12 rue Boissy d’Anglas – 75008 Paris info@fondation-entreprise-ricard.com fondation-entreprise-ricard.com
Visuel : Nina Childress, BE(07) (fourrure), 2016, courtesy de l’artiste et Galerie Bernard Jordan, photo : Aurélien Mole / ©ADAGP, Paris, 2020. — Graphisme : Studio Des Signes. — Fondation d’entreprise Ricard, Nº siret 49038815400018, dont le siège est situé au 4-6 rue Berthelot 13014 Marseille.
CURATEUR ERIC TRONCY
EXPOSITION DU 18 FÉVRIER AU 28 MARS 2020
VERNISSAGE : LUNDI 17 FÉVRIER 2020, À PARTIR DE 18H30
SOMMAIRE 3 « LOBODY NOVES ME » PAR ERIC TRONCY 4 BIOGRAPHIES DU COMMISSAIRE ET DE L’ARTISTE 6 EXPOSITIONS ET BIBLIOGRAPHIE NINA CHILDRESS 7 HISTOIRES (CROISÉES) DE TABLEAUX 16 VISUELS POUR LA PRESSE 17 EXTRAITS DE TEXTES
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1 Nina Childress, janvier 2020 © Fondation d’entreprise Ricard, photo : Philippe Chancel.
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NINA CHILDRESS — LOBODY NOVES ME
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L’actrice suédoise Britt Ekland, sex symbol, James Bond girl, mariée en 1964 à Peter Sellers, puis compagne de Rod Stewart à qui elle fut présentée par Joan Collins, fut l’une des célébrités les plus photographiées durant les années soixante dix. Auteur du précis de beauté et de fitness Sensual Beauty: And How to Achieve It (1984), dont le visage fut, à la cinquantaine, remarquablement altéré par la chirurgie esthétique, elle est un personnage que Nina Childress a peint de manière itérative. C’est elle qui figure sur le carton de son exposition intitulée « Lobody Noves Me » à la Fondation d’Entreprise Ricard. Si l’on veut faire « parler la peinture », il y a par conséquent matière à envisager tout un tas de choses, avec Britt Ekland comme avec le panthéon de personnages qui peuplent l’œuvre de Nina Childress : des personnages ayant fait image, souvent des figures de la musique – Cher, Karen Chéryl, Kate Bush, France Gall – si tant est que cette liste ait un sens. Ce sont des visages familiers qui invitent à toutes sortes de récits, de réflexions, de considérations, des bombes narratives cependant pas nécessairement vouées à l’explosion. Childress, que les évidences ennuient manifestement, ne tarde en effet jamais à expliquer : « En ce qui me concerne, je n’ai pas vocation à faire une peinture universelle, sublime, essentielle, intelligente, donc il ne me reste que la liberté de faire ce dont j’ai envie : cela veut dire parfois peindre n’importe quoi n’importe comment¹. » et « On peut peindre n’importe quoi et j’aurais même tendance à penser qu’il vaut mieux peindre n’importe quoi si l’on veut que la peinture reste un peu excitante.» On comprend que le sujet ne doit pas excéder sa position d’« arrière plan » et on comprend aussi, sans doute, une fatigue à voir la peinture (et avec elles tous les autres mediums) aujourd’hui si souvent réduite à son sujet, à ses significations immédiates, à ses messages bienveillants. Il ne faut pas compter sur Nina pour suivre cette route : « La politique, la sociologie, le féminisme, l’érotisme, sont des sujets qui a priori ne m’intéressent pas… et je ne suis pas près d’utiliser des écrans LCD. » Elle se définit elle-même comme « artiste peintre » – un terme volontairement désuet qui dit avant tout le refus catégorique de céder aux sirènes de l’époque – bon, il n’y aura pas d’écrans LCD. S’il doit y avoir un sujet à sa peinture, c’est la peinture elle-même – évidemment. Ce « sujet », Childress le connaît plutôt bien, en tous cas elle a eu le temps de se familiariser avec son histoire, ses technique, ses ruses et ses mutations depuis que, au début des années quatre-vingt, elle a commencé à peindre. « Il y avait ma grand-mère paternelle, du coté américain, Doris Childress. Une peintre amateur qui lorsqu’elle arrivait
chez nous pouvait foncer acheter un châssis et des couleurs pour donner bonne mine à un mur qu’elle trouvait trop blanc. De l’autre coté, il y avait le troisième mari de ma grand-mère française, Georges Breuil, un peintre abstrait sans concession qui exposait en 1961 devant les usines de Renault à Billancourt. J’ai toujours été prise entre ces deux conceptions de la peinture². » Entre la déco et l’avant-garde (c’est-à-dire à l’endroit exact de l’art d’aujourd’hui) : tiraillement dont la trace se manifeste de façon littérale dans son œuvre tandis que d’une même image, Nina réalise deux versions qu’elle dit « Good » et « Bad » – la « Good » généralement hyperréaliste et flatteuse, la « Bad » plus volontiers expérimentale et grinçante. L’une servant de contre-feu à l’autre, éteignant ensemble, la question du style, ou plutôt la prenant à son propre piège. Il ne s’agit pas pour elle d’avoir tous les styles mais de convoquer tel ou tel dans l’intérêt de la peinture qu’elle envisage. Les « Bad » offrent souvent plus de complexité stylistique – les fond instruits de l’expressionnisme abstrait américain, les personnages plus « pop » ou « Bad Painting » (justement) et, à l’occasion, quelques stratégies picturales empruntées à Bernard Buffet. Difficile de ne pas penser à ce dernier face à la « reprise » par Nina Childress de la toile clé du Réalisme de Courbet, Enterrement, comprenant un groupe de personnage la tête recouverte de sacs plastiques – non pas un message écologique mais une évocation de la façon dont le peintre se donna la mort. À moins qu’ils ne sniffent de la colle parce qu’avec Childress le sujet de la toile aussi est soumis à ce grand écart. Exercice qu’elle s’inflige volontiers dans ses nombreux autoportraits : Autoportrait au slip sur la tête ou Autoportrait avec la chevelure de Simone de Beauvoir, Autoportrait au pince-nez : il y a peu de limites qu’elle impose à sa fantaisie. Nous ne savons pas bien ce que vont devenir les images à l’heure où nous pouvons, à une échelle domestique, les fabriquer de toutes pièces, les « corriger », les éloigner de la réalité, les reproduire et les diffuser. Une grande partie de la peinture contemporaine s’interroge sur le devenir de la peinture à l’heure de ces images, en utilisant précisément les techniques et stratégies qui permettent l’apparition de ces images. Nina Childress procède de manière exactement inverse, en faisant confiance à la peinture pour trouver à la peinture une place contemporaine auprès de ces images.
