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VÉCU

COLLECTION

Brigitte

J’AI OSÉ L’ESPOIR MA vIE, MoN dIvorcE, MA prIèrE

Brigitte H.G.

r INCLUs

EXtRAItS dE L’ÉvAngILE SELOn JEAn

H I S t O I R E

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Brigitte r J’ai osé l’espoir



VÉCU

COLLECTION

Brigitte

J’AI OSÉ L’ESPOIR MA VIE, MON DIVORCE, MA PRIÈRE

Brigitte H.G.

r INCLUS

EXTRAITS DE L’ÉVANGILE SELON JEAN

Éditions BLF • Rue de Maubeuge 59164 Marpent • France


Brigitte – J’ai osé l’espoir • Brigitte H.G. © 2011 Éditions BLF • Rue de Maubeuge • 59164 Marpent • France info@blfeurope.com • www.blfeurope.com Tous droits de traduction, de reproduction et d’adaptation réservés. Couverture et mise en page : Éditions BLF • www.blfeurope.com Impression nº 92907 • IMEAF • 26160 La Bégude de Mazenc Citations bibliques extraites de la Bible du Semeur. Texte copyright © 2000, Société Biblique Internationale. Avec permission. 978-2-36249-081-1 978-2-36249-082-8 978-2-36249-084-2 978-2-36249-083-5

ISBN BLF version brochée ISBN BLF version ePub ISBN BLF version Mobipocket ISBN BLF version PDF

Dépôt légal 4e trimestre 2011 Index Dewey (CDD) : 248.24 Mots-clés : 1. Vie chrétienne. Conversion. 2. Affliction. Consolation. 3. Famille. Divorce.


La collection « Vécu » La collection « Vécu » des Éditions BLF vous propose l’histoire plus ou moins extraordinaire d’hommes et de femmes qui ne sont pas des célébrités. Pourtant, leur vie est remarquable. Parce qu’elle a été marquée, transformée par une rencontre. Ce ne sont pas des écrivains. La plupart prennent la plume pour la première fois. Leur vécu est livré brut, sans commentaire, sans sermon ni prêchi-prêcha. Les faits tels qu’ils les ont vécus. Avec leurs émotions, leurs questions, leurs interrogations, leurs failles, leurs hésitations… r r r

Assurément, à la lecture du récit de Brigitte, vous allez vous poser des questions : – Mais quelle rencontre a-t-elle faite ? – Quelle expérience a donc transformé sa vie ? Vous pourrez poursuivre votre découverte, notamment par la lecture des extraits de l’Évangile selon Jean. Encore une fois : brut, sans commentaire, tel que vous pourriez le lire dans une Bible. Bonne lecture ! A L A I N S TA M P, PRÉSIDENT DES ÉDITIONS BLF

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r CHAPITRE   1

Une place pour moi ?

Au berceau de ma vie Sarrebruck. 7 novembre 1942. Les sirènes hurlent. Elles annoncent un bombardement imminent. Maman, sur le point d’accoucher, se terre avec d’autres dans une cave sombre et humide. Et c’est là, dans le choc sourd des explosions de la Seconde Guerre mondiale, que je m’éveille à la vie. Cette petite vie aurait dû réjouir, apporter l’espoir et la joie. Mais je ne suis pas la bienvenue. Ma jeune maman de vingt et un ans est seule : « Fille mère » à une époque où cette condition évoque la honte, le péché, le rejet, les larmes et l’insécurité. Je suis pourtant le fruit d’un amour authentique. Mon père et ma mère se rencontrent en juin 1940 dans un petit village niché au cœur du vignoble, dans une Alsace que le Reich vient d’annexer de fait. Ma mère a dix-neuf ans. Mon père vingt-neuf. Elle est serveuse au restaurant familial du Fassla. Lui est sous-officier dans la

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Walter r La guérison du guérisseur

Wehrmacht 1 et son régiment stationne depuis peu dans les environs. Par le biais de plusieurs « Kaffee, bitte schön [Un café, s’il vous plaît] », mon père devient peu à peu un client régulier du Fassla. Maman le sert et une relation privilégiée ne tarde pas à naître entre les deux. Toute la famille tente alors de la dissuader : il est allemand, né en Saxe, d’un père hongrois, etc. Qui plus est, le récent mariage de sa sœur avec un officier français n’est pas pour faciliter les choses. Mais rien n’y fait. Leur histoire amoureuse prend une tournure sérieuse et devient le grand souci de la famille. Le tragique dilemme des Alsaciens se répète comme dans l’histoire des deux Mathilde 2. Ma famille reconnaît finalement mon futur père comme un homme de qualité et l’accepte. Après un échange de courrier respectueux entre les parents, les fiançailles sont fêtées à Noël 1940. Plus tard, maman est présentée par mon père à sa famille qui l’accueille chaleureusement et l’adopte immédiatement. La guerre gagne toute l’Europe. Mes parents se voient à l’occasion de rares permissions. Lorsque maman tombe enceinte en 1942, elle est plongée dans un profond désarroi : donner naissance à un enfant hors mariage s’oppose à son idéal de pureté. Elle préfère prendre la décision de rompre. Dans la famille, c’est la consternation. Que faire maintenant avec cette grossesse et cette rupture, de surcroît ? Une cliente de l’auberge, artiste peintre, propose une opportunité à maman : partir pour Sarrebruck et tra Armée allemande pendant la période nazie (1935-1945). D’après le roman Les Alsaciens, adapté de la série télévisée de Henri de Turenne, Michel Deutsch et Michel Favart. L’histoire raconte le tragique déchirement des familles alsaciennes entre deux nations depuis 1870.

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Une place pour moi ?

vailler chez une doctoresse, comme nourrice de ses deux petits garçons. Et c’est dans ces circonstances qu’elle me met au monde, loin de tous ceux qu’elle aime.

Gardée des incertitudes et des dangers Durant sa grossesse, ma mère a pris la décision de me faire adopter. Un couple est déjà prêt à m’accueillir mais, alors qu’elle me prend dans ses bras pour la première fois, un flot d’amour l’envahit. Elle décide finalement de me garder ! Elle choisit mon prénom – Brigitte – et me déclare sous son nom de jeune fille. Je fais maintenant partie d’elle, j’ai une place dans ses bras et dans son cœur. Quel avantage pour moi… mais que de défis à affronter pour elle ! Bénéficiant d’une permission exceptionnelle, mon père s’est empressé de venir me voir. Il me reconnaît à l’État civil comme sa fille. J’existe dans son cœur et dans sa vie. Il est aussi venu s’assurer que maman me gardera. Elle le tranquillise et pour mon père, c’est une preuve que maman n’a pas rejeté leur amour. Mais en même temps, elle lui réitère sa décision de rompre. Mon père en prend acte et lui remet, en souvenir, un petit album où il exprime à la fois sa douleur et son désir de la laisser aller en paix. Profondément malheureux, il se porte volontaire pour le front russe (il sera promu officier à cette occasion). Porté disparu en 1944, il ne reviendra jamais. Ses effets personnels seront retournés à sa mère bien plus tard. Maman doit assurer notre subsistance. Elle continue à travailler chez la doctoresse, devenue ma marraine, et je suis placée aux environs de Sarrebruck dans un foyer pour orphelins et enfants abandonnés. 9


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J’y resterai à peu près deux ans. Les conditions de vie sont rustiques. Une grande chambre, semblable à une salle d’hôpital, sert à la fois de dortoir et de pièce de vie. Les murs sont ternes et nus. Aucune commodité n’est prévue pour accueillir le visiteur. Comme pour tous les enfants, un petit lit à barreaux constitue mon seul univers et j’y passe la plupart de mon temps. À deux ans, je ne sais toujours pas marcher ou même dire un seul mot. Le premier mot que je prononcerai sera « angst » (peur). Maman me rend parfois visite et lorsqu’elle traverse la pièce pour arriver jusqu’à moi, les cris angoissés des enfants l’émeuvent profondément : « Mutti ? Mutti ? [Maman ? Maman ?] » Une mère répondra-t-elle un jour au cri tragique et poignant de ces enfants ? Je vis intensément les moments passés avec elle. Ils sont peut-être rares mais d’une extraordinaire qualité. Elle me manifeste tant de chaleur et d’amour ! Je sens son attachement pour moi et mon cœur est gagné. Un lien invisible se tisse lentement et profondément entre nous. De ces premières années, c’est un sentiment d’insécurité qui me marque le plus durablement. Bien que j’aie une place dans le cœur de maman et de papa, la guerre et leur relation inachevée me privent d’un foyer et de leur présence rassurante. Et dans la précarité et l’anonymat du foyer (où je n’ai aucune sécurité, aucune racine et un avenir incertain), maman est mon seul point de repère. Ma seule certitude d’exister tient à l’attachement qui nous unit. Une nuit de 1944, maman a la vision très nette de mon père qui, du front, la supplie de me retirer au plus vite du foyer. L’appel est si véhément que maman s’assied en sursaut sur son lit. C’est comme un rêve éveillé qui la bouleverse. Elle se précipite au foyer dès le lendemain. 10


Une place pour moi ?

