AURBA LE FESTIN

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Mériadeck, la ville en défi Mériadeck le mal-aimé... Presque 50 ans après le démarrage des premiers travaux qui transformèrent l’ancien quartier pittoresque en un pôle administratif, cette « ville dans la ville » se heurte encore à l’incompréhension d’un grand nombre de Bordelais. Conçu en confrontation avec le centre historique, Mériadeck, avec son urbanisme de dalle et ses hautes tours, symbolisait pourtant l’élan d’une ère nouvelle. Aujourd’hui, un cycle se termine, tandis qu’un autre démarre avec l’arrivée du tramway et ses aménagements urbains.


A

À la fin du XVIIIe siècle, l’archevêque de Bordeaux, Ferdinand Maximilien Mériadec de Rohan, fait construire le palais qui porte son nom, l’actuelle mairie de Bordeaux. Afin d’en financer les travaux, il cède sous forme de lotissements (mode d’urbanisation courant à l’époque) une partie de ses terres. Comme grand nombre de secteurs à Bordeaux, celui-ci est marécageux en raison de la présence d’un ruisseau, le Peugue. Dès le début du XVIIIe, les édiles locaux ont fait appel aux Hollandais, réputés experts dans l’assèchement des terres. Durant plus de cinquante ans, ceux-ci interviennent sur de nombreux emplacements, dont Mériadeck, qui peut alors être urbanisé. Le nouveau quartier sera loti d’immeubles à deux niveaux, d’échoppes, de hangars et de locaux d’activités.

Ce qui est finalement passionnant pour moi, “c’est que je suis l’homme de l’évolution, donc des difficultés... La plus grande de toutes étant sans doute d’être en avance sur son temps. Jacques Chaban-Delmas (Sud Ouest, mercredi 6 février 1974)

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Table rase de l’ancien

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Le devenir de Mériadeck se pose dès la fin de la Seconde Guerre mondiale. Bordeaux, comme beaucoup d’agglomérations françaises, compte un très grand nombre d’habitations vétustes. Au début des années 1950, Jacques Chaban-Delmas, maire depuis trois ans, annonce à ses administrés : « Vous n’allez pas reconnaître votre ville, nous allons démolir un bâtiment sur trois ! » Telle est en effet, à l’époque, la proportion de logements insalubres. À Mériadeck, les taudis sont encore plus nombreux que dans les autres quartiers. La ville compte alors 285 000 habitants (sans Caudéran, commune qui ne sera rattachée à Bordeaux qu’en 1965, sans le Grand Mériadeck dans les années 1950. Enclave populaire du centre de Bordeaux, l’insalubrité de ses logements motive alors la construction d’un tout nouveau quartier d’habitations.

Page suivante : Immeuble de logements en construction rue Robert-Lateulade, vers 1975.



Rues de Mériadeck dans les années 1950.

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Parc et quelques autres grands ensembles d’habitation). Les logements sont surpeuplés : si la densité actuelle était comparable à celle de l’époque, la population bordelaise atteindrait environ 400 000 habitants (pour 235 000 aujourd’hui). Au même moment, l’architecte conseil de la ville, Jean Royer, est nommé architecte en chef de l’opération Mériadeck. Sa mission : rénover entièrement ce quartier de plus de 30 hectares dont le périmètre inclut une partie de Saint-Bruno. Le recensement de 1954 confirme que les conditions de vie y sont particulièrement insalubres, sans compter que le secteur a mauvaise réputation. Prostituées et chiffonniers s’y côtoient et l’on dénombre pas moins d’un bar pour 66 habitants ! Pour les édiles, c’est un endroit de perdition. Tous ces arguments sont développés dans un rapport publié en 1955, qui préconise la démolition-reconstruction des immeubles situés dans l’ensemble du périmètre où vivent alors 2 500 familles. Il est prévu de les installer au Grand Parc, où la construction de logements doit débuter dans les toutes prochaines années (1958).

