Grands Voyageurs COLOMBIE Aux quatre angles de la charmante place d’armes de San Agustín, trônent les répliques des gardiens de pierre des mausolées mis à jour aux environs, dans la forêt tropicale.
Tierradentro-San Agustín
LES CIVILISATIONS DU PARADIS Le sud de la Colombie recèle deux des plus fascinants sites archéologiques d’Amérique latine. Les montagnes de Tierradentro (Cauca) sont truffées de vastes caveaux funéraires, ciselés et peints entre les VIe et Xe siècles. À San Agustín (Huila), se dresse le plus grand ensemble de sculptures mégalithiques pré-colombiennes, issues d’une culture andine qui connut son apogée du Ier au VIIIe siècles de notre ère. TEXTE ET PHOTOS FRANCK CHARTON
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Grands Voyageurs COLOMBIE Dès le point du jour, le marché de Silvia s’anime, convergence des hommes et des marchandises de toute la province du Cauca.
LES CHIVAS, CES BUS BARIOLÉS EMBLÉMATIQUES DE LA COLOMBIE RURALE, DÉBOULENT PLEINS À CRAQUER DE MARCHANDISES ET DE PAYSANS, DANS UNE EXPLOSION DE MOTEURS, DE SENTEURS ET DE COSTUMES CHAMARRÉS
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Tirant son nom d’une variété de couleuvres abondantes mais inoffensives, le désert de Tatacoa est riche en fossiles paléontologiques, et la pureté de ses ciels nocturnes a motivé l’installation d’un observatoire astronomique.
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IL SE DÉGAGE DE LA TATACOA UN SENTIMENT D’ATTENTE, UN PARFUM ÉNIGMATIQUE, UNE AURA DE MYTHOLOGIE
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EN QUELQUES MÈTRES DE DÉGRINGOLADE VERTICALE, ON PASSE Tierradentro San Agustín
La petite église de San Andres de Pisimbala, aux portes du parc archéologique de Tierradentro, conserve son toit de chaume et ses murs chaulés.
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u milieu de la jungle, le trou béant rayonne d’un tropisme obscur, venu du fond des âges. Comme si, des ténèbres, montait un éclat immatériel, universel, irrésistible. Dix marches de pierre mènent en spirale à un boyau, au bout duquel une étroiture donne accès à la chambre mortuaire proprement dite, la plus belle de l’Alto de Segovia. En quelques mètres de dégringolade verticale, on change de monde, de la moiteur tropicale à la fraîcheur troglodytique, de la lumière aiguë à la pénombre confuse, de l’espace illimité à l’exiguïté d’un tombeau souterrain, ou hypogée. La cavité fait une dizaine de mètres de longueur, sur quatre ou cinq de large, et juste la hauteur d’un homme penché. Deux piliers centraux et une demi-douzaine de pilastres latéraux dont les chapiteaux sont sculptés de têtes humaines soutiennent une voûte peinte de motifs géométriques de couleur noire et rouge, particulièrement esthétique sur le fond blanc de la roche. Quelques niches abritaient autrefois les urnes funéraires, pillées ou exposées dans le musée local. Il se dégage du lieu un sentiment d’attente, un parfum
énigmatique. Une parenthèse de temps suspendu. C’était il y a plus de mille ans. Les hommes peuplant cette région de collines luxuriantes et de falaises détritiques de l’actuelle Colombie méridionale, proche de la frontière avec l’Équateur, s’appelaient alors les Pijao. Bien peu d’informations ont traversé les âges, et leurs descendants, aujourd’hui installés dans la région de Tolima, plus au nord, n’ont plus souvenance de leurs antiques pratiques funéraires. Des siècles plus tard, les conquérants espagnols qui parvinrent ici au terme d’une progression particulièrement laborieuse, à cause du relief accidenté et des attaques incessantes des tribus autochtones, baptisèrent Tierradentro, ou terre intérieure, ce territoire coupé du monde, rétif à toute pénétration. J’ai trouvé en Eduardo, natif de La Plata, orpailleur de son état et assistant dans les années 70-80 des équipes d’archéologues, un guide hors pair. Sombrero planté sur le crâne, sa passion pour les hypogées est restée intacte. Longtemps tenue par les FARC (Forces Armées Révolutionnaires de Colombie), la région est redevenue accessible depuis quelques