À son arrivée, les sœurs responsables poussent un cri de soulagement : « Heureusement que vous êtes venue, car nous avons ordre d’évacuer les enfants et de les conduire à Berlin en train spécial ». Elle me place alors chez une nourrice. Son émotion est à son comble lorsqu’elle apprend, quelques jours plus tard, que le convoi qui transportait les enfants a été la cible d’un raid aérien.

Au Fassla Avec la fin de la guerre et l’Alsace redevenue française, maman n’a plus d’avenir à Sarrebruck. Elle souhaite rentrer chez ses parents Elle a le mal du pays et la nostalgie de sa famille. Quatre années se sont écoulées sans voir ni parents ni frère ni sœur. De plus, une occasion professionnelle se dessine grâce à une cousine avec laquelle elle a gardé le contact. Elle souhaite donc rentrer au Fassla. Mais est-ce possible ? Avant la guerre, le restaurant était réputé pour sa succulente cuisine. Grand-papa, assisté de son fils, tenait le comptoir avec bonne humeur. Aux fourneaux, grandmaman – affectueusement surnommée « grand-mutzala » – excellait dans l’art de la gastronomie alsacienne. Maman et sa sœur plaçaient une touche de fraîcheur et d’esthétique au service des tables. Dans le foyer familial, les valeurs chrétiennes étaient cultivées et respectées. Particulièrement par ma grandmère. De religion protestante alors que mon grand-père était catholique, elle lisait régulièrement la Bible en allemand d’après la traduction du réformateur Luther, ainsi que Le Messager évangélique, un journal de nouvelles et de témoignages chrétiens. Grand-mutzala, ayant elle-même vécu une enfance austère (suite au décès en 11


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couches de sa propre mère), cultivait en famille un climat d’unité, d’entraide et d’affection. Maman, la seconde de leurs trois enfants, était une très jolie brune aux yeux noirs, rieuse, attachante et passionnée. Bohème, elle s’enthousiasmait facilement et exerçait un grand pouvoir de séduction. Son jeune frère disait d’elle que lorsqu’elle sortait jouer, les garçons s’attroupaient autour d’elle comme des abeilles autour d’une tartine de miel ! Elle était aussi sensible, généreuse, empathique, idéaliste avec un réel penchant mystique. Elle aimait tout ce qui élevait l’âme : la poésie, l’art. Elle discernait la richesse profonde des personnes et savait leur donner de la valeur. Dans sa jeunesse, elle a participé à des camps d’éclaireuses 3 qui l’ont marquée par l’accent mis sur la pureté, la vérité, la beauté. Tout un idéal de vie centré sur Dieu qu’elle voulait adopter. Avec les débuts du cinéma, des actrices comme Greta Garbo, Arletty, Vivian Leigh, Joan Harlow, Marlène Dietrich la fascinaient autant par leur beauté que par leur destin exceptionnel. Le tempérament extraverti de maman heurtait ma grand-mère. Tout en reconnaissant ses qualités, elle craignait sans cesse des débordements ou des excès, ce qui n’entrait pas dans ses schémas de pensée. Puis débuta la relation de mes parents. Aux yeux de ma grand-mère, ils avaient bravé un interdit et elle en redoutait les conséquences douloureuses, notamment la réputation de « fille à soldat » qui serait faite à maman. Elle pouvait sans peine imaginer la scène : au Fassla, les notables se rencontraient chaque jour autour de leur table réservée. Autour du viertalla, le quart de vin blanc, Mouvement de jeunesse protestante, semblable à celui des scouts catholiques.

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les conversations iraient bon train. Les faits divers et la vie courante du village seraient débattus comme à l’accoutumée puis la boisson échaufferait les langues qui se délieraient. Pour ma grand-mère qui tenait le restaurant, le danger était évident : maman se trouverait jetée en pâture, et le discrédit atteindrait toute la famille. C’est ainsi que l’éloignement à Sarrebruck est d’abord apparu comme la seule solution pour protéger à la fois sa fille et leur réputation. Mais cet éloignement ne peut durer. Le moment du retour avec l’enfant finit par arriver.

Quel accueil pour nous ? Ce retour pose problème à ma grand-mère : elle aime maman, elle a aussi apprécié mon père mais… elle souffre des conséquences de leur relation inachevée. De Sarrebruck, maman lui a envoyé une lettre la suppliant de lui accorder son pardon sans lequel elle ne pourrait jamais connaître la paix. Mais, déchirée entre son amour et sa rigueur morale, ma grand-mère ne sait comment gérer cette situation. Dans un premier temps, elle marque son refus. Jusqu’à ce que grand-papa lui signifie avec autorité qu’il en a assez : « Maintenant, cela suffit ! Elle est quand même notre petite-fille ! Je vais la chercher ! » Il me reste le souvenir de cette petite Simca d’avantguerre venue nous prendre avec nos modestes effets. L’habitacle est exigu. Je suis juchée à l’arrière, au milieu des valises en carton ficelées tant bien que mal. Je vis ce voyage comme une longue expédition : la route est étroite et sinueuse. On se croirait sur des montagnes russes ! Par moments, la voiture ralentit et le moteur peine. Tiendrat-elle jusqu’au bout ? 13


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Tout au long du trajet, une question me hante : Y aura-t-il une place pour nous – pour moi – au sein de la famille ? Une crainte grandit en moi. Je ne connais pas ma grand-mère et j’appréhende sa sévérité. Je représente cette cause indésirable de la souffrance entre maman et elle. Je ressens la même inquiétude chez maman : peutelle retrouver la confiance de ses parents et de sa famille ? Pour elle, c’est essentiel si elle veut construire un avenir au milieu d’eux avec moi. Curieusement, je ne garde aucun souvenir de notre arrivée ou de ma première rencontre avec ma grandmère. Le séjour au Fassla sera de courte durée. Nous n’y sommes pas encore à notre place. Au restaurant, il faut éviter qu’un client me voie. Il arrive que je doive me cacher sous la table. J’apprends à m’effacer : par amour pour maman et pour mes grands-parents, je veux réduire au maximum l’obstacle que je suis. J’apprends à adopter une attitude de soumission et de discrétion.

Une belle alternative Maman trouve un travail de traductrice bilingue au siège de la Deuxième Division Blindée, à Sigmaringen. Quant à moi, je suis accueillie par une grand-tante, la sœur aînée de ma grand-mère qui habite une vallée vosgienne proche. Cette époque reste gravée dans mon cœur comme un temps heureux. Sous ce bon air, entourée par la nature, les chèvres et l’alpage, je connais mes plus belles années de petite fille, à l’image de la jeune Heidi du roman de Johanna Spyri. Souvent, le soir tombant, j’aime me tenir aux pieds de ma grand-tante assise dans son fauteuil voltaire, et l’écou14


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ter me conter en allemand les fascinantes histoires de Blanche-Neige et du Petit Chaperon rouge. Une fois par semaine, bras dessus, bras dessous, nous partons toutes les deux à travers le village pour distribuer un almanach suisse. À cette occasion, je reçois parfois en récompense suprême, un morceau de sucre. Enfin, chaque dimanche, ensemble avec les cousins, fidèles à nos convictions et à la tradition familiale, nous nous rendons au temple pour un culte en allemand. Je me sens aimée, comprise, et complice de cette grand-tante, pleine de douceur et de bonté pour moi. Ma grand-mère nous rend parfois visite. Elle est alors interpellée par la qualité de notre relation, par l’affection spontanée que je partage avec ma grand-tante. Elle découvre aussi l’enfant que je suis devenue pour sa sœur, consolation pour cette dernière qui a perdu son fils à la guerre. L’accueil si chaleureux et dénué de tout jugement que ma grand-tante m’octroie est un exemple pour ma grand-mère. M’aimer ainsi trouve un écho en elle : après tout, l’Évangile qu’elle connaît bien ne lui demande-t-il pas d’en faire autant ? Sa vision des choses change petit à petit. Elle réalise que le jugement qu’elle a porté sur le péché de sa fille l’a amenée à fermer son cœur et à me rejeter. Alors que son regard sur moi devient plus favorable, elle sait bientôt qu’elle ne peut continuer à me faire payer des événements dont je ne suis pas responsable. Elle est appelée à faire grâce, à accorder son pardon, à ouvrir son cœur : « M’r muass em hartz a stoos gana [Il faut donner un coup au cœur pour qu’il se réveille] », ditelle souvent.