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Du logement au centre d’affaires Jean Royer présente un premier projet en 1962. C’est un programme d’habitations très dense pour lequel il dessine des barres de douze étages destinées à répondre aux besoins massifs en logements. Outre la

lutte contre l’insalubrité et la surpopulation, il faut également faire face à un exode rural encore très intense, loger les populations immigrées qui viennent renforcer la main-d’œuvre locale, et accueillir les 24 000 « rapatriés d’Algérie » qui arrivent à Bordeaux en 1962. Mériadeck doit répondre à ces priorités, tout en incarnant la modernité chère à la vision que Jacques Chaban-Delmas souhaite pour sa ville. Les appartements sont équipés de tout le confort moderne (chauffage central, wc intérieurs, salle de bain). À l’extérieur, les espaces publics ne sont pas en reste : un vaste parc doit servir d’axe principal dans le prolongement des jardins de la mairie (mais sans être surélevé comme les actuelles terrasses, la dalle piétonne ne venant qu’après). La préfecture, alors située rue Esprit-des-Lois, à deux pas du Grand Théâtre, doit s’installer à Mériadeck. En 1963, Bordeaux est choisi par la Datar comme l’une des huit métropoles d’équilibre. Dès lors, pour Jacques Chaban-Delmas, la ville change de statut : il lui faut un centre d’affaires, un centre tertiaire et un centre directionnel. Du programme ambitieux élaboré par Royer, seul l’immeuble Château-d’Eau – toujours visible –, conçu par le groupement d’architectes Conte, Daurel, Prévot et Brochet, est sorti de terre l’année précédente. Pour Mériadeck, situé à proximité immédiate du Palais Rohan, se dessine désormais un nouveau destin.


Meriadeck est un “ jalon dans la marche de Bordeaux vers la grande ville.

Jacques Chaban-Delmas

L’immeuble du Château d'Eau est la seule opération de logements réalisée, issue du premier projet de Jean Royer. Présentation du projet par Jacques Chaban-Delmas, entouré à sa droite de Jean Royer, architecte en chef de la Ville, et, à sa gauche, du secrétaire général de la Ville, Robert Manciet. En bas : Maquette du nouveau quartier de Mériadeck en 1962. Conçu pour répondre aux difficultés en matière de logement, le programme propose un ensemble de barres et de tours équipées de tout le confort moderne


La ville suspendue Dès lors, Jean Royer travaille sur un nouveau programme, qu’il présente en 1970, après avoir été rejoint par deux architectes coordinateurs : Jean Willerval et Paul Lagarde. Ce programme prend en compte la mixité souhaitée entre bureaux et logements. Entre 1966 et 1968, l’immeuble de La Poste a été réalisé sans obéir à aucun plan d’ensemble. C’est Jean Willerval qui propose le principe d’un plan en forme de croix pour l’ensemble des immeubles de l’opération.

Emblématique de la fin des années 1960, l’urbanisme de dalle sépare les fonctions : le niveau de la rue est laissé à la seule circulation automobile, tandis que le niveau supérieur est réservé aux piétons et aux activités, commerces, services...

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À droite : 1970, le début des travaux du nouveau Mériadeck, au cœur de la ville.

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L’URBANISME DE DALLE : DES VILLES FONCTIONNELLES L’urbanisme de dalle peut être considéré comme un héritage de la Charte d’Athènes, ville où, en 1933, architectes et urbanistes débattent d’une extension rationnelle des quartiers modernes. La Charte d'Athènes est une tentative pour synthétiser les concepts qui doivent, selon Le Corbusier et ses amis, présider à l'élaboration de la « ville fonctionnelle », dans laquelle l’urbanisme de dalle trouve sa justification. À Bordeaux, outre Mériadeck, deux autres opérations de même type seront réalisées : la ZUP de Thouars, créée dès 1961 à Talence, et la clairière des Aubiers en 1972 au Lac.


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Maquette du second projet de Mériadeck (1970). L’urbaniste Jean Willerval propose un ensemble d’immeubles de logements et de bureaux, sur la base systématique d’un plan en forme de croix. Ci-contre : Les premiers escaliers de Mériadeck réalisés en 1976 pour accéder aux immeubles d'habitations du Ponant.

