Benjamin Psaltopoulos

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TENIR L'EXIGENCE UN JEUNE ARCHITECTE FACE AUX SIRENES DU RENONCEMENT

Ecole Nationale Supérieure d'Architecture de Lyon HMONP 2014-2015


Habilitation à la Maîtrise d'Œuvre en Nom Propre / Mémoire de recherche

Directeur d'étude _Gilles Desèvedavy Lieu de mise en situation professionnelle _Atelier d'Architecture Véronique Choron-Pellicier, arch. DPLG Aime (Savoie) Durée de la formation professionnelle _août 2014 à décembre 2015 Date de soutenance _27 janvier 2016 Formation initiale _ENSAL 2007-2012

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Je tiens à faire part de ma gratitude à Mme Véronique Choron-Pellicier, ma tutrice, pour son dévouement, sa patience à transmettre son expérience de terrain à de jeunes architectes. Je remercie chaleureusement mon directeur d'étude, M. Gilles Desèvedavy, pour la pertinence de ses conseils et son accompagnement tout au long de cette année. Merci à M. Raphaël Pistilli pour l'entretien et le temps accordé.

A ceux qui, de près ou de loin, consciemment ou non, m'aident et m'inspirent. A mes parents, ma famille.

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TABLE DES MATIERES INTRODUCTION _6 1) FORMATION D'UNE PENSEE CRITIQUE _7 1.1) Apprendre l'architecture VS devenir architecte _7 1.1.1) "On ne sait pas ce que c'est que l'architecture." _7 1.1.2) Héritage Beaux-Arts : former des "artistes" _8 1.1.3) Architecte : un métier ? _9 1.2) Définir une posture personnelle _11 1.2.1) S'imprégner : voyages d'études _11 1.2.2) Théoriser et se mettre en mouvement : projet de fin d'étude _14 1.2.3) Tenir l'exigence en Autriche _14 1.3) Constat de la profession _16 1.3.1) Dichotomies culturelles _16 1.3.2) Normalisation de l'architecture _18 1.3.3) Contexte économique _18

2) QUELS FONDEMENTS POUR UNE ARCHITECTURE EXIGEANTE ? _20 2.1) Bagage théorique (du quoi et du pourquoi) _20 2.1.1) La théorie comme boussole de l'architecte _20 2.1.2) Séminaire de Pesmes : un bagage théorique en mouvement _20 2.1.3) Ryan Kennihan _22 2.2) Bagage technique (où l'on parle du comment) _23 2.2.1) Du plan masse au plan de détail : l'importance du dessin _23 2.2.2) Les outils de l'architecte 23 2.2.3) Gestion du projet _24 2.3) Bagage relationnel (avec qui et pour qui ?) _24 2.3.1) Se positionner _24 2.3.2) Relocaliser l'architecture : l'expérience de Simon Teyssou _24 2.3.3) Repenser l'accès à la commande : un Avenir Radieux_25

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3) CONCRETISER UNE AMBITION _27 3.1) L'abeille et l'architecte : de l'intérêt de butiner pour devenir architecte _27 3.1.1) sps-architekten, vers une écriture architecturale propre _27 3.1.2) Atelier d'Architecture Choron-Pellicier _32 3.1.3) Formation intensive de menuisier-ébéniste _35 3.2) Filiation théorique _36 3.2.1) Aphorismes _36 3.2.2) Atelier d'architecture Simon Teyssou _38 3.3) Un projet local à dans les monts du Lyonnais _38 3.3.1) aps-architectes _39 3.3.2) Les Monts du Lyonnais, un territoire à redécouvrir _40 3.3.3) Bâtir à la campagne _42

CONCLUSION _44 BIBLIOGRAPHIE _46 ICONOGRAPHIE _48 ANNEXES _49

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INTRODUCTION "Ecrire, c'est une façon de parler sans être interrompu". Jules Renard

Nombre d’architectes se lancent dans la profession avec l’envie de faire de la «belle architecture». Quelle que soit la manière dont ils comprennent cette expression, tous ont en commun d’exiger de l’architecture une certaine tenue. Pourtant, peu d’entre eux y parviendront. Alors comment faire ? Faut-il posséder des qualités innées, ou bien au-delà du talent de chacun, peut-on dégager une démarche objectivable ? De l'inquiétude d'un architecte face aux sirènes du renoncement naît le désir de questionner sa propre pratique professionnelle. Il s'agit ici d'entamer à plume haute une réflexion personnelle sur les moyens de mise en cohérence d'une idée et de sa réalisation. Face à la multiplicité des contraintes et devant la diversité des acteurs du projet d'architecture, quels sont les facteurs clefs à prendre en compte pour éviter la tendance naturelle au dévoiement de l'esquisse ? Assumant l’apparente naïveté de la question et afin de prévenir le désenchantement qui peut guetter l’architecte en fin de carrière, ce mémoire se propose de rechercher les conditions d’une réappropriation du processus constructif, ou comment se donner les moyens de tenir l’exigence. Les recherches en ce sens m'ont amené à distinguer trois facteurs que l'on rencontre systématiquement à un certain niveau de qualité architecturale, quelle que soit la mise en forme propre à chaque architecte : la théorie (qui suis-je, où vais-je ?), la technique (le comment) et le réseau (avec qui et pour qui). Nous verrons qu'ils se retrouvent aussi bien chez un Frank Gehry qu'un Peter Zumthor, puisque les moyens nous intéressent ici davantage que le résultat, ce dernier n'étant que le reflet d'une sensibilité personnelle sur laquelle nous nous garderons de porter un jugement. Il ne s'agit donc pas de se positionner sur la notion du Beau, bien que celle-ci fasse en partie référence à des invariants objectifs qui seront évoqués afin de mieux comprendre les architectes cités en exemple, quitte au passage à se payer d'une pique affectueuse aux adeptes du "pourquoi pas ?", aux indécrottables du "chacun ses goûts"... Dans une première partie, j'expliquerai les raisons qui m'ont conduit à m'interroger sur la façon de tenir une exigence d'architecture. Pour cela je présenterai ce qui, dans mon parcours, y fait référence, sachant que le travail présenté relève d'une maturation plus ou moins consciente à l'échelle de plusieurs années. Dans une deuxième partie, j'identifierai les trois piliers pour tenir l'exigence, puis je présente le travail de ceux qui, en France et à l'étranger correspondent à ce que j'ai décrit. Dans une dernière partie enfin, je présente mon projet professionnel en rapport avec les trois piliers identifiés précédemment. Les phrases marquées en italiques indiquent une volonté de faire ressortir un point de vue ou une situation plus personnel sur les thèmes abordés.

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1) FORMATION D'UNE PENSEE CRITIQUE "La seule façon d'apprendre, c'est de contester." Jean-Paul Sartre A la jonction entre savoir scientifique et développement d'un regard artistique, les études d'architecture présentent une diversité qui non seulement les rend passionnantes, mais surtout entretient la capacité critique des futurs architectes. Plusieurs facteurs (propres à l'époque ?) viennent pourtant contredire cela. Je prends donc le temps de détailler le sujet non pour le plaisir de désigner des coupables, mais plutôt pour que l'on comprenne comment j'en suis arrivé à la problématique de ce mémoire.

1.1) APPRENDRE L'ARCHITECTURE VS DEVENIR ARCHITECTE 1.1.1) "On ne sait pas ce que c'est que l'architecture." Cette phrase, souvent entendue à l'école d'architecture, résume bien le flou idéologique dans lequel se trouve une partie du personnel enseignant et administratif, et par voie de conséquence, des étudiants. Il semble en effet que l'architecture en tant que savoir-faire spécifique soit remise en cause. La destruction des identités, propre à la logique libérale de mise en concurrence généralisée, semble ici s'appuyer sur un facteur idéologique diffus à l'échelle de la société, que l'on qualifiera de nihiliste : "tout se vaut", "tout est relatif", "à chacun sa vérité" et le pire d'entre tous, ce "pourquoi pas ?" qui engendre la famille des blobs, abstraction d'objets décontextualisés de plus en plus difficile à justifier auprès de nos contemporains... A l'époque de l'individu-roi, la recherche d'une posture commune fondée sur les outils intemporels de l'architecte (géométrie, proportion, composition, structure, lumière) est vécue comme excluante, restrictive de la liberté individuelle, pour ne pas dire fasciste... L'architecte, ainsi encouragé à ne représenter plus que lui-même, ses désirs, sa sensibilité, son "génie créatif", se retrouve prisonnier de cette injonction à réinventer le monde tous quatre matins, faute de principes théoriques sur lesquels fonder une éthique du projet. Tout est permis, mais rien n'est possible, nous dit le philosophe Michel Clouscard. "On ne sait pas ce que c'est que l'architecture." correspond à un vide théorique qu'il m'a fallu combler pour répondre à cette question de l'exigence en architecture. Remettre en cause ce postulat a donc été une étape importante de ma formation. Cela m'a permis de mûrir des intentions en terme de projet, de comprendre que pour concevoir un bâtiment, un architecte ne peut éviter de un positionnement sur ce qu'est l'architecture, celui-ci étant de facto présent dès le premier coup de crayon. Projeter, c'est faire un choix ; autant savoir ce qu'il sous-entend. Au risque sinon de bâtir sans conscience, ce qui revient à ne pas maîtriser l'impact de son intervention. A moins de croire que le hasard fait bien les choses, ce qui est largement contredit depuis un siècle. Il est bien sûr

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illusoire de prétendre toujours tout maîtriser, tout autant que d'espérer de la cohérence de la part d'un architecte dont le présupposé théorique ressemblerait à "chacun ses goûts". Comprendre les moyens d'échapper à un arbitraire - difficilement justifiable, quoique fort répandu - est ainsi devenu un préalable au présent travail de recherche. En cela je crois qu'il est important de réhabiliter la notion de filiation en architecture. Se projeter dans une continuité vis-à-vis de ses pères en architecture (voire de ses pairs), non pour s'éviter de penser, mais au contraire pour répondre à la remise en question de l'utilité de notre profession, telle qu'elle apparaît par exemple dans le rapport commandé en 2013 par la ministre de la culture, sous couvert de l'inexorable marche en avant du Progrès : "Cette évolution du métier suscite aujourd'hui jusque dans les rangs des architectes une interrogation de plus en plus pressante sur l'identité de leur discipline par rapport aux savoirs toujours plus nombreux et parcellaires mobilisés dans la production du cadre de vie. Que font au juste les architectes ? De quoi sont-ils les spécialistes ? Qu'est-ce donc qui les distingue de l'urbaniste, de l'ingénieur, et fonde leur légitimité propre ?" (1)

1.1.2) Héritage Beaux-Arts : former des artistes Il semble que la tradition française de séparation de l'ingénierie et de l'architecture se ressente encore aujourd'hui dans les écoles, où la formation est orientée sur le développement d'une sensibilité artistique avant même que de transmettre un savoir-faire constructif. Si l'architecture reste l'art de bâtir, c'est-à-dire une "fabrication pensée d'espace" (Louis Kahn), autrement dit une construction augmentée d'un sens, alors on pourra regretter le dénuement dans le lequel se trouve le jeune diplômé au moment de se confronter réellement au monde du travail et à la pratique quotidienne du métier. Du fait d'une structure décisionnelle de plus en plus pyramidale (primauté du droit européen sur le droit national), les écoles disposent d'une marge de manœuvre réduite dans leur choix pédagogiques, ce qui rend peu probable la remise en cause du modèle actuel dans lequel le Projet n'est pas l'alpha et l'oméga autour duquel s'articulent les disciplines connexes (construction, géométrie descriptive, histoire). Les études de médecine intègrent logiquement plusieurs stages de longue durée, qui correspondent au niveau élevé de responsabilité donné au personnel soignant. En revanche, on peut s'étonner de la place relativement faible laissée à la mise en situation professionnelle dans la formation d'un architecte. L'Habilitation permet ainsi de combler une lacune, dans la mesure où elle intervient souvent après plusieurs années de pratique en agence. Telle la cerise sur le gâteau, la dimension artistique (sociologique, psychologique) du métier d'architecte devrait être remise à sa juste place, c'est-à-dire celle de sublimer un édifice ; encore faut-il apprendre à construire (car l'artiste ne construit pas à proprement parler, il crée). Cette réflexion faite, je suis en mesure de comprendre qu'il ne s'agit moins d'apprendre l'architecture que de se former au métier d'architecte, condition préalable à l'acquisition du bagage technique nécessaire à toute exigence d'architecture.

