Au r é l i a
F r e y
Photographies 2 0 0 9 - 2 0 11
56, La Canebière, 13001 Marseille, France Tél. +33 (0)6 21 65 59 48 aureliafrey@hotmail.com w w w. a u r e l i a f r e y. c o m
Aurélia Frey Née le 02 Mars 1977
Expositions personnelles
Parcours
Février 2011 Nevermore Galerie Vol de nuits, Marseille, France.
2008-2010 Membre de la section artistique de la Casa Velázquez à Madrid 1997-2000 Diplôme de l’Ecole Nationale Supérieure de la Photographie ENSP (Master européen) Arles.
Juillet 2006 Passage Centre de conservation du livre d’Arles durant les Rencontres Internationales de la Photographie, Arles, France.
Expositions collectives Mai 2011 Fantômes et cauchemars, Ville de Beauvais, Mission Arts plastiques, Musée de l’Historial de la grande guerre, Peronne, France. Novembre 2010 Musée d’art de Timisoara, dans le cadre des Rencontres photographiques de Timisoara, Roumanie. Novembre-Janvier 2010-2011 Villa Lemot, Domaine de la Garenne Lemot, Gétigné, France. Juillet-Août 2010 Itinerancia Uno, Palacio Ducal de Medinaceli, Provincia de Soria, Espagne. Juin 2010 Seleccion tres, Galeria Dionis Bennassar, Photoespana, Madrid, Espagne. Mai-Juin 2010 Itinerancia Uno, Circulo de Bellas Artes, Madrid, Espagne. Mai 2010 MadridFoto, Galeria Rita Castellote, Madrid, Espagne. Février 2010 Salon DEARTE, Madrid, Espagne. Octobre 2009 Salon Estampa, foire internationale des arts multiples contemporains de Madrid. Espagne. Octobre 2009 Galerie Espace Evolution Pierre Cardin, Paris, France. Septembre 2009 Seleccion Uno Colectiva, Galeria Dionis Bennassar dans le cadre de « La Noche en blanco » Madrid, Espagne. Juin 2009 Lugares transportados - Lugares invisibles, Galeria Paz y Comedias, Valencia, Espagne. Octobre 2008 Durance Exposition itinérante en Région PACA sur la rivière la Durance. Commande du MuCEM (Musée des Civilisations de l’Europe et de la Méditerranée) Septembre 2008 Identités européennes Biennale, Septembre de la photographie, Lyon, France. Avril 2003 Le musée regarde le musée Musée de l’Agriculture du Caire, Egypte. Commande de l’Ambassade de France. Septembre 2002 Sept off, Festival de photographie sur le thème : Photo-graphies Nice., France. Juillet 2002 Sélection pour le Festival off, Rencontres Internationales de la Photographie, Arles, France. Juillet 2000 Sélection pour le Festival off, Rencontres Internationales de la Photographie, Arles. Avril/mai 2000 Intérieurs paysans Exposition à la FNAC de Nîmes, France.
Février 2006 Passage Centre Culturel Français d’Alexandrie, Egypte. Novembre 2005 Paysages Intérieurs Galerie Maschrabia, Le Caire, Egypte. Novembre 2005 Par la forêt obscure Centre Culturel et de Coopération, Le Caire, Egypte. Novembre /décembre 2001 Fayoum Exposition au Centre culturel français du Caire, Egypte.
Résidences / Commandes / Prix 2008-2010 Membre de la section artistique de la Casa Velázquez Madrid, Espagne. 2010 : Lauréate Mission Jeunes artistes, Toulouse. 2010 : Finaliste du prix QPN, Quinzaine Photographique Nantaise 2010. 2008 Aide à la création de la DRAC, Région PACA France. 2008 Commande du Musée des civilisations de l’Europe et de la Méditerranée (MuCEM) sur le thème de la rivière La Durance pour une exposition itinérante. Palais Longchamp, Marseille, France. 2007 Documentaire de quatre mois au Pérou, Equateur, Bolovie dans le cadre du projet Qhapac Nan, le chemin des messagers incas monté par l’association Les colporteurs de mémoire (avec le soutien de AKG-images, ENSP d’Arles / Fuji films / Voyages-sncf / Voix-nomades / CICL) 2003 Commande de l’Ambassade de France au Caire pour une exposition intitulée Le musée regarde le musée Le Caire, Egypte.