DE LA MOITEUR TROPICALE À LA FRAÎCHEUR TROGLODYTIQUE années, mais la volatilité de la situation sécuritaire dans cette région, aujourd’hui fief des Indiens Paeces restés farouchement autonomistes, constitue un frein au développement touristique, qui reste embryonnaire et délicieusement pionnier. Ce n’est que pendant la première moitié du vingtième siècle que diverses expéditions scientifiques attestèrent la découverte, majeure, de tombes collectives souterraines, truffant littéralement chaque colline dans le triangle compris entre Inza, San Andres de Pisimbala et Bel Alcazar. Les locaux avaient remarqué que nombre de collines avaient été aplanies en leur sommet, et certains commencèrent à fouiller, tombant assez vite sur des cavités taillées dans le tuf volcanique, une roche tendre facile à creuser. Dès 1949, devant la multiplication des nouveaux hypogées, et leur pillage incontrôlé, était créé le parc archéologique de Tierradentro, pour recenser et protéger ces trésors enfouis. Plus d’une centaine ont été recensés à ce jour, mais ne représenteraient que 50 % du total dormant sous terre. Des excavations plus ou moins larges et bien creu-
sées perforent le fil herbeux dégringolant vers la vallée. La crête de l’Aguacate déroule crânement ses ondulations sur près d’un kilomètre, cinq cents mètres au-dessus de la rivière bouillonnante, avec un panorama à 360 degrés. On aperçoit même, près du bourg d’Inza, la silhouette de la Pyramide, étrange montagne de pierre triangulaire sculptée en gradins et percée de corridors et tombeaux royaux, irradiant de l’aura d’un vortex. Eduardo : « J’ai travaillé pendant des années sur l’excavation des chambres funéraires avec l’archéologue Mauricio Puerta, avant qu’il ne devienne un astrologue mondialement connu. J’étais son sondeur en chef : armé d’une longue perche métallique pointue et perforée, je faisais des trous tous les trente centimètres et remontais des carottes de terre. Quand on y apercevait des débris de roche altérée ou de poteries, on savait qu’un hypogée se cachait sous nos pieds. Je devenais alors excavateur, couche après couche. Imaginez notre fébrilité, lorsque nous mettions à jour un escalier hélicoïdal, puis le puits menant au sanctuaire ; enfin l’émotion au moment de démonter la porte
Taillés dans une roche volcanique très tendre, les hypogées (caveaux souterrains) de l’Alto de Segovia reflètent fidèlement les habitations des indiens pijao, qui peuplaient alors la région.
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LA COLOMBIE EST L’UNE DES PREMIÈRES NATIONS D’AMÉRIQUE LATINE
Balade atmosphérique entre les sources chaudes des Thermales San Juan, dans le parc national du volcan Purace, seigneur du Paramo à 4 760 mètres.
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empierrée qui l’obstruait ! » Les nombreuses recherches ont montré que les caveaux reproduisent à l’identique l’intérieur des habitations d’époque. Les funérailles avaient lieu en deux temps : une première inhumation individuelle dans une niche simple à deux mètres sous terre, avec objets cérémoniels et bijoux, au sommet des montagnes. Quelques années plus tard, on récupérait les os et les objets cultuels et on les plaçait après crémation dans des poteries savamment ouvragées de motifs anthropomorphiques ou animaliers, à l’intérieur de caveaux collectifs, familiaux ou tribaux. Au couchant, une brise tiède descend sur San Andres de Pisimbala. Les pena, écailles rocheuses habillées de mousse plantées dans les versants, forment une intrigante toile de fond. Juliana, une vieille indienne édentée, tricote un mochila (sac) traditionnel au bord du talus. La plupart des maisons sont bâties en guadua, ce gros bambou solide et antisismique,