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r CHAPITRE   2

Le puzzle de ma vie Nous sommes en 1947. À Sigmaringen, maman est victime d’un grave accident de jeep où elle frôle la mort. Après de longues semaines d’hospitalisation, elle revient en Alsace. Au même moment, le bail expirant, mes grands-parents décident de fermer le restaurant et ils déménagent à Colmar. Le moment est venu pour eux de nous accueillir dans leur foyer. Je quitte ma grand-tante et l’alpage pour vivre en famille et à la ville. Pour la première fois, maman et moi allons partager notre quotidien ; nous pouvons enfin apprendre à nous connaître !

À la découverte de ma maman ! Maman et moi partageons la même chambre, ce qui est bientôt l’occasion d’une proximité affectueuse et d’une complicité grandissante. Le soir, pelotonnées l’une contre l’autre dans le grand lit, nous vivons des moments câlins faits d’échanges de vécu, de ressenti, de leçons de vie, de projets et de fous rires. Je suis sa confidente. Maman sent chez moi un amour inconditionnel qui favorise sa spontanéité. Elle se livre 17


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toutefois toujours avec retenue et pudeur. Elle ne salit personne, elle m’exhorte à voir le bien, sans pour autant me cacher ses propres failles. Je découvre sa tendresse, sa beauté de cœur, son âme tournée vers les belles choses. Elle lit des biographies d’hommes et de femmes consacrés à Dieu, et des œuvres littéraires. Elle m’encourage à choisir des lectures édifiantes : « Si un livre élève ton âme, alors il est bon » me dira-t-elle plus tard. Dis-moi ce que tu lis, je te dirai qui tu es ! Dis-moi ce que tu lis, et je dirai qui tu vas devenir ! Que tes lectures soient vraies, vénérables, justes et pures… Ta santé spirituelle en dépend. — Auteur inconnu

Rassérénée par le pardon reçu de ses parents, maman commence à profiter pleinement de ma présence. Elle me découvre aussi : une enfant facile, sans caprices, douce, indulgente, tout le contraire du fardeau qu’elle pouvait craindre à ma naissance. Je prends peu à peu de la valeur à ses yeux par l’amour que je lui manifeste sans réserve et qu’elle reçoit comme un cadeau immérité (ayant éprouvé des sentiments de rejet pendant sa grossesse, aussi bien envers moi qu’à l’égard de mon père). En retour, par l’amour qu’elle me prodigue, elle cherche à tout prix à atténuer les conséquences de ses choix, à réparer ce qui a été abîmé, à rattraper ce départ manqué dans ma vie. Au quotidien, elle a le souci de me partager ce qui plaît à Dieu, de m’apprendre à me confier en lui et dans les valeurs de l’Évangile. Un jour où je dois me rendre chez les voisins pour une commission, le vent souffle si fort que je prends peur ! Maman, pour me réconforter, me donne une carte avec un verset qui m’assure que Dieu me pro18


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tège. Je le crois et pars immédiatement, libérée de ma peur. Elle est tout émue de ma foi d’enfant. Dans cette relation, je m’épanouis. Mon attachement et mon obéissance tissent des cordages d’amour entre nous et c’est à travers eux que Dieu se révèle subtilement à moi. Je comprends que Dieu a voulu de moi et que je suis aimée de lui. Ma grand-mère souffre du célibat de sa fille. Elle aimerait qu’elle trouve quelqu’un de bien. Il m’arrive aussi de demander un papa. Mais maman a gagné en maturité et sérieux. Suite à son très grave accident, à ses souffrances et à ses déceptions, elle cherche davantage de profondeur pour sa vie et elle désire que l’homme qui l’épousera soit un père pour moi.

Mon papa : un souvenir précieux Dans nos moments d’intimité, une question revient sans cesse. Je ne me lasse pas de demander : « Maman, parle-moi de mon papa. Comment il était ? » J’aime tellement qu’elle me dise du bien de lui. Au fur et à mesure qu’elle me le décrit, son portrait s’anime : très bel homme, un physique à la Clark Gable, de grande stature, noir de cheveux, surnommé « le beau Magyar » en souvenir des origines hongroises de son père. À la question : « Qu’est-ce qu’il aimait ? », maman me parle de ski et de voitures. Mon imagination me transporte dans les monts Erzgebirge de son enfance où je me le représente, en grand sportif, évoluant avec aisance dans la poudreuse ou encore plongé dans des moteurs de Mercedes qui le passionnaient. Son rêve était d’ouvrir un garage après la guerre. « Qu’est-ce qu’il aimait encore, mon papa ? » La musique. Mon père affectionnait particulièrement Franz 19


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Lehàr. Et moi, très tôt, je suis éblouie par la Symphonie du Nouveau Monde de Dvořák, ou par la Rhapsodie hongroise de Liszt. Sa sensibilité fait écho à la mienne et écouter sa musique préférée, c’est un peu comme le retrouver et laisser son cœur parler au mien. « Est-ce qu’il est au ciel ? » Cette question me poursuit. Je veux connaître sa destinée éternelle. Maman me répond doucement : « Je peux te dire qu’il avait le respect de Dieu mais pour le reste, je ne sais pas ». Assises côte à côte sur le divan du salon, maman et moi regardons des photos. Elle me montre notamment celle de leurs fiançailles. Ils sont rayonnants. Nul doute qu’ils s’aimaient ! Ce jour-là, mon père portait une alliance à la main gauche. Pratique coutumière chez les Allemands, elle était le signe d’un engagement sérieux et profond. Le jour du mariage, l’alliance passait à la main droite. Pour moi, cette photo est d’une extrême importance : je ne me lasse pas de la regarder. Elle atteste l’amour authentique de mes parents. J’en suis le fruit, et non celui d’un péché ou d’une légèreté passagère et cela me réconforte. Concernant leur rupture, maman se limite à évoquer les circonstances dramatiques de la guerre. De leur côté, mes grands-parents maternels, ma tante et particulièrement mon oncle évoquent eux aussi le souvenir de mon père : un homme bien sous tous les rapports, charmant, sympathique et chaleureux. Grâce à l’Évangile et à l’exemple de Jésus qui ne faisait acception de personne, ils pouvaient accorder pleine estime à l’homme et reconnaître, au-delà des idéologies et des nationalités, sa vraie valeur. Cette reconnaissance que lui accorde ma famille me donne aussi une place légitime au milieu d’elle. 20


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Malgré la rupture, maman a gardé des relations fidèles avec la famille de mon père. Ma grand-mère paternelle, déjà veuve, a le malheur de perdre ses deux fils dans cette guerre. Quelle douleur ! Mais sa foi et ses filles lui ont donné le courage de continuer. Dès ma naissance, maman lui écrit et lui envoie des photos de moi, l’unique petite fille de ce fils bien-aimé disparu. À chaque Noël, elle lui expédie des paquets avec des choses de première nécessité : bredalas (petits-fours traditionnels de Noël), chocolats, bas nylon, sucre, café, car les conditions d’après-guerre sont rudes en Allemagne orientale. Maman me fait régulièrement part des nouvelles de ma famille paternelle, ce qui me rassure quant à la qualité de son amour, pour elle et pour moi. Un beau souvenir de mon père se met ainsi en place. Je n’ai pas à en avoir honte, au contraire. Les choses ont beau avoir mal commencé, la rupture ne remet pas pour autant en cause son intégrité et son amour à notre égard. J’admire ce père que je n’ai jamais vu mais qui fait partie de ma vie, et pour lequel je nourris beaucoup d’amour. Oh, comme j’aurais aimé le connaître !