(1) FELTESSE Vincent, Concertation sur l’enseignement supérieur et la recherche en architecture Rapport à Madame la ministre de la culture et de la communication, 2013, p.6

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1.1.3) Architecte, un métier ? Si la caractéristique du vieux con est une tendance à penser que c'était mieux avant, l'idiot utile du capitalisme aura à cœur de défendre un sens de l'Histoire, soit la conviction d'un processus continu orienté vers le "Progrès". Formidable concept à utiliser sans modération dès que le besoin se faire sentir de faire accepter une régression à ceux-là même qui en subiront les conséquences. Appliqué à l'architecture, cela se traduit dans les orientations du ministère de la Culture concernant l'enseignement et la recherche en architecture, dans son rapport de 2013 : "Le métier d’architecte a profondément changé [comme Nicolas Sarkozy ?] en l’espace de quelques décennies et s'est considérablement diversifié [complexifié, diraient les mauvaises langues]. L'architecture n'est plus ce savoir-faire isolé [c'est-à-dire spécifique], centré sur la maîtrise des techniques constructives associée à la créativité et au sens esthétique [soit l'art de bâtir beau et bien dans une tradition sans cesse renouvelée], mais nécessite désormais la mobilisation de connaissances diverses et étendues [novlangue signifiant dilution dans l'économie de marché ?] qui embrassent l'ensemble des champs scientifiques, techniques, culturels, historiques et sociologiques." (2) Comment dès lors exiger des architectes qu'ils soient en capacité de tenir l'exigence ? Si l'apprentissage des outils propres à leur discipline est jugé démodé et se retrouve noyé dans un vaste champs de connaissances plus ou moins floues, pourquoi continuer de l'enseigner dans des écoles ? Au prétexte de sortir l'architecture de l'isolement, elle est progressivement vidée de son contenu pour des raisons essentiellement économiques, comme en témoigne la suite du rapport : "Enfin, il faut tenir compte du fait que les écoles d’architecture elles-mêmes travaillent dans un environnement en recomposition et de plus en plus concurrentiel. Autour d’elles, les universités et les grandes écoles, profitant de l’autonomie, se regroupent en pôles puissants capables d’exister sur la carte de l’enseignement supérieur et de la recherche internationale, d’aller chercher des financements privés, de nouer des partenariats avec des collectivités locales elles-mêmes de plus en plus entreprenantes et soucieuses de développer sur leur territoire des campus d’excellence. Par ailleurs, l’unification du cursus LMD met les écoles d’architecture françaises en concurrence directe avec des écoles européennes, notamment francophones, pleinement intégrées au champ de l’enseignement supérieur et de la recherche, ce qui leur permet de proposer des formations sans doute plus complètes et, pour les chercheurs, des conditions de travail plus attrayantes." (3) Il ne s'agit donc pas tant de former des "artisans de l'espace", capables de diriger des chantiers, que d'assurer une logique de rentabilisation des études d'architecture, en vue d'un progressif désengagement de l'Etat (privatisation). Doit-on continuer à former des architectes ou bien faut-il se contenter d'enseigner l'architecture ? La suite du rapport nous fournit la réponse envisagée par le ministère :

(2) Ibid, p.5 (3) Ibid, p.6

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"Les écoles d’architecture font appel à d’autres disciplines (artistiques, sciences de l’ingénieur, sciences humaines et sociales) et se singularisent par leur approche généraliste et pluridisciplinaire pour élaborer "des projets dans l’espace et les territoires". Ainsi il faut rappeler que ce champ d'enseignement conduit, et ce de plus en plus, à exercer une variété de métiers, bien au-delà de l'image traditionnelle du maître d'œuvre. " (4) Comprendre ce changement d'orientation a permis à l'étudiant que j'étais d'aller chercher par moimême une façon de me former à la maîtrise d'œuvre, puisque cela semble ne plus devoir figurer dans les orientations pédagogiques des écoles. A la notion de "métier", on préférera désormais celle, plus flexible, de "profession" : "Proposition n° 1 : Faciliter les modalités d’entrée au sein des ENSA. Il pourrait s’agir d’établir deux ou trois critères nationaux d’admissibilité communs pour l’accès aux écoles formant à toutes les professions de l’architecture. Parallèlement à cette simplification source de démocratisation, établir par école, selon ses spécificités, une pondération des notes des différentes épreuves d’admission et d’admissibilité." (5) Les propositions de ce rapport ne laisse pas de doute : le sujet de mon mémoire est, au regard des évolutions projetées, complètement dépassé. Pourquoi insister sur le besoin d'enseigner à tenir l'exigence lorsque le ministère s'applique à "mettre en place et promouvoir des « passerelles » en lien avec les politiques de site universitaires [...] dans le but de minimiser les taux d’échec et d’abandon" ? (6) Ainsi, dès la licence, l'étudiant doit être informé du fait que le métier d'architecte est devenu une des nombreuses options à sa disposition dans le menu des universités : "Proposition n° 8 : Développer la diffusion des informations relatives aux différents types de débouchés professionnels, tout particulièrement auprès des étudiants de premier cycle." (6) La conclusion du dit rapport résume ce qui vient d'être dit en une formule qui confirme l'analyse qui vient d'être faite : "Le réseau des ENSA constitue un atout à valoriser, une « marque » bien identifiable à l’international." (7) D'où l'importance grandissante de l'anglais dans l'enseignement.

En conclusion, le manque de moyens financiers associé à l'état des finances publiques justifie l'entrée de capitaux privés dans les écoles d'archi, le rattachement à des pôles universitaires pour assurer une concurrence sur le marché mondial, annonçant un désengagement de l'état au profit du modèle universitaire américain. L'abandon du rôle premier des écoles, qui est de former au métier d'architecte (et non aux métiers de l'architecture) explique l'importance grandissante des autres matières (arts plastiques, psychologie...) relativement à celle de Projet. Il s'agit en effet de penser la formation en vue d'une insertion dans un marché globalisé, d'abord à une échelle européenne (système LMD), puis internationale (classement des écoles). Une question demeure : cela profitera t-il à formation des architectes ? (4) Ibid, p.11 (5) Ibid, p.14 (6) Ibid, p.14 (7) Ibid, p.39

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Il serait cependant trop simple de s'en prendre aux écoles d'architecture pour leur faire porter tous les maux de la profession. Forcément imparfaites, elles n'en constituent pas moins une base nécessaire qui demanderait à être améliorée et il serait malhonnête de se tourner vers elles comme vers un père à qui l'on reprocherait ses propres imperfections. Cette situation de flou théorique crée en outre le sentiment de devoir progresser en autodidacte pour apprendre les bases du métier (ce qui est positif). Il convient également de ne pas se voiler la face : au flou des écoles s'ajoutent d'autres obstacles à surmonter pour tenir l'exigence, que le marché du travail se charge de nous faire comprendre (cf. 1.3). Ainsi, dès la fin du master, quoique n'ayant pas encore complètement formulé l'analyse que je viens de développer, il me semblait important de travailler à redéfinir une posture personnelle du métier d'architecte.

1.2) DEFINIR UNE POSTURE PERSONNELLE Dans cette partie, j'explique en quoi l'état des lieux présenté jusqu'à présent dépasse le vain plaisir d'une critique stérile. Voici trois étapes qui m'auront aidé à définir une posture architecturale au sortir de l'école.

1.2.1) S'imprégner : voyages d'études "Le programme était vague, mais dans de pareilles affaires, l'essentiel est de partir." Nicolas Bouvier, L'usage du monde

Le Corbusier, à travers ses Carnets d'Orient, a montré s'il était besoin le caractère didactique du voyage, notamment via l'outil d'analyse que représente le carnet de croquis. Une année d'étude en Arménie (ill. 1 et 2), puis la découverte de l'Iran, m'ont donné l'opportunité de d'approfondir les notions de tectonique, de matérialité et de permanence en architecture. Je pense notamment aux églises et monastère en tuf, construits entièrement en pierres, des fondations jusqu'à la couverture: une leçon d'architecture sur l'air de "less is more". A mon retour en France, je décidai de poursuivre mes voyages d'études, un crayon à la main, en direction de la province du Tessin. Une semaine durant, les maîtres tessinois me transmettait indirectement leur savoir-faire. De Livio Vacchini (ill. 3 et 4), j'apprenais en quoi les composantes d'un projet se peuvent résumer au choix d'un système structurel (La Ferriera, centre commercial et administratif, Locarno, 2003). Mario Botta, via la visite de chapelle Sainte-Marie des Anges (Monte Tamaro), m'enseignait comment donner à lire un territoire par le parcours, tandis que Galfetti (ill. 5) semblait insister sur la nécessité de penser l'espace par le vide qui sculpte la lumière

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(Castelgrande, Bellinzona, 1983-1989). Si les voyages ne permettent pas directement d'apprendre le métier d'architecte, ils m'ont cependant permis de m'imprégner d'un état d'esprit, d'une manière de voir le paysage, d'un certain idéal dans la conception d'une architecture exigeante. En ce sens, il permettent d'expliquer le pourquoi de ce mémoire.

Illustrations 1 et 2 : Carnet arméniens, Mémorial du génocide, Erevan - Benjamin Psaltopoulos, 2010

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Illustration 3 : VACCHINI Livio, place du soleil, 1999 Illustrations 3 et 4 : GALFETTI Aurelio, rénovation du Castelgrande, Bellinzona, 1989 Illustration 5 : VACCHINI Livio, bibliothèque du campus universitaire, Lugano

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1.2.2) Théoriser et se mettre en mouvement : projet de fin d'études Une année passée en Arménie et déjà l’envie d’y remettre les pieds. Le projet de diplôme m’en offre justement l’occasion. Un voyage à Djermouk et l’impression d’un décalage entre la situation quotidienne d’une part, la demande des autorités pour un tourisme de masse d’autre part. D'une envie personnelle d’écouter le génie des lieux nait alors une proposition urbaine et architecturale à rebours de la demande initiale. Le projet urbain pariait sur la richesse des savoir-faire locaux, la transmission des traditions et la relocalisation de l’économie par la population ; le projet architectural consistait à rénover un ancien centre culturel en ruine et posait la question de l'utilisation des matériaux locaux. Le projet n'était certes pas crédible au yeux des élus locaux, bien qu'il nous semblait être le seul proposant une alternative convaincante au modèle occidental (ski, golf). Néanmoins se dessinait une éthique du projet qui me semble aujourd'hui encore une condition indispensable de l'exigence architecturale. L'architecte est certes tenu par son client ; il n'est cependant pas tenu de devancer les demandes parfois absurdes qui lui sont faites. A tout le moins, de sa position de "sachant", rien ne l'empêche de demeurer une force de proposition pour la maîtrise d'ouvrage. Ce projet de fin d'études, pour lequel les enseignants étaient plutôt sceptiques et qui a finalement remporté l'adhésion du jury, fût pour moi une leçon d'exigence et de ténacité que j'eue à cœur de poursuivre lors de mon départ pour l'Autriche.

1.2.3) Tenir l'exigence en Autriche Partir pour... En 2012, j'intègre l'atelier de l'architecte Simon Speigner (sps-architekten, Salzburg, huit employés) sur une candidature spontanée. J'avais en effet repéré dans son travail une exigence et des valeurs proches des miennes : - Une architecture située (contextuelle) - La conscience du matériau (ill. n°6) - La composition comme outil premier et gratuit de l'architecte (ill. n°7) - Les choses les plus simples ne sont pas toujours les meilleurs, mais les choses les meilleures sont toujours les plus simples. Ces principes ont contribué à forger ma conception de l'exigence architecturale ; ils constituent ainsi la troisième raison pour laquelle j'en suis venu au thème de ce mémoire. Nous reviendrons dessus dans le troisième chapitre pour une description plus détaillée. Ces deux années m'ont permis de travailler en tant qu'assistant de projet sur les phases de concours, d'esquisse et projet ; il me manquait cependant la possibilité de diriger un chantier, lacune que j'ai pu combler en revenant travailler en Savoie.