entre lesquels on tire des murs en torchis. L’église locale, superbe monument aux murs chaulés et toit de chaume, s’illumine doucement. Les paysans du village, en majorité des campesinos issus de générations de métissages hispano-indiens, prennent le frais devant leur pas-de-porte. Il flotte ici comme un air de petit paradis. Et pourtant, voyant un reporter dans le village, un groupe de villageois le prend à témoin : la maison de la culture a été mise à sac la nuit de noël par une bande de Paeces armés, sous la houlette de plusieurs chefs locaux. Ordinateurs jetés à terre, bibliothèque dévastée, portes et fenêtres tailladées à coups de machette. En fin d’échauffourée, les assaillants sont partis avec le stock d’alcool et la caisse. Ce coup de main est révélateur d’un malaise grave entre les communautés mestiza et indienne. Les seconds revendiquant de manière de plus en plus affirmée le pouvoir local dans les zones où ils sont majoritaires. La constitution colom-
À AVOIR INSCRIT LE DROIT DES PEUPLES INDIGÈNES DANS SA CONSTITUTION bienne a en effet été amendée en 1991 pour inclure des prérogatives attachées aux régions autochtones : subventions culturelles, langue indigène, droit coutumier et, par extension, terres, ressources naturelles et sites sacrés, après des siècles de spoliation. Le problème, ici, est double : un discours « identitaire » indien, accompagné hélas d’un comportement crapuleux sur le terrain. Et le règne de l’impunité, puisque les autorités de police locales n’osent pas intervenir, de peur d’enflammer une région qui vient juste de recouvrer un calme relatif après des années de guérilla et de violences politiques… La route traverse à plus de 3 000 mètres le paramo, zone de tourbières d’altitude, où surnagent des bosquets de frailejones, ces étranges plantes en forme d’artichaut géant. Dominant l’horizon, la silhouette massive du cône Purace laisse échapper ses fumerolles toxiques. Ce volcan culminant à 4 760
mètres, qui signifie «montagne de feu» en quechua, fait l’objet d’un parc national de 83 000 hectares déclaré Réserve de Biosphère par l’Unesco. Donnant naissance aux deux plus grands fleuves colombiens, le Magdalena et le Cauca, il est considéré comme un sanctuaire inaliénable par les six communautés indigènes vivant sur ses flancs. Et pourtant, un énorme scandale secoue la région, depuis l’attribution par le gouvernement de concessions sur dix ans pour l’exploitation des eaux de source et des mines d’or sur les flancs du volcan, contre l’avis des campesinos et des communautés indigènes. Une garnison de plus de mille soldats y a même été créée, pour « protéger » les concessions des multinationales. Pablito, un Indien rencontré près des fontaines thermales de San Juan, m’explique que ces compagnies, étrangères pour la plupart, essaient d’imposer un système de cartes prépayées. « Quand tu n’as plus de sous, tu n’as plus d’eau !
Indiennes gambiano sur le marché de Silvia. Hommes et femmes portent au quotidien leur tenue traditionnelle : chapeau melon, poncho et jupe ou kilt bleu.
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Chaque mausolée, il y a environ deux mille ans, était recouvert d’une dalle, enfoui dans la terre mère et protégé par des gardiens tutélaires : au centre le chaman, encadré par des gardiens, mi-hommes, mi-créatures mythiques.
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AUTELS CÉRÉMONIELS ET TUMULI FUNÉRAIRES SONT « HABITÉS » PAR DES VISIONS CHAMANIQUES OÙ S’EXPRIME LA DUALITÉ UNIVERSELLE : CIEL/TERRE, VIE/MORT, JOUR/NUIT…
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EN 1995, L’UNESCO INSCRIVAIT LES SITES DE SAN AGUSTÍN ET TIERRADENTRO SUR LA LISTE DU PATRIMOINE MONDIAL
Quelques exemples de gardiens des sanctuaires : Le guerrier et sa massue
Le sorcier à l’enfant
L’aigle au serpent
Le prêtre en couleurs (pigments jaunes et rouges), découvert en 1984 sur le site de la Pelota.