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Eric Troncy 1 Interview Yannick Miloux, in Childress, Nina, Tableaux, édition Galerie Bernard Jordan, 2008.
2 Claire Moulène, Une artiste peut en cacher une autre, Les Inrockuptibles, 18 février 2015.
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Eric Troncy est né en 1965 à Nevers. Il a étudié à l’École du Louvre et à l’École des Hautes Études en Sciences Sociales à Paris. Critique d’art, il a fondé les magazine Documents sur l’Art (1992–2000) et Frog (depuis 2005) et collabore régulièrement à Purple magazine et System. Commissaire d’exposition, il a organisé notamment No Man’s Time (Villa Arson, 1990), Weather Everything (Musée de Leipzig, 1998) ; Coollustre (Collection Lambert, 2003) ; The Shell (Galerie Almine Rech Paris, 2015). Il a dirigé le Centre d’Art APAC de 1989 à 1991, et dirige le Consortium Museum depuis 1996, où il a organisé plus d’une centaine d’expositions monographiques : Ugo Rondinone, (1997 & 2004) ; Felix Gonzalez-Torres (2002) ; Juergen Teller (2010) ; Joe Bradley (2014) ; Alex Israel (2013) ; Brian Calvin (2015)…
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Eric Troncy. Photo : Pierre Even.
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Nina Childress (née en 1961 à Pasadena (USA), vit et travaille à Paris) Avant Nina Childress, il y avait Nina Kuss, égérie du groupe punk « Lucrate Milk ». En 1981, la jeune femme, avec ses faux airs de Twiggy, ses yeux immenses et ses jambes interminables, vient de prendre la tangente après avoir rencontré devant les Arts-Déco de Paris, Laul, Gabo, et surtout Masto qui deviendra son compagnon. Ils forment le groupe post punk Lucrate Milk. L'aventure dure trois ans et les garçons intègrent les Bérurier noir, alors que leur roadie et choriste, Helno, devient le chanteur des Négresses vertes. Nina, elle, s'engage dans une aventure collective qui lui tient d'avantage à coeur, celle de la peinture, avec les Frères Ripoulin alors hébergés dans les locaux du journal culte de l’époque, Actuel. Si les Frères Ripoulin ne disent plus grand-chose aux jeunes artistes et critiques d’aujourd’hui c’est que les plus célèbres du groupe (Pierre Huyghe et Claude Closky) n’ont pas fait grand-chose pour entretenir la mémoire de ce collectif ultra prolifique qui s’inscrivait dans le sillon de la Figuration Libre, encensait Keith Harring et inventa avant l’heure le street art. De cette époque Nina Childress garde un goût pour l’accrochage et la mise en scène qu’elle décline dans la plupart de ces expos, jusqu’à celle-ci, plus classique, qui sous l’impulsion d’Eric Troncy fait volontairement le ménage pour donner à voir la peinture et elle seule. Cette manie, confirmée au contact des Frères Ripoulin, vient aussi d’une autre donnée biographique, lié à deux de ses aïeux que tout opposait. « D’un côté sa grand-mère maternelle, côté américain, Doris Childress. Une peintre amateure qui lorsqu’elle arrivait chez eux pouvait peindre un bouquet de fleurs en deux heures pour décorer un mur trop vide ». « De l’autre côté, le troisième mari de sa grand-mère française, George Breuil, un peintre abstrait lié à l’abstraction lyrique qui ne tolérait pas l'abstraction ». Entre ces deux conceptions, joyeuse et un brin potache d’un côté, radicale et intellectuelle de l’autre, Nina Childress n’a jamais fait le choix. « Une peinture conceptuelle et idiote à la fois » comme elle le dit dans son entretien avec Yannick Miloux, et qui s'illustre dans les versions « good » et « bad » de ses tableaux. Après avoir longtemps enseigné à l’École nationale supérieure d’art de Nancy, Nina Childress a été nommé professeure de peinture à l’École nationale supérieure d’art de Paris en octobre 2019.
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hoto d'archive de Nina en 85 P Tac-tac aux Bains-Douches. Photo Foc Kan.