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Certains prétendent alors que la proximité du cimetière de la Chartreuse aurait inspiré l’architecte. Mais ce qui retient l’attention est le choix d’un urbanisme de « dalle ». Son principe réside dans la séparation totale des fonctions : les voitures au niveau de la rue, les piétons au niveau supérieur. Au départ, la dalle doit couvrir les rues en totalité mais ce parti pris architectural n’est pas véritablement assumé. En définitive, elle se résume à une succession d’îlots reliés par des passerelles peu lisibles qui rendent les déplacements piétonniers complexes et renforcent l’enclavement du quartier. De plus, la logique du tout automobile qui caractérise ces années est poussée à son paroxysme. On n’imagine pas se rendre à Mériadeck autrement que derrière son volant... La dalle n’est accessible aux piétons que par des accès à l’intérieur des parkings, car, dans les premiers temps, il n’existe aucun escalier extérieur. Les escaliers « aztèques », appelés ainsi en raison de leur forme pyramidale, sont ajoutés seulement à la fin des années 1970, lors de la réalisation de la plus importante opération de logements, Le Ponant.

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Une modernité qui suscite l’incompréhension Mais, là où Jacques Chaban-Delmas et les trois architectes-urbanistes qu’il a missionnés voient l’expression de la modernité, les Bordelais manifestent une

incompréhension sans appel. Aujourd’hui encore, nombre d’entre eux considèrent Mériadeck comme une intrusion dans la ville, et non comme un véritable quartier. Plusieurs raisons expliquent ce rejet. D’une part, l’ampleur de l’opération et son esthétique résolument moderniste se positionnent en rupture complète avec l’architecture bordelaise du XVIIIe siècle. Corollaire de ce choix, toutes les traces du passé ont été effacées sur le site de Mériadeck, y compris le réseau viaire, gommant ainsi autant le repérage dans l’espace que les liens avec la ville centre. Très peu de « vieux » Bordelais sont d’ailleurs capables de situer l’emplacement de ce qui fut la très symbolique place Mériadeck. D’autre part, la séparation des fonctions de l’urbanisme de dalle suscite à son tour l’incompréhension. En référence aux voiries de Mériadeck, Claude-Henri Aubert, directeur de l’agence d’urbanisme au milieu des années 1970, voit en elles « des égouts à voitures » !


À Bordeaux, l'eau n'est jamais loin...

Chaban en quête d'investisseurs

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En 1969, l’opération des « Jardins de Gambetta » est conduite par les architectes Yves Salier, Adrien Courtois, Pierre Lajus et Patrick Fouquet. Surplombant la rue Bonnac, elle constitue le premier programme mixte de la rénovation de Mériadeck en associant logements et bureaux.

Salier, Courtois et Lajus ont créé, avec Michel Sadirac au début des années 1960, l’une des agences d’architecture les plus réputées et les plus innovantes de Bordeaux. Familiers de la construction de maisons individuelles, ils parviennent cependant à composer avec la trame des plans en croix tracée par Jean Willerval. Outre son systématisme, ce principe de plan présente un double handicap : d’une part, il multiplie les façades, ce qui accentue les problèmes d’isolation ; d’autre part, le cœur des

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En 1980, la Régie municipale du Gaz entreprend des forages géothermiques à plus de 1 km de profondeur. Elle trouve une eau à 52o qui permet de chauffer 110 000 m² de bureaux, soit l’équivalent de plus de 1000 logements. Une fois qu’elle a alimenté les circuits de chauffage, cette eau se maintient à plus de 300 : elle sera par la suite réutilisée pour chauffer la piscine Judaïque. En haut, à gauche : Les Jardins de Gambetta, réalisés en 1969 par l’agence Salier, Courtois, Lajus. Première opération du nouveau Mériadeck, elle associe bureaux et logements, à l’image du centre d’affaires voulu par Jacques Chaban-Delmas. Cette mixité des fonctions constitue l’une des nouveautés de l’époque.

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Ci-contre : Construction de l'hôtel de la CUB et de la Préfecture en 1978.