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Illustration 6 : sps-architekten, bureaux de l'agence en construction, 2013, Thalgau (Autriche) Pose de la façade en tavaillons de mélèze, planchers KLH La conscience du matériau. Architecture située (tradition réinterprétée). Illustration 7 : sps-architekten, concours pour la construction d'une école de musique jointe à une caserne de pompier, Neumarkt,-am-Wallersee, 2013 Façade composée, travail des proportions. Concours réalisé en tant que chef de projet.

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... mieux revenir. "Une fois ces frontières franchies, nous ne reviendrons jamais tout-à-fait ces misérables pédants que nous étions." Emerson Mon retour en France (en 2014), envisagé avant même de partir, correspondait à une envie de mettre à profit dans ma sphère culturelle l'expérience acquise à l'étranger. Nous avons vu précédemment (cf. 1.1) que malgré la tendance à former des architectes qui ne seraient plus nécessairement maîtres d'œuvre, je reste convaincu que la conduite de chantier et la gestion de projet demeurent à la base de mon métier, la condition sine qua none pour maintenir une exigence architecturale. L'atelier de Véronique Choron-Pellicier s'est avéré en phase avec ce que je recherchais, puis plus tard, en adéquation avec les objectifs de l'Habilitation, de par : - sa taille réduite, d'où une appréhension générale du processus constructif - la possibilité de gérer plusieurs projet simultanément, en lien direct avec les entreprises et le client - une transmission plus directe de la part d'une architecte expérimentée. La formation de l'HMONP m'offre un retour critique sur cela, constitue un temps de réflexion précieux sur mon projet professionnel, me permet de saisir les enjeux de la maîtrise d'œuvre en nom propre et l'étendue des responsabilités conférées par le titre, de m'enrichir au contact des divers parcours de formations (confrères), de progresser par l'expérience des directeurs d'études qui, année après année, affinent leur point de vue sur la formation d'un projet professionnel. Cette décision de revenir en France, puis de passer l'Habilitation, a donc fortement contribué à faire émerger de manière consciente la problématique de l'exigence, recherche qui n'était jusque-là qu'intuitive. En ce sens, le passage entre différents contextes professionnels (ici autrichien et français) ne nous intéresse pas ici en tant qu'anecdote personnelle, mais bien plutôt pour le rôle qu'il peut jouer pour tout architecte dans la construction d'une posture personnelle.

1.3) CONSTAT DE LA PROFESSION La possibilité, qui m'a été donnée par Véronique Choron-Pellicier, de travailler les projets en quasi autonomie, m'a permis de mieux comprendre les implications techniques de mon désir d'exigence architecturale. Le contact direct avec les artisans, ingénieurs, thermiciens, économistes et maîtres d'ouvrage a été un exercice parfois compliqué, finalement formateur (ce mémoire aurait sans cela été incomplet, car trop abstrait). Je suis à présent en mesure de dresser un premier bilan des raisons, cette fois plus techniques, qui ont fait émerger la problématique de l'exigence.

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1.3.1) Dichotomies culturelles Chaque corps d'état ayant une culture qui lui est propre, une façon de voir le projet spécifique à sa formation, il survient nécessairement des décalages susceptibles de perturber (voire dénaturer) un projet si l'architecte n'assume pas pleinement la direction des opérations, c'est-à-dire le respect du travail de chacun au service d'une vision globale. Ces dichotomies culturelles, inhérentes à l'acte de construire, ne vont pas nécessairement dans le sens d'une exigence commune, à moins que l'architecte soit capable de les canaliser. En pratiquant cela de manière quotidienne, j'ai pu m'apercevoir de l'importance de gérer ce facteur de perturbations pour en faire une richesse au service du projet. Cette expérience a ainsi fortement contribué à la formalisation du présent mémoire, car elle m'obligeait à faire le choix entre abandon ou recherche de solutions pour tenir l'exigence. Les dichotomies varient de plus selon l'interlocuteur : - entre architecte et maîtrise d'ouvrage : via la clientèle privée rencontrée chez Véronique Choron-Pellicier, j'ai pu comprendre pourquoi Fernand Pouillon appellait en son temps à la formation d'une Ecole de la maîtrise d'ouvrage qui transmettrait aux clients une plus grande hauteur de vue sur les projets. De même, il est aberrant que les concours d'architecture ne soient pas composés majoritairement d'architectes. Difficile dans ces conditions de promouvoir la qualité architecturale. - entre architecte et entreprises de construction : L'expérience des rénovations pour particuliers chez V. Choron-Pellicier a été l'occasion de comprendre le fait que chaque artisan a tendance à réfléchir uniquement pour ce qui le concerne, tandis que l'architecte en revient toujours à la cohérence globale du projet. - entre architecte et administrations : Il est parfois rageant de se conformer à l'absurdité de nombreux PLU, tel article imposant par exemple le recours à deux matériaux maximum, comme si ce genre de règle était un gage de la qualité architecturale et urbaine de nos villes ! En ce sens, le désengagement de l'état via l'instruction des permis de construire laissés à la responsabilité des mairies (ou communautés de communes) risque de compliquer encore la qualité et l'innovation architecturale. Je repense ici aux mots de Snozzi racontant les règles absurdes contre lesquelles il s'opposait en tant qu'instructeur de permis : "Les jugements se faisaient au cas par cas, et les critères dérivaient d'une vision statique du paysage. Chaque intervention était ainsi subordonnée aux préexistences assumées et interprétées de façon superficielle et romantique." (9) En attendant une hypothétique fin des PLU absurdes ou bien (soyons fous) la généralisation du système de Luigi Snozzi à Monte Carasso (la qualité du projet prime en dernier ressort sur la règle urbanistique), il m'est apparu important de nouer des liens de fidélité avec les entreprises compétentes, afin de limiter les dégâts collatéraux de ces différences culturelles, et de pouvoir ainsi faciliter les échanges (parfois les négociations) avec les maîtres d'ouvrage. En outre, partant du principe que chacun doit trouver sa chacune, il peut être utile de rappeler au client que le hasard n'a (9) SNOZZI Luigi, Projeter pour la ville, Leçon inaugurale à l'EPFL, p.4,

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rien à faire dans le choix de leur architecte, mais que ce choix devrait découler d'une sensibilité architecturale commune. Les dichotomies culturelles, si elles sont bien gérées, ne sont cependant pas un obstacle infranchissable à l'exigence d'architecture ; on trouvera par exemple parfois des soutiens inattendus au sein de l'administration souhaitant promouvoir un projet audacieux. 1.3.2) Normalisation de l'architecture La tendance à une normalisation toujours accrue de l'environnement bâti (au sens d'un ajout constant de normes réglementaires) a également joué un rôle dans le choix du sujet de ce mémoire, en tant que facteur parfois limitant de la qualité architecturale. Ainsi Bernard Quirot prône t-il une Haute Qualité Architecturale plus pertinente que la Haute Qualité Environnementale réduisant l'acte de bâtir à des questions comptables : "L'architecte, derrière les marchands, s'est engouffré dans le train de l'environnement." (10) De même, les Eurocodes produisent des aberrations que j'ai moi-même constatées sur certains des chantiers gérés pour l'Habilitation (ex : bois de charpentes surdimensionnés). Dernier en date, le BIM fait son entrée pour le plus grand bonheur... des financiers ou de l'architecture ? Quelle place pour l'exigence architecturale dans un bâtiment BIMé où chacun se renverrait la responsabilité du résultat ? 1.3.3) Contexte économique Enfin, le contexte économique, parfois bien commode pour justifier un renoncement à l'exigence architecturale, ne pouvait toutefois être ignoré dans l'explication des raisons de ce mémoire. Non pour se défausser, mais pour mieux comprendre les enjeux auxquels nous sommes actuellement confrontés : - Argent public affecté au service de la dette (remboursement des prêts à intérêt contractés sur les marchés privés) plutôt qu'une politique publique d'investissement. - Inflation des prix de la construction : " Nul ne saurait contester que les prix de l’immobilier ont plus que doublé sur les quinze dernières années." (11) déclare la Fédération Française du bâtiment dans son rapport de juillet 2013. - Projet de loi remettant en cause l'architecture comme profession réglementée (12) "Les circonstances ? Quelles circonstances ? Je suis les circonstances." Par cette formule, Napoléon nous enjoint à ne pas nous reposer sur des prétextes circonstanciels pour justicier le renoncement d'un idéal, ici architectural. Sachant qu'il existe toujours, pour une situation donnée, un exemple de personne ayant trouvé une solution, et que dans le cadre qui est le notre, il y a nécessité d'insister sur la spécificité du savoir-faire de l'architecte. Nous verrons ainsi dans la deuxième partie les pistes intéressantes esquissées en ce sens par l'architecte Bernard Quirot pour démontrer, à un niveau local (collectivités et particuliers), en quoi l'architecte n'est pas un luxe dont on peut se passer pour penser la ville. (10) QUIROT Bernard, HQE et/ou HQA : http://www.quirotassocies.com/html/cat-items/conferences-et-textes (11) TOMMASINI Olivier, Analyse de l’évolution comparée des prix et des coûts dans le bâtiment Préconisations en matière de simplifications règlementaires, p.3, FFB, 2013 (12) SENAT.FR, La profession d'architecte : la crise d'une profession réglementée

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En conclusion de cette première partie, les raisons qui m'ont poussée à poser la question de l'exigence architecturale pourraient être résumées par l'équation suivante : paradigme pédagogique de nos écoles d'architecture (relativisme) + je commence à agir (expériences professionnelles en France et en Autriche) + contexte français (normalisation, dichotomies culturelles, climat économique) = besoin de comprendre les conditions pour tenir la qualité architecturale. Besoin qui m'amènera donc dans une deuxième partie à poser cette question : existe t-il des facteurs-clefs à prendre en compte pour tenir une exigence d'architecture ? Au-delà du talent et du style propre à chaque architecte, peut-on identifier certains fondements que l'on retrouverait systématiquement à partir d'un certain niveau de qualité architecturale ? Si oui, quels sont-ils ?

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2) QUELS FONDEMENTS POUR UNE ARCHITECTURE EXIGEANTE ? Ce que vous avez lu jusqu'à présent ne vise pas à peindre un tableau noir de la situation qui légitimerait un renoncement avant même d'avoir livré bataille. Chaque époque présente des opportunités et des difficultés particulières que l'on se doit de critiquer, mais à partir desquelles nous devons également agir, dans des conditions d'exercice qui s'imposent à tous. Le point commun de toutes les démarches présentées sera la capacité des architectes à tenir l'exigence sur un ou plusieurs des facteurs identifiés (théorique, technique ou relationnel). L'architecte est une abeille, il mange à tous les râteliers mais produit un miel qui lui est propre. Ainsi, il ne s'agit pas de donner la recette de l'exigence architecturale, mais bien de dégager des pistes d'actions pour ma pratique du métier, laquelle fera l'objet de la troisième partie. Les trois facteurs présentés ci-dessous interagissent et se recoupent ; ils ne forment pas des entités étanches les unes aux autres, bien que la clarté du propos imposent de les séparer momentanément.

2.1) BAGAGE THEORIQUE "Un esprit sans croyance est comme une boussole que le plus petit changement extérieur peut dérégler." Alain 2.1.1) La théorie comme boussole de l'architecte Pas de hasard en architecture. Tous les architectes qui tiennent l'exigence savent clairement ce qu'il veulent. Ils ont un "pourquoi" fort, qui guide leur pratique. Ils ont, consciemment ou non, défini leur "quoi", c'est-à-dire ce qui pour eux est fondamental en architecture. Les spécificités de leur atelier par rapport à leurs confrères sont clairement identifiables, tout comme la lignée théorique dans laquelle ils s'inscrivent (filiation architecturale), puisque pour savoir où l'on va il faut savoir d'où l'on vient. Ils ont un propos clair vis-à-vis des thèmes centraux de l'architecture (matérialité, structure, forme) qui découle d'une logique présente d'un projet à l'autre.