Publications Représentée par l’agence AKG-images, spécialisée dans le domaine de l’art et des civilisations. Le Monde, Le Monde Diplomatique, L’humanité, Le Tigre, Le Pèlerin, Die Zeit, Arkeojunior, Revue SFZ, Télérama.
Voyages photographiques au Japon, Irlande, Allemagne. en Egypte. (Le Caire, Alexandrie, Le Fayoum, Louxor…) de 2002 à 2005 au Liban (Beyrouth, Tripoli…) 2001 en Syrie (Alep, Damas, Qara…) 2001
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L’Heure bleue 2010-2011 Il est de ces instants suspendus où vibre l’univers. Comme une foule retenant un silence craintif, les yeux levés vers la funambule, loin au-dessus de leurs têtes. Figée dans un arrêt sur image, elle semble s’apprêter à basculer, son corps oscillant vers l’appel du vide. La minute se prolonge, s’étire dans cette infinité du temps arrêté où le silence précède toutes les possibilités, le cri, le rire, l’envol ou la chute. Qu’un tel passage puisse se renouveler encore et encore, matin après matin, demeure pour moi une énigme. Le temps peut-il vraiment n’appartenir à personne ? L’heure bleue : moment fugace où la nuit cède sa place au jour, une frange intermédiaire qui n’est ni l’une ni l’autre. Séléné, déesse de la lune se retire sur la pointe des pieds dans la voûte céleste, suivie de près par sa sœur, Eos, l’Aurore, qui amène rosée et lumière sur son char tiré par des chevaux ailés. Condamnées à toujours se poursuivre, un pas d’avance et l’autre de retard, les déesses jouent à cache-cache, laissant un instant la terre livrée à elle-même. Les enfants de Séléné se retirent dans leur antre, oiseaux et créatures nocturnes font silence, endeuillés par la disparition de la main nourricière, comme si la nuit ne devait plus jamais revenir, comme si le soleil éclatant s’apprêtait à embraser
à jamais la planète. Ce monde de silence absolu est celui de tous les possibles. Le destin de l’univers est remis en question, la lumière change et ouvre de nouveaux horizons. Dans un reflet de jour naissant, dans l’ondulation de l’eau serpentine, tout paraît transformé, transcendé, la matière se fait plus vraie et plus intense. Le ciel aigue marine se pare de l’or des rois. L’heure bleue précède le sacre où Eos paraît, vêtue de son éclatante blondeur, quand ses enfants célèbrent de leurs chants son triomphe. A la surface de l’étang, les roseaux se mettent à onduler. Derrière les vitres du manoir, le souffle des hommes est altéré, un corps endormi se retourne dans son sommeil, s’étire, touché sans le savoir par le passage de la brume au soleil. L’être humain éveillé à ce moment fugace est à la fois fragile et très puissant : il se dérobe à la réalité pour assister au miracle éternel, celui de la nature rendue à ellemême. Il devient invisible au regard des dieux, à son tour funambule oscillant sur la corde d’argent tissée par les trois parques. Séléné et Eos, Eos et Séléné, un pas de danse dans la course du temps, la ronde de deux sœurs embrassant la lumière.
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De la série L’heure bleue Sans titre Format envisagé 120 X 155 cm
De la série L’heure bleue Sans titre Format envisagé 120 X 155 cm
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De la série L’heure bleue Sans titre Format envisagé 120 X 155 cm
De la série L’heure bleue Sans titre Format envisagé 120 X 155 cm
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Wonderland 2010-2011 Au commencement, il y a l’innocence d’Alice. Cette étrange pureté qu’on dit propre à l’enfance, ces visages blancs, qui, derrière des prunelles candides, cachent des cauchemars. Et puis, il y aussi le terrier du lapin. Un tourbillon, un point de non retour vers l’infini des songes. Le voile entre les mondes se déchire et l’enfant aperçoit, sous la toile poussée par un souffle invisible, un au-delà attirant et pourtant effrayant. La part sombre d’Alice se révèle. La prétendue pureté d’un corps à peine pubère vient mourir sur la grève. La part sombre d’Alice. La part adulte d’Alice. Jetée, projetée dans ce tunnel sans fin, caressée par un vent tour à tour glacé et puis brûlant, enivrée par la fiole empoisonnée du temps : « Drink me», grandis, oublie! Derrière le mirage du changement, de l’autre côté du miroir, la Reine de Coeur s’enferme dans ses cris. Un rictus se fige sur la femme en devenir, sur l’épouse de la forêt, la mort aux doigts de rose s’invite dans le rêve. Et si Alice rencontrait Barbe-Bleue? Une goutte de sang et puis deux, Alice sur le chemin mystérieux... Au milieu des arbres mourants, l’enfant se sent regardée, épiée. Dans l’obscurité des frondaisons flottent des yeux sans visage, le sourire du Chat de Chestershire, ou bien encore, peut-être, la démence d’un bourreau égaré dans l’histoire... Cours Alice, cours, reprends à reculons ce chemin sans issue. Mais le souvenir de l’enfant qu’elle était a déjà disparu du corps d’Alice, du coeur d’Alice. Le passage se referme et la clef de la cage tourne dans la serrure. Toujours, à jamais, nous sommes prisonniers du lapin blanc. « Comment savez-vous que je suis folle ?» demanda Alice. « Tu l’es -dit le Chat- sinon tu ne serais pas ici ». « Si tu connaissais le temps comme je le connais » dit le Chapelier.
