Perfide albion

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H O R L O GER IE A N CIEN N E

‘Perfide Albion’ Deux anecdotes du voyage du duc Englebert-Louis d’Arenberg à Londres en 1782 par Bernard Roobaert CRTD - ARB

Fig. 1 : Le Duc aveugle LouisEnglebert d’Arenberg. © Archives et Centre Culturel Arenberg, Enghien

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Horlogerie Ancienne

Introduction (1)

L

duc Louis-Englebert d’Arenberg (Bruxelles 1750 – Bruxelles 1820) est un représentant éminent d’une des plus grandes familles nobles d’Europe (2). Il est plus connu sous le nom de « Duc aveugle » à cause de l’accident de chasse de septembre 1775 dans le parc d’Enghien, qui le rendit aveugle et mit un terme à ses activités politiques. Sa cécité n’empêcha cependant pas le duc de s’intéresser aux Lumières. Il constitua une bibliothèque considérable avec des ouvrages récents , encouragea les sciences et les arts, fut le protecteur de l’Université de Louvain et de savants tels que JeanHyacinthe Magellan , soutint le théâtre et l’opéra à Bruxelles, et fit de nombreux voyages. Grâce aux archives considérables de la famille, à Bruxelles, Louvain et Enghien, il est possible d’étudier de nombreux aspects d’une personnalité aussi fascinante qu’attachante.

Fig. 1a : Konventionsthaler, 1785, argent. (c) Archives et Centre Culturel Arenberg, Enghien».

e

Le voyage à Londres en 1782 Le récit du voyage du duc à Londres a été consigné par son secrétaire sous la dictée du Duc. Il s’agit d’un document fascinant, qui s’intéresse jusqu’aux moindres détails de l’équipée, et ce compris le prix et la quantité d’huîtres de Douvres dégustées un soir au dîner…

Au voleur (1) Le Duc loge au Royal Hôtel, à deux pas de Saint-James Palace, où il ira d’ailleurs rendre une visite privée au Roi. L’ouvrage de référence sur ce personnage est M. DEREZ (réd.), De blinde hertog. Louis Engelbert van Arenberg & zijn tijd 1750-1820, Crédit Communal, Bruxelles, 1996. (2) La famille est originaire du château d’Arenberg (district d’Ahrweiler, Rhénanie-Palatinat). Le premier représentant cité est Henri d’Arenberg, burggrave de Cologne en 1166. (3) Il se faisait faire la lecture par son secrétaire particulier pendant une heure chaque soir. (4) Nous reviendrons dans un autre article sur ce savant, qui fit construire de nombreux instruments et horloges : B. ROOBAERT, Une horloge astronomique de Jean-Hyacinthe Magellan pour le duc aveugle Louis-Englebert d’Arenberg, à paraître dans un prochain numéro « Horlogerie Ancienne ». (1)

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Petites histoires ! Il raconte une mésaventure qui lui arrive dans sa résidence. Après avoir relevé le fait que son épouse a failli se faire dévaliser en plein jour en pleine ville, il ajoute : « Pour moi, sans avoir eu de rencontre funeste, il m’en coûta ma grosse montre à mouvement perpétuel, à laquelle j’étais fort attaché, et qu’un amateur est venu décrocher à ma cheminée. » Malgré la promesse d’une récompense de 10 guinées, et l’arrestation d’une servante qu’on soupçonne, il ne récupérera pas sa précieuse pièce. On lui a pourtant assuré que l’objet n’avait pas de valeur en Angleterre… « une montre qui n’est pas faite en Angleterre, n’y est d’aucune valeur. »(5) A relever bien entendu, le détail qu’il s’agit d’une montre automatique, « à mouvement perpétuel ». C’est une mention fort ancienne et bien datée, mais nous n’en savons provisoirement rien de plus. Juste saiton par une quittance que le Duc avait acheté une montre au célèbre horloger liégeois Hubert Sarton : Reçu de Monseigneur le Duc d’Arenberg quatre louis pour l’échange d’une montre en or répétition et réveil que je lui vend vingt louis Liège ce 4 mai 1803 Sarton (6)

Fig. 2 : Vue du théâtre de Sadler’s Wells en 1792

Aux voleurs (2) Le récit de voyage à Londres comporte une deuxième anecdote relative à l’horlogerie, qui est exemplaire de la situation britannique… en pleine paix. Le Duc était accompagné d’un de ses frères puînés, Louis (1757-1795). Celui-ci avait effectué seul une excursion à Sadler’s Wells, un établissement thermal avec théâtre à Clerkenwell, Islington, à cette époque un lieu encore rural.(7) ) Archives d’Arenberg à Enghien, Bibliographie Duc Louis Englebert, II 43/1 voyages, Voyage à Londres, 1783, voyage 6, 28/04/1788; livret, pp. 102-103. (6) Archives d’Arenberg à Enghien, Bibliographie Duc Louis Englebert, II 43/1 voyages, Dépense du voyage à Paris depuis le 28 avril jusqu’au 7 mai 1803, quittance n° 7. Autographe de Sarton. (7) Arundell, Dennis Drew, The Story of Sadler’s Wells, 1683-1977, David and Charles, Newton Abbott, 1978. (5