Une vie familiale pleine d’attraits Au foyer de mes grands-parents, je découvre un climat familial chaleureux, auquel s’emploie activement grand-mutzala. La famille a été miraculeusement préservée pendant la guerre. Mes grands-parents ont vu avec bonheur le retour de leur fils, incorporé de force dans l’armée allemande, condamné à mort pour désertion et qui a échappé à l’exécution. Ils ont aussi vu le retour de leur gendre, officier dans l’armée française, parti pendant quatre ans, et enfin celui de maman. Les réunions fami21


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liales sont vécues avec joie et reconnaissance, comme un vrai cadeau. Tout prend une nouvelle saveur. Après tant d’années de disette et de privation, même une simple omelette parmentier est considérée comme un mets de choix et comble de joie le convive ! Les fêtes de Noël me marquent particulièrement. Elles sont empreintes de solennité, marquées par l’Évangile. La naissance du Christ est honorée par des chants, des lectures de la Bible, des récits de l’histoire de Noël, des poèmes. Pendant le mois de décembre, grand-mutzala et maman s’activent à confectionner plusieurs sortes de bredalas, des petits gâteaux traditionnels de Noël. Des parfums d’anis, de cannelle et de pain d’épices imprègnent la salle à manger. Pour le soir de Noël, le repas simple et soigné comprend des traditions culinaires alsaciennes réservées pour l’occasion : la palette fumée avec salade de pommes de terre ou la tourte munstérienne avec salade de mâche, suivis de bredalas, de vin chaud et d’un peu de chocolat. Dans l’après-midi, les odeurs de gâteaux et de mets flottent partout dans la maison, annonçant les festivités toutes proches. La veillée proprement dite commence à dix-huit heures dès que sonne le carillon de toutes les églises. La porte s’ouvre alors sur le salon et c’est la découverte magique du sapin avec ses petites pommes rouges de Noël, ses figurines suspendues et les cadeaux disposés sous ses branches : « Ô Tannenbaum [Mon beau sapin] ! » Un feu allumé pour la circonstance crépite dans le poêle en faïence bleue. Une odeur particulière où se mêlent les parfums d’aiguilles de sapin, de cire de bougies allumées et de biscuits suspendus aux branches embaume toute la pièce. Mon oncle, musicien accompli, se met au

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piano ou au violon. Dans ce contexte d’après-guerre, c’est comme un hymne d’espoir pour un monde meilleur ! Dès ma venue, mon grand-père m’a complètement adoptée. Petit et jovial, il manifeste un optimisme à toute épreuve et il est agréable à vivre. C’est ainsi qu’entre le repas et le fierowe (le moment de détente où il fume sa pipe), il a une manière tout à fait originale et bon enfant de donner le coup d’envoi pour desservir. Tout en sifflotant gaiement, jouant avec dextérité d’une petite cuillère avec laquelle il fait tinter le bord des assiettes, il me désigne la direction de la cuisine. Nul besoin de traduction. Il prend le temps de jouer avec moi au mistigri (jeu de cartes) ou aux petits chevaux. Il m’emmène aussi parfois chercher le journal, juchée sur la fourche de sa bicyclette. Des moments de balades inoubliables ! Devenu représentant pour une maison de vins et spiritueux, il lui arrive de nous emmener en tournée, grandmutzala et moi, dans sa vieille Citroën Rosalie. Je garde un souvenir heureux de ces sorties. Étape incontournable : le restaurant et son plat du jour ! Tête de veau vinaigrette pour grand-maman, hors-d’œuvre riches pour grand-papa et pommes de terre sautées pour moi ! r r r

C’est ma grand-mère qui me gardait pendant que maman travaillait. Selon grand-papa, à l’époque où il la courtisait, c’était « la plus belle femme de la vallée ». Avant de tenir le Fassla, elle était gouvernante chez un pasteur où elle avait appris les bonnes manières. Grande de taille, c’est une femme qui force le respect et elle a des qualités qui me conviennent. Par son goût de l’ordre, elle me donne des repères ; elle m’initie aux tâches ménagères, au savoir-vivre, et à une bonne ges23


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tion de la vie familiale. Grand-mère aime lire et cherche à s’instruire. Nous avons pour habitude de prier à table, avant et après le repas, avec simplicité mais aussi avec respect envers Dieu. Le soir, elle termine la journée par une méditation tirée des sermons de Luther. Elle me marque beaucoup par sa crainte de Dieu et sa morale chrétienne : ordre, discipline, vertu et rigueur. Loin de l’auberge et des craintes du qu’en dira-t-on, ma relation avec grand-mutzala devient agréable. Je me sens adoptée bien qu’elle me préfère ma cousine de deux ans mon aînée. Celle-ci est sa fierté, elle comble ses vœux de respectabilité et d’honneur, mais cela ne me traumatise pas : tout va bien ! Je m’accommode donc de cette situation avec la grâce que Dieu donne et nous avons ensemble de bons moments de jeux. L’amour de mon oncle réjouit mon cœur d’enfant. C’est de lui que je tiens mon petit nom affectueux : Brigittala. Et il l’emploie encore avec tendresse aujourd’hui ! Il est pour moi cette référence masculine qui me manque tant et il me manifeste beaucoup d’affection. Il admirait mon père et son empathie pour lui fait qu’il m’est aussi plus précieux et plus proche.

L’aventure de l’école En octobre 1948, je fais connaissance avec le monde de l’école. Notre langue usuelle est l’alsacien et mon Hochdeutch (allemand) charme la famille en privé. Le français m’est inconnu. Maman veut m’emmener à l’école maternelle. Elle a oublié que j’ai déjà six ans et que je dois aller à la « grande école », comme on dit. Je me souviens de ce premier jour où je suis présentée par la directrice au cours préparatoire. Les élèves sont tous assis à leur pupitre. Elle me conduit au bureau de la 24


Le puzzle de ma vie

maîtresse qui me dévisage. Je n’ai ni cartable ni matériel. Je ne sais que dire « voui » ou « non » en français… tout le reste de mon vocabulaire est en allemand ou en alsacien ! Un sentiment étrange m’envahit ; j’ai l’impression de faire « tache ». Cet univers inconnu me paralyse et mon embarras visible rencontre un silence interrogateur. Après avoir enregistré mon nom, la maîtresse me donne une ardoise et un crayon puis m’indique ma place au dernier rang. Toute la classe se retourne sur mon passage et je ne suis franchement pas à l’aise. Je m’assieds, seule. Je regarde autour de moi : Pourquoi les enfants ne jouent-ils pas ? Que font-ils avec cette ardoise ? Que dit la maîtresse ? Je ne comprends rien de ce qui se passe et rien à ce que je fais là ; je reste immobile, presque figée sur mon banc. Mes camarades paraissent distants. L’hostilité est parfois palpable. Je n’ai pas de papa ! Aujourd’hui, je comprends : fille illégitime d’un officier allemand, vivant avec une mère célibataire, réputée légère. Double opprobre, d’autant plus difficile à porter dans l’Alsace d’après-guerre. Combien de fois suis-je dénoncée : « Maîtresse, elle a parlé ». Elle a parlé, et alors ? Elle a parlé… dans une autre langue que le français ! C’est la mise au coin assurée, punition appliquée pour le restant de la récréation à celui ou celle qui est surpris à s’exprimer en alsacien ou en allemand. Mais comment aurait-il pu en être autrement dans les premiers temps de ma scolarité ? Tout m’incite à me taire et à m’isoler. La dure école de la vie commence. Il me faut un certain temps pour rattraper le retard et me faire des camarades, mais la bienveillance de certaines enseignantes va contribuer à faire tomber les préjugés et à ouvrir un chemin à l’amitié. À la maison, j’ai tout le soutien de maman.

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Je suis arrivée chez mes grands-parents avec le puzzle éclaté de ma vie. Peu à peu, les pièces se rassemblent et s’emboîtent harmonieusement autour de moi : maman, mon oncle, mes grands-parents, le souvenir de mon père, chacun pour sa part, par l’amour qu’il me porte, ajoute à la solidité de mon identité. Je me sens en sécurité. Et à travers la foi et les valeurs qui me sont transmises et que je vois vivre en famille, je découvre un Dieu qui pense à moi et qui m’entoure de sa bienveillance. Je vais vers mes huit ans lorsque je remarque un changement chez maman.

