants et des milieux. L’entretien du cimetière doit être pensé et anticipé afin de préserver au maximum la richesse des milieux. Les entretiens doux comme l’élagage et la taille douce sont de bons exemples. Le cimetière écosystémique intègre des espèces végétales adaptées au milieu et aux contraintes climatiques. La lecture des saisons et des fleurissements au travers de la végétation peut permettre à l’espace d’être apaisant, propice aux recueillement et naturellement beau. Les fleurissement sont plus naturels et offrent une biodiversité. Une végétation florale adaptée qui ne souffre pas, ne sèche pas et ne nécessite pas trop d’arrosage. Les fleurs sont plus durables et sont largement appréciées dans des programmes comme celui-ci. Composer un cimetière qui propose, au travers de sa végétation et des fleurissements, des espaces différents et appropriables par les usagers devient un axe de réflexion pertinent. Le cimetière écosystémique favorise la création de point d’eau type mare, accepte la végétalisation sauvage et contrôlée des voiries et le maintien d’éléments colonisés par la faune ou la flore. Il développe des «zones-refuge» pour l’accueil de nombreuses espèces faunistiques et floristiques. Par exemple, les murs d’enceinte du cimetière présents depuis longtemps, accueillent un bon nombre d’espèces et les préserver peut être une volonté dans le projet de renaturation/requalification du cimetière. L’idée s’étend jusqu’au point de se questionner sur la nature du sol et tenir compte de ses caractéristiques et performances pour des usages ou utilisations différents. Il a aussi pour objectif d’aller vers la transformation de l’espace du cimetière vers un réel espace vert au travers de la mise en œuvre d’allées et d’espaces engazonnés ou en prairie. Le végétal, qu’il soit spontané ou travaillé méthodiquement, est un atout. Les matériaux utilisés pour la fabrication des supports d’information et d’orientation, la signalétique, les aménagements légers comme les bancs, poubelles ou même les tombes peuvent suivre la logique écosystémique s’ils sont issus d’essences locales et support de biodiversité en accueillant la flore et la microfaune.

la loi Labbé sur l’utilisation des produits phytosanitaires, parue au Journal officiel du 8 février 2014, et modifiée par la loi transition énergétique, vient interdire sous certaines conditions l’utilisation de produits phytosanitaires issus de la chimie de synthèse par les personnes publiques et les particuliers. Ainsi à partir du 1er janvier 2017, il sera interdit aux personnes publiques d’utiliser ces produits pour l’entretien des espaces verts, des forêts, des voiries (sauf pour des raisons de sécurité) et des promenades.

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On pourra citer le cimetière paysager communautaire de Gleizé dont la réalisation a été confiée à Atelier Arche, livré en 1991 qui est traité comme un parc paysager sobre qui offre une relation au cycle de la nature forte plus présente que les pierres tombales. Pour reprendre les propos de l’architecte et directrice du CAUE du Rhône Catherine Grandin-Maurin : «Dès l’entrée, le regard s’ouvre sur la pelouse du Souvenir qui force l’arrêt, marque le passage de l’agitation au silence, imposé par la force de la présence du végétal. On sait dès lors qu’on pénètre dans un parc, un lieu ouvert de recueillement et de méditation, mais aussi de promenades sereines où se croisent enfants, personnes âgées, promeneurs solitaires ou familles dans la peine.(...) Les fleurs en pleine terre rappellent ici que le cérémonial des vivants est toujours présent : trajet de la fontaine aux plantes annuelles ou vivaces, transport de l’eau qui maintiendra la sépulture fleurie, geste d’entretien du jardin que chacun peut apporter par ce rituel.» Pour conclure, le cimetière écosystémique, s’il est composé comme un espace vert à part entière, devient alors un lieu calme et harmonieux, propice à la méditation et au recueillement, et est l’occasion d’être un équipement accueillant de nouveaux usages : observatoire de la nature, laboratoire de recherche, lieu de détente et de contemplation, parc naturel, réserve, etc, il offre l’opportunité de recréer un véritable espace de nature en pleine ville. Il pourrait constituer une frange urbaine douce, qui «s’urbanise» tout en étant contrôlé et qui conserve des espaces naturels compatibles avec la logique de trame verte et bleue. Le risque de cet espace est de perdre la notion d’espace funéraire, de lieu de repos et de deuil. Comment différencier le cimetière écosystémique poussé à l’extrême d’un parc? À force de vouloir trop respecter et accueillir la vie, on peut perdre la signification de la mort qui devient quelque chose de banal, pragmatique, et qui perd toute sa symbolique. Tendre vers l’indifférenciation entre un parc et un cimetière pourrait nous conduire à faire marcher des visiteurs sur des sépultures si elles font entièrement partie du paysage, ce qui symboliquement est impossible et naturellement infaisable. L’écologie prend place sur la spiritualité. Cette forme de rapprochement entre la nature et l’espace funéraire jusqu’à l’absorber démystifie le post-mortem et se discute.

