quand la sarkozie passe à table
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No 975 Du 18 au 23 décembre 2015
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Bygmalion, nouvelles révélations
qui a gagné ? personne ! pourquoi ils ne Changeront rien
Comment sortir de l’impasse Corse demain, l’indépendanCe ?
montpellier la guerre des imams
notre opinion
Par Joseph Macé-Scaron
Doux Jésus et les ravis De la crèche
U
n hebdomadaire qui se veut réactionnaire, mais qui n’est, au fond, que très classiquement conservateur (au sens du grippé qui veut conserver son virus et non la bonne santé), titrait « Vive nos traditions » avec, en couverture, une crèche de Noël provençale assez kitsch. Santons de solitude. L’écrivain Denis Tillinac, qui reste, à mes yeux, à tout jamais le pétulant éditeur de La Table ronde, digne héritier de Roland Laudenbach, enfourche sa Rossinante et part en croisade contre ces nouveaux moulins à vent que seraient « les extrémistes de la laïcité », ces nouveaux barbares qui empêchent ces crèches (la-magie-de-Noël) de se glisser dans les mairies, les hôtels de département et de région, les commissariats, les Pôle emploi, les centres des impôts. C’est-à-dire à peu près partout, et de préférence dans les lieux dédiés au service public, sauf dans les églises, où ces crèches sont assez souvent remplacées par des icônes orthodoxes. Passons. Je ne reviendrai pas ici sur l’absurdité de nous présenter cette invasion comme une tradition qui serait le cours le plus intérieur de l’histoire de notre pays. Dans une récente analyse*, Eric Conan a très bien décrit combien cette foraison est nouvelle et n’a rien de « traditionnel », combien les catholiques ne gagneraient rien à vouloir « christianiser les bâtiments de la République » et combien il est absurde de ne voir dans cette exposition qu’une manifestation culturelle. Bref, c’est faire l’âne pour avoir du sens.
Derrière ce souci ou cette ardente obligation, selon les cas, il y a, bien entendu, l’obsession de l’islam. Pour une partie de la gauche, on ne peut parler d’islamisme sans insulter l’islam tout entier. C’est un peu court. Pour une partie de la droite, distinguer l’islamisme de l’islam est devenu hautement suspect. C’est assez limité. Bref, pour les uns vous êtes de la Ligue et, pour les autres, vous appartenez à la Réforme. Au secours ! On notera que, pour la droite conservatrice, l’obsession de l’adversaire conduit tôt ou tard à en emprunter les comportements et même parfois les tics de langage. On fnira, par exemple, par adopter son prosélytisme et nous faire croire que le conte les Trois Messes basses de Daudet se passait au resto-U de la fac de Nanterre. La tradition, on le sait, ne revêt pas à l’évidence la même signifcation ou la même résonance dans tous les esprits. On croit être dans la tradition et on est dans la trahison. Voilà pourquoi ces ravis de la crèche nous intéressent tant : ils nous permettent de redéfnir le lien parfois délié entre la tradition et la transmission.
Sans chercher à déplaire à notre ministre de l’Education nationale, il faut souligner que la tradition, tout comme l’autorité, la fondation, la légitimité, se rattache moins au christianisme qu’à nos origines latines, qu’à ce « sentiment romain de la continuité ». Nombreux sont ceux qui prétendent, aujourd’hui, nous enseigner ce qu’est la tradition chrétienne sans que l’on sache, et parfois qu’euxmêmes sachent, de quelle chrétienté il est ici question. S’agit-il du traditionalisme qui est à la tradition ce que le nationalisme est à la nation ? S’agit-il de ce corps de doctrine de fraîche date, né au XIXe siècle pour expier les « errements de la Révolution » et les « crimes de la Commune », où s’agit-il de la Tradition apostolique telle qu’elle se déploie en Orient depuis des siècles ? S’agitil du militantisme de la Contre-Réforme et des sectes évangéliques, plus soucieuses de contester Darwin et de faire plier la société civile, ou la contemplation des moines copistes qui inscrivent chacun de leurs gestes dans le temps de Dieu ? Le niveau baisse en même temps que l’Eglise de France s’uniformise, cher Denis Tillinac. Il fut un temps, pas si lointain, où la chrétienté de ce pays était singulière parce que plurielle. Elle était tout à la fois celle de Georges Montaron et de René Rémond, celle de Maurice Clavel et de Gustave Tibon. Tout comme, autrefois, elle avait été celle de Mauriac et de Bernanos. Que vaut une tradition quand elle est contestée ? Tout comme l’autorité, et Hannah Arendt a écrit des pages lumineuses sur ce sujet dans la Crise de la culture, la tradition est forte, aussi longtemps qu’elle n’est pas remise en question. Voilà pourquoi on ne reprend pas une tradition. Dès qu’une voix s’élève pour s’écrier « A quoi cela sert ? », la tradition voit son magistère vaciller, se détacher des profondeurs de l’inconscient populaire et, peu à peu, s’évanouir. Poser la question de la pertinence d’une tradition, c’est faire remarquer que la chose ne va plus d’elle-même, que l’on ne peut plus précisément répondre banalement et comme une évidence « C’est la tradition ». Voilà pourquoi la condamnation récurrente de Mai 68 est un non-sens, tout comme la volonté de reprendre une tradition interrompue. Ces deux attitudes révèlent une surdité à l’Histoire. Le passé ne sert plus à éclairer l’avenir, mais à prendre en otage le présent. Voilà pourquoi les temps sombres ou de chaos sont aussi l’occasion de fonder de nouvelles traditions, de nouvelles continuités. Après tout, comme le dit un proverbe arabe, « une tradition commence une première fois ». n * « Crèches de Noël, laïcité et mauvaise foi », Marianne n° 973, p. 8. 18 au 23 décembre 2015 / Marianne / 3
sommaire
N0 975 Du 18 au 23 décembre 2015
18 évéNemeNt
commeNt sortir de l’impasse agnés gaudin / la montagne / maxppp
Par Joseph Macé-Scaron
ania friendorf / zuma / visual press agency
Qui a gagné ? personne. De plus en plus de politiques, pensent qu’il faut sortir du face-à-face HollandeSarkozy.
3 notre opinion Doux Jésus ou les ravis de la crèche. Par Joseph Macé-Scaron
libye. la vérité sur cet autre saNctuaire de daech
8 L’éditoriaL de Jacques Julliard Le cadavre dans l’armoire. 10 L’anaLyse d’Eric Conan Mais si, la gauche est prête pour 2017 !
12 évéNemeNt Par Marc Endeweld 16 l e vif du sujet Et l’état d’urgence de la solidarité, c’est pour quand ? Par Jack Dion 30
mieux vaut eN rire !
34 fraNce
moNtpellier, la guerre des imams Sympathie djihadiste, fraudes… La communauté musulmane ne sait plus à quel saint se vouer. Par Daniel Bernard
en couverture : illustration pascal gros
40
“passé uN certaiN Niveau, les rémuNératioNs soNt iNexplicables” Entretien avec Louis Gallois, le patron historique de la SNCF et actuel président du conseil de surveillance de PSA. Un langage qui détonne dans l’univers patronal.
Propos recueillis par Anne Rosencher
N0 975 - Du 18 au 23 décembre 2015
Dans Histoire du terrorisme, le géostratège Gérard Chaliand et le politologue Arnaud Blin mettent en évidence la spécifcité de la terreur djihadiste.
Ce nouveau front, certes miné par les divisions, représente une menace aux portes de l’Europe. Par Roumiana Ougartchinska
52 c hiche ! “S’obstiner à vivre selon les valeurs universelles”.
Par Lucien Lazare
bygmalioN, Nouvelles révélatioNs Quand la Sarkozie passe à table.
“l’état islamique pratique la guerre d’usure”
46 moNde
Propos recueillis par Alexis Lacroix et Alain Léauthier
74 culture
es délires de Jérôme Bosch, L les derniers secrets de Dylan, les aventures du grand Kessel… Sélection des ouvrages à offrir ou à s’offrir pour les fêtes de fn d’année.
54 faits divers
y aura-t-il de la “Neige” à Noël ? Par Frédéric Ploquin 58
le jourNal des lecteurs
Par le service culture de “Marianne”
Les banques programment le vol de leurs clients.
84 quelle époque !
62 magaziNe
Décryptage des formules et expressions en vogue, “en mode” enquêteurs de la grammaire et scrutateurs du goût du jour.
Par Daniel Bernard, Elodie Emery et Anne Rosencher
68 idées
Par julie Rambal 94 o N passe à table Gilles Vérot, passionnément charcutier. Par Périco Légasse 96
à dire vrai Soyons réalistes, exigeons l’impossible Par Laurent Nunez
le marché du moiNs de 10 aNs Jouets, vêtements, alimentation… Le pactole de l’enfant roi ne souffre aucune restriction.
“boN courage !” et autres tics de laNgage daNs l’air du temps
Marianne. 28, rue Broca, 75005 Paris. Tél. : 01 53 72 29 00. Fax : 01 53 72 29 72. direcTeur général eT direcTeur de la publicaTion : Frédérick Cassegrain. iMpriMerie : Maury S.A. Malesherbes (45). ISSN : 2425-4088 / No CPPAP 1017 C 89227 Printed in France / Imprimé en France. publiciTé : PM & Co Régie publicitaire – 6 ter, rue Rouget-de-Lisle, 92400 Courbevoie (01 49 97 07 06), fax : 01 49 97 05 90. direcTriceS aSSociéeS : Pascale Bieder-Singer, Maud Cohen Solal.
d es livres sous le sapiN
oN joue Par Benjamin Hannuna
98 Ça va MieUX en Le disant Plafond de verre et boule de cristal.
Par Guy Konopnicki
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6 / Marianne / 18 au 23 décembre 2015
L’éditoriaL de jacques juLLiard
Le cadavre dans L’armoire
I
ls étaient pour une fois unanimes dimanche soir sur les radios et les plateaux télé, nos ténors politiques et nos commentateurs autorisés : on n’oublierait pas les leçons du premier tour! Tant mieux. Méfons-nous du premier mouvement, c’est le bon. Mais le fait est que je devais bien être l’un des seuls en France à n’avoir pas compris quelles étaient ces leçons, quel était ce mécontentement. On ne tarda pas à m’éclairer. Le mécontentement (50 % d’abstention et 28 % de voix pour le FN parmi les votants), c’était le chômage ! La corrélation entre le vote FN et le chômage était, paraît-il, incontestable.
Ouf ! Nous étions revenus en terrain connu. Et tant pis si des pays à faible chômage, comme la Suède et le Danemark, connaissent néanmoins une forte poussée d’extrême droite ; et si, à l’inverse, des pays à très fort chômage, comme l’Espagne et le Portugal, sont épargnés par le prurit d’extrême droite. Et tant pis encore si, depuis deux mois, nous avons été tétanisés par d’autres sujets, comme l’afux des migrants aux frontières de l’Europe, puis le terrorisme islamique, enfn la grand-messe du réchaufement climatique. L’avantage de l’explication par le chômage, corroborée en décembre par un taux de 10,2 %, jamais vu depuis 1997, est de nous transporter comme sur un tapis volant en terrain familier, où feurissent, à défaut de solutions efcaces, les explications rassurantes : celles qui font des chômeurs et des travailleurs menacés des proies toutes désignées et inconscientes pour la propagande d’extrême droite. Là-dessus, l’accord est unanime, de Besancenot à Juppé, de la CGT au Medef, de Picketty à Baverez. D’autant plus qu’en France débattre du chômage ne mange pas de pain. On en parle d’abondance depuis au moins trente-cinq ans : cela n’a jamais créé un seul emploi. Dès dimanche soir, le fusil à tirer dans les coins s’est de nouveau fait entendre. Entre ceux qui, à gauche et à l’extrême gauche, réclament encore plus de transferts sociaux, dont la France est déjà championne du monde, et ceux qui, à droite et au centre, préconisent davantage de libéralisme et de déréglementation, le match a repris de plus belle, les règles en sont connues, et le résultat aussi : des grands pays industriels, la France est le seul qui, depuis quarante ans, ne parvient pas à faire baisser son chômage. Eh bien, pas d’accord ! J’ai tenté la semaine dernière d’expliquer pourquoi le Front national n’est pas le 8 / Marianne / 18 au 23 décembre 2015
fascisme, où ce dernier existe pourtant, à l’état de traces. J’afrme aujourd’hui que le Front national ne se réduit pas à la question du chômage, même si, naturellement, celle-ci joue un rôle très important dans l’essor du phénomène. Essentiellement parce que la discussion sur le chômage, dans laquelle chacun s’est jeté avec soulagement dimanche soir, est un merveilleux instrument pour escamoter le sujet dont on ne parle pas devant les enfants, je veux dire devant les électeurs : j’ai nommé l’immigration, qui est dans la grande famille politique comme le cadavre dans l’armoire. Je prétends au contraire que le refus par les politiques d’aborder publiquement et franchement cette question de l’immigration est une des raisons essentielles de la défance qui s’est creusée entre le peuple et les élites ainsi que de la montée continue du Front national. Le peuple a l’impression qu’on lui cache quelque chose ; il s’en irrite, et il a tort. Les élites dirigeantes craignaient que le peuple ne soit raciste, elles s’en inquiètent, et elles ont tort. On ne peut en démocratie tenir longtemps, comme on le fait, le peuple à l’écart des plus graves questions qui se posent à un moment donné sans détériorer gravement le contrat social qui doit unir le peuple à ses gouvernants. Prenons justement le problème des rapports entre immigration et chômage. Ou bien l’immigration n’a pas d’incidence sur la montée du chômage, et l’on a tout intérêt à le dire. Ou bien il en a une, comme c’est probable, et il faut expliquer pourquoi c’est là provisoirement une des faces inévitables d’un phénomène qui peut devenir à moyen terme facteur de prospérité.
De même en matière d’insécurité. Ou bien il n’y a pas de corrélation entre immigration et insécurité, et il sera bon de le faire savoir. Ou bien il y en a une ; alors il faut expliquer pourquoi, et dire comment on peut venir à bout du danger. Ce qui est intolérable, c’est de faire comme récemment à propos de l’islam et de l’islamisme radical : déclarer de façon sotte et péremptoire qu’il n’y a pas de rapport entre eux ! Car le peuple est capable d’autant d’intelligence et de générosité que les élites. Je prétends même, sans verser dans le populisme, qu’il l’est davantage, car il est moins que les élites dominé par la cupidité et l’ambition. La démocratie exige que l’on ne prenne pas les gens pour des imbéciles ou des chiens de Pavlov. Or c’est prendre les gens ordinaires pour des imbéciles que de réduire leur capacité politique à la seule considération de leur intérêt individuel immédiat, et de leur dénier le droit de s’élever à celle de l’intérêt général. Le citoyen n’est pas qu’un acteur économique. Lorsque le reporter interroge un quidam : « Vous votez pour le Front national, pourtant vous n’avez pas subi vous-même d’agression », c’est là un ton condescendant et réducteur que l’on ne se permettrait pas avec un sociologue. « Rien ne sera désormais comme avant », avons-nous entendu à satiété depuis dimanche. Soit ! Alors commençons par traiter les citoyens comme des adultes responsables et non comme des fascistes en puissance. n
SYRIE, IRAK
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l’analyse d’Eric Conan
Mais si, la gauche est prête pour 2017 !
L’euthanasie des fédérations du Nord et de Provence, piliers du socialisme de Jaurès à Mitterrand, est une décision historique réféchie. Mieux valait liquider ces cadavres renversés dont la sociologie populaire est passée au FN, déjà en tête chez les jeunes prolétaires de moins de 35 ans, et qui cherche à constituer la « nouvelle alliance » des « catégories populaires » et « classes moyennes » dont rêvait Lionel Jospin. Mais ce « sacrifce » d’un siècle de militantisme dans les corons du Nord et les ports du Sud est un investissement pour l’avenir. 10 / Marianne / 18 au 23 décembre 2015
D’abord l’avenir proche du gros chat de l’Elysée qui a confé à ses courtisans médiatiques pouvoir passer par le « trou de souris » de 2017. L’ambition politique de la gauche et de la droite se limitant désormais à ne pas être éliminées au premier tour pour gagner au second grâce à Marine Le Pen, François Hollande voit ce « trou de souris » s’éclaircir pour lui. Avec la déliquescence du Front de gauche et des écologistes, la voie se libère pour le candidat unique de la gauche, que ce soit face à une candidature Sarkozy suscitant celle de Bayrou ou
face à une candidature Juppé provoquant une fuite de voix vers le FN et DupontAignan. Comme meilleur opposant à Marine Le Pen, l’homme de la synthèse qui a fait élire Estrosi et Bertrand a une longueur d’avance sur une droite piégée par son « pacte de responsabilité » copié sur le patronat et son « pacte de sécurité » dérobé à l’extrême droite Manuel Valls, lui, sait que 2017 sera la dernière tournée anti-« F-Haine ». Ce programme a bien servi, les victoires étaient plus faciles sur l’extrême droite que sur le chômage, l’insécurité ou l’islamisme. Mais il commence à desservir. Le crash de Claude Bartolone, dont nombre d’électeurs de gauche se sont détournés, en apporte l’inquiétant signal. Ce président de l’Assemblée qui avait prévenu (à l’ébahissement des correspondants de la presse étrangère) qu’il ne démissionnerait pas en
cas d’échec symbolise cette caste d’apparatchiks qu’est devenu le PS. Et ses accusations infâmes contre Valérie Pécresse militante de la « race blanche » révèlent l’épuisement d’une rhétorique antiraciste, réduite à la complaisance avec les islamistes et à la guerre civile des races.
Ce rendement décroissant de l’antilepénisme primaire se vérife sur le plan électoral. Jean-Marie Le Pen raillait la « bande des quatre » (UDF, RPR, PC, PS), devenue après fusion-concentration le binôme « UMPS » dénoncé par sa flle. Mais deux opposants contre un FN de plus en plus fort, c’est un de trop : le Premier ministre a compris qu’il fallait passer d’un tripartisme menacé à un bipartisme plus résistant. « Moi, j’assume mes responsabilités ! » a prévenu ce schumpétérien de la politique adepte de la « destruction créatrice ». Il a pris de l’avance en démontrant l’efcacité du métissage des électeurs de droite et de gauche dans le Nord et le Sud. L’ex-rocardien « probusiness » qui veut en fnir avec le mot « socialiste » se pense le mieux placé pour accoucher de cette « grande coalition à l’allemande » dont rêvent les élites françaises. Finie, l’union de la gauche, l’avenir est à l’union des libéraux. Cela crève les yeux : Juppé et Kosciusko-Morizet sont plus proches de Valls et Macron que de Sarkozy ou Mélenchon. Leurs programmes sont les mêmes. C’est celui du Medef. Pierre Gattaz a d’ailleurs apporté sa contribution en accusant le FN de reprendre « le Programme commun de la gauche de 1981 ». Et la socialiste Carole Delga a fait élire sur sa liste la présidente du Medef-Languedoc. Cette « maison commune » dans laquelle Manuel Valls propose de rassembler toutes les « forces progressistes » ressemble à celle des Trois petits cochons qui ont peur du grand méchant loup. La gauche en a peur parce qu’elle lui a abandonné le peuple. La droite, parce qu’elle lui a laissé la nation. Elles peuvent se donner un dernier répit en se serrant ensemble. Jusqu’à quand ? n
denis allard / réa
L
a France va mal, mais Hollande va mieux. Il ne nous l’a pas dit. Lui qui tient conférence de presse au moindre déraillement de train se tait depuis le désastre des régionales. Ce sont les envoyés spéciaux permanents à l’Elysée qui nous ont rassurés : « Il prépare le coup d’après. » 2017. Quant à son Premier ministre, il s’est tout de suite mis à l’aise : « Je n’ai pas à m’excuser. » Lui aussi pense au coup d’après. Le pourquoi du comment de la victoire politique du FN, du succès relatif de la droite et de l’agonie du PS n’intéresse ni Hollande ni Valls. Ils sont d’accord pour ne rien changer. Parce que c’est leur intérêt. Ils appartiennent à ces nouvelles générations pour lesquelles la politique consiste à se faire élire, rester au pouvoir ou y revenir. Sous cet angle, le champ de ruines postrégionales se présente assez bien. La déroute s’aggrave, mais ne dément pas le théorème énoncé il y a trente ans par Pierre Bérégovoy : « Plus le Front national sera fort, plus on sera imbattables. » A force, il est devenu très fort, mais cela reste jouable. Peutêtre pour la dernière fois. Le président sortant y croit pour la présidentielle. Son Premier ministre, qui sait que ce cynisme atteint ses limites, pense à la suite. Calendriers diférents, mais analyse commune que Manuel Valls a bien résumée : « Nous sommes arrivés au bout d’un cycle historique de notre parti. »
RÉVÉLATIOnS
L
a scène se déroule le 9 octobre 2015, dans le bureau exigu du juge Serge Tournaire, au pôle fnancier de Paris. Ce vendredi, le magistrat a donné rendez-vous aux principaux acteurs de l’affaire Bygmalion, cette « usine à gaz » montée pour dissimuler les faramineux dépassements de la campagne présidentielle de Sarkozy en 2012. Sont là : Franck Attal, l’ancien directeur général d’Event & Compagnie (la fliale événementielle de Bygmalion), Fabienne Liadzé, l’ancienne directrice fnancière de l’UMP, Eric Cesari, l’ancien directeur général du parti, Guillaume Lambert, ancien directeur de campagne de Nicolas Sarkozy, et, bien sûr, Jérôme Lavrilleux, son ancien adjoint. Tous ont déjà été mis en examen. Un peu en retrait de la scène fgure encore Nicolas Baïetto, le viceprocureur de la République. Marianne s’est procuré l’intégralité de cette confrontation, qui a commencé à 9 h 45 et s’est terminée tard dans la soirée. On y découvre la masse d’informations précises accumulées par la justice quant à l’explosion du nombre des meetings du candidat, à partir du mois de mars 2012. On mesure surtout la faiblesse des arguments avancés par l’entourage de l’ancien président de la République pour justifer le dépassement des coûts de la campagne. Car, sur le fond, ni Guillaume Lambert, ni Eric Cesari, ni Fabienne Liadzé n’ont contesté, devant le juge, les dérapages. Ils n’ont pas nié non plus la manipulation consistant à les faire payer par l’UMP. Tout juste ont-ils prétendu qu’ils l’ignoraient à l’époque… Une ligne de défense bien mince derrière laquelle Nicolas Sarkozy aura bien du mal à se retrancher. n MARC ENDEWELD
12 / Marianne / 18 au 23 décembre 2015
QUAnD LA SAR
vincent boisot / riva press - alain guizard / bestimage
affaire bygmalion
ÉRIc cESARI (ci-dessus). L’ancien directeur général de l’UMP était l’œil de Nicolas Sarkozy au sein de l’équipe de campagne. Il minimise la responsabilité du candidat dans le dérapage des comptes de campagne. JÉRôME LAVRILLEUX (ci-dessus à dr.). L’ancien directeur adjoint de la campagne a été exclu de l’UMP. Refusant de porter seul le chapeau, il accuse Nicolas Sarkozy et ses proches d’avoir été informés des dérapages fnanciers de la campagne.
Voici les principaux extraits de la confrontation qui s’est tenue, le 9 octobre 2015, dans le bureau du juge Serge Tournaire entre les principaux mis en examen de l’affaire Bygmalion, sur le truquage présumé des comptes de la campagne présidentielle de Nicolas Sarkozy en 2012.
LAVRILLEUX MOUILLE L’ÉLYSÉE ET SARKOZY Pierre angulaire du dossier Bygmalion : l’accroissement des meetings de Sarkozy, cause du surcoût exorbitant de la campagne et donc de l’organisation de la fraude… Au départ, explique Jérôme Lavrilleux, alors directeur adjoint de la campagne « la volonté du président de la République était […] de mener en 2012 une campagne électorale du même type que celle qu’avait menée en 1988 le président de la République sortant François Mitterrand. Ceci m’avait été confrmé lors d’un dîner auquel j’ai participé à l’Elysée, de mémoire, en avril 2011, auquel participaient Nicolas Sarkozy, Xavier Musca, secrétaire général de l’Elysée, Brice Hortefeux, François Baroin, Bruno Le Maire et moi-même ».
Il n’est alors question que de trois ou quatre grands meetings. Puis arrive un autre rendez-vous. « La réunion à l’Elysée en décembre 2011, sous la présidence d’Olivier Biancarelli, conseiller politique du président de la République chargé de mettre en place la partie logistique de la campagne électorale. » Lavrilleux explique : « Cette réunion a fait d’ailleurs l’objet d’une note au président de la République, une copie ayant été adressée aux participants. De mémoire, il y avait Brice Hortefeux, Olivier Biancarelli, Eric Cesari, Geofroy Didier, collaborateur de Brice Hortefeux, Eric Schahl, collaborateur du président de la République et actuel directeur général adjoint de l’UMP, et moi-même. » Il s’agit désormais de préparer « une dizaine de meetings entre l’annonce de la candidature et le second tour de l’élection, qui s’ajouteraient aux
ludovic / réa - santini2014.fr
KOzIe PASSe à TABLe déplacements efectués en qualité de président de la République ».
UN MAIL D’ÉRIC CeSARI Dans ses déclarations, Jérôme Lavrilleux évoque un mail d’Eric Cesari (l’ancien directeur général de l’UMP) destiné à Guillaume Lambert (directeur de la campagne de Sarkozy), désormais entre les mains des enquêteurs, « qui dit en substance : “Je prends note de la volonté du président de la République d’organiser désormais un meeting par jour et j’en informe Jérôme Lavrilleux” .» Le juge Serge Tournaire se tourne alors vers Eric Cesari… Réponse : « J’ai participé à un certain nombre de réunions informelles », mais minimise aussitôt l’implication de Nicolas Sarkozy : « Elles n’engageaient en rien le candidat puisque par nature elles n’étaient pas des réunions suscitées par le candidat. »
LAMBeRT S’eMBROUILLe… Plus de meetings, donc coût plus élevé de la campagne présidentielle…
Questionné sur ce point clé, Guillaume Lambert commence par évoquer une prévision budgétaire de l’UMP élaborée le 30 janvier 2012, avec « 16 meetings (12 pour le premier tour, 3 pour le second tour + 1 meeting de lancement de campagne) » pour « un montant prévisionnel de 7,3 millions d’euros ». Mais le juge Tournaire, qui connaît son dossier, lui présente un « budget actualisé au 20 mars » où il est question cette fois de « 25 meetings pour le premier tour, 3 meetings pour le second tour ». Une explosion qui expliquerait évidemment l’emballement fnancier. Lambert commence par minimiser, évoque des « réunions locales de moindre ampleur », puis finit par reconnaître que « l’augmentation du rythme de la campagne a été décidée après le meeting de Villepinte du 11 mars ». Mais le magistrat ne lâche rien. « Au 11 mars, vous déteniez la note des experts comptables qui recommandait de ne faire aucune dépense supplémentaire, note reposant sur le budget actualisé au 6 mars qui prévoyait 15 meetings. Comment avez-vous pu envisager des meetings régionaux et
GUILLAUMe LAMBeRT (ci-dessus). Ce préfet était directeur de campagne de Nicolas Sarkozy. Il tente désormais de se défausser tant bien que mal. FABIeNNe LIADzÉ (ci-dessus, à dr.). Directrice des ressources de l’UMP, c’est elle qui signait les factures de la campagne. Licenciée du parti, elle explique n’avoir été qu’une exécutante.
nationaux supplémentaires passant de 15 à 28 meetings ? » demande-t-il. Acculé, Guillaume Lambert botte en touche…
… PUIS CHARGe LAVRILLeUX Incapable de fournir des explications convaincantes sur l’emballement de la campagne de Nicolas Sarkozy, Lambert choisit de charger Lavrilleux. « C’était Jérôme Lavrilleux qui était chargé de l’organisation des meetings, qui passait commande au prestataire qu’ il avait choisi, en l’occurrence Event & Cie [la fliale de Bygmalion], pour la réalisation des meetings. » Guillaume Lambert affirme au passage que les coûts des deux premiers meetings de la campagne, Annecy et Marseille, lui étaient apparus « excessifs ». A ce moment de la confrontation, Guillaume Lambert évoque une personne clé dans la Sarkozie, qui était le conseiller en communication de Nicolas Sarkozy à l’Elysée : « Franck Louvrier. A qui j’en parle également et qui me dit que ces montants sont déraisonnables et ne correspondent pas aux prestations fournies. C’est dans ce contexte › 18 au 23 décembre 2015 / Marianne / 13
RÉVÉLATIONS
HORS LA LOI Accusé, Jérôme Lavrilleux répond énergiquement : « Ai-je validé un seul devis ? Etais-je destinataire des devis avant que les manifestations aient lieu ? La réponse est non. Ai-je participé aux réunions budgétaires diverses et variées qui semblent avoir été organisées, tant au siège de l’UMP qu’au siège de campagne ? La réponse est non. Ai-je rencontré au cours de la campagne les experts-comptables ? La réponse est non. Mon rôle n’ était pas fnancier, mais organisationnel et de répondre aux demandes transmises par le directeur de la campagne d’organiser tel jour, tel meeting, dans telle ville. » Et l’homme, qui n’a guère envie de porter seul le chapeau du dépassement fnancier de la campagne, et de son maquillage comptable, d’enfoncer le clou : « La prévision budgétaire qui a été réalisée était visiblement de 7 millions d’euros pour 15 meetings. Il suft simplement de multiplier 7 millions par 3, cela fait 21 millions d’euros […], donc 45 meetings. Ce qui m’amène à ma conclusion qu’une personne ayant connaissance des prévisions budgétaires et étant chargée de déterminer le nombre de réunions publiques aurait dû constater que cela ne pouvait pas tenir dans le budget tel que défni par la loi. » Mais Lambert n’en démord pas : « C’est Jérôme Lavrilleux qui était chargé de l’organisation des meetings et, en tant que directeur adjoint, il devait avoir le souci du respect du plafond des dépenses de campagne. » Lavrilleux : « Le roman que M. Lambert essaye d’ écrire a posteriori sur le fait que j’aurais été la pierre angulaire de tout dans cette campagne, de l’organisation des meetings au fnancement des meetings, et de l’ensemble du budget de la campagne, n’a aucun sens. » 14 / Marianne / 18 au 23 décembre 2015
L’ÉTRANGE FACTURATION DE VILLEPINTE Vient l’épisode essentiel du dossier, avec ses étranges facturations : le grand meeting de Villepinte du 11 mars 2012. Le juge : « Il apparaît que, le 2 mars, l’UMP a réglé deux factures d’un même montant, 956 800 €, l’une à Agence Publics [l’autre agence de la campagne] et l’autre à Event & Cie pour le meeting de Villepinte ; en défnitive, seule la moitié de la facture fgurera dans le compte de campagne. » Lambert : « Je ne suis pas au courant des paiements effectués par l’UMP. » Le juge, à Fabienne Liadzé : « La question porte sur le fait qu’ à un moment où la campagne et l’UMP sont supposées renégocier les tarifs d’Event considérés comme disproportionnés, la facture d’Event pour le meeting de Villepinte est d’un montant de près de 1 million d’euros et alors qu’Agence Publics a également facturé près de 1 million d’euros, ces sommes ne sont contestées par personne, et sont payées alors même que ces coûts, même s’ il y aura partage entre l’UMP et la campagne, vont bien fnir par intégrer partiellement le compte de campagne. Comment expliquez-vous cette diférence de traitement ? » Décontenancée, l’ancienne directrice fnancière lâche : « Je n’ai pas d’autres explications. »
LES MYSTÉRIEUX 10 MILLIONS D’EUROS Sûr de son petit efet, le juge présente alors à l’ensemble des mis en examen un tableau comptable de l’UMP où fgurent 13,5 millions d’euros de factures payées par l’UMP pour « la ligne présidentielle », alors que le budget qui avait été préalablement voté n’était que de 2,5 millions d’euros. Autre élément troublant, « seulement » 3 de ces 13,5 millions d’euros ont été intégrés officiellement dans les comptes de campagne. Soit la
robert terzian / divergence
› que je demande à Fabienne Liadzé de voir le lendemain Franck Attal [le patron de la fliale de Bygmalion] pour en parler avec lui. »
LE MEETING DE MARSEILLE, le 19 février 2012. C’est le deuxième de la campagne de Nicolas Sarkozy, après Annecy. Deux réunions dont, d’emblée, le coût lui avait paru “excessif”, explique Guillaume Lambert au juge Tournaire.
bagatelle de 10 millions restants, qui s’ajoutent aux 18 millions d’euros environ liés aux meetings. « Que pourrait-il bien y avoir dans ces 10 millions ? » demande Serge Tournaire à Fabienne Liadzé. L’ancienne directrice fnancière de l’UMP lui répond : « Il faudrait voir les transports des militants qui vont aux meetings : les cars, les trains, je pense à cela parce que ce sont de gros montants. » Tournaire : « Voulez-vous dire que ces frais n’ont pas été intégrés dans la campagne ? » Liadzé rétorque : « Je ne sais pas. Cela ne fait pas partie de ma mission, ni de mes compétences. » Egalement questionné, l’ancien directeur général de l’UMP, Eric Cesari, s’en tient à une réponse pour le moins succincte : « Je ne me suis pas occupé, comme je l’ai toujours dit, de la question budgétaire de la campagne. Je n’ai pas d’avis particulier sur ces questions. » Le juge Tournaire s’étonne : « Bien qu’ancien directeur général des services, vous n’avez aucune explication sur le fait qu’une somme d’environ 10 millions d’euros relative à une ligne présidentielle soit restée à la charge exclusive de l’UMP ? » L’ancien haut cadre de l’UMP reste infexible : « Non, je répète que je n’avais pas de fonction me mettant en situation de débattre du budget. A l’UMP, cette question est du ressort statutairement du trésorier national […]. » Bref, pour Eric
épaules bien larges », s’irrite-t-elle. Eric Cesari estime que la version de l’ancien directeur adjoint de la campagne constitue « une fable ». Les enquêteurs disposent pourtant de nombreux engagements de dépenses seulement signés par Fabienne Liadzé et Eric Cesari, et non par Jérôme Lavrilleux… De son côté, Guillaume Lambert reconnaît la « réalité » de ce système de ventilation des factures entre l’UMP et le compte de campagne, mais… nie en avoir eu connaissance.
