Biovision lettre d'info 53

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Biovision Lettre d’info Décembre 2018

Que nous réserve l’avenir ? Les Masaïs entre tradition et modernité

Un avenir pour tous, naturellement


2 | Thème

Janet Maro Co-directrice de SAT, Morogoro, Tanzanie

« La condition préalable à la coopération avec les Masaïs, c’est le respect, ainsi qu’une connaissance approfondie de leur culture. »

Discuter vaut mieux que tirer Tout devient tendu en Tanzanie. Les habitations se multiplient, les terres arables se raréfient et les Masaïs ne savent plus trop où mener leurs troupeaux. Des conflits armés surgissent. Par Peter Lüthi, Biovision, texte et photos

Projet « Coopération grâce à l’agro-écologie » (depuis 2017) Des formations sur mesure aux méthodes agro-écologiques et à l’élevage adapté, ainsi que la mise en place d’une coopération économique entre bergers et paysans améliorent les conditions de vie tout en réduisant le potentiel de conflit. • Objectifs de la phase en cours : – Réduire la pauvreté dans la région du projet Morogoro – Améliorer la sécurité alimentaire – Créer des chaînes de valeur régionales – Permettre une recherche axée sur la pratique – Désamorcer les conflits liés aux terres • Budget du projet 2018 : CHF 375 506 • Objectifs de développement durable (Agenda 2030) : Ce projet apporte des contributions directes et indirectes à quatre des 17 Objectifs de développement durable (ODD) : 1 (Pas de pauvreté), 2 (Faim zéro), 5 (Egalité entre les sexes), objectif 15 (Vie terrestre) :

Les pasteurs sont souvent marginalisés par les autorités et traités avec suspicion par les autres habitants. Les Masaïs ont toujours pris cela avec fierté, vivant entre eux avec leurs animaux. Mais leur situation s’aggrave, notamment à cause du changement climatique. Ainsi, les Masaïs de Mvomero ont perdu beaucoup de bétail après la sécheresse extrême de 2015/16. Du coup, ils ont laissé leurs bovins survivants dans les champs des familles paysannes, où ils broutent des plants de maïs. Ce qui a provoqué la furie des agriculteurs. Parce que eux aussi se battent avec le manque de pluie et la baisse des rendements. En plus, ils font face à la réduction de leurs terres. La compétition entre éleveurs et paysans mène fréquemment à des conflits armés. Avec des morts. La tradition masaï s’adapte En 2016, les Masaïs de Vianzi ont demandé conseil au Centre de formation en méthodes biologiques de Sustainable Agriculture Tanzania (SAT), situé près de chez eux. Ils se voyaient forcés d’abandonner leur tradition et de stocker du foin pour la sécheresse. Ils voulaient également cultiver du maïs et des légumes pour leur autoconsommation. Avec cette idée, carrément révolutionnaire pour les Masaïs, ils ont trouvé des oreilles attentives chez SAT. Janet Maro et Alex Wostry, qui en assument la co-direction, leur ont pro­posé une formation en bio et en culture maraîchère. A une condition : que les femmes puissent suivre le cours, une question prio­

ritaire pour SAT. La barre était très haute pour les Masaïs. Mais ils ont accepté. Respect et confiance « La coopération avec les Masaïs exige du respect et une connaissance approfondie de leur culture », indique Janet Maro. Quant à Soviaki Letoga Kinyoz, président du groupe masaï Mafanikio, il confirme : « Les gens de la SAT sont les seuls à se préoccuper de nous ». Selon Janet, il est crucial d’avoir les leaders masaï dans le bateau. Mais ce n’était pas facile à assurer, car ils ne le font guère savoir face à l’extérieur. La chance lui a souri : elle entretenait une relation de confiance avec un Masaï depuis des années. « Mais c’est seulement après avoir commencé notre projet que j’ai réalisé qu’il était le chef de la communauté de toute la région. »

