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PLATONIQUE Revue d’images
janvier - Février - Mars 2011 ISSN 2105-0902
PLATONIQUE Revue d’images
Janvier - Février - Mars 2011 ISSN 2109-0502 materiel@platonique.net Directrice de la publication : Sophie Roube Rédaction en chef : Sophie Roube et Benoît Blein Abonnement géré par l’association Art Terra, 12000 Le Monastère Graphisme : Sophie Roube Visuel de couverture : Igor Boyer Mécène : Pierre Enjalbal, Architecte, 12120 Centrès - 0565461135 Parution et dépôt légal : janvier 2011
5 PLATONIQUE Gabriel Jones - Photographe - New York, USA Elise Boularan - Photographe - Paris, France Régis Perray - Plasticien - Nantes, France La cellule (Becquemin&Sagot) - Plasticiennes - Montpellier & Paris, France Luc Mattenberger - Plasticien - Genève, Suisse
Platonique est une revue trimestrielle d’images tirée à cent exemplaires numérotés. Il s’agit d’un choix subjectif de quatre artistes par numéro, de créateurs contemporains issus de différentes disciplines : arts plastiques, arts graphiques, design, architecture, photographie ... Sans textes, ni commentaires nous souhaitons montrer des travaux issus de la carte blanche accordée aux artistes invités.
Platonique is a quarterly of pictures with a numbered circulation of one hundred. It is a subjective choice of four artists per issue, of contemporary creators coming from different disciplines : visual arts, graphic arts, design, architecture, photography… Without any text or commentaries, we want to show the outcome of the carte blanche granted to the invited artists.
Gabriel Jones, Irhann 02, 2008, 76x89 cm.
Irrhan 09, 2008, 107x124.5 cm.
Irhann 01, 2008, 76x89 cm.
Irhann 08, 2008, 76x89 cm.
Elise Boularan, Des Electrons Sous Les Paupières #1
Des Electrons Sous Les Paupières #2.
C43N1E
Untitled
Comptent #1
Comptent #2.
Kirbygrip
Désir Désordre
Régis Perray, Vouvray, Clos du Bourg, Domaine huet Verre de Clos du Bourg demi-sec 2001. Dégustation avec mes deux amies Passion et modération.
Astiquer. Aimer pour faire briller. Aubance. Une petite rivière pour un grand vin. Aujourd’hui. Je ne vais pas travailler, je vais jouir des petits-grands bonheurs du quotidien. Aurore. À l’aurore, j’ai vu la naissance d’un beau reflet du monde sur les surfaces sauvages de la Loire. Autoportrait. Une vie à dessiner, à photographier, à expérimenter une définition de soi souvent en mouvement. Une vie à se créer. Avenir. Je ne sais pas ce qui va arriver mais je sais ce que je vais faire. Aimer et créer encore plus. Babel. De la tour effondrée, la poussière est née. Balai. Le balai dialogue avec la maison et les objets. Parfois, il tente de se glisser sous les meubles pour être plus efficace. Il peut y avoir un aspirateur mais avec son encombrement et son bruit, il est un autre. Le balai est encore soi. Bataille. Longtemps, j’ai été un champ de bataille. Je suis sorti de ma tranchée et j’ai œuvré à lisser les surfaces abîmées.
Beaux-Arts. Pendant mes études à Nantes, j’avais baptisé mes deux ateliers Dubrovnik Palace et Beyrouth Palace. Deux petits échos de ces villes, pour construire et entretenir, loin de la guerre qui déchire les murs et divise les sols. Belge. Ni Flamand, ni Wallon. Quand je serai grand, je serai Belge. Benne. La benne récupère les restes de l’architecture, c’est une CDR : Construction, Démolition, Rénovation. Briques. Armentières, Bailleul, Arras, Béthune, Boulogne-sur-Mer, Bruxelles, Cambrai, Charleroi, Gent, Hellemmes, Kortrijk, La Madeleine, Lille, Mons, Oostende, Roubaix, Saint-Omer. Les briques colorées illuminent les beaux ciels gris du Nord. Camps. Il a fait beau dans les camps au printemps. L’herbe verte, le soleil doux et les vivants. Au bord de la route, au bord de nous, il y a eu des malfaisants pour faire les camps. Cartel. Un nom, un prénom, un titre, des dates, un pays, des villes, des dimensions, des matériaux, des techniques et parfois d’autres mots pour nous accompagner devant l’œuvre. Oui, mais allons d’abord vers elle pour une plus belle rencontre, une émotion sans filet, sans cartel d’identité.