LA FACTURE FANTÔME D’AGENCE PUBLICS Cesari, la ligne est simple : « Ce n’est pas moi, c’est l’autre ! » Rappelons que, selon la Commission nationale des comptes de campagne et des fnancements politiques, les dépenses liées aux transports en commun de personnes convoyées jusqu’à des lieux de réunions publiques devaient obligatoirement être inscrites en dépenses dans les comptes de campagne.
LA MÉCANIQUE DE LA FRAUDE Tournaire s’intéresse ensuite au système de ventilation qui a permis de maquiller le dépassement fnancier de la campagne. C’est le moment où Event & Cie, filiale de Bygmalion, envoie des factures sous-facturées pour le compte officiel de campagne et, en parallèle, formalise des « vraies factures » pour les fameuses « fausses conventions » de l’UMP. Le moyen qui permettra de payer la société d’événementiel pour ses prestations réalisées au cours de la campagne sur les comptes de l’UMP. Franck Attal, dirigeant d’Event & Cie, réafrme ainsi que c’est Jérôme Lavrilleux qui lui a demandé, fin mars, de procéder ainsi. Et l’ancien « M. Meeting » de Bygmalion d’ajouter : « Pour moi, et pour nous tous au sein d’Event et de Bygmalion, il était évident que tout le monde au sein de l’UMP et du QG de campagne,
LES PRINCIPAUx ACTEURS DE LA CAMPAGNE N’oNT PLUS PoUR SEULE LIGNE DE DÉFENSE QUE L’IGNoRANCE oU LA PERTE DE MÉMoIRE. ou au moins les personnes directement concernées par le sujet, était au courant de ce process. » Jérôme Lavrilleux : « Je conteste formellement avoir procédé à cela à la date indiquée par Franck Attal. […] Il me semble totalement illogique d’avoir mis en place dès le mois de mars un système de ventilation des factures entre le compte de campagne, l’UMP en tant qu’intervenant pour le compte de campagne et des fausses conventions. » Il date, lui, cette « ventilation » au mois de mai, au moment de l’établissement des comptes ofciels de campagne. Contestant la version de Jérôme Lavrilleux, Fabienne Liadzé nie avoir participé à une réunion avec Eric Cesari et Guillaume Lambert dont l’objet était la mise en place d’une telle ventilation : « Je ne sais pas si je peux me permettre, mais je mesure 1,50 m et pèse 40 kg, mais je trouve que j’ai les
Serge Tournaire s’intéresse également à l’absence dans le compte de campagne de la facture d’Agence Publics, l’autre prestataire, d’un montant de 1,5 million d’euros : « Ces montants n’ont apparemment pas été intégrés dans le compte de campagne, ni pour leur totalité, ni pour la moitié, seule une facture d’Event a été intégrée, et ce pour moitié, soit 444 000 €. Avez-vous une explication ? » demande le magistrat instructeur à Fabienne Liadzé, qui lui répond : « Je ne l’explique pas […]. » Le juge se tourne alors vers Guillaume Lambert, et lui réitère sa question au sujet de cette « grosse » facture manquante : « Je conteste être responsable du compte de campagne. Le compte de campagne est élaboré par M. Godet [expert-comptable] et signé par lui et par M. Briand [trésorier de la campagne] », tente-t-il d’esquiver… Tournaire lui demande alors pourquoi, dans le cadre des grands meetings du Trocadéro et de la Concorde, ce sont les factures d’Agence Publics qui ont été intégrées dans le compte de campagne, et non celles d’Event, pourtant prestataire sur ces événements : « Je n’ai pas d’explication », répond Lambert. Devant les faits accumulés par la justice, les principaux acteurs de la campagne de Nicolas Sarkozy n’ont plus pour seule ligne de défense que l’ignorance ou la perte de mémoire. Une stratégie qui risque de se révéler un peu courte. n M.E. 18 au 23 décembre 2015 / Marianne / 15
le vif du sujet hommage Ü
Üen deux mots
Bernard Maris, l’affranchi
Il a osé le faIre Ü
O
n ne sait pas si sa campagne en Paca est passée par les Saintes-Maries, mais Christian Estrosi sort de ces régionales avec une révélation : courir après le FN, c’est mal. Dans Paris Match, le nouveau président de région fait son mea culpa et celui de sa famille politique : « Plus on va à droite, plus on fait monter le FN. Plutôt que chasser sur le terrain du Front national,
16 / Marianne / 18 au 23 décembre 2015
entouré de toiles de Monet, Manet ou Pissarro. « Bernard était la contradiction incarnée », raconte Henri Sztulman, psychiatre et prof à Toulouse. « Ça le faisait marrer, de faire chier le monde », abonde le dessinateur Riss, rescapé de l’attentat et directeur de Charlie Hebdo. Au fil des images d’archives et des témoignages de ses proches – le romancier Emmanuel Carrère, l’ancien patron de la Tribune Philippe Labarde, l’ex-président du Sénat Jean-Pierre Bel –, on découvre un économiste qui se rêvait d’abord écrivain. Un amateur de bonne chère qui nourrissait les plus grandes craintes sur l’être humain, et son penchant irrépressible pour la guerre. En avril, Marianne avait publié plusieurs extraits de son livre posthume, Et si on aimait la France (Grasset). « La nation la moins homogène a dû penser le plus impensable, l’homme qui naît libre et égal », écrivait-il avec ferté. n ArnAud Bouillin * A la recherche de Bernard Maris, l’anti-économiste, diffusion le 4 janvier à 22 h 30 sur Public Sénat et à 22 h 50 sur France 3 Paris Ile-de-France et France 3 Centre-Val de Loire.
E
voquant l’infernale gestion du Régime social des indépendants (RSI), Pierre Gattaz s’était enfammé : « Il faudrait 100, 1 000 fonctionnaires qui régleraient en trois mois tous les dysfonctionnements. » Pour une fois que le patron des patrons défend le service public, dommage qu’il n’ait pas été entendu par ses pairs (CGPME, UPA, Unapl) et le gouvernement. Ces derniers ont opté pour un simple « comité de suivi » du RSI, promis la nomination de « médiateurs », un recours plus mesuré aux huissiers pour recouvrer les cotisations et un service de paiement en ligne. Les artisans et commerçants risquent d’y réféchir à deux fois avant d’accepter de régler en ligne leurs contributions ou de se mensualiser, de peur que leur argent ne se perde à nouveau dans les circuits calamiteux du RSI. Certes, les plus fragiles apprécieront les réelles baisses de charges, mais il vaudrait mieux crever l’abcès de « cette catastrophe industrielle » (dixit la Cour des comptes) en leur remboursant les frais bancaires et judiciaires qu’ils doivent supporter. Sinon l’embauche des apprentis restera un vœu pieux. n lAurence dequAy
La révélation Estrosi
je préfère chasser le Front national du terrain. » L’exmaire de Nice, que Marianne n’a jamais épargné pour ses sorties outrancières, comme celle sur « la cinquième colonne islamiste », retourne donc sa veste dans le bon sens et juge la ligne Sarkozy-Buisson nuisible au débat politique, et surtout suicidaire pour son parti. Très critique sur la stratégie de Nicolas Sarkozy, celui qu’on
surnomme le « motodidacte » en référence à son passé de champion du deux-roues a, selon un de ses proches, fait sa mue après les résultats du premier tour, quand il avait été devancé par Marion MaréchalLe Pen : « Le petit-fls d’immigré italien s’est souvenu de ses origines et il ne raisonnera plus jamais comme avant. » Vieux motard que jamais. n ThiBAuT PézerAT
éric gaillard / reuters
baltel / sipa
B
ernard Maris était un homme libre, en tous lieux. Pas seulement dans la case de l’Oncle Bernard, le pseudo sous lequel il signait ses chroniques éconoclastes dans Charlie Hebdo. Le documentaire intimiste* que lui consacrent deux journalistes, Hélène Fresnel, sa dernière compagne, et Hélène Risser, son amie, explore les mille et une hardiesses de l’universitaire toulousain tombé sous les balles des frères Kouachi le 7 janvier dernier. Pourfendeur inlassable de l’orthodoxie libérale, une « élucubration autoentretenue » qu’il dénonça dès les années 90, il accepta vingt ans plus tard de siéger au conseil général d e l a Banqu e d e France. Membre fondateur d’Attac et candidat écolo aux législatives de 2002, ce golfeur distingué goûtait le confort douillet du XVIe arrondissement de Paris où il s’était installé avec sa deuxième épouse, Sylvie Genevoix, la flle du célèbre écrivain,
Commerçants et artisans dans l’enfer du RSI
cE quE “mariannE” En pEnsE
Eurêka ! Ü
G Grippe aviaire, a le l retour
sébastien muylaert / wostok press / maxppp
O manuel valls n’a formulé aucune autocritique.
Et l’état d’urGEncE dE la sOlidarité, c’Est pOur quand ? Par jack dion
O
n ne change pas une équipe qui perd. En vertu de ce précepte, Manuel Valls est resté ferme sur les principes qui guident l’action de son gouvernement et qui ont fait la preuve de leur totale inefcacité. Certes, on a entendu le Premier ministre assurer que l’on allait enfn prendre les mesures qui s’imposaient pour endiguer la marée noire du chômage, dont on sait combien il a pesé dans le résultat du FN. Mais on attend encore l’esquisse d’un quelconque tournant, à part une main tendue vers la droite – geste assez cocasse vu que la politique suivie dans ce domaine est une copie conforme de ce que faisait naguère l’UMP. Le Premier ministre a évoqué la « formation des chômeurs ». La piste est intéressante, à condition de ne pas oublier que nombre de sans-emploi sont des salariés formés, parfois même très expérimentés, et cependant sur le carreau. Envisageraiton d’alléger les futures statistiques de l’emploi en les expurgeant des chômeurs envoyés en formation ? Au vu de l’expérience passée et présente, ce n’est pas impossible. De même, le Premier ministre a vanté « l’apprentissage pour nos jeunes », ce qui ne mange pas de pain à défaut de créer des formations débouchant sur des emplois. A part ça ? Rien. Aucune autocritique. Aucune leçon d’une logique qui a consisté à vider les caisses de l’Etat pour aider des
(grosses) entreprises qui ont soigné leurs marges bénéfciaires sans pour autant relancer l’investissement. Mis en confiance, le Medef en profte pour en demander toujours plus, exigeant de nouveaux allégements de « charges », une réforme fscale aux petits oignons, un démantèlement du code du travail et une nouvelle baisse des dépenses publiques, histoire de porter de nouveaux coups à des services publics déjà mal en point. Pendant ce temps, la croissance se traîne, faute de commandes qui dépendent d’une consommation atone. Dans ces conditions, on aurait pu en profiter pour donner un petit coup de pouce au Smic, histoire de redonner un peu de pouvoir d’achat aux salariés du bas de l’échelle. Horreur et damnation. Pas question. Comme a tenu à le faire savoir la ministre du Travail, Myriam El Khomri, qui connaît mieux ses classiques néolibéraux que la législation sur les CDD, tout efort supplémentaire serait malvenu « compte tenu de ses effets sur le coût du travail ». Pour la dixième année consécutive, il n’y aura donc aucune revalorisation du Smic au-delà de ce qui est prévu par la loi. Résultat : le salaire minimum augmentera de 0,6 % au 1er janvier, soit 6 € de plus par mois, pour atteindre la somme faramineuse de 1 143 € net. Et l’état d’urgence de la solidarité, c’est pour quand ? n
à part la formation des chômeurs et l’apprentissage des jeunes, rien…
n ne pouvait imaginer pire moment pour que survienne la nouvelle v vague de grippe aviaire dans les élevages de canards et de le chapons. Alors que leurs foies c e et leurs cuisses sont attendus ssur les tables des fêtes, une m mauvaise publicité va, une nouvelle fois, provoquer le n dégoût des consommateurs. d L Les autorités politiques et sanitaires auront beau e e expliquer, à raison, que ces virus de type H5 ne se c transmettent à l’homme ni tr p par voie alimentaire, ni par voie aérienne, et qu’il faut des v c conditions exceptionnelles pour qu’ils « s’humanisent », p les chiffres parlent : un le fo foyer nouveau découvert tous les deux jours, 70 000 to v volatiles déjà euthanasiés en Aquitaine, 60 000 dans e le Gers, là où le bonheur est d dans le pré, ça inquiète. Plutôt que de s’acharner P à déminer les peurs, ne faudrait-il pas mettre les fa pieds dans le plat ? Si p l’ l’épizootie se propage à cette vitesse, c’est parce c q que les conditions d’élevage déroulent un tapis rouge au d virus. Concentrer jusqu’à v 3 000 volatiles dans le même hangar, c’est lui permettre de h p prospérer sans limites. Pis, la sélection génétique visant à optimiser la production de fo foie gras affaiblit les défenses immunitaires des animaux. im L Le cocktail de l’élevage intensif est détonant. in Rien de neuf pourtant. R U Une fois la grande peur passée, tout recommencera p c comme avant. Alors que ce ssont les méthodes d’élevage qu’il faut réformer en q p profondeur. C’est fou comme l’agriculture c e et la politique se ressemblent c ces temps-ci ! n
Jean-Claude Jaillette J
18 au 23 décembre 2015 / Marianne / 17
politique
événement
Qui a gagné ? Personne ! PourQuoi ils ne Changeront rien
Comment sortir de l’imPasse
Il ne faut pas seulement renverser la table, mais changer la table et le mobilier qui va avec. Beaucoup de politiques, de chaque camp, le pensent, mais ils sont otages de leurs habitudes et de nos institutions. PAR JOSEPH MACÉ-SCARON
C
’e s t l ’ h i s t o i r e d ’ u n homme qui tombe d’un immeuble de 50 étages. Au fur et à mesure de sa chute, il se répète sans cesse pour se rassurer : “Jusqu’ ici tout va bien, jusqu’ ici tout va bien, jusqu’ ici tout va bien.” Mais l’important n’est pas la chute, c’est l’atterrissage. » Cette réplique d’un des protagonistes du flm la Haine, de Kassovitz, illustre parfaitement l’état d’esprit de la majorité des élites françaises et de notre classe politique. Jusqu’ici, tout va bien. La preuve : le fameux et fumeux « plafond de verre » n’a-t-il pas fonctionné une fois encore ? Pas de région pour le Front national. 18 / Marianne / 18 au 23 décembre 2015
Au premier tour, ils nous jouent l’étonnement et, au second, le soulagement. Pas de région, mais le parti de Marine Le Pen a bien trouvé plus de 800 000 nouveaux électeurs entre les deux tours de scrutin. Pas de région, mais la
déConnexion ahurissante du réel de Ceux Qui nous gouvernent et Qui donnent l’imPression Qu’ils vivent sur la Planète Zorg.
formation d’extrême droite dispose désormais de plus de conseillers régionaux (358) que le Parti socialiste (355) qui disparaît des terres nordistes et sudistes, jadis généreuses pourvoyeuses de grandes fgures de la gauche. Pas de région, mais pour arriver à ce résultat que l’on a tenté durant quelques heures de nous présenter comme une divine surprise, il a fallu additionner la gauche et la droite, ceux qui croyaient à la mondialisation heureuse et ceux qui n’y croyaient pas, le centre édredon et l’extrême gauche pavé, les syndicats toujours mécontents et le patronat jamais satisfait. Mais, mais… jusqu’ici tout va bien, puisque, cette fois encore, cela a « marché », pour
Pourtant sans ce « ni-ni » qu’elle combat, avec le retrait de Dominique Reynié, le FN Louis Aliot aurait probablement emporté la région Languedoc-Roussillon-MidiPyrénées. Pas grave, tout est dans la posture. Bruno Le Maire veut le renouvellement en proposant… Bruno Le Maire, et Alain Juppé, minoritaire dans sa bonne ville de Bordeaux, comme l’a « élégamment » tweetté Isabelle Balkany entre deux mises en examen, pense qu’il est déjà au premier tour de la présidentielle. La faute ? Aux autres et d’abord à ces paresseux de Français qui ont, selon l’analyse, mercredi 16 décembre, du sénateur LR Gérard Longuet, « un poil dans la main ».
Le cumuL des mandaLes
reprendre le verbe préféré de nos impétrants qui considèrent que le projet politique se résume à une boîte à outils. La droite a emporté le plus de régions, mais c’est bien en deçà de ses espérances. Cette élection devait être une promenade de santé, elle a été un chemin de croix, y compris pour ses favoris. Elle attendait une vague bleue, elle a eu à peine un remous dans un pédiluve. Et encore, on ne compte pas ces deux présidences ravies grâce à François Hollande qui a sacrifé les siens, tel un prêtre aztèque dans
l’attente d’une abondante pluie de voix pour la présidentielle de 2017. Tous ces leaders sont empêtrés dans leurs contradictions. La politique autrement ? Il la conçoit sur le terrain avec chaussures à crampons. Nicolas Sarkozy passe au nettoyeur haute pression son parti et ceux qui oseraient contester son « ni-ni » qui, appliqué par le PS, en aurait fait le grand perdant de cette élection. Nathalie Kosciusko-Morizet quitte la droite préraphaélite pour nous rejouer une des pièces de boulevard favorites des médias : les Rénovateurs.
Jusqu’ici tout va bien. Car ceux qui ironiseraient à bon compte et prétendraient qu’il vaut mieux avoir un poil dans la main qu’une barre de fer, on répondra par la leçon de morale, la veille sur France Inter, du ministre de l’Agriculture. S’adressant à une jeune femme désespérée au RSA, Stéphane Le Foll déclara tout de go que la jeunesse devait cesser de s’estimer désespérée puisqu’il y avait plus malheureuse qu’elle, par exemple, dans des pays en guerre comme la Syrie. Déconnexion ahurissante du réel de ceux qui nous gouvernent ou nous représentent et qui donnent en permanence l’impression qu’ils vivent sur la planète Zorg. C’est d’ailleurs cette distance sidérale qui conduit, encore aujourd’hui, nos politiques de droite comme de gauche à empiler mandats et fonctions avec une goinfrerie qui n’a d’égale que leur difculté à remplir correctement une de leurs tâches. Pour un Xavier Bertrand n’attendant pas 2017 pour se consacrer à son job à plein temps, combien de petits malins qui jouent la montre ? « M. Pacman » de la droite, Laurent › 18 au 23 décembre 2015 / Marianne / 19
politique
événement
ce redécoupage régional devait révolutionner le devenir des collectivités territoriales. il a recréé les grands féodaux. › Wauquiez, nouveau président de région, reste parlementaire et vient de se hisser à la place tant convoitée de maître d’équipage de ce bateau ivre qu’est devenue l’ex-UMP. L’homme qui déteste tant les « assistés » aura à coup sûr une pléiade d’assistants pour le suppléer. Baroque. A gauche, le cas le plus fagrant est celui de Jean-Yves Le Drian, duc de Bretagne et grand connétable de France, contredisant une des dernières promesses du souverain. On remarquera juste au passage que ce redécoupage régional qui devait révolutionner le devenir de ces collectivités territoriales a eu pour première conséquence de recréer les grands féodaux que les anciens présidents avaient brisés. Glissons. La politique autrement, disent-ils. Bandes et prébendes. Tôt ou tard, ce cumul des mandats (ou des fonctions) se traduira par un cumul des mandales (électorales), comme celle infigée au quatrième personnage de l’Etat, Claude Bartolone, par Valérie Pécresse, candidate de la droite pour tous.
tiens, on parle du chômage Au vu de sa première réaction, on pouvait s’attendre à ce que « Barto » remette en jeu ses fonctions de président de l’Assemblée nationale auprès de ses pairs, après une campagne qui a fait regretter Jean-Paul Huchon. Mais on avait oublié que ses pairs, à ses yeux, c’est précisément ceux de son clan. Il se fit donc réélire, mardi dernier, grâce à un stratagème que ne désavouerait pas la Corée du Nord par les membres du groupe 20 / Marianne / 18 au 23 décembre 2015
socialiste. Ovationné après une défaite. Chapeau, l’autiste ! Il n’y a guère, le même jour, que l’annonce de la candidature d’Amanda Lear à la présidentielle de 2017 pour sa pièce qui parut aussi surréaliste. Comment s’étonner après que ces pratiques descendent en cascade jusqu’à la base ? En Lorraine-Alsace, ne voit-on pas les mêmes colistiers qui avaient traîné dans la boue la tête de liste Jean-Pierre Masseret déclarer, une fois élus grâce à celuici, qu’ils ne démissionneraient pas, accrochés à leur hochet électoral comme des moules à leur rocher ? La politique autrement. Jusqu’ici tout va bien. Et puis Martine Aubry, qui se couche fâchée et se lève en colère, vint. D’autant plus tempétueuse qu’elle excelle dans le rôle de mater Delorosa pour déplorer le
lait qu’elle a elle-même renversé. Il faut traiter la question du chômage, dit-elle doctement. Cela tombe bien, Jean-Pierre Rafarin et Gérard Longuet disent la même chose, et même son meilleur ennemi Manuel Valls, et même tous les Français. En à peine vingt-quatre heures, l’ensemble de la classe politique entonna un péan et se persuada, en reprenant des cartes qu’ils ne se donnent pas la peine de lire, que seul le chômage est le responsable de la montée du Front national (lire l’éditorial de Jacques Julliard p. 8). Qu’il soit juste permis cette question (un peu) taquine : si on comprend bien l’argumentation, s’il n’y avait pas eu le score de la PME Le Pen, aurait-on cette prise de conscience de saison collective (et tardive) ? Jusqu’ici tout va bien. Du jour au lendemain, on redécouvrit
humberto de oliveira / ip3 / maxppp
les vertus de la formation et les délices de l’apprentissage. Là encore, pas seulement à Marianne, mais également dans tous les foyers de France et de Navarre, on est convaincu de cette ardente obligation et sans avoir attendu un FN « en premier parti » du pays. Résumons. Faire de la politique autrement, mais avec les mêmes
prioriTé Le 13 décembre, Nicolas Sarkozy s’est empressé de faire sa déclaration postélections régionales pour pouvoir assister à un match de foot du PSG au Parc des Princes.
pour éviTer que le Fn apparaisse comme la seule opposiTion à un sysTème en sursis, il n’y a que le sursauT républicain.
méthodes et le même personnel politique (avez-vous remarqué qu’à ce rythme l’Académie française se renouvelle plus vite que la Présidentielle Academy ?). Agir en politique autrement, mais en continuant les mêmes recettes. Que pèse cette volonté afchée de « mettre le paquet » (sic) en faveur de l’apprentissage si l’on ne reconsidère pas le projet économique dans son ensemble ? Que vaut cette volonté claironnée de prendre à bras-lecorps la formation quand on a, d’abord, comme souci de mettre quelques centaines de milliers de chômeurs en formation pour faire baisser les statistiques et donner un peu, si peu, de crédibilité à la candidature d’un homme qui avait promis de ne pas se représenter s’il ne parvenait pas à inverser la courbe du chômage ? Le Front national a été stoppé dans sa volonté de prendre la présidence de région. On notera, au passage, que, comme toutes les vieilles formations politiques et comme tous les vieux notables, ce semiéchec n’a donné lieu ici à aucune esquisse de canevas d’autocritique. La politique comme avant, plutôt que la politique autrement. Les responsables du FN ont donné un si bel exemple de langue de bois qu’à chaque prise de parole on pouvait voir les copeaux voleter. Jusqu’ici tout va bien. Mais le barrage qui a empêché le mouvement lepeniste de transformer l’essai en s’afranchissant des clivages traditionnels tout en ayant recours à des slogans archaïques et inefficaces est fragile. La majorité de nos concitoyens sont convaincus qu’il peut y avoir là une extraordinaire opportunité ou un formidable gâchis. Le formidable gâchis serait que ce mouvement de résistance qui prend de plus en plus l’air d’un gros soupir de soulagement soit uniquement fondé sur le rejet du FN, qu’il se transforme en une amicale des établis, qu’il donne naissance à un centre mollasson. A cet égard, la proposition de Jean-Christophe Cambadélis de noyer le PS dans une alliance populaire regroupant
tous les « progressistes » a peu de chances de clarifier la situation déjà confuse d’une gauche plurielle devenue la gauche plus rien. D’abord parce que l’utilisation du terme « alliance populaire » est étrange. C’est ainsi que s’est appelée la droite franquiste de Manuel Fraga après la transition démocratique en Espagne. Ensuite parce que le terme même d’« alliance », contrairement à celui de « fédération », est étranger au vocabulaire de la gauche, ce qui démontre la volonté, non pas de briser les clivages, mais de brouiller les lignes. L’enfumage, c’est maintenant.
TouT esT encore possible Si l’on ne veut pas que le FN continue d’apparaître comme la seule opposition aux obligés d’un système en sursis, il n’y a guère que le sursaut républicain pour y répondre. Et ce sursaut, s’il se situe bien au centre de l’échiquier politique, doit être dans le dépassement comme le fut en son temps, et pour une courte période, le gaullisme. On dira que ce chemin est escarpé pour les escarpins de nos petits marquis. C’est juste. Mais a-ton noté que l’Histoire est à nouveau dramatique, que nous sommes en guerre, que les défs économiques, sociaux, sociétaux réclament une dynamique de transformation, littéralement et dans tous les sens, révolutionnaire ? Il ne faut plus seulement renverser la table, mais changer la table et tout le mobilier qui va avec. Au risque d’étonner et de détonner, beaucoup de politiques dans chacun des camps en présence font ce constat, mais ils sont otages autant de leurs habitudes que du terrorisme intellectuel qui affuble tout mouvement de la lettre écarlate « populiste » et aussi de nos institutions ossifées. Il revient aux citoyens, comme en Espagne, comme dans beaucoup de pays d’Europe, de les aider. Et il nous revient de relayer toutes les initiatives qui vont dans ce sens. C’est la raison d’être de ce journal depuis sa création. Jusqu’ici, tout est possible. n J.M.-S. 18 au 23 décembre 2015 / Marianne / 21
politique
éVéNEMENT
cEUX qUI PEUVENT FAIRE BoUgER LES LIgNES De droite ou de gauche, politiques ou simples membres de la société civile, ils incarnent une promesse transpartisane et de renouveau. Charge à eux, maintenant, de se montrer à la hauteur.
L
es yeux dans ceux de David Pujadas, sur France 2, il a déclaré ne plus être candidat à la primaire des Républicains, grand bien lui fasse. Reste que les qualités et les intentions qu’il a montrées, pendant et après la campagne, ont marqué les esprits. Son combat au couteau contre Marine Le Pen a révélé sa résistance à l’autorité de Nicolas Sarkozy avec son
jean-yves desfoux / ouest france / maxppp
hannah assouline
XAVIER BERTRAND pRéSIdeNt lR du NORd pAS-de-CAlAIS - pICARdIe Le rendez-vous est pris désormais célèbre « il a le droit de la fermer ». Notoires aussi furent sa prescience du désastre politique qu’engendre le sort de Calais, dont la population doit cohabiter avec un camp de migrants à ciel ouvert, ainsi que sa prise de conscience de l’exaspération devant le « surplomb », pour ne pas dire le mépris, des états-majors pour leurs concitoyens « de province ». Au lendemain de sa victoire, Bertrand s’est dépouillé de ses titres de député et de maire et a promis de se consacrer au seul bonheur de sa région, en veillant à n’oublier personne. Il lui reste à « faire ses preuves […] à partir du terrain ». Lundi soir il confait : « Les gens se diront que je mérite peut-être mieux que les politiciens parisiens. » Le rendezvous est pris. n H.N.
NKM députée lR de l’eSSONNe Libérée de Sarkozy
D
AURéLIE FILIPPETTI députée pS de MOSelle Les justes colères u premier tour, la députée de Moselle a été l’une des
22 / Marianne / 18 au 23 décembre 2015
hannah assouline
A
premières chez les socialistes à s’insurger contre « le déni de défaite » des partis républicains devant les score du FN. Au Monde, elle confait : « L’élection [présidentielle] a été gagnée sur un programme de gauche, réaliste mais ambitieux, pourquoi le nier et le renier alors que c’est celui qui a été validé par les urnes ? Il faut nous attaquer aux racines. Aux motivations du vote. Et donc à nos propres responsabilités, en particulier depuis 2012. » Venue des Verts, cette flle de mineur de fond a été ministre de la Culture de 2012 à 2014. A 42 ans la carrière politique de cette farouche gardienne de la laïcité ne fait que commencer. n S.Q .
epuis ses débuts, Nathalie Kosciusko-Morizet a toujours cultivé sa différence au sein de la droite. Sur les questions environnementales par exemple, ce qui lui a valu la solide inimitié de personnalités comme Jean-François Copé et Christian Jacob. Ou en publiant le Front antinational, un pamphlet contre le parti de Marine Le Pen, précurseur de son opposition au « ni-ni » professé par son camp pour les régionales. Celle qui se revendique d’inspiration thatchérienne défend à présent la fin du salariat. En 2012, la polytechnicienne s’est battue pour être la porte-parole de Nicolas Sarkozy. Trois ans plus tard, elle devenait la numéro deux de son nouveau parti. Mais, peu intéressée par l’appareil, la députée de l’Essonne, candidate malheureuse à la mairie de Paris, vient de mettre en scène son éviction de la direction des Républicains. Une rampe de lancement, juget-elle, pour la primaire de 2016. n T.P.
ANNE HIDALGO MAIRE PS DE PARIS La vraie frondeuse
PASCAL CANFIN AnCIEn MInISTRE EElv L’écologie contre la finance ’ancien ministre délégué
isa harsin / sipa
L
au Développement de Jean-Marc Ayrault est repassé à la « société civile », en l’occurrence à la tête de la grande association environnementale WWF France. De 2009 à 2012, élu député Europe Ecologie-Les Verts, il s’était fait remarquer au Parlement européen par son combat contre la fnance globalisée. Son travail a servi de base aux premières re-réglementations en Europe des instruments spéculatifs qui ont suivi la crise de 2008 : ventes à découvert, taxe sur les transactions fnancières, agences de notation fnancière, etc. Au point que, pour les fnanciers, si l’ennemi « a un visage », c’est bien celui de Pascal Canfn. n H.N.
hannah assouline
villard / sipa
Q
ue n’a-t-elle entendu pendant les municipales à Paris… Anne Hidalgo, moquée pour son passé d’inspectrice du travail, pour sa subordination à Bertrand Delanoë, comparée à « une concierge », supposément incapable de diriger l’administration parisienne. Sa revanche, Anne Hidalgo l’a déjà prise. En tenant sa majorité composite, en appliquant son programme, en afrmant son indépendance à l’égard du gouvernement. Comme le rapportait Libération, la maire de Paris n’est pas toujours Macron-compatible : « Certains ont pensé que le social-libéralisme remplaçait la social-démocratie. Il n’en est rien. Il y a des points de rencontre entre la gauche et la droite, mais le point d’équilibre, c’est quand même une politique sociale un peu plus ambitieuse. » Difficile de ne pas y voir une allusion à la politique économique du gouvernement. Et si la vraie frondeuse, c’était elle ? Sur le travail du dimanche, sur la pression fscale, celle-ci n’a jamais manqué de faire entendre sa diférence. A ceci près que l’édile parisienne dispose d’une des administrations locales les plus riches de France pour mettre en pratique ses idées. Un détail qui compte… n T.P.
BRUNO LE MAIRE DéPUTé lR DE l’EURE Renouveau : vrai ou faux ?
D
ARNAUD MONTEBOURG AnCIEn MInISTRE PS La promesse d’un retour…
marlene awaad / ip3 / maxppp
L
a dernière fois qu’on l’a vu battant estrade, c’était pour le made in France, aux côtés d’Yves Jégo. La fois précédente, il accueillait l’ancien ministre des Finances grec Yanis Varoufakis à la Fête de la rose. Et la prochaine ? Ofciellement retiré de la politique, l’ex-ministre de l’Economie, juste pourfendeur du tout-austéritaire et faiseur de roi de la primaire PS de 2011, attend son heure. n S.Q.