2.1.2) Séminaire de Pesmes : un bagage théorique en mouvement "Nommer, c'est dévoiler. Bien formuler un problème, c'est l'avoir à moitié réglé." Albert Camus

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Illustration 8 : Groupe du séminaire de projet, Pesmes, 2015 Illustration 9 : Plan masse du projet réalisé par Benjamin Psaltopoulos, Marco Laterza et Maxime Chesney

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Un architecte qui ne se maintient pas dans une perpétuelle logique de remise en question théorique connait bientôt une inertie de pensée, il se noie dans le flot quotidien de son travail. S'en extraire ne signifie pas refonder tous les matins son positionnement théorique, mais bien plutôt le tester par petites touches répétées régulièrement, dans ce que l'architecte Pierre-Alain Crozet appelle "architecture de la modification". (13) L'atelier d'architecture Bernard Quirot + Associés (Pesmes, Haute-Saône) organise chaque année, via son association, Avenir Radieux, un séminaire de projet pour étudiants et jeunes architectes, dans lequel se retrouvent les principes qui guident leur notion de l'exigence, dont je retiens (14) : - Edifier plutôt qu'assembler. - Faire en sorte que le langage de l'architecture soit celui des forces constructives qui s'opposent à la gravité. - Distiller lentement l'art de la tectonique, de l'ensemble jusqu'au moindre détail. - Démontrer que - = + et + = - Défendre que la bonne architecture est forcément attentive à l'environnement. La première édition du séminaire de projet de Pesmes a été pour moi l'occasion de tester, conforter, affiner un bagage théorique forcément mouvant dans le temps, mais jamais très éloigné des principes cités plus haut. Plus j'y pense et plus le temps consacré à la formation continue me semble essentiel, afin de se préserver de la routine de pensée dans laquelle il est difficile de ne pas tomber, une fois sorti de l'école. La prochaine étape serait par exemple de participer au séminaire de Monte Carasso, dans la province suisse du Tessin.

2.1.3) Ryan Kennihan, de l'importance de la lecture Architecte américain installé en Irlande, Ryan W. Kennihan développe un corpus théorique clairement établi et distillé dans chacun de ses projets, confirmant l'importance d'une boussole théorique dans la tenue de l'exigence. La lecture de Philosophie de notre atelier (15) est ainsi venue enrichir ma pratique sur les points suivants : - Rechercher la pérennité en architecture, qualité qui s'apparente à un "rempart contre le passage du temps et le caractère éphémère de nos vies surmédiatisées ." - "Entamer le travail de conception par une mise à distance qui consiste en une compréhension intime de la culture locale, des traditions et de l'Histoire de l'architecture, en vue d'atteindre une esthétique intemporelle qui puisse, d'une génération à l'autre, être valorisée par ses habitants." - Exprimer l'architecture par sa structure, sa construction. - "La structure est une condition permanente à laquelle l’architecture se réfère pour exister." - Rechercher la synthèse entre structure, forme et lieu. - Devise : "Contemporain et pourtant intemporel". - L’architecture est un acte culturel. (13) CROSET Pierre-Alain, L'architecture comme modification, in Casabella, n°498-499, 1984 (14) QUIROT Bernard, HQA et/ou QHE, op. cit. p.2 (15) KENNIHAN Ryan, Our practice philosophy : www.rwka.com

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Au même titre que les voyages et séminaires, la lecture constitue pour un moyen incontournable de formation théorique, facteur essentiel (quoique non suffisant) pour soutenir l'exigence technique. 2.2) BAGAGE TECHNIQUE (OU L'ON PARLE DU COMMENT)

2.2.1) Du plan masse au plan de détail : l'importance du dessin Avec une esthétique tout autre que celle de Bernard Quirot et Ryan Kennihan, mais dans un même souci d'exigence technique, l'architecte Raphaël Pistilli (Villeurbanne) prend en compte la nécessité de dessiner l'ensemble du projet jusqu'au moindre détail pour assurer la tenue de son exigence architecturale, comme j'ai pu le constater via les dizaines de détails constructifs effectués lors de mon stage de master effectué en 2012. Ainsi quel que soit le style d'un architecte "exigeant", on en revient toujours à des fondamentaux communs. 2.2.2) Les outils de l'architecte Quoique nombre d'architectes rechignent à consacrer beaucoup d'énergie dans la mise à jour incessante des technologies à laquelle nous sommes confrontés, il devient de plus en plus difficile d'en faire abstraction. L'exemple du BIM, rendu obligatoire à l'horizon de 2017 dans les marchés publics, illustre de manière quasi caricaturale la nécessité de la maîtrise des pressions technologiques pour penser une architecture de la longue durée. Chaque génération d'architectes se voit ainsi sollicitée par des connaissances technologiques toujours plus larges, d'autant que le matériel informatique (logiciels) n'est pas standardisé d'une agence à l'autre. Il n'est certes plus possible de se passer de l'outil informatique, mais comme le souligne Gilles Perraudin, celui-ci s'avère incapable de remplacer les outils traditionnels de l'architecte : "Aujourd'hui, avec le recul, je constate que l'ordinateur a quelques avantages, mais surtout des inconvénients. Cela nous fait perdre beaucoup de temps. Les outils informatiques nous contraignent à aller immédiatement dans le détail, dans l'insignifiant. Ils nous empêchent de garder une vision d'ensemble. Ils ne nous permettent pas de saisir l'échelle des choses. On s'égare dans d'innombrables problèmes et on s'en sort difficilement. La matérialité d'une maquette ou d'un dessin offre une résistance à l'esprit que l'informatique balaye. Pour comprendre comment un bâtiment se positionne dans l'espace, pour appréhender les dimensions spécifiques d'un lieu, je préfère une maquette. Je travaille à une architecture située dans un lieu particulier. J'ai besoin de sentir le vent, la lumière, les nuages... et l'informatique ne m'y aide pas." Si l'on adhère au principe less is more, alors les outils ancestraux de l'architecte restent le dénominateur commun des ateliers d'architecture qui n'ont pas encore renoncé à tenir l'exigence : - la géométrie, soit l'art d'agencer des figures dans le plan et dans l'espace - la composition, soit l'agencement harmonieux d'une surface (façade) ou d'un ensemble de volumes (urbanité)

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- la proportion, soit l'adéquation entre la surface d'un espace et sa hauteur (cf. Palladio), contre la tyrannie des 2,50m - les tracés régulateurs, non-suffisants mais contribuant à "calmer" un bâtiment dans ses proportions. - la structure et la lumière naturelle, deux éléments indissociables. Mettre en œuvre ces outils à bon escient est un travail suffisamment considérable pour alimenter toute une carrière d'architecte. Malgré les gesticulations technologiques de l'époque, ces cinq éléments continuent de nous apporter une définition quasi exhaustive de la qualité architecturale. 2.2.3) Gestion du projet Les trois années qui ont suivi mon diplôme ont rendu plus clair à mes yeux une réalité méconnue des étudiants d'architecture : le travail de création architecturale ne représente qu'une partie réduite de la journée d'un architecte. S'il est vrai que le terme de création s'applique à un champ plus vaste que la seule phase d'esquisse (puisque dans tout est sujet à création), un jeune architecte ne mettra pas longtemps avant de comprendre qu'une œuvre architecturale est avant tout le résultat d'une maîtrise des contraintes techniques, administratives et humaines. Sans cela, la théorie architecturale n'est rien de plus qu'un bavardage stérile. Au-delà de l'aspect artistique enseigné dans les écoles, faire architecture c'est donc d'abord une capacité à gérer un projet dans ses composantes matérielles : respect de l'enveloppe budgétaire, du planning, élaboration d'un système constructif en collaboration avec les ingénieurs et artisans, capacité à convaincre et à impulser une direction claire au projet, etc. La troisième partie de ce mémoire reviendra en détail sur les actions mises en place pour acquérir cette compétence.

2.3) BAGAGE RELATIONNEL (avec qui et pour qui ?) 2.3.1) Se positionner "Etre, c'est être perçu ou percevoir." Georges Berkeley Après avoir abordé la notion de positionnement d'un point de vue théorique (cf 2.1), puis technique (cf. 2.2), nous verrons en quoi les ateliers "exigeants" maîtrisent également le point de vue relationnel dans sa dimension spatiale : > lieu d'implantation en cohérence avec la démarche architecturale : ex : le régionaliste critique Bernard Quirot s'installe à la campagne, tandis que le mondialiste Frank Gehry siège à Los Angeles. > sur un secteur de marché porteur : une niche orientée selon une technique constructive (ex : bois), ou un domaine d'activité (le résidentiel, l'hospitalier, la rénovation...), un type de clientèle

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(publique, privée, élitiste ou populaire). En effet, l'activité d'un atelier étant en partie liée à sa réputation (bouche-à-oreille), rares sont ceux qui ont le privilège de rester absolument généraliste. Les références demandées en marché public renforcent encore cette tendance.

2.3.2) Relocaliser l'architecture : l'expérience de Simon Teyssou Parmi l'éventail des stratégies visant à se forger un bagage relationnel, autrement un dit un réseau professionnel, celle mise en place par l'architecte Simon Teyssou (Rouget, Cantal) (ill. 10-11) m'intéresse non seulement pour sa capacité à tenir l'exigence, mais aussi parce qu'elle entre en résonnance avec mon projet d'installation dans les Monts du Lyonnais (la troisième partie en fera une description détaillée). La cartographie des projets de l'atelier Teyssou révèle ainsi une stratégie d'implantation à un échelon essentiellement local. Ce n'est certes pas le premier architecte à fonctionner ainsi ; en revanche, il est plus rare d'en faire une posture d'agence et de l'associer à un tel niveau d'exigence. Seule la Suisse ou l'Autriche nous avait jusqu'à présent habitué à cette vision issue du régionalisme critique théorisé par Frampton. Il semblerait qu'une contagion s'opère en France, de Quirot et Teyssou, en passant par Bouchet, pour ne citer qu'eux.

2.3.3) Repenser l'accès à la commande : un Avenir Radieux Le séminaire de projet de Pesmes, organisé par l'association Avenir Radieux m'a conduit à réfléchir sur la place de la commande architecturale dans le maintien d'un niveau d'exigence élevé. L'idée présidant à la création de l'association s'appuie en effet sur la recherche de nouveaux débouchés en cohérence avec un contexte économique moribond, notamment dû à la baisse de l'investissement public. Situé à Pesmes, bourg castral de la campagne haute-saônoise, l'atelier de Bernard Quirot souhaitait également, via cette démarche, influer sur les choix urbanistiques et architecturaux de la commune. Comptant parmi les cent plus beaux villages de France, Pesmes n'en est pas moins exposé aux maux de l'époque : désertification du bourg ancien, développement de l'habitat pavillonnaire, dégradation progressive de la qualité de vie dû à une absence de réflexion sur la ville à long terme. Avenir Radieux a donc mis en place une activité de conseil auprès des particuliers et des collectivités, qui disposent ainsi d'une mise en perspective de leur projet dans le contexte global du village (rapport à la rue, au voisinage) et de ses environs (rapport au paysage, aux voie de communications). Ce positionnement permet à l'atelier de Bernard Quirot de continuer à porter une exigence de qualité architecturale grâce à l'entretien d'un réseau plus durable et certainement plus local que via la procédure du concours.

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Illustration 10 : TEYSSOU Simon, habitation, Boussac, 2015 Illustration 11 : TEYSSOU Simon, requalification des espaces publics, Chaliers, 2015

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3) CONCRETISER SES AMBITIONS "La seule critique définitive, c'est la création." Maurice Lemaître

Puisque présenter et analyser le travail de ses confrères ne suffit pas, voici à présent ce que j'ai mis en œuvre pour être, chaque jour un peu plus, en mesure de concrétiser mes ambitions. Dans un premier temps je présenterai mes expériences professionnelles passées ou à venir et ce que, chacune à leur manière, elles m'ont apporté. Suivra la description de mon projet professionnel, consistant à ouvrir un atelier d'architecture dans les Monts du Lyonnais. Enfin et pour revenir à la genèse de ce mémoire, un manifeste viendra expliciter la filiation théorique de l'agence en devenir. 3.1) L'abeille et l'architecte : de l'intérêt de butiner pour devenir architecte Considérer a posteriori ses premiers pas en architecture ; savourer le plaisir d'un éclairage nouveau, quoique non prémédité, sur une situation présente ; s'en servir enfin pour projeter une envie d'architecture. Voilà qui pourrait définir l'HMONP. Ci-dessous, mes premiers pas comme jeune diplômé (depuis 2012), présentés ici en ce qu'ils annonçaient à la fois le sujet de ce mémoire et le projet professionnel qui en découle. Dans cette première partie, la distinction est faite entre trois moments de ma vie professionnelle : hier (sps-architekten), aujourd'hui (Atelier d'Architecture Véronique Choron-Pellicier), demain (formation intensive de menuisier-ébéniste). 3.1.1) sps-architekten, vers une écriture architecturale propre " Bec enfariné Pouvais-je deviner Le remue-ménage Que dans mon destin Causerait soudain Ce pèlerinage ? " G. Brassens, Les ricochets

Diplôme d'Etat en poche, j'oriente mes recherches de travail dans la lignée de mon projet de fin d'études, lequel pourrait se résumer à une réflexion sur le régionalisme critique. Me voici donc parti pour le village de Thalgau (Salzbourg, Autriche), où j'intègre l'atelier sps-architekten, fondé par Simon Speigner.