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Donner et prendre Finalement, les petits paysans et les Masaïs de la zone, sous le patronage de SAT, ont osé créer un groupe de partage d’expériences. Ce faisant, ils ont réalisé que chaque côté a des ressources qui manquent à l’autre. Les pasteurs ont beaucoup de bouses, très demandées par les cultivateurs comme engrais. Et ceux-ci, lorsqu’ils égrènent le tournesol ou le maïs, se retrouvent avec des résidus de récolte – une nourriture précieuse pour le bétail des Masaïs. Les deux parties bénéficient de cet échange. Une amorce très prometteuse pour la résolution des conflits. Meilleure réputation grâce au mérite En créant de nouvelles sources de revenus, les femmes masaïs participant au projet ont la possibilité de renforcer leur position dans cette société très patriarcale. Entre autres, elles sont incitées à créer un système d’épargne et de prêt sans intérêts, interne au groupe. Par ailleurs, elles reçoivent une formation pour mieux commercialiser leurs produits laitiers et leurs bijoux artisanaux. Autres photos et vidéo : www.biovision.ch/masais

4 1 La confiance mutuelle est la base de la coopération. La co-directrice de SAT, Janet Maro, en visite chez les Masaïs de Nameloki. 2 Pour les hommes masaïs, rien ne vaut le bien-être de leur bétail.

3 Le projet ouvre de nouvelles sources de revenus aux femmes masaïs. Elles peuvent améliorer leur position dans la société patriarcale. 4 Innovation frappante : les pasteurs ont appris à stocker le foin pour pallier au manque de nourriture lors des saisons sèches extrêmes.


4 | Commentaire

Contexte | 5

Le succès, ça s’apprend

tenant, nous produisons le meilleur miel du Kenya. Nous sommes une vitrine pour tout le pays. » L’été dernier, le gouvernement a désigné l’apiculture comme l’un des trois piliers du développement économique du comté, avec le poulet et la viande de chèvre. Le ministère responsable de l’élevage a choisi « Cabesi » comme partenaire principal pour la mise en œuvre du programme Abeilles.

Par Hans Rudolf Herren

nombreux propriétaires d’abeilles vendent leur miel directement à la concurrence croissante des petits détaillants. Mais ceux-ci offrent des condi­tions très instables et des prix fluctuants. Pionniers du changement « Le projet a été déclencheur. Il a ouvert le marché du miel au Pokot Ouest », estime Mercy Kiyapyap, qui a été choisie comme co-gérante de Cabesi Marketplace lorsque le projet a été transféré à une coopérative locale indépendante. Et Paul Losute, l’autre co-gérant, ajoute avec fierté : « Avant le début du projet, le miel était mélangé à de la cire et souillé par des carcasses d’abeilles. Il n’avait pratiquement aucune valeur. Main-

« Cabesi » : Nombre et revenus des apiculteurs/trices 2010–2018 Nombre d’apiculteurs/trices

Total des revenus (millions de KES)

1750

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Apprendre de ses erreurs La réussite du développement et de la pas­ sation du projet nécessitent les conditions suivantes : construire avec soin une prise en charge locale intègre, garantissant une gestion fiable et responsable du marché ainsi que de l’ensemble de l’industrie du miel. D’autre part, les revers se sont révélés être des opportunités qui sont maintenant utilisées dans d’autres projets. Ainsi, les enseignements tirés de l’échec du volet chameaux dans Cabesi ont été très utiles pour un projet de suivi dans le comté d’Isiolo, au Kenya aussi. Depuis 2010, ces animaux robustes ont été réintroduits avec succès chez les semi-nomades Borana. Ceux-ci avaient abandonné les chameaux il y a seulement 80 ans au profit de l’élevage de bovins, plus lucratif. Aujourd’hui, la population des chameaux d’Isiolo est en nette augmentation. Le projet Biovision a mis en place des structures fonctionnelles pour la collecte, la transformation, le transport et la vente du lait de chamelle. www.biovision.ch/cabesi-fr

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* Les chiffres de 2018 sont une estimation

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Anciens assistants du projet Biovision, Mercy Kiyapyap et Paul Losute gèrent aujourd’hui de manière indépendante le « Cabesi Marketplace », avec succès.