éfroqué » : religieux qui a renoncé à son état. Le terme désigne aussi les énarques qui ont quitté la haute fonction publique. Bruno Le Maire est de ceux-là, et a fait de sa démission un symbole de sa renaissance en politique. Lui, l’énarque germanophile, diplomate aux lunettes à grosse monture, jure mordicus qu’on ne le reprendra plus à frayer avec l’élite. Avec lui, promet Bruno Le Maire, c’est le « renouveau » qui prendra le pouvoir ! Attention : « renouveau » n’est pas « jeunisme », précise l’entourage de Bruno Le Maire, qui refuse de comparer son champion à Nathalie Kosciusko-Morizet. « Pas le même niveau », argue-t-on. « Le renouveau, c’est Bruno », hurlaient ses jeunes supporteurs dans ses meetings l’année dernière, rappelant pourtant furieusement la jeunesse giscardienne. « Le renouveau », selon Bruno Le Maire, passe par de nouvelles pratiques, qu’il promet d’appliquer une fois au pouvoir. Mais dont on n’a pas vu la couleur lorsqu’il était ministre de l’Agriculture. Il faudra donc le croire sur parole… n T.P. 18 au 23 décembre 2015 / Marianne / 23
politique
évéNemeNt
A
vec son sempiternel air juvénile, la France ne l’aurait presque pas vu grandir, le « Bébé Chirac », que les caméras captèrent, le 7 mai 1995, lunettes de Harry Potter sur le nez, dans le cortège chahuté du nouveau président en bain de foule victorieux. Maire de Troyes depuis vingt ans, ex-ministre de Nicolas Sarkozy, François Baroin a pris en 2014 la tête de l’Association des maires de France (AMF). Et la principale polémique qu’il a dû gérer concerne… l’âne, le bœuf et le petit Jésus. Pour avoir publié, mi-novembre, le vademecum de l’AMF sur la laïcité, et pour y avoir réafrmé « la nécessité d’appliquer la règle définie à l’article 28 de la loi du 9 décembre 1905 qui proscrit “tout signe ou emblème religieux en quelque emplacement public que ce soit” », Baroin a mis le feu à l’étable. Les dirigeants FN ont vitupéré, rejoints par des élus LR, dans un « touche pas à ma crèche » de mauvaise foi (ils plaident « la tradition » alors que les crèches en mairie sont une émanation récente). Neutralité religieuse des agents publics, subvention des associations, bienveillance des maires pour les repas de substitution… le vade-mecum de l’AMF est une excellente boussole en ces temps de « confusionnite » aiguë. Et contribue à faire de Baroin, l’un des (rares) élus qui savent penser au-dessus de leur camp. n An.R. 24 / Marianne / 18 au 23 décembre 2015
suspect d’incohérence parce que, ex-banquier chez Rothschild, il préconise de définir les contours d’un protectionnisme européen. Suspect de communautarisme parce qu’il se revendique français et maghrébin, musulman et laïque, pleinement démocrate et néanmoins républicain. Trop jeune pour être crédible aux yeux des baby-boomers dont il dénonce l’égoïsme et trop vieux, à 44 ans, pour mobiliser la jeunesse. Et si, enfn, on écoutait ce qu’il disait sans se focaliser sur la trop belle coupe de son costume ? n D.B.
mALIKA SOReL essayiste La femme qui crispe les politiques
D
epuis près de dix ans, une Française née de parents algériens explique pourquoi « l’immigration de masse rend impossible l’intégration ». Malika Sorel publie des livres précis et des tribunes révoltées. Elle est redoutée et néanmoins invitée sur les plateaux, mais son discours, hélas, ne percole pas hors d’un milieu restreint de militants de la laïcité. Trop implacable ? Politiquement inclassable ? Trop fère ? Quoique les faits donnent raison à Malika Sorel, cette dame qui refuse de séduire crispe les politiques. Nicolas Sarkozy compris, ils s’accrochent pour de mauvaises raisons (aveuglement, clientélisme, addiction au CAC 40) à l’idée que l’immigration (étudiants, réfugiés, travailleurs agglomérés) garde autant de sens en période de croissance qu’à une époque de crise et de chômage élevé. Provocatrice après les régionales, l’essayiste cite une tribune rédigée par un homme de gauche qui appelait, en 1981, à « stopper l’immigration offcielle et clandestine ». « La politique du pouvoir et du patronat, accusait le numéro un communiste Georges Marchais, est contraire tant aux intérêts des travailleurs immigrés et de la plupart de leurs nations qu’aux intérêts des travailleurs français. » Refusant l’idée que le choix, s’agissant d’immigration, est entre statu quo et FN, Malika Sorel propose d’« instaurer un moratoire sur l’immigration sous toutes ses formes » et de traiter les dossiers « au cas par cas », car, « outre les diffcultés d’ordre économique, nous faisons face à une diffculté croissante d’intégration culturelle ». Jusque récemment, au sein du Haut Conseil à l’intégration, elle exprimait ses inquiétudes en compagnie de quelques esprits libres ; le président Hollande a décidé de leur couper le micro. Devant l’imminence d’une révolution violente, est-il encore temps d’étudier les voies et les moyens d’une révolution pacifque ? n D.B .
hannah assouline
FRANÇOIS BAROIN maire lr de troyes Boussole laïque
O
riginal, trop original, ce Français de sang mêlé n’occupe pas dans le débat public la place qu’il mérite. Toujours on voudrait le mettre en case et, comme il échappe aux stéréotypes sociologiques, politiques, philosophiques, Hakim el Karoui est suspect. Suspect d’être un Rastignac de la politique quand il soutient Ségolène Royal en sortant du cabinet Raffarin. Suspect d’être un mercenaire de l’ex-président tunisien Ben Ali parce qu’il devine les impasses du printemps arabe,
baltel / sipa
jérôme bruley / est éclair / maxppp
HAKIm eL KAROUI CoNseil eN stratÉGie, FoNdateUr dU ClUB XXie siÈCle Sortir de la cage
! é t r e b i l e r t o n z e n e t u o S Comme vous le savez, “Marianne” n’est rattaché à aucun groupe industriel, à aucun lobby particulier, qu’il soit financier ou politique.
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le debat interdit
sortir de
l’euro ?
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• Pourquoi les politiques ont peur d’en parler • serait-ce l’apocalypse économique ? • la vie sans l’euro, mode d’emploi... • “ un veau d’or français ” par Emmanuel Todd
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alexandre marchi / l’est républicain / maxppp
politique
ÉVÉneMenT
hannah assouline
LOUIs GALLOIs, ChEf D’ENTREPRISE Le citoyen industriel
O
n peut, sans se contredire, dénoncer la politisation de la justice et fantasmer sur Marc Trévidic. Depuis un certain 13 novembre, ce juge qui, après dix années aux prises avec les djihadistes de toutes barbes, siège sur le banc de touche de l’antiterrorisme et bénéfcie d’une popularité plus que médiatique. Plusieurs cyberpétitions suggèrent que cette grande gueule emploie sa science et sa conscience au service d’une France en guerre. Certes, les anciens magistrats incorruptibles Antonio Di Pietro et Baltasar Garzon ont échoué dans leur tentative d’épurer respectivement l’Italie et l’Espagne en prenant leurs responsabilités politiques. En France, Tierry Jean-Pierre, Eric Halphen et Eva Joly sont restés des marginaux. Mais Trévidic ne se contente pas de faire la morale. Ses sorties médiatiques le campent en technicien du renseignement et de la justice, appelant les politiques à mettre un peu de cohérence dans leurs discours juxtaposés. L’efacement des frontières nationales et européennes sert les visées autant terroristes que commerciales, priver les juges de grefers et les policiers de voitures en état de marche ne stimule pas la surveillance des réseaux en rupture avec la philosophie des Lumières et le mode de vie occidental. Quand les citoyens doutent de leurs élites, Marc Trévidic, dans sa fonction de magistrat, inspire confiance. Comment faire fructifer ce précieux capital ? Difcile. Comment se priver de ce capital précieux ? Impossible. n D.B.
26 / Marianne / 18 au 23 décembre 2015
dustrialiser le pays, en s’appuyant sur les véritables points forts de l’Hexagone, comme en 2013 dans son rapport sur la compétitivité de la France. Une perspective que ce moine du CAC réafrme dans une interview à Marianne (à lire p. 40). Il serait temps que le conseiller de luxe prenne la barre. n H.N.
GUILLAUMe DUVAL “ALTERNATIVES ÉCONOMIQUES” Un nouveau récit national
D
ans son excellent livre La France ne sera plus jamais une grande puissance ? Tant mieux ! (La Découverte), l’éditorialiste d’Alternatives économiques a identifé une des origines de la faiblesse du discours élitaire face au FN : l’illusion que la France est encore un des « quatre grands » dominant la planète. Or, le genre nostalgique de l’ancien temps est une spécialité de l’extrême droite, alors que, « pour contrer effcacement le FN, il faudrait, au contraire, avoir le courage de lui opposer un autre “récit national” : la France n’est plus et ne sera plus jamais une grande puissance, et c’est très bien ainsi ». Lorsque les élites auront compris cela, il sera bien temps de se résoudre à s’occuper enfn de l’état du pays, qui dispose d’atouts non négligeables. Alors, « la France pourrait et devrait jouer un rôle central dans cette indispensable réorientation du projet européen. Si elle a cessé de le vouloir ces derniers temps, c’est parce que nos élites – de droite comme de gauche – ont intériorisé l’idée que nous serions devenus l’“homme malade” d’une Europe, qui, elle, fonctionnerait correctement ». Guillaume Duval avait commencé sa vie politique au Ceres, courant socialiste de Jean-Pierre Chevènement. Il siège depuis peu au Conseil économique, social et environnemental. Un retour à l’engagement ? n H.N.
hannah assouline
MARC TRÉVIDIC MAGISTRAT Une science au service de la France
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e président du conseil de PSA Peugeot Citroën est d’une race de grands patrons en voie de disparition : ceux sachant marier le service de l’Etat et l’ambition industrielle. Souvent consulté et courtisé par les gouvernements de tous bords, il livre volontiers des solutions clés en main pour réin-
BenOÎT THIeULIn PRÉSIDENT PS DU CONSEIL NATIONAL DU NUMÉRIQUE Le révolutionnaire 2.0
I
l a failli entrer au gouvernement, mais, pour remplacer Fleur Pellerin au ministère de l’Economie numérique, Benoît Tieulin avait deux défauts : il n’était pas une femme et avait une stratégie articulée, et fchtrement ambitieuse, pour jeter les bases d’une vision républicaine d’Internet. Jeune, socialiste, europhile et geek, le président du Conseil national du numérique n’a pas rendu les armes à la Silicon Valley, dont il démonte la philosophie libérale. « Les modes traditionnels de régulation des pouvoirs sont largement remis en question par les grands acteurs du numérique. Osons le dire, les pouvoirs publics sont menacés d’obsolescence. Continuons de négliger les modifcations qui sont à l’œuvre et demain peutêtre Le Bon Coin et Amazon Mechanical Turk assumeront la fonction de Pôle emploi, YouTube déterminera la politique de fnancement de la culture et Apple, la politique de santé. » Pour répondre à ce déf, ce chef d’entreprise prospère relit Racine et Rousseau, phosphore, alerte, mais François Hollande le prend encore pour le gamin qu’il n’est plus (43 ans). Le PS lui a même refusé une place de conseiller régional de Normandie. « La France ne se réforme pas dans la douceur. Comme en 1789, en 1945 et en 1958, les Français réclament un pouvoir qui leur échappe. A moyen terme, je crois à la révolution de l’“empouvoirement”. » Un néologisme qui, selon ce classique 2.0, mérite un destin plus que la méchante ubérisation. n D.B.
photopqr / le parisien / lejeune
JeAn-PAul Delevoye ex-UMp transformer la colère
A
ncien UMP, Jean-Paul Delevoye, proche de Jacques Chirac, exministre de Rafarin, vient de perdre la présidence du Conseil économique, social et environnemental. A Marianne, toutefois, ce Ch’ti promet de revenir très vite dans le débat public ; convaincu que les Français ont soif de politique mais ne veulent plus de politiciens. Et c’est tant mieux ! Car depuis quinze ans, cet humaniste pose des diagnostics perspicaces sur les maux du pays. Qu’on en juge. Dès sa nomination au poste de médiateur de la République en 2011, Delevoye déplorait le « burn-out » d’une société française épuisée à force d’humiliation. Fustigeait « des débats minés par les discours de posture et les causes à défendre, noyées parmi les calculs électoraux ». Redoutait aussi le choc des égoïsmes. On en est toujours là ! Quatre ans plus tard, en pleine
baltel / sipa
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ertains de ses amis la verraient bien ministre. A 40 ans, la philosophe Cynthia Fleury aurait l’embarras du choix. Fidèle à la leçon de Hannah Arendt, elle montre qu’il est possible de sortir la philosophie de sa tour d’ivoire, en faisant de cette discipline souvent austère un agitateur de neurones au service du plus grand nombre. Pour elle, le souci du vrai est inséparable du souci de tous. Inquiète de la vague de fanatisme, de populisme et de ressentiments identitaires qui balaye la France, elle pose la question du moment : « Qu’est-ce qui pourrait aider l’individu, lui redonner confance, l’armer davantage ? » Elle s’essaye à y répondre au travers d’une multitude d’engagements concrets et de missions publiques. Cette marraine d’Iccarre (protocole d’intermittence du traitement du sida) et membre de la cellule d’urgence médico-psychologique du Samu (Cump Necker) est devenue en 2013 le plus jeune membre du Comité consultatif national d’éthique (CCNE), présidé par le professeur d’immunologie JeanClaude Ameisen. Et, à l’Hôtel-Dieu, à Paris, symbole historique de la charité et de l’hospitalité, elle vient de créer la première chaire de philosophie à l’hôpital, lieu d’entraide et d’échange destiné à « réinventer la relation au soin, à la maladie, à la vie ». Elle a tout es les cartes en main pour apporter sa pierre au grand c h a n tier qui s’amorce : réparer la France. n A.L.
émotion « Je suis Charlie », les yeux grands ouverts, l’ancien ministre prévenait du risque de dislocation de notre société par « manque de République ». Il précisait : « Le fait politique se transforme en fait religieux et la lutte des identités est en train de remplacer la lutte des classes. Or, les confits liés à la lutte des identités sont bien plus dangereux que ceux liés à la solidarité des classes. » Dans nos pages, avant même les résultats des régionales, l’ancien ministre de la Fonction publique, réformateur de l’ENA, appelait à une nouvelle ofre politique qui détournerait les Français du vote populiste et du souhait de voir arriver un pouvoir fort « même au prix de la démocratie ». Qui mieux que lui pourrait donc les aider à transformer l’énergie de leur colère en énergie de leur mobilisation ? En portant avec eux un projet dont ils seraient acteurs ? n L.D.
KwAme yAmgnAne cofondateUr de l’école 42 répandre la culture de l’innovation
I
l est le directeur adjoint d’un ovni dans le monde de l’éducation : un établissement sans cours, sans profs, à la durée de scolarité variable, gratuit et ouvert vingt-quatre heures sur vingtquatre. Kwame Yamgnane déploie ses 2 m dans les couloirs de l’école 42, installée dans le XVIIe arrondissement de Paris, la vitrine de l’empire de Xavier Niel. Chaque année, l’école accueille 900 nouveaux étudiants qu’elle forme à « l’art du code », pour en faire les futurs cracks du numérique français. « Quelle que soit votre classe sociale, que vous ayez ou pas le bac, ce n’est plus le portefeuille de vos parents qui va dicter votre réussite, c’est votre travail », proclame le fls de Kof Yamgnane, ancien secrétaire d’Etat à l’Intégration sous François Mitterrand. Dans les étages, on croise des grappes de geeks boutonneux, qui travaillent en réseau, mais aussi des quinquas en reconversion arrivés via Pôle emploi. L’école repère et accompagne aussi les Asperger, cette forme d’autisme sans défcience intellectuelle. Et forme même lors de stages estivaux de jeunes lycéennes à la programmation, histoire de féminiser un peu les rangs de cette Niel Academy jusqu’ici très masculine. Et répandre, insiste Kwame Yamgnane, « la culture de l’innovation ». n S.Q. denis allard / réa
CynthiA Fleury philosophe une intellectuelle dans l’arène
18 au 23 décembre 2015 / Marianne / 27
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ettre l’emploi à portée des gens, car la grande exclusion m’a toujours révolté. » Sourire gigantesque et regard fier, « Charlie », alias CharlesEdouard Vincent (43 ans), a le feu sacré des vrais contempteurs d’inégalités. Alors que FN, Républicains et gauche se déchirent depuis 2008 sur le thème de l’assistanat et échouent à dompter le chômage, cet X-Ponts diplômé de Stanford (plus fort que Macron !) ofre des jobs sur mesure à des centaines de déclassés qu’il embauche dans ses brocantes-recycleries, ses services de proximité.
Téoricien de la « posturgence », ce prof exhorte ses étudiants de HEC à recoudre le pays en mariant entreprise et intégration sociale. Sans perdre de vue, pour tordre le cou à l’assistanat, cette phrase de Nelson Mandela : « Tout ce qui se fait sans moi pour moi est fait contre moi. » Charismatique, il a su ébranler Pierre Gattaz, le patron du Medef, dans ses certitudes. C’est dire… A Paris, Charlie et son équipe viennent de lancer « Lulu dans ma rue » – un réseau de concierges de quartier (des personnes éloignées de l’emploi) qui dépannent les habitants pour toutes sortes de services déclarés : livraisons de sapin de Noël, bricolage, courses. Avec un énorme succès puisque tous les arrondissements réclament désormais leurs kiosques et que ses « Lulu » pourraient prendre du service dans toute la France ! Car ce lauréat du Prix de l’entrepreneur social 2013 brûle d’impatience d’en faire plus, de secouer le gouvernement. n L.D.
Jean-CLaude ameisen scientifique Plus visionnaire que des écolos
baltel / sipa
A
64 ans, le président du Comité consultatif national d’éthique (CCNE) croit dur comme fer que la science, quand elle fait l’objet d’une pédagogie généreuse, peut prévenir les désastres qui nous menacent, à commencer par l’apocalypse climatique. Concepteur de « Sur les épaules de Darwin », une émission de France Inter devenue culte, Jean-Claude Ameisen aimerait que les politiques méditent enfn la dure leçon de l’auteur de l’Origine des espèces : « C’est seulement aujourd’hui que l’homme a commencé à prouver à quel point “la connaissance est un pouvoir”. [L’humanité] a désormais acquis une telle domination sur le monde matériel et un tel pouvoir d’augmenter en nombre qu’il est probable qu’elle envahira toute la surface de la Terre jusqu’à l’annihilation de chacune des belles et merveilleuses variétés d’êtres animés. » Dans le Monde, cet esprit plus visionnaire que nombre d’experts a déclaré : « L’économiste Amartya Sen a montré depuis longtemps que les famines sont dues, dans la quasi-totalité des cas, non pas à une production insuffsante de nourriture, mais à l’existence d’inégalités, à une absence de solidarité, de partage » […] » Avant d’ajouter : « A la seule préoccupation d’un développement “durable” – qui ferait durer les tragédies –, nous devrions ajouter le souci d’un développement “équitable”. » Puisse-t-il être entendu !… n A.L.
ed alcock/ the guardian / sipa
CharLes-édouard VinCenT d’emmaüs défi L’homme qui réduirait enfin la fracture sociale patrick gaillardin / picturetank
politique
éVénemenT
Thomas PikeTTy économiste Contre le capital
L
e professeur à l’Ecole d’économie de Paris ne fait pas que livrer une passionnante relecture du capitalisme fnancier (le Capital au XXI e siècle, Seuil, 2013) et du développement des inégalités, mais afrme aussi une volonté et une capacité à concevoir des réformes structurelles, en particulier de la fscalité (et donc de la redistribution des richesses). François Hollande lui avait tourné le dos à la veille de la présidentielle de 2012, préférant écouter les sirènes néolibérales du Cercle de La Rotonde, animé, déjà, par Emmanuel Macron… Une de ses idées a néanmoins été reprise récemment par les députés socialistes, contre l’avis du gouvernement : remplacer l’inepte et injuste prime pour l’emploi sur les bas salaires par une déduction sur la CSG. Une mesure simple, efficace, transparente et ambitieuse. Et si c’était là la recette des réformes économiques dont la France a besoin ? n H.N.
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Décembre 2015
Hors-série
empirerépubLique
Les sept leçons politiques de Star Wars pop cuLture
Pourquoi Star Wars a tout changé
Les tops et Les fLops de L’épopée
Une saga révolutionnaire
BEL, LUX : 8,10 € / CAN : 12.99 $CAN / CH : 12 CHF / DOM : 8,10 €
star Wars e r t o v z e h c x e u t a n n e r v En and de jou march
mieux vaut en rire ! la boulette de la semaine
Le record de BartoLone
D
istancé par Valérie Pécresse, Claude Bartolone aura tout de même battu un record, celui de l’abstention. Le taux de participation le plus faible de France, 34 %, a été enregistré en Seine-Saint-Denis, département
où Claude Bartolone se présentait, où il a présidé le conseil général de 2008 à 2012, et qu’il représente à l’Assemblée nationale depuis 1981 ! La démocratie, c’est tellement mieux quand il n’y a pas d’électeurs ! n
Un peu de lucidité Pour Olivier Dartigolles, porte-parole du PCF, « le Front de gauche s’est planté » et doit « tout revoir du sol au plafond ». Saluons cet homme politique qui n’attribue pas aux autres les responsabilités de ses propres échecs. n
Ligne Nicolas Sarkozy, le patron de l’ex-UMP, veut organiser en février un conseil national du parti pour débattre de sa ligne. Plus d’un an après son élection à la tête de la formation politique, il est grand temps de se poser la question de la ligne. n
MêMe pas honte
après les tirages au sort, la préparation de l’euro 2016 entre dans sa phase active. paris s’apprête donc à accueillir le football européen. en souhaitant à toutes les équipes la bienvenue au pays de Karim Benzema et de Michel platini. n 30 / Marianne / 18 au 23 décembre 2015
La vie réeLLe Virginie Calmels, qui conduisait la liste de la droite en Aquitaine, affrmait en campagne : « Je viens de la vie réelle. Celle où il faut se lever tôt pour garder son emploi. » En fait de vie réelle, elle vient surtout de la télé-réalité, en tant que vice-présidente d’Endemol France, et de la jungle des affaires audiovisuelles où, en effet, il faut se lever tôt pour défendre sa place. n
Qui perd gagne
D
evenue numéro d e u x d e l a li st e Bartolone en SeineSaint-Denis après la fusion d’entre deux tours, Clémentine Autain s’est bien gardée de faire campagne. Elle avait mieux à faire : un meeting avec Tariq Ramadan à SaintDenis, vingt-quatre heures avant le scrutin. Et qu’importe si le buzz suscité par cette initiative indécente, à deux pas du Stade de France, a contribué à faire perdre la gauche. Clémentine Autain avait exigé une place éligible en cas de défaite, elle a donc gagné ! n
marché juteux Sur le marché mondial de l’armement, la Russie arrive largement en tête, 2015 ayant été un excellent millésime. Il faut dire que le kalachnikov, excellent produit d’appel, bénéfcie d’une promo quasi quotidienne dans la presse mondiale. Seule ombre au tableau, le plus fdèle des clients de l’armement russe, la Syrie de Bachar al-Assad, connaît des diffcultés de trésorerie alors même que ses besoins ne cessent de croître. n
Au kalach Lu sous la plume d’Alain Gresh, animateur d’un site qui voit des islamopohobes partout : « Il règne, depuis les attentats contre Charlie Hebdo et le magasin kasher de janvier 2015, une curieuse atmosphère : au nom de la liberté d’expression, on veut contester aux élèves (et à d’autres) le droit de s’interroger, parfois de manière provocatrice comme souvent les adolescents, on criminalise même leurs opinions, on les dénonce à la police. L’intolérance n’est pas du côté que l’on pense. » Si l’on n’est plus libre de dire que le blasphème est passible du kalachnikov et que le djihadisme relève de l’action humanitaire, où va-t-on ? n
Connaisseur
P
our justifier la restriction des voyages à destination de la Turquie et de l’Egypte, le ministre russe du Tourisme, Oleg Safonov, a affirmé que les Russes n’avaient pas besoin de vacances au soleil ou aux abords des mers chaudes. Il en sait quelque chose puisqu’il est l’heureux propriétaire de deux résidences aux Seychelles. n
Respect Des électeuRs Louis Aliot, vice-président du FN, s’était arrangé pour ne pas siéger au conseil régional s’il ne parvenait pas à conquérir la région Midi-Pyrénées-LanguedocRoussillon. Et tant pis pour les électeurs qui croyaient voter pour lui. De son côté, Marine Le Pen continuera à cumuler les absences au conseil régional de NordPicardie comme au Parlement européen. n
Dîner de cons Le dimanche soir du second tour des élections régionales, TF1 diffusait le flm le Dîner de cons. Juste avant, c’était pas loin de 66 millions de Français qui étaient invités à un tel repas par les représentants politiques affrmant que, désormais, tout allait changer. n
Un scandale Braconnage
confdence d’eric Woerth, ancien ministre de nicolas Sarkozy, à VSD, à propos de l’actuel ministre de l’economie : « Macron braconne sur nos terres. » a l’arrivée, c’est souvent le Fn qui ramasse le gibier. n
“thAnk you” L’ex-Premier ministre britannique Gordon Brown a trouvé refuge professionnel au fonds fnancier Pimco. De son côté, Alistair Darling, ancien ministre des Finances travailliste durant la crise fnancière, a été nommé au conseil d’administration de la banque américaine Morgan Stanley, qui a annoncé la suppression de 1 200 emplois à travers le monde. Les services rendus fnissent toujours par être reconnus. n
L
e mouvement patronal Ethic s’est dit « scandalisé » par le projet de Bercy visant à rémunérer les personnes qui fournissent des informations sur les fraudeurs fscaux, assimilant cette pratique à de l’« espionnage » et à de la « délation ». Ce n’est pas faux, mais il est dommage que l’expatriation fiscale de certaines grandes fortunes ne suscite aucune condamnation particulière au sein de la grande famille patronale. n
Cotisation L’ancien secrétaire d’Etat socialiste Thomas Thévenoud, qui avait oublié de régler ses impôts par « phobie administrative », a indiqué être désormais rattaché au Parti radical de gauche. Néanmoins, le PRG a tenu à faire savoir qu’il n’y avait pas adhéré. Sans doute a-t-il oublié de régler sa cotisation. n
Passe-moi la rhubarbe
U
n maraîcher de Nancy a promis d’ofrir aux clients qui sont allés voter au second tour des régionales 1 kg de fruits et de légumes. Comme si on ne leur avait pas raconté assez de salades (ou de rhubarbe, c’est selon). n 18 au 23 décembre 2015 / Marianne / 31
mieux vaut en rire ! bonnet d’âne
Sarko S’amuSe
A
u soir du second tour des régionales, une fois prononcé son discours éclair devant les caméras de télévision, Nicolas Sarkozy, président de l’ex-UMP, a flé au Parc des Princes pour assister au match de foot entre le PSG et Lyon, en compagnie du prince qatari Nasser al-Khelaïf, heureux propriétaire du club parisien. Cela a permis à l’exprésident d’assister à une victoire claire et nette de son équipe favorite, ce qui le change d’une vie politique où ses supporteurs sont vaguement sceptiques sur l’issue du match. n
Fumette Dans une chronique publiée par Libération, le psychiatre Carlos Parada explique que le djihadisme est à la jeunesse d’aujourd’hui ce que la drogue fut aux hippies des années 70. A l’en croire, la drogue comme le djihadisme concernent « une catégorie jeune, mâle, avec des parcours particulièrement diffciles ou traumatiques, ou en mal de raison de vivre, en quête d’identité (culturelle, sociale, sexuelle, subjective, etc.) et au ban de la société ». Il y a quand même une différence : dans le premier cas, ils fumaient ; dans le second, ils fument les autres. n
L’exemple Confdence de François Fillon, sur BFMTV, à propos de la primaire de l’ex-UMP, prévue pour novembre 2016 : « Je ne sais pas si nous sommes capables d’organiser des primaires exemplaires dans un délai plus court. » Connaissant les mœurs en vigueur dans ce parti, même dans un délai plus long, la primaire aura du mal à être exemplaire. n 32 / Marianne / 18 au 23 décembre 2015
torchonS et ServietteS L’Arabie saoudite a accepté d’organiser un nouveau procès pour une employée de maison srilankaise de 45 ans condamnée en août à mort par lapidation pour adultère. Un Srilankais non marié a, lui, été condamné à 100 coups de fouet. La charia à la saoudienne ne mélange pas les torchons et les serviettes... n
Sécurité maximale Une bijouterie Chopard toute proche du palais de l’Elysée a été dévalisée. Le quartier est pourtant l’un des plus protégés de Paris. Le reste de la capitale a du souci à se faire. n
Le test
L
’hebdomadaire Der Spiegel a raconté que quatre scientifiques de l’ex-RDA en mission dans l’Antarctique lors de la chute du mur de Berlin ont cru à une ruse de la Stasi. Leur réaction a été de se dire : « Non, ce n’est pas possible, ils sont en train de nous faire subir un test psychologique. » Les réfexes conditionnés, parfois, sont très résistants au froid.
Mot de l’année
le mot « réfugiés » a été désigné mot de l’année en allemagne. Vu la situation en Irak, en Syrie ou en libye, il risque de le rester encore quelques années. n
climat des affaires Tandis que la conférence de Paris discutait du passage aux énergies renouvelables, la Commission européenne accusait la Chine de couvrir les pratiques commerciales déloyales de ses fabricants de cellules photovoltaïques. L’énergie solaire contribue peutêtre à réduire le réchauffement de la planète, mais elle n’adoucit pas les mœurs du capitalisme. n
ça m’énErvE !
Par Jack Dion
les bretelles Lors de la Journée mondiale des droits de l’homme, la présidente de Croatie, Kolinda Grabar Kitarovic, a tenu à remettre en main propre un diplôme à Ivan Zvonimir Cicak, 68 ans, président de l’antenne croate du Comité Helsinki. Mais elle n’avait pas prévu que ce dernier, pour une raison indéterminée, perdrait son pantalon en pleine cérémonie. Les photos ont illustré ce moment fatal où l’on voit l’heureux récipiendaire une canne dans une main, son diplôme dans l’autre et son pantalon sur ses chevilles. Quand on célèbre un homme qui n’a jamais retourné sa veste, il faut parfois lui remonter les bretelles. n
Agence de tourisme
R
aphaël Logier, sociologue, écrit dans une tribune publiée par le Hufngton Post : « On doit répéter que les attentats du 13 novembre ne sont ni un produit de l’islamisation, ni une attaque des musulmans ou de l’islam. » Et si l’Etat islamique a revendiqué les attentats, c’est pour faire diversion. n
au salon lE sEns dE l’hospitalité La banque britannique Barclays, condamnée pour diverses manipulations fnancières illicites, s’est donné un nouveau directeur général en la personne de James Staley, ancien de la banque américaine JP Morgan. Pour bien montrer que le temps de l’argent fou est révolu, le nouveau patron aura droit à un salaire de 11,7 millions d’euros par an, un bonus de 2,2 millions d’euros, un programme d’« incitation à long terme » (sic) de 3,3 millions d’euros et un cadeau de bienvenue de 3,4 millions d’euros. Chez les Britanniques, on a toujours eu le sens de l’hospitalité. n
Un nouveau front s’est ouvert entre Nicolas Sarkozy et François Fillon : le titre de plus proche ami de Poutine. Evoquant dans le Point l’un des voyages de l’ex-président en Russie, François Fillon persife : « Il a été reçu dans le grand salon et pas dans le petit, réservé aux intimes », alors que lui l’a été. Fillon n’est jamais aussi grand que lorsqu’il est petit. n
EthnicismE à la corsE
Y
aurait-il une xénophobie présentable ? Au lendemain de la victoire de la liste des nationalistes corses emmenée par Gilles Simeoni, la question mérite d’être posée. En efet, personne ne s’est ému d’un résultat qui va permettre de confer les rênes du pouvoir dans l’île à des personnes qui, par bien des aspects, sont à la Corse ce que les identitaires d’extrême droite sont à l’Hexagone, à la diférence que ces derniers font l’objet d’une condamnation unanime alors que les autonomistes corses sont au mieux oubliés, au pis avalisés, parfois même idéalisés. Certes, ils ont l’onction du sufrage universel. Mais cela n’interdit pas de s’interroger sur leurs propositions et leur vision du monde. Nonobstant leurs nuances, ils ont pour point commun une sacralisation de l’identité héritée d’une idéologie ethnocentrée. En vertu de quoi l’égalité des citoyens devant la loi et l’indivisibilité de la République sont des blasphèmes. On n’est pas loin des fondamentalistes islamistes avec la Bible à la place du Coran et le Dio vi salvi Regina comme prière quotidienne.