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Horlogerie Ancienne Mrs William Pitt, le Comte de Romanzoff et le Prince Gargarin Russes étaient allés à Sadriswell de leur côté, et lui (= Prosper-Louis) proposèrent pour le retour à onze heures du soir, la quatrieme place de leur voiture. Louis refusa heureusement, puisqu’ils n’étaient point encor à moitié chemin, lorsqu’une troupe de bandits assaillirent la carossée qui donna ce qu’elle avait. Les voleurs peu contents de leur butin, revinrent à la charge, rossèrent ces trois messieurs, après les avoir fait mettre par force pied à terre, pour les punir d’avoir caché leurs montres, dont il fallut bien qu’ils se défissent (8). Les messieurs qui avaient proposé leur carrosse n’étaient pas n’importe qui… William Pitt est William Pitt le jeune (1759-1806), parlementaire depuis janvier 1781, Chancelier de l’Echiquier le 10 juillet 1782, qui allait devenir premier ministre le 19 décembre 1783 (9). Fig. 3 : William Pitt, peint par Gainsborough Dupont en 1792

(8)

Archives d’Arenberg à Enghien, Bibliographie Duc Louis Englebert, II 43/1 voyages, Voyage à Londres, 1783, voyage 6, 28/04/1788; livret, pp. 217-218. (9) William HAGUE, William Pitt the Younger, Harper Collins, London, 2004 ; http://www.historyhome.co.uk/pms/pitt.htm. 100


Petites histoires ! Le Comte de Romanzoff est le Maréchal Comte Nikolay Rumyantsev (1754-1826), chancelier russe (10). Le Prince Gargarin est sans doute le Prince Gavrila Petrovitch Gagarine (1745-1808) (11). L’histoire pourrait s’arrêter là, bien qu’on imagine le scandale provoqué par cette mésaventure arrivée au ministre des finances et à deux éminences étrangères ! Nous avons cependant eu l’attention attirée par le document suivant : « Pieces of Time », catalogue n° 36 – automne 1995 (12) 5 SILVER VERGE with ILLUSTRIOUS OWNERS NAME UKP 2250 A late 18th Century English verge with the owner’s name on the dial in silver pair cases. Full plate fire gilt movement with signed gilt dust cover. Pierced and engraved cock, silver regulator disc. Plain three arm steel balance, blue steel spiral hairspring. Unusual white enamel dial, the hours indicated by the letters of the owner’s name «William Pitt», Arabic numerals marking the minutes, blue steel beetle and poker hands. Matching silver pair cases, silver pendant and bow, maker’s mark «TG». The outer case with a large engraved monogram «WP». Signed Wm Sargent Fecit Hallmarked London 1781 - Diameter 51 mm - Depth 13 mm Condition - Case Excellent - Dial Excellent - Movement Excellent. This watch probably owned by William Pitt, the younger (1759-1806), prime minister of Great Britain (1783-1801 and 1804-6). He entered parliament in 1781, the date of this watch. It may have been given to him to commemorate the event. Watches bearing dials where the numerals are replaced by letters are commonly thought to be the owners name. It is confirmed in this instance by the monogram on the case and the maker finding it necessary to add «Fecit» to the signature which is unusual at this period.

Nous avons adressé une demande à ces vendeurs, qui ont bien voulu nous fournir le document suivant. Il semble donc qu’il s’agisse bien de la montre que William Pitt semble avoir reçu en cadeau pour son entrée au parlement anglais. Elle lui aura donc été volée moins d’un an plus tard. Il resterait à explorer les journaux britanniques de l’époque, en premier lieu The Times, qui n’auront pas manqué de se faire l’écho de cet acte de banditisme de grand chemin.

Il joua un rôle important dans les négociations d’Erfurt en 1808 entre Napoléon et le tsar russe (André CASTELOT, Talleyrand, Librairie académique Perrin, Paris, 1980, p. 263). Sa nomenclature dans l’acte de paix entre la Suède et la Russie de 1809 est éloquente : « Monsieur le Comte NICOLAS DE ROMANZOFF, Son Conseiller Privé Actuel, Membre du Conseil d’Etat, Ministre des Affaires Etrangères, Ministre du Commerce, Sénateur, Chambellan Actuel, Chevalier des Ordres de St André, de St Alexandre Newsky, Grand Croix de celui de St Wladimir et de Ste Anne des premières Classes, Grand Aigle de la Légion d’Honneur de France, Chevalier des Ordres Royaux de Prusse, de l’Aigle Noir et de l’Aigle Rouge et de celui d’Hollande de l’Union ». (10

(11)

http://mirimen.com/co_beo/Gagarin-Gavriil-Petrovich-E89.html (en russe).

(12)

http://www.antique-watch.com/txt/cat_36.html. 101


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