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r CHAPITRE   3

Un bonheur inespéré

Une page se tourne Par une belle journée de printemps, maman vient me chercher pour faire une promenade en jeep décapotable, avec un jeune monsieur beau et avenant. Il m’offre des caramels et paraît désireux de faire bonne impression. C’est le cas. Assise à l’arrière, je peux les observer à loisir. Je perçois à travers leurs regards discrets, l’éveil de quelque chose de profond. Leur attitude réservée ne peut cacher leur inclination l’un pour l’autre et maman m’apparaît différente. Au retour, je dis poliment au revoir au monsieur et maman me raccompagne chez grand-mutzala. Je lui demande alors doucement : – Va-t-il devenir mon papa ? – Je ne sais pas. Et je répète plusieurs fois : – Pourquoi pas ?

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Maman reste silencieuse et part le rejoindre. Mais l’espoir d’un bonheur pour elle est né en moi. Dans la voiture, le monsieur s’enquiert : – Qu’a-t-elle dit ? – Elle a demandé : « Va-t-il devenir mon papa ? » Il devient pensif et murmure : – Et pourquoi pas ? mesurant pleinement la portée de ce qui est, ni plus ni moins, une demande en mariage. Ce « monsieur » est originaire d’un village voisin, fils d’un entrepreneur de scierie connu, de confession protestante. C’est un homme en vue, riche et respecté. Maman hésite, elle mesure le fossé qui les sépare. Elle a mûri, souffert. Elle n’ose y croire. Pour ma part, je crains et j’admire cet homme qui, malgré les nombreux obstacles à franchir, veut épouser maman : il a huit ans de moins qu’elle, elle a une fille qui a à peine treize ans de moins que lui, née d’une relation avec un officier allemand. Voilà déjà largement de quoi freiner l’élan ! Mais la réponse si belle qu’il lui donne – « Avec toi, je ne peux que devenir meilleur » – a raison de sa réserve. Leur mariage a lieu à la mairie entre Noël et Nouvel An. Ce jour-là, maman est ravissante : elle a revêtu un tailleur noir cintré sur une blouse de dentelle blanche. Elle est coiffée d’un bibi 4 à voilette sous laquelle ses yeux brillent comme deux perles noires ! Elle fait très chic au bras de son mari tout aussi élégant ! Je suis pleine d’admiration. Grâce à cette alliance, maman retrouve un nom honorable, un statut, une sécurité. Et un père pour sa fille : il m’adopte légalement. Je deviens une fille légitime ! J’ai un papa et une maman ! Que ma mère ait été considérée Petit chapeau élégant pour femme.

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Un bonheur inespéré

comme une femme légère m’avait affectée. La vie en symbiose avec elle m’avait appris que l’honneur et la pureté ont du prix ! Ce mariage, c’est Dieu à l’œuvre ! Il a restauré notre dignité et effacé l’opprobre.

Ma nouvelle famille Un an plus tard, je quitte mes grands-parents pour rejoindre le foyer de mes parents. J’ai neuf ans. Une question refait surface : Vais-je trouver ma place ? Comment va évoluer ma complicité avec maman ? Quel comportement dois-je adopter face à ce papa si jeune et si intimidant ? Les deux premières années sont un peu difficiles. Je me sens un peu comme une pièce rapportée. Préserver leur vie de couple et assurer le bonheur de maman est mon souci. Quand mon père adoptif rentre du bureau, je m’efface pour les laisser vivre leur complicité. J’attends leur sollicitation pour partager les moments de famille (est-ce toujours ma manière de me faire accepter ?) Plus que jamais, maman est mon point de repère. Elle travaille à harmoniser nos échanges. Au début, mon père adoptif n’apprécie pas notre complicité, il est mal à l’aise avec nos fous rires. Se sent-il exclu ? Lui aussi cherche sa place entre maman et moi. Plutôt que de le tenir à l’écart ou de me mettre à l’écart, elle s’efforce de nous rapprocher. Elle valorise le potentiel de l’un et de l’autre. Elle stimule le côté positif de nos personnalités. Le négatif perd de son acuité. Mon père, en même temps qu’il me découvre, a sur moi un regard bienveillant et cela m’encourage à m’ouvrir.

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Maman s’efforce de nous accorder à chacun des moments de qualité avec une attention exclusive. Dans ces moments, elle nous assure de son amour, comme si elle disait à chacun : « Tu as une place unique dans mon cœur ! » S’il m’arrive d’avoir de la crainte à propos de son attachement à mon égard, maman me tranquillise : « La relation entre ton père et moi est très forte mais elle ne détruira jamais le lien que j’ai avec toi, l’enfant de ma propre chair, une partie de moi-même que je ne peux renier ». Ainsi apaisée, je peux la laisser vivre pleinement sa relation avec mon père adoptif. Tout ceci conduit à nous apprécier mutuellement, même si j’éprouve toujours une petite réserve : mon père est sévère et je ne suis pas toujours convaincue de son affection pour moi. Notre entourage reconnaît que nous entretenons des relations familiales harmonieuses. Quelque chose de rare pour être remarqué ! Au sein de sa famille, mon père adoptif est peu à l’aise avec ses quatre sœurs et sa mère, et il a tout à faire pour apprivoiser le monde féminin. Aussi, plutôt que de l’humilier en lui reprochant sa distance, maman use de tact, d’amour et de sensibilité. Elle parle à son cœur de la même manière que Christ s’entretient avec la Samaritaine, cette femme rejetée, rencontrée au bord d’un puits en plein midi et sous une chaleur écrasante. Bien que cette femme soit étrangère, bien qu’elle soit seule et qu’elle affirme : « Je n’ai pas de mari » (alors qu’elle en a eu cinq), le Christ l’aborde. Par ses questions, il la dévoile avec tact et respect, en même temps qu’avec vérité. Résultat : le cœur de la Samaritaine s’ouvre à lui, un homme, et juif de surcroît. Un homme dont elle attendait plutôt le rejet et le jugement mais qui lui offre l’eau vive du pardon ! 30


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Ainsi exhorté à de meilleurs sentiments par maman, mon père adoptif fait des progrès évidents. Ses sœurs l’apprécient. Le climat familial en est apaisé, ce qui réjouit beaucoup le grand-père. Cette attitude de ma mère rend mon père de plus en plus sensible aux valeurs de l’Évangile.

L’école reste une aventure L’école primaire s’achève bientôt. L’ambiance en classe est parfois très particulière. En 7e, une institutrice très patriote nous harangue à la moindre occasion avec des déclarations passionnées sur la grandeur de la France, tout en brandissant un fanion en guise de drapeau. Nous sommes toutes fortement intimidées par son impressionnante conviction. Un silence interrogateur règne. Nos regards se croisent. Nous attendons la fin de la tirade pour reprendre le fil du cours ! Malheur à celles qui ont des noms à consonance germanique très marquée ! 1952, j’entre en 6e. L’année suivante, je réussis mon certificat d’études avec panache : mention et voyage gratuit à Chamonix. Puis mes parents estiment qu’une année d’école ménagère à Fribourg-en-Brisgau me fera le plus grand bien avant de poursuivre le lycée. Mes résultats scolaires ressemblent aux montagnes russes. Tout dépend de la personnalité de l’enseignant (qui m’influence beaucoup). Un regard favorable m’encourage, une remarque méprisante me fait perdre pied. Je connais le meilleur et le pire, mais toujours, au dernier moment, je suis rattrapée, restaurée. J’essuie aussi les remarques désobligeantes de mes camarades de classe. À propos de mes résultats ou parce que je suis potelée ! 31


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La question de mon identité reste un sujet de sarcasme. Étant donné l’âge de mon père adoptif, certains émettent des doutes quant à sa paternité. J’ai du mal à supporter ces choses, je ne me sens pas vraiment à ma place parmi mes camarades de classe, mais cela ne me détruit pas car la chaleur de nos relations familiales gomme les aspérités de la vie. Et maman sait me rassurer ; une seule de ses paroles me relève facilement.