Pour résumer, disons qu’il y a les Corses descendants en ligne directe de Pascal Paoli et les autres. Ainsi, les indépendantistes demandent un statut de deuxième langue ofcielle pour le corse. Ils exigent la « corsisation des emplois », version locale de la « préférence nationale » prônée par le FN. Ils revendiquent un « statut de résident » qui serait réservé aux Corses de souche, si l’on ose dire. Au nom du droit du sang, ils veulent en exclure les citoyens de nationalité française venus du continent, ce lieu honni symbolisant une force d’occupation. Pour les ultras de la corsitude à marche forcée, les Français non originaires de Corse sont d’ofce des « immigrés » à rejeter à la mer. Il est d’autres immigrés pour lesquels les indépendantistes ont un message plus rapide : « Arabi fora ! » (« Arabes dehors ! ») Fort heureusement, nombre de Corses ne partagent pas cette vision obscurantiste. Dans leur majorité, ils sont attachés à une île de Beauté assumant sa singularité dans le cadre de la République. Raison de plus pour regretter que personne n’ait eu le courage d’appeler au rassemblement qui aurait permis de barrer la route aux adeptes du nettoyage ethnique soft. n 18 au 23 décembre 2015 / Marianne / 33
islam
france
Valse des imams à montpellier
les petits d secrets de la grande mosquée Par Daniel BernarD
lhoussine tahri, président de la mosquée averroès de montpellier depuis 2004. “C’est pas si facile”, dit-il. 34 / Marianne / 18 au 23 décembre 2015
r. de hullessen / photopqr / le midi libre / maxppp
Sympathie djihadiste, fraudes contre le fsc et les organismes sociaux, menaces, prédicateurs autoproclamés, etc. La communauté musulmane de Montpellier ne sait plus à quel saint se vouer.
epuis que l’un des anciens imams de la grande mosquée Averroès de la Paillade, à Montpellier, a été placé en résidence surveillée dans le cadre de l’état d’urgence, le 23 novembre, Lhoussine Tahri n’en mène pas large. « Lhoussine, il a une volonté de fer, témoigne un ami karatéka. Je l’ai vu s’accrocher sur les 38 km du trail du mont Aigual. Il a fni dernier, en six heures six. C’était dur, mais il a terminé. Mais là, c’est diférent, parce qu’ il n’est pas fait pour être exposé. » En vérité, le joggeur à poigne n’en peut plus. En moins de trois ans, le président Tahri en est à son troisième imam, et cette valse, assurément, l’éprouve. Sous son blouson gris, un pull en coton avec un col en V et de sa chemise sombre dépasse un tee-shirt blanc. Voici Lhoussine Tahri, né en 1962 dans le Sud marocain, employé municipal comme gardien de gymnase ; l’homme qui administre l’un des lieux de culte les plus exposés de France, c’est lui, avec ses lunettes bon marché aux verres fumés et sa Citroën Xsara qui a dépassé les 217 000 km. Devant un café allongé, dans un français nécessitant une extrême concentration, il dit : « Ça fait depuis 2004 que je suis le président et c’est pas si facile qu’on le croit, vous savez ? » De fait, dans un département, l’Hérault, sous observation parce qu’une vingtaine de jeunes Français ont quitté leur village de Lunel
julien goldstein / getty images
pour faire le djihad et mourir en Syrie, le discret Tahri doit rendre des comptes. A sa communauté, bien sûr, aux médias, forcément, et à toutes les bonnes et mauvaises fées qui interfèrent, plus souvent en loucedé qu’ofciellement, dans la pratique musulmane. « C’est compliqué, une mosquée, parce qu’il n’y a pas de règles, explique timidement le président. Les musulmans en France vivent comme dans une jungle, vous savez ? »
Pas de dRH PouR les imams Dans ce quartier de chômage, de ronds-points et de béton, en efet, le choix d’un imam est, comme partout en France, un pari risqué. « Un imam, poursuit-il, c’est comme un buteur dans une équipe de Ligue 1. Toi, t’es le coach, tu le nommes, mais après c’est lui, le maître. » Avant d’atteindre cette sagesse et de se rabattre sur un novice de 28 ans, joufu et timide, Tahri a recruté successivement les Laurel et Hardy du Saint Coran, qu’il a tenté de maîtriser, sans plus de succès avec l’un qu’avec l’autre. « Avec le recul, je me mords les doigts, mais qu’est-ce que je pouvais faire ? » confe le président.
En 2004, en efet, quand Lhoussine Tahri, président de l’Association des Franco-Marocains, fnit par convaincre la mairie de Montpellier de construire une mosquée pour ses compatriotes qui peuplent depuis trois décennies la zone excentrée, les ennuis commencent pour lui. D’un côté, le président doit veiller à ne pas déplaire au volcanique seigneur Georges Frêche, qui menace chaque année de remettre en question le bail de la salle polyvalente – sans minaret – mise à disposition ; de l’autre, il doit satisfaire les attentes (prières, mais aussi logement social et emploi public) de ses coreligionnaires. Or, dans le mercato musulman, les bêtes de chaire ne sont pas légion. En France, il n’existe pas de DRH pour les imams et, du côté de
l'assignation à résidence de Mohamed Khattabi, décidée le 22 novembre, a été levée le 11 décembre. L'ex-imam de Montpellier fait néanmoins l'objet d'enquêtes pour des fraudes fscales et sociales.
les Renseignements généRaux, à l’éPoque, aveRtissent : “KHattabi a un PRoblème avec l’aRgent et avec les femmes.”
Rabat, Mohammed V, puis VI, qui sélectionne et rémunère quelques prêtres dans certaines mosquées jugées stratégiques, se désintéresse de Montpellier. « Alors est venu Khattabi, raconte Tahri. Avant, il était imam à Nîmes et j’ai senti qu’il saurait parler, surtout aux jeunes. » L’homme sait faire rire, il sait faire peur, il a du coffre. Les policiers des Renseignements généraux, à l’époque, avertissent – « Il a un problème avec l’argent et avec les femmes » – mais ne prononcent pas de fatwa. Mohamed Khattabi est embauché. Cet imam tapageur, aujourd’hui suspecté de sympathie djihadiste, n’a pas toujours été considéré comme un danger. Tahri, qui craignait avant tout la concurrence des Algériens en général et de leur organisation, l’Union des organisations islamiques de France (UOIF), en particulier, se réjouit même de voir rappliquer des fdèles de plus en plus nombreux et, sur le compte de l’association, grossir le denier du culte. « Un de mes meilleurs amis m’avait dit de me méfier, mais je ne l’ai pas écouté parce que tout le monde était gagnant », admet aujourd’hui le président d’association. En 2006, première alerte, › 18 au 23 décembre 2015 / Marianne / 35
› lorsque Khattabi souhaite ouvertement la victoire du Hezbollah libanais, organisation terroriste bombardée par Israël. « Comme sa femme est une pasionaria de la cause palestinienne, explique un habitué de la mosquée Averroès, il fallait toujours qu’il en rajoute. » « Au Maroc, Khattabi aurait été arrêté sur-le-champ, mais, ici, je ne pouvais même pas lui dire de se calmer. Il était incontrôlable », regrette Tahri qui, à contrecœur, fnit par démettre de ses fonctions son précieux « buteur ».
La suspension suspendue A l’époque, ni le Maroc, ni le jeune Conseil français du culte musulman (CFCM) institué par Nicolas Sarkozy ne l’aide à trouver un remplaçant. « Pour la prière du vendredi, il n’y avait personne, vous vous rendez compte ? » dit-il. Après de vaines recherches, le « coach « suspend la suspension et la grande gueule remonte en chaire. « Au lieu de faire le modeste, se souvient Lhoussine Tahri, Khattabi a attaqué directement ceux qui avaient voulu le faire partir, devant 2 000 fidèles. Il est comme un diable. Quand je voulais discuter de ses prêches, il me disait : “Je ne prépare rien, c’est Dieu qui m’inspire.” Moi, j’étais son otage. » Pour autant, à cette époque, l’imam charismatique met sa verve, en arabe comme en français, au service d’un islam hostile aux salafstes. En 2013 encore, le Monde publie un portrait de ce hâbleur qui afche une double nationalité marocaine et… canadienne, soulignant qu’il « se pose en promoteur d’un “islam de France citoyen, d’un islam de cohabitation” ». Khattabi y afrme avoir « étudié la laïcité ». Face à la « salafsation des discours et des pratiques », lit-on encore, l’homme de foi se montre optimiste : « Le temps joue pour nous. La religion n’est pas une drogue ou un refuge. Au fl des années, certains se rendent compte qu’ ils se sont fait arnaquer. » Etait-il sincère ? Jouait-il la comédie, la fameuse taqiya qui autorise un musulman à 36 / Marianne / 18 au 23 décembre 2015
mentir pour tromper les koufars ? Aujourd’hui encore, après plusieurs perquisitions qui ont seulement permis de suspecter d’éventuelles fraudes sociales et fscales, aucune preuve n’a été apportée que cet islam republic friendly masquait un islamisme borderline. Face aux élus municipaux aussi, à cette époque, Khattabi incarne l’imam parfait. Tantôt il mobilise les troupes, qui manifestent devant la mairie pour exiger un bail solide pour la mosquée, tantôt il rend les honneurs à Hélène Mandroux, successeur de Georges Frêche reçue en grande pompe, et, à l’approche des élections, caresse les candidats dans le sens du poil. Son épouse a d’ailleurs, sur sa page Facebook, balancé les noms de tous les politiques qui ont dégusté ses pâtisseries orientales… Bref, la star fait de la politique. « Il me disait : “Je suis un caméléon” », se souvient Tahri. Pourtant, en novembre 2013, Mohamed Khattabi est débarqué, sans préavis. Plutôt qu’un problème de radicalisation, le président suspecte son imam, qui difuse ses prêches sur une chaîne personnelle de YouTube et lui fait de l’ombre, de détourner une partie de l’argent de la mosquée. « Il se mêle de tout », dénonce-t-il publiquement. Passent quelques semaines puis un candidat se présente. Celui-ci, austère et raffiné, ne fait pas de blagues. Entre l’impétrant et l’employeur, pas de discussion théologique, mais des intérêts bien compris. « C’était l’ancien boucher de la Paillade, qui était parti à Mulhouse pour devenir imam. Il m’a parlé d’un problème
“Tenir un discours archaïque qui mainTienT Les musuLmans dans L’ignorance, c’esT La voie de La faciLiTé.” farid darrouf
céline escolano / gazette photo
islam
france
d’allergie qui l’obligeait à revenir, pour habiter près de la mer. Comme il avait fait des progrès en français, je me suis dit : on va essayer », raconte aujourd’hui le président. Mauvaise pioche. Tandis que le méchant imam éjecté se met à son compte, loue une salle avec la complicité du nouveau maire de Montpellier, Philippe Saurel, et tient des prêches de plus en plus enfammés et provocateurs, le nouveau venu s’invente un personnage d’imam gentil, rendant mille hommages à la République laïque et appelant ses ouailles à devenir citoyens. Autrefois connu sous le terrible pseudonyme d’Abou Ammar, – le nom de guerre du fondateur de l’OLP, Yasser Arafat –, Farid Darrouf se distingue une première fois le jour de l’Aïd : découvrant que les amis de Khattabi ont déployé un drapeau palestinien sur la pelouse du stade de la Mosson, il explique qu’il refuse d’importer le confit israélo-palestinien, et le confsque. De même, après le 7 janvier, l’homme qui a choisi pour ses deux flles des prénoms connotés – Jihade et Hammasse – s’exclame lors d’une réunion en présence du rabbin de Montpellier : « Pour la liberté d’expression, je suis Charlie. » Aussitôt chouchouté par les médias locaux, puis nationaux, Darrouf cumule son service avec
des cours sur l’islam à l’université de Montpellier, devient l’interlocuteur du ministère de l’Intérieur, est nommé chevalier de l’ordre national du Mérite. Las, vendredi après vendredi, la grande mosquée perd son auditoire. « Farid Darrouf touchait 1 700 € par mois, son salaire était doublé pendant le ramadan et, en plus, il fallait le gâter », déballe le président de la PME Averroès. Pendant que l’imam Khattabi électrise les réseaux sociaux pour fnancer un projet, « Aïcha », de future mosquée, le président Tahri et son trésorier, un agent de voyage qui organise des séjours à La Mecque, s’inquiètent des factures EDF.
menacé, L'imam déménage Dans l’agglomération montpelliéraine, plusieurs salles s’ouvrent coup sur coup, ni clandestines ni autorisées, dans une ancienne supérette, un ancien laboratoire d’analyses médicales ou dans des appartements. L’homme de terrain en avertit son penseur : « Tu sais, tu vas loin. » Réponse du boucher devenu théoricien : « Tenir un discours archaïque qui maintient la population musulmane dans l’ignorance, c’est la voie de la facilité. Un imam progressiste nécessite des sacrifces. » Entre le gardien de gymnase et le barbu élégant qui porte en
bandoulière une besace Louis Vuitton, les relations se distendent. Darrouf, grimé en cochon sur la page Facebook de l’épouse de son rival Khattabi, Nadia, se sent menacé. Sans porter plainte, il déménage sa famille à Mulhouse. Aussitôt alertée, la préfecture compatissante lui trouve, en vingt-quatre heures, un autre logement social ; il refuse et s’installe quelques semaines dans la mosquée avant de démissionner. De passage à Paris fn novembre, pour une réunion des imams à l’appel de Bernard Cazeneuve, Farid Darrouf s’en explique et revendique : « Conforter un imam qui prêche en français un islam de paix, cela ne suft pas. La seule décision efcace pour préserver la sécurité du pays, même si elle est contraire à la laïcité, c’est de fermer les salles dans lesquelles des prédicateurs autoproclamés prêchent une lecture littérale et décontextualisée du Coran. » A l’évidence, l’expérience Darrouf, qui guigne un point de chute en Alsace, démontre qu’un discours estampillé Beauvau ne suft pas à galvaniser un fan-club composé de cœurs simples et d’âmes frustrées, biberonnant Al-Jazira et préférant les tutoriels salafstes ou Frères musulmans au couple tiède formé par Dalil Boubakeur et Tarek Oubrou. « La double page consacrée par Libération à Farid Darrouf
Farid darrouF n’est pas parvenu à enrayer la fuite des fdèles de la grande mosquée, qui lui préfèrent les salles de prière ni clandestines ni autorisées.
[très élogieuse] a été mal perçue, on l’avait prévenu », commente d’ailleurs le préfet de l’Hérault, Pierre de Bousquet de Florian, accusé d’avoir péché par négligence ou indifférence, notamment par la députée PS Anne-Yvonne Le Dain. « Notre Etat de droit ne nous offrait pas, avant l’état d’urgence, les moyens juridiques permettant d’ interdire les prêches provocateurs de l’imam Khattabi et encore moins de l’expulser au seul prétexte qu’ il professe que “ les femmes sont égoïstes par nature” », expose encore le haut fonctionnaire qui s’excuse, sourire en coin, de ne pouvoir envoyer « un inspecteur du renseignement territorial avec moustache et gabardine dans chaque salle de prière ». D e pui s l es att entats du 13 novembre, en efet, cette querelle des imams de la Paillade a perdu le caractère folklorique qu’elle avait jusqu’alors. Le maire de Montpellier, notamment, fait savoir que « la mairie n’entretient aucun lien avec les cultes », comme s’il pouvait efacer toute trace des relations clientélistes héritées du temps où son prédécesseur Georges Frêche, inspiré par la Pax romana, négociait la « paix musulmane ». Alors que Khattabi a enregistré près de 3 000 pétitionnaires réclamant la levée de la mesure qui l’a entravé jusqu’au 11 décembre et collecte des fonds à la manière de Dieudonné, plus personne ne veut jouer avec le feu. Quant à Lhoussine Tahri, sommé de recruter dans l’urgence, il a obtenu le secours d’une instance religieuse marocaine, qui l’a orienté vers un imam formé à Rabat et exerçant à Bruxelles après un séjour en Espagne. « Au moins, le Conseil des oulémas d’Europe, ils sont sérieux. Eux, ils vont jamais envoyer un islamiste », espère le président, paniqué par la responsabilité qui pèse sur ses épaules. L’autre vendredi, après le troisième prêche de son nouveau buteur, Lhoussine Tahri a repris la parole pour faire savoir que le devis pour l’installation d’un système de vidéosurveillance s’élevait à 4 400 €. Face à l’auditoire clairsemé, le président n’était ni sûr de lui-même, ni dominateur. n D.B. 18 au 23 décembre 2015 / Marianne / 37
france politique
pLace de La répubLique, à paris, après les attentats du 13 novembre.
tsuyoshi matsumoto / ap / sipa
La france face au djihad Par Gilles kePel
c. hélie / gallimard
Le théoricien du djihadisme Al-Souri voulait convertir la jeunesse issue de l’immigration au combat islamiste. Son discours a été relayé par Internet.
terreur dans l’Hexagone. Genèse du djihad français, de Gilles Kepel, Gallimard, 352 p., 21 €.
L
’appel à la résistance islamique mondiale d’Al-Souri, que je décryptais dans Terreur et martyre, a contribué à la structuration du terrorisme contemporain, mais, aujourd’hui, ce texte est oublié. A l’heure de la twitterisation universelle, il n’y a plus d’auteur, et il est extrêmement probable que Merah, Coulibaly ou Abaaoud ignorent ce texte. Qu’importe, en vérité, car ses idées se sont malgré tout difusées et nourrissent l’imaginaire des djihadistes. Lorsque je parle dans mon livre de « djihadisme rhizomique », c’est bien sûr par référence à la notion de Gilles Deleuze ; je fais allusion, en l’occurrence, au débat d’après-1968, entre les léninistes et les deleuziens, au cours duquel la conception pyramidale, issue du centralisme démocratique, a été détrônée par l’ambition de gérer la société dans une démarche bottom-up, à partir du « bas ». C’était cela, le rhizome, c’était l’idée d’une révolution qui irait profondément sous terre. Bien sûr, les héritiers de Deleuze risquent de se récrier face à cette comparaison. Il n’en reste pas moins que l’idée d’Al-Souri selon laquelle le 11 septembre 2001 a été un énorme succès médiatique, mais un échec politique, est valide. Certes, l’adversaire américain et, plus largement, occidental a été terrorisé, mais les masses ne se sont pas soulevées. Souri a théorisé la nécessité pour le terrorisme de se tourner vers les masses, c’est-à-dire vers la jeunesse issue de l’immigration,
38 / Marianne / 18 au 23 décembre 2015
marginalisée et désintégrée, et capable, selon lui, de former les bataillons de ce djihadisme de la troisième génération qui vise l’Europe comme ventre mou de l’Occident. Quand le texte (de 1 600 pages) de Souri est paru en arabe, il a très rapidement été traduit en anglais par une agence proche de la CIA. L’espoir des services américains était alors d’introduire un virus dans le système pyramidal d’Al-Qaida et, ainsi, de faire imploser le djihadisme. C’est évidemment un autre scénario qui est advenu, celui du djihadisme « 3G », en partie grâce à Internet, qui a permis à des individus entrant dans l’action terroriste d’entretenir une relation horizontale avec une hiérarchie. Les révolutions arabes ont placé le champ de bataille du djihad à quelques heures des banlieues françaises. Le djihadisme cible bien la société française en particulier. D’ailleurs, dans sa dernière livraison, Dar alIslam, le magazine de Daech, désigne les enseignants et les agents des services sociaux comme des cibles prioritaires. Car ils sont les champions de la laïcité. n ProPos recueillis Par a. l.
une somme fascinante
l
e nouveau livre de Gilles Kepel, Terreur dans l’Hexagone, ne terrorisera que ceux qui refusent l’exercice de l’intelligence. Dans cette somme fascinante et terrifante, le chercheur et professeur à Sciences-Po permet de comprendre pourquoi 2015 a vu le déchaînement à Paris d’une violence djihadiste sans précédent. En 350 pages, l’auteur retrace la genèse de la troisième génération de djihadistes. Il montre comment les stratèges de l’Etat islamique ont confé à des petits groupes autonomisés la mission de semer la terreur dans l’Hexagone, aux fns d’y déclencher un « choc de civilisation » entre les Français musulmans et le reste de leurs compatriotes. Il insiste aussi, comme dans la tribune cicontre, sur le rôle des nouvelles technologies de l’information et de la communication (NTIC) dans les stratégies de radicalisation. Un travail salutaire sur la fabrique de l’horreur. n alexis lacroix
rencontre-débat avec GiLLes KepeL à l’occasion de la parution de terreur dans l’Hexagone. genèse du djiHad français (gallimard)
dimanche 10 janvier à 19 h débat animé par alexis lacroix et pascal thuot et organisé en partenariat avec Marianne par le réseau de librairies librest et lalibrairie.com
Théâtre de la Bastille, 76, rue de la Roquette, 75011 Paris. M° Bastille, Voltaire, Bréguet-Sabin. Réservation par mail : 10janvier2016@librest.com
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LA MATINALE
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JEAN-JACQUES BOURDIN
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“Passé un certain niveau, les rémunérations sont inexPlicables” Par Louis GaLLois
Patron historique de la SNCF, ex-PDG d’EADS et actuel président du conseil de surveillance de PSA, Louis Gallois incarne un spécimen qui, comme les poissons volants, n’est pas la majorité de l’espèce : le patron de gauche (la métaphore est d’Audiard). Souvent courtisé pour participer au gouvernement, mais jamais tenté, “Loulou” revient pour “Marianne” sur sa vision de l’économie française actuelle. Patriotisme économique, place des syndicats, nécessité de l’impôt et coup de gueule sur les rémunérations… son langage détonne dans l’univers patronal.
40 / Marianne / 18 au 23 décembre 2015
Marianne : Depuis quelques années, l’un des maux principaux qui rongent notre économie s’appelle chômage. Une idée pour aider le président à en inverser la courbe ? Louis Gallois : On pourrait y consa-
valerio vincenzo / hanslucas
économie
france
crer une interview entière ! Cela dit, il y a un sujet qui me tient particulièrement à cœur : l’apprentissage. J’ai fait, récemment, un speed meeting avec des jeunes au salon de la sous-traitance industrielle (le Midest). Tous avaient un bac pro et faisaient soit un BTS, soit une licence pro, et cherchaient désespérément des stages. Des chaudronniers, des électromécaniciens, issus de la Seine-SaintDenis et, pour une partie d’entre eux, des minorités visibles, comme on dit. Ils n’ont pas de réseaux ; ils envoient des centaines de CV et personne ne leur répond. Ils sont désespérés. On ne peut pas laisser ces jeunes dans cette situation. Ils se sentent à l’extérieur de la société, cela crée un grand désarroi. Je pense que c’est de la responsabilité des entreprises, de l’Education nationale et des régions, désormais en charge de la formation professionnelle. Mais j’ai pris un coup de poing dans le nez quand ces 15 jeunes m’ont dit qu’ils ne trouvaient pas de stage. Généralement, l’apprentissage est un sujet sur lequel tout
L.G. : On bute certes sur des questions fnancières ou sur le rôle respectif de l’Education nationale et des entreprises, mais aussi sur des questions de logistique : on ne sait pas les loger, ces apprentis, ni financer leurs moyens de transport. Entre le lieu familial, le lieu du CFA, le lieu du stage, il peut y avoir 30 ou 40 km… Comment paient-ils leur transport ? Il faut que les branches professionnelles se collent à la question, l’UIMM [le syndicat patronal de la métallurgie] essaie de le faire, le BTP aussi.
Le 2 décembre s’est ouvert le procès des salariés d’Air France qui avaient arraché la chemise de deux de leurs dirigeants. Quel regard jetezvous sur cete histoire ? L.G. : Le comportement de
ces personnes était inacceptable. Il est normal qu’il y ait des sanctions. C’est à l’entreprise de les ajuster au niveau qu’elle juge bon. Il ne faut ni sous-estimer le préjudice subi, ni surréagir. Mais je préfère ne pas m’étendre sur ce cas que je connais mal. Vous avez souvent plaidé pour un renforcement du dialogue social… On n’en prend pas vraiment le chemin… L .G. : J’ai considéré que
l’échec des négociations sur le dialogue social était un échec pour le pays. Je pensais qu’il y avait là une occasion de progresser. L’enjeu , maintenant, se porte sur la réforme du droit du travail. Je vais vous dire le fond de ma pensée : il va falloir en efet qu’évolue la façon dont nous fabriquons nos règles
le Patron des Patrons, Pierre Gattaz et Louis Gallois, au siège du Medef, lors de la venue de la présidente de Corée du Sud, en novembre 2013.
hamilton / réa
le monde s’accorde à dire qu’il faut faire plus…
“il y a une sorte de trouille à réagir au Fn. Je Pense qu’il était très imPortant que Pierre gattaz se soit exPrimé.” sociales. En gros, il peut y avoir trois sources : régalienne, conventionnelle (accord d’entreprise ou de branche) et jurisprudentielle (le tribunal qui juge les affaires une par une). En France, c’est la voie régalienne qui domine. Je suis favorable, pour ma part, à ce que la voie conventionnelle prenne plus de poids par rapport à la voie régalienne (qui restera nécessaire pour les principes et les protections), mais cela suppose deux choses : d’abord, il faut réduire le nombre de branches professionnelles. Il y en a 750 aujourd’hui. C’est beaucoup trop. Elles sont sous-équipées, ce qui rend le dialogue social pratiquement impossible dans certaines d’entre elles. Il faudrait ramener ce nombre à moins d’une centaine – c’est un travail considérable. Second sujet, si l’on veut développer la source conventionnelle dans les entreprises : il faut renforcer les syndicats ! Incitation à la syndicalisation, formation et carrière des syndicalistes, fnancement…, tous ces sujets doivent être mis sur la table, pour que les
représentants des salariés gagnent en efcacité et en légitimité. Quand vous dites cela à vos homologues patrons, jetez-vous un froid ? L.G. : On ne peut pas répéter « voie
conventionnelle, voie conventionnelle », et ne pas se préoccuper de savoir avec qui l’on négocie. En particulier, il n’est pas sain qu’un syndicaliste le soit ad vitam aeternam. Si l’on veut que les syndicalistes puissent revenir dans l’activité opérationnelle de l’entreprise, il faut leur ofrir une carrière. En Allemagne, quand vous passez par le syndicalisme, cela fait partie de votre plan de carrière… Une entreprise a beaucoup fait parler d’elle dernièrement : Uber. Que pensez-vous de ce nouveau modèle économique et social qui a planté sa graine dans notre société ? L.G. : Je ne crois pas à la disparition rapide du salariat, comme j’ai pu le lire dans la presse. Mais à côté du salariat sont en train de › 18 au 23 décembre 2015 / Marianne / 41
› se développer dans l’économie numérique des emplois très difciles à caractériser et qui posent, à mon sens, deux questions. La première : comment vérifer que ces sociétés et les personnes qu’elles font travailler paient bien leurs impôts et leurs cotisations sociales ? La seconde : comment protéger les travailleurs « ubérisés », qui sont souvent soumis au diktat des plates-formes ? Dernièrement, Uber a décidé de façon discrétionnaire de baisser ses prix et ce sont des myriades de microentrepreneurs qui ont vu leur modèle économique ébranlé, sans avoir leur mot à dire. Il faut commencer à y réféchir sérieusement.
Concernant les impôts, le modèle d’entreprises comme Uber est quasiment fondé sur le fait de ne pas en payer, justement…
pascal sittler / réa
économie
france
modèle social Uber a du plomb dans l’aile. Des chauffeurs, supposés indépendants, dénoncent un salariat déguisé.
“comment protéger les travailleurs ubérisés, qui sont souvent soumis au diktat des plates-formes ? il faut y réfléchir sérieusement.”
L.G. : Mais ils utilisent les routes
pour leur activité et vont à l’hôpital quand ils sont malades. Donc il faut bien qu’ils participent à l’efort fscal et social collectif. Sur la fexibilité, il semble y avoir une divergence irréconciliable entre les élites, qui en appellent à toujours plus de fexibilité, et beaucoup de salariés, qui vivent une grande précarité… L.G. : Quand je vois le volume des
licenciements économiques, je me dis qu’on ne manque pas toujours de fexibilité… En 2007, à Airbus, j’ai fait un plan social d’ampleur exactement égale en France et en Allemagne : la négociation a duré six mois en France et dix-huit mois en Allemagne, donc ce n’est pas si facile en Allemagne, au moins pour les grandes entreprises. En revanche, il y a chez nous une vraie complexité du droit du travail. Les rigidités sont contournées, notamment par un usage excessif du CDD – qui concerne trois jeunes sur quatre ! Il faut simplifer et alléger. La France pèche à la fois par excès de précarité et absence de flexibilité. C’est pourquoi le 42 / Marianne / 18 au 23 décembre 2015
contrat unique – qui se sécuriserait à mesure que le temps passe – mérite d’être étudié. Qu’avez-vous pensé de l’appel du chef d’entreprise Marc Simoncini après les atentats du 13 novembre, exhortant les entrepreneurs exilés à revenir créer des richesses et payer leurs impôts en France ? L.G. : Je crois aux gestes patriotiques. Je trouve cela très bien que l’on aime son pays. Cela ne signife pas qu’on s’isole du reste. Je suis pour une France très ouverte mais une France « qui s’aime ».
Le patriotisme économique veut-il dire quelque chose ?
entreprises se délocalisent. Qu’est-ce que cela vous inspire ? L .G. : Je le regrette. Parce que,
quand les centres de décision s’en vont, cela fragilise les activités sur le sol national. Comment l’empêcher ? L.G. : Il y a des gens qui s’en vont
pour des raisons fscales, c’est leur responsabilité. Il faut bien sûr faire en sorte que la fscalité ne soit pas confscatoire, qu’on puisse assurer la transmission d’entreprise. Mais il est normal que les plus aisés paient leur part de l’efort national et de la lutte contre les inégalités. Je n’ai en particulier qu’une afection limitée pour l’héritage.
L.G. : Oui ! C’est faire en sorte que
Vous êtes un vrai libéral ?
nous ayons en France les activités qui permettent aux Français de travailler dans des conditions dignes et assurent à notre pays son développement et des marges de manœuvre. Cela ne veut pas dire que tout est français, et qu’on se ferme vis-à-vis de l’extérieur.
L .G. : Comme M. Zuckerberg !
De plus en plus de centres de décision des grandes
Aux Etats-Unis, il y a cete tendance : les bâtisseurs
Il n’est pas attaché à l’héritage, lui non plus ! [Le 1er décembre, le patron de Facebook, l’Américain Mark Zuckerberg, a annoncé à la fois la naissance de son premier enfant et son intention de faire don de 99 % de sa fortune à sa fondation.]
d’empire, les milliardaires comme Bill Gates donnent énormément dans des fondations. Comment se fait-il que l’on n’ait pas cete culture en France ? L .G. : Parce que notre système
de protection sociale est fnancé par l’impôt et par les cotisations sociales. C’est un système très protecteur, qui nous a permis de passer la crise sans que les inégalités explosent. La pauvreté en France est bien sûr toujours trop forte – je le mesure dans mes activités associatives –, mais elle est moindre que dans les pays qui n’ont pas d’Etat-providence. Les EtatsUnis, eux, ne sont pas du tout sur le même modèle du fnancement par l’impôt. Alors beaucoup passe par la philanthropie. Comprenez-vous que les revenus de certains grands patrons émaillent régulièrement l’actualité et nourrissent le ressentiment ? L.G. : J’ai toujours pensé que, passé
un certain niveau, les rémunérations étaient inexplicables. La difculté est qu’il y a un marché mondial du chef d’entreprise, et qu’il nous faut pouvoir conserver les bons et donc les payer. Mais je le redis : il y a des niveaux de rémunération qui sont incompréhensibles. C’était sans doute mon cas à EADS, ce qui m’a conduit à rechercher des emplois socialement utiles.
heureux événement Le patron de Facebook, Mark Zuckerberg, a annoncé, à la naissance de sa flle, qu’il comptait faire don de 99 % de sa fortune à sa fondation.
priment. Il y a une sorte de trouille à réagir au FN. Je pense qu’il était très important que Pierre Gattaz se soit exprimé.
L.G. : Il y a eu le pacte de respon-
sabilité, qui a ajouté 21 milliards d’euros d’allégements fiscaux et de dégrèvements de charges aux 20 milliards du Cice : 41 milliards d’euros, en tout, c’est tout de même 2 points de PIB ! Et cela ramènera, en 2017, la pression fscale des entreprises au niveau de 2000. Bien sûr, l’annonce, en septembre dernier, que le gouvernement reportait de trois mois les premiers allégements versés au titre du pacte de responsabilité n’était pas très heureuse… Même si cela permettait de financer le suramortissement accordé aux investissements industriels. C’était pour rentrer dans nos engagements budgétaires auprès de Bruxelles. De manière générale, plaidez-vous pour que l’on s’afranchisse de la contrainte des 3 % ?
courtesy of mark zuckerberg / reuters
Pierre Gataz a pris une position politique sur le FN…
L.G. : Il faut bien que les gens s’ex-
Qu’aurait-il fallu faire de plus que le Cice ?
De fait, les premiers bénéfciaires du Cice aujourd’hui sont… l’hôtellerie et la restauration, qui, par défnition, n’ont pas de problème de compétitivité ! Pourquoi n’a-t-on pas retenu la
L.G. : Je ne m’exprime pas là-dessus. De toute façon, ça n’était pas au niveau de Mark Zuckerberg ! [Il rit.]
Est-ce une bonne chose ?
L.G. : Beaucoup d’économistes ont plaidé pour concentrer les aides sur les bas salaires, car l’impact sur l’emploi est plus immédiat. Je le reconnais tout à fait, mais je pense que, si on veut viser la compétitivité, qui assure l’emploi à terme, il faut plutôt cibler les salaires intermédiaires.
L. G. : Le Cice est l’un des éléments qui ont permis le redressement des marges des entreprises, qui s’élèvent aujourd’hui à plus de 31 %, alors qu’elles tournaient autour de 27 % en 2013. Et ce redressement était une condition nécessaire pour que l’investissement reparte. Il n’y a donc pas de quoi rougir ! J’aurais préféré, il est vrai, que les allégements de charges soient plus ciblés sur les salaires intermédiaires que sur les bas salaires – je préconisais jusqu’à trois fois et demie le Smic, car cela aurait permis de mieux concentrer l’aide sur l’industrie.
C’est-à-dire à donner votre part variable à des associations caritatives…
L.G. : Je la partage entièrement.
formule que vous préconisiez ?
En novembre 2012, vous remetiez au président de la République le fameux « rapport Gallois » pour améliorer la compétitivité de l’industrie, lequel a surtout conduit à la création du Cice (crédit d’impôt pour la compétitivité et l’emploi). Deux ans plus tard, quel bilan en tirez-vous ?
“Comme mark ZuCkerberg, Je n’ai qu’une affeCtion limitée pour l’héritage.”