2018*

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2015

« Cabesi » vient de Camels, Bees et Silk (chameaux, abeilles et soie). Ce projet à long terme de Biovision visait à introduire des dromadaires pour le transport et la four­ niture de lait dans le comté semi-aride de Pokot Ouest au Kenya. S’y ajoutaient l’api­ culture moderne avec la production de miel et la production de soie sauvage. De 2004 à 2014, les connaissances et les compétences pratiques nécessaires ont été fournies à la population locale. Le développement des chaînes de transformation et des structures de commercialisation était également important. À cette fin, six centres de collecte de miel avec des entrepôts et des extracteurs ont été mis en place et une « place de marché » pour la transformation, le condition­ nement et la vente des produits a été créée. Avec ce projet, les semi-nomades de Pokot Ouest avaient l’opportunité de développer de nouvelles sources de revenus et d’amé­ liorer leurs conditions de vie.

2014

Par Peter Lüthi, Biovision

Des hauts et des bas Les projets de développement passent par différentes phases. Selon le moment, les avis peuvent être très différents. Mercy Kiyapyap, assistante du projet Cabesi, par exemple, avouait sobrement dans un bulletin d’information de Biovision de 2009 : « Le chameau n’a pas été accepté bête de somme par les Pokot jusqu’à aujourd’hui. Dans leur tradition, l’utilisation de femelles pour transporter du matériel est tabou. Les mâles entraînés étaient parfois abattus ou vendus, et les animaux dressés étaient laissés en liberté, ce qui les a rendus à moitié sauvages. » Biovision a dû accepter cet échec et abandonner la composante chameau. Comme la production de soie sauvage n’avait pas vraiment démarré, on aurait pu conclure à la fin du projet en 2014 que celui-ci avait échoué. Mais loin de là. Car « Cabesi » a commencé à prendre son essor plus tard, grâce au deuxième volet (BE).

2013

Dr. Hans Rudolf Herren Président de la Fondation Biovision

Le succès réel d’une aide n’apparaît qu’après son achèvement. Ainsi, quatre ans après sa clôture, nous avons mis à l’épreuve le projet Cabesi. Qu’a pu apporter Biovision dans cette région perdue du Kenya ?

Ce qui compte, c’est ce qui reste L’apiculture connaît actuellement un véritable décollage Pokot Ouest. Cette année, 4600 producteurs/trices approvisionnent le « Marketplace Cabesi ». On devrait totaliser 75 tonnes de miel et 2,5 tonnes de cire d’ici la fin de la saison en cours. Le record jusqu’ici se montait à 99,7 tonnes de miel en 2014. Il a été suivi de baisses massives en 2016 après une sécheresse et en 2017 à cause d’un temps trop humide. Cabesi verse à l’apiculteur un prix stable de 200 shillings kényans (2 francs suisses) par kilo de miel et 400 KES par kilo de cire (4 francs suisses). Autrement dit, le Marketplace aura versé en tout environ 16 millions de KES (CHF 157 500) aux apiculteurs d’ici fin décembre 2018. De

2012

CABESI le montre de manière impressionnante. La volonté d’oser, mais aussi de s’adapter aux circonstances locales sans se fixer à des plans prêts à l’emploi, peut déboucher sur de nouvelles solutions. Autre aspect exemplaire : en fin de compte, c’est la population locale qui décide du succès ou de l’échec d’un projet. La persévérance, le respect, la coopération honnête permettent d’apporter une valeur ajoutée et une aide fertile aux Africaines et aux Africains.

L’aide fertile

Transport de miel à Lomut, Kenya, en octobre 2018. Après deux années difficiles, marquées par des sécheresses puis par des pluies diluviennes, une récolte record de miel et de cire a débuté cette année.

2011

En 2004, avec le « Suisse-Africain » Rolf Gloor, bourré d’expérience, nous nous sommes aventurés dans un des coins les plus négligés au Nord du Kenya. Au Pokot occidental, c’est le règne absolu de la pauvreté. La lutte pour la survie est encore compliquée par de graves querelles tribales. Ces conditions étaient tout sauf idéales pour lancer un projet phare de développement écologique en Afrique. Mais parfois, le courage d’essayer quelque chose de peu orthodoxe est récompensé.