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Gérant : Simon Speigner architecte , associé avec Dirk Obracay architecte Situation : Thalgau, Autriche Effectifs : 4 architectes, 3 dessinateurs, 1 secrétaire Domaine d'activité : marchés publics et privés : construction bois

Illustration 12 : sps-architekten, centrale hydro-électrique en bordure de rivière, Thalgau, 2010-2011 Illustration 13 : sps-architekten, bureaux de l'agence, Thalgau, 2014

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Avant d'en présenter les conséquences sur ma pratique d'architecte, trois raisons à ce choix : 1 - Se forger une culture architecturale phénoménologique. Après une année à l'université d'Architecture et de Construction d'Erevan, passée entre autres à étudier les églises arméniennes, je reprends à mon compte avec ces mots attribués à Laurie Baker, architecte anglais, pour qui "La beauté est en rapport avec la vérité. La pierre doit ressembler à de la pierre et une brique à une brique. Si nous utilisons les matériaux en fonction de leurs caractéristiques naturelles, le résultat est forcément beau." Les projets de l'agence sps-architekten (ill. 12 et 13) incarnent à mon sens cette dimension physique de l'architecture, qui à travers l'expressivité des matériaux, nous relie à l'Histoire d'un lieu, des hommes qui le construisent, au temps qui passe et laisse sa trace. Dans les pas d'un Zumthor, j'ai souhaité, à ma mesure, aller à la rencontre de cette école de pensée qui, partie des Grisons, a essaimé dans toute l'Europe centrale. 2- Transcender l'opposition urbain / rural, au-delà du rurbain. Ou la possibilité de faire architecture à la campagne sans recourir au mitage du paysage, intégrant un vocabulaire formel et constructif "rénové." (ill. 12, façade en tavaillons) 3- L'Architecture comme savoir-faire autonome. Ou la croyance dans le fait que l'architecte, artisan de l'espace, n'est pas un acteur interchangeable du processus de construction, en cela qu'il est le seul à adopter une posture synthétique du projet, intégrant en un tout cohérent les invariants d'une émotion architecturale : proportions, composition, espace, lumière et matérialité. Formulées de manière intuitive dans un premier temps, les raisons présentées ci-dessous se sont affinées au travers des divers projets travaillés, me permettant de forger progressivement une écriture architecturale plus personnelle. Sorte de "débourrage" d'un jeune architecte au sortir du cocon universitaire, tenir l'exigence chez sps-architekten a été pour moi l'apprentissage des points suivants : 1- Construire, c'est avant tout penser la manière de fonder un bâtiment, à la différence du cadre scolaire où le site est toujours une abstraction avec laquelle on peut s'arranger pour faire fonctionner un projet. Au travers du concours présenté ci-dessous (il. 14 et 15), l'importance de la topographie se rappelait à moi de manière pragmatique aidé en cela par le travail en maquette : accès au site, emplacement des stationnements, cheminements entre chaussée et seuil du bâtiment, cubage et coût du terrassement, soutènement du terrain... Le terrain devenant alors un matériau de construction comme un autre. 2- La simplicité est la sophistication suprême. Les permis de construire que j'ai pu déposer pour des particuliers (ill. 16 et 17) ont été l'occasion de comprendre la puissance de la composition comme outil premier de l'architecte. Confronté à un budget souvent très limité, l'architecte est contraint à en revenir à l'essence de son savoir-faire :

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Illustration 14 et 15: sps-architekten, concours pour la construction d'une école de musique jointe à une caserne de pompier, Neumarkt,-am-Wallersee, 2013. Volumes composés dans un travail topographique. Concours réalisé en tant que chef de projet.

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Illustration 16 et 17: sps-architekten, permis de construire pour une habitation, Neumarkt,-am-Wallersee, 2013. Volumes composĂŠs dans un travail topographique.

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la mise en proportion des espaces et des bâtiments les uns par rapport aux autres, dans une forme de politesse qui constitue au minimum syndical dû à la communauté pour laquelle il construit. 3- L'éternel retour du concret. Une première approche des études de projet et des carnets de détails m'a ensuite donné à comprendre l'incidence constructive bien réelle des choix de conception, la signification concrète de chaque trait dessiné. 4- Le point de vue de l'artisan. En participant au chantier des bureaux de l'agence sps-architekten (ill. 6), aux côté des charpentiers, je comprenais physiquement comment la forme architecturale était influencé par la mise en œuvre des matériaux. Ainsi la prolongation des planchers à l'extérieur des façades devait certes protéger du soleil et des intempéries, mais elle devait également permettre aux artisans de poser la façade en tavaillons, de l'entretenir dans les années à venir, d'assurer le nettoyage des fenêtres de grandes dimensions. Je considère cette première expérience chez sps-architekten comme une initiation à la réalité professionnelle du métier, dans des conditions certes très favorables. J'y ai trouvé une sensibilité architecturale qui me correspond et qui me suit encore aujourd'hui. Cela dit, et c'est le propre des agences qui atteignent la dizaine de salariés, il me manquait une vision globale de l'acte de construire, réservée aux principaux actionnaires de l'agence. Limité aux phases d'esquisse, il me manquait les compétences techniques que l'on développe en tant que chef de projet et sur chantier. Après un an et demi à Salzbourg, je décidai de poursuivre mon chemin en France et de passer l'habilitation. Mon choix s'arrêta alors sur un atelier qui me donnerait l'opportunité d'une vision plus globale du processus constructif. 3.1.2) Atelier d'Architecture Choron-Pellicier Gérant : Véronique Choron-Pellicier Situation : Aime, Savoie Effectifs : 2 architectes, 1 secrétaire Domaine d'activité : - marchés privés en neuf et rénovation écologique : habitation, hôtellerie - expertise judiciaire L'habilitation a été l'occasion de renforcer ma connaissance du métier en devenant chef de projet. J'ai ainsi compris qu'il était certes relativement facile de tenir l'exigence en phase d'esquisse, mais que pour en faire une réalité bâtie, il fallait avant tout tenir le reste : gagner en autonomie, savoir où trouver les informations, apprendre à mener plusieurs projets de front, gérer la simultanéité des artisans sur un chantier, tenir les délais, un budget, la satisfaction de son client sans sacrifier la sienne... Autant de compétences sur lesquelles j'ai pu travailler au contact de Véronique ChoronPellicier, qui a patiemment veillé à ce que je gagne en maturité dans tous les domaines, de l'esquisse à la réception. Le passage d'une grosse agence (8 personnes) à une agence réduite à l'essentiel (2 architectes) s'est révélé un choix adapté aux exigences de l'habilitation.

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Il m'a ainsi été donné de suivre les projet suivants (marchés privés) : - Habitation (rénovation) : > Réaménagement d'un appartement à Plagne-Villages, Macôt-la-Plagne : APS à AOR : petit projet mais complet, relation client, gestion financière et technique du chantier, gestion du planning et de la simultanéité des artisans dans un espace réduit, opérations de réception. > Reconstruction d'un chalet d'alpage, La Combe - Villette, Aime : DPC à AOR (hors VISA) > Rénovation d'une maison de village, Granier : PCG, DCE, PC MODIF > Rénovation d'une maison, Hautecour : APS à PCG - Habitation (construction) : > Construction d'un maison individuelle, Aime : APS au DPC > Construction d'un chalet, Bellentre : APS au PCG - Hôtellerie : > Construction d'un hôtel à Belle Plagne, Macôt-la-Plagne : PCG Confronté à la nécessité de mener trois ou quatre projets simultanément, il m'a fallu mettre en place les outils méthodologique adaptés à ma façon de travailler, afin de palier certaines faiblesses organisationnelles : - Assumer le rôle de chef d'orchestre de l'acte de bâtir, à savoir : > comprendre sa position vis-à-vis de la maîtrise d'ouvrage : représentant au près des entreprises, rôle du sachant et devoir de conseil, prestataire et non décideur quoique force de proposition et garant en dernier ressort de la qualité du projet. > questionner : chaque point du projet, éclaircir les zones d'ombre, bannir les tournures d'esprit telles que "ça ira, on verra plus tard, c'est provisoire" > anticiper la bonne marche du projet à chacune de ses étapes (veille) > maintenir un niveau de vigilance constant sur l'ensemble des projets en cours (procédure de suivi des projets) > synthétiser le travail de tous les corps de métier : ingénieur, thermiciens, artisans, économistes, maintenir la barre dans le flot d'informations > gérer un planning malgré les vents contraires > gérer un agenda - Communiquer de manière adéquate sur le projet : > identifier le destinataire : ne jamais perdre de vue que les informations transmises (plans, comptes-rendus, mails...) doivent être "traduites" dans la langue du destinataire, c'est-àdire ciblée sur ses préoccupations, en fonction de ses prérogatives, selon sa compétence technique et le cas échéant débarrassé de son jargon. > comprendre la logique de pensée propre à chaque corps de métier, afin de prévenir les conflits inhérents à l'acte de construire. > au sein de l'agence : assurer la lisibilité / traçabilité de son travail par ses collègues

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Illustration 18 : Atelier V. Choron-Pellicier, construction d'un complexe hôtelier, Belle Plagne, 2015 Plans de projet réalisés en 2015 durant ma HMONP, à partir d'un permis déposé en 2012.

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- Mettre en place une mémoire du projet : > collecter et trier les informations récoltées au fur et à mesure du projet : détails techniques, normes, législation, documents types, courriers, etc. - Gérer la constante pression du temps : > planning > agenda En tant qu'expert-architecte auprès des tribunaux, Véronique Choron-Pellicier m'a sensibilisé à la problématique de la responsabilité, notamment en m'offrant de suivre une formation d'une journée auprès du Conseil National des Experts-Architectes Français (CNEAF), intitulée "Tu es architecte ? Un jour où l'autre, tu seras assigné.", me permettant d'approfondir les notions abordées à l'ENSAL durant les cours de l'habilitation. L'encadrement ferme mais bienveillant de Mme Choron-Pellicier a eu pour effet d'accélérer ma progression grâce à un retour quotidien sur mon travail, dans une recherche constante d'optimisation et afin de me préparer au mieux à un travail en autonomie. Si "la force nait par la contrainte et meurt par liberté" (Léonard de Vinci), je ressors renforcé de cette expérience, canalisé dans mon travail, plus sûr de mes capacités (et des lacunes à combler), avec le sentiment gratifiant d'avoir passé un palier à la hauteur de ce que demandait l'habilitation. Il me reste maintenant à utiliser ces enseignements pour satisfaire cette soif d'exigence architecturale et concrétiser mon projet professionnel. 3.1.3) Formation intensive de menuisier-ébéniste La rénovation d'un appartement à Plagne-Villages, que j'ai eue le plaisir de mener en mission complète chez Véronique Choron-Pellicier, m'a renforcé dans l'idée qu'un jeune architecte peut gagner à acquérir une connaissance fine de la mise en œuvre des matériaux, en l'occurrence le bois. Il n'est pour autant pas question de confondre la nature des savoir-faire architectural et artisanal, pas plus que je ne souhaite changer de métier. J'ai plus haut insisté sur l'idée d'une architecture comme savoir-faire autonome, impliquant un apprentissage et des compétences qu'il n'est pas possible de puiser dans les métiers connexes de l'artisanat. Il faudrait sinon se former à l'ensemble des corps d'état avant de faire de l'architecture, travail de Sisyphe pour lequel une vie ne suffirait pas. A l'image de ces architectes, dont la finesse des détails constructifs reflète un apprentissage artisanal précédant celui de l'architecture (Nikolaus Bienefeld en étant un bon exemple), la formation intensive (d'une durée d'un an) à laquelle je postule a pour objet de renforcer ma capacité à projeter en détail, à formuler une exigence architecturale plus précise auprès des menuisiers, mais aussi de connaître les spécificités et le comportement d'un matériau dont l'utilisation constructive se répand chaque jour un peu plus. A cela s'ajoute bien sûr le plaisir de travailler un matériau vivant et facilement disponible. Avant même cela, je vois cette formation comme un atout pour de futures collaborations au sein d'ateliers d'architecture, puis à terme au sein de ma propre structure, la transversalité des expériences étant potentiellement une source de créativité pour le projet.