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EXPOSITIONS PERSONNELLES Juin Exposition monographique 2021 au FRAC nouvelle aquitaine, Bordeaux (publication prévue) Aut. Projet à La Galerie, centre 2021 d’art contemporain de Noisy-le-Sec avec l’aide de la Fondation des artistes Nov. Exposition des tableaux 2020 phosphorescents à l’Artothèque, espaces d’art contemporain, Caen 2020 Lobody noves me, Fondation d’entreprise Ricard (commissaire : Éric Troncy), Paris 2019
Dilindam, Galerie Iconoscope, Montpellier
2018 Chéryl carpenter, Galerie Bernard Jordan, Paris 2018 Je n’ai jamais eu qu’un seul but : être heureuse, Salon bienvenue, Paris 2018 Le hibou aussi trouve ses petits jolis, Le Printemps de septembre, Toulouse 2017 Sylvissima, Palette terre, Paris 2016 Elle aurait dû rester au lit, Galerie Bernard Jordan, Paris 2016 Le requiem du string, Le Carré, Château Gontier 2016 Peindre et acheter, Le Parvis, Tarbes 2015 Good wife, American gallery, Marseille 2015 Magenta, Crac, Sète
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XPOSITIONS COLLECTIVES E (SÉLECTION) Juin We Never Sleep, curated 2020 by Alexandra Midal & Cristina Ricupero, Schirn Kunsthalle, Francfort Juin Peinture Obsolescence 2020 Déprogrammée, Musée de l'Abbaye Sainte-Croix des Sables d'Olonne Avril A World of Absolute 2020 Relativity, Voltaire, Paris Fév. Clichés-Peintures, 2020 École Nationale Supérieure d’Art de Limoges 2019 Crâne souple, tête entière, Open School Galerie, Nantes 2019 Futur, ancien, fugitif, Palais de Tokyo, Paris 2019 Le dandy des gadoues, Centre d’art Contemporain, Noisy-le-Sec 2019 Topor pas mort, Galerie Anne Barrault, Paris 2019 Opéra monde, Centre Georges Pompidou, Metz 2019 Des jeunes gens mödernes, Centre Chorégraphique National, Orléans 2017 Libres Figurations, Fondation Leclerc, Landerneau
2016 Habile beauté, Frac Languedoc-Roussillon, Montpellier 2015 One more time, l’exposition de nos expositions, MAMCO, Genève 2015 Un mural, des tableaux, Le Plateau, FRAC d’Île de France, Paris 2015 J’aime les panoramas, MUCEM, Marseille 2015 Peindre, dit-elle, Musée départemental d’art contemporain, Rochechouart
COLLECTIONS PUBLIQUES Fonds national d’art contemporain Fonds municipal d’art contemporain de la ville de Paris FRAC Bretagne FRAC Île de France FRAC Limousin FRAC Languedoc Roussillon FRAC Corse MAMCO Ville de Sérignan Ville de Valognes Ville de Dole Fond cantonal d’art contemporain de Genève (Suisse) ÉDITIONS
2015 J’aime les panoramas, Musée Rath, Genève
Les albums à colorier des beaux-arts de Paris, Nina Childress. Avril 2020.
2015 Un mural, des tableaux, Le Plateau, Paris
Color Me, Nina Childress. Éditions Sémiose, mai 2020.
2014 Europe, Europe, Espace Treize et Astrup Fearnley Musee, Oslo, Norvège
Tableaux fluo, 2013-2016, textes de Ramon Tio Bellido et Vanina Géré. Éditions Galerie Bernard Jordan, avec Le Parvis et le Carré, 2016.
2014 Drapeaux gris, Galerie Backslash, Paris 2014 Le syndrome de Bonnard, Villa du Parc, Annemasse 2013 Le regard du bègue, Mamco, Genève 2013 Nouvelles vagues, Palais de Tokyo, Paris
Nina Childess, Nouveaux Tableaux, textes de Fabienne Radi. Éditions Galerie Bernard Jordan et Heinz-Martin Weigand gallery, 2013. Childress, Nina, Tableaux, texte de Carole Boulbès, Véronique Pittolo, Vincent Labaume, Yannick Miloux. 127 pages, édition Galerie Bernard Jordan, 2008.
2017 Zeitgeist, Mamco, Genève 2017 Peindre, dit-elle 2, Musée des Beaux-Arts, Dôle 2016 Œil de lynx et tête de bois, Atelier Neil Beloufa, Villejuif
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HISTOIRES (CROISÉES) DE TABLEAUX
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« L’ENTERREMENT » VERSUS « SEX MIT SCHWAN »
« Le point de départ de cette longue suite de tableaux c’est cette information sur la mort de Bernard Buffet qui se serait suicidé avec un sac plastique sur la tête. Ce sac, qui plus est, portait sa signature. J’ai adoré cette histoire, d’autant que j’étais un peu down à l’époque. J’ai donc commencé un 1er janvier 2009 à peindre des sacs plastiques. Et parallèlement à peindre des cygnes que j'avais photographiés sur le lac de Genève. J’ai donc fait ces quatre petits tableaux pour lesquels j’ai demandé à mon mari de me prendre en photo avec un tuyau d’aspirateur à la place du cou du cygne. Vint ensuite, près de deux ans plus tard, ce grand tableau, « l’enterrement », une réinterprétation personnelle de « L’enterrement à Ornans » de Gustave Courbet. Au lieu des hauts de forme et des coiffes blanches, j’ai commencé à voir des cygnes et des sacs plastiques. Je voulais faire un tableau très trash pour mon expo à la galerie Jordan. J’aimais l’idée qu’une fois rentré dans la galerie, on se retrouve coincé face à un truc horrible. Je ne montrais que ce grand tableau en face d’un papier peint en vert fluo qui déteignait sur les visiteurs ».
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1 Sex mit Schwan 1, Nina Childress, 2009, 49,5 × 60, 5 cm, huile sur toile. Collection Martine de la Codre (Lisbonne). Photo : Philippe Chancel / ©ADAGP, Paris, 2020. 2 L’enterrement, Nina Childress, 2011, 300 × 600 cm (triptyque), huile et peinture aérosol sur toile. Collection privée (Paris). Photo : Philippe Chancel / ©ADAGP, Paris. 2020.
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HISTOIRES (CROISÉES) DE TABLEAUX
« FRANCE » AND CO
« Une grosse tête, il faut que ce soit énorme, monstrueux. La seule limite c’est que ça doit passer dans l’escalier. Mon format maximum dans cet atelier est 3 × 2 m. Ceci dit en passant j’ai un dégout pour les formats carrés. J’aime bien cette période de France Gall, sa période barrette. Elle en vendait à son nom. J’ai beaucoup peint Sylvie Vartan aussi et puis Karen Cheryl en batteuse. Et je viens de faire une Jane Birkin (grosse tête). » 1
1 France (grosse tête), Nina Childress, 2019, 248 × 190 cm, huile sur toile. Courtesy de l’artiste et Galerie Bernard Jordan (Paris / Zurich). Photo : Nina Childress / ©ADAGP, Paris, 2020.