Août 2007 : Inauguration du nouveau centre de collecte de miel à Lomut (Westpokot, Kenya) par les « Danseurs traditionnels Lomut », partenaires locaux de Biovision dans le projet Cabesi.

2010

En 30 années passées en Afrique, j’ai beaucoup appris. Par exemple cette leçon : pour savoir si une idée est bonne, le seul moyen est d’essayer de l’appliquer. L’échec, c’est la vie. Et c’est seulement quand un défi inattendu surgit que vous apprenez réellement à vous connaître, vous et ceux qui vous entourent.

Peter Lüthi, est rédacteur de la lettre d’info de Biovision. Il se rend régulièrement sur le terrain comme reporter et photographe de projets.


6 | Projets

En long et en large | 7

Des montagnes et des ruches

Un réseau renforcé pour le futur Par Loredana Sorg, Biovision

Beaucoup d’énergies se libèrent et les idées novatrices pullulent lorsque on met ensemble plus de 50 professionnels de projets de cinq pays pendant un week-end. La réunion des partenaires de Biovision à Mbita, au Kenya, l’a bien montré. L’équipe suisse et des représentant-es de nos partenaires d’Ethiopie, du Kenya, de Tanzanie et d’Ouganda étaient réunis en juillet dernier pour renforcer la coopération dans les projets et accélérer ensemble le développement agro-écologique en Afrique de l’Est. « Je suis impressionnée par la diversité et le professionnalisme des différentes organisations », a affirmé Elizabeth Birungi de PROMETRA Ouganda lors de la célébration des 20 ans de Biovision. L’échange d’expériences inspirantes par-dessus les frontières nationales incite au changement. Avec leurs différentes compétences, nos partenaires se complètent les uns les autres, ce qui permet beaucoup de synergies : lien entre engagement politique et connaissances agricoles pratiques, visites mutuelles des projets ou nouvelles idées d’affaires pour les petits exploitants agricoles. Le réseau de la famille Biovision n’a pas seulement grandi avec cette importante réunion. Il se renforce pour le futur, grâce aux nouvelles connexions.

Une équipe forte : les représentant-es de Biovision et les partenaires d’Afrique orientale ont développé des stratégies communes pour l’avenir. Au premier plan (centre) : Elizabeth Birungi de l’Ouganda.

New York, juin 2016. Comment vaincre la faim dans le monde ? À New York, Biovision et le gouvernement sénégalais réunissent des personnalités politiques et des leaders d’opinion.

En route vers de nouveaux rivages Avec un sac à dos bourré de savoir-faire et d’expérience, l’équipe « Dialogue politique et plaidoyer » de Biovision fait pousser la cause de l’agroécologie dans le monde. Par Stefanie Pondini, Biovision

L’agro-écologie place les systèmes alimentaires dans une perspective holistique. L’accent n’est pas mis sur le rendement à l’hectare d’une variété isolée, mais sur la productivité de l’ensemble du système agricole. Les principes agro-écologiques incluent les cycles fermés des nutriments et de l’énergie, l’intégration de l’agriculture et de l’élevage ou la diversité des ressources génétiques. « Faire comme avant n’est pas une option. » Cet avertissement lancé par le président de Biovision Hans Herren, en conclusion du Rapport mondial sur l’agriculture en 2008, est sur toutes les lèvres aujourd’hui. Néanmoins, les pratiques agro-écologiques restent largement négligées ou dénigrées par les décideurs. C’est grave. En effet, leur utilisation a de quoi améliorer la fertilité des sols, accroître la biodiversité et réduire l’impact du changement climatique. Elle

Les habitants du district aride de Dehana (Éthiopie) cultivent le mil sur des terrasses étroites escaladant des pentes raides et desséchées. Mais la plupart d’entre eux vivent du bétail – et bientôt, espérons-le, des ventes de miel et de cire. Biovision les soutient depuis début 2018 en mettant en place une apiculture moderne et économique, suivant les recommandations d’un spécialiste des ruches, le Dr Peter Gallmann, qui a évalué le projet précédent à Tolay. En plus des ruches modernes, on a choisi de recourir aussi à des modèles traditionnels améliorés.