L’œuvre, d’abord l’œuvre, toujours l’œuvre. Cave. Je n’ai pas d’atelier, mais j’ai une cave pour les décennies à venir. De bonnes bouteilles, couchées, protégées dans le noir. Et l’espoir d’être encore vivant pour les déguster à leur apogée. Cendres. Même mort, je ne veux pas vivre dans un cercueil et reposer, figé, décomposé. Je ne veux plus être moi. Un dernier voyage, les pieds devant, entre de belles planches pour bien brûler de mille feux. Champ. Labourés, cultivés et toujours honorés, les champs du Nord ont retrouvé la paix. Champagne. Un dîner avec toi et une belle bouteille de Ruinart. Chêne. Dans son cercueil en chêne, mon grand-père est maintenant en terre. Chemin. Longtemps j’ai avancé sans voie. Aujourd’hui sur la terre, le fer et parfois de beaux pavés, je fais mon chemin. Ciel. Je n’irai pas au ciel, je veux rester sur terre. Sur l’herbe des prés, dans la tourbe des marais, dans l’eau de la Loire et de l’Atlantique. Cierge. J’allume toujours deux cierges dans les églises, un pour les morts et un pour
les vivants. Deux lumières pour être bien ensemble.
Définitions. Des images écrites avec des mots.
Cimetière. Allongés là, sous nos pieds, les corps fragiles, presque disparus sous la pierre lourde, sont rangés.
Demi-sel. Tout ce qui est bon sans beurre est meilleur avec.
Clarté. C’est parce que je vis dans le calme et la clarté que je crée. Corps. Le lendemain de notre arrivée en Pologne, nous étions debout dans la nuit pour une cérémonie au camp d’extermination de Maïdanek. On a marché dans la boue et dans la neige en s’arrêtant devant les baraquements toujours intacts. Puis, autour des restes des victimes sortis des chambres à gaz et des fours crématoires, conservés et protégés, on s’est donné la main. Les morts et les vivants, nous étions des corps dans un camp. Couleur. Je n’étais pas une couleur, je suis devenu blanc à Kinshasa. Créer. Etre heureux et intense comme un amoureux. Danger. Monsieur Alzheimer a tué mon grand-père paternel. On le recherche activement mais ce salaud court toujours. Attention, il est dangereux. Débarrasser. La table et le plancher pour patiner et garder le bois toujours aussi beau.
Dictionnaire. Au présent et avant trop de souvenirs, j’écris et je range mes mots. Éponge. L’éponge est mon outil le plus utile. Sèche et solide, humide et moelleuse, gorgée d’eau et souvent saturée de saleté, l’éponge est aussi très fragile. Europe. Je vis les voyages, je vis les langues, je vis les origines, je vis les climats, je vis les paysages, je vis les gastronomies, je vis les cultures, je vis les amours, je vis les pays, je vis le continent. Oui, je vis l’Europe. Faire. Avoir des savoir-faire et savoir ne rien faire. Fantaisie. Impromptu de Frédéric Chopin. Fatigue. Epuisé, affalé, mais pas mort. Ferme. Les miens ont vécu et travaillé à la ferme. Je suis aussi de la terre ferme. Frite. La frite c’est gras ! La frite c’est chic ! Géographie. Il y a la géographie de la terre : les continents, les vallées, les fleuves, les collines, les rivières, les plateaux, les forêts, les plaines, les marais, les déserts, les îles,
les montagnes, les volcans, les lacs, les mers, les océans. Et il y a la géographie des terriens : les pays, les frontières, les canaux, les barrages, les clôtures, les haies, les voies ferrées, les aéroports, les ports, les ponts, les chemins, les routes et les autoroutes, les villes et les villages… Grand. Quand je serai grand, je serai maçon portugais ou plombier polonais. Guerre. Des corps broyés, déchiquetés, blessés. Aujourd’hui, des lignes de croix dans les cimetières et toujours des corps figés dans la terre de guerre. Habitants. Arrêtés dans les villes et les villages de nombreux pays, puis déportés, affamés, assoiffés, brûlés, fusillés, gazés, torturés, des millions d’habitants ont disparu dans les camps nazis, construits sur les sols de la Pologne. Île. La plus belle des îles est l’Aréole. Loin. Courir pour aller plus vite, balayer pour aller plus loin. Loire. Aux bords du fleuve, de petits arbres produisent des grands vins. Bonnezeaux, Cheverny, Chinon, Coteaux de l’Aubance, Coteaux du Layon, Jasnières, Muscadet, Pouilly-Fumé, Quarts de Chaume, Quincy, Saint-Nicolas de Bourgueil, Sancerre, Saumur-Champigny, Savennières,