/cimetière-paysage : dimension symbolique et dialogue avec le grand paysage

«La solitude est plus intense lorsqu’on est noyé dans la foule. Nous aspirons à cette retraite paradoxale où nous pouvons être seuls sans se sentir isolés. L’intimité profonde que procure la solitude (...) se découvre devant des étendues immenses, la mer et le désert en sont les degrés ultimes. L’intimité propre aux grands espaces nous plonge dans


l’introspection du monde, cet instant où l’univers se retourne comme un gant pour nous pénétrer en profondeur.» Pour une architecture lente, L. Beaudouin

Le cimetière est un programme qui induit la paisibilité. L’espace calme qu’il apporte nous accompagne vers une expérience spirituelle. C’est encore plus vrai lorsqu’on est immergé dans la nature. Celle-ci, par sa simplicité et sa pureté, nous offre l’occasion de nous évader parce qu’elle est majestueuse que le spectacle peut être magique. Le cimetière, s’il n’est pas un parc écosystémique, peut aussi être en dialogue avec la nature. Il y a une compatibilité entre ces deux systèmes qui sont complémentaires à bien des égards : la vie face à la mort, la relativité de la temporalité d’une vie, les cycles, l’infiniment grand et l’infiniment petit, l’inconnu du monde et de l’après... Le dialogue entre le programme du cimetière et le grand paysage sera présenté au travers de l’étude du cimetière Saint-Pancrace et de son extension à RoquebruneCap-Martin, réalisée par l’architecte Marc Barani en 1992. En effet, il entretient un rapport privilégié avec l’horizon et le grand paysage désertique et est traité de façon paysagère en accord avec la topographie du site. Le projet composé par M. Barani est l’extension du cimetière existant, sur un terrain en forte pente. Le projet est décomposé en trois entités distinctes : la chapelle, les failles et l’enceinte. La réflexion de l’extension tient compte d’un agrandissement ultérieur possible selon les besoins, puisque le projet est pensé et dessiné avec trois failles alors que jusqu’ici, seule une faille a été réalisée. Il est pensé comme un espace réellement public car il est accessible à tout moment et n’a pas de réelle enceinte. Cela rompt avec l’idée du cimetière traditionnel, fermé et replié sur lui-même. Ici, on a construit la ville des morts comme celle des vivants, accessible et ouverte. Le cimetière existant situé en bas du terrain, et son extension sont reliés par un chemin sinueux qui lui permet d’être en pente plus douce. Le plan montre dans sa forme que l’on a cherché à éviter un anti-formalisme : les discontinuités du plan donnent une forme particulière au parcours, un sens et une temporalité au deuil. Les espaces non qualifiés durant le parcours sont ceux que l’on souhaite le temps de faire une pause, le temps de se recueillir et d’admirer le paysage. Ils permettent un parcours progressif ponctués de non-lieux pour s’abandonner dans nos pensée. La montée nous renvoie au site, à la terre et à la profondeur, peut être assimilée à la difficulté, à la peine et à l’effort de faire son deuil. Elle est contrastée par les moments de pause offerts qui permettent le retournement et la contemplation du grand paysage désertique, cette immensité composée du ciel et de la mer, dont l’horizon parfois nette, parfois imperceptible permet une confusion et une accentuation de l’infini.