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De la série Wonderland Sans titre Format envisagé 80 X 100 cm
De la série Wonderland Sans titre Format envisagé 100 X 125 cm
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De la série Wonderland Sans titre Format envisagé 100 X 125 cm
De la série Wonderland Sans titre Format envisagé 100 X 125 cm
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LE LABYRINTHE DU PELERIN 2009-2010 Sur les traces de l’écrivain néerlandais Cees Nooteboom « Je parcours ce pays depuis trente ans et je ne vois jamais la fin du voyage » L’idée primordiale qui ressort du Labyrinthe du pèlerin (éd. Actes Sud) est celle d’une déambulation au coeur de l’Espagne, une démarche de voyageur qui permet une ouverture, une disponibilité aux êtres et aux choses. Pour Cees Nooteboom, l’errance plonge le pèlerin dans un état d’esprit particulier où il abandonne la notion d’un temps anecdotique, où il ne se soucie plus du futur immédiat, mais seulement de l’instant présent et de la rencontre avec la nature, les objets et les êtres. Un labyrinthe. Le labyrinthe du pèlerin nous dit-il, lui, voyageur itinérant sur les traces de Saint-Jacques de Compostelle. Mais au fil de notre lecture, nous perdons nos repères. Qui est le pèlerin perdu sur les chemins d’Espagne, de lui ou de nous ? Qui détient le secret, qui marche, qui roule vers un but sans cesse détourné, sans cesse repoussé ? Nous sommes happés par les images qu’il évoque, happés dans un univers à construire et reconstruire chaque jour. Le trajet, bien que matériel, demeure avant tout intérieur. A nous d’y trouver notre propre vérité. Mon séjour à la casa de Velázquez à Madrid m’a permis de m’inspirer de l’itinéraire de Cees Nooteboom, en saisissant avec mon appareil photographique ce qu’il a dépeint par écrit. Marcher dans ses pas, dans ses traces, tout en restant comme lui ouverte aux hasards, hasards d’une route, d’une rencontre, d’un paysage, qui éloigne un instant du but initial. Il ne s’agit pas ici, bien évidemment, de reproduire exactement ses écrits. Bien que son livre me touche tant et réveille en moi d’innombrables échos par rapport à mon propre travail, je ne veux surtout pas faire acte d’illustration.
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De la série Le labyrinthe du pèlerin Sans titre Madrid, Espagne 2009 95 X 120 cm
De la série Le labyrinthe du pèlerin Sans titre Irache, Espagne 2009 95 X 120 cm
« Mais quand j’arrivais à Acin (...) j’eus pour la première fois l’impression que la bombe à neutrons avait atteint son but. Le monde était tombé en poussière, ou plutôt les gens avaient disparu. Maisons vides, ouvertes au vent de la montagne, une église qui s’était effondrée, un cimetière à l’abandon »
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De la série Le labyrinthe du pèlerin Cabo de Gata Espagne 2009 Format envisagé 78 X 100 cm
De la série Le labyrinthe du pèlerin Asturies, Espagne Format envisagé 95 X 120 cm
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De la série Le labyrinthe du pèlerin Sans titre Cabo de Gata, Espagne 2009 95 X 120 cm
De la série Le labyrinthe du pèlerin Sans titre Asturias, Espagne 2009 95 X 120 cm
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LA CHAMBRE DES PEINTURES à propos des séries Nevermore, Passage, Par la forêt obscure
La pièce est sombre et les persiennes sont fermées. Du dehors filtre un jour blanc et brûlant que je ne laisserai pas rentrer. Dans ma chambre noire, je me suis retirée seule. J’ai renoncé au monde, j’ai retrouvé le silence. Plus personne, plus d’objet, plus rien. Qu’une clarté pâle qui glisse sur les murs, révélant sur son passage des taches dans le papier, des fissures, comme de croûtes de peinture. Cette nuit, pourtant, j’ai cru voir autre chose dans son reflet d’argent : un sourire, un oiseau, un visage mangé d’ombre dont l’œil unique était posé sur moi. Qui sont ces êtres que j’ignore et qui tapissent les murs de ma chambre ? Depuis combien de temps sont-ils là, tapis dans l’ombre, à me regarder ?