L.G. : C’est vrai que je ne suis pas un fétichiste des chiffres [il rit]. Il est sain de réduire la dépense publique qui est trop haute en France, mais il faut le faire à un rythme qui ne casse pas la conjoncture. Globalement, je ne pense pas que notre politique budgétaire l’ait vraiment cassée, sauf dans un domaine : l’investissement des collectivités locales. A cet échelon-là, oui, cela a frappé les travaux publics. Il faudrait corriger cela. De manière générale, le nerf de la guerre, c’est l’investissement. De l’investissement (des entreprises, des collectivités, etc.) dépendra le rebond de notre économie. n ProPos recueillis Par anne rosencher
18 au 23 décembre 2015 / Marianne / 43
à la loupe Corse demain, l’indépendanCe ?
franCe
Les nationalistes ont remporté la région dans l’indifférence générale. Il s’agit pourtant d’un véritable séisme politique. Par Soazig Quéméner
C
l’annonce du dépôt des armes par le Front de libération nationale de la Corse (FLNC), en juin 2014, après des dizaines d’années de violence clandestine. Mais la victoire a été rendue possible par une grande dynamique militante, issue notamment de la jeunesse, et facilitée, notent les observateurs locaux, par le discours très « pragmatique » des nationalistes, notamment dans le domaine social et la lutte contre la précarité. A Bastia, des scènes de liesse nationaliste ont d’ailleurs salué ce succès, dimanche soir, avec des chants patriotiques et des drapeaux à tête de Maure.
identitarisme banalisé A-t-on seulement mesuré les conséquences de ce séisme sur la vie politique insulaire ? Les nationalistes seront aux commandes de la région pour deux ans, avant la mise en place de la collectivité unique, qui prévoit
yannick graziani / crystal pictures=
’est la première grande victoire nationaliste depuis le renouveau de ce mouvement, à la fn des années 60. Dans une totale indiférence parisienne, la coalition Pè a Corsica (« Pour la Corse ») conduite par Gilles Simeoni, maire autonomiste de Bastia et ancien avocat d’Yvan Colonna, a remporté dimanche soir la région. Simeoni devance le candidat de la gauche Paul Giacobbi (28,49 % des voix), le candidat de la droite José Rossi (27,07 %) et enfn le candidat du FN Christophe Canioni (9,09 %), parti qui renaît en Corse, après dix-sept années d’éclipse (lire la chronique de Jack Dion, p. 33). Pè a Corsica est issue de la fusion au second tour de deux listes, les nationalistes modérés de Inseme per a Corsica et les indépendantistes de Corsa libera de Jean-Guy Talamoni. La concrétisation dans les urnes d’un rapprochement a été permise par
gilles simeoni et jean-guy talamoni, les deux hommes forts du nouvel exécutif corse.
44 / Marianne / 18 au 23 décembre 2015
la suppression des deux conseils départementaux en 2018. Dans la précédente assemblée régionale, les 15 élus nationalistes avaient déjà été à l’origine de nombreuses initiatives. Comme la coofcialité de la langue corse, l’instauration d’un statut de résident pour juguler la spéculation, d’une fscalité adaptée et l’adoption d’une collectivité unique. Le journaliste et écrivain Jacques Renucci entrevoit « une recomposition du paysage politique autour des nationalistes ». Selon lui, « des rapprochements seront facilités avec la banalisation du discours identitaire, comme on l’a vu avec la présence d’élus de gauche comme de droite, invités ces dernières années aux Journées indépendantistes de Corte ». Dans le dernier numéro d’U Ribombu (« l’Echo »), organe de Corsica libera, son leader, Jean-Guy Talamoni, ose même afrmer que « la bataille des idées a été gagnée par le mouvement national ». Celui qui devait être élu jeudi président de l’Assemblée de Corse, alors que M. Simeoni devait prendre la présidence du conseil exécutif, ajoute que « la nouvelle bataille à livrer prendra la forme d’un rapport de force politique avec Paris ». Autre façon de parler, sans le dire encore franchement, de l’indépendance de l’île ? Au programme des discussions qui s’annoncent âpres, l’imposition d’une loi d’amnistie pour les détenus corses condamnés pour des faits de violence politique, mais également la mention de la Corse dans la Constitution, afin de renforcer le statut d’autonomie de l’île et lui donner un pouvoir législatif. La Corse sera-t-elle la nouvelle Catalogne ? n
france expliquer comprendre réagir île-de-france
L’électeur FN, ce stratège
attentats
cazeneuve et “les irresponsables” En recevant les syndicats de policiers, le ministre de l’Intérieur s’est sévèrement élevé contre les fuites dans la presse à propos de la traque des terroristes.
J
e sais tout ce qui se passe, attention ! » C’est en ces termes que le ministre de l’Intérieur s’est adressé aux représentants syndicaux des policiers réunis Place Beauvau, le 2 décembre dernier, pour la première fois depuis les attentats du 13 novembre. En ligne de mire de Bernard Cazeneuve, à qui rien n’échappe particulièrement en temps de crise, la fuite dans Valeurs actuelles d’un procès-verbal évoquant le témoin qui a permis de localiser la planque des terroristes à SaintDenis. Une fuite qu’il apparente à une « haute trahison », a-t-il laissé entendre avant de fustiger ces « experts » qui déblatèrent sur les chaînes de télévision. Tout en louant le travail « remarquable » des fonctionnaires, le ministre a embrayé en tirant sur les « irresponsables, à commencer par ceux qui critiquent la police publiquement avant d’être obligés d’aller s’excuser auprès des policiers de la BRI », ceux qui ont mené l’assaut au Bataclan. Une allusion à peine voilée à Frédéric Péchenard, bras droit de Nicolas Sarkzoy, aperçu dans l’enceinte
du Quai des Orfèvres au lendemain des déclarations de son boss. Les discussions ont ensuite glissé vers la non moins sensible question du matériel, l’occasion pour les porte-parole de la base policière de pointer le fait que les commissariats attendent toujours les moyens promis après l’attaque contre Charlie Hebdo et l’Hyper Cacher, il y a presque un an. Avec quelques incongruités au passage, comme la livraison de 30 matraques télescopiques dans un service où personne n’était habilité à les utiliser… sachant que les stages qui auraient pu permettre une formation ont été ajournés pour cause d’état d’urgence. Un peu surpris qu’on lui parle « gamelles et bidons » en ces circonstances, le ministre a haussé la voix pour prendre un engagement solennel. « Je veux pouvoir me déplacer en juin 2016 dans tous les commissariats et constater que le matériel aura été livré », a-t-il lancé. Chacun a noté la date sur son agenda. Bernard Cazeneuve, d’ici là, aura tout le loisir de secouer l’intendance. n
stéphane mahé / reuters
L
es résultats obtenus par le FN en Ile-de-France au second tour des élections régionales font fgure d’exception. Wallerand de Saint-Just, tête de liste, a perdu 60 000 voix d’un tour à l’autre, rendant 4 points à la candidate des LR, Valérie Pécresse. Partout ailleurs, les candidats d’extrême droite ont soit maintenu leur score quand il était déjà très élevé, comme Marine Le Pen dans le Nord, ou l’ont augmenté, comme Louis Aliot dans le Languedoc quand il était plus faible. « L’électeur du FN se transforme en stratège quand la situation locale le justife, analyse Jérôme Fourquet, directeur du département opinion de l’Ifop. Nous l’avions déjà remarqué lors des municipales de 2014, la tendance se confrme à l’occasion de ce scrutin. » Et c’est ainsi que, lorsque le parti pour lequel il a voté au premier tour n’a aucune chance de gagner et que la droite menace sérieusement la gauche, l’électeur FN donne sa voix au candidat de droite pour battre le candidat de gauche. Il ne manquait plus à Valérie Pécresse que le renfort d’une partie des voix recueillies par Nicolas Dupont-Aignan (DLF) au premier tour (6,57 %) pour l’emporter sur son adversaire socialiste, Claude Bartolone. En Ile-de-France, le camp de la droite s’est reconstitué. n JEAn-clAudE JAillEttE
trait pour trait
FRédéRic Ploquin
Retrouvez Anne Rosencher dans l’émission “Entre les lignes”, présentée par Frédéric Haziza, sur la chaîne LCP tous les samedis à midi et 19 h 30 (rediffusion le dimanche à 8 heures), pour un autre regard sur l’actualité. LCP, la politique plein écran. www.lcpan.fr
18 au 23 décembre 2015 / Marianne / 45
terrorisme
monde
libye
la vérité sur cet autre sanctuaire de daech Depuis 2012, les troupes de l’Etat islamique se développent et s’organisent dans l’ancien pays de Mouammar Kadhaf. Ce “nouveau front”, alimenté par l’arrivée massive de combattants étrangers, est miné par des divisions, mais représente une menace aux portes de l’Europe. Par roumiana ougartchinska
46 / Marianne / 18 au 23 décembre 2015
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n n’y comprend rien ! » C’est habituellement le résumé de la situation en Libye depuis la chute de Kadhafi. Katibas, tribus, afrontements des milices… Les animosités entre cités et les interminables négociations entre les deux Parlements rivaux, l’un à Tobrouk, l’autre à Tripoli, l’un légitime, l’autre prétendant l’être, ont fni par lasser. Jugé trop compliqué, le chaos libyen n’attirait plus qu’une attention mitigée de la part des médias. Jusqu’à cette véritable déferlante d’informations contradictoires au début de ce mois de décembre, avec en point d’orgue l’annonce de la création d’un « nouveau front de l’Etat islamique » aux portes de l’Europe. Une simple requête par mots clés sur Google actualités donne l’ampleur du sujet :
ismail zetouni / reuters
128 000 articles en 0,39 seconde uniquement pour la version française du moteur de recherche et près de 4 millions en anglais. A en juger par les titres de la presse internationale, la Libye serait devenue « le nouveau sanctuaire », « la base arrière », « le nouvel eldorado », « la nouvelle terre de conquête » de Daech. Des combattants par milliers arriveraient sur ses côtes et même l’émir suprême, Al-Baghdadi, y aurait trouvé refuge après avoir été blessé par un bombardement, selon l’agence de presse iranienne Fars. Une information citée abondamment par le Daily Mail, le Sun et autres journaux en quête de nouvelles à sensation. Ces allégations méritent cependant quelques explications. Aussi menaçante qu’elle puisse sembler, la présence de Daech n’a rien d’une nouveauté en Libye. Pour mémoire, la première exécution
tripoli, le 6 juin 2014, un attentat à la voiture piégée vise le domicile d’Hachem Becher, ex-président de la Haute Commission de la sécurité de Tripoli. Les mois précédant cette action, Becher avait pris ses distances avec les milices islamistes qui régentaient la ville.
publique par décapitation eut lieu dans un stade de foot à Derna, dans l’est de la Libye, où les lois de la charia s’appliquaient depuis 2012. Dûment flmée, la mise à mort avait été difusée par les réseaux sociaux le 26 août 2014. Trois mois plus tard, le Département d’Etat américain s’alarmait de l’implantation de l’EI dans l’Est libyen, alors que la choura (le conseil) de Derna annonçait ofciellement sa baya (« allégeance ») à l’émir Al-Baghdadi. Pour preuve de son implantation, le groupe avait organisé quelques actions pilotes dans le pays, comme la prise d’otages sanglante le 27 janvier dans l’hôtel Corinthia de Tripoli, qui avait fait neuf morts, dont un Américain et un Français. Trois semaines plus tard, ceux qui se réclamaient désormais de la wilaya de Tarabulus, la subdivision occidentale de l’Isna (Etat islamique en Afrique de Nord, lire l’encadré,
p. 48), envoyaient un message lourd de sens. Vingt et un coptes, chrétiens égyptiens, étaient décapités sur une plage « en face de l’Europe ». Une menace claire à l’adresse des Occidentaux et parfaitement conforme à la doctrine de l’EI : dès l’été 2014 celui-ci n’avait-il pas déclaré vouloir « conquérir Rome » ? Le scénario était réédité en avril dernier avec la décapitation de 28 chrétiens originaires d’Ethiopie, même si l’impact médiatique selon les normes de Daech était plus faible. Dans la foulée, l’annonce de la prise de Syrte, située à 450 km à l’est de Tripoli et à quelque 600 km des côtes siciliennes, passait presque inaperçue.
implantation dangereuse Du coup, affirmer qu’il s’agirait là d’un « nouveau front » fait en tout cas bondir les membres de › 18 au 23 décembre 2015 / Marianne / 47
› l’état-major de l’armée libyenne, dont le chef, Khalifa Haftar, a lancé dès le printemps 2014 l’opération « Dignité », avec pour ambition afchée de « chasser les terroristes ». Le général n’est certes pas enclin à la subtilité qui distinguerait les islamistes modérés de Fajr Libya (« Aube de la Libye »), lesquels ont pris possession de Tripoli, des éléments de l’EI ou de Ansar al-Charia (« les Partisans de la charia ») proches d’Al-Qaida que l’officier supérieur combat toujours à Benghazi. Jugeant que les uns, d’une manière ou d’une autre, soutiennent les autres, Haftar et ses partisans, nombreux en Libye et au sein de la Chambre des représentants de Tobrouk, considèrent que le mal est à traiter dans sa globalité. Difcile en tout cas de faire la distinction dans les camps et enclaves des combattants islamistes disséminés sur le territoire libyen. C’est justement cette implantation dangereuse qu’était venu dénoncer Othman Mlikta, lors d’une bien discrète visite à Paris, à l’automne 2014. Chef de la brigade Kakaa, et membre du conseil militaire des Zintan (entité portant le nom de la ville d’origine) luttant contre les islamistes, Othman Mlikta s’était déjà rangé sous la coupe de l’armée nationale et du Parlement élu de Tobrouk. Reçu au ministère de la Défense, il était venu livrer des informations détaillées sur les positions tenues par les djihadistes qui proftaient, et proftent toujours, de la porosité des frontières libyennes. « Je sais exactement qui et où ils sont. Surtout dans le Sud-Ouest, où nous
sommes présents. Nous avons besoin d’un appui aérien d’urgence pour en venir à bout. Après, il sera trop tard. Ils seront chez vous », afrmait alors le commandant de Zintan, envoyé très ofciel du gouvernement légitime. La demande n’était pas sans contrepartie, puisque les autorités de Tobrouk proposaient alors de s’intégrer à l’opération « Barkhane », promue par la France, pour sécuriser tout le Sahel. Depuis, pas plus Othman Mlikta, devenu récemment conseiller du ministre de l’Intérieur, que le gouvernement n’ont eu un écho à leur proposition. Le plaidoyer n’était pourtant pas uniquement adressé au ministère de la Défense, puisqu’une lettre à l’attention de François Hollande était également déposée à l’Elysée. Quid de l’appui aérien réclamé ? Il vient juste de se manifester début décembre, soit plus d’un an après l’alerte, sous forme de simples survols de reconnaissance de l’aviation militaire française. Auraient-ils observé l’arrivée massive de combattants étrangers annoncés dans les médias ?…
reuters tv / reuters
terrorisme
monde
tripoli, le 15 février 2015 Vingt et un coptes, des chrétiens égyptiens capturés par Daech en Libye, ont été décapités sur une plage “en face de l’europe”.
flux ininterrompu Si, en 2011 et 2012, la Libye s’illustrait par le nombre de combattants envoyés sur le front syrien ; depuis un an, c’est le phénomène inverse qui est en efet observé. Marianne s’en faisait l’écho dès décembre 2014, révélant le contenu d’une note des services libyens qui avaient identifé une flière de retour pilotée par Abdelhakim Belhaj et ses lieutenants. Tous anciens moudjahidin
d’Afghanistan et membres du GICL (Groupe islamique de combat de Libye), qui avait lutté sous la bannière d’Oussama ben Laden. Selon ce document, des groupes de djihadistes libyens, mais aussi syriens et d’autres nationalités, étaient exfltrés via la Turquie par des vols réguliers à destination de Tripoli ou Misrata, afn de constituer le front d’un nouveau « califat ». Depuis, le fux ne s’est pas interrompu. Fin novembre, devant l’AFP, le ministre des Affaires étrangères, Mohamed al-Dairi, estimait « entre 4 000 et 5 000 » le nombre de combattants de l’EI en Libye. Une évaluation proche des chifres qui circulaient déjà voilà un an. Mais, depuis cette époque, le bastion ultra-islamiste de Syrte n’hésite plus à en faire la publicité. Dotées d’un organe administratif local, d’une police islamique, mais aussi d’une agence de presse et d’une radio, les autorités de la wilaya de Tarabulus (dont fait partie la ville), annonçaient récemment sur leurs ondes l’arrivée d’une embarcation transportant une quarantaine de
La structure de daech en Libye
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récemment, on considérait que le commandant suprême était Abou Nabil al-Anbari, de son vrai nom Wissam Najm Abd Zayd al-Zubaydi (photo). Dépêché en Libye fn 2014 sur ordre de l’émir de Daech, cet Irakien, ancien offcier de police, s’est radicalisé au contact d’Al-Baghdadi dans le camp de détention Bucca.
Abou Nabil a été déclaré mort à la suite des frappes de l’aviation américaine sur Derna le 13 novembre. On cite également les noms d’autres envoyés spéciaux de l’émir de Daech, comme Al-Shantiki, un Yéménite, ou encore Al-Bangali, un Saoudien, qui contrôle Syrte. n R.O. afp
’Isna, Islamic State In North Africa ou Etat islamique en Afrique du Nord, opère à travers trois entités, l’équivalent des wilayas. Celle de la wilaya de Tarabulus pour le Nord-Ouest. La wilaya de Barqa, située dans l’Est. Enfn, la wilaya de Fezzan qui s’étend sur le Sud. Jusqu’à
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stringer / reuters
combattants étrangers, des armes et des munitions. « Il en vient du monde entier », confirme Saleh Efhema, député de Syrte à la Chambre des représentants de Tobrouk, l’un des rares Libyens à accepter de commenter ce qui s’y passe sans requérir l’anonymat. Ils ont le contrôle du port d’Alkazabih et de l’aéroport de Garbabiya. Des témoins ont aussi affirmé avoir vu des largages par avion, à une quinzaine de kilomètres de Syrte. Dans cette ville, dont les habitants étaient isolés et stigmatisés depuis la mort de Kadhaf, qui y comptait de nombreux appuis, les djihadistes ont trouvé un terrain fertile. Et une alliance de circonstance avec les anciens afdés du défunt dictateur. Leur but avoué ? Prendre possession des puits de pétrole, établir un Etat islamique et, avant tout, envahir l’Europe. « Je peux vous confrmer qu’ils avancent dans leurs conquêtes puisqu’ils viennent d’annoncer la prise de Sabratha à l’ouest, près de Tripoli ». Une information qui confrme en tout cas l’existence près de cette ville d’un camp d’entraînement fréquenté par les terroristes qui ont ensanglanté depuis un an la capitale tunisienne. « Ils sont environ 2 000 autour de Derna », complète pour sa part Hamad Bandag, député originaire de cette ville de l’Est libyen, pareillement connue pour ses sympathies islamistes et ses accointances avec Al-Qaida depuis la fn des années 90. « Mais en réalité, tempère Hamad Bandag, ils ont été chassés de la ville en juillet par le Conseil des jeunes de Derna. » Un confit d’ordre local plus que réellement idéologique, selon
parade à derna, le 3 octobre 2014 Les troupes de Daech ont été chassées de cette ville de l’Est libyen en juillet dernier par le Conseil des jeunes.
lui. « Tant qu’ils combattent entre eux, cela freine leur expansion dans la région. La plupart des recrues de Daech qui se sont positionnées dans les montagnes alentour ne sont pas libyennes. Elles viennent de Tunisie, d’Arabie saoudite, du Yémen, mais aussi du Soudan, du Tchad, du Mali. Quand l’une des deux parties en confit à Derna aura pris le dessus, ils se retourneront contre l’armée légale. Ça ne fait aucun doute. »
véritable casse-tête Une confusion similaire semble régner dans l’ancienne capitale, Tripoli, tenue par la coalition de Fajr Libya, proche des Frères musulmans et soutenue par les milices d’Abdelhakim Belhaj. Récemment, des combats ont opposé la katiba pro-Daech Altohid, qui avait pris le contrôle du quartier de Fornaj, à celle de Abdurraouf Kara, l’un des lieutenants dudit Belhaj, milice établie à Souk al-Juma et régnant en maître sur l’aéroport de Mitiga, près de la capitale. Comme rien n’est simple en Libye, ofciellement le gouvernement non reconnu de Tripoli, soutenu par Fajr Libya, a plus d’une fois martelé sa volonté de combattre Daech. Leurs alliés, les milices de Misrata, ont durant l’été tenté de retenir l’avancée de Daech sur Syrte, avant de se rendre compte que les combattants d’en face étaient alimentés en armes par un certain Wissam Ben Hamid. Or, bien connu pour ses connexions avec les groupes radicaux islamistes de Benghazi, ce dernier est lui-même fnancé par… Fajr Libya. Du coup, les miliciens de Misrata, ayant moyen-
nement apprécié la manœuvre, ont depuis quelque peu refroidi les relations avec leurs « amis » de Tripoli. « Fajr Libya prétend combattre Daech, mais, en réalité, ses hommes ne le font qu’à Tripoli. Dans le reste du pays, ils soutiennent les djihadistes de l’EI contre leur ennemi commun Khalifa Haftar, le chef des armées », accuse Saleh Efhema, le député de Syrte. D’où l’inextricable animosité entre les deux gouvernements rivaux de Tobrouk et Tripoli qui ont longtemps refusé obstinément de s’asseoir ensemble à la table des négociations présidée par l’envoyé de l’ONU, Bernardino Leon. Pour dépasser les divergences, celui-ci a proposé en octobre dernier un gouvernement d’union nationale, sous l’égide de l’ONU. Mais personne n’en veut. Son successeur, Martin Kobler, semble pourtant convaincu que ce sera la seule solution pour contrer l’avancée de Daech. A force de brandir cet épouvantail, il aurait fnalement réussi à convaincre les frères ennemis d’accepter la proposition initiale de Bernardino Leon. Soit un gouvernement d’union choisi par la communauté internationale, mais validé par les deux Parlements. Lesquels, notamment celui de Tripoli, ont l’art de faire traîner les choses, le double jeu permanent de Farj Lybia n’aidant guère à dissiper les méfances accumulées depuis des mois. Reste que, pour Martin Kobler, il s’agit d’une condition sine qua non pour lever l’embargo sur les armes que l’ONU impose au gouvernement légitime de Tobourk. Situation qui fait enrager Saleh Efhema. « Pour vaincre Daech, nous n’avons pas besoin d’une intervention militaire au sol, afrmet-il. Qu’on en fnisse avec l’embargo et nous pourrons nous débrouiller par nous-mêmes ! » Cet imbroglio dans lequel chacun agite le drapeau noir de l’EI en guise de menace, ou de justifcation, a au moins une vertu. Il préfgure le casse-tête qui attend les négociateurs de tous bords le jour où inévitablement la recherche d’une solution politique et militaire sera vraiment à l’ordre du jour en Syrie et en Irak. n R.O. 18 au 23 décembre 2015 / Marianne / 49
mOnDe
à La LOupe
BuRunDi Le Risque D’un GÉnOCiDe
L’affrontement armé entre le régime du président Nkurunziza, qui en est à son troisième mandat, et son opposition fait craindre l’embrasement de la région. Par alain léauthier
L
fuite en avant Pour une partie des 10 millions de Burundais, surtout parmi les Hutus, majoritaires dans la population, le chef de l’Etat reste un héros de la terrible guerre civile qui ensanglanta le pays à la fn des années 90. Grièvement blessé
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BujumBuRa, Le 12 DÉCemBRe Les corps d’opposants au président Nkurunziza, tués par balles, gisent dans les rues de la capitale burundaise.
jean-pierre harerimana / reuters
es génocides commencent souvent par des mots. Au Burundi, ceux que l’on entend depuis plusieurs semaines parmi les proches du président Pierre Nkurunziza avaient le goût du sang. Il y était question de « pulvériser » les quartiers, le cœur de la contestation contre sa réélection contestée, et de « travailler » (liquider) les récalcitrants. Depuis, le sang a bel et bien coulé. Quelques jours après une résolution émanant de la France et alertant le Conseil de sécurité de l’ONU sur les risques de violences ethniques, les corps d’une centaine de jeunes tués par balles ont été retrouvés dans divers quartiers populaires de Bujumbura, la capitale. Pour le régime, il s’agirait ni plus ni moins que d’« insurgés », de « terroristes » ayant participé le 11 décembre à une série d’attaques visant trois camps militaires. Les familles concernées, comme les dirigeants de l’opposition, certains en exil, dénoncent tout au contraire une vague d’exécutions extrajudiciaires commises par les militaires et les forces de l’ordre. Les exactions n’ont en réalité jamais vraiment cessé depuis qu’en juillet dernier Nkurunziza a entamé un troisième mandat, malgré des mois de troubles violents et une tentative ratée de coup d’Etat impliquant des militaires de haut rang.
dans les combats, Pierre Nkurunziza prit peu à peu la tête de la rébellion hutue luttant contre le pouvoir central de Bujumbura, à l’époque dominé par les Tutsis. En 2005, le Parlement issu des accords d’Arusha, censés ramener la paix et organiser le partage du pouvoir entre les deux ethnies, le désigne à la magistrature suprême. Processus qui lui permet d’afrmer aujourd’hui que, seule son élection de 2010 (la deuxième, au demeurant boycottée pour cause de fraudes électorales) relevant du sufrage universel, briguer un nouveau mandat n’avait du coup rien d’inconstitutionnel. Mais cette fois la rue s’est révoltée. Après une courte trêve, le 2 août, le général Adolphe Nshimirimana, « frère » d’armes du président lors de la rébellion des années 90, perd la vie dans un attentat à la roquette. Deux semaines plus tard, comme en réplique, le général Jean Bikomagu, ex-chef d’état-major des Forces armées burundaises (FAB), du temps où elles étaient dominées par les Tutsis et tentaient d’éradiquer les combattants hutus, désormais au pouvoir, est assassiné à son domicile. De la
Commission européenne à l’Union africaine, tout le monde s’alarme. Pour le fragile équilibre burundais, menacé d’explosion, mais aussi pour les conséquences dans toute la région des Grands Lacs. Le génocide rwandais et ses centaines de milliers de victimes, Tutsis et Hutus modérés, reste dans toutes les têtes. La poudrière que constitue l’ex-Zaïre (l’actuelle RDC), où Joseph Kabila semble vouloir lui aussi se maintenir coûte que coûte au pouvoir lors de la prochaine présidentielle fn 2016, inquiète au plus haut point les chancelleries. Or, à ce jour, rien ne semble en mesure d’enrayer la fuite en avant des belligérants. Alors que la médiation de Nelson Mandela avait autrefois permis la fn des tueries, la puissance régionale sud-africaine est aux abonnés absents. Le compte à rebours du pire scénario est enclenché et personne n’en ignore les risques potentiels. En une seule décennie, le bilan des divers confits dans la région des Grands Lacs fait peur : près de 5 millions de morts, des déplacés par centaines de milliers et la persistance de la misère au cœur du continent. n
MONDE expliquer comprendre réagir
omer / epa / maxppp
M
on nom est Cohen, Yossi Cohen » : le prochain chef du Mossad pourrait reprendre à son compte la célèbre entrée en matière de James Bond. Beau gosse, surnommé « le Mannequin », ce quinquagénaire est pourtant issu du milieu national-religieux et s’est formé à la yeshiva militaire Or Tzion, dirigée par le très extrémiste rabbin Haïm Druckman. Recruté à 22 ans par le Mossad, il grimpe tous les échelons, jusqu’à diriger la division chargée de gérer les agents sur le terrain. Il devient alors un des très rares hommes de confance de Benyamin Netanyahou, qui le nomme conseiller à la sécurité nationale avant de le propulser à la tête du Mossad. Une relation très personnelle qui pourrait qui c’Est, entraver sa cELui-Là ? liberté d’action. Le quinquagénaire « Je ferai de YOssi cOhEN est le nouveau mon mieux chef du renseignement pour mener de israélien. bonnes opérations et fournir des renseignements précieux », promet-il. Pari compliqué. Yossi Cohen va devoir trouver des preuves tangibles au cas où les Iraniens violeraient leurs engagements en poursuivant secrètement leur programme militaire nucléaire. L’autre priorité concerne l’Etat islamique. Le nerf de la guerre au djihad, c’est le renseignement. Le nouveau James Bond s’est engagé à travailler sans relâche le dossier et à renforcer la coopération avec les autres agences occidentales. n Julien lAcorie, à JérusAlem
No coMMENT Ü
YéMEN. La guErrE, quELLE guErrE ?
Elle a fait jusqu’ici 6 000 morts et 28 000 blessés, détruit l’extraordinaire patrimoine architectural des cités yéménites, mais tout le monde s’en fche. Alors même que des pourparlers de paix font mine de se tenir à Genève, la guerre entre les rebelles houthis, soutenus par l’Iran, et une coalition sunnite, emmenée par l’Arabie saoudite, ne fait pas verser une seule larme malgré les effroyables pertes civiles. Daech peut prospérer sans problème sur ce cauchemar. n
IllIco Ü ItalIe Cause Commune Le débat sur les mères porteuses fait rage au pays des mamma en suscitant des alliances inattendues. C’est ainsi que les féministes, soutenues par des personnalités de gauche, font cause commune avec l’Eglise contre la GPA. Un journal de prélats va même jusqu’à donner la parole à une ex-députée communiste… Israël le front DaeCh L’armée israélienne se prépare à des affrontements avec l’Etat islamique, au nord face à la Syrie et au sud dans le Sinaï. Tout en renforçant la surveillance sur le plateau du Golan, Tsahal multiplie les exercices d’entraînement à la frontière égyptienne pour faire face à d’éventuelles infltrations de commandos ou des tentatives d’enlèvement de soldats. russIe extraterrItorIalIté Vladimir Poutine a signé la loi consacrant la primauté de la Cour constitutionnelle russe sur la Cour européenne des droits de l’homme. Cette décision qui, selon de nombreux juristes occidentaux, rend caduque l’adhésion de Moscou à la Convention européenne des droits de l’homme lui permettra d’ignorer les nombreux jugements qui lui sont défavorables. égyPte marIages forCés Les associations d’aide aux réfugiés alertent sur le sort des centaines de très jeunes Syriennes réfugiées en Egypte, contraintes de contracter des mariages provisoires avec des Egyptiens beaucoup plus âgés qui les répudient au bout de quelques mois. Lors de ce genre d’union, le mari règle une dot pour son épouse qui permet à sa famille de survivre. n
kacper pempel / reuters
Yossi Cohen, le nouveau James Bond du Mossad
varsOviE, LE 13 DécEMbrE plus de 50 000 libéraux ont déflé pour “défendre la démocratie”.
Pologne
Les exorcistes de Kaczynski
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ous avons gagné les élections et on nous refuse le droit de faire des lois ! » fulmine Jaroslaw Kaczynski, le chef de Loi et justice (PiS), le parti ultraconservateur revenu au pouvoir le 25 octobre. Kaczynski fustigeait ainsi le Tribunal constitutionnel qui a condamné plusieurs résolutions du Parlement. Et, quand une instance lui résiste, le cofondateur du syndicat Solidarnosc, qui ft tomber le communisme, fonce dans le tas. Ses adversaires accusent : « C’est du poutinisme avec un visage polonais ! », « Gare à l’orbanisation de la Vistule ! » A ces libéraux afigés par leurs nouveaux dirigeants, l’historien britannique Timothy Garton Ash, spécialiste des afaires européennes et fn connaisseur de la Pologne, suggérait patience et recul historique : « La Pologne a survécu à bien pire que ce tournant conservateur. Ne vous désespérez pas… » Mais on ne risque plus guère d’écouter ces bonnes paroles, car les deux camps s’afrontent désormais dans la rue. Plus de 50 000 libéraux défilaient le 12 décembre à Varsovie « pour défendre la démocratie ». Le lendemain, plusieurs milliers de supporteurs du PiS se rassemblaient à l’occasion du 34e anniversaire du coup de force communiste contre Solidarnosc. Une cinquantaine escortait un prêtre venu « exorciser » le plus grand quotidien polonais, Gazeta Wyborcza, très critique à l’égard du pouvoir. Cette « Croisade du rosaire pour la patrie » a été accueillie chez nos confrères de la Gazeta par un lâcher de dessins humoristiques… n Anne DAstAkiAn 18 au 23 décembre 2015 / Marianne / 51
débats - alternatives
chiche !
propositions - controverses
“S’obstiner à vivre selon les valeurs universelles”
Lucien Lazare, ancien membre de la résistance juive en France, vit à Jérusalem. Il a notamment dirigé la publication en 2003 du Dictionnaire des justes de France, et a participé au numéro spécial de Marianne « Les résistances juives ». Il a récemment publié ses Mémoires : le Tapissier de Jérusalem (Seuil).
Marianne : Après les massacres du 13 novembre à Paris, un débat se fait jour en France : comment la société doit-elle se conduire face au terrorisme ? Certains désignent la société israélienne, confrontée de longue date aux atentats et aux guerres, comme un modèle possible. Quel est votre avis ? Lucien Lazare : Plutôt que de
prendre comme modèle la société israélienne, je propose de réfléchir à l’attitude du peuple juif, confronté pendant des siècles aux massacres, aux pogroms, aux discriminations, puis au terrorisme. Il a utilisé deux armes à sa disposition. La première, c’est la patience, qui lui a permis de ne jamais baisser les bras, même s’il a dû courber le dos. La deuxième, c’est l’obstination à vivre selon des valeurs, issues du judaïsme, qui tendent vers l’universalité… Le résultat, c’est que ni les violences ni le terrorisme n’ont réussi à entamer la créativité de la société juive, dans les lettres, la théologie, la recherche scientifque, les arts, l’industrie. C’était vrai dans la Diaspora, cela reste vrai dans la Diaspora et dans le cadre de l’Etat d’Israël. Cela ne résout évidemment pas le problème du jour au lendemain, mais cela donne une indication de ce que peut être, doit être notre attitude de tous les jours lorsque nous sommes confrontés à la violence de nos ennemis.
Certes, mais, lorsqu’on considère l’histoire récente d’Israël, est-ce que la confrontation au terrorisme ne conduit pas à une « brutalisation » de la société ?
L.L. : Le risque existe, au bout du
L.L. : Efectivement, c’est l’une des séquelles désolantes du terrorisme. On peut d’ailleurs afrmer que c’est le but recherché par les terroristes. Israël est devenu un Etat surarmé
“Je ne croIS paS à une Force D’aTTracTIon verS Le FaScISMe.”