Ecoutez vivre la terre

permet une alimentation plus équilibrée et des revenus pour les familles rurales. Des actes plutôt que des paroles Au fil des ans, l’équipe « Dialogue politique et plaidoyer » de Biovision a acquis des compétences en matière de négociation pour faire inclure l’agriculture durable comme l’un des 17 objectifs de développement durable de l’ONU. L’équipe cible maintenant deux domaines clés dans ce domaine : la politique et la recherche. Biovision veut motiver les décideurs à repenser et à agir. En particulier, les pays africains sont conseillés et soutenus dans la planification et les mesures agroécologiques. L’objectif est d’améliorer la sécurité alimentaire, la résilience au climat et la durabilité globale. Le deuxième projet vise à renforcer la recherche en agro-écologie. Un élément central consiste à mettre en réseau la communauté inter­nationale des chercheurs avec des investisseurs, des bailleurs de fonds et des gouvernements. En effet, nourrir sainement une population mondiale croissante tout en préservant la nature ne sera pas possible sans avoir des nouvelles connaissances et des techniques tournées vers l’avenir.

« Sounding Soil » laisse entendre que tous les sols ne sonnent pas de la même manière.

Pour les habitants du district de Dehana, le miel et la cire d’abeille constituent un complément important à l’élevage.

Impressum Newsletter 53, Décembre 2018, © Fondation Biovision, Zurich Éditeur Biovision, Fondation pour un développement écologique, Heinrichstrasse 147, 8005 Zurich Rédaction Peter Lüthi Production Sabrina Nepozitek Textes Peter Lüthi, Loredana Sorg, Stefanie Pondini, Martin Grossenbacher, Andreas Schriber Langues Cette lettre d’info est publiée en allemand, en français et en anglais. Traduction Daniel Wermus (français), Sue Coles (anglais) Photo de couverture Femme masaï du groupe paysan Mafaniki à Vianzi, Tanzanie. Photo Peter Lüthi/Biovision Crédits photo Peter Lüthi/Biovision : p. 1, 2, 3, 4 et 8 ; Christof Sonderegger : p. 4 en haut ; Paul Louste/Cabesi : p. 5 en haut ; Fabian Kohler/Biovision : p. 6 à gauche ; Simak Sam Loni : p. 6 en haut ; Loredana Sorg/Biovision : p. 7 à gauche ; Martin Grossenbacher/Biovision : p. 7 en haut Mise en page Binkert Partner, Zurich Impression Koprint Alpnach AG, Alpnach Papier Cyclus Offset (100 % recyclé) La lettre d’info Biovision est publiée cinq fois par an. Elle est comprise comme abonnement pour les dons de 5 francs et plus.

L’exposition « Sounding Soil » rend la diversité de la vie sous nos pieds audible et perceptible. Cette recherche pour une meilleure compréhension des écosystèmes des sols est également un projet artistique. Par Martin Grossenbacher, Biovision

« Par pure curiosité, il y a deux ans, j’ai enfoncé dans le sol des capteurs qui nous servent à enregistrer des bruits dans les arbres », explique Marcus Maeder, artiste sonore, chercheur et compositeur à l’Université des arts de Zurich (ZHdK). « Le résultat était saisissant : la diversité du monde sonore sous terre est énorme », ajoute-t-il. Ce constat a débouché sur un projet de recherche et d’art interdisciplinaire et transdisciplinaire. Plus d’une vingtaine de sols ont déjà été enregistrés en Suisse : surfaces agricoles intensives et extensives, prairies alpines, sols forestiers... Vous pourrez entendre par exemple des habitants du sol : collemboles, mille-pattes, coléoptères, vers de terre, araignées, sauterelles... C’est la première fois que le public peut s’imprégner de ces sons de la terre. L’installation a été présentée 20 octobre au Centre Paul Klee à Berne. On pourra la visiter à l’Université des arts de Zurich jusqu’à mi-février 2019.