Avec beaucoup de retenue et dans le plus grand dépouillement, Aurélia Frey nous propose ici comme un autoportrait photographique. Un portrait sombre et austère, traversé de clartés, qui ressemble à un rêve et résonne aussi comme une leçon de ténèbres. Les photographies qu’elle a choisies, ou plutôt qu’elle n’a pas retirées, sont empruntées à trois séries récentes : Par la forêt obscure (2005), Passage (2005-2006) et Nevermore (2009). Trois séries en clair-obscur, dont les titres parlent pour elle et qui reflètent, mieux que toutes autres, ses visions intérieures. Tout est là, en quelques traits esquissé : la magie des images produites au sténopé ; la peinture ancienne qu’elle lit depuis son enfance ; ses choix de photographe, décalés, assumés ; ses rêves et ses fantômes, bien sûr, visages troubles qui dorment dans sa mémoire et n’attendent qu’une lueur pour la visiter. Et puis le silence. La lumière qui le dispute aux ténèbres. L’attente d’un dévoilement.
Depuis plusieurs années, Aurélia Frey consacre une partie de son travail à photographier la peinture ancienne. En vérité, c’est elle qui se laisse regarder, raconter par la peinture. Les vieux tableaux, elle les aime d’abord pour eux-mêmes, dans leur matérialité : elle les chérit et elle leur rend visite comme à des parents très âgés. En se plaçant sur le côté, tout près des oeuvres, elle les contemple dans leur grand âge, elle s’attendrit de leurs faiblesses, elle éclaire d’un regard leurs vieux visages fatigués. Depuis longtemps, les histoires des anciens la fascinent, de même que toutes ces vies peintes que d’autres, avant elle, ont su fixer dans l’instant et pour l’éternité. Car la peinture, qui est la mère de toutes ses histoires, est aussi pour elle la sœur aînée du rêve. Infante à la rose, traversée du Styx : des histoires familières qu’elle vient écouter en peinture. Cheville de la sainte, le vieillard qui attend, un oiseau qui se consume : des images qui reviennent ou plutôt renaissent, toujours semblables et à chaque fois différentes, comme les images de ces rêves que l’on fait souvent. Car enfin, Aurélia Frey rêve beaucoup : elle vit, elle aime et elle pleure dans son sommeil. Elle rêve aussi les yeux ouverts, elle rêve en photographie comme elle rêve dans la chambre des peintures. Il reste qu’Aurélia Frey a une manière bien étrange de photographier la peinture. Sans flash ni éclairage, sans cadrage convenu, elle provoque le hasard et fait entrer la lumière dans la peinture, révélant ainsi des images qui nous sont inconnues. Sous le regard du photographe, le tableau en effet vacille, l’image se fragmente, l’illusion picturale un instant est rompue. …………
Quelque chose de nouveau apparaît, qui est une montrent également des visages de disparus, surpris lumière : un reflet naturel qui n’appartient qu’au au sténopé : ceux qu’on regrette et qu’on ne reverra tableau et à celui ou celle qui le contemple ; un jamais, ceux qu’on n’a jamais connus et qui pourtant voile lumineux qui rend visible en même temps marchent dans nos rêves. Visions uniques, images qu’il dissimule et qui est le début d’une appari- aléatoires du sténopé où la lumière transpose directetion. Dans ce reflet d’argent affleurent tout à la fois ment sur le papier ce que nul ne peut vraiment prévoir. les aspérités du tableau, le travail du