Est-ce que cela peut metre en cause la démocratie, au sens où cela peut conduire à ne plus concevoir comme possibles d’autres options politiques que l’usage de la violence, la restriction des libertés,
“Edouard Louis est un fls que je ne reconnais pas. Sa dénonciation du libéralisme n’est pas la mienne, et je n’aime pas les appels au boycot.”
processus, d’en venir à sacrifer les valeurs de la démocratie, et c’est pourquoi il faut les conserver avec une extrême vigilance. C’est vrai pour la société israélienne, mais aussi pour toutes les autres, y compris française. Néanmoins, je ne crois pas à l’existence d’une force d’attraction vers une société fascisante et un régime fasciste. L’attirance pour la démocratie et le libéralisme continue à nous protéger d’un tel désastre. Vous avez étudié avec Jacques Semelin la résistance nonviolente. Ce concept est-il pertinent face au terrorisme ?
qui ne conçoit plus d’autre riposte que par l’intermédiaire de sa force armée. Cela a frappé d’abord les dirigeants, mais cela se répand dans l’électorat, car la recherche de la sécurité conduit la population à soutenir les leaders qui promettent la protection par le déploiement des moyens les plus radicaux.
il a osé le dire
52 / Marianne / 18 au 23 décembre 2015
la séparation des populations ?
L.L. : La résistance non violente n’est pas une idéologie, mais une tactique efcace dans une situation de massacres, de génocide, adaptée à la situation concrète qu’ont vécue les juifs, les Arméniens, les Tutsis du Rwanda. Les victimes qui ont survécu n’ont pu le faire que grâce à des sauveurs (les justes). Mais, dans le cas de Daech, la résistance non violente est inopérante, même s’il s’attaque lui aussi à des êtres humains désarmés. D’ailleurs, il n’y a pas de barrière étanche entre résistance armée et résistance non violente. Pendant l’occupation nazie, les sauveurs ont fni par rejoindre l’insurrection pour chasser les Allemands. Je peux en témoigner, ayant moi-même vécu ce passage. n PROPOS RECUEILLIS PAR HERVÉ NATHAN
Bien que le romancier à succès Edouard Louis ait tenté de l’enrôler dans sa croisade “rebelle” contre Marcel Gauchet, l’essayiste et historien des idées DANIEL LINDENbERg, auteur du Rappel à l’ordre, l’essai sur les « nouveaux réactionnaires », ne se laisse pas si facilement embrigader. Et il met les points sur les “i” avec nos confères du Point (10 décembre 2015). Pour en fnir - vraiment - avec Eddy Bellegueule et autres censeurs à gages...
hermance triay / opale / leemage
hannah assouline
PAR LUCIEN LAZARE
le monde est fou L’état d’urgence et Le crime
Y aura-t-il de la “neige” à noël ?
Fébrilité chez les trafquants de drogue. L’état d’urgence, où se multiplient perquisitions et contrôles contrarie leur trafc. Cela n’a pas empêché des Marseillais de croire en leur bonne étoile… et de fnir au trou. Les fêtes s’annoncent problématiques dans certains milieux… Par Frédéric Ploquin
Y
aura-t-il des joints à Noël sous le sapin ? Y aura-t-il encore des lignes de cocaïne le 31 décembre après minuit ? Le produit commencerait à manquer dans certains points de vente, du moins dans la région parisienne, où la présence d’uniformes dans la rue, la vigilance générale des uns et des autres, cette nervosité qui fait que les policiers ont tendance à sauter sur tout ce que bouge, sans oublier la multiplication des perquisitions administratives, ont fni par peser sur l’approvisionnement des flières. La faute à cet état d’urgence, prévu pour durer au moins jusqu’au 26 février prochain, mais aussi aux mesures de sécurité prises autour de la COP21, avec un renforcement des contrôles physiques aux frontières qui a perturbé une économie
54 / Marianne / 18 au 23 décembre 2015
où l’on ne fait pas de stock. Où l’on écoule la marchandise à fux tendu parce qu’il vaut mieux se faire interpeller avec un petit kilo de drogue qu’avec 10. Au point que certains se sont sentis obligés de se jeter dans la gueule du loup, comme cette équipe soupçonnée d’approvisionner en cocaïne une partie des quartiers nord de Marseille, qui sans chercher à comprendre a bravé tous les contrôles pour venir récupérer quelques kilos de cocaïne en SeineSaint-Denis, ce département qui
semble abriter aujourd’hui d’h les plus gros fournisseurs de l’Hexagone. L’enquête débute à Marseille, où les attentats de Paris n’ont guère infué sur les besoins des consommateurs et où les trafiquants misent gros sur la période des fêtes de fn d’année, l’un des principaux pics de vente. Les investigateurs de l’Evêché, le quartier général de la police judiciaire dans la cité phocéenne, disposent d’un renseignement sur un présumé grossiste, Moez Hamdaoui, né en 1981, l’un
les mesures de sécurité ont perturbé une économie où l’on ne fait pas de stock. au point que certains se sont jetés dans la gueule du loup…
mortaliser, à l’aide de caméras, un échange d’argent contre marchandise réalisé dans une chambre d’hôtel. Suffisamment probant pour que la justice autorise la pose d’une balise sous l’une des voitures des trafquants. A bord, l’un des petits frères de Moez et deux accompagnateurs. Confiants pour 10, ils passent la nuit dans un hôtel de la banlieue sud et se mettent en branle le lendemain en fin de matinée. Direction la Seine-Saint-Denis, où les hommes du Raid ont lancé peu après 4 heures du matin l’assaut contre un appartement sans certitude qu’il abrite le coordinateur des attentats. La police est partout. Avec leurs autos immatriculées dans les Bouches-du-Rhône, les trois hommes sont contrôlés une première fois dans l’Essonne par des gendarmes, puis à nouveau en arrivant dans le 93. Ils approchent quand même du point de livraison, mais leurs fournisseurs ne sont pas aussi fous qu’eux et ne se montrent pas. Ils repartent en fn de journée pour Marseille. Bredouilles.
le business continue… de ces caïds de cité t connus pour fricoter avec le grand banditisme provençal, lui qui a fait quelques années de prison pour avoir organisé la belle par les airs, en hélicoptère, d’un célèbre braqueur. Kalachnikov à portée de main, ce garçon d’origine tunisienne s’est fait une place au soleil, même s’il a perdu au passage l’un de ses amis, Lakhdar Medjou, tué par balles en 2014 dans la cité qui les a vus grandir. Entre les cités du Clos-la-Rose, le PetitSéminaire et Vulpian, personne n’ignore le poids de Moez et de ses frères, en tout cas pas les policiers de l’antenne locale de l’Ofce central de lutte contre les stupéfants, qui identifient leurs revendeurs, leurs nourrices (ces novices qui gardent la marchandise chez eux) et s’intéressent à une société de bâtiment et travaux publics tenue par l’un des frères, spécialisée dans la réfection de foyers pour travail-
leurs sociaux. iaux Leur truc, croient savoir les enquêteurs, c’est la cocaïne, qu’ils vont nt chercher aux Pays-Bas, quelquefois en Espagne, dont la frontière est à moins de trois heures. Jusqu’au 17 novembre, où ils voient les suspects, que les attentats du 13 novembre ne semblent guère démoraliser, rouler vers Paris à bord de deux voitures, une ouvreuse, l’autre équipée d’une cache aménagée.
confiants et inconscients Des Marseillais qui s’approvisionnent dans la capitale ? Une jonction est opérée avec la brigade des stupéfiants du quai des Orfèvres, sous le contrôle du parquet de Bobigny. Les Sudistes semblent particulièrement attirés par la cité du Londeau, à Noisy-leSec, à en croire les premières surveillances, qui permettent d’im-
Pas pour longtemps : les Marseillais se remettent en route le samedi suivant. Ils passent la nuit au même endroit que la fois précédente, avant de rouler jusqu’à Goussainville (Val-d’Oise) le dimanche, où ils abandonnent une voiture après un tour dans une cité. La nuit est tombée lorsqu’ils se calent dans une petite rue à la lisière de Rosnysous-Bois et de Noisy-le-Sec. Un motard arrive. C’est le livreur. Top départ est donné pour le « fag » : rues bloquées, interpellations, fouille fructueuse, 2 kg de cocaïne pour commencer, car 6 autres kilos ont été entre-temps dissimulés au sein de la Saab laissée à Goussainville. Et première découverte : le motard, Hamza Khattala, né en 1982 et d’origine marocaine, est rémunéré comme éducateur par la mairie de Noisy-le-Sec, pour laquelle travaille également une jeune femme interpellée chez le présumé grossiste, en fuite. › 18 au 23 décembre 2015 / Marianne / 55
le monde est fou prendre en otage l’employé d’une banque, à Roubaix, au lendemain des attentats, une folie qui a coûté la vie à l’un d’eux. Mais, pour le clan Hamdaoui, il n’était pas question de prendre le risque de se retrouver à court de produits, les acheteurs ayant vite fait d’aller frapper à la porte voisine en cas de pénurie. Mauvais calcul : les policiers marseillais ont même arrêté Moez, l’aîné, dans cet appartement d’Aixen-Provence qui lui servait de base arrière – et pour aller festoyer dans les boîtes de nuit du coin.
une affaire bien ficelée…
› Propriétaire de la moto liv-
reuse, le fugitif a laissé derrière lui 10 autres kilos de cocaïne, 13 kg de shit, 2 compteuses à billets, 5 armes, des montres de luxe, une Porsche Cayenne, une dizaine d’emballages vides ayant contenu chacun 1 kg de cocaïne, 240 000 €, sans oublier un matériel de faussaire permettant de fabriquer de faux papiers. Encore un petit millionnaire que personne n’a vu grandir… L’état d’urgence effraye les nourrices et peut-être quelques acheteurs, mais pas les trafquants chevronnés. Attentats ou pas, les afaires continuent, avec une perte
qui se chifre pour les Marseillais en dizaines de milliers d’euros, sachant qu’ils payent le kilo de cocaïne autour de 32 000 €, avec lequel ils en font trois une fois coupé. De quoi, imaginaient-ils, finir en beauté l’année. L’état d’urgence pèse mécaniquement sur la courbe des cambriolages, simplement parce que les gens restent volontiers chez eux, il met au chômage technique les équipes de voleurs à la tire qui sévissent autour des lieux touristiques dans la capitale, faute de proies, il freine les braqueurs raisonnables, pas les fondus, comme ceux que l’on a vus
l’état d’urgence effraye les nourrices et peut-être quelques acheteurs, mais pas les trafiquants chevronnés. 56 / Marianne / 18 au 23 décembre 2015
D’autres croient flairer l’aubaine, comme ces deux jeunes voyous du 93 partis chercher quelque 230 kg de shit en Espagne sans attendre que soient levés les contrôles aux frontières liés à la COP21. Ils se sont fait prendre au volant de leur voiture, du côté d’Hendaye, mais nul doute qu’ils avaient négocié à la hausse le prix du passage, danger oblige… Une afaire bien fcelée au milieu d’un océan de perquisitions administratives, plus de 2 335 en trois semaines, qui sont souvent des coups d’épée dans l’eau, même si elles ont permis (à la date du 4 décembre) de ramasser 356 armes, dont 31 armes de guerre (tout de même), et quelques kilos de shit chez de présumés islamistes en voie de radicalisation, pour la plupart dotés d’un petit passé de délinquant de droit commun. Même si elles permettent, comme l’admet un magistrat, d’aller mettre son nez partout où l’on manquait d’éléments pour le faire dans les formes, une sorte de coup de pied dans la fourmilière préventif, l’efet de surprise du premier jour passé, la pression retombera. Quand ? Le pouvoir aura bien du mal à négocier une sortie de l’état d’urgence, mais les fonctionnaires ne tiendront pas longtemps à ce rythme, même si le ministre de l’Intérieur, Bernard Cazeneuve, est intervenu pour qu’ils puissent prendre une journée de congé à Noël ou pour le premier de l’an, au choix – et pas pour fumer un joint. n F.P.
deux neurones
Le vendeur de cerveaux n’avaiT pas de cerveLLe alerté la police, après avoir acquis pour 600 dollars six bocaux. A l’issue d’une rapide recherche sur Internet, il avait compris qu’il s’agissait d’objets volés. L’enquête a alors rapidement mené à ce voleur un brin étourdi grâce à un bout de papier trouvé dans le musée, taché de sang et portant ses empreintes… Il a été arrêté en décembre 2013, après
lâchez les fauves !
Les gros matous font d’excellents matons
L
a base aérienne militaire de Makhado, en Afrique du Sud, doit se protéger des phacochères et des antilopes dont la présence sur la piste pose de sérieux problèmes de sécurité. Pour garder les lieux, l’armée de l’air sudafricaine a donc embauché des guépards. Les militaires montrent rarement un tel sens de l’écologie car l’utilisation de ces félins contribue à la protection de l’espèce. Sauf que deux guépards se sont mis en tête de chasser un animal qui traversait leur territoire sur deux pattes. Une femme offcier qui voulait les photographier. Elle a été sérieusement blessée, mais ses jours ne sont pas en danger. Le commandement de la base n’a pas pour autant décidé de remplacer les guépards par des gardes en tenue léopard. n
Pages réalisées par Guy Konopnicki, avec Anne Dastakian.
qu’une perquisition chez lui a permis de récupérer 80 bocaux de cerveaux humains, un appareil à électrocardiogramme, et 10 microscopes, entre autres objets subtilisés dans le musée installé dans un ancien asile de fous. Qu’un tel vol soit à la portée d’un amateur révèle plus d’amateurisme encore dans la sécurité de l’établissement ! Cette
défaillance explique sans doute la clémence de la juge Amy Barbar. En plus de l’interdiction formelle de s’approcher du musée, David Charles a été condamné à un an d’assignation à résidence et à deux ans de contrôle judiciaire. Avec l’obligation de s’occuper de son propre cerveau, en passant au moins un diplôme d’études secondaires. n
comptable… de son train de vie
Tour d’écrou à L’opéra
o
fciellement, Corinne Auguin, chargée de la régie des avances de l’opéra de Bordeaux, jouait le rôle de la vertueuse comptable des deniers publics. Au point que les artistes l’avaient surnommée la « Robespierre des notes de frais ». Impitoyable, elle faisait tomber le couperet sur le moindre dépassement budgétaire. Cette austérité affichée masquait un détournement de fonds. Car pendant dix ans, de 2002 à 2012, Corinne Auguin a tranquillement libellé des chèques à l’ordre de son mari. Or l’opéra de Bordeaux est une régie municipale et la régisseuse des avances ne pouvait signer seule les chèques. Qu’à cela ne tienne, elle contrefaisait parfaitement la signature du trésorier-payeur de la ville. Pour un montant total estimé à 2,4 millions d’euros… Comment un tel pillage est-il passé inaperçu pendant dix ans, jusqu’au 16 avril 2007,
corinne auguin et son mari à leur arrivée au tribunal. date du placement en garde à vue de Corinne Auguin ? Les chèques falsifiés ont été honorés, les sorties de caisse en espèces n’ont éveillé aucun soupçon. Mais la comptable indélicate afchait un train de vie élevé. Cette fonctionnaire territoriale vivait avec son mari handicapé et leur fils, et le foyer fscal déclarait 4 000 € par mois. Pas de quoi se payer une villa cossue dans un quartier bourgeois de Bordeaux ! D’autant que la maison était garnie de mobilier de luxe et
était équipée d’une piscine et d’un Spa. Et comme cela ne suffisait pas à son bonheur, Corinne Auguin avait commandé une Porsche Cayenne. Un véhicule assez bien nommé, car il a souvent conduit ses propriétaires au bagne, ou du moins en prison. Le ministère public a requis quatre ans ferme pour cette femme, dont le conjoint a été mis en examen pour recel. Pendant ce temps, l’opéra de Bordeaux s’apprête à donner le Tour d’écrou, opéra en deux actes de Benjamin Britten. n 18 au 23 décembre 2015 / Marianne / 57
guillaume bonnaud / photopqr / sud ouest
D
avid Charles, 23 ans, a reconnu s’être introduit à plusieurs reprises dans le musée d’Histoire médicale d’Indianapolis, aux EtatsUnis, pour y voler plusieurs dizaines de cerveaux humains conservés dans des bocaux. Après quoi, il a mis une annonce sur eBay, dans le but de les revendre. C’est justement son premier client, résident de San Diego, qui a
le journal des lecteurs
Les banques programment le vol de leurs clients Une directive européenne prévoit qu’en cas de crise fnancière les établissements de dépôt pourront ponctionner les comptes. En cas de proft, en revanche, pas de redistribution !
E
n prévision de la prochaine crise fnancière, afn que les banques n’aient plus à se tourner vers l’Etat, c’està-dire les contribuables, pour combler leurs pertes, la Commission européenne a rédigé une directive sur le redressement des banques en cas de crise et la résolution de leurs défaillances. Elle doit entrer en vigueur le 1er janvier 2016. Sur les 28 pays de l’UE, six n’ont pas encore obtempéré (dont la Pologne et la Suède) et sont menacés d’une action devant la Cour européenne de justice. Le gouvernement français a, quant à lui, promulgué une ordonnance le 20 août 2015, en pleines vacances, pour adopter cette directive. Que dit en gros cette directive ? Qu’à l’avenir, en cas de crise, les banques pourront ponctionner, outre leurs actionnaires, ce qui est normal en droit privé, les comptes de leurs déposants, ce qui est un véritable vol. Rappelons l’article 17 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789 qui a valeur constitutionnelle : « La propriété étant un droit inviolable et sacré, nul ne peut en être privé si ce n’est lorsque la nécessité publique, légalement constatée, l’exige évidemment, et sous la condition d’une juste et préalable indemnité. » Les contribuables sont ainsi censés être protégés contre le risque de faillite des banques. Mais les banques sont
privées et si les contribuables devaient participer à leurs pertes comme leurs actionnaires, ils devraient aussi participer à leurs bénéfices, ce qui n’est pas le cas en ce moment. En réalité, les déposants, épargnants qui ne touchent aucun intérêt sur leurs dépôts, n’ont jamais demandé que les banques utilisent ces derniers pour des spéculations sur les marchés fnanciers, sur des produits virtuels, souvent toxiques et de plus en plus éloignés de l’économie réelle. Le gouvernement, qui refuse de légiférer pour séparer l’activité de dépôt
de ces activités spéculatives, se rend complice du vol légalisé que représente cette directive, d’autant plus que, en interdisant les transactions en espèces d’un montant supérieur à 300 € afin d’établir une société sans cash, il piège les épargnants pour les contraindre au dépôt bancaire. Cette directive anticonstitutionnelle est un déni de démocratie. Elle aurait mérité un débat parlementaire. Elle est la preuve de l’infuence déterminante et de plus en plus importante des lobbies dans la vie publique. n Gérard Mathieu
La liberté passe par la laïcité
T
outes les incartades au principe de laïcité ouvrent des controverses et déclenchent des mises
58 / Marianne / 18 au 23 décembre 2015
en concurrence des religions, comme en ce moment entre cultures chrétienne et islamique. Seule une laïcité stricte et totale est nécessaire
pour éviter les communautarismes et favoriser la paix entre les citoyens. Pour ce faire, l’école de la République devrait être une et profondé-
ment laïque. C’est là que peut commencer, dans la liberté acceptée, un dialogue moderne entre les religions. Les écoles confessionnelles, quelles
qu’elles soient, favorisent le communautarisme et diminuent la possibilité de vivre ensemble au sein de la nation. n Michel cornillier
Une page de la vie politique se tourne
T
oute crise majeure s’explique par des causes lointaines et des causes immédiates. Les attentats du 13 novembre sont incontestablement une des causes immédiates qui expliquent le score du Front national. Pour la première fois, la préoccupation majeure des Français n’est plus l’emploi, mais la sécurité. Les causes lointaines sont multiples : le discrédit général de la parole politique, la grande déception de l’électorat populaire, ont pesé favorablement pour le vote FN. Il est clair que ce vote n’est plus seulement un vote de protestation, mais de plus en plus un vote d’adhésion. Il faut s’interroger sur les raisons qui poussent un électeur à voter FN et ne plus combattre le vote FN avec des slogans mais avec des projets, des idées sur le terrain des valeurs. Enfn, il apparaît que le bipartisme est mort en France. C’est une première sous la Ve République. La politique en France ne sera plus comme avant. n Jacques Vuillemin, Besançon
Le dévoiement du mot “radical”
A
u gré de l’actualité certains mots connaissent un regain d’intérêt et sont employés à tort et à travers, parfois à contresens. Ainsi, pour qualifer les terroristes islamistes, certains – experts, politiciens, journalistes… – ont pris la fâcheuse habitude de les qualifer
d’islamistes « radicaux » tout en expliquant, en même temps, qu’il s’agit de musulmans dévoyés qui n’ont rien à voir avec l’islam. Or, le mot « radical » renvoie à la racine, à la nature profonde, à l’essence d’un être, d’une chose, d’une pensée, d’une religion… Déjà le
Sa seule chance
L
es résultats des élections régionales en France ne doivent pas décevoir Hollande, qui, tout comme Sarkozy, sait qu’un FN fort est sa seule chance d’être réélu à la présidence en 2017. n sylVio
sufxe « isme » attaché à « islam » dénote d’un endoctrinement sectaire dans cette religion. Lui accoler en plus le qualifcatif de « radical », c’est donner sémantiquement une crédibilité de religiosité originelle à cette mouvance terroriste. Ce n’est, a priori, pas le but recherché ! n J.V., alès
le Blanc, montréal
Pardon, mon général !
constitution
L
Cette Nouvelle RéPublique qu’il faut CRéeR
M
itterrand a perverti les institutions de la Ve République : la loi électorale modifée pour les législatives de 1986 faisait entrer le FN à l’Assemblée nationale, tout en brisant l’élan du RPR. Ensuite, il y a eu trois cohabitations – neuf années entre 1986 et 2002 – engendrant une grande confusion dans les esprits des Français et débouchant – cerise sur le gâteau – sur la présence de Jean-Marie Le Pen au second tour de la présidentielle. La classe politique a eu enfn le « génie » de créer, par référendum le 24 septembre 2000, le quinquennat, qui revient à faire coexister, dans le même cadre espace-temps, deux légitimités issues du même corps électoral : l’une pour l’exécutif et la seconde pour le pouvoir législatif. Il aurait été plus judicieux de faire des législatives de mi-mandat et de supprimer le droit de dissolution. Maintenant, la Ve République est à terre, à bout de souffe, car elle n’est pas conçue pour le tripartisme qui est devenu une réalité. Il faut construire une nouvelle République
keystone / gamma-rapho
valeurs
où les attentes et les aspirations du peuple de France pourront s’appuyer sur des institutions effcaces : régime présidentiel, scrutin uninominal à un tour, création d’un pouvoir judiciaire et abrogation des ordonnances de 1945 qui bloquent l’activité et le progrès. L’Etat pourra revenir à sa vocation stratégique en donnant les grandes orientations et en conservant à sa charge les seules fonctions régaliennes : justice, diplomatie et sécurité. Seul un renouveau profond permettra d’ouvrir la porte à un effort intense, dans la durée. La devise de la VIe République pourrait être : « Liberté, dignité, responsabilité » ! n Francis Demay, la rochelle
e Général doit se retourner dans sa tombe, quand on entend certaines personnes se réclamant du gaullisme, comme d’un label, alors que nombre d’entre elles véhiculent des idées proches de l’extrême droite. Dans le contexte de la dernière guerre mondiale, ils seraient plus proches de la Milice que de la Résistance ! n
r. ternacle
Cadeau de Noël
A
u cours de mes travaux de recherche, j’ai parcouru l’Albanie au temps du régime communiste de Ramiz Alia et j’ai visité l’Eurasie des Açores au lac Baïkal et de la Grèce à l’Islande. Je partage votre analyse de la situation politique actuelle sur le Proche-Orient ; aussi, j’ai demandé à mes enfants de m’offrir pour Noël un abonnement à Marianne ! n michel BouVier, Dole
18 au 23 décembre 2015 / Marianne / 59
le journal des lecteurs
A
la suite des attentats, les autorités ont demandé de ne pas faire d’amalgame. Charité bien ordonnée commence par soi-même. Ju s q u’à p r e u v e d u contraire, les autorités ont traité sur le même pied les musulmans ne causant aucun problème et les islamistes. Combien d’imams prônant la haine, combien de délinquants radicalisés (ou pas) ont été inquiétés ? Si l’Etat n’est pas en mesure d’assurer la sécurité et la tranquillité des citoyens et qu’il demeure laxiste face aux ennemis de la société, voire les favorise au détriment des citoyens et des fnances publiques, comment peut-il décemment ensuite demander d’éviter les amalgames ? Que l’Etat donne l’exemple et prenne des mesures et des actions concrètes au lieu de se soustraire à ses responsabilités sous le couvert de principes pseudo-socialo-égalitaristes. C’est la meilleure chose à faire pour rassurer les musulmans qui partagent nos valeurs et empêcher les amalgames. n daniel toury, Paris
60 / Marianne / 18 au 23 décembre 2015
L’union nationale est un doux fantasme
D
ans votre no 972, vous invitez décideurs de tous bords et électeurs à constituer et soutenir un gouvernement d’union nationale, après un événement tragique susceptible de menacer notre sécurité, mais aussi chaque fois qu’il y va de l’intérêt supérieur du pays… Ce serait, à n’en pas douter, une vision nouvelle de la politique menée, une véritable « révolution » dans notre beau pays, où l’individualisme et la défense des intérêts privés dominent ! A ce
propos, répétons-le haut et fort, le débat politique se résume chez nous à des empoignades à répétition, dont la stérilité n’est plus à démontrer. Dans ces conditions, comment s’y prendre, à c h a q u e n o uv e l l e élection, pour mobiliser les citoyens et les convaincre d’aller voter ? En Allemagne, la coalition au pouvoir obtient des résultats encourageants malgré d’évidentes difficultés. Le personnel politique, pour qui les notions de cumul ou de carrière
la note du Grand paris
J
n’ont pas beaucoup de sens, parvient à entraîner dans son sillage des personnes qui en ont souvent une bonne image et font preuve d’un civisme à toute épreuve… Un fédéralisme tenant compte de nos spécificités, mais accepté par le plus grand nombre, pourrait-il être considéré comme une solution à la plupart de nos maux, sachant que, pour le moment, le nouveau découpage de nos régions n’en prend pas vraiment le chemin ? n
e pensais, avec mon esprit cartésien, que le Grand Paris était une sorte de grande communauté d’agglomération qui permettrait de rationaliser la gestion, de supprimer ou de concentrer des communes pour réduire le budget de fonctionnement. Que nenni ! Alors que ce projet du Grand Paris n’est qu’en phase de gestation, ma taxe d’habitation a déjà été augmentée de 2 € pour le fnancer… C’est mauvais signe ! Je commence à m’inquiéter des futures taxes d’habitation lorsque ce Grand Paris sera opérationnel ! n
Claude GisselbreCht
courage !
consolez-vous, monsieur tapie
M
ais non, monsieur Tapie, ne pleurez pas ! Vous ne pouvez pas être mis à la rue après la décision de justice du 3 décembre. Vous pourrez jouir de votre coquet logis, au moins jusqu’au 31 mars 2016 ! Eh oui, les lois de la République sont aussi faites pour vous ! Vous ne serez pas à la rue ! D’ici là, et sachant que vous savez vous sortir de toutes les situations grâce à votre incroyable bagou,
je ne me fais pas de souci pour vous et votre famille. Je ne peux que vous suggérer de créer une fondation à votre nom et d’appeler vos soutiens à y adresser leurs dons. Le Crédit lyonnais sera prêt à vous ouvrir un compte à cet effet ! Après tout, après avoir « sauvé » Manufrance, La Vie claire, les piles Wonder, Terraillon etc., vous êtes capable de vous sauver vousmême ! n Jean niezGoda, toMblaine
Jean Millot, Maisons-alfort
des conclusions bien hâtives
C
romain beurrier / réa
C’est à l’Etat d’être ferme pour donner l’exemple
omment comprendre les pourcentages de vote alors que le scrutin est confdentiel ? Serait-ce à la sortie des urnes que les électeurs crient haut et fort à qui ils ont donné leur voix ? Déclinent-ils leur milieu social, leur emploi, leur âge ? A partir de déclarations à la sortie des bureaux de vote, on tire des conclusions… Ce jeu d’informations est dangereux ! n
Gisèle fourGeaud
La haine revêtue d’un habillage sacré C’est le mal-être de jeunes gens psychologiquement fragiles qui est opportunément récupéré par les idéologues de Daech.
L
es périodes de tension favorisent le développement d’analyses simplifcatrices qui ne remédient à rien. Par exemple, la déclinaison « banlieues, déviances, religion, immigration » ne rend que partiellement compte de la tentation du djihad selon Daech. En efet, cette organisation en forme de nébuleuse a pu trouver des relais dans diférents pays, au-delà des milieux considérés comme très défavorisés. La transgression, le goût du risque, le narcissisme, l’exhibitionnisme, sont, certes, des composantes assez ordinaires de la jeunesse. Le sentiment que les générations précédentes bloquent l’insertion sociale des jeunes n’est pas davantage une nouveauté. Mais, aujourd’hui, notre structure sociale même est rejetée par des jeunes gens dont la fragilité psychologique est sans doute la caractéristique commune majeure. Ce mal-être est récupéré par une idéologie qui, servie par une communication professionnelle, accueille toutes les frustrations et quelques idéaux pour les convertir en une haine revêtue d’un habillage sacré. Ainsi, selon un processus de déshumanisation qui ramène l’adversaire à l’état d’objet, dans la
perspective de parvenir enfn à la visibilité ou dans celle d’un au-delà enchanteur, des personnes qui se perçoivent comme des victimes s’arrogent le droit d’assassiner, comme si cela pouvait conférer un sens à leur vie. On ne sortira de la spirale de la violence que par la construction d’un vivreensemble mondial bien différent de celui qui s’accommode des scandaleuses inégalités entre les hommes. n René RobeRt, Aiguilhe
Tout est à refonder, même la démocratie !
E
n s’abstenant ou en votant FN, les électeurs disent qu’ils n’en peuvent plus. Ils constatent d’abord l’incapacité des gouvernants nationaux et régionaux à combattre le chômage… Ils expriment aussi de sérieux doutes sur la capacité de notre pays à accueillir dans des conditions permet-
tant leur intégration les migrants attirés p a r l e m i ro i r a u x alouettes européen. Ils craignent aussi la mise en cause de leur art de vivre. Quant à la vieille d ém o crati e, c omment ne pas constater qu’elle est accaparée par une classe politique qui n’a qu’un seul objectif : conser-
ver le pouvoir parce que c’est une manière de réaliser sa propre promotion sociale ! L’heure arrive peutêtre de tout refonder : réinventer le pleinemploi, préserver la culture européenne en restaurant une laïcité de combat (aucun signe ostentatoire dans l’espace public), restaurer la ressource
civique en limitant le nombre de mandats à deux successifs, interdiction drastique des cumuls. L’automne de la démocratie précède les froides ténèbres de l’hiver qui commenceront dans quelques jours… Il est temps de réinventer la vive clarté de notre printemps démocratique ! n beRnARd FAuRe
Réagissez à l’ensemble de ces prises de position en écrivant à : Marianne, « Journal des lecteurs », 28, rue Broca, 75005 Paris, ou sur lecteurs@journal-marianne.com
De l’entrisme au “sortisme”
I
l fut un temps où les militants de certains partis politiques très minoritaires (trotskistes, maoïstes) prônaient la pratique de l’entrisme pour en parasiter d’autres (Parti socialiste), en infuencer les idées, les programmes, etc. Après les résultats du premier tour des élections régionales, nous avons assisté à une pratique inverse de la part du PS qui renonce à faire partie d’exécutifs régionaux en se retirant de la compétition. Est-il conscient que, pour faire barrage au Front national, sempiternelle antienne, il va laisser la gestion de certaines régions entièrement aux mains des « nationaux » et autres prétendus républicains, sachant combien les frontières idéologiques sont souvent poreuses entre ces formations ? Le PS, à rebours de l’entrisme, a inventé le « sortisme ». n
FRAnçois gRoslAmbeRt
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Pour vos envois de manuscrits : Editions Amalthée 2 rue Crucy 44005 Nantes cedex 1 Tél. 02 40 75 60 78 www.editions-amalthee.com
18 au 23 décembre 2015 / Marianne / 61
société
enquête
“Bon courag et autres tics de langage da Alors là, “on part sur” un article qui décortique les formules et les expressions en vogue, ”en mode” enquêteurs de la grammaire et scrutateurs du goût du jour. Cela vous intéresse ? ”Pas de souci !” Bonne lecture, ”belle journée”, et surtout… ”bon courage !” Par Daniel BernarD, éloDie emery et anne rosencher
62 / Marianne / 18 au 23 décembre 2015
ens l’air!”du temps
I
l se dit sur un ton complice et compatissant, comme pour communier dans l’adversité de nos vies : allez, « bon courage ! » Aux derniers pointages – ceux du doigt mouillé –, il était en passe de supplanter le « bonne journée » à la machine à café, talonnait de près le classique – et très giscardien – « au revoir », et avait irrémédiablement remplacé toute autre fn de conversation dans des professions aussi diverses que boulanger, gardien d’immeuble, taxi ou ostéopathe. Cri de ralliement d’une société qui s’assume en dépression collective, le « bon courage » est devenu la ponctuation automatique de nos badinages urbains, que seule vient contester une poignée d’idéalistes de la locution. A la dernière rentrée scolaire, alors que l’auteur de ces lignes concluait, sans même y réféchir, d’un « bon courage ! » sa première prise de contact avec la maîtresse moyenne section de maternelle, ladite institutrice lui décocha en retour un légitime : « Oh, non, vous savez, je n’en ai pas besoin, j’aime ce que je fais et tout va bien se passer. » Ah, oui : c’est vrai. C’est même mieux ainsi. A grande échelle, le « bon courage » joue contre son camp. Prophétie autoréalisatrice de la dureté de la vie, il agit en méthode « anti-Coué », et teinte de pessimisme nos échanges les plus anodins. C’est pourquoi il faut s’en débarrasser, et réhabiliter le « bonne journée » qu’une autre fourberie de langage menace d’extinction (lire le chapitre « Belle journée »).