(14) SNOZZI Luigi, Projeter pour la ville, Leçon inaugurale à l'EPFL, op. cit. (15) SIZA Alvaro, Des mots de rien du tout, p. 73, éd. Publications de l'université de Saint-Etienne, 2002

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3.2) Filiation théorique La présentation de mon parcours, orienté sur la recherche de l'exigence, m'amène à présent à définir le socle théorique de mon regard sur l'architecture. Issue des lectures, séminaires et expériences professionnelles évoqués tout au long de ce mémoire, une filiation théorique s'est progressivement dessinée pour former un objet aujourd'hui tombé en désuétude, sorte de manifeste pompeusement inspiré des grands architectes qui nous ont précédés. Extraits choisis. 3.2.1) Aphorismes Ce qui se conçoit bien s'énonce clairement. Sur le modèle des aphorismes de Luigi Snozzi, un atelier d'architecture devrait commencer par rédiger sa propre table de commandements. "Tout a déjà été pensé, l'essentiel est d'y penser à nouveau" (Goethe) ; voici les pensées qui me reviennent à ce jour. 1- "Fuck context" n'est qu'un parenthèse historique. "Architecture située" est un pléonasme. "Quand tu projettes un sentier, une étable, une maison, un quartier : pense à la ville." L. Snozzi (14) 2- Dessiner une construction plutôt que construire un dessin. Soit, à l'instar d'Henri Bressler, une tendance personnelle à préférer l'école suisse à l'école française. Cette dernière ayant plutôt à voir avec le point de vue de Siza : "Je ne sais jamais quel matériau choisir. Les idées me viennent, immatérielles, lignes sur papier blanc." (15) 3- L'architecture peut résoudre ton projet, pas la technologie. Un ascenseur ne sera jamais un moyen spatialement satisfaisant, quoique parfois nécessaire, de franchir une différence de niveau. Applique-toi à l'envolée d'un escalier, au parcours d'une rampe et tu deviendras architecte. "Quel gaspillage d'énergie, quelle dépense pour aérer, chauffer, éclairer... Lorsqu'il suffit d'une fenêtre !" L. Snozzi (14) 4- Si tu crois que l'architecture est un jeu de volumes sous la lumière, n'en délègue pas la structure à l'ingénieur. La lumière détermine la perception qualitative d'un espace ; la structure détermine la manière dont un bâtiment absorbe la lumière. C'est donc l'approche structurelle du projet qui détermine en premier lieu la qualité architecturale, une esquisse commençant par le choix d'un système porteur, d'une logique structurelle. Cela conditionne tout le reste. "... Mais par-dessus tout : la lumière !" L. Snozzi (14) 5- Départager maçon et charpentier. Sur les traces de Gottfried Semper puis de Kenneth Frempton, Andrea Deplazes et Christoph Wieser définissent deux origines structurelles à l'architecture : construction filigrane (la cabane, la tente) renvoyant au vocabulaire tectonique du charpentier (assemblage d'éléments linéaires,

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résistance à la traction) et construction massive (murs, résistance à la compression) renvoyant au vocabulaire du tailleur et du maçon (empilement, stéréotomie, percements). Outil d'analyse historique, cette distinction entre tectonique et stéréotomie est rarement clairement établie pour un même bâtiment, particulièrement à notre époque de sophistication extrême des techniques constructives. Rester conscient que ces deux logiques, en tout temps et en tout lieu, s'opposent ou se complètent, à tout le moins sous-tendent l'architecture ; comprendre les choix qui en découlent pour le projet d'architecture. 6- Pérennité, ce "rempart contre le temps qui passe et le caractère éphémère de nos vies surmédiatisées." (15) Soit la recherche de la longue durée dans toutes ses dimensions : technique (qualité de la construction, durabilité des détails constructifs), culturelle et historique (expression d'une communauté dans un lieu et dans une temporalité, insertion dans une tradition renouvelée). Une quête de sens dans un monde de déracinés, soit l'impérieux besoin de renouer avec l'Histoire : "Qu'y a-t-il de nouveau aujourd'hui par rapport à hier ? La réponse réside dans une sorte d'indifférence à la question du temps qui passe et des générations futures. Il ne s'agit plus de vaincre le temps et, au travers de cette quête, d'esquisser les conditions de possibilité de l'Histoire en laissant des traces déchiffrables par d'autres. Le défi du temps n'est pas relevé. Tout se passe comme si la question de l'avenir ne se posait plus.[...] Tout se passe comme si l'architecture rejoignait l'ingénierie dans son indifférence fondamentale à l'égard du temps, de la mémoire et de l'Histoire." (16) 7- Ne rends pas le monde plus illisible qu'il ne l'est. Apporte-lui de la clarté, trouve-lui un ordre. Le linteau exprime clairement une fonction que chacun est capable de percevoir. Il exprime le sens des éléments porteurs et portés, en même temps que dans un langage accessible à un enfant, il dispense -l'air de rien- une première leçon de résistance des matériaux. "La principale oppression aujourd'hui est de rendre le monde illisible et c'est en simplifiant le monde que l'on a une chance de le comprendre et, par conséquent, de le transformer." (17) 8- Il parait que la recherche du Beau et du Vrai est dépassée. Mais par qui, par quoi ? Le dévoiement de la pensée de Duchamp a pu faire croire à la fin des valeurs "classiques" (c'est-àdire intemporelles) que sont la recherche du Beau et du Vrai. Désignées comme réactionnaires, qu'avaient-elles de plus à offrir que la valeur suprême du Capitalisme ? Aidé en cela par un développement technologique sans précédent, ce dernier avançait alors aux cris de "pourquoi pas ?", puisque désormais tout est (techniquement) possible. Pourquoi pas le blob ? Pourquoi pas concevoir un musée à partir d'une feuille de papier froissé ? Ce mémoire apporte une réponse toute personnelle à ces questions.

(15) KENNIHAN Ryan, Our practice philosophy, op. cit. (16) Antoine Pico, La structure, l'ornement et le temps, in Le Visiteur, p. 123-130, n°19 - novembre 2013 (17) BADIOU Alain, cité par Bernard Quirot, in Matière à penser, brochure du séminaire 2015 (18) Superural, l'expérience de Simon Teyssou dans le Cantal, in d'A, n°232, p.65

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3.2.2) Atelier d'architecture Simon Teyssou Outre l'influence d'un Simon Speigner, d'un Bernard Quirot, d'un Boris Bouchet ou des frères Janin dans la formation de mon corpus théorique, la démarche de Simon Teyssou me semblait pouvoir apporter de l'eau au moulin de ce mémoire, bien qu'elle me soit à première vue moins familière. Je m'y suis donc intéressé de plus près et voici ce que j'en retiens qui pourrait servir mon propre atelier (contexte similaire des Monts du Lyonnais) : - "Le projet ne précède plus le réel, il vient en même temps, colle aux opportunités de financement, s'adapte, active les filières de construction, anticipe et stimule un programme." (19) (idem Avenir Radieux, cf. 2.3.3). - L'architecture comme service de proximité, service public, de par la polyvalence des programmes à traiter : espace public (place du village), maison privée, école... Devenir le spécialiste d'un territoire que plutôt que d'un type de bâtiment.

3.3) Un projet local dans les Monts du Lyonnais Je me suis jusqu'à présent attaché à décrire comment mes expériences professionnelle ont permis de mettre en pratique et d'approfondir les conditions techniques nécessaires à la tenue d'une exigence théorique. S'en est suivi une clarification des fondements qui sous-tendent ma pensée architecturale, sorte de boussole indiquant le nord dans le brouillard théorique contemporain. Il me reste à formuler la façon dont l'ensemble s'inscrit dans un projet professionnel capable de rendre possible une intention. 3.3.1) Un territoire à redécouvrir _Situation et enjeux Situés entre Lyon et Saint-Etienne, les Monts du Lyonnais recouvrent un territoire de basse montagne sur les contreforts du Massif Central, bordé par la plaine du Forez à l'ouest, la vallée du Gier au sud et la vallée du Rhône à l'est. Territoire encore essentiellement agricole, sa situation de campagne prise entre deux métropoles en fait une région exposée à la rurbanisation ; les citadins, dont je fais initialement partie, y trouvant là les avantages d'une vie rurale sans les inconvénients de l'isolement. _Problématique personnelle C'est dans ce contexte que j'ai grandi et avec lequel j'aurai à travailler en y créant un atelier d'architecture.

(19) Superural, l'expérience de Simon Teyssou dans le Cantal, in d'A, n°232, p.65

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3.3.2) aps-architectes _Naissance d'un projet collectif La collaboration avec Sendyl Apavou, double-cursus ingénieur/architecte, lors du projet de fin d'études à l'ENSA de Lyon (ill. 20 et 21), a été une découverte aussi inattendue que fructueuse. Le sujet choisi en binôme portait sur un projet urbain et architectural pour la ville de Djermouk (Arménie), région rurale au tourisme thermal déclinant. Confrontés à la problématique du rapport ville/campagne, la proposition que nous faisions alors sonne a posteriori comme une invitation à poursuivre la réflexion en région lyonnaise, à savoir : - définir le genius loci, dont la composante agricole structurée autours d'un archipel de villages. Comprendre le lieu comme préalable et matière du projet. - constituer un réseau d'artisans ayant une connaissance précise du territoire. Inscription consciente (et non subie) du projet d'architecture dans son contexte culturel, social et économique. - identifier les savoir-faire constructifs locaux (tradition du pisé, stéréotomie...) - s'assurer des ponts avec la vie intellectuelle urbaine via la formation continue : organiser des séminaires, voyages, conférences, importance de la lecture, évolutions des techniques constructive... - se couper de la vie intellectuelle urbaine pour se recentrer sur les spécificités du lieu : se méfier des modes, d'une conception de l'architecture centrée sur la recherche de l'étonnant / de la nouveauté. - l'architecte n'est pas un artiste : obligation morale et pratique de justifier ses choix esthétiques en rapport avec les dimensions économique, technique et culturelle du projet (vs snobisme). A partir d'une réflexion sur un contexte local arménien, en extraire des problématiques universelles transposables dans un contexte français. Inspiré d'André Ravéreau, ce travail d'allers-retours a fait naître l'envie d'un projet professionnel commun à la campagne, partant du lieu de mon enfance pour les raisons suivantes : - connaissance du contexte architectural, géographique, historique, social et économique. - réseau local d'architectes - réseaux local agricole : connaissance du milieu et des conditions de production - se forger une expérience du projet architectural en milieu rural - marché saturé en contexte urbain - filiation théorique suisse : sentiment d'être proche d'une façon de vivre et de penser formée par la ruralité. _L'union fait la force Dans un contexte de fragilisation de la profession (remise en cause par les instances européennes de la loi MOP dans son rapport à la maîtrise d'œuvre, suppression envisagée de la procédure du concours, libéralisation de la profession...) et de baisse de la commande publique, il apparaît

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Illustration 19 et 20 : PSALTOPOULOS Benjamin et APAVOU Sendyl, Projet de FIn d'Etudes - un projet local à Djermouk, rénovation du centre culturel, Arménie, 2012