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Ceci dans un pays comme la Colombie extrêmement riche en eau ; on marche sur la tête… » C’est entre chien et loup que Popayan, la capitale du Cauca, surnommée pompeusement, « la Jérusalem d’Amérique latine », se révèle dans sa gloire paisible : damier parfait de rues pavées bordées de maisons blanches et de monuments coloniaux dont une multitude d’églises, arbres illuminés faisant penser à des cerisiers japonais, animation bon enfant et restaurants de qualité. Ce qui en fait une étape fort agréable, avant de continuer sur la région de San Agustín, dans la région voisine de Huila. En chemin, détour vers le village de Silvia, centre d’échange des Indiens gambianos et kiswenios. Martin est l’un de ces derniers. Officiant comme guérisseur traditionnel ou chaman, appelé ici un taita, il vit avec sa famille dans une humble cabane accrochée dans les collines, noyées de plantes aromatiques et médicinales. Il nous reçoit avec simplicité et, comme il n’y a pas de salon, sa femme nous sert un maté sur la table de la cuisine. Lui pourrait être le sosie de Michel Galabru. Même visage patelin et un peu rougeaud. Même humanité bienveillante, sous des dehors un peu frustes. « Vous êtes ici en territoire indien, découpé en risguardos (réserves) avec à leur tête un cabildo, (chef coutumier) élu pou un an, seul autorisé à porter le bâton d’autorité. Tous les cabildos sont regroupés au sein du CRIC, ou Conseil Régional Indigène du Cauca. Les conflits sont gérés en interne, et les sanctions peuvent inclure des châtiments corporels. Mon rôle de taita est de comprendre le message des forces supérieures, de transformer les ondes négatives en flux positifs, et plus globalement de participer à la conscientisation, donc à la protection du territoire, par une cosmovision qui tend à unifier les énergies de tous les êtres vivants sur ce territoire. Nous nous battons en ce moment contre les excès des pesticides et des engrais, pour revenir à des formes plus respectueuses d’agriculture et à une régénération sociale de notre jeunesse notamment, vers davantage de responsabilisation et de spiritualité, dans le sens de nos valeurs communautaires. Les gens ont besoin d’un certain désordre, d’un déséquilibre dans leurs vies, pour se mettre en mouvement sur le chemin spirituel et chercher des solutions durables à des problèmes récurrents. Voulez-vous vous purifier ? » Martin nous tend à chacun une
poignée de ruda, une plante locale, que nous écrasons dans le creux de notre main gauche, puis dessinons à sa demande des arcs de cercle autour de nos têtes, de nos jambes et notre buste, avant de faire mine de rejeter au loin les forces négatives. Après une courte marche, nous nous asseyons dans l’herbe face à un plan d’eau de taille modeste, mais zen et bucolique à souhait. Le rituel va durer deux bonnes heures, peut-être davantage, tant nous glissons dans une bulle intemporelle. Il sera question, à plusieurs reprises, de partage de plantes sacrées, de mastication et de recrachages symboliques, de saupoudrages divers et de bénédictions successives, entrecoupées de rasades d’agua gardiente. Quand nous repartons, le ciel s’est ouvert puis refermé, le vent s’est levé, les ombres descendent en ordre dispersé sur les montagnes. Sanction immédiate, ou événement fortuit, je vais, toute la nuit, être malade comme un chien, entre délires nauséeux et tremblements spasmodiques. Purification ? À l’aube, la tempête sous mon crâne s’éloigne et je sors des brumes, un peu hagard. Heureusement, car ça brasse, dehors. Tous les mardis, un grand marché rassemble les campesinos de la province, dans une ambiance enfiévrée aux allures de kermesse. Avant même le point du jour, se met en branle la ronde des chivas, ces bus bariolés emblématiques de la Colombie rurale, bourrés à craquer de marchandises et de paysans, dans une explosion de moteurs, de senteurs et un poudroiement de costumes chamarrés. Hommes et femmes gambianos se pressent en tuniques et jupes bleues, mauves ou rouges brodées de couleurs vives, avec bonnets de laine ou canotiers. Depuis la terrasse d’un bistrot-épicerie semblant sorti d’un documentaire d‘époque, je savoure le spectacle de ces hommes rudes et burinés, portant le kilt, de ces femmes qui jamais ne s’arrêtent de tricoter, même en négociant une botte de poireaux, et tous exhibant aux pieds des chaussures de marche aux lacets fluos, la mode du moment ! Dernière halte à Altamira, devant une feuille de bananier remplie de quesillo (fromage frais onctueux) et d’une assiette pleine de bizcochos, ces succulents biscuits croquants à la farine de maïs. Enfin, voici la montée vers le plateau de San Agustín. La cité respire le charme d’un gros bourg de campagne tropical. Les alignements de maisons
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LA COLOMBIE DU SUD : UN KALÉIDOSCOPE DE
Sur l'Alto de la Chaquira, dominant les gorges du Rio Magdalena, près de San Agustin, une saisissante gravure rupestre semble invoquer la beauté et la puissance telluriques du site.