A
“en mode”
une époque, on mettait un téléphone en mode vibreur quand on ne voulait pas être dérangé. Ou un téléviseur en mode veille (en dépit des conséquences écologiques). Joie du progrès technologique, merveille de la modernité : les hommes aussi peuvent désormais se dire « en mode furieux » ou « en mode tranquille ». Quand on n’a même plus le cœur à décrire ce que l’on ressent, quand on ne veut plus se fatiguer à choisir les adjectifs qui conviennent, « en mode » permet d’en faire l’économie. « En mode » femmard. Mais on peut aussi accoler l’expression « en mode » avec un nom commun, de manière tout aussi effcace. « En mode » piscine, pour dire qu’on s’apprête à aller nager dans un milieu aquatique standardisé, par exemple. Ou encore « en mode apéro », pour signifer que tous les éléments nécessaires – Martini, olives vertes, camarades enthousiastes – sont réunis. « En mode » autorise tous les raccourcis ; charge à notre interlocuteur de combler les trous.
18 au 23 décembre 2015 / Marianne / 63
société
enquête
“Je ReVIenS VeRS VOuS”
C’est la double peine de la vie de bureau, c’est le chemin de croix de l’administré, c’est l’assurance de perdre son temps deux fois plutôt qu’une. La voix, au téléphone : « Vous me faites un petit mail et je reviens vers vous. » La traduction, instantanée : « J’en parlerai à mon cheval. » Par cette formule doucereuse, l’incompétence et la femme se parent de compassion. Pis, la promesse volontairement vague invite le quémandeur à sacrifer encore un peu d’attention sans espoir raisonnable d’obtenir la réponse espérée. Qu’est-ce qu’un « petit » mail ? Quelle que soit sa taille, il faudra l’écrire, le relire, le compléter, le corriger, sans garantie qu’il soit jamais lu, et moins encore traité demain avec plus de bienveillance et d’effcacité qu’aujourd’hui. « Je reviens vers vous », c’est juste la forme dégradée de « Je vous fais une réponse très vite », qui fait déjà craindre le néant. C’est tout sauf un engagement, c’est un dégagement vers un futur incertain auquel l’émetteur du message ne croit pas plus que le récepteur. Une manière d’ensabler une demande avec l’espoir que l’urgence du jour sera remplacée par une autre urgence qui justifera un zèle identique.
F
P
aites le test. Prêtez une oreille discrète mais attentive à une conversation entre jeunes, et comptez le nombre de « j’avoue ». On se croirait dans un interrogatoire de la Gestapo. Tout le monde avoue, sans qu’on sache très bien quoi, puisque le verbe est traité en mode intransitif. J’avoue, un point, c’est tout. « J’avoue » a remplacé « oui », « je suis d’accord », et même « c’est clair ». Avec « j’avoue », le jeune donne l’impression qu’il a âprement résisté avant d’admettre qu’il opinait. De guerre lasse, et devant la puissance des arguments avancés, il rend les armes. Pourtant, une démonstration relativement faible peut parfois mener à des aveux tout aussi poignants. Exemple : « J’ai faim. – J’avoue. » Qui, ici, signife : « Moi aussi. » Heureusement que Jean Moulin était plus coriace, dites donc.
“J’AVOue”
64 / Marianne / 18 au 23 décembre 2015
“C’eSt PAS FAuX”
our des générations de Fran çai s, l a litote est irrémédiablement associée aux yeux – rougis – de Chimène, qui, renonçant à venger son père en tuant don Rodrigue (amour de sa vie et assassin dudit paternel), lui lance, torturée : « Va, je ne te hais point. » Un professeur de français – pour votre serviteur, c’était Mme Silveira Da Cunha, au collège Saint-Exupéry du boulevard Arago – vous l’aura sans doute expliqué un jour : sous la litote, le feu. Dans le « Je ne te hais point » de Chimène à Rodrigue, il y a « Je brûle pour toi mais ne pourrai jamais le dire ni le vivre » ; et le « Je me consume d’amour et je ne consommerai pas ». La négation de la négation, comme biais pudique et incandescent, on n’a rien fait de mieux depuis Corneille. C’est bien ce que doivent penser les adeptes du « c’est pas faux » et autres litotes dans le vent, qui pullulent sous nos prudentes latitudes. Vous aviez remarqué ? « Il n’a pas tort » a remplacé « Il a raison » ; « pas bête » est le nouvel « intelligent ». Et on ne dit plus qu’on a « aimé un flm », mais qu’on « ne l’a pas détesté ». Va, James Bond, je ne te hais point. A la diférence de Chimène, nous ne tentons pas, nous, d’envelopper d’un voile de pudeur douloureux un amour indicible, non : c’est juste que nous n’assumons pas nos avis, et cachons nos jugements derrière le petit doigt de la litote. Le débat se transformant de plus en plus en guerre civile, nous avançons désormais dans le coton amortisseur de la double négation, histoire de ne pas provoquer le clash, ni de chatouiller les traqueurs de dérapages. Voilà qui n’est pas très encourageant (litote doublée d’un euphémisme).
et autres litotes dans le vent
Q
uel parcours ! Quelle ambition ! De simples signes de ponctuation, les guillemets ont su s’élever au rang d’expression de la langue courante. « Entre guillemets » permet de marquer une distance avec le propos énoncé, même à l’oral, et c’est bien là l’exploit. On peut parler de « la “carrière”, entre guillemets, de Nabila » pour souligner que le terme employé est peut-être abusif en ce qui la concerne. Entouré d’un cordon de sécurité, le terme prend une teinte ironique. Pour être sûr de ne pas être pris au premier degré, on peut même accompagner la locution d’un sympathique mouvem ent d es doigts visant à imiter les petites virgules. On place les mains de part et d’autre de la tête, comme pour encadrer le terme qui va bientôt sortir de la bouche. Il s’agit ensuite de plier simultanément l’index et le majeur de chaque main au moment où l’on souhaite placer les guillemets, puis de clignoter des phalanges. L’opération, complexe, suscite parfois des ratés : certains dérapent en disant « entre parenthèses » alors même que leurs doigts sont en train de mimer des guillemets. Comme ce coiffeur, l’autre jour, affirmant en toute bonne foi : « Je vous ai fait une coupe “ à la garçonne”, entre parenthèses. » A noter que personne n’a encore essayé de mimer les parenthèses avec les doigts. De manière générale, les autres signes de ponctuation n’ont pas su dépasser leur condition initiale. On ne dit jamais : « Je te raconterai ça demain, points de suspension », pour attiser la curiosité de son interlocuteur. De même, on trouverait absurde de s’écrier : « Quelle joie de te revoir !, point d’exclamation. » Seuls les guillemets jouissent d’un triple statut, oral, écrit… Et mimé. Malheureusement, certains profitent et abusent des guillemets. Il s’agit alors de légitimer des propos limites. « C’est un vrai Français, entre mille guillemets. » Point Bescherelle : un signe de ponctuation n’est pas censé être multiplié par mille. Ceux qui entourent leurs affirmations de « mille guillemets » nous disent en réalité : « Je sais que ce que je vais dire est irrecevable, j’ai parfaitement conscience que c’est une énorme connerie, mais je la dis quand même. Et comme j’ai utilisé les guillemets magiques, tu n’auras pas le droit de t’en offusquer. Je suis à l’abri du soupçon, perché sur mes virgules. »
“ENTRE MILLE GUILLEMETS”
O
“ON EST SUR
n connaissait déjà l’erreur, très répandue, qui consiste à se situer géographiquement en utilisant la préposition « sur » : « Je suis sur Bordeaux ce weekend. ». En réalité, vous serez plutôt « à » Bordeaux. Les chances pour que vous soyez effectivement « sur » la ville sont minces, compte tenu de la corpulence moyenne d’un être humain (sans commune mesure avec l’envergure d’une agglomération). Vous pouvez éventuellement marcher « sur Rome », comme les fascistes au temps jadis. Mais cela signiferait que vous êtes en train d’avancer « en direction de » Rome, et non que vous êtes « dessus ». Une curieuse velléité de conquête nous incite à vouloir montrer à quel point nous dominons la situation. De toute notre hauteur, et même si ce n’est pas franchement crédible. C’est vrai pour les lieux où nous allons, ça l’est aussi pour ce que nous avalons. Les néobistrotiers s’échinent à annoncer qu’« aujourd’hui on sera sur un suprême de volaille », quand il est évident qu’on ne tiendra jamais à plusieurs sur le pauvre animal. « Tu pars sur quoi, toi ? J’étais plutôt sur les linguine. » Les cavistes expliquent qu’on est « sur un boisé fruité », « sur de la fraîcheur » ou « sur quelque chose d’un peu plus robuste ». Alors qu’à l’évidence nous ne sommes nulle part. Et plus sûrs de rien.
Paris/un suprême de volaille…”
18 au 23 décembre 2015 / Marianne / 65
société
enquête
“CARRÉMent”
L
’emploi de ce mot remonte à la plus haute Antiquité puisque Alain Souchon, en 1977, chantait déjà « carrément méchant/ jamais content ». Mais, à cette époque, l’adverbe s’entend au sens plein. Comme un superlatif encore plus super que super. Le nouvel usage de « carrément » est « carrément » moins méchant. Tout comme « trop » (trop bien, trop nul, trop tout), il n’ajoute rien à un vague acquiescement, sinon une manière d’être enjouée sans trop d’effusions. On y va en bus ? Ouais, carrément. A dire vrai, le rêve absolu serait sans doute de ne pas prendre le bus pour ne pas partir du tout. Le kif, comme on ne dit plus, serait de rester en place, au klm. Comme disait le grand philosophe Brice (de Nice) : « Hé, ce soir, je fais une fête, ça te dirait de pas venir ? » Ouais, carrément.
C
onséquence d’une année 2015 généreuse en abominations, nous souhaiterions qu’on nous foute la paix, si c’était possible. Résolution pour l’avenir : éviter la baston. Est-ce pour cette raison que nous répétons « pas de souci » à longueur de journée, tels des perroquets lobotomisés ? A « merci », il convient désormais de répondre non pas « je vous en prie », encore moins « de rien », mais bien « pas de souci ». De même si vous êtes d’accord pour décaler une réunion (« pas de souci »), si vous n’éprouvez pas de rancune pour celui qui vient de vous briser le métatarse (« pas de souci »), ou si quelqu’un vous demande si vous êtes libre pour dîner (« pas de souci »). « Pas de souci » a terrassé « pas de problème », « d’accord », et même « oui ». Près de vingt ans après la sortie de l’album No Soucy d’Ophélie Winter (visionnaire), les trois mots règnent en maître dans nos conversations. Tel un animal qui présente sa gorge à son adversaire pour signifer qu’il abandonne le combat, nous brandissons « pas de souci » comme un drapeau blanc, pour neutraliser toute agressivité potentielle. Pour l’instant, la formule incantatoire n’est pas follement efcace, mais elle ne mange pas de pain. Tout juste soulève-t-elle quelques interrogations orthographiques lorsqu’il s’agit de déterminer s’il faut mettre un s fnal au « souci » de « pas de souci » – la réponse est non.
“PAS De SOuCI”
66 / Marianne / 18 au 23 décembre 2015
Q
uel est le contraire de vite fait, bien fait ? On se voit, « vite fait » ? Je dois fnir un petit truc, là, « vite fait », et j’arrive. « Papa, tu veux pas me faire le pitch sur les nazis, “vite fait”, parce que j’ai une interro demain ? » Pour la jeunesse à la coule, mais pas que, hélas, le goût pour les « fast-food » a déteint en « fast-thought ». Manger rapide, penser rapide, il faut faire bref. L’excellence n’est pas un objectif ; le Graal se mesure en secondes grappillées pour passer à une autre activité. On aimerait bien se poser, mais on préfère encore mieux passer d’un mec (ou d’une gonzesse) à l’autre, d’une assiette de tapas à l’autre, d’un écran à l’autre. Pour un résultat tellement médiocre que « vite fait » a fni par devenir un synonyme de « bof ». « Il t’a plu, le dernier James Bond ? – Ouais, vite fait. »
“VITE FAIT”
“Je le connais, MON Paul ”
« Possessiviser » : la pratique est désormais si courante qu’elle mériterait qu’on lui concocte un verbe. Vous l’aviez noté ? Non seulement certains se donnent du « mon Paul » ou du « mon Elodie » – même quand ils n’ont élevé ni cochons ni bambins ensemble –, mais ils usent et abusent désormais du pronom possessif dans les conversations, pour marquer leur proximité avec une tierce personne. Exemple : « Et voilà que je vois mon Etienne courir derrière le type, qui n’en demandait pas tant… » Bien sûr, plus la personne dont vous parlez est importante, plus le procédé vous couronne de lauriers pronominaux : « possessiviser » son patron dans un déjeuner avec des collègues vous fera passer pour un fayot, certes, mais infuent. Mieux encore (et véridique) : le faire avec le président de la République. Ainsi l’auteur de ces lignes a-t-elle passé un déjeuner avec un député évoquant « [son] François », les yeux empreints d’une tendresse fraternelle… A ne pas reproduire chez vous, sous peine de grand ridicule.
“BELLE JOURNÉE”
U
n funeste lobby s’est manifestement donné pour mission d’éradiquer « bonne journée » de nos échanges quotidiens. Non seulement nous devons subir les assauts répétés du « bon courage » (lire p. 63), mais voilà qu’une nouvelle formule de politesse, parfaitement gnangnan, se glisse à la fn des e-mails et des SMS : « belle journée ». Quelle pression ! Si elle pouvait être bonne, ce ne serait déjà pas si mal… S’agit-il de mettre des feurs dans les cheveux, d’embrasser les passants dans la rue, de s’émouvoir d’un brin d’herbe poussant entre les pavés ? « Douce nuit » au lieu de « bonne nuit », « baisers » plutôt que « bisous » : ces tournures précieuses (et un chouïa ridicules) sont sans doute destinées à transfgurer la banalité, à ajouter une dose de délicatesse dans nos mornes et pénibles existences. On n’en demandait pas tant. N’y a-t-il donc aucun intermédiaire entre une journée à la mine (« bon courage ») et la poésie à la portée des caniches (« belle journée ») ? Si, pourtant, et au risque de se répéter : « bonne journée ». 18 au 23 décembre 2015 / Marianne / 67
à dire vrai
Par Laurent Nunez
entretien
idées
pratique
“soyons réalistes, exigeons l’impossible”
S
deS ScèneS de “la vie d’adèle” jugéeS “trop réaliSteS” ? on interdit donc le réel…
68 / Marianne / 18 au 23 décembre 2015
PAR GÉRARD CHALIAND
hannah assouline
i vous n’avez pas encore vu la Vie d’Adèle, ce flm d’amour encensé par tant de critiques, et pour lequel le réalisateur Abdellatif Kechiche a reçu la Palme d’or à Cannes en 2013, il vous est interdit de le regarder désormais. Ce long-métrage où brille Léa Seydoux vient en efet de perdre son visa d’exploitation, remis en question devant la justice administrative par l’association Promouvoir, proche des milieux catholiques traditionalistes. Plus de festival, de salle de cinéma, de DVD, de VOD : voilà une décision brutale, et très tardive. Cela faisait deux ans que le flm était difusé avec une interdiction limitée aux mineurs de 12 ans : pas assez pour Promouvoir, qui veut l’interdire aux moins de 18 ans. Et la justice vient de hocher la tête, demandant à la ministre Fleur Pellerin de « procéder au réexamen de la demande de visa du flm dans un délai de deux mois ». Il est normal que la société s’inquiète de ce que ses enfants regardent. Il est juste qu’elle régule et oriente les choix, et qu’elle déconseille les œuvres qui pourraient heurter les plus jeunes sensibilités. Quand un jeu vidéo est trop violent, il est interdit aux mineurs. C’est très bien. Quand un album de rap contient des paroles trop vulgaires, un autocollant « Explicit Content » apparaît dessus. Bravo. Quand un livre… Ah non, rien n’interdit plus d’acheter Sade, Genet, Alleg, Nabokov ou Fanon. Applaudissons, et passons. Le problème posé par l’annulation du visa de la Vie d’Adèle apparaît lorsqu’on lit les conclusions de la justice, comme les attaques du fondateur de Promouvoir, André Bonnet, ex-militant Front national. Le flm a-t-il été jugé violent ? Bien sûr que non. Vulgaire ? Que nenni. Pornographique ? Absolument pas. (Le mot n’apparaît même pas dans la décision de justice.) Non : plus personne n’a le droit de difuser la Vie d’Adèle car les scènes d’amour y sont jugées « trop réalistes ». Voilà : vous pouvez rire. On vient d’interdire le réel. Puisqu’il en est ainsi, et que des gens se mettent d’accord dans des tribunaux pour décider que la réalité, ce n’est pas bien, je suggère de réguler immédiatement l’art photographique, et d’obliger par exemple les possesseurs de téléphone à se fouter quand ils prennent des selfes. Sinon ces photos seraient « trop réalistes ». Je propose aussi de décrocher des expositions toute la peinture fgurative, et de n’y laisser que des chefs-d’œuvre abstraits. Sinon nos musées seraient « trop réalistes ». Je proposerais même d’interdire tout le répertoire d’Edith Piaf, notre dernière chanteuse réaliste, et de faire un vaste autodafé des livres de Flaubert, d’Ibsen et de Balzac, puisque ces fourbes frent la gloire du Réalisme… Mais enfn, comment peut-on être dénoncé comme « trop réaliste » ? Je voudrais surtout qu’on soit un peu moins hypocrites. n
“L’Eta Oublier les “monstres” et tenter, en revanche, d’identifer la nature, l’idéologie et la stratégie des “combattants”, fussent-ils des terroristes. C’est à ce programme, nécessaire mais encore trop ignoré, que convie aujourd’hui une somme sur le terrorisme proposée par le géostratège Gérard Chaliand, fort d’une expérience unique, à la fois pratique et intellectuelle, des luttes de libération nationale et des guérillas. Loin d’être une exception, le combat que mène l’Etat islamique, ici et là-bas, s’inscrit dans une longue histoire de la violence politique dont les multiples formes se sont déclinées sur à peu près tous les continents. S’ils refusent d’en condamner par principe l’usage, lequel fonde régulièrement sa légitimité sur le droit de résistance, Chaliand et son coauteur, le politologue Arnaud Blin, mettent en évidence la spécifcité glaçante de la nouvelle terreur djihadiste : elle ne recherche aucun compromis et entend l’emporter grâce à sa seule dynamique.
at islamique
la guerre d’usure” Des solDats kurDes tentent de reprendre un village contrôlé par Daech, fn septembre, près de Kirkouk, en Irak.
ter contre la marginalisation des sunnites s’est radicalisé en optant pour le djihad. Il a perduré et, dès l’année suivante, a profté du chaos syrien pour se développer en bénéfciant de la frontière ouverte de la Turquie. Par la suite, l’EI s’est séparé de Djabhat al-Nosra, afflié à Al-Qaida, et s’est voulu comme le mouvement majeur parmi les islamistes. Il est parvenu à s’imposer après la chute de Mossoul devant une armée chiite incapable de combattre. L’EI vise la déstabilisation généralisée, comme Al-Qaida, mais à partir d’une stratégie qui est celle de
la territorialisation – sous le paravent de la constitution d’un califat. Face à l’EI, une armée s’est effondrée, par inaptitude au combat. Comment jugez-vous l’évolution récente du rapport de forces ? G.C. : L’intervention de la Russie est bienvenue. Elle a le mérite de frapper, outre l’EI, les autres formations islamistes telles que Djabhat al-Nosra et Ahrar al-Cham. La première reste liée à Al-Qaida et la seconde est encore plus radicale. › 18 au 23 décembre 2015 / Marianne / 69
chine nouvelle / sipa
Histoire du terrorisme, de l’Antiquité à Daech, sous la direction de Gérard Chaliand et Arnaud Blin, Fayard, 840 p., 24 €.
Marianne : Nous sommes désormais en guerre, selon notre gouvernement, contre l’ennemi implacable qui a frappé la France le 13 novembre. Quelle est la nouveauté stratégique de l’Etat islamique dans la longue histoire de l’épouvante terroriste ? Gérard Chaliand : L’Etat islamique (EI) est né de la guerre de choix menée en 2003 par les néoconservateurs américains. Le noyau baasiste originel qui s’était mobilisé pour lut-
entretien
idées › Les Etats-Unis sont bridés par leurs alliances avec l’Arabie saoudite et la Turquie et s’abstiennent de frapper les mouvements islamistes (ils sont nombreux) soutenus par l’Arabie saoudite, le Qatar et la Turquie. Bien que les Saoudiens soient opposés aux Frères musulmans, des rivaux, ils ont uni leurs efforts avec la Turquie et le Qatar qui leur sont favorables. Rien n’est simple dans la région, et on retrouve sur le terrain syrien les protagonistes d’un antagonisme historique entre sunnites et chiites. L’Arabie saoudite veut à toute force affaiblir l’Iran et les chiites, et c’est pourquoi, entre autres raisons, elle est militairement présente au Yémen. La Turquie se voit comme puissance régionale et veut la chute de Bachar al-Assad afn que la Syrie devienne un Etat allié. Plus que tout, Recep Erdogan veut éliminer le PKK [le Parti des travailleurs du Kurdistan d’Abdullah Ocalan, classé « terroriste »] mais aussi les mouvements politiques kurdes comme le Parti démocratique des peuples (HDP) de Selahattin Demirtas qui est parlementaire et démocratique. Par ailleurs, la Turquie espère affaiblir les Kurdes de Syrie, la force combattante la mieux organisée contre l’EI. Le projet turc d’une zone de non-survol (no fy zone) en Syrie, à la frontière, vise à empêcher les Kurdes de constituer un territoire autonome d’un seul tenant. Désormais aidés par les Américains et par les Russes, les Kurdes de Syrie sont néanmoins à l’offensive et la poursuite du confit leur est favorable. Bien sûr, l’intervention russe a des limites, mais elle rend indirectement service aux Américains et les oblige à en faire davantage (notamment l’envoi de forces spéciales). A l’avenir, les bombardements seront peut-être plus effcaces et plus intenses.
Un lieu commun veut que l’intervention militaire contre l’EI soit forcément vouée à l’échec sans la résolution des problèmes politiques régionaux… 70 / Marianne / 18 au 23 décembre 2015
G.C. : Pour affaiblir l’EI, lequel, je le répète, possède un territoire, il faut d’abord l’affaiblir militairement, car ses succès de l’été 2014 ont été un choc considérable, provoquant un appel d’air pour de nombreux combattants volontaires. Cela est possible en Syrie. L’EI est un mouvement dont le noyau dur est irakien et la majorité des combattants sont des non-Syriens. La plupart ne parlent même pas un arabe compréhensible dans le pays. En Irak, l’EI tient largement la région sunnite, car les chiites fdèles à l’ancien président Nouri al-Maliki s’y sont comportés de manière particulièrement odieuse. L’EI y est actif sur le plan social et politique et ne pourra être délogé par des chiites. L’exemple de Tikrit [ville reprise aux djihadistes en mars 2015 par l’armée irakienne et les milices chiites] n’est guère probant, une grande partie de la population ayant quitté la ville. D’où cette diffcile équation : où et comment trouver des alliés sunnites non islamistes qui ont envie de risquer leurs vies pour chasser l’EI ? Alors ? G.C. : Il s’agit d’une guerre d’usure. L’EI n’est pas seulement un mouvement terroriste, mais aussi une organisation politique pratiquant une guerre révolutionnaire, en encadrant les populations après avoir assuré leurs besoins élémentaires et endoctriné les jeunes générations. Leur propagande sur les réseaux sociaux se révèle très professionnelle et nos médias ont largement fait connaître leurs messages théâtralisés, lesquels ont concouru à déstabiliser nos opinions publiques frileuses. Les idéologies, je l’ai souvent souligné, ne se bombardent pas. Il aura fallu le coup de semonce des
attentats de novembre pour enfn envisager des mesures de bon sens. Nous ne sommes pas en guerre, laissons cela à George W. Bush. D’ailleurs, c’est rendre service à l’EI que d’employer ce terme, car il n’a pas les moyens de cette ambition. Mais notre société est depuis longtemps travaillée par des idéologues qui conspirent librement contre les valeurs de la République. Faudrat-il plus de 130 morts pour en prendre mesure ? Vous rapprochez la stratégie d’Al-Baghdadi, le calife autoproclamé de l’EI, avec celle des léninistes. Pourquoi ? G.C. : Parce que le modèle léniniste est imité par tous les djihadistes. Quand les talibans rendent la « justice », si l’on ose dire, dans les campagnes afghanes, ils font du lénino-maoïsme. Du temps des moudjahidin, le seul qui pratiquait une sorte de détournement du lénino-maoïsme était le commandant Massoud qui avait institué le combattant à temps plein, nourri par la communauté, elle-même politiquement mobilisée. A cette affliation idéologique, les terroristes de Daech ont adjoint des méthodes quasiment hollywoodiennes, une théâtralisation de l’horreur qui fonctionne très bien sur Internet. Ils cherchent par là non seulement à méduser et à effrayer, ainsi qu’à s’attirer de nouvelles recrues, mais également à déstabiliser les sociétés civiles en Europe, en y dressant les populations les unes contre les autres. Par certains aspects, notre réaction les y aide… Mais n’oublions pas que, dans la préhistoire de cette actualité, il y a eu la césure de 2003, la funeste guerre de Bush et Blair.
“Aujourd’hui, le mouvement islamiste global est profondément perturbateur. Mais il est plus facile de bombarder les positions de Daech que de bombarder son idéologie.”
tass / itar-tass photo / corbis
Walther Rathenau apparaît comme une victime assez emblématique*. Avec la Seconde Guerre mondiale, il y a eu ceux qui pratiquaient l’acte à caractère terroriste pour lutter contre l’occupation, un peu comme les zélotes au Ier siècle.
Si la guerre d’Irak n’avait pas eu lieu, pensez-vous qu’on aurait évité la constitution de Daech ? G.C. : La montée de l’islamisme, qui perçait déjà, était probablement inscrite dans le cours des choses. En revanche, on aurait évité d’aviver et de porter à l’incandescence l’intégrisme musulman, qui restait encore relativement marginal. Le terrorisme, comme vous le montrez dans votre ouvrage, est, en efet, une très vieille histoire… G.C. : En effet, il s’est pratiqué, au Ier siècle après Jésus-Christ, sous l’occupation romaine, avec les zélotes, puis au XIIe siècle, essentiellement avec les hachachin, la secte des assassins, détruite fnalement par les Mongols. En Inde, on
connaît le phénomène des thugs, les adorateurs de Kali qui, pendant des siècles, se sont attaqués aux voyageurs. En ce qui nous concerne, nous classons parmi les procédés terroristes le tyrannicide, qui était réalisé sous la forme d’attentats-suicides. Puis on arrive au terrorisme contemporain qui, en 1880, démarra avec les populistes russes et leurs tentatives d’assassinat du tsar et de ses proches. Camus évoque les cas de conscience posés aux activistes. Ensuite, de 1890 à 1914, une vague extrêmement populaire, celle des anarchistes, en vit certains prôner l’assassinat des seules têtes couronnées et d’autres appeler à descendre dans la rue et à tirer au hasard dans la foule. Entre la Première et la Seconde Guerre mondiale, le terrorisme a été surtout pratiqué par l’extrême droite, et
opération aérienne des forces russes contre des positions de l’Etat islamique en Syrie, le 21 novembre.
Dans les dernières décennies, alors que le terrorisme semblait en voie de paupérisation, voire de disparition, n’avons-nous pas nourri l’illusion de nous acheminer vers un monde sans violence, pacifé, posthistorique ? G.C. : Nous nous sommes bercés d’une douce romance prédisant la « fn de l’Histoire », c’est-à-dire l’extinction des antagonismes comme moteur de l’Histoire. Or, le confit est inhérent à l’espèce humaine : ou bien les dominants dominent, ou bien les dominés ont des moyens suffsants pour organiser une guérilla. Si la guérilla est l’arme du faible, le terrorisme, quand il est pratiqué seul, est l’arme de plus faible encore. Les théoriciens de l’hyperpuissance américaine, dans les années 90, pensaient, à l’instar de Francis Fukuyama, que la confictualité allait être maîtrisée à distance par les Etats-Unis. Vingt-cinq ans après, que reste-t-il de leur prophétie ? G.C. : La démocratisation, on l’oublie trop souvent, est en fait intrinsèque à la création des Etats-Unis et à leur manifest destiny. Mais, comme vous le soulignez, en face, de fortes résistances ont contrarié cette vague démocratique et les rêves d’omnipotence des néoconservateurs. La faute en revient, d’abord, à la pesanteur sociologique de certaines sociétés, comme l’Afghanistan ou l’Irak, sur lesquelles le remède de cheval démocratique est porteur d’anomie. Est-ce cete seule erreur de perspective qui serait › responsable de la résurgence 18 au 23 décembre 2015 / Marianne / 71
› extrêmement spectaculaire du terrorisme islamiste ? Ce dernier n’est-il pas, d’abord, le fruit de l’échec des nationalismes arabes ? G.C. : Depuis les indépendances, un courant panarabe et nationaliste, que symbolisait admirablement Gamal Abdel Nasser, a fait fonction d’utopie mobilisatrice. L’effondrement arabe de 1967 face à l’armée israélienne a révélé en pleine lumière les failles de ce nationalisme. Concomitamment, les socialismes arabes, qui prétendaient apporter une amélioration générale des standards d’existence, en prenant exemple sur certains aspects du modèle soviétique, ont échoué durablement à relancer la croissance. On peut parler, effectivement, d’un échec, avec une incapacité à s’attaquer aux causes essentielles : l’absence de développement. Les Algériens se plaignent de la période coloniale française et en font une instrumentalisation politique constante. Pendant quatre-vingts ans, le Vietnam a été soumis à la domination française, mais maintenant ses dirigeants se pressent au côté des Américains. Ils veulent trouver un contrepoids viable à la domination du voisin chinois. D’où la nécessité de sortir du sous-développement par la croissance économique : il n’y a pas d’autre solution.
Certes, mais le Laos ou le Vietnam, dans la période postcoloniale, ont connu le même défaut de croissance et aucune tentation terroriste ne les a saisis. Pourquoi, d’après vous ? G.C. : C’est dû à la force des pesanteurs sociologiques du monde arabe. Les Turcs, eux, ont su naviguer. D’abord en évitant d’être occupés par l’Union soviétique à l’issue de la Seconde Guerre mondiale, en se mettant à l’abri dans l’Otan, puis enfn en proftant au maximum du voisinage de l’Europe. Par contraste, hélas, beaucoup de nations arabes n’ont pas réalisé ce travail : elles ont érigé avec cynisme la question israélo-palestinienne en point 72 / Marianne / 18 au 23 décembre 2015
“Jamais les islamistes ne parlent de travail, jamais ils n’évoquent la nécessité du développement.”
bettmann / corbis
entretien
idées
Gamal abdel Nasser Le courant panarabe et nationaliste, que symbolisait le raïs égyptien, a fait fonction d’utopie mobilisatrice.
d’achoppement majeur de leur ressentiment. Mais il y a eu, effectivement, un vaste travail militant. Celui-là a démarré en 1928, avec la création des Frères musulmans, par Hassan al-Banna, conjuguant appel à l’islam et invocation de l’égyptianité. Simultanément, Mehmet Ali tentait la modernisation de l’Empire ottoman et se faisait étouffer par les Anglais. Au début des années 50, Nasser s’est efforcé de se débarrasser des islamistes. Puis, au moment de la crise de Suez, les islamistes ont tenté de se ranger du côté du nationalisme arabe. Parallèlement prenait corps le courant rival des wahhabites, antinassériens et antipanarabes. Ils souhaitaient une réislamisation militante de l’ensemble du monde musulman, via l’édification méticuleuse d’un maillage international de madrasas et d’écoles coraniques. Aujourd’hui, le mouvement islamiste global est profondément perturbateur, et ses effets sont loin d’être épuisés. Encore une fois, il est plus facile de bombar-
der les positions de Daech que de bombarder son idéologie. Y a-t-il une chance que de la perturbation surgisse une logique reconstructrice ? G.C. : Ma réponse est non. Les islamistes sont incapables de construire quoi que ce soit. Jamais ils ne parlent de travail, jamais ils n’évoquent la nécessité pour le monde arabe du développement, contrairement aux Chinois et aux Indiens qui ont relevé le déf de la modernité par la croissance économique. Les islamistes au Moyen-Orient arabe vont faire perdre deux décennies à une région qui n’avait pas besoin de ça. n PROPOS RECUEILLIS PAR ALEXIS LACROIX ET ALAIN LÉAUTHIER
* Walter Rathenau (1867-1922) était un industriel, écrivain et homme politique allemand. Juif, exemple emblématique de la « symbiose judéo-allemande », il fut la cible de discours antisémites avant d’être assassiné par un groupe terroriste d’extrême droite.
ils nous aident à penser S’évader par la lecture
idées
Un essai à l’usage de ceux qui veulent favoriser la lecture dans les prisons vient de paraître. Un vade-mecum précieux tant les freins culturels à cette activité sont puissants. pAR Anne dAstAkiAn
alpha diffusion / sipa
O
n sait, par la littérature soviétique, que nombre de livres interdits en URSS étaient accessibles aux prisonniers du goulag, considérés par le régime comme irrécupérables. Dans les 191 établissements pénitentiaires français, rien de tel. Même la règle, longtemps en vigueur, des trois “p”, excluant des prisons les ouvrages policiers, politiques ou pornographiques, n’est plus appliquée. Tout juste veille-t-on à bannir les ouvrages particulièrement violents, ainsi que ceux présentant un caractère prosélyte ou sectaire. Le passionnant essai la Bibliothèque. Une fenêtre en prison, manuel à l’usage des professionnels et des bénévoles désireux d’encourager la lecture derrière les barreaux, ou destiné aux auxiliaires bibliothé-
caires, eux-mêmes détenus et relais des premiers, offre un angle de vision inédit. Fourmillant d’anecdotes, de témoignages et d’études statistiques, l’ouvrage expose l’historique de la lecture en prison et ses diffciles équations. Car bien peu de détenus proftent de la possibilité d’évasion offerte par la lecture. Et ce en dépit des « réductions de peines par la participation aux activités culturelles, dont la lecture » prévues par
AlexAndre soljenitsyne avait bien décrit, dans l’Archipel du goulag, le rôle de l’apprenti bibliothécaire dans l’univers carcéral.
la réforme pénale de 2014, laquelle n’en précise pas les modalités. La première raison est sécuritaire : les personnes astreintes à des régimes de détention différents ne doivent pas se rencontrer à la bibliothèque, de même que les prisonniers impliqués dans une même affaire. La seconde tient au pourcentage d’illettrés et d’étrangers derrière les barreaux, ainsi qu’à leur sexe : 96,7 % des détenus en France sont des hommes, dont un fort pourcentage considèrent la lecture comme une perte de temps. En découle l’omniprésence de la télévision dans les cellules surpeuplées, peu propices à la concentration. Toutefois, comme dans l’univers décrit sous d’autres cieux par Alexandre Soljenitsyne, on apprend l’importance cruciale de l’auxiliaire bibliothécaire, qui remplit la fonction d’écrivain public en aidant ses compagnons de détention à formuler par écrit leurs demandes. Il apparaît aussi que le code pénal est l’ouvrage le plus emprunté en prison, devant la Bible et le Coran. n La Bibliothèque. Une fenêtre en prison, éd. de l’Association des bibliothécaires de France, 190 p., 30 €.