Il y a un fort contraste entre les pleins et vides, l’horizontal de la mer et la verticalité du site, le minéral du mur et la végétation alentour. Parfois le mur la cache, d’autres fois c’est l’horizon qui disparaît. La vue qui file jusqu’à l’horizon lointain de la mer est obstruée à certains moments, dans certains lieux afin de retrouver une échelle plus intime qui nous ramène au site. La vue sur l’horizon offerte dans un cimetière procure la sensation (et c’est vrai d’une certaine manière) de voir la limite de l’au-delà. L’horizon est calme et serein, il permet de nous rassurer. Le projet cadre le paysage et le sublime par le contraste entre les jeux de lumière sur les volumes clairs composés de pierre et de béton, et la nature brillante de la mer et absorbante de la végétation. La discontinuité dans ses formes et les séquences variées offertes au visiteur permettent de prendre conscience de l’espace et du temps. Pour répondre aux problématiques environnementales, à l’impact de l’espace (et de la construction) du cimetière et à la notion d’insertion du programme dans un territoire urbain et paysager, il a été question comme nous l’avons vu, de penser le cimetière comme environnement naturel et de l’inscrire dans un grand paysage /évolution de la commande et de l’interprétation - les outils du programme aujourd’hui

«Il fallait penser à une nouvelle structure spatiale, adaptée à notre nouvelle condition humaine, à notre condition urbaine c’est-à-dire non plus celle dérivée de cette civilisation préindustrielle du XIX° siècle qui nous a apportée la conception romantique du cimetière, mais celle issue de la civilisation urbaine de cette fin du XX° siècle.» De la demeure à la dernière demeure, P. Madec

Au début du XIXe siècle, la loi pensait à tous les aspects techniques et pratiques du cimetière et les prérogatives étaient dictées par des logiques territoriales : la situation du cimetière à plus de 35 mètres d’un puits et au sommet de la topographie pour des questions de pollution de l’eau, la hauteur des murs d’enceinte, la situation du cimetière au nord afin de retarder la décomposition des corps, l’interdiction de superposer les corps... Aujourd’hui, la démarche HQE nous amène à repenser le cimetière comme espace et programme plus naturel, avec l’introduction d’espèces spécifiques mais il y a des réticences quant au changement car la culture occidentale catholique préconise le traitement minéral. Incontestablement, certaines données sont peu à peu sont prises en compte dans les demandes de la maitrise d’ouvrage : optimiser l’espace disponible face à


l’accroissement continu du nombre d’hommes ; limiter l’emprunte écologique en évitant l’utilisation de matériaux épuisables et leur traitement ; bannir les produits chimiques altérant la végétation et la nature ; de la même manière pour le traitement des corps embaumés avec des produits toxiques peu ou non biodégradables. La pollution des nappes phréatiques liée à l’inhumation et la pollution de l’air par la crémation sont maintenant plus prises en compte. Le concepteur, qu’il soit paysagiste ou architecte, travaille avec les éléments fondamentaux tels que l’eau, le sol et le végétal, l’air, qu’il faut savoir préserver et bien adapter car ils sont fragiles. La nature accueille le monde vivant et mort, elle créé en décomposant et fabrique pour d’autres. À l’état naturel, les feuilles mortes se transforment en humus, nécessaires pour les micro-espèces qui se développent et créent la richesse d’un sol. Une nouvelle végétation, un arbre s’y développera. La mort est naturellement retraitée. D’autre part, par analogie entre la ville et le programme de cimetière, celui-ci doit être en adéquation avec nos nouveaux modes de vie : il faut requestionner la mobilité, qui est beaucoup plus fréquente, facile et variable. Les familles sont aujourd’hui plus dispersées, recomposées et le cimetière à l’image de notre société doit pouvoir répondre à cela. D’où venons nous ? À quel territoire sommes nous rattaché et attaché? Il en résulte une interrogation sur la pertinence des caveaux familiaux.

/vers un paysagement du cimetière...