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immeubles génère une grande quantité d’espace perdu. C’est notamment pour ces raisons que les plans cruciformes seront abandonnés au début des années 1980. Pour Jacques Chaban-Delmas, il est crucial que la commercialisation de cette première opération soit une réussite. Devenu Premier ministre en juin 1969, il porte toute son attention à la recherche d’investisseurs. Si la caisse de retraite Organic interviendra pour les institutionnels, en revanche, les investisseurs privés locaux font défaut : les Bordelais ne croient décidément pas à ce projet, qu’ils considèrent comme improbable. C’est finalement à Paris et dans le reste de l’Aquitaine que le Premier ministre trouvera l’essentiel des financements... Ainsi, bien que figurant parmi les réalisations les plus intéressantes de Mériadeck, les Jardins de Gambetta n’en témoignent pas moins de l’image négative du quartier aux yeux des Bordelais.

Mériadeck, suite et fin : administrations et équipements Bon gré mal gré, en dépit des fortes oppositions qu’il suscite, le chantier de Mériadeck se poursuit au cours des décennies 1970 et 1980. En 1972, l’îlot nord est complété par les immeubles du Front du Médoc et des télécommunications, alors qu’aux franges sud-est, la construction du rectorat vient de s’achever. Le chantier s’accélère en 1976 avec le démarrage de l’hôtel de la communauté urbaine de Bordeaux et celui de la préfecture, confirmant la prépondérance du centre directionnel voulu par Jacques Chaban-Delmas. En 1977, la plus importante opération de logements voit le jour avec l’immeuble du Ponant. Mais, au total, il en sera produit moins que ne le prévoyait le programme initial. La mauvaise réputation du quartier


La Caisse d’Épargne se reflétant dans l’un des deux bassins de l’esplanade, aujourd’hui disparu.

LA CAISSE D’ÉPARGNE : DU LAC À MÉRIADECK... Philippe Cazentre, est un proche de Jacques Chaban-Delmas. Il est entré au conseil municipal lors des élections de 1971. Lorsque le maire lui suggère d’installer ses bureaux à Mériadeck pour contribuer au développement tertiaire du quartier, le projet architectural du siège de la banque est déjà bouclé... Organisé autour d’un immense vide central, le bâtiment a été conçu pour être vu à 360°. En dépit de sa forte identité, on n’hésite pas à tronquer une partie du projet initial afin de rattacher l’ensemble à l’immeuble du Château d’Eau (seule construction issue du premier projet de 1962). Une photographie du début des années 1980 montre une vue que l’on ne pourrait plus refaire aujourd’hui. L’immeuble de la

Caisse d’Épargne se mire à la surface d’un des deux bassins de l’esplanade Charles-deGaulle. Lors de la restructuration des années 1970, une partie des gravats issus de la démolition de l’ancien Mériadeck a servi de remblais pour exhausser l’esplanade au niveau de la dalle. Les sols, insuffisamment compactés, connaîtront des mouvements occasionnant des désordres dans le bassin le plus à l’est. Celui-ci ne tiendra pourtant pas en eau, malgré des travaux ultérieurs de confortation.

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Si un édifice continue d’interpeller ceux qui empruntent la très fréquentée rue du Château-d’Eau, c’est bien l’immeuble de la Caisse d’Épargne (1974-1980, architectes Edmond Lay, Pierre Layré-Cassou, Pierre Dugravier). À y regarder de plus près, sa superposition d’anneaux en surplomb du carrefour tranche avec la rigueur du plan-masse établi par Willerval. Déjà, l’édifice est positionné « en marge », comme si un aéronef s’était posé là par mégarde, venant défier l’architecture classique voisine de ses rondeurs organiques et de sa carapace à l’épiderme rugueux. En réalité, ce bâtiment n’a pas été dessiné pour Mériadeck... mais pour le Lac ! En 1974, le président de la Caisse d’Épargne de Bordeaux,

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Vue d’ensemble de Mériadeck et des bassins sur l’esplanade Charles-de-Gaulle, en 1979.



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3 1. La patinoire et la bibliothèque municipale font partie des grands équipements de l’agglomération. 2.L’immeuble de la DDASS. 3.L’Hôtel de Région et le Trésor public confortent le rôle de pôle tertiaire public de Mériadeck.

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4.De nouveaux escaliers, construits pour accéder à l’immeuble de la DDASS, confirment l’abandon du strict principe de dalle des débuts.