Vouvray... Matin. Au bord du lit, j’hésite parfois à poser un pied sur le sol et préfère rester dans la chaleur et la douceur des draps, au bord de tout. Mijoter. Sans doute le plus beau verbe de la cuisine familiale. Mais avant, il faut éplucher, laver, découper, rissoler, assaisonner, arroser, surveiller pour enfin déguster le plat longuement préparé, longuement mijoté. Mots. Nommer pour mieux délimiter mon territoire, mes champs du quotidien où les mots propres, comme des outils, se définissent à l’usage et se modifient avec l’âge. Les mots propres et souvent les mains sales, pour être à soi, loin des sols abandonnés. Mur. Le vieux cimetière juif de Lublin est entouré par un immense mur qui isole cette colline de la ville. Cachés derrière, près des vieilles tombes, il y a des sacs plastiques blancs, noirs et parfois très colorés. Des ordures balancées par-dessus le grand mur. Nantes. Quand je reviens à Nantes, je contemple la Loire et je me sens bien au bord du monde. Nord. Pour l’amour de la bière et de la brique.
Océan. Après la ligne d’air et d’eau, il y a toujours une terre. Peau. À pleines mains, à pleine bouche. Piano. Brad Mehldhau, Erik Satie, Franz Schubert et surtout Frédéric Chopin, Franz Liszt et Alexandre Rabinovitch. Refaire. C’est fatigant tous ces gens qui adorent refaire le monde. C’est plus joyeux de créer. Repas. Les trois repas du jour sont trop sacrés pour être négligés. Retour. Soixante-cinq ans après mon grandpère, je suis revenu d’Allemagne. Il y fut paysan prisonnier, quatre années. J’y étais deux mois, artiste invité. Il n’aimait pas les boches, j’aime les Allemands. Deux voyages si différents, entre deux pays aujourd’hui apaisés et réconciliés. Sapin. Epuisé, allongé au bord de sa vie, mon grand-père maternel m’a dit en souriant : « Ça sent le sapin ». Sieste. Le repas est passé, ce n’est pas l’heure de travailler. Sisyphe. Quand je serai grand, j’aiderai Sisyphe à se reposer. Tache. Effacer, gratter, poncer, racler,
décaper, essuyer, lessiver, brosser, débarbouiller, récurer, gommer, laver, frotter, nettoyer. Il y a toujours un mot pour faire disparaître une tache. Terre. Quand je suis étranger, loin de chez moi, je suis toujours sur l’arrondi de la terre. Territoire. Ni Breton, ni Vendéen, je suis de la Loire et de l’Atlantique. Travail. Astiquer, balayer, curer, déblayer, dépoussiérer, encaustiquer, éponger, essuyer, filmer, frotter, jeter, laver, nettoyer, nommer, patiner, photographier, protéger, racler, ranger, rincer, serpiller. J’ai envie de me reposer. Vie. L’art oui, mais la vie encore plus. Voyage. Des chemins, des rues, des routes, des régions, des pays, en car, en train, en avion, pour marcher, regarder, travailler et pour aimer. Zen. Essuyer la table, laver la vaisselle, balayer les places, fermer le gaz...
Les Mots Propres Petit dictionnaire autobiographique de Astiquer à Zen. Edition augmentée, septembre 2010. 210 définitions (extraits)
La cellule (Becquemin&Sagot), Autoportrait à la bibliothèque, 2008, photographie, 100 x 169 cm.
Glory Holes, 2005, femmes, MDF, nourritures, 200 x 200 x 200cm.
Apparition d’une île, acier, fouet, plexi, moteur, parpaing ; Relief, exposition collective, Fondation Ecureuil pour l’art contemporain, Toulouse, France, 12 janvier- 26 février 2011
Luc Mattenberger, Booby Trap, 2010, moteur deux temps, aluminium, réservoirs additionnels de F5-Tiger, turbine, 80 x 120 x 550 cm, crédit photographique: Aurélie
en Bergot
Siren, 2010, acier inoxydable, sirène électromécanique, relais temporisé, 200 x 96 x 96 cm.
Black Matter, 2010, Caoutchouc EPDM, aluminium, câble et moteur électrique, dimensions variables.
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