Quelque soit son envergure, sa forme, et son rapport avec la ville, le cimetière est l’expression architecturale, urbaine et paysagère d’un contexte social et d’une symbolique à un temps donné. À bien des égards, le cimetière est une forme de ville puisqu’il a repris ses formes, surtout au XIXe siècle lors du développement fort des cimetières artificiels, qui se retrouvent dans l’espace funéraire : lieux privés regroupés en «quartiers», espaces publics qualifiés par des allées piétonnes, voies carrossables, espaces de rencontre, etc. Par ailleurs, la pression foncière existe aussi dans les cimetières : on parle de propriété, de location, de bail, de concession et de reprise de concession. Cependant, le cimetière n’a pas évolué au même rythme que la ville elle-même et n’a pas subi de grands changements brutaux généralisés dans sa forme. Il a plutôt été le lieu d’expériences spatiales répondant aux mêmes problématiques de ville (la densité par exemple), un programme de recherche, un espace à penser, et son évolution globale a été dictée par le rapport de la société à la mort, à la croyance de la vie dans l’au delà, à la religion, enfin à son contexte et à son devenir aujourd’hui dans un soucis de qualité environnementale. Le cimetière s’est vu évolué afin de devenir un espace d’accueil et de repos autant pour les visités que pour les visiteurs au sein d’un contexte urbain qui tend parfois à offrir une appropriation des espaces par les usagers. Le lieu se pratique aujourd’hui parfois dans le but de se ressourcer et de trouver


dans la promenade une forme de spiritualité, un état supérieur de méditation. Il a su être la «porte d’entrée» entre l’homme et le grand paysage, la «porte d’entrée» vers l’inconnu. On vient y chercher quelque chose sans savoir exactement quoi, et c’est particulier à l’espace funéraire. Les sens sont en éveil : le son de la ville, celui du calme et de la nature, la distanciation entre deux mondes, l’un inerte en apparence et pourtant si riche, l’autre en mouvement. Même au sein de la ville, le cimetière nous offre la possibilité de faire usage de nos sens et d’être dans un état propice à la flânerie. Le paysage dans ce qu’il a de beau et de naturel apporte un élément de réponse et a une fonction double : il porte et emmène le regard et le corps vers un état méditatif (au travers de cadrages, de jeux de lumières et de contrastes de matérialités, par le moyen de parcours paysagers, en intégrant des zones de pause et de rencontre, en autorisant le temps de la mémoire, de la tristesse et du deuil, en spatialisant la gestion des émotions) et est l’image de la (re)construction, de la régénérescence et du cycle de la vie, c’est un marqueur de la temporalité et un lieu de vie et espace d’accueil. Le cimetière-équipement a une double vocation et permet la «disparition» du cimetière et de la mort dans un programme qui répond à la fois à celui d’un espace funéraire mais aussi à une autre forme d’appropriation : un projet de parc urbain qui accueille la mort, peut être un coin de repos, un lieu de promenade en famille ou de pratique sportive douce et respectueuse de l’environnement proche. Le cimetière classique est aussi devenu site de visite et lieu de tourisme : le cimetière du Père Lachaise à Paris est un exemple parmi tant d’autres. Quoiqu’il en soit, c’est un programme qui a une place privilégiée dans notre société, du fait de sa très forte teneur symbolique qui est présente, au delà de toutes les croyances et de toutes les origines. Il est toujours particulier de rentrer dans un cimetière ; une cérémonie d’enterrement ne nous fait pas sentir à notre place, nous fait dévier notre route, nous amène sur d’autres sentiers et nous fait sentir tout petit. Cet état nous rappellera plus tard que nous sommes bien en vie, que nous partageons tous la même terre et que la vraie séparation reste celle de la mort qui n’épargne personne et est commune à tous. Enfin, nous avons vu que le cimetière s’inscrit dans un contexte paysager depuis les premiers espaces funéraire jusqu’à aujourd’hui. Cette idée s’est parfois perdue pour répondre à une demande pratique et sanitaire, mais elle est revenue au moment des réflexions portées sur la préservation de l’environnement et la mutabilité de l’espace. On n’ignore plus la biodiversité au profit d’un espace contrôlé, maîtrisé et contraint. Le monde des vivants et des morts doit être partagé spatialement. Le cimetière est aussi l’espace qui constitue le seuil entre vie et mort. Il est garant du contraste entre la ville animée et l’espace réservé à la mort ; ce contraste est architecturé et phénoménologique. On rentre dans cet espace et en même temps on plonge dans un état psychique. Le cimetière doit nécessairement être lisible et visible