peintre, les Vrais fantômes, images pures, lorsque la lumière est marques et les blessures du temps. Et puis des son propre photographe, que l’art et le monde sont enimages nouvelles, insoupçonnées, évanescentes, fin confondus. qui semblent tantôt réfléchies par la toile, tantôt projetées au plus profond de la peinture. Le tableau ainsi transfiguré n’est plus seulement une image : c’est une peau vieillie, chargée de signes, qui porte en elle le « négatif » de la peinture. C’est aussi un seuil, un miroir et une ouverture : un lieu de contact et de passage vers un « au-delà » de la peinture qui est le vaste monde de la mémoire et de l’imagination. Entre joies et peines, les visions intérieures d’Aurélia Frey nous parlent de la solitude et de l’absence, d’un abîme où la lumière combat sans fin les ténèbres, d’un œil qui attire, d’un appel qu’on attend. Ses photographies nous
Emmanuel Lurin Historien d’art, spécialisé dans le domaine des arts français et italien du XVIe siècle. Maître de conférence en histoire de l’art moderne à l’Université Paris SorbonneParis IV
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NEVERMORE 2009
Derrière chaque visage, chaque tableau, chaque pan de tissu enroulé, déroulé par les méandres de la couleur, il y a une histoire. Une, ou plusieurs : celle du peintre d’abord, celle de la personne figée à jamais ensuite, une même expression incrédule sur son visage d’éternité. Et, bien sûr, il y a l’écho de nos propres histoires qui vagabondent, résonnent, les songes de tous les gens qui ont scruté les détails de la toile, une main, une croix, laissant leur imagination bondir d’une espérance à l’autre. La craquelure de la peinture, un reflet de lumière, une ombre qui passe sur la trame, sont autant de portes qui nous permettent de passer de l’autre côté du miroir. Car derrière la toile s’étend mon musée du silence. Dans cet espace imaginaire, dans ces paysages brumeux revêtus de leur parure parfois cauchemardesque, rôdent des fantômes effacés. Depuis la barque de Charon, les eaux du lac nous semblent noires et froides. Une lumière diffuse émane seulement des silhouettes d’autrefois, qui sans un mot, nous regardent passer, car ce monde-là est au-delà de la parole.
Une musique naît de la matière et nous entraîne, toujours plus loin, vers une autre porte, un autre passage, un abîme sans fin où l’eau rejoint le ciel, où le tissu se change en ruban de serpent émeraude, où les yeux du sage paraissent renfermer une clé vers un ailleurs toujours plus mystérieux. Les reliefs, les reflets en appellent inexorablement d’autres, finissant par élaborer un monde sous nos yeux, une forêt de brouillard et de rêves dont les branchages sont à ré-assembler. Pour sortir de ce lieu inquiétant et pourtant envoûtant, suffit-il de fermer les yeux ? Voyager dans l’espace pictural laisse sur la langue un goût étrange et derrière les paupières, des éclairs confus d’un songe, dont, à l’aube, on essaie vainement de rattraper les images fugaces. Ceux avec qui l’on chemine ne seront plus jamais et nous laissons derrière nous ceux dont la vie s’est pour toujours fânée... Et pourtant, «la peinture n’a besoin que de nos yeux et de notre silence. Une fois terminée, elle n’en finit pas de commencer pour qui la regarde» (Bernard Noël). Il y a de ces rêves qu’on vit tout éveillé.