Sensibiliser à la santé des sols La sécurité alimentaire devient de plus en plus importante face au changement climatique et à la croissance démographique de la planète. Un sol en bonne santé est essentiel pour la nutrition comme pour la biodiversité. « Contrairement à la pollution de l’air ou à l’eau potable, les gens ne se rendent pas compte comment leur nourriture pousse », explique Sabine Lerch, responsable du projet. En fait, la superficie des sols sains en Suisse a nettement diminué ces dernières décennies. Les premiers résultats de Sounding Soil montrent une forte différence entre les sols gérés de manière extensive et intensive. « La sensibilisation de la population à un sol sain et naturel doit donc être renforcée », ajoute Sabine Lerch, à l’origine de l’idée de Sounding Soil. À cette fin, un projet de science citoyenne auquel participera le public sera lancé au printemps prochain. Il permettra aux personnes intéressées de recevoir des équipements en prêt pour enregistrer elles-mêmes les bruits de la terre. Il est également prévu d’enregistrer les sols dans nos projets en Afrique. Informations complémentaires et pratiques : www.biovision.ch/soundingsoil-fr


Tranches de vie de la famille Lopus à Lomut, au Kenya

« Le miel coule comme un revenu sûr » Par Peter Lüthi, Biovision

Deux petites cases rondes à la décoration spartiate et une enceinte avec 33 chèvres : c’était le domaine de Chemunung et de Peter Lopus en décembre 2006, lors de ma dernière visite. Leur vie dans la vallée isolée de Kerio (Pokot Ouest) n’était pas facile. Pourtant, le couple était aux anges. Chemunung avait donné le jour à un garçon en bonne santé trois jours plus tôt. Douze ans plus tard, en juillet dernier, j’ai retrouvé la famille. Elle habite un peu plus loin du village. J’entre dans une vaste cour avec trois maisons spacieuses et un hangar de rangement. Le couple vient à ma rencontre, radieux. « Tu te souviens ? » Chemunung me désigne un garçon au t-shirt vert. « C’est Kibet ! Quand tu es venu la dernière fois, il avait trois jours et je l’ai baigné devant la maison ». Aujourd’hui, le couple possède une vache, quatre bœufs, un taureau, 119 petits animaux et un coq imposant. Ils ont acheté une moto avec laquelle Peter amène la récolte du miel au point de collecte de Lomut. Il avait rejoint le projet « Cabesi » de Biovision en 2004 et appris l’apiculture (voir pages 4/5).

Biovision Fondation pour un développement écologique www.biovision.ch

www.facebook.com/biovision

Pour vos dons  : cp 87-193093-4

Les Lopus ont commencé avec cinq ruches. Aujourd’hui il y en a 34. Quand la saison est bonne, ils récoltent plus d’une demi-tonne de miel de qualité. Peter le vend à un prix stable au Cabesi Marketplace, ce qui lui rapporte 90 000 shillings kenyans (environ 800 francs). « Le miel est une source de revenus sûre, dit-il. Le bétail peut mourir, mais les abeilles continuent à collecter du miel ». Peter sait de quoi il parle. Il a perdu sept bovins et 37 petits animaux lors de la dernière sécheresse. Heureusement, son bétail se reconstitue. Malgré leur succès, Mme et M. Lopus s’en tiennent à leur vie simple dans la brousse et à leur méthode de travail soigneuse. Les bénéfices de la lucrative industrie du miel sont investis judicieusement. Ils garantissent à tous les enfants une éducation complète, y compris les filles. Dans le Pokot Ouest, ce n’est pas une évidence. Et le couple poursuit son développement. Peter a déjà construit dix nouvelles ruches, qui vont encore améliorer leur existence et leur sécurité alimentaire. Si les cultures de la vallée semi-aride de Kerio se perdent faute

de pluie, ils peuvent au moins acheter de la nourriture. Au moment de nous quitter, Chemunung me glisse un poulet vivant dans la main. Je n’ai pas le choix ! J’accepte le cadeau avec émotion. Je rassure ma conscience en sachant que ces deux-là ont réussi et maîtrisent leur vie. Plus de photos et vidéo : www.biovision.ch/lopus-fr

Une photo de 2006 : le nouveau-né Kibet est devenu un garçon robuste (à droite avec le t-shirt vert ci-dessus).


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