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HISTOIRES (CROISÉES) DE TABLEAUX
« C.TWINS (PANSEMENTS) » VERSUS « BE (FOURRURE) »
« Je me suis brûlée à Munich dans un hammam et suis revenue à Paris avec une cargaison de pansements qui m’avaient été prescrits. Comme je ne savais pas comment peindre les boucles de ces sœurs jumelles que l’on retrouve dans plusieurs de mes peintures, j’ai recouvert leurs visages de pansements. Sur le tableau qui représente Sylvie Vartan avec un bras cassé, bien avant son terrible accident de 1972, le soleil est également représenté par un pansement. Je suis partie d’une image trouvée sur internet, avant c’était plutôt des cartes postales, des coupures de magazines. Je mène l’enquête, souvent après une découverte liée au hasard. Il est vrai que le corpus d’images des années 70, d’avant les photos de paparazzis ou celles trop retouchées que l’on trouve aujourd’hui, m’intéresse davantage. J'ai eu l'idée de la longue série dédiée à Britt Ekland, suite à une conversation avec le photographe de mode Philippe Jarrigeon. Il était fasciné par ces stars qui posent avec leur propres portraits dans leur jardin ou leur salon. Je voulais qu'il photographie une fille qui ressemblerait à Britt Ekland au milieu de tous ces portraits d'elle à différents âges. »
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1 C.Twins (pansements), Nina Childress, 2018, 61 × 50 cm, acrylique, huile et pansements sur toile. Courtesy de l’artiste et Galerie Bernard Jordan (Paris / Zurich). Photo : Philippe Chancel / ©ADAGP, Paris, 2020. 2 BE(07) (fourrure), Nina Childress, 2016, 100 × 81 cm, huile sur toile. Courtesy de l’artiste et Galerie Bernard Jordan (Paris / Zurich). Photo : Aurélien Mole / ©ADAGP, Paris, 2020.
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HISTOIRES (CROISÉES) DE TABLEAUX
« FAKE BACON AND TWINS » VERSUS « F »
« Au départ c’est une photo en noir et blanc. Ce qui m’intéressait c’était la pose et le tableau inspiré par Francis Bacon dans le fond. Je ne sais plus où je l’ai trouvé. J’avais commandé le Playboy où ces jumelles apparaissaient. Ce sont des vraies jumelles qui ont joué dans un film de vampire de la Hammer (Evil Dead) et dans d’autres films gentiment érotiques. Dans les films, il y avait toujours la plus gentille et la plus méchante, la plus cochonne et la plus prude. En plus, elles s’appelaient Mary et Madeleine Collinson. J’ai regardé tous les films qu’elles ont fait. (…) Comme je n’arrivais pas à peindre le visage de la jumelle en jaune j’en ait fait une version bad qui s’appelle F. F comme Francis Bacon. Ou F comme faux bacon pour les tranches de bacon que j’ai dessinées autour de son visage. J’ai incrusté avec Photoshop la version Bad pour voir ce que cela donnerait mais finalement j’ai opté pour une autre solution, la faire rougir. Mais je n’y suis jamais vraiment arrivée. Il y a une énergie différente entre les good et les bad… J’entretiens un rapport à la caricature depuis très longtemps. J’ai fait beaucoup de caricatures de la série Dallas dans les années 80. À l’époque, je faisais même des caricatures des animateurs de de jeux télévisés dans les rubriques de Libé. J’adorais dessiner en regardant la TV. C’était avant internet, au début des années 80 ».
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1. Fake Bacon and twins, Nina Childress, 2017, 130 × 97 cm, huile sur toile. Courtesy de l’artiste et Galerie Bernard Jordan (Paris / Zurich). Photo : Aurélien Mole / ©ADAGP, Paris, 2020. 2. F., Nina Childress, 2017, 50 × 40 cm, huile sur toile. Courtesy de l’artiste et Galerie Bernard Jordan (Paris / Zurich). Photo : Aurélien Mole / ©ADAGP, Paris, 2020.
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HISTOIRES (CROISÉES) DE TABLEAUX
AUTOPORTRAITS AU SLIP ET AU AU PINCE-NEZ
« Je fais tous mes autoportraits avec des miroirs. Pour celui-ci j’ai dû poser avec une culotte sur la tête, ce n’était pas très pratique. Je la relevais quelque fois pour mieux voir mon reflet. Ce qui fait que ma culotte était recouverte de traces de doigt vertes. J’ai fait pas mal d’autoportraits, je ne suis pas Rembrandt mais disons qu’ils sont le fruit d’une idée. Tiens, je vais me faire ça. C’est le cas de l’autoportrait au masque ou de celui au pince-nez. J’avais de l’eczéma autour des yeux et ça me pourrissait la vie. J’ai fait cette photo de moi après la piscine pour montrer à mon dermato dans quel état j’étais et je me suis dit que cela pourrait devenir le sujet d’un tableau. Et puis j’ai fait plusieurs autoportraits en Simone de Beauvoir, avec le bandeau, la coiffure en macaron. Ce sont des tableaux que je peins très vite. C’est très impulsif, un peu ridicule. Lorsque je fais ces peintures je pense beaucoup à ma grand-mère américaine qui peignait et qui aurait rêvé que je devienne portraitiste ».
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1. Autoportrait au slip 1, Nina Childress, 2012, 61 × 46 cm, huile sur toile. Courtesy de l’artiste et Galerie Bernard Jordan (Paris / Zurich). Photo : Philippe Chancel / ©ADAGP, Paris, 2020. 2. Autoportrait au masque, Nina Childress, 2019, 50 × 40 cm, Huile et fils sur toile. Courtesy de l’artiste et Galerie Bernard Jordan (Paris / Zurich). Photo : Aurélien Mole / ©ADAGP, Paris, 2020.