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est bien ancrée, fondée sur un sentiment d’insécurité qui, dans les faits, n’est pas vérifiée. Il est en réalité lié à son fonctionnement à dominante tertiaire. Mériadeck s’anime aux heures de bureaux mais demeure désespérément vide le reste du temps. En 1979, le siège de la communauté urbaine et la préfecture sont terminés, les jardins de l’esplanade Charles-de-Gaulle sont aménagés et le centre commercial est en cours d’achèvement. Dans la décennie suivante, en rupture avec la stricte séparation des fonctions, de nouveaux escaliers

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sont réalisés pour accéder à l’immeuble de la DDASS (architectes Jean de Giacinto, Alain Loisier et Jacques Salier). Au même niveau, des grands bassins participent de la qualité de vie de l’esplanade publique. En 1982, la patinoire complète les infrastructures sportives présentes sur l’agglomération bordelaise. Conçue par Claude-Henri Aubert, celle-ci va jouer un rôle déterminant dans l’animation de Mériadeck : à certaines occasions, elle laisse place à une salle de concerts qui peut accueillir de 4 800 à 7 250 spectateurs. Un peu plus tard, la bibliothèque municipale est positionnée juste à côté (architectes Forteza, Tournier, Trinqué). En 1987, le cabinet d’architecture Perrier édifie l’hôtel de Région sur le registre d’une composition monumentale. Tout près, le siège du Trésor Public est conçu l’année suivante par André Remond et Claude-Henri Aubert.


Les années 2000 : changement d’image

La ligne A du tramway à la station Mériadeck.

tation de pôle directionnel et décisionnel public de Mériadeck. Plus de cinquante ans auront donc été nécessaires pour construire ce « morceau de ville » qui, loin de toute position figée, esquisse aujourd’hui une série de transformations à venir à l’instar de la prochaine démolition de l’immeuble Croix du Mail, face aux jardins de la mairie, sur l’emplacement duquel sera édifiée la future Cité municipale.

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Dans les années 2000, les nouvelles pratiques qui s’instaurent autour du centre commercial, ouvert sur l’esplanade, font évoluer la perception qu’ont les Bordelais du quartier. Cette image plus positive de Mériadeck est quelque peu confortée par la proximité du commissariat central, édifié en 2003 par l’architecte Claude Marty, et surtout par l’arrivée du tramway à la fin de la même année. L’ouverture de la ligne A et les aménagements urbains qui l’accompagnent (escaliers mécaniques permettant un accès quasi direct à l’esplanade, nouveaux trottoirs) accélèrent fortement la remise en question du statut et de la fonction de la voirie. Celle-ci n’est définitivement plus « l’égout à voitures » d’il y a quarante ans. Progressivement, elle se transforme au contraire en véritable rue commerçante, plus volontiers parcourue par les piétons et les cyclistes. Commencée au début des années 1960, la construction de Mériadeck se poursuit toujours. La réalisation récente de l’hôtel du Département (architectes Philippe Pascal et Éric de Chambure) a permis de regrouper la quasi-totalité des services du conseil général, auparavant disséminés à travers plusieurs bâtiments. D’autre part, l’importante réhabilitation de l’hôtel de la communauté urbaine et sa future extension, située rue Jean-Fleuret, entre les hôtels Ibis et Novotel, confirment, s’il en était besoin, l’orien-

L'esplanade : un lieu où l'on s'arrête désormais, indice d’une évolution significative des pratiques du quartier.

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Un bilan à plusieurs vitesses

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3 1. Le nouvel immeuble du Conseil général.

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2.L’entrée du centre commercial, rue du Château-d'Eau, continuité piétonne de l’hyper-centre.

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3.L'arrivée du tramway en 2003 et les aménagements qui l’ont accompagné ont changé le rapport à l’espace urbain de Mériadeck.