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parfois délicat pour un jeune atelier de se faire une place en marché public. Pour palier cela, on observe tous azimuts des tentatives pour acquérir de nouvelles compétences à faire valoir auprès des maîtres d'ouvrage (urbanisme, paysagisme, économie du projet...) S'installer seul à son compte n'est plus une solution aussi évidente pour un architecte qu'elle pouvait l'être pour nos aînés. Mes lectures, accompagnées des discussions à ce sujet avec ma tutrice Véronique ChoronPellicier, m'auront convaincues de l'intérêt de trouver un ou plusieurs partenaires, architectes ou non, avec qui fonder un projet professionnel qui prenne en compte les changements survenus dans l'exercice de notre métier : - marginalisation des micros-agences dans les appels d'offre publics au profit de structures pluridisciplinaires - réduction des budgets alloués en marchés publics et privés - rationalisation toujours plus grande des coûts de construction (préfabrication) - nécessité toujours plus forte d'intégrer dès la conception les données techniques du projet : réglementation thermique, précision accrue de l'estimation financière, constante évolution des techniques constructives - ajouts de compétences / taches dévolues à la maîtrise d'œuvre : arrivée du BIM A ces raisons s'ajoute l'impossibilité d'être au four et au moulin, l'aspect stimulant qu'il peut y avoir à travailler en équipe, à traverser ensemble les joies et difficultés du métier. Ainsi est née l'idée de rassembler un ingénieur-architecte (Sendyl Apavou) et un architecte (moi-même) au sein d'un atelier (aps-architectes), l'un et l'autre apportant au pot commun les compétences professionnelles acquises depuis l'obtention du diplôme : - Sendyl Apavou : assistance à la maitrise d'ouvrage pour l'AEFE (Maroc). Ordonnancement, pilotage et coordination (Ile de France). Missions de maitrise d'œuvre. - Benjamin Psaltopoulos : architecte chef de projet en marchés privés : hôtellerie, particuliers, neuf et rénovation (Savoie). Concours d'architecture en marchés publics (Salzburg, Autriche). La base de l'atelier étant constituée, elle pourrait se voir enrichie par d'autres associés qui partageraient une même vision de l'architecture, dans un projet professionnel à affiner : forme juridique à définir (SARL ou SCOP par exemple), accès à la commande (privée ou publique), détermination des marchés ciblés (niche ou grand public), etc. Boris Bouchet, Rémi et Pierre Janin, Sylvain Tesson ou Bernard Quirot (association Avenir Radieux) ouvrent à ce sujet des perspectives qui sont indubitablement pour nous des sources d'inspiration, notamment lorsqu'ils posent la question de comment bâtir à la campagne, de la manière dont on peut aujourd'hui comprendre cette problématique. Voyons à présent ce qu'elle impliquerait pour aps-architectes.

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3.3.3) Bâtir à la campagne _Quelle campagne ? Contexte Les monts du lyonnais, en tant que territoire de moyenne montagne proche des agglomérations de Saint-Etienne et de Lyon, sont soumis à une pression foncière grandissante. Ils demeurent cependant un paysage rural pour 92% de leur surface. (20) La très faible densité (5 logements par ha) de la région s'explique par : - une géographie vallonnée qui est historiquement à l'origine de cet archipel de villages et hameaux - le développement de l'habitat pavillonnaire. L'urbanisation des terres agricoles, une fois réalisée, est irréversible, du moins à moyen terme. En tant qu'architectes, nous avons donc une responsabilité dans le choix de nos projets (enjeux urbanistiques et paysagers de la réhabilitation) et le travail de sensibilisation auprès des responsables politiques (notamment les mairies), de nos clients (particuliers), quant aux conséquences de la rurbanisation : - pression foncière sur les agriculteurs - incitation au mitage du paysage (valeur financière des terres agricoles inférieure à celle des terrains constructibles) - nuisances environnementales - effacement de la distinction ville / campagne, au profit de la ville diffuse. Ici comme ailleurs, se fait donc sentir la nécessité de densifier dans et autour des villages, ce qui certes ne dépend pas prioritairement des architectes. Il est bon néanmoins de garder ce diagnostic à l'esprit pour, le cas échéant, faire comprendre la situation à nos partenaires ou clients, et ainsi assumer notre part de responsabilité dans la fabrication du paysage. _Quels acteurs ? Accès à la commande Au terme d'agriculteur, nous préférons celui de paysan, en ce qu'il rend mieux hommage à celui qui fabrique le pays. S'installer dans les Monts du Lyonnais impose donc de prendre en compte la dimension essentiellement agricole de l'activité économique. En ce sens, l'expérience des architectes Rémi et Pierre Janin (Fabrique-ap) non loin d'ici et dans un contexte similaire, nous semble révélatrice des liens que nous pourrions créer entre architecture et paysannerie. L'étude du SCOT Monts du Lyonnais (20) souligne par exemple les besoins concernant le logement des travailleurs saisonniers dans les hameaux, ainsi que les possibilités de rénovation des bourgs pour les paysans à la retraite souhaitant se rapprocher de la vie du village. Il en ressort également le besoin de mutualisation des moyens de production (bâtiments de stockage, de transformation et de commercialisation des produits agricoles) pour lequel notre atelier d'architecture pourrait être sollicité.

(20) SCOT Monts du Lyonnais, Analyse de la consommation d’espaces naturels, agricoles et forestiers au cours des dix dernières années, p.2, août 2015 : http://www.monts-du-lyonnais.fr/ged/analconsofonc-2015-08-27.pdf

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_Quels savoir-faire ? La création d'un réseau local en lien avec le monde paysan peut constituer à terme un savoir-faire propre à l'agence, sur lequel s'appuyer pour postuler à des appels d'offres privés (particuliers) et publics (INRA, municipalités...) La promotion des techniques constructives locales dans nos projets (pierre, pisé) est également une voie de recherche qui ouvrirait des perspectives architecturales passionnantes. Enfin, last but not least, il existe un besoin criant de sensibiliser les élus à la nécessité de repenser les choix urbanistiques dégradant chaque jour un peu plus la qualité paysagère de la région. On pensera à ce sujet au travail exemplaire de l'association Avenir Radieux (architecte Bernard Quirot, Haute-Saône), qui a mis en place une activité de conseil à destination des collectivités et particuliers, afin de redonner une cohérence territoriale à un développement urbain hors de contrôle. L'architecture comme force de proposition.

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CONCLUSION Comment tenir l'exigence ? A partir d'une réflexion sur le trajet parcouru, ce mémoire aura été l'occasion de remettre de l'ordre parmi les questions du jeune architecte que je suis. En extraire la question qui les résume toutes : comment tenir une exigence d'architecture ? Tandis que tout nous porte à baisser les bras en cours de route, certains parviennent malgré les vents contraires à recréer ce petit miracle que l'on appelle architecture. Y aurait-il alors une recette pour faire de la "belle architecture" ? La question, aussi absurde qu'illusoire, n'a pas été ici posée en ces termes. Il s'agissait au contraire de rechercher les facteurs clefs qui, associés au talents individuels, relient les agences les plus diverses dans une même recherche d'exigence architecturale. Soit en définitive, la maîtrise concordante des facteurs théorique (Qui suis-je ? Où vais-je ?), technique (savoir-faire, ensemble des compétences nécessaires au projet) et relationnel (le réseau). Cette distinction tripartite traverse l'ensemble du mémoire, puisqu'il est effectivement difficile d'atteindre un but sans se fixer un cap (rôle de la théorie dans le projet d'architecture), puisqu'un beau projet est avant tout bien construit (dans un lieu, dans une culture, dans les temps et dans un budget), puisque jusqu'à présent, seules les écoles ont jamais permis de concevoir un projet sans client (question de l'accès à la commande). Point de vue adopté et perspectives Pour clarifier ma démarche il aura d'abord fallu expliquer ce qui, dans mon parcours, a fait naître la question de la réalisation d'une exigence. Issue d'une remise en cause du relativisme contemporain (tout se vaut, pourquoi pas, on ne sait pas ce qu'est l'archi), cette réflexion m'a conduit à décrire le rôle de mon expérience autrichienne dans la mise en place d'une écriture architecturale personnelle. Ryan Kennihan, Bernard Quirot ou Simon Speigner ayant indirectement aidé à définir ce bagage théorique personnel. L'habilitation m'a ensuite conduit en Savoie, dans l'atelier de Véronique Choron-Pellicier, où il m'a été donnée l'occasion de renforcer le bagage technique nécessaire à la construction d'une idée architecturale ; la gestion de chantiers a en ce sens été une étape majeure de cette mise en situation professionnelle. Ce travail d'écriture, dont la finalité n'était pas le seul plaisir de la masturbation intellectuelle, a eu pour objectif et comme résultat effectif la clarification du projet professionnel lié à l'habilitation. Le projet de créer un atelier d'architecture dans les Monts du Lyonnais prend ainsi en compte les conditions de l'exigence décrites au long de ce mémoire. Il ne s'agit pas bien sûr d'un "manuel du bon architecte", mais plutôt d'une base de réflexion pour essayer de conscientiser le quoi et le comment de ma démarche. Les leçons de ce mémoire La première partie du mémoire a été l'occasion d'une réflexion sur la formation au métier d'architecte, que les instances européennes, via les écoles et leur ministère, ont choisi de mettre de côté au profit de l'enseignement de l'architecture. Distinction qui me semble fondamentale si

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l'on veut combler, à un niveau personnel, les lacunes induites par cette évolution de l'enseignement. Celles-ci n'étant pas à imputer au personnel enseignant, qui est globalement en France de bonne qualité (l'Arménie m'a permis de le confirmer), mais plutôt à des décisions économiques prises de manière pyramidale, pour servir des intérêts divergents du bien commun. Pour palier cela et en attendant d'hypothétiques réformes, la lecture a constitué un moyen de formation critique incontournable, au même titre que les séminaires, stages et voyages, c'est-à-dire tout ce qui relève d'une envie personnelle de progresser. L'apport du régionalisme critique étant ainsi une résultante essentielle de cette démarche. Autre leçon issue du mémoire, la nécessité de repenser les formes d'organisation des ateliers d'architecture, le modèle de l'architecte seul dans son atelier étant de plus en plus difficile à tenir. SARL, SCOP, groupements architectes-ingénieurs-thermiciens, se répandent pour continuer à exister malgré le durcissement d'une économie toujours plus libérale. A cela s'ajoute le besoin de repenser l'accès à la commande dans un contexte de contraction de la commande publique. L'exemple de l'association Avenir Radieux, fondée par l'architecte Bernard Quirot, a ainsi été présenté comme une source d'inspiration cohérente pour le contexte des Monts du Lyonnais. Si, pour paraphraser Maurice Lemaître, la seule critique définitive est l'action, il est temps de refermer ce chapitre pour en ouvrir un autre, le seuil qui vaille... en trois dimensions !