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HISTOIRES (CROISÉES) DE TABLEAUX
« LE PEINTRE » ET « HENRI / LAMI »
« J’ai été invité par le Printemps de Septembre en 2018 à puiser dans les collections du Musée des Augustins et j’ai trouvé ce portrait d’Alphonse Fauré, un peintre local dont j’avais choisi un tableau « L’heure du thé » dans lequel des femmes nues servent à boire à des artistes. Autant dire que j’avais un a priori assez défavorable sur ce monsieur. Je n’ai même pas eu besoin d’en faire une version « bad », il l’était déjà bien assez. Et puis il y a une petite histoire cachée derrière cette peinture car le Musée n’a pas pu me prêter le tableau qui était endommagé. J’ai donc simulé le décollement en faisant un effet sur la toile. Puis j’ai remplacé la signature Fauré par Childress avec la même typo. Et j’ai rajouté des croûtons un peu partout ! C’est un portrait du peintre macho, qui se prend au sérieux. Il est aussi l’un des rares personnages masculins de mon expo. Hormis le portrait d’Henri, mon ex mari décédé il y a quelques années et que je représente ici avec son chien qui pleure. C’est mon tableau numéro 1000 ».
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1. Le peintre, Nina Childress, 2018, 55 × 46 cm, huile sur toile. Courtesy de l’artiste et Galerie Bernard Jordan (Paris / Zurich). Photo : Aurélien Mole / ©ADAGP, Paris, 2020. 2 Henri/Lami, Nina Childress, 2018, 41 × 27 cm, huile sur toile. Courtesy de l’artiste et Galerie Bernard Jordan (Paris / Zurich). Photo : Aurélien Mole / ©ADAGP, Paris, 2020.
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HISTOIRES (CROISÉES) DE TABLEAUX
GENOUX SERRÉS
« J’ai peint deux tableaux avec les sœurs Deneuve, à des âges différents mais qui tiennent la même pose, sur une barrière. Les histoires de sœurs, qui plus est de jumelles, me touchent beaucoup, elles irriguent tout mon travail. Ce sont aussi des tableaux que je réalise depuis peu avec cette nouvelle technique, la peinture phosphorescente. Comme il n’y a plus de couleur dans ces peintures ce que je cherche à explorer c’est l’idée de la profondeur et de la lumière. Cela fonctionne moins dans les versions "bad" de mes peintures car il n’y a aucune illusion d’ordre photo-réaliste ».
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Genoux serrés, Nina Childress, 2020, 190 × 140 cm, peinture phosphorescente et huile sur toile. Courtesy de l’artiste et Galerie Bernard Jordan (Paris / Zurich). Photo : Nina Childress / ©ADAGP, Paris, 2020.
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« CHER, PEAU ROUGE », « CHER, PONT » ET « BAD CHER, PONT »
HISTOIRES (CROISÉES) DE TABLEAUX
« Le point de départ c’est une scène du film « Chastity » dans lequel Cher rencontre cette blonde par terre dans un parc, c’est une lesbienne qui la drague, il y a un coucher de soleil, une belle lumière. Il existe aussi la version Bad de ce tableau et un détail, comme un spin off en peinture, sur l’un des personnages de la scène, en peinture phosphorescente. En ce moment, j’essaye de me perfectionner avec le phospho mais il me faut des sujets. On ne fait pas de la peinture comme on fait un gâteau, il faut donc une nécessité intérieure, des sujets intimes que l’on a envie d’explorer, le tout couplé à une technique qui t’oriente à son tour et te conduit vers tel ou tel motif ».
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1. Cher, peau rouge, Nina Childress, 2019, 41 × 33 cm, peinture phosphorescente et huile sur toile. Courtesy de l’artiste et Galerie Bernard Jordan (Paris / Zurich) Photo : Aurélien Mole / ©ADAGP, Paris, 2020. 2. Cher, pont, Nina Childress, 2019, 100 × 160 cm, huile sur toile. Courtesy de l’artiste et Galerie Bernard Jordan (Paris / Zurich). Photo : Aurélien Mole / ©ADAGP, Paris, 2020. 3. Bad Cher, pont, Nina Childress, 2019, 97 × 162 cm, huile, acrylique et peinture phosphorescente sur toile. Courtesy de l’artiste et Galerie Bernard Jordan (Paris / Zurich). Photo : Aurélien Mole / ©ADAGP, Paris, 2020
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Sex mit Schwan 1, Nina Childress, 2009, 49,5 × 60, 5 cm, huile sur toile. Collection Martine de la Codre (Lisbonne). Photo : Philippe Chancel / ©ADAGP, Paris, 2020. L’enterrement, Nina Childress, 2011, 300 × 600 cm (triptyque), huile et peinture aérosol sur toile. Collection privée (Paris). Photo : Philippe Chancel / ©ADAGP, Paris, 2020.
Autoportrait au slip 2, Nina Childress, 2012, 61 × 46 cm, huile sur toile. Courtesy de l’artiste et Galerie Bernard Jordan (Paris / Zurich). Photo : Philippe Chancel / ©ADAGP, Paris, 2020.
Nina Childress, janvier 2020 © Fondation d’entreprise Ricard, photo : Philippe Chancel.
BE(07) (fourrure), Nina Childress, 2016, 100 × 81 cm, huile sur toile. Courtesy de l’artiste et Galerie Bernard Jordan (Paris / Zurich). Photo : Aurélien Mole / ©ADAGP, Paris, 2020.
France (grosse tête), Nina Childress, 2019, 248 × 190 cm, huile sur toile. Courtesy de l’artiste et Galerie Bernard Jordan (Paris / Zurich). Photo : Nina Childress / ©ADAGP, Paris, 2020.
La leçon, Nina Childress, 2015, 130 × 162 cm, huile sur toile. Courtesy de l’artiste et Galerie Bernard Jordan (Paris / Zurich). Photo : Nina Childress / ©ADAGP, Paris, 2020.
Bad Lesson, Nina Childress, 2015, 130 × 162 cm, huile sur toile. Collection Martine de la Codre (Lisbonne). Photo : Nina Childress / ©ADAGP, Paris, 2020.
Rideau bleu, Nina Childress, 2017, 100 × 81 cm, huile sur toile. Courtesy de l’artiste et Galerie Bernard Jordan (Paris / Zurich). Photo : Aurélien Mole / ©ADAGP, Paris, 2020.
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Fake Bacon and twins, Nina Childress, 2017, 130 × 97 cm, huile sur toile. Courtesy de l’artiste et Galerie Bernard Jordan (Paris / Zurich). Photo : Aurélien Mole / ©ADAGP, Paris, 2020.
C.Twins (pansements), Nina Childress, 2018, 61 × 50 cm, acrylique, huile et pansements sur toile. Courtesy de l’artiste et Galerie Bernard Jordan (Paris / Zurich). Photo : Philippe Chancel / ©ADAGP, Paris, 2020.
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HOLY, ETC.
Fabienne Radi
HOLY, ETC. FABIENNE RADI
Fabienne Radi art&fiction
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NOTRE BESOIN DE CULOTTE EST IMPOSSIBLE À RASSASIER Tôt ou tard dans la vie se fait sentir le manque d’une culotte qui puisse être là juste pour nous consoler. Le potentiel réconfortant de la culotte n’est pas à sous-estimer. Surtout si l’on a été une petite fille dans les années 70, et qu’on a du coup probablement eu une mère qui fut à la queue leu leu : — une jeune fille rangée dans les années 50, — une trentenaire concernée dans les années 60, — une quadragénaire émancipée dans les années 70, — une quinquagénaire déterminée dans les années 80, — une sexagénaire décomplexée dans les années 90, — une septuagénaire régénérée dans les années 00 — une octogénaire à peine froissée dans les années 10. Les mères à la queue leu leu ont dispensé à leurs filles une éducation pleine de paradoxes que ces dernières ont eu de la peine à empoigner sans une solide paire de gants et un bon échauffement, grand écart idéologique oblige. On ne glisse pas comme ça du refus vindicatif du soutien-gorge au port ludique du porte-jarretelles. Il faut arriver à négocier le virage en pratiquant le double débrayage de la pensée, ce qui n’est pas une mince affaire. D’autant plus si la monitrice d’auto-école somnole sur le siège passager et vous laisse vous débrouiller toute seule avec les pédales, parce qu’elle a bu un coup de trop à midi (elle aussi elle a le droit d’être une quadra émancipée, même si elle s’est trompée de décennie). C’est dans ces moments-là qu’il faut songer aux qualités salvatrices intrinsèques de la culotte. Une simple culotte qui sèche au coin du feu est une vision propre à raffermir le moral de tout un département d’assistantes de gestion bancaire déprimées à l’annonce d’une nouvelle compression des effectifs. Elle leur rappelle qu’il existe des valeurs qui ne dépendent pas de l’indice d’inflation de la zone euro et que la fréquence de leurs brushings n’a qu’une incidence mineure sur leur taux de salaire brut. À quoi bon se ruiner en coiffeur ? On traque la culotte comme le chasseur traque le gibier. Souvent on n’atteint que du vide, mais quelquefois, de temps en temps, une culotte tombe à nos pieds. Plus rarement il y a aussi des culottes qui viennent à nous sans y être conviées. Sachant que le répit ne dure que le temps d’un souffle de vent, on se dépêche alors de les prendre dans les bras. Qu’importe l’élasthanne fatigué et le liseré avachi, il nous faut des montagnes de culottes venues du fond des âges pour contenir notre mélancolie et nous arracher au désespoir. Nous avons soif de culottes qui illuminent la vie.
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HOLY, ETC. FABIENNE RADI
DES FESSES ET DES LETTRES (À PROPOS DE SIMONE DE BEAUVOIR PEINTE PAR NINA CHILDRESS) Ceci n’est pas un turban pour cacher un brushing qui aurait mal tourné Ceci n’est pas une salle de bain design toutes en courbes et en rondeurs avec sol en béton brut magnifié par la chaleur du bois Ceci n’est pas une compétition de cols roulés avec Marguerite Duras Ceci n’est pas un catalogue de perruques Ceci n’est pas un nu sexy publié dans les pages centrales d’un magazine de charme avant d’être arraché brutalement de son support pour soulager une poussée hormonale à l’heure du déjeuner dans un garage de Noisy-le-Grand Ceci n’est pas une bibliothèque Billy avec étagères réglables permettant de tout organiser à sa guise Ceci n’est pas un verre d’eau avec une tombée de sirop à l’abricot pour faire croire que c’est du whisky Ceci n’est pas un test ophtalmologique sympa pour dépister d’éventuels problèmes de daltonisme Ceci n’est pas le jeu des 7 erreurs avec les réponses en page 84 Ceci n’est pas une femme habillée descendant l’escalier dans le noir à tâtons en se demandant pourquoi il n’y a pas de lumière au salon Ceci n’est pas un niqab jetable de chez Monoprix sur la tête de la femme en question Ceci n’est pas le portrait d’une salope par une bad girl Ceci n’est pas le portrait d’une bad girl par une salope Ceci n’est pas une mise en abyme d’une mise en plis abîmée Ceci n’est pas la promotion déguisée du retour des lavallières par le syndicat des couturiers Ceci n’est pas une femme de lettres montrant ses fesses ni une femme de fesses montrant ses lettres Ceci n’est pas un éloge panégyrique pour le deuxième sexe, le troisième homme, la quatrième dimension, la cinquième colonne, le sixième sens ou la septième compagnie. Oui, bon, d’accord, mais alors qu’est-ce que c’est ? Holy, etc., Fabienne Radi, avril 2018, éditions artfiction
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YM Peux-tu préciser ce que tu entends par peinture conceptuelle et idiote ? NC En fait, je ne savais pas vraiment ce que signifiait l’art conceptuel. Je n’avais pas compris que c’était l’illustration ou la mise en évidence d’une idée. Je l’ai plutôt ressenti comme la possibilité de faire quelque chose d’idiot, de banal : peindre la date du jour, ce n’est pas très compliqué ! Mais en même temps ces artistes conceptuels n’étaient pas des peintres. Il régnait à Paris au début des années 1990 un fort rejet de la peinture. En discutant avec Sylvana, et voulant justifier le fait que je continuais à peindre je lançais sous forme de boutade que je faisais à présent de la « peinture conceptuelle ». Comme elle semblait approuver cette idée, j’ai persisté. C’est quand même paradoxal que ce soit l’art conceptuel, plutôt sérieux et austère d’aspect, qui m’a mise sur le chemin de l’art stupide décrit alors par Joshua Decter puis par Eric Troncy. YM Comment t'y es-tu prise ? En peignant des séries ? À ce propos, comment choisissais-tu tes sujets et jusqu'où les épuisais-tu ? NC Au départ, j’ai commencé par rejeter toute représentation humaine et toute idée de narration. J’ai utilisé des répétitions et des tautologies. Je faisais des compositions avec des objets banals et leurs initiales : L (le lit), T (la table). Je remarquais que quand l’objet peint était très agrandi, cela amplifiait un effet absurde. Et puis un jour, j’ai eu l’idée de faire un T géant avec quatre chassis sur lesquels je peindrais des Tupperwares : il n’y avait plus besoin d’associer visuellement la lettre avec l’objet, c’était les objets qui formaient la lettre. Le Tupperware me plaisait beaucoup. Il symbolise la société de consommation américaine des années 1960, il offre un statut à la femme au foyer qui les vend au cours de ces fameuses réunions Tupperware, c’est de l’esthétique relationnelle avant l’heure ! C’est l’objet parfait. En même temps si on le représente fermé on ne sait pas ce qu’il contient (des restes ?), et puis c’est une sorte de socle, d’idée de sculpture, de cercueil… Je passais des mois à en peindre. Leurs proportions variaient avec celles du chassis, je n’avais qu’à choisir la couleur du fond et du couvercle. J’ai, comme tu dis, épuisé la série en faisant la Sculpture Tupperware : un cube formé de cinq peintures de Tupperwares carrées, posé au sol. Après cela, j’ai fait des peintures pour chiens et pigeons, c’est-à-dire des Non-os pour les chiens et des
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Mou-rond pour les pigeons. J’avais bricolé un système pour accrocher les peintures pour chiens tout en bas du mur et celles pour pigeons en hauteur. La toile était penchée alors on pouvait la voir. Au milieu j’avais peint des bancs, grandeur nature. Ce que je cherchais là, c’était à la fois un procédé pour faire ces peintures sur un mode sériel, rapidement, pour en avoir beaucoup tout en leur donnant une légitimité in situ absurde. Mais je me suis un peu dispersée dans cette série en peignant aussi des représentations plus réalistes d’animaux. Après cela pour éviter l’éparpillement, je me suis imposée une contrainte plus forte : les modèles seraient tous des bonbons que je déciderai d’agrandir systématiquement cinquante fois. Le Malabar atteint ainsi près de deux mètres de hauteur. Ces bonbons étaient de forme quasi géométrique ou alors ils représentaient quelque chose et puis parfois c’était plus indistinct. Une fois la série enclenchée, ma part créative se limitait à trouver la bonne couleur pour le fond. Un jour, alors que j’allais m’attaquer au Pez, j’ai résolu la question du fond en sciant les bords du chassis, mon support était devenu la forme ! Mais le mot forme me trottait dans la tête. On commentait alors mon travail par un « c’est formel » teinté de léger mépris. Je luttais par la surenchère : en supprimant le fond derrière le modèle, je voulais matérialiser le fait que j’essayais de supprimer le fond ou l’idée dans la peinture, je revendiquais alors une peinture idiote et super formelle. Pour bien marquer cela, la série suivante, les Savons, portent tous en titre « en forme de… ». Je copiais en trompe-l’oeil des savons du commerce sur du bois de récupération découpé pour imiter leur forme agrandie. Mon intervention de peintre était minimisée, noyée sous une couche de paraffine. J’avais été absorbée par la présence formelle de mon modèle, je ne pensais pas pouvoir aller plus loin dans la représentation d’un objet. Après, cela a été dur de continuer. Les séries suivantes étaient plus ou moins restrictives et contraignantes. Pour les Jouets, j’ai voulu renouer avec la composition et remettre des personnages dans mes tableaux mais ce sont quand même des objets, des jouets. Les Hair pieces, des cheveux sans visages sur des fonds flous à bords blancs, est une vraie série car tous les tableaux sont faits avec le même procédé. C’est tout de même une facilité pour le peintre que de ne pas s’interroger sans cesse avant chaque mise en oeuvre de son travail ! Et puis récemment, je me suis détachée de la nécessité de fonctionner ainsi. En tout cas je m’autorise à prendre des styles divergents quand j’en ai envie. Plus ça va, plus je m’en fiche, je
cherche avant tout à me surprendre, et travailler de façon systématique ou sérielle ne le permet pas vraiment.
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YM Dans l'excellent texte de Patrick Javault à propos de l'hyper-réalisme américain (Musée de Strasbourg 2005), il mentionne le fait que techniquement, l'apparition de l'aérographe a permis aux hyperréalistes de faire des flous en peinture (ce qui auparavant relevait plutôt de la photographie). Qu'en penses-tu ? Es-tu toi aussi attentive à la technique, à ses progrès ou à ses lacunes, à ses accidents, à ses erreurs ? NC J’ai lu attentivement le catalogue dont tu parles et j’y ai même appris des trucs techniques qui me servent aujourd’hui. L’aérographe a surtout permis l’hyperréalisme photographique. En peinture, si l’envie de reproduire la nature dans ses plus infimes détails existe depuis des siècles, c’est pareil pour le flou, il n’a pas fallu attendre l’aérographe pour faire du flou. Les hyperréalistes ont fait la différence en affirmant qu’ils copiaient des photos et non la nature et tous n’utilisaient pas l’aérographe qui est devenu le style des peintres sur motos et camions. Certains des Ripoulin l’employaient, j’en avais même récupéré un, mais je ne suis pas assez patiente pour utiliser l’aérographe, qu’il faut vider et remplir. Si je veux un effet estompé, je le fais à la main ou grossièrement avec une bombe aérosol. Les techniques de la peinture ont peu évolué depuis les années 1970, les couleurs acryliques se sont répandues, on trouve partout du fluo, de la peinture phosphorescente, pailletée, et même thermosensible. La nouveauté est de peindre dans des résines, ce qui donne un fini ultralisse, comme chez Bernard Frize ou Julie Mehretu. Voilà, mais pour ce qui est de la technique ce sont parfois des accidents ou des essais de nouveaux matériaux qui me permettent de traiter de nouveaux sujets. C’est en fabriquant du rouge fluo à l’huile que j’ai pu réduire ma palette à trois pseudo-primaires, et la toile que j’utilise actuellement je l’ai employé pour la première fois par hasard… Mais la technique n’est pas tout, ce serait trop facile. J’aime aussi faire des choses interdites : collages, peinture au scotch, peinture aux doigts… Je me dis alors zut, je fais ce que je veux ! Heureusement, la peinture reste un medium légèrement rétrograde, voire régressif. En fait j’aime « l’entre-deux technique », le brossé mais pas trop, le léché avec une coulure dans un coin, si c’est trop parfait je m’ennuie et si c’est trop débridé cela ne ma convient pas non plus. C’est tout ce qui donne son charme à la peinture de Courbet par exemple, c’est beau, intelligent, bien peint mais il y a des embus ou des méchants effets au couteau.
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YM
images. Je suis une inconditionnelle de la galerie de portraits du Metropolitan Opera de New-York, c’est de la peinture de série B mais faite avec amour. C’est comme les fiches tricots, c’est de la mode de série B, les vêtements sont fait-main, les mannequins pas des top models mais tout le monde fait de son mieux pour que cela soit classe !
Modifies-tu tes images sources avant de les peindre ?
NC La plupart du temps oui, un peu, au moins au niveau du cadrage. Parfois je supprime des détails ou je rajoute un peu de fond…À chaque fois, je sais très clairement ce qui doit être modifié. Et puis, si je fais une composition avec plusieurs images, tout change, on peut jouer avec le sens. Ce qui est étrange, c’est la relation que j’entretiens avec ces images. Lorsque je trouve une image source, c’est comme le choix d’une couleur en peinture abstraite ou l’apparition d’une idée, cela devient évident et personnel, intime, même si cela va donner lieu à de la copie. YM Dans tes dernières oeuvres, on trouve souvent des images sources qui proviennent de revues de décoration des années 50-60 et des images liées à l’opéra. Cela révèle-t-il d’une dimension autobiographique ? Est-ce lié à tes propres souvenirs ? Ou à certains engouements d’ordre culturel ?
YM Y a-t-il des « sens interdits », je veux dire des juxtapositions d’images aussi impossibles que l’utilisation de certaines techniques picturales ? NC Dès que je commence à me dire que telle ou telle chose m’est interdite, j’ai immédiatement envie d’essayer… Alors j’ai bien du mal à répondre à ta question. Mais je sais que la politique, la sociologie, le féminisme, l’érotisme sont des sujets qui à priori ne m’intéressent pas… et que je ne suis pas prête d’utiliser des écrans LCD !
NC Ce sont plutôt des revues ou des livres 60-70-80 mais les décors peuvent être de style ancien ou des années 50, 60 peu importe… Je cherche dans ces images à la fois une qualité de couleur liée au vieillissement de l’encre d’impression et le souci de la composition exprimé dans la façon très objective de photographier les intérieurs afin de montrer le mobilier et le style. Ces images sont presque hantées par des individus dont les corps sont absents. Quant au rôle des tableaux, il est particulièrement touchant : ils meublent, ils « font style », pendent parfois lamentablement à des cimaises métalliques. Je ne m’intéresse pas particulièrement au design, aux meubles ou à la décoration. Par contre, le statut du tableau, son rôle, sa place est une grande question pour moi que ce soit dans ces intérieurs, dans les musées, dans les séries télé ou à l’opéra (il est cocasse de voir le ténor dans Tosca faire semblant de peindre sa Marie Madeleine car on est bien forcé de mettre sur scène ce tableau dont il est tant question dans le livret…). Si j’aime les images d’opéra, c’est parce qu’elles véhiculent des archétypes parfois mineurs, réinterprétés : on reconnaît Lady Macbeth à son air méchant et à sa couronne, ce n’est plus du Shakespeare, Aïda est une grosse ukrainienne peinte en marron, et tant pis si son amoureux lui arrive à la poitrine ! En même temps, l’opéra est un art absolu, magique car un bon chanteur lyrique peut faire oublier la réalité physique, même s’il est dans un décor de toile peinte, ce qui hélas ne de fait plus beaucoup. Bien sûr, c’est à force d’écouter de l’opéra que je tombe sur ces
YM Concernant ces » tableaux-monstres » – je pense en particulier à celui avec Miriana Milosevic – on pense à la fois au cinéma italien de série B, à certains films d’horreur, et aussi à certaines transparences de Picabia. Tu m’as dit un jour que cela était assez éprouvant pour toi de peindre ce type de tableau. Peux-tu expliquer cela ?
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NC Pour faire ce que tu appelles mes « tableaux monstres », je pars d’une image ou d’une idée d’image et je laisse venir, du coup des sentiments refoulés ou inconscients font surface et ce n’est pas toujours facile à assumer. Je suis moins soutenue par mon modèle, et en même temps ce n’est pas de la peinture d’imagination car quand on travaille d’imagination, une forme de stylisation vient automatiquement. Je veux rester dans une représentation assez neutre mais très « peinte » et ne rien m’interdire quant au sens. La façon de mélanger les images peut effectivement faire penser aux transparences de Picabia et comme je me laisse pas mal de liberté cela peut tourner à l’horreur ! Publié dans Nina Childress, Tableaux, co-édition Galerie Bernard Jordan et Sémiose Editions, 2008
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