Le devenir du quartier semble désormais reposer sur sa capacité à « réintégrer de la ville », au sens plus traditionnel de l’urbanisme. En effet, dessiner la ville autrement qu’avec des îlots entourés de rues plus ou moins sophistiquées a rarement connu de grandes réussites (à quelques exceptions près, comme le quartier de la Défense, à Paris, ou la capitale du Brésil, Brasilia). On peut imaginer qu’une fois résolus les problèmes complexes de domanialité inhérents au quartier, son évolution pourrait s’effectuer en maîtrisant, au niveau de la rue, une bande de parkings d’une dizaine de mètres de profondeur pour les transformer en magasins et services. Cette extension probable du centre ville commercial ne pourra en définitive qu’en favoriser l’intégration. Quel bilan tirer du Mériadeck de 1970 ? Qu’en est-il du centre d’affaires voulu par Jacques Chaban-Delmas ? La mixité fonctionnelle souhaitée au départ a été réalisée en bonne partie, même si le nombre de logements finalement livré s’avère sensiblement inférieur au projet initial. 800 ont été réalisés au lieu des 1400 prévus. Répartis entre du locatif (Le Ponant) et de l’accession à la propriété (Le Château d’Eau, Les Jardins de Gambetta), ils comptent actuellement 1300 résidants, relevant plutôt des classes moyennes supérieures. Quant à l’urbanisme de dalle, si caractéristique de Mériadeck, il n’a pas survécu au-delà du début des années 1980 : les hôtels de l’îlot sud-est, la bibliothèque et l’immeuble de l’UAP – racheté depuis par le conseil général – ont été conçus au niveau de la rue. Mériadeck est devenu peu à peu le quartier administratif de l’agglomération, alors que le centre d’affaires n’a jamais vu le jour. Ce glissement est le résultat d’un processus enclenché à la fin des années 1980. La décentralisation a créé de nouveaux besoins administratifs, le niveau régional s’affirmant comme l’échelon approprié en matière de décisions. Du côté des entreprises, de nouvelles stratégies ont émergé : les directions régionales ont élargi leur champ d’action jusqu’à partager le territoire national en quatre grandes zones. Pour Bordeaux, le quadrant sud-ouest couvre un secteur allant de Nantes à Montpellier. Ainsi, la proximité des nœuds autoroutiers est désormais davantage recherchée que celle du centre ville, dont l’accessibilité pose souvent problème. J


1. Pendant de l’entrée du centre commercial, l’îlot Bonnac et sa galerie marchande se veulent le trait d’union avec l’hyper-centre. 2.La rue des Frères-Bonie, depuis la place Pey-Berland, au moment des travaux de restructuration des espaces. 3.En vis-à-vis de Mériadeck, le tribunal de grande instance a été réalisé en 1998 par l’architecte britannique Richard Rogers. Par son esthétique et son échelle, il reste l’un des bâtiments les plus contemporains de Bordeaux.

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RELIER MÉRIADECK AU CENTRE : L’ÎLOT BONNAC, LA RUE DES FRÈRES-BONIE Dès les années 1970, les responsables de l’urbanisme, tant à la communauté urbaine qu’à l’agence, ont rapidement conscience qu’une architecture en confrontation directe avec la ville ancienne doit trouver des lieux d’accroche. Des études sont menées autour des franges de Mériadeck, la problématique de la relation avec le centre ville étant particulièrement examinée. Celle-ci trouve sa concrétisation avec « l’îlot Bonnac », fruit d’une politique foncière débutée en 1974. Positionné au nord-est, il doit relier le pôle commercial de Mériadeck au circuit marchand de l’hyper-centre. Il a été réalisé, sous forme de ZAC, entre 2004 et 2008, par le groupe Eiffage et l’agence d’architecture Buffi Associés. En parallèle, dès les années 1970, la rue des Frères-Bonie

a constitué un second axe tourné cette fois vers le quartier de l’hôtel de Ville. En lisière de Mériadeck, cette venelle auparavant sombre et vétuste a vu ses immeubles côté sud détruits, au bénéfice d’un élargissement important sous la forme de l’esplanade des Droits-de-l’Homme. S’y sont ajoutés l’École nationale de la Magistrature (1969-1973, architecte Guillaume Gillet) et le tribunal de grande instance (1997, architecte Richard Rogers), qui reste l’une des rares expressions monumentales de l’architecture contemporaine dans le cœur de Bordeaux. De l’autre côté du cours d’Albret, l’immeuble de logements livré récemment par Luc Arsène-Henry et Alain Triaud, sur l’ancien site des meubles Bayle, finalise le lien avec ce même quartier de l’hôtel de Ville.

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