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Mehdi-Georges Lahlou

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Philippe Favier

Philippe Favier

Et si rien ne prend racine dans cette oasis…

présenté au Musée des Beaux-Arts de Rouen et au Musée des Antiquités de Rouen

au travers du regard de Florence Calame-Levert Mehdi-Georges Lahlou It’s more sexy ou Vierge à l’enfant 2010-2014 -

C-Print 40 x 30 cm Courtesy Galerie Roubouan Moussion et de l’artiste

Mehdi-Georges Lahlou, plasticien franco-marocain, a été artiste associé au Centre dramatique national de Normandie-Rouen en 2017 et 2018. C’est ainsi que le Musée des Beaux-Arts et le Musée des Antiquités l’ont invité à présenter ses pièces au sein de leurs parcours permanents.

L’univers de Mehdi-Georges Lahlou s’apparente à une oasis. Il est le lieu, tous azimuts, de mille et une coïncidences: celle d’imaginaires aux horizons multiples, de codes et références culturelles mêlés. L’artiste s’applique à détourner sujets, techniques et matériaux bien identifiés au sein de nos héritages culturels. La série It’s more sexy ou Vierge à l’enfant est emblématique de cette démarche qui consiste à détourner les références pour générer de l’ambigu, approfondir la surface des évidences, mettre en branle toute une mécanique de questionnements. Des représentations de Vierges à l’Enfant, sujet majeur s’il en est de l’art européen jusqu’au XIXe siècle, sont ici rendues presqu’invisibles par la superposition d’un motif de moucharabieh, cet écran en bois ouvragé de l’architecture traditionnelle arabe. À la Vierge, qui se voit tant et plus, répondent les ombres situées à l’arrière des moucharabiehs, lesquelles ne sont perceptibles qu’en se dérobant à la vue. À l’omniprésence de la figure, à la culture de l’incarnation, vient se superposer l’interdit de la représentation. Au dogme de l’Immaculée Conception réplique, farceur, le fantasme de la femme orientale. Le voile de la Vierge questionne cet autre voile qui fait tant débat aujourd’hui. Le titre même de l’œuvre, bilingue et en diptyque, invite lui aussi à la relativité et ouvre le champ des possibles. Qu’est-ce qui est « plus sexy »? Cacher ou montrer? Ou bien les deux à la fois? Imaginer l’invisible? Se soumettre à l’interdit? « It’s more sexy ». Avec les mots de l’Anglais, un retour sur une histoire de l’impérialisme – d’autant plus longue sans doute que le mot « sexy » occupe en réalité un angle mort de la traduction – et sur celle d’une offre toujours grandissante et d’un désir qui croît avec elle. Pour autant, un mot aux accents désormais un peu surannés et dont la valeur performative est en voie d’être lessivée, des mots usés jusqu’à la corde de désirs inassouvis, un signifiant désincarné, une coquille creuse. Profusion d’images ou d’interdit; frustration intrinsèque à tout désir, quel qu’il soit.

Mehdi-Georges Lahlou crée des images hybrides faites de signes, de matériaux et de styles issus d’une pluralité de contextes culturels. Ces éléments, clairement identifiés comme porteurs de sens auprès de femmes et d’hommes d’horizons diversifiés, sont néanmoins lourds de significations, connotations et valeurs qui sont tout sauf unanimement partagées. Leur force dans notre monde est à la mesure de leur caractère équivoque: l’artiste nous en fait la démonstration. Combinant des éléments des cultures dont il est issu, l’artiste crée des chimères douées du pouvoir de nous faire lever le voile sur ce que nous sommes, sur ce que nous voyons, sur la place de l’imaginaire dans cette perception, sur notre rapport au monde et aux autres.

La pièce intitulée Les Talons d’Abraham, pour la réalisation de laquelle Mehdi-Georges Lahlou, chaussé d’escarpins à talons aiguilles, a imprimé la marque de ses pas dans une couche de cannelle, joue elle aussi sur l’association dialogique des contraires et la mise en mouvement d’interactions en cascade. À la pierre portant la marque du talon d’Abraham et sur laquelle est construite la Kaaba, lieu le plus sacré de l’Islam à La Mecque et où affluent chaque année des millions de pèlerins, répondent l’éphémère, la pulvérulence d’une trace à la fois sacrilège et triviale. Au pied nu d’Abraham, patriarche commun aux trois monothéismes, fait écho l’artificialité du soulier à talon haut, accessoire de séduction s’il en est. À la séparation des hommes et des femmes dans l’Islam radical tel qu’il régente la société en Arabie saoudite, l’artiste répond en utilisant l’escarpin comme véhicule transgenre.