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BIBLIOGRAPHIE LIVRES _DEPLAZES Andrea (sous la direction de), Construire l'architecture, du matériau brut à l'édifice, un manuel, Birkhäuser, 2008 _AICHER Florian, BREUSS Renate, eigen und sinnig, der werkraum bregenzerald als modell für ein neues Handwerk (unique et sensé, le werkraum bregenzerwald comme modèle pour un nouvel artisanat), oekom verlag, 2005 _RAVEREAU André, Du local à l'universel, Editions du Linteau, 2007 _PERRAUDIN Gilles, Monographie, Entretien - dialogue sous une palme, Les presses du réel, 2012 _MAGNAGHI Alberto, Le projet local, Mardaga, 2003 REVUES _Quel avenir pour l'architecture publique ? in d'architectures, p.16, n°234 _Promesses et menaces de la maquette numérique, in d'architectures, n°231 _Soutenabilité spatiale, soutenabilité sociale, in d'architectures, p.34, n°231 _L'architecture à la campagne, d'architectures n°211 _L'architecture pour tous ?, d'architectures n°237 PDF Enseignement de l'architecture : _ FELTESSE Vincent, Concertation sur l’enseignement supérieur et la recherche en architecture : Rapport à Madame la ministre de la culture et de la communication, 2013 http://www.lyon.archi.fr/_pdf/concertation01_rapport.pdf Les architectes ont la parole : _KENNIHAN Ryan, Our practice philosophy (la philosophie de notre atelier), http://rwka.com/philosophy _VAN DER LAAN, Dom, Approche et découvertes de Van der Laan, http://www.vanderlaanstichting.nl/en/domhansvanderlaan/approachanddiscoveries _CROSET Pierre-Alain, L'architecture comme modification, in Casabella, n°498-499, 1984 _SNOZZI Luigi, Projeter pour la ville _Roger Diener's advice for young architects https://www.youtube.com/watch?v=uen5oKnBMmw _QUIROT Bernard, Pour une architecture tectonique, http://www.quirotassocies.com/html/cat-items/conferences-et-textes _QUIROT Bernard, Le point de vue d'un architecte, http://www.quirotassocies.com/html/cat-items/conferences-et-textes _QUIROT Bernard, HQE et/ou HQA, http://www.quirotassocies.com/html/cat-items/conferences-et-textes

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_BAKER Laurie, Architectural principles, http://lauriebaker.net/index.php/work/bakers-architectural-principles _FABRIQUE-AP : Quand l'agriculture se ressaisit du paysage, in Banc Public, n°9, décembre 2013 http://3.bp.blogspot.com/b3k0_GPFGuU/UsvWMz5nEUI/AAAAAAAAADk/QQB69CsIYYo/s1600/banCpubliC_09.jpg Monts du Lyonnais : _SCHEMA DE COHERENCE TERRITORIALE DES MONTS DU LYONNAIS, Analyse de la consommation d’espaces naturels, agricoles et forestiers au cours des dix dernières années, 2015 : http://www.monts-du-lyonnais.fr/ged/analconsofonc-2015-08-27.pdf _SCHEMA DE COHERENCE TERRITORIALE DES MONTS DU LYONNAIS, Diagnostic paysager, 2013, http://www.monts-du-lyonnais.fr/ged/diag-paysager-final-2013-light.pdf _ La pression foncière urbaine sur les espaces agricoles et naturels en Rhône-Alpes, in Les Cahiers de l'Observatoire Régional de l'Habitat et du Logement, n°14, novembre 2008 _CHAMBRES D'AGRICULTURE DE LA LOIRE ET DU RHONE, Diagnostic agricole sur le territoire des Monts du Lyonnais, 2006 : http://www.urbalyon.org/AffichePDF/Diagnostic_agricole_du_territoire_des_Monts_du_Lyonnais3526 Autres : _TOMMASINI Olivier, Analyse de l’évolution comparée des prix et des coûts dans le bâtiment Préconisations en matière de simplifications règlementaires, FFB, 2013 : http://www.btp87.ffbatiment.fr/Files/pub/Fede_D87/DEP_ACTUALITE_5710/33c79d7e96ef4b20be 6e1323ea7deefe/PJ/rapport-preconisations-simplifications-reglementaires.pdf _SENAT.FR, La profession d'architecte : la crise d'une profession réglementée : http://www.senat.fr/rap/r04-064/r04-0643.html

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TABLES DES ILLUSTRATIONS Illustrations 1 et 2 : Carnet arméniens, Benjamin Psaltopoulos, 2010 Illustration 3 : VACCHINI Livio, Place du soleil, 1999. Source : auteur Illustration 4 : GALFETTI Aurelio, Rénovation du Castelgrande, Bellinzona, 1989. Source : auteur Illustration 5 : VACCHINI Livio, Bibliothèque du campus universitaire, Lugano. Source : auteur Illustration 6 : sps-architekten, bureaux de l'agence en construction, 2013, Thalgau (Autriche). Source : sps-architekten Illustration 7 : sps-architekten, concours pour la construction d'une école de musique jointe à une caserne de pompier. Source : sps-architekten Illustration 8 : Groupe du séminaire de projet, Pesmes, 2015. Source : www.avenirradieux.fr Illustration 9 : Plan masse, projet de B. Psaltopoulos, M. Laterza et M. Chesney. Source : auteur Illustration 10 : TEYSSOU Simon, habitation, Boussac, 2015. Source : www.atelierarchitecture.fr Illustration 11 : TEYSSOU Simon, requalification des espaces publics, Chaliers, 2015. Source : www.atelierarchitecture.fr Illustration 12 : sps-architekten, centrale hydro-électrique en bordure de rivière, Thalgau, 20102011. Source : www.oh456.fr Illustration 13 : sps-architekten, bureaux de l'agence, Thalgau, 2014. Source : www.oh456.fr Illustration 14 et 15 : sps-architekten, concours pour la construction d'une école de musique jointe à une caserne de pompier, Neumarkt,-am-Wallersee, 2013. Source : sps-architekten Illustration 16 et 17: sps-architekten, maquette et façade d'une habitation, Neumarkt,-amWallersee, 2013. Source : sps-architekten Illustration 18 : Atelier V. Choron-Pellicier, construction d'un complexe hôtelier, Belle Plagne, 2015. Source : V. Choron-Pellicier Illustration 19 et 20 : PSALTOPOULOS Benjamin et APAVOU Sendyl, Projet de FIn d'Etudes - un projet local à Djermouk, rénovation du centre culturel, Arménie, 2012. Source : auteur

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ANNEXES

RYAN W. KENNIHAN traduit de l'anglais par Cécile Psaltopoulos

NOTRE PHILOSOPHIE ARCHITECTES Notre atelier a pour but de construire une architecture qui résiste au passage du temps et qui, du point de vue de son usage, de son aspect, de l’expérience qui en est faite, soit éternelle. Nous créons des bâtiments dont le caractère et la beauté ne s'expliquent que par la présence d'une philosophie sous-jacente robuste, un socle de convictions fermement tenues - prérequis nécessaire à une architecture qui puisse faire sens. Ce travail est traversé par un certain nombre de thématiques qui réunissent à la fois les dimensions philosophiques et techniques de l’architecture et qui, posant ainsi les fondements pour la conception et la construction des bâtiments, constituent une contribution durable à la qualité de vie de nos clients et de leurs communautés. PERENNITE Au cœur de notre travail, la pérennité est cette qualité que l’humanité recherche et admire dans ces réalisations, ces villes qui perdurent. Celles-ci constituent un rempart contre le passage du temps et le caractère éphémère de nos vies surmédiatisées. Mais l’ambition de construire des bâtiments qui s'inscrivent dans la durée a presque disparu au cours du siècle passé. Au-delà de la perte significative que ce changement a causé pour l'expérience humaine, cela a eu de terribles conséquences sur l'environnement. Selon les estimations de l’OCDE, un tiers de la consommation d’énergie et un tiers des déchets dans les pays industrialisés viennent de la construction et de la démolition des bâtiments. Il devient alors évident qu'un bâtiment soutenable est avant tout durable. Nos réalisations tentent de combler ce désir d'éternité profondément ancré dans l'être humain en proposant une durabilité à long terme. Construire la pérennité sous-tend un champ très large de connaissances, de compétences et d’expertise. Nos bâtiments sont le fruit d’un mode de construction durable et d’une conception fine des détails, mais il est tout aussi important que notre architecture soit fondée sur des principes architecturaux respectueux des idées et traditions incarnées dans des bâtiments qui ont eux-mêmes perduré. Un bâtiment ne peut survivre que s'il est valorisé par ses utilisateurs et sa communauté. Ainsi nous entamons le travail de conception par une mise à distance qui consiste en une

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compréhension intime de la culture locale, des traditions et de l'histoire de l'architecture, en vue d'atteindre une esthétique intemporelle qui puisse, d'une génération à l'autre, être valorisée par ses habitants. Lorsqu'il s'agit de construire un bâtiment, il nous semble fondamental de s'intéresser à la question de sa forme et de son usage et en conséquence, d'acquérir une compréhension minutieuse des aspects techniques et matériels de l’architecture. Nous apprécions l'architecture qui s'exprime par sa structure, par sa construction. Faire une architecture de qualité, c'est avant tout bien construire. Se concentrer sur cet objectif de pérennité dans nos bâtiments assure notre dévouement à une constante expansion et consolidation de notre expertise dans la construction durable et les stratégies de qualité et maintenance associées. STRUCTURE ET CARACTERE La structure est une « condition permanente » à laquelle l’architecture se réfère pour exister. Par conséquent, la structure n’est pas, selon nous, la simple rétribution du rôle de l’ingénieur. C'est au contraire l’opportunité d'une architecture dont la particularité serait de nous parler directement de cette vérité de construction immuable. Nous sommes convaincus par l’expérience de cette vérité et le potentiel qu’a la structure à communiquer un sentiment d’immédiat, d’intemporalité, ce caractère inéluctable de nos bâtiments et de nos espaces. Les espaces créent un riche dialogues entre le singulier et le nombre, la ligne et le motif lorsque l'on peut associer une structure limpide à une architecture qui exprime sa construction. La personnalité de nos espaces est définie par cette expression tectonique de couches. La lisibilité du bâtiment, ce qui le fait tenir comme son rendu final, sont atteint lorsque l'on évite la création de formes vides. Nous cherchons une connexion directe entre la structure, la forme et le lieu. Structure, matériau et environnement sont également des « conditions permanentes » essentielles et emblématique de chaque paysage. Nos bâtiments répondent à ces conditions qui les connectent à la nature du lieu grâce à l'utilisation de ses matériaux d’origines et traditions constructives. En explorant et en construisant à partir de matériaux locaux et de stratégies structurelles, nos bâtiments sont en mesure d’être uniques et à la fois pleinement issu de leur lieu - contemporains et pourtant intemporels.

FORME ET CULTURE L’architecture est un acte culturel. Nous croyons qu’il y a deux types de culture, chacune avec des valeurs et des objectifs différents. La première naît d’une quête constante de nouveauté et la seconde nait d’une interaction directe entre tradition et histoire. Le premier type développe une culture de masse, ou culture « pop », mais également la culture de l'Avant Garde avec sa perpétuelle recherche de nouveauté et ses innovations. Dans le second type, la culture a été héritée, développée et transmise. Vient alors à l'esprit la musique traditionnelle irlandaise, les

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constructions de bois de Norvège ou les Carpates, la fabrication traditionnelle de vin en Bourgogne, etc. Dans ce cas, la culture a été créée par partenariats au fil des générations et émerge des traditions (qui ne sont pas fixes). C'est ce modèle de culture qui nous fait voyager et traverser le monde, expérimenter toutes ces différentes manifestations culturelles. C'est la “culture” qui a fait Venise, Bruges, Angkor ou la Nouvelle-Orléans. Et c'est précisément ce type de culture que la culture de masse détériore en élevant sans cesse la culture de l'innovation au-dessus d'une culture de tradition. Nous choisissons de soutenir et d'agir au sein de cette dernière définition selon laquelle notre place d'architecte fait partie intégrante d'une continuité d'idées et d'actions créatrices de cultures locales. Notre désir de créer quelque chose de novateur doit ainsi nécessairement laisser la place au potentiel majeur d'un travail qui soit destiné à la communauté et à son identité culturelle sousjacente. Notre architecture s'engage directement auprès des formes et typologies latentes et persistantes d'un contexte donné, qu'il s'agisse d'une ferme irlandaise ou d'une mairie italienne médiévale. Nous croyons qu'en traitant directement avec les formes/genres locaux, nos structures peuvent atteindre des qualités émotives plus immédiates et convaincantes qu'il n'est possible d'en voir naître avec une architecture fondée sur l'abstraction ou l'ambition de créer un choc ou une différence. Afin de préserver et d'utiliser le pouvoir latent de cette culture de la construction locale de manière contemporaine, les bâtiments explorent les matériaux bruts. Notre intérêt pour des méthodes historiques de savoir-faire et de structuration dévoile souvent des vérités matérielles ou des principes universels qui sont intemporels et peuvent avoir de très fortes conséquences sur la nouvelle architecture. Nous avons tendance à suivre la conseil d'Adolf Loos lorsqu'il écrivit : “Ne craint pas d'être qualifié d'archaïque. Changer une méthode ancienne de construction est acceptable si, et seulement si cela permet des améliorations. Dans le cas contraire, conserve tes vieilles manières. Car la vérité, même lorsque qu'elle date de plusieurs centaines d'années, conserve un intérêt intrinsèque supérieur au mensonge qui marchent à nos côtés.” Adolf Loos, 1913.

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