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De la série Nevermore Le miroir des limbes #1, #2, #3, #4 Espagne 2009 78 X 100 cm Tirage Hahnemühle contrecollé sur dibond
De la série Nevermore L’aigle noir Espagne 2009 95 X 120 cm Tirage Hahnemühle contrecollé sur dibond
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Vue des photographies de la série Nevermore 78 X 100 cm Galerie Espace Evolution Pierre Cardin Paris, France Octobre 2009
De la série Nevermore Nevermore 95 X 230 cm Espagne 2009 Tirage Hahnemühle contrecollé sur dibond
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De la série Nevermore Les âmes 100 X 125 cm Espagne 2009 Tirage Hahnemühle contrecollé sur dibond
De la série Nevermore Le phénicien 100 X 125 cm Espagne 2009 Tirage Hahnemühle contrecollé sur dibond
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CALLE DEL BARCO 13 2009 Projet éditorial, fruit de la collaboration entre Nelly Labère, normalienne, agrégée de lettres modernes, Maître de Conférences Université de Bordeaux III pour les textes et Aurélia Frey pour les photographies. Travail réalisé à Madrid dans le cadre de la résidence à la Casa de Velázquez. Sortie édition courant 2010 Comment rendre compte de l’identité mouvante de Madrid ? Comment éclairer ses mutations les plus intimes inscrites dans le paysage urbain ? Comment esquisser le portrait d’une de ses rues emblématiques, à mi-chemin entre l’Eglise San Ildefonso et Gran Vía, à la limite des quartiers de Chueca et de Malasaña, à travers ses habitants réels et fantasmés ? Calle del Barco 13 est ce livre utopique qui réunit 13 portraits littéraires et photographiques issus des rencontres et des entretiens réalisés Calle del Barco. Photographies, citations et textes poétiques se mêlent pour suggérer la vie d’une rue qui ne sera jamais montrée si ce n’est par ses portraits réels mais détournés. Traverse, lien et lieu d’observation privilégiés pour témoigner d’un métissage culturel faisant cohabiter, sur une même section urbaine, les différents acteurs d’une identité plurielle et complexe, la Calle del Barco invite à (re)-découvrir la géographie de Madrid. Loin de se vouloir une enquête sociologique, ce projet entend donner à voir les indices de ces mutations sociales tout en les inscrivant dans un livre résolument esthétique et poétique.
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De la série Calle del Barco 13 Mon nom à moi Madrid 2009
Mon nom à moi, c’est Romina. C’est mon nom de scène. Et maintenant, c’est mon nom à moi. Parfois, on m’appelle Che à cause de mon accent. Mais mon nom de baptême, c’est Diego. 32 ans que je le porte comme une croix, 28 ans que je le prononce, 4 ans que j’essaie de l’oublier. Mon nom à moi, c’est Romina. Mon père, il s’appelle Diego lui aussi, comme mon grand-père. Le premier garçon s’appelle Diego dans la famille. Je n’ai jamais aimé ce nom, celui de mon père. Il m’a toujours collé à la peau, comme une crème pas chère. Maintenant, les crèmes chères, je peux me les payer. Elles coûtent la peau du cul, comme dit ma mère. Cela n’a jamais été plus vrai. Bientôt, je pourrai effacer mon nom. Ça prend du temps et ça coûte cher. Mais ça aussi j’y arriverai.
Extrait des textes de Nelly Labère
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De la série Calle del Barco 13 Rojo Madrid 2009
De la série Calle del Barco 13 Les yeux d’Elsa #1, #2, #3 Madrid 2009
Il m’a regardé longuement, droit dans les yeux, sans ciller ni obliquer. Je sentais juste le froid du pistolet embraser ma peur. Pourquoi crier ? Pourquoi parler ? Frères de sang, ennemis jurés, nous l’avions toujours été. Je me suis souvenu de ces heures à imaginer la confession ultime, celle qui me pardonnerait d’être né, de ne pas souffrir autant que lui et de ne pas savoir aimer. Depuis aussi longtemps que je m’en souvienne, je l’ai toujours abhorré. Sa froideur, sa grandeur, sa raideur : un piètre représentant de la sainteté déguisé en poupée pour les parades et les festivités. Du galon, en veux-tu en voilà mais rien qui ne me fasse m’incliner. Moi, je suis rouge depuis le plus profond de mes artères, je n’ai de père que celui que ma mère m’a donné, je n’ai pour frères que ceux qui ont le poing levé. Je crache sur sa face parce que je n’ai pas de pitié pour celui qui se cache dans les corsets, qui s’accroche au-dessus des lits et qui s’affiche dans un sourire composé. J’en avais oublié l’autre à côté, à genoux, en train de prier. À cette seconde, j’avais juste envie de le tuer, pour faire taire sa peur au ventre et sa foi en l’éternité, pour que les murmures cessent enfin, dans leur credo insipide, sur les lèvres crispées. Pas le temps de tergiverser. C’était lui ou l’autre. J’ai tiré. Le sang n’a pas coulé. L’un n’a pas bougé. L’autre s’est relevé. Il s’est enfui, certain que le Christ l’avait sauvé. Moi, je sais avec qui j’ai voulu en terminer.
Extrait des textes de Nelly Labère
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De la sĂŠrie Calle del Barco 13 Madrid 2009
De la sĂŠrie Calle del Barco 13 Anywhere Madrid 2009
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