Dans Tawb, ce qui semble à première vue être un précieux fragment archéologique se révèle être en réalité constitué de semoule de couscous. La graine, matière éphémère et banale, constitue dans le même temps une substance nourricière, substantielle, régénératrice. Pierre angulaire d’une culture, la semoule de blé à la fois fragile et éternelle, nous rappelle le Croissant fertile, la naissance de l’agriculture et la sédentarisation; elle nous dit aussi, de fait, l’essence de la ruine. La pièce de Medhi Georges Lahlou nous renvoie ainsi – avec humour tout autant que gravement – à une histoire universelle commune.

Mehdi-Georges Lahlou I Used to be Nefertiti 2014 -

Plâtre, gesmonite, polystyrène, peinture, ±60 x 24 x 45 cm Courtesy de l’artiste

Mehdi-Georges Lahlou utilise régulièrement sa propre image comme support à son travail. I Used to be Nefertiti est un autoportrait. Les propres traits de l’artiste se substituent à ceux de la reine sur une reproduction qu’il nous donne du célèbre buste du XIVe siècle avant notre ère, conservé au Neues Museum de Berlin. L’artiste, devenu ici la reine Mehdi-Georges, se joue de la perméabilité des genres. Comme souvent chez Mehdi-Georges Lahlou, tant de combinaisons, tant d’équivoques, de mutabilités à l’œuvre. Ici encore, les antinomiques se fécondent. Vertigineuse combinaison que celle de l’association « I used to be », parangon de l’ordinaire et d’un passé tout juste achevé, et d’un personnage au renom millénaire. Comble de la polysémie, le buste de Berlin est aussi celui de l’iconicité: idéal universel de la beauté plastique, il reste l’archétype de la beauté féminine; chef-d’œuvre de l’art de tous les temps, il est le témoin de la profondeur historique du génie de l’humanité; incarnation de l’archéologie et de la fascination qu’elle suscite, il est aussi le symbole de l’institution muséale; porte-étendard d’un patrimoine universel, il fut aussi objet d’une controverse quant à son authenticité et l’emblème incontesté aujourd’hui des demandes de restitutions… Mehdi-Georges Lahlou nous dit cela et sans doute beaucoup plus, tout en relativisant, via le clin d’œil malicieux que son autoportrait nous adresse. Comme dans le buste original, l’œil gauche a disparu en effet. L’absence du quartz figurant la pupille et l’iris de Néfertiti vient éborgner notre modèle: « Au royaume des aveugles… ». Mehdi-Georges Lahlou, roi et reine à la fois, nous conte une fable fantastique dans laquelle un jeune homme facétieux du XXIe siècle aurait aussi été modelé à l’image d’un buste trois fois et Mehdi-Georges Lahlou Les Talons d’Abraham (détail et réalisation des empreintes) 2016-2019 -