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coloniales conservent leur cachet d’antan et les rues vibrent d’une animation enjouée, qui convergent vers la place centrale, arborée et ceinte de cafés. Une petite communauté d’expatriés européens, français notamment, s’y est établie, autour de la culture du café et d’un tourisme écolo-routard en expansion rapide. Alentour, sur un espace de plusieurs milliers d’hectares de collines à la végétation luxuriante, sont disséminées des centaines de statues issues d’une culture d’une insolente sophistication technique et artistique, qui s’épanouit au cours du premier millénaire de notre ère. Une demidouzaine de sites majeurs constitue l’essentiel du parcours «classique», qu’on atteint à pied, à cheval ou en 4x4, dans des décors naturels souvent magnifiques de gorges, de cascades et de hameaux caféiers. Pour l’essentiel, ce sont des sites funéraires, dont l’intérêt réside dans l’ornementation, sous la forme d’une statuaire monumentale, de taille, style et
facture très variables : les sculptures font 50 cm à 4 mètres de haut, exhibent un style qui balaie l’abstrait, le géométrique ou l’épuré, jusqu’à l’anthropomorphisme le plus réaliste et se présentent sous la forme la plus primitive, presque grossière, à la facture la plus élaborée. Dès 3 000 avantJ.-C., plusieurs cultures se sont succédé sur ce site d’environ 2 000km2, qui devint au fil du temps un important lieu de pèlerinage et de culte des ancêtres. Mais c’est à partir du premier siècle de notre ère que va se développer la culture dite de San Agustín, une période de grand épanouissement de l'art lithique monumental : énormes plates-formes funéraires, terrasses cérémonielles, monticules artificiels, avec une architecture inspirée par les temples, reflétant un système complexe de croyances religieuses et magiques. Quelque 300 sculptures souvent très expressives (divinités et animaux tutélaires aux visages mena-
VIGNETTES RURALES ET DE SITES ENCORE PRÉSERVÉS çants, guerriers armés de bâtons, chamans avec les yeux en forme de tête d’aigle et les dents de jaguars des héros mythiques) se dressent à l’entrée des caveaux. Cet âge d’or prit fin au VIIIe siècle de notre ère, comme le montre l'abandon des constructions édifiantes et de la sculpture sur pierre. De nouvelles populations, probablement venues de la région amazonienne, paraissent s'être établies dans cette zone vers l'an mil, en apportant avec eux des techniques de culture. Cette période, qui dura jusqu'à la conquête espagnole, se caractérise par une tradition artisanale moins complexe, une sorte de régression culturelle, en dépit des progrès de l'agriculture permettant de nourrir une population nombreuse. En 1995, l’Unesco inscrivait les sites de San Agustín et Tierradentro sur la liste du Patrimoine mondial. Nous sommes partis à cheval, dans les collines, explorer les sites de La Pelota, découverts il y a une vingtaine d’années, avec des statues peintes parti-
culièrement impressionnantes. Avant de louer ses chevaux aux touristes, Pacho fut un huaquero, ou pilleur de tombes notoire, comme beaucoup de ses coreligionnaires. Signe des temps, il est devenu un ardent défenseur du patrimoine local. Plus loin, au bord du canyon de la rivière Magdalena dont les flots grondent au fond du précipice, un affleurement rocheux est « habité » par une splendide sculpture énigmatique : la Chaquira (à ne pas confondre avec une autre déesse colombienne !) Au bord de l’abîme, un sorcier, chef de guerre ou prêtre, lève les bras dans une supplique aux astres et/ou aux Dieux. Et en un lieu aussi sauvage, aussi chargé, ce pétroglyphe d’adoration panoramique devient l’ambassadeur de toute une culture antique en train de sortir de l’ombre, le « réveilleur » spirituel des dizaines d’autres chefs-d’œuvre qui dorment encore sous la canopée ou dans les entrailles de la Terre mère indienne.
Dans la trapicheria d’Inza, près de Tierradentro, démonstration d’un savoir-faire ancestral et dégustation à volonté de la panella, à base de sucre de canne.
Guide pratique pages 90 et 91.
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