car il joue un rôle primordial : on quitte la ville, la vie présente pour entrer dans un état méditatif et contemplatif. Le seuil franchi, on s’invite temporairement chez les morts. Le rituel de passage, de franchissement est à l’image des textes religieux et a une signification touchante, parlante dans diverses cultures.

/emprise verticale - emprise horizontale = symbolique et questionnement «la ligne horizontale est un calme absolu où la moindre émergence est un signe de présence, l’élévation par rapport au sol est la première manifestation du vivant, ainsi la vie s’oppose à la pesanteur qui entraine tout vers le bas. (...) l’usure du temps entraînera tout à terre. Le temps est horizontal et combat toute idée d’élévation» Pour une architecture lente, L. Beaudouin

La problématique d’expansion des villes est de savoir comment faire évoluer la ville pour répondre à la démographie croissante en leur sein et éviter l’étalement urbain et la perte d’espaces naturels. Il en résulte des villes dont les constructions montent plus haut afin d’être plus denses. Les textes théoriques et certaines projets proposent des hypothèses de conquête des toitures existantes. Serait-il possible d’appliquer le même principe au cimetière sans le dénaturer et sans retrouver la forme critiquable des cimetières-tours ? Peut-on construire sur le cimetière lui-même? L’espace urbain s’étend horizontalement. La réflexion sur l’environnement naturel au sein de la ville nous amène à favoriser, conserver ou développer les trames vertes et bleues. On étudie et repère alors les délaissés urbains où la ville ne peut pas ou ne s’est pas développée, et où la nature a repris ses droits. Une hypothèse et ouverture serait de penser que le cimetière peut s’intégrer aux lieux de reconquête de l’espace par la nature et qu’il serait l’équipement le plus justifié pour soutenir, accompagner et renforcer ces trames végétales en ville. En effet, s’il est parfois très minéralisé, il est aussi lieu naturel et calme ou l’activité humaine est assez réduite. Il est cohérent avec le principe de ne pas perturber le monde vivant faunistique et floristique. Il tend à respecter et à faire respecter l’harmonie, la tranquillité et la paix du lieu.


/bibliographie /livres - Où en est l’herbe ? Réflexion sur le jardin planétaire, Gilles Clément - Marcher, Éloge des chemins de la lenteur, David Le Breton, Ed. Métailié, 2012 - Pour une architecture lente, Laurent Beaudouin, /articles en ligne - De la demeure à la dernière demeure, Philippe Madec, 1994 - L’horizon de la mémoire, Philippe Madec, 2013 - Aménager ses espaces publics. Le cimetière, lieu de mémoire et de recueillement, CAUE d’Eure- et –Loir, Les Cahiers de l’architecture, de l’urbanisme et de l’environnement n°16, décembre 2006 - Guide de gestion des espaces collectifs publics et privés, Natureparif, Paris, Octobre 2016 - CAUE Rhône Métropole /vidéos - Deux corps et demi, C. De Solan - S. Bellot - C. Coulon - F. Marais - V. Gilbert, ENSP Marseille, 2016 - Le cimetière d’Igualada, Richard Copans, Les films d’Ici, Arte France 2010 - Conférence Ricardo Carvalho de Ostos, École Spéciale d’Architecture, mars 2011 /film - Soleil vert, Richard Fleischer, 1974

/remerciements Je tiens à remercier l’ensemble du coprs enseignant de l’ENSP Marseille, plus particulièrement Jean-Noël Consales et Etienne Ballan pour leurs conseils et la pertinence de leur propos pour la construction de cet article scientifique. Je souhaite également remercier les étudiants de la promotion DPLG3 2016/17 pour leur bonne humeur et leur apport de connaissances ainsi que Marion et Etienne pour leur relecture et leur soutien sans faille.


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