Vue de l’exposition présentée au Musée des Beaux-Arts de Rouen Droits réservés

Penelope lying Charlotte Salvanès présentée au Musée des Beaux-Arts de Rouen propos receuillis par Florian Gaité SO L’ÉPREUVE DU TEMPS Les peintures exposées dans cette salle figurent des femmes qui travaillaient l’aiguille artisanalement, comme cela se faisait avant le processus d’industrialisation. Leur exposition rend impossible de les envisager toutes d’un mouvement de la tête. En ce sens, cette assemblée de femmes dépasse la déclinaison d’un motif. L’engagement de l’artiste dans la collecte et l’agencement des images dans l’espace est tellement conséquent que l’exporte à Ulysse qu’à maintenir encore un peu la situation de régence qui lui permet d’être maîtresse en son royaume et maîtresse de son temps – sa pratique qui s’affranchit de toute production assurant son émancipation. BRITISH ! présence à la Fabrique des Savoirs à Elbeuf position aurait déjà été une réussite sans le dépasse toutefois la simple confrontation travail pictural. C’est pourtant par sa peinentre les métiers à tisser qui y sont présentés et le travail que ces mêmes machines ont remplacé. S’il est vrai que l’artiste Charture que Charlotte Salvanès parvient à dépasser le motif répétitif. Elle s’approprie en effet des techniques traditionnellement déLes liens entre la Normandie et le Royaume-Uni sont millénaires. Cette histoire, faite de migrations, lotte Salvanès se nourrit de cette rencontre volues à la répétition pour n’en faire parado-conquêtes, alliances, dominations, est aussi celle et de celle entre des engins déjà anciens xalement que des exemplaires uniques de transferts culturels. Du monde Plantagenêt à la : elle et des peintures fraîchement réalisées, ce a par exemple recours à la technique de la Révolution industrielle, du gothique à l’impressionn’est pas tant pour figer des époques que pour donner corps à une histoire encore en cours. Sans nul doute, le temps qui passe marbrure à la cuve, qui nécessite de disposer de la peinture – la plupart du temps de l’huile, mais ici de l’acrylique – à la surface nisme, les artistes n’ont cessé de voyager, résider et créer dans nos deux territoires. est à l’œuvre dans cette installation. d’une cuve remplie d’eau avant d’y tremper Cette première collaboration entre le Musée La déambulation cyclique et les circonvolutions nécessaires à qui veut parcourir les allées de la pièce permettent d’expérimenter de multiples visages du temps. Une temporalité reste toutefois encore en retrait : celle éprouvée par l’artiste avant d’entreprendre la réalisation des 24 toiles exposées. Le processus créateur a en effet commencé bien avant sa peinture, notamment lorsque l’artiste a passé en revue d’innombrables images de l’histoire de l’art pour collecter et choisir celles qui lui serviront de modèles. Une à une elle a observé ces représentations de femmes à l’aiguille. Ces femmes qui, alors qu’elles étaient modèles, avaient déjà le regard baissé sur leur ouvrage pendant qu’un homme au pinceau l’une après l’autre ses toiles. Des toiles alors recouvertes par des motifs dont le dessin varie au gré des mouvements de la peinture en flottaison, évoquant ainsi le rythme des veines dans l’épaisseur du marbre. Cette technique sérielle est en ce sens une espèce d’ancêtre de la reproduction mécanisée. Charlotte Salvanès décide de défaire cet usage puisqu’elle choisit d’avoir recours à ce procédé pré-industriel pour n’en tirer qu’un unique exemplaire. Tout se passe alors comme si le patron de couture ne servait qu’une fois, comme si les machines autour des toiles ne tissaient qu’un seul et unique pan de tissu. Le détournement de cette technique exemplifie en ce sens la singularité et l’aura de chacune de ces femmes. des Beaux-Arts de Rouen, dont les collections du XIXe siècle sont marquées par un fort tropisme britannique, et la Collection Pinault, qui fait la part belle aux Young British Artists, se fonde sur une même conviction: en matière de culture, aucun Brexit ne sera jamais de mise. So British! installe 10 confrontations entre art ancien et contemporain, dix interpellations spectaculaires qui s’inscrivent autant qu’elles réactivent les genres traditionnels de l’art, du paysage, du portrait, de la nature morte, de la vanité, des scènes héroïques ou religieuses. les scrutait. Ces femmes qui, cousant ou Sylvain Amic Ce n’est pas par simple clin d’œil au brodant, suivaient servilement un patron travail à l’aiguille que l’artiste a intitulé son Directeur de la Réunion des Musées de couture pendant que le peintre devant elles s’adonnait à un art libéral. Collecinstallation d’une référence à Pénélope : s’il fallait incarner ces femmes peintes à Métropolitains Rouen Normandie ter ces peintures c’est d’une part rappeler cette histoire passée, mais c’est aussi unir l’aide d’une allégorie, elle en serait la figure – d’autant plus qu’à l’inachèvement maîtriPremière publication dans la revue Pinault Collection n° 13, octobre 2019. ces femmes et les transfigurer en les faisant sé de l’ouvrage de Pénélope répond le non passer du statut de modèles pour peintre à celui de modèles civilisationnels. Cette finito des toiles de Charlotte Salvanès. Le mensonge de Pénélope ne sert peut-être Notices de Joanne Snrech. union ne les nivelle pas pour autant : leur en effet pas tant à honorer l’amour qu’elle

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