Premier intérêt spirituel Nous allons au culte chaque dimanche. Depuis la fin de la guerre, celui-ci se tient dans une petite chapelle en bois. Il se déroule en français, ce qui est novateur à l’époque. Maman enseigne la Bible aux enfants et participe avec mon père à la chorale. De douze à quatorze ans, je suis les cours de préparation à la confirmation avec un pasteur dont le leitmotiv solennel est : « Messire Dieu, premier servi ». Et il dit cela avec emphase et panache ! Chez les protestants, la confirmation signifie que le jeune adolescent, en répondant à une série de questions, déclare avoir reçu l’enseignement de la Bible. Notre pasteur insiste sur l’importance de l’adopter comme ligne de conduite et d’y conformer sa vie. Le confirmand est placé devant un choix en connaissance de cause : soit le Christ fait autorité et son enseignement l’emporte sur toute autre considération, soit il vit sans lui. Nous ne parlons pas ici de pratique religieuse, mais d’une qualité de vie offerte par Dieu. Libre à chacun de l’accepter ou de la refuser ! Cette préparation est une première étape importante dans ma vie spirituelle : je suis invitée à faire un choix personnel. Je prends au sérieux ce qu’on m’enseigne sur le 32


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respect de Dieu et sur la vie chrétienne faite d’obéissance à la Bible. Pas question de mettre en doute cet enseignement. Pourquoi ? Mes parents et grands-parents conformaient leur vie à la Parole et les fruits étaient visibles. Ils pardonnaient, ils acceptaient avec humilité de reconsidérer une situation, de laisser parler leur cœur ou d’offrir une nouvelle chance. Cette éducation chrétienne, je l’accepte donc totalement. Maman, qui aime le Christ, relève toute la profondeur de ce pas de la confirmation pour ma vie intérieure. Elle m’encourage à suivre le Seigneur Jésus. Je suis réceptive à ce conseil maternel mais quant à me considérer en état de péché, certainement pas ! Pour moi, le péché, ce sont des actes très graves comme voler, tuer, se rebeller contre les parents, faire du mal aux camarades. Et ce n’est pas dans mes habitudes. Je suis donc simplement ouverte à l’enseignement donné qui correspond à l’idéal de beauté, de pureté et de qualité de vie que je désire faire mien.

L’ébauche d’une relation Le dimanche des Rameaux, nous sommes sept à passer l’examen en répondant aux questions posées par les conseillers presbytéraux. Puis c’est le grand jour. Le temps est magnifique. Le temple est comble : tout le conseil presbytéral, la chorale, les familles sont réunis au grand complet. Tous m’entourent : la famille de maman, celle de mon père adoptif, et même ma marraine de Sarrebruck qui a fait le déplacement. Le culte est particulièrement solennel : le pasteur rappelle le sens de la confirmation, de l’Évangile et le chemin ouvert devant chacun d’entre nous dans le respect des 33


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valeurs reçues. Les confirmands sont vivement conviés à entrer dans les divers engagements de la vie paroissiale. Lorsque vient mon tour de m’avancer, je suis tout émue. Le pasteur lit le verset qu’il a choisi pour moi : « Maintenez-vous dans l’amour de Dieu en attendant que notre Seigneur Jésus-Christ, dans sa bonté, vous accorde la vie éternelle 5 ». Puis il me remet un Nouveau Testament et un tableau de confirmation où le même verset est accompagné de la merveilleuse Crucifixion du retable d’Issenheim. Je suis d’abord intriguée par l’injonction : « Maintiens-toi ». Je demande à maman : « Comment le pasteur a fait pour choisir mon verset ? » Elle me répond qu’il a été conduit par l’Esprit de Dieu. En relisant ce passage de l’Écriture, je prends conscience que Dieu me parle. Je suis vue, connue et aimée de lui. Il se fait ainsi plus réel, plus proche. Et il attend que je lui reste attachée. C’est comme une invitation à entrer dans une relation personnelle avec Dieu. Et j’en ai le désir ! Mais adolescente, je n’entrevois pas encore tout ce que cela implique.

La Bible : Lettre de Jude, verset 21.

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r CHAPITRE   4

Choix de vie

Naissance d’une vocation J’ai quinze ans. En réponse à une annonce du diaconat de Strasbourg, je suis engagée comme « fleur d’été » en remplacement des élèves infirmières pendant leurs congés. Nous sommes six ou sept jeunes filles à être affectées dans un service de gériatrie. Chacune porte un nom de fleur : je suis « Églantine Sauvage ». Une diaconesse attachante et joyeuse, jeune de cœur, nous réserve un accueil chaleureux. Tout de suite, le courant passe. Ensemble, nous expérimentons joies, travail, fous rires, complicités avec les malades et les novices. Au contact de la vieillesse et du handicap, je plonge dans un autre monde, une autre face de l’humanité que je ne connaissais pas et dont j’ignorais l’ampleur. Je fais des expériences parfois renversantes. Pendant une ronde de nuit, je trouve une petite mamie toute menue, assise sur sa chaise percée. Dans l’obscurité, elle me tend la main et je saisis ce qu’elle me donne : son œil de verre ! Et son orbite est vide… Quel choc ! 35


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Un matin, une autre dame âgée paraît très absorbée à regarder par la fenêtre. « Venez voir ! Venez voir ! » me ditelle. Je m’approche. Partie dans un délire, elle me prend à témoin d’une scène imaginaire de lessive au ruisseau. Je l’écoute, elle est ravie. Ensuite, prenant un air mystérieux, elle ouvre furtivement le tiroir de sa table de nuit et me montre sa fortune : une vieille boîte à pastilles où elle a réuni des boutons, des élastiques. Je suis dans le secret ! Ce court passage au diaconat est déterminant pour moi. J’ai trouvé ma voie : soigner, aimer, entourer, avec comme cadeau, ne plus aller à l’école. Je ne veux plus repartir. Mais Sœur M. souhaite que je passe mon diplôme d’infirmière. Avec un passé scolaire comme le mien, je ne pense pas être à la hauteur, mais elle n’est pas de cet avis. Ayant une certaine facilité à obéir lorsque je sens la bienveillance, je reprends le chemin du lycée. Lorsqu’une année plus tard, en octobre 1959, maman vient me présenter à la supérieure de l’établissement, celle-ci dit en m’accueillant avec dignité : « Dieu conduira votre enfant ». Son cœur est rassuré en me sachant entre de bonnes mains et au bon endroit. Les études durent trois ans. Une année préparatoire avec examen, puis deux années complémentaires d’études pour l’obtention du diplôme d’État d’infirmière. Ces années sont denses à tout point de vue. Les tourments de l’adolescence sont maîtrisés par un travail sans relâche. Le service commence tôt le matin, six ou sept heures selon les étages. L’après-midi, de quatorze heures à dix-huit heures, les cours sont dispensés à la clinique ou à l’hôpital civil. Retour dans les services jusqu’à vingt heures, heure à laquelle nous gagnons nos dortoirs. À vingt-deux heures, extinction des feux (et révision des cours avec la lampe de poche sous l’oreiller). Silence radio au moment de la ronde de la sœur. 36


Choix de vie

Internes, logées, nourries, avec un peu d’argent de poche, nous avons peu de congés : un après-midi par semaine, un week-end et une permission de minuit par mois. Service et foi vont de pair. Nous suivons les offices et le culte à la chapelle. Dans la bibliothèque du diaconat, je découvre un livre de méditation intitulé Trésors de la foi, de Charles Spurgeon, un pasteur anglais du 19e siècle. Cet ouvrage me marque profondément. Chaque jour, un verset de la Bible est proposé ; s’ensuit son explication et un encouragement à sa mise en pratique dans la simplicité du quotidien. Pardonner, aimer son prochain, affronter l’adversité et la crainte, consoler, accompagner, etc. J’y puise tout ce dont j’ai besoin pour bien remplir ma mission auprès des malades que j’assiste. Cette méditation m’accompagne chaque jour et elle répond en même temps aux aspirations de mon âme.

Formée pour soigner Au diaconat, l’enseignement et la pratique du soin insistent sur la médecine de la personne : elle est corps, âme et esprit. Avant de soigner le corps, j’apprends d’abord à rencontrer la personne : lui sourire, exercer une pression de la main, lui accorder un mot d’apaisement, être attentive à un souci. Toutes ces attentions touchent directement son cœur. Elle se sent reconnue dans ses sentiments, ses craintes et ses questions. Elle fait encore partie des vivants à qui on accorde de l’importance. Je me souviens d’une dame très forte, couverte d’escarres. Entreprendre le soin était difficile pour nous comme pour elle. L’approche devait cependant rester pleine de déférence et d’honneur. Avec le même respect que si elle avait eu tous ses moyens. 37


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Et cette autre patiente, qui souffrait de dépendance à la drogue. Elle avait des accès de colère, notamment lorsqu’elle n’avait pas de chantilly au dessert. Elle usait de violence verbale. Un jour, elle me lança son crachoir à la figure, avec tout son contenu ! Malgré ce comportement abusif, je me devais de continuer à lui marquer du respect en la soignant, tout en lui signifiant qu’elle devait nous respecter autant qu’elle désirait l’être elle-même. Par le respect et la douceur, l’amour vrai trouve une ouverture. Tôt ou tard, la personne se laisse rencontrer dans son être profond. Elle laisse transparaître son besoin d’être aimée, d’être reconnue comme un être unique. J’apprends à voir cette beauté beaucoup plus profonde qui fait totalement abstraction du physique, une beauté dégagée de tout artifice et qui rejoint l’essence même de Dieu. Que la personne soit malade ou âgée, agréable ou incommode, elle est une créature voulue par Dieu. Par ce Dieu qui confère à sa vie toute sa valeur dans ses différentes dimensions : physique, morale et spirituelle. Et si le Créateur prête attention à l’être le plus défiguré, parfois même dénaturé, comme c’est le cas du démoniaque dans l’Évangile 6, à plus forte raison suis-je amenée à reconnaître sa pleine valeur à tout malade, à tout vieillard jusqu’à son dernier souffle. C’est ainsi que la compassion, la tendresse, le dévouement s’éveillent en moi. Dans ce service de gériatrie, jamais une personne n’est abandonnée en phase terminale. Les infirmières et les sœurs se relaient à son chevet pour lui tenir la main. Lors des veilles de nuit, alors que j’ai la charge de tout un service, comme il est parfois éprouvant d’assister seule une personne dont la fin semble proche ! La Bible : Évangile selon Luc, chapitre 8 versets 26 à 39.

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J’apprends aussi à ne pas préjuger du parcours d’une vie : plusieurs fois, une fin imminente était pronostiquée et – ô surprise ! – la vie a triomphé. Un sursis de plusieurs mois, voire plusieurs années a été accordé. D’autres fois, un pronostic des plus favorables s’est terminé subitement par un rappel dans l’éternité. Dieu reste souverain. Il donne le souffle et le reprend. Tout ce vécu allié à la lecture de la Bible confortent admirablement mes valeurs, fixent mes priorités et me préparent à l’exercice du métier. Malgré la fatigue, je garde de ce temps le meilleur souvenir : celui d’une certaine insouciance, des rires et de l’amitié. Je suis frappée par la joie de ces diaconesses à vivre leur service dans leur consécration au Seigneur. Pour moi, elles sont un modèle. Je me sens proche d’elles sans toutefois envisager de devenir diaconesse moi-même : le mariage et la maternité font partie de ce que je souhaite vivre.

Une rencontre décisive Alors que je suis en première année de diaconat, j’accompagne mes parents à un rassemblement organisé par des églises chrétiennes à Bâle. L’orateur est un théologien et prédicateur américain : Billy Graham. Dans ce stade où une foule immense se presse, je suis assise à côté de ma tante. Les gradins se remplissent. Les organisateurs s’affairent. Des chorales entonnent des chants joyeux et des gospels. Billy Graham commence à parler. Aussitôt, je suis confrontée au message de l’Évangile, délivré de manière courte et percutante. L’homme est pécheur et il a besoin de Dieu pour être sauvé. Je suis d’accord, au fond de moi, pour admettre que ce portrait de la nature humaine est bien le mien ! 39


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L’enseignement auquel j’avais ouvert mon cœur d’enfant me revient en mémoire. Mais dans le propos que je suis en train d’écouter, mon attention est attirée sur quelque chose, ou plutôt sur quelqu’un. Celui qui est au cœur de l’Évangile : Jésus lui-même. L’orateur souligne qu’à chacune de ses rencontres, Jésus place la personne qui l’approche devant un choix : le reconnaître comme maître de sa vie. Lorsqu’est lancé l’appel à la repentance, c’est-à-dire à changer de direction et de maître, je reconnais que c’est Christ lui-même qui renouvelle doucement sa demande faite lors de ma confirmation : « Puis-je entrer dans ta vie et en prendre le gouvernail ? » Quelle réponse vais-je lui donner ? Ceux qui veulent accepter Jésus comme le Seigneur de leur vie sont invités à le manifester en descendant sur le terrain de sport. Touchée par l’amour de Christ, je veux prendre publiquement position devant Dieu et devant les hommes de ce que je crois du fond de mon cœur. Mais m’avancer au milieu d’une telle foule m’impressionne. Timidité ? Tourment ? Je suis saisie d’un tremblement. J’hésite, gênée par la présence de ma tante près de laquelle je suis assise : Que va-t-elle penser ? Puis je ne résiste plus : ma décision est prise, je descends. Une grande paix m’envahit alors que je me joins au petit troupeau qui vient, lui aussi, de trouver son berger. Lorsque je retrouve mes parents qui se sont donnés à Jésus quelques mois auparavant, leur joie et leurs larmes me comblent totalement. À notre plus grand bonheur, nous sommes maintenant tous les trois comme « nés de nouveau 7 ». Nous avons une même vision de la vie et nos L’expression vient de Jésus lui-même et décrit l’expérience de la conversion comme une nouvelle naissance (la Bible : Évangile selon Jean, chapitre 3, versets 3 à 10).

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relations gagnent en profondeur. Comme l’écrit très bien l’apôtre Paul au sujet de la conversion : Celui qui est uni au Christ est une nouvelle créature : ce qui est ancien a disparu, voici : ce qui est nouveau est déjà là 8.

C’est par la suite, dans le quotidien, que je prends conscience de l’ampleur de ma misère. Jusque-là, les autres m’avaient renvoyé l’image de quelqu’un d’aimable, d’agréable, d’obéissant et sans problème. Ceci avait retardé ma conviction de péché. Maintenant que je lui appartiens, le Seigneur est à l’œuvre. Il dévoile avec délicatesse mes zones d’ombre : comme tout un chacun, mon cœur est habité par la jalousie, la violence, l’égoïsme et la convoitise. J’éprouve de l’effroi à cette découverte et je m’en ouvre à mes parents. Comment est-ce possible ? Ceux-ci me rassurent. Ces choses me montrent tout simplement combien j’ai besoin que Dieu me pardonne et qu’il change ma vie. La parabole qui suit illustre bien ce qui est en train de se passer en moi. Lorsqu’une maison change de main, le nouveau propriétaire va procéder à une transformation profonde de sa nouvelle acquisition afin qu’elle reflète sa personnalité, qu’il s’y sente parfaitement à l’aise, pour qu’elle lui appartienne de la cave au grenier, avec toutes les dépendances. C’est la même chose dans ma vie : à partir du moment où Jésus entre dans mon cœur, il veut enlever tout ce qui est abîmé et sali par le péché, pour y déployer tout ce qui fait sa beauté. Et c’est ce chantier qu’il vient de commencer, dont il est le maître d’œuvre et qu’il va poursuivre. Voilà l’Évangile : par la présence et l’action de son Esprit, Dieu veut faire toutes choses nouvelles… si je le laisse faire ! La Bible : Seconde lettre aux Corinthiens, chapitre 5 verset 17.

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Des retrouvailles inimaginables 1960. J’ai dix-huit ans. Un matin, mon père adoptif, bouleversé, partage à maman : « Cette nuit, alors que j’étais éveillé, une voix m’a parlé et a dit : “Les prières de cette femme [ma grand-mère paternelle légitime] sont montées jusqu’à moi [Dieu]. La voie est libre pour aller la visiter [en RDA 9]” ». Maman est surprise et inquiète, mais papa est déterminé à obéir. Maman m’en fait part mais je ne réalise pas vraiment. Trois demandes de visa sont déposées. C’est un véritable acte de foi étant donné que le rideau de fer est infranchissable. Mais pour Dieu, rien n’est impossible ! Cette annéelà, circonstance exceptionnelle et inattendue, Krouchtchev, 1er secrétaire du parti communiste de l’URSS, est en visite officielle en France. Le dispositif du rideau de fer est assoupli. À la quatrième demande, l’autorisation nous est délivrée in extremis le 8 août 1961, quatre jours seulement avant la construction du mur de Berlin qui fermera totalement la frontière entre les deux Allemagnes. Nos visas en poche, nous prenons le train à Erfurt. J’ai le souvenir d’un voyage lugubre. Il n’y a que des voyageurs en deuil portant des couronnes mortuaires, car seul le décès d’un proche dans la hiérarchie familiale permet de faire le déplacement. Et en ce qui nous concerne, c’est ma relation filiale avec ma grand-mère paternelle qui m’ouvre ce droit. Durant ce voyage, personne ne parle. Alles schweigt – silence oppressant ! La peur et la suspicion règnent. Feind hört mit – l’ennemi écoute. Monté lors d’un arrêt, un régiment de soldats russes rompt ce silence oppressant en entonnant une succession République Démocratique d’Allemagne (Allemagne de l’Est).

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de chants folkloriques et patriotiques. Quelles voix magnifiques ! Aujourd’hui, je perçois davantage le contraste choquant entre cette beauté des chants et la tristesse qui habitait les voyageurs ! Terminus en gare de Leipzig. Les voyageurs qui descendent du train avec leur couronne mortuaire donnent l’impression d’un long cortège funèbre sans fin, sinistre ! Sur le quai, la sœur de mon père nous réserve un accueil émouvant, un petit bouquet de fleurs à la main, presque insolite dans la tristesse ambiante. Pour la première fois, elle revoit maman, elles pleurent dans les bras l’une de l’autre. Et mon père adoptif assiste à la scène de bonne grâce. Sortis de la gare, nous découvrons un spectacle qui ressemble au décor d’un film du temps du cinéma muet. Des bâtiments uniformément gris. Des devantures de magasins, vides, sans décoration. Une ville en noir et blanc, des rues sans animation : quelques bicyclettes, de rares passants qui se hâtent. Un parent de la famille a mis sa voiture – objet rarissime en RDA – à notre disposition. À première vue, elle est bonne pour la casse ! À cinq, entassés dans l’habitacle réduit, il ne nous faut pas moins de deux heures pour parcourir vingt-cinq kilomètres, sans croiser âme qui vive ! Et notre conducteur est passé maître en mécanique pour parer à toutes les pannes qu’elle nous réserve sur le parcours. La route est à nous ! Notre arrivée est bouleversante. Ma grand-mère est là : je la découvre menue et frêle, habillée modestement d’une petite robe noire où la seule fantaisie est une minuscule broche qui ferme le col et que l’on remarque à 43


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peine. Ses cheveux gris, tirés et ramassés dans un petit chignon font ressortir un visage émacié, marqué par la tristesse et une sorte de résignation. Les deuils, la pauvreté suite à la guerre et l’occupation soviétique, la perte des libertés sous le régime communiste, un avenir sans perspective : voilà autant d’épreuves qui semblent s’être imprimées dans chaque ride de son visage. Nous sommes face à face, ma grand-mère et moi, un peu figées dans l’étonnement de cette rencontre. Nous restons l’une et l’autre dans la réserve. Le regard qu’elle pose sur moi est comme voilé : elle sonde, scrute, cherche en moi le souvenir de ce fils auquel ma présence redonne lentement vie. Ce soir-là, quand nous nous retrouvons seules, ma grand-mère donne libre cours à son émotion. Elle tapote sans cesse mon épaule et répète dans son dialecte : « My gong, my gong [mon fils, mon fils] ». Elle ouvre un album de photos pour me montrer mon père : sa jeunesse en famille ou encore posant avec des motos et des chars, engins qui le passionnaient et dont il avait la responsabilité. Dans mon cœur, j’ai toujours gardé une place pour mon vrai père et là, auprès de ma grand-mère, mon attachement prend corps, sa présence devient palpable, je peux toucher une partie de lui. La famille a mis de côté des bons d’alimentation pour pouvoir nous recevoir dignement : du beurre, du sucre, de la viande, du café. Véritable luxe pour les Allemands de RDA. Le séjour dure une semaine : je dors chez ma grandmère et ce qui me frappe, c’est la modestie de sa condition vécue dans la douceur et le contentement. Elle est la discrétion même ! Et, en même temps, elle est très aimée et honorée par ses enfants.

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Choix de vie

Nous nous rendons également ensemble au culte : notre venue est un événement pour cette petite église essentiellement composée de personnes âgées. Toute la famille de mon père est réunie à cette occasion. Mon père adoptif est à l’aise. Ma grand-mère le remercie de sa démarche et lui dit sa reconnaissance pour ce qu’il fait pour moi : « B. G., so ahnlich [presque pareil, n’est-ce pas ?] » Il se trouve que le nom de famille de mon père légitime et celui de mon père adoptif ont une syllabe et des consonances communes : ma grand-mère y voit comme une continuité tissée entre son fils et moi-même. Ainsi, par ce lien, elle ne se sent pas trahie. Avec ma tante, maman évoque sa souffrance par rapport au passé et sa culpabilité par rapport au décès de mon père. Elle souhaite être rassurée quant à un pardon complet. C’est ce que fait ma tante : ses envois réguliers pour Noël authentifient pleinement son attachement et sa fidélité au souvenir du passé. Maman a le bonheur de se savoir entièrement pardonnée.

Dieu à l’œuvre dans cette rencontre Pour ma grand-mère, notre venue tient du miracle. Elle exprime son émotion pour la sollicitude de Dieu qui a entendu sa prière et lui a permis de me serrer dans ses bras. C’est lui qui en a fait la mise en scène dans les moindres détails. Il a favorisé les circonstances, incliné les cœurs à l’obéissance et aplani les obstacles. Là où tous avaient été éprouvés et où le passé pouvait engendrer rupture, rejet, amertume, chacun a considéré la souffrance de l’autre et lui a apporté l’apaisement par le baume du pardon et de la grâce. Dieu a ainsi opéré, dans chaque vie, la restauration de ce qui avait été brisé par le péché et 45


Brigitte r J’ai osé l’espoir

ses conséquences. Le passé n’est plus une impasse mais un chemin nouveau s’est ouvert : libérés de ce fardeau du passé, nous nous quittons, sûrs des sentiments de grâce et d’amour des uns envers les autres. Pour ma part, je prends conscience de la portée de la démarche courageuse et déterminée de mon père adoptif, dans son obéissance à l’appel de Dieu. Par la noblesse de son geste, par sa présence, il a avalisé mon passé et l’existence de mon père légitime. Il n’en a pas eu honte et il s’est ainsi fait l’instrument de Dieu pour la guérison de mon identité. À partir de ce moment-là, je ne me sens plus comme une pièce rapportée identique à une greffe mal réussie, mais je suis en accord avec mon passé dans le présent qui prend toute sa valeur. Avant, une faute avait été commise et ma naissance n’aurait pas dû être ; maintenant, l’acquittement est total, avec une nouveauté de vie possible : être Brigitte sans avoir à occulter mes origines. Sans avoir à me cacher. 1962. J’ai vingt ans. Entourée de bienveillance, je me suis laissé conduire dans toutes les voies que Dieu a tracées pour moi. Les points troubles de mon passé ont trouvé une issue favorable et positive : un diplôme d’État clôture une scolarité difficile. Je vis au sein d’une famille équilibrée, aimante et proche. Le passé est pacifié et mon identité restaurée. Dieu m’a rencontrée, mon cœur est en paix avec lui et j’ai confié ma vie à Jésus-Christ qui la conduit. Quel cadeau ! Et en prime, je passe mon permis de conduire. Mon père et ma mère me comblent en m’offrant une magnifique voiture, une Floride blanche décapotable d’occasion. Tout n’est-il pas réuni pour un bon départ dans la vie ?

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UnE vIE cAbOSSÉE PAR dES ÉPREUvES En tOUS gEnRES : LA PEUR Et L’IncERtItUdE, UnE IdEntItÉ mISE à mAL, dES dEUILS, Un dIvORcE. dE qUOI SOmbRER dAnS LE dÉSESPOIR. Et POURtAnt…

COLLECTION

VÉCU

Brigitte H.G.

Brigitte r J’AI OSÉ L’ESPOIR

Suivez l’histoire vraie de Brigitte. Elle relate, avec sincérité et beaucoup de sensibilité, son itinéraire fait de combats et de renoncements qui iront jusqu’à ébranler ses convictions.

H I S t O I R E

v R A I E

ISBN 978-2-36249-081-1

Un récit captivant, plein de joie de vivre.

9 782362 490811

Brigitte est infirmière libérale aujourd’hui à la retraite. Femme d’engagement, longtemps investie dans la vie municipale, elle aime se mettre au service des personnes qu’elle rencontre.

Au cœur de l’adversité, une parole répond aux cris de son cœur et à son désarroi profond. L’auteure dévoile son cheminement intérieur, et comment elle osera, jour après jour, placer sa confiance dans l’espérance de la vraie vie. Ainsi s’ouvre le chemin d’une restauration personnelle aussi inattendue que surprenante.

9,90 €


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