Péguy, encore une fois
I Conspirations d’un solitaire. L’individualisme civique de Charles Péguy, d’Alexandre de Vitry, Les Belles Lettres, 648 p., 37 €.
l hante, plus que jamais, notre actualité. Parce qu’avant tous les autres il a pressenti le terrible XXe siècle, avant de tomber au champ d’honneur, un jour de septembre 1914 ? Parce qu’il a prophétisé la domination planétaire de l’argent ? Parce qu’il a remis en question sa situation, son confort, ses amitiés, en s’engageant pour la défense d’un homme diffamé par tous, le capitaine Dreyfus ? Ou parce qu’il se trouve aujourd’hui maints disciples parmi les intellectuels français, intrigués par sa généreuse intransigeance ? A vrai dire, pour toutes ces raisons, et peut-être pour une autre encore : Péguy incarne et résume toutes les antinomies de la modernité. C’est ce que rappelle, avec un brio érudit, la somme
qu’Alexandre de Vitry lui consacre, sous le titre Conspirations d’un solitaire. L’auteur cite en exergue cette réfexion de Nietzsche : « On n’est fécond qu’à ce prix : être riche de contradictions. » Au crépuscule de la Belle Epoque, Péguy confrme Nietzsche car il est un paradoxe vivant : socialiste, anarchiste, dreyfusard et patron de revue, mais aussi catholique indocile, admirateur de Jeanne d’Arc et contempteur mystique des progressistes qui « fatalisent » l’Histoire. Péguy déborde toutes les cases, désobéit aux assignations. Alexandre de Vitry invite à appréhender cette singularité comme une donnée essentiellement politique : « A l’individualisme de ses contemporains, républicains radicaux, anarchistes ou esthètes, Péguy,
écrit-il, oppose une prégnance absolue de la cité […] et à tous les collectivismes, celui des socialistes comme celui des nationalistes, celui, encore, de l’Eglise contemporaine, il oppose une irréductible défense de l’individu et de la liberté individuelle. » Cet équilibrisme fait de lui, dans le sillage de Charles Renouvier, un penseur du personnalisme républicain, capable d’inspirer autant Emmanuel Mounier et Walter Benjamin que Hannah Arendt et d’éclairer, aujourd’hui, ceux qui, à gauche ou au centre droit, cherchent à réinstituer et ranimer le républicanisme civique. Et si c’était la grille de lecture la plus stimulante de cette œuvre à jamais incandescente de dissidence ? n Alexis lAcroix
18 au 23 décembre 2015 / Marianne / 73
livres
culture
Des livres sous le sapin
Des émerveillements africains de Moravia aux aventures du grand Kessel, des joyaux de la musique vénitienne aux délires de Jérôme Bosch, des derniers secrets de Dylan aux ultimes vibrations de la môme Piaf, quelques ouvrages qui nous ont particulièrement plu. Par le service culture de “Marianne”
les pays du dépaysement
P
laure jacquemin
F
in lettré, aussi érudit qu’enthousiaste, le Français Olivier Lexa, installé depuis six ans à Venise, est soucieux de faire partager ses passions. Fondateur du Centre de musique baroque de Venise, consacrée aux auteurs vénitiens, de Monteverdi à Vivaldi, il organise concerts et colloques dans de sublimes palais. Son énergie et sa rigueur mettent du baume au cœur des Vénitiens, découragés par les dérives mercantiles du tourisme de masse ou par leur maire, Luigi Brugnaro, qui veut vendre des chefs-d’œuvre de Klimt et de Chagall pour renfouer la ville. Après une biographie de Francesco Cavalli (1602-1676), Lexa récidive avec la Musique à Venise, un livre magnifquement illustré de scènes de Tiepolo, Bellini, Carpaccio, Véronèse, Titien ou Le Tintoret. L’auteur nous entraîne par ponts, canaux et palais, au cœur de la cité où furent inventés l’opéra public, la sonate et le concerto. Il nous emmène dans les ospedali, à mi-chemin entre couvents et conservatoires, où, fait unique en Occident, il était permis aux jeunes flles de chanter à l’Eglise. Superbe ! n ANNE DASTAKIAN La Musique à Venise, d’Olivier Lexa, Actes Sud, 200 p., 35 €.
74 / Marianne / 18 au 23 décembre 2015
Andrea Andermann
&
Alberto Moravia
Allant Ailleurs
Allant ailleurs, d’Andrea Andermann et Alberto Moravia, Grasset, 500 p., 89 € jusqu’au 31 décembre 2015, 110 € à partir du 1er janvier 2016.
Grasset
andrea andermann
Venise, tout sauf triste
hotos sublimes, textes d’un grand romancier, édition somptueuse, que demander de mieux ? Aucun doute, Allant ailleurs, d’Alberto Moravia et Andrea Andermann, est un très beau livre, un cadeau magnifque à placer sous le sapin pour les fêtes. D’où vient alors cette gêne à la lecture des reportages de l’écrivain voyageur ? Fleuves immenses refétant les nuages, enfants des steppes aux yeux bridés, forêts tropicales luxuriantes, marchés aux mille couleurs : pourquoi la contemplation de ces pleines pages sur papier glacé provoque-t-elle une vague réticence ? Alberto Moravia et le cinéaste Andrea Andermann ont voyagé ensemble de 1968 à 1990, en Afrique, en Mongolie et au Yémen ; le livre rassemble les notes de l’un et les images de l’autre. « Le “dépaysement”, explique Moravia, c’est l’impression que l’on éprouve d’avoir totalement perdu ses repères. […] Cette sensation, je l’ai éprouvée. Elle peut même durer tout un voyage, surtout dans des pays lointains et authentiques d’Afrique ou d’Asie. » Voilà : les auteurs recherchent du « lointain », de « l’authentique », de « l’ailleurs » en somme, comme le titre l’indique. « Il s’agit au fond d’une forme de somnambulisme », confe l’auteur du Mépris. De fait, ce récit de voyages n’offre ni exploration ni élucidation, plutôt un long rêve éveillé. Envoûtant, même avec quelques clichés : « Le paysage en Afrique évoque des idées d’infni. […] On se sent petit face à quelque chose d’indiciblement grandiose. » Sur le feuve Zaïre, « on avance, mais on demeure toujours immobile ; les jours passent, mais on se croit toujours au premier jour ». A feuilleter ces pages d’un exotisme intemporel, il semble que « l’homme africain » – l’homme d’« ailleurs » en général – ait oublié d’entrer dans l’Histoire… Voilà qui offrira matière à conversation, une fois ce beau cadeau déballé. n ÈVE CHARRIN
ViVe la caricature !
Dylan, making-of
O
n croyait tout connaître de Robert Allen Zimmerman ; grâce à l’enquête rigoureuse et érudite de Philippe Margotin et Jean-Michel Guesdon, on s’aperçoit qu’il n’en est rien. Reprenant la méthode imparable qu’ils avaient appliquée aux Beatles, en 2013, ces fous de musique apportent dans Bob Dylan, la totale, un éclairage contextuel et technique aux 492 chansons du barde folk qui aura projeté la musique traditionnelle américaine dans un XXe siècle électrifé. Tous les mystères de la création de ses hymnes mythiques y sont levés, au regard d’une riche iconographie et des confdences des proches et des musiciens, des producteurs et des ingénieurs du son qui ont croisé la route de l’homme aux 150 millions d’albums vendus. On y découvre fausses notes et traits de génie, comme celui de Blowing In The Wind, inspiré d’un air traditionnel d’esclaves noirs et composé en dix minutes dans un café de Greenwich
Village, à New York, le 16 avril 1962, appelé à devenir l’hymne des défenseurs des droits civiques. Une bible incontournable à poser au pied du sapin, aux côtés de Sur la route avec Bob Dylan (Les Fondeurs de brique), commis par le journaliste de Rolling Stone Larry « Ratso » Sloman qui, en 1975, a suivi le Zim pendant la gestation et l’enregistrement de la légendaire chanson Hurricane et de sa tournée, et du douzième et ultime volet des enregistrements inédits Bootlegs Series, The Cutting Edge 1965-1966 (Columbia/Legacy). Histoire de fêter dignement le cinquantième anniversaire de la naissance artistique de Dylan, qui, entre janvier 1965 et mars 1966, à peine âgé de 24 ans, a enregistré trois des albums majeurs de son imposante discographie : Bringing It All Back Home, Highway 61 Revisited et Blonde On Blonde. n MYRIAM PERFETTI Bob Dylan, la totale, de Philippe Margotin et Jean-Michel Guesdon, Chêne-EPA, 704 p., 49,90 €.
L’Art et l’histoire de la caricature, de Laurent Baridon et Martial Guédron, Citadelles & Mazenod, 320 p., 49 €.
mikhail zlatkovsky
fona adams / redferns / getty images
E
n matière de satire comme en bien d’autres, Léonard de Vinci avait tout compris : arme de destruction massive, le rire peut tout. Ses physionomies grotesques, comme celles de Bosch, ouvrent une nouvelle ère. Avec son Ane-pape et son Veau-moine moquant le clergé, illustrant un pamphlet de Luther en 1523, Cranach n’en fera pas moins. La caricature, en tant que genre spécifque fondé sur la déformation de la fgure humaine, naît en Italie à la Renaissance, avant de se propager en Europe, puis au-delà. Près de cinq siècles plus tard, l’assassinat des dessinateurs de Charlie Hebdo ne fait que cristalliser cette force transgressive : faire rire, c’est désacraliser, démolir les icônes, affrmer le droit inaliénable de critiquer les dieux comme les hommes. C’est se faire, par le jeu infni des permutations dialectiques, par les arabesques de l’anamorphose et l’inversion des hiérarchies symboliques ou sociales, toujours plus facétieux et irréductible. Plus la liberté des satiristes sera remise en question, plus il faudra, bien sûr, la défendre. Mais, si leur histoire est indissociable de celle de la censure, la caricature et le dessin de presse ne se portent pas si mal, et les nouvelles technologies leur donnent voix au chapitre. Internet a ainsi été un vecteur puissant du printemps arabe, qui a présidé à la chute de régimes autoritaires, tel le chat Willis from Tunis, croqué par Nadia Khiari, qui dénonçait la Tunisie de Ben Ali… Puisque le rire est le propre de l’homme, faisons-le tonner toujours plus, insatiable, hénaurme, ventripotent. L’humanité blessée qui cogne dans nos veines nous en remerciera. n JULIETTE EINHORN
18 au 23 décembre 2015 / Marianne / 75
des pinceaux contre Hitler
L
e « Salon des rêves », titre paradoxal pour un cycle de 57 tableaux cauchemardesques, « ex-voto contre le nazisme », conjuratoires, hallucinés, peints entre 1939 et 1945 par Joseph Steib. Avant-guerre, ce fonctionnaire de Mulhouse peignait des miniatures sur des thèmes alsaciens. Catapulté dans l’odieux songe éveillé de la guerre, il continue à peindre ce qu’il voit : un monde qui marche sur la tête. Il conserve sa manière, mais teinte son art naïf d’expressionnisme, projetant dans ses toiles la déformation monstrueuse à laquelle les contours de son monde sont soumis. Les rêves qu’il peint, scènes idylliques de liesse populaire, ce sont les célébrations futures qui attendent son peuple à la Libération : dans Fête rurale (1944), la joie paraît incongrue et prémonitoire, l’Alsace n’étant pas encore libérée. La surréalité révèle ici sa dimension transgressive, faisant éclore un état de fait qui n’est pas encore ou n’est plus. Du côté du cauchemar, des dizaines de tableaux représentent le quotidien hideux de la guerre, et, blasphème suprême, Hitler qui apparaît en Antéchrist : dans la Dernière Scène, le Führer est à table avec ses séides pour une Cène diabolique, dernière mascarade avant sa disparition annoncée. Dans le Conquérant, il apparaît en ogre gigantesque dévorant ses enfants. Une œuvre hors du commun, à haute charge subversive, tombée dans l’oubli et retrouvée par un collectionneur. Quand le cauchemar s’invite à l’improviste dans votre pays, ne faut-il pas le regarder en face et laisser les rêves tenir salon ? n j.E. Le « Salon des rêves ». Comment le peintre Joseph Steib ft la guerre à Adolf Hitler, de François Pétry, La Nuée bleue, 232 p., 35 €.
76 / Marianne / 18 au 23 décembre 2015
collection particulière
livres
culture
colossal Kessel
A
l’image de l’homme qu’elle raconte, cette biographie de Joseph Kessel se dévore, comme l’écrivain aventurier mangeait la vie. Riche mais humble, elle revisite la destinée rythmée par les voyages de ce colosse né en Argentine qui, à 2 ans seulement, a déjà réalisé un demi-tour du monde pour rallier la Russie où il passera son enfance. Aviateur puis journaliste (au Matin, à FranceSoir), engagé dans les deux guerres mondiales, résistant, épris des marginaux et des bas quartiers, Kessel couvre la révolte druze en Syrie, l’Irlande révolutionnaire, la guerre civile espagnole, enquête sur les marchands d’esclaves en Ethiopie, assiste à la création de l’Etat d’Israël (qui lui délivre le visa d’entrée no 1). Il se perd dans la jungle birmane, la savane kenyane ou les steppes afghanes, fréquente autant l’homme de la rue que l’élite politique ou
artistique. Et il nourrit ses articles et romans de ces périples qui tiennent plus de l’expédition que du reportage. Si l’auteur de cette biographie, Alexandre Boussageon, grand reporter pour la presse magazine française, s’efface derrière le récit de cette vie hors normes, on sent malgré tout poindre parfois une évidente admiration pour ce grand épicurien. Il faut saluer la remarquable iconographie qui étaie cette biographie, issue pour partie d’archives familiales, mais qui vient aussi contextualiser la situation par des photographies historiques d’envergure. n FRÉDÉRIQUE BRIARD Joseph Kessel, écrivain de l’aventure, d’Alexandre Boussageon, Paulsen, 312 p., 250 illustr., 56 €.
le monde d’avant FacebooK
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urnommé le « roi des paparazzi », Daniel Angeli est un témoin intime de son temps. Immortalisant les instants fantômes, une ombre sur un visage, un baiser furtif, une cigarette que l’on allume, ses clichés captent le quotidien, ses dégringolades et ses moments de grâce – l’heure bleue, le rayon vert, la vie en rose : Gilbert Bécaud jouant du piano sur la plage, Claude François qui danse, la nuit, bondissant dans les airs, Juliette Gréco et Michel Piccoli au temps de leur bref mariage… Dali qui embrasse la main de Gala. « Il roulait les yeux aussi bien que les r », raconte Angeli. Si Depardon, son ami, montre les faits de société, avec une prédilection pour l’urbain et le politique, celui qui fut, pendant quinze ans, le photographe attitré de Johnny Hallyday prend pour personnages chanteurs et acteurs, peintres, familles royales et vedettes. Son secret ? Etre partout là où ceux qu’on appelle les people dorment, mangent, s’aiment et se quittent. Ses photos ont le charme des époques envolées, un grain gracile, nostalgique et béni : la douceur des années 60 et des décennies suivantes, la dolce vita… L’été à SaintTropez, l’hiver à Gstaad, il sait se faire accepter par les personnalités de l’époque, d’Onassis à Elizabeth Taylor en passant par John Lennon. En 1977, il croque Gianni Agnelli nu, sautant de son bateau. Le cliché fait scandale, le PDG de Fiat venant d’être enlevé. La photo qui provoque en lui le plus d’émotion ? Jean-Louis Trintignant, entouré de Romy Schneider et de Marie Trintignant… De Maria Callas, il dit : « Elle a passé sa vie à attendre. » Comme lui ? n j.E. Vies privées. Daniel Angeli, quarante ans de photographies, textes de Bernard Pascuito, Gründ, 234 p., 29,95 €.
le discours de la guerre
S
’il est trop tôt pour estimer la portée de l’allocution de François Hollande à Versailles, l’historien Jacques-Olivier Boudon a recontextualisé une soixantaine de discours de guerre qui, « de Vercingétorix à Villepin », se lisent comme des moments clés de l’histoire : pour partir en croisade, haranguer des combattants, coloniser, défendre le pays, embrigader la nation ou refuser le fracas des armes, des chefs militaires et politiques, voire des écrivains, surent trouver des mots marquants. Longtemps, les paroles martiales nous ont été rapportées par des témoins à la fabilité variable, mais de Jeanne d’Arc à de Gaulle en passant par Louis XIV, Robespierre, Bonaparte, Victor Hugo et Clemenceau, des constantes se font jour, telles les références à un glorieux passé et à la défense d’une liberté dont le sens fut changeant. Avec la République, les invocations religieuses laissent place aux valeurs universelles, même si la guerre put les dévoyer, comme lors de la sinistre capitulation de juin 1940. Un discours de guerre n’a, à l’instar des discours de Jaurès, pas toujours vocation à faire parler la poudre, même lu par un André Malraux faisant l’éloge de Jean Moulin, ou par Dominique de Villepin lors de sa visionnaire prise de parole à l’ONU en 2003. Ainsi, cette précieuse anthologie souligne que les discours de guerre ne sauraient être à la littérature ce que les coups de clairon sont à la musique. n yan morvan / photosynthèses
THOMAS RABINO Les Plus Grands Discours de guerre de l’histoire de France, de Jacques-Olivier Boudon, Pierre de Taillac, 22,90 €.
le fracas des arbres
I
dr
l n’y a plus rien, et pourtant on entend tout. Des paysages vides, terrains industriels en friche, stations-service, plages grises et solitaires, vastes champs enneigés, canyons cuits par le soleil, fermes en ruine, rivières à la tombée du jour. Ce sont des cris que l’on entend, des cris d’agonie mais aussi de ralliement, le cor de Roland à Roncevaux et les ordres dans le fracas des épées, puis des fusils, des canons, des tanks et des mitrailleuses. Sur ces champs de bataille, la nature a repris ses droits, et l’homme est passé à autre chose, en construisant, en cultivant. Les rois et les généraux s’imaginaient peut-être qu’après eux rien ne repousserait. Pourtant, à Waterloo, à Rosebud Creek, à Verdun et à Guadalcanal, l’herbe est verte et les nuages sont indifférents. On tourne les pages de Champs de bataille, il y en a des centaines, avec un sentiment d’étonnement grandissant. Partout, les humains se déchirent, pour que ne subsiste fnalement de ces luttes à mort que le souvenir de leur vanité. Pendant plus de deux décennies, Yan Morvan a photographié la guerre en direct sur tous les théâtres du monde. Il a décidé, il y a dix ans, d’adopter un autre regard et un autre rythme, en photographiant à la chambre ces lieux mythifés par l’Histoire, dans leur réalité nue. Une démarche historique autant que philosophique, qui l’a mené de manière inlassable dans les endroits les plus reculés du globe. Ces champs de bataille vides sont un des témoignages les plus profonds sur la guerre, une plongée au fond du cœur de notre humanité et de son absurde sauvagerie. n VlAdIMIR de gMelINe Champs de bataille, de Yan Morvan, Photosynthèses, 660 p., 69 €.
18 au 23 décembre 2015 / Marianne / 77
dr
livres
culture
c’est bien, c’est bosch
Bosch, le Jardin des délices, de Reindert L. Falkenburg, Hazan, 280 p., 74 €.
le Moineau de paris
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e Y en a un de trop ou Celui que j’aime a les yeux tristes, les premières chansons qu’elle écrit, en passant par le Bel Indifférent, monologue de Cocteau, jusqu’à Non, la vie n’est pas triste, projet de ballet chanté, et Je ne regrette rien, les mélopées d’Edith Piaf écrivent son destin. Elle y verse son âme : réalisme de cabaret, mais, surtout, mélancolie sauvage. Et, quand la Môme de Paris interprète l’Hymne à l’amour, après la mort en avion de son aimé, le boxeur Marcel Cerdan, en 1949, c’est son histoire fracassée qu’elle chante. Ses paroles, composées avant le drame, se parent d’une étrange prescience : « Si un jour la vie t’arrache à moi/Si tu meurs, que tu sois loin de moi/Peu m’importe, si tu m’aimes,/Car moi je mourrai aussi. » Sa vie, la chanteuse de 1,47 m, morte à 47 ans, l’a vécue pour vibrer, sublimant
78 / Marianne / 18 au 23 décembre 2015
de sa ferveur gouailleuse ses amours vagabondes et sa quête d’absolu. Les archives inédites en fac-similé réunies par Robert Belleret nous plongent dans la légende : si l’abandon, l’enlèvement, le meurtre et le miracle sont des mythes, on découvre le roman d’une vie d’excès, de vertige et de deuils, constellée de paradoxes. Piaf remplira l’Olympia des mois durant, conquerra l’Amérique et le monde, assurera le succès de chanteurs tels que Moustaki et Montand, tournera au cinéma. Mais elle restera jusqu’au bout, jusque dans les périodes fastes, malheureuse d’être heureuse. Un « moineau chantant » au « cœur aussi grand que Paris », qui chantait, dixit Léo Ferré, « comme cent dix mille oiseaux qu’auraient la gorge en sang ». n j.E. Edith Piaf. Vivre pour chanter, de Robert Belleret, Gründ, 66 p., 29,95 €.
diego goldberg / sygma / corbis
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n peignant dans les années 1500 le triptyque du Jardin des délices, Jérôme Bosch se doutait-il qu’il ferait parler pendant des siècles des myriades de commentateurs, dont le célèbre historien de l’art Ernst Gombrich, qui chercheront à comprendre cette peinture fantastique du paradis et de l’enfer, en en donnant les interprétations les plus opposées ? Comment comprendre en effet cette étrange spéculation sur le bonheur céleste mêlant érotisme et perversité, tradition médiévale et imagination la plus délirante ? Témoigne-t-elle du point de vue de Dieu ou de celui du diable sur le désir humain ? Quoi qu’il en soit, consacrer un livre d’art à un tel tableau est une évidence tant l’art de Bosch, souvent rapproché de la bande dessinée, est fait de détails singuliers, de saynètes cocasses et inattendues, chacune appelant glose et comparaisons, car chacune est un tableau dans le tableau, une charade et un rébus. Loin d’en épuiser les signifcations, l’ouvrage érudit mais abordable de Reindert L. Falkenburg en réaffrme l’énigme… à notre plus grand délice. n ALEXANDRE GEFEN
Mitterrand, vingt ans plus tard
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anté par la trace et par le temps, homme de pouvoir habité par l’écrit, président n’appréciant rien plus que la littérature et l’Histoire, Mitterrand se méfait des photographes. Mais, au temps de la pellicule, le huitième art était « l’écriture de la lumière », et ne pouvait que participer au grand roman de celui qui, selon les termes du coordinateur de l’ouvrage, demeure « le dernier homme d’Etat à avoir profondément imprégné l’imaginaire collectif ». Même photographié de près, il imposa une distance. Même pris sur le vif et par surprise, il paraissait éternel. Au regard de ces quelque 200 clichés, on redécouvre qu’il a toujours veillé avec précision à l’image qu’il donnait de lui, au point, dirait-on, de retourner l’objectif comme il retourna presque tout son monde : à la force du regard, au charisme, à l’envie de le suivre. Principalement axé sur la période 1965-1995, cet ouvrage réunit 34 photographes (William Karel, Guy Le Querrec, Yann Arthus-Bertrand, Raymond Depardon, Abbas, Bruno Barbey, Sebastiao Salgado…) qui tous furent les compagnons – tolérés ou adoubés – du « Sphinx » pour une période dont ils révèlent le cadre (leurs images, connues ou inédites) et le hors-champ (par leurs témoignages, riches d’anecdotes et de révélations au plus près). Une immersion dans la vie, les campagnes électorales, l’intimité, les coulisses, les grands voyages, mais aussi dans la solitude, la fragilité et surtout la puissance d’un homme qui a écrit son histoire et une bonne partie de la nôtre. n HUBERT ARTUS Mitterrand par les grands photographes, sous la direction de Richard Melloul, Fayard, 288 p., 45 €.
livre
culture
Homo Faber, malgré tout Rencontré par “Marianne” au cours du Festival des écrivains du monde, l’écrivain néerlandais Michel Faber évoque son dernier roman, composé en l’honneur de sa femme disparue. pAR pIERRE-éDOUARD pEILLON
U
“des aliens entre nous” D’une placidité courtoise légèrement grignotée par la mélancolie communicative de son regard, il parle de l’élaboration de son roman comme l’on dit adieu dignement bien qu’avec le cœur atrocement serré. Initialement envisagé comme un livre sur la distance qui nous isole les uns des autres, sur cette manière que nous avons d’être
y aurait puisé la certitude d’être un jour réuni avec sa femme. Et non, affrme-t-il comme à regret, il n’est pas chrétien. « J’adorerais l’être, confesse-t-il, j’aimerais beaucoup croire qu’un jour je reverrai Eva quelque part. » Mais, résigné, il souffle une sentence glaciale : « Elle est maintenant une urne de cendres. »
de la sF sans Folklore patrice normand / éditions de l’olivier
nder The Skin, beau titre du premier roman de Michel Faber, a aujourd’hui l’allure d’un frontispice pour qui entre dans l’œuvre anglophone de l’écrivain néerlandais : c’est en effet sous la peau des genres littéraires que son écriture s’immisce et sous l’épiderme du corps humain qu’elle cherche à disséquer les mystères de l’existence. Le Livre des choses étranges et nouvelles, son dernier roman – dans les deux sens du terme puisqu’il a décidé de ne plus en écrire –, fait subir une certaine mue à la science-fction. Si la rampe de lancement est bien celle de la SF (la colonisation d’une lointaine planète alors que la Terre semble vivre ses dernières heures), celle-ci se révèle moins orientée vers les étoiles et les ambitions cosmogoniques habituelles du genre que vers les profondeurs de l’intimité humaine. Et, en particulier, celle de l’écrivain : pendant la rédaction de cette histoire, narrant l’expédition interstellaire d’un pasteur dans un va-et-vient de mails avec sa femme restée sur Terre, Michel Faber a dû affronter le décès de sa propre femme, Eva, emportée par un cancer fulgurant.
L’intrigue laisse penser que l’auteur aurait trouvé un réconfort dans la religion. « des aliens entre nous », le Livre des choses étranges et nouvelles a, fatalement, pris une tournure beaucoup plus personnelle pour Michel Faber. Son débit ralentit. Avec une pudeur éloquente – comme pour ne pas gêner l’autre avec son chagrin –, il évoque ce moment où le roman est devenu celui d’une irrémédiable séparation. « Eva partirait et je resterais seul, elle voyagerait et je ne pourrais pas l’accompagner. » Pourtant, l’intrigue centrée autour d’un missionnaire chrétien incite à croire que l’auteur aurait trouvé un réconfort dans la religion, voire qu’il
Michel Faber “J’aimerais beaucoup croire qu’un jour je reverrai Eva quelque part.”
Tout cela ne l’empêche pas de penser que « le corps humain est un vaisseau miraculeux que l’on a le privilège d’occuper un temps bref ». Il raconte même comment il a pu constater lui-même ce « miracle » quelques mois auparavant, après un accident aussi grave qu’improbable (il est à vélo, une voiture percute une biche qui s’envole et traverse la route pour venir le heurter en retombant). La peau, on y revient toujours avec Michel Faber. Y compris quand il s’agit de celle de ses romans. Du roman victorien, la Rose pourpre et le lys n’avait que la pigmentation. De même pour le Livre des choses où la SF est drainée de son folklore technologique. L’écrivain s’inquiète un peu que « des personnes qui puissent être touchées par le livre ne le lisent pas parce qu’il s’agit de SF ». Car il ne le conçoit pas ainsi : si apocalypse il y a, elle est ici sentimentale. n Le Livre des choses étranges et nouvelles, de Michel Faber, traduit de l’anglais par Matthieu Dumont et Arthur Lochmann, L’Olivier, 624 p., 23,50 €.
18 au 23 décembre 2015 / Marianne / 79
entretien
culture
“La République doit exister en actes”
par Julien Suaudeau
Dans “Dawa”, roman paru en 2014, Julien Suaudeau racontait six attentats islamistes dans Paris, un vendredi 13. Après ce livre “prémonitoire”, “le Français”, sorti en août dernier, imaginait la longue confession d’un jeune Normand parti faire le djihad en Syrie. Il revient pour “Marianne” sur son sentiment d’écrivain rattrapé par le réel.
Le Français, de Julien Suaudeau, Robert Laffont, 216 p., 18 €.
Marianne : Comment avezvous vécu personnellement les atentats du 13 novembre dernier, comme citoyen français expatrié et comme romancier dont le livre apparaît soudain comme prémonitoire ? Julien Suaudeau : Comme je n’ai pas la télévision, j’ai vécu cette soirée sur Internet et à l’écoute des radios françaises. Il devait être 16 h 30 chez moi, aux Etats-Unis, quand j’ai entendu qu’il y avait eu des explosions au Stade de France. Du fait de cette double distance, décalage horaire et absence d’images, l’impression de cauchemar était absolue. En même temps, je ne crois pas que le robinet continu des chaînes d’info m’aurait rendu l’événement plus réel. La répétition en boucle des vidéos n’aurait fait qu’anesthésier le brut des émotions – colère, tristesse, effroi. Depuis le 13 novembre, j’ai beaucoup lu sur le sujet, j’en ai aussi beaucoup parlé avec mes élèves américains, car ils demandent à comprendre, mais je n’ai visionné aucune des séquences qui prolifèrent sur Internet. Je veux rester avec
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mon souvenir intérieur, avec cette perception personnelle et lacunaire. Devant un événement pareil, on ne réagit pas en romancier, et on ne peut pas dire qu’on avait raison. On commence par souffrir et enrager, comme tout le monde, à la pensée des victimes. La connexion avec mon roman ne s’est faite que dans un deuxième temps, lorsque j’ai compté les attaques et pris conscience de la date. J’espère que Dawa ne sera pas lu à présent comme un livre prophétique – la prophétie, ce n’est pas l’objet de la littérature. Je n’écris ni pour prédire, ni pour anticiper. J’observe mon pays natal, la France, et je fais de mon mieux pour rendre visible ce qui s’y trame en sous-sol. Vous évoquez dans Dawa une « France postrépublicaine ». Que vous inspirent le retour du drapeau tricolore aux fenêtres et l’engouement renouvelé pour la Marseillaise ? Sursaut bienvenu ou phénomène postraumatique ? J.S. : La Marseillaise et le bleublanc-rouge sont des symboles qui me parlent et me sont chers depuis l’enfance, autant à cause du foot que de leur histoire. Que les gens, les jeunes surtout, se les réapproprient ne me pose aucun problème – on s’est assez lamenté sur le manque de patriotisme supposé des Français. Cela dit, j’y vois plutôt un réfexe d’autodéfense, une volonté spontanée de se serrer les coudes dans l’adversité, qu’une revitalisation durable de la République. Si celle-là se limite à des symboles, elle n’a pas de réalité, et elle nourrit le sentiment qu’elle obéit aux intérêts
d’une oligarchie. La République doit exister à la fois comme idéologie, système politique, et en actes. Ce n’est pas plus le cas aujourd’hui qu’avant le 13 novembre. Vous décrivez vos personnages djihadistes comme de « pauvres diables » perdus, paumés. Quelle est la part de l’idéologie dans ce phénomène ? J.S. : Dans la tête de celui qui commence à perdre pied, comme dans le Français, je continue à penser que cette part est nulle et que la part du vide est, elle, totale. Ce ne sont pas les idées ou les identités qui sont empoisonnées. C’est leur absence, le vide effrayant dans lequel croupissent ceux qui