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1906 Le Havre Trouville
from Marquet au Havre
by Octopus
1906 Le Havre - Trouville
La première exposition du Cercle de l’art moderne ouvre ses portes le 26 mai 1906 dans l’orangerie de l’hôtel de ville du Havre. Réunissant des membres nés ou résidant au Havre « attirés par sympathie commune pour les tendances artistiques modernes », le Cercle se fixe pour objectif de « faciliter les manifestations d’un art personnel1 ». Albert Marquet y envoie deux toiles. Son amitié avec Raoul Dufy, membre du comité Beaux-Arts de la nouvelle association, comme avec le critique d’art G. Jean-Aubry2, qui en est le secrétaire, n’y est sans doute pas étrangère. Les deux toiles trouvent rapidement preneur, malgré le refus par l’artiste de l’offre d’Aubry de les lui céder pour 700 francs.3 Hébergé chez Jean-Aubry, Marquet se rend début juin au Havre visiter l’exposition4. Les circonstances sont malheureusement troublées par la mort de son père, Joseph Marquet, décédé le 13 mai dans une maison de santé d’Arcueil-Cachan. Sa mère en est fortement ébranlée et « est retombée malade comme cet hiver5 ». Dans ces conditions, Albert Marquet rentre à Paris, mais annonce à Manguin le 3 juillet retourner quelques jours plus tard au Havre, où il retrouvera Dufy.
La ville est alors en fête. Les rues sont pavoisées et les monuments illuminés à l’occasion de la fête nationale, mais également de la Grande Semaine maritime. Organisé par la Ligue maritime française afin de promouvoir la marine française, cet événement donne lieu à de grandioses manifestations nautiques du 9 au 17 juillet, au Havre comme à Trouville6
Au Havre, Marquet et Dufy louent pour un prix modique des chambres d’hôtel pour embrasser de nouveaux points de vue. De leurs fenêtres, ils peignent les rues pavoisées ou les bassins de la ville. Installés sur l’étroite terrasse du café du Nord, au 32 de la rue des Drapiers (fig. 7), les deux artistes travaillent « en cordée » et se saisissent du motif créé par les drapeaux multicolores flottant au vent. L’hôtel du Ruban-Bleu7, 19, place de l’Arsenal, constitue également pour Marquet et Dufy un lieu d’observation privilégié sur la ville et les bassins du Commerce et du Roy (cat. 17). Marquet y peint notamment Fête foraine au Havre (cat. 18) et Le Havre, le bassin (cat. 1). Dans le premier tableau, on reconnaît à gauche l’étendue bleutée du bassin du Commerce quand le bâtiment surmonté de hautes toitures est la chambre de commerce. Le long des quais sont amarrés les yachts de riches armateurs. L’artiste souligne d’une ligne noire les plans de couleurs, toitures et chapiteau du carrousel. Marquet trouve dans les bassins historiques du Havre, bassin du Roy ou anse Notre-Dame, moins un sujet pittoresque que le prétexte à de nouvelles recherches picturales sur les couleurs et la simplification des formes. Dans Le Havre (cat. 11) ou dans Le Havre, voilier à quai (cat. 16), le peintre tourne son regard vers l’anse Notre-Dame, dont les eaux rejoignent celles de l’arrière-port. Dans le premier tableau, le navire, reconnaissable à sa coque noire et blanche et à sa cheminée blanche, est vraisemblablement le Félix Faure, qui assure alors la jonction par la Seine entre Le Havre et Rouen et qui stationne au bout du quai Notre-Dame, devant le bâtiment
Le Port du Havre, quai Videcoq Carte postale, vers 1900 Le Havre, archives municipales de la grande douane. Au premier plan, Marquet n’hésite pas à représenter le petit édicule des vespasiennes installé à la hauteur de la rue Saint-Jacques et du café du VieuxHavre. Au second plan, à gauche, les usines du quai Broström et les immeubles du quai de l’Île reçoivent la chaude lumière du soleil couchant.
Le Havre, bassin du Roy (cat. 17), aujourd’hui déposé au musée des Beaux-Arts de Caen, surprend le spectateur par la dilatation de l’espace et la saturation de la toile par l’élément aqueux aux reflets verdâtres du bassin. Le quai des Casernes, à gauche, est absent de la composition quand le quai Videcoq, à droite, ne semble constituer qu’un simple passage au pied des immeubles dont les silhouettes se reflètent dans les eaux comme dans un miroir déformant. À mi-hauteur de la toile, le pont Notre-Dame sépare l’eau du ciel. Marquet s’inscrit de plain-pied dans le port du Havre en peignant vraisemblablement du pont en face de l’Arsenal.
Marquet et Dufy se promènent dans la ville et composent des scènes de plage très proches. Une carte postale, intitulée « Le Havre. Sur la plage. L’Impressionniste » (fig. 2), représente Marquet en train de peindre au pied de l’estacade. Dufy lui en enverra plusieurs exemplaires pour sa correspondance. Des années plus tard, Marcelle Marquet rapportera : « Ils allaient aussi peindre à Sainte-Adresse et, pour gagner du temps, à bicyclette. Pas riches, ils tenaient à leurs engins, et, pour être sûrs qu’au moment où ils seraient absorbés par leur travail on ne les leur prendrait pas, ils louèrent une cabane sur la plage où, soigneusement, le temps de leurs séances, ils les enfermaient. Sur le conseil d’un ami prudent, ils décidèrent de les assurer. L’agent vint sur place se rendre compte de l’état de leurs machines. Il découvrit avec effarement que les deux peintres laissaient aussi là leurs toiles en train, chaque soir, jusqu’au lendemain matin.8 » À la fin juillet 1906, Marquet quitte Le Havre pour rejoindre Fécamp.
1 Statuts de l’association Cercle de l’art moderne, 29 janvier 1906, article I.
2 De son vrai nom Jean-Frédéric-Émile Aubry (1882-1950), il prend en 1904 comme nom de plume G. Jean-Aubry pour lui permettre de mettre un trait d’union entre « Jean » et « Aubry » afin d’éviter la confusion avec l’historien Octave Aubry : cf. lettre de Paule Jean-Aubry à Jean-Philippe Segonds, 15 janvier 1970, citée dans Paule Moron, Le Journal de Larbaud. Études réunies et présentées par Gil Charbonnier, Clermont-Ferrand, Presses universitaires Blaise Pascal, 2008, p. 33, note 1.
3 Lettre d’Albert Marquet à G. Jean-Aubry, 27 mai 1906, Getty Research Institute, 860056 : « Je viens de recevoir l’offre que vous me faites de mes deux tableaux et que je regrette beaucoup de ne pouvoir accepter. Je ne peux laisser ces deux toiles à moins de neuf cents frs. Je vous remercie bien quand même et j’espère bien [mot raturé] avoir le plaisir de vous voir quand j’irai au Havre probablement dans quelques jours, il me tarde de voir votre exposition qui doit être fort curieuse. »
4 Lettre de Charles Camoin à Albert Marquet, chez M. Jean-Aubry, 14 juin 1906 : « Ainsi, j’ai été heureux d’apprendre tout à l’heure par le secrétaire du cercle de l’art moderne que tu es allé honorer de ta présence leur exposition. Le changement de milieu et la vue de motifs nouveaux ont dû sans doute te faire remettre au travail. »
5 Lettre d’Albert Marquet à Henri Matisse, juin 1906, archives Matisse, citée dans Albert Marquet, peintures et dessins, collection du musée des Beaux-Arts de Bordeaux, cat. exp., Bordeaux, musée des Beaux-Arts, 31 mai-15 septembre 2002, p. 43.
6 Les épreuves de la Coupe de France et les courses du Cercle de la voile de Paris, notamment, se déroulent à Trouville et à Honfleur : cf. L’Éclair, 29 juin 1906, p. 1.
7 Cet hôtel se revendique comme une « maison chrétienne » proposant un « restaurant de tempérance » et dénonçant les effets de l’ivrognerie : cf. L’Universel : l’Évangile c’est la liberté ! 1er août 1899, p. 4. Sans doute le caractère « bon marché exceptionnel » des chambres a-t-il dû constituer un argument convaincant pour le jeune peintre, en recherche de nouveaux points de vue et plutôt connu pour ses sympathies anarchistes.
8 Marcelle Marquet, Marquet. Voyages, International Art Book, Lausanne, 1968, p.6.
Cat. 16
Albert Marquet
Le Havre, voilier à quai, 1906
Huile sur toile, 33 x 41 cm
Zürich, Kunsthaus, Legs Dr Hans Schuler, 1920 Inv. 1404
Cat. 11
Albert Marquet
Le Havre, 1906
Huile sur toile, 65 x 81 cm
Collection Emil Bührle en prêt à long terme à la Kunsthaus, Zürich
Inv. BU 0171
Cat. 18
Albert Marquet
Fête foraine au Havre, 1906
Huile sur toile, 65 x 81 cm
Bordeaux, musée des Beaux-Arts
Inv. Bx 1960.4.6
Cat. 1
Albert Marquet
Le Havre, le bassin, 1906
Huile sur toile, 61 x 50 cm
Le Havre, MuMa
Inv. 2019.1.1
Achat de la Ville du Havre avec l’aide de l’État (Fonds du Patrimoine), la Région Normandie (FRAM), l’Association des Amis du musée d’art moderne André Malraux, et les entreprises
Helvetia, Chalus Chégaray & Cie, CRAM et CRIC
14 juillet au Havre, 1906 Huile sur toile, 65 x 54 cm Collection
Le 14 juillet au Havre, 1906 Huile sur toile, 81 x 65 cm Bagnols-sur-Cèze, musée Albert-André, dépôt du Centre Pompidou, MNAM/CCI, Paris, donation de Adèle et Georges Besson, 1963 Inv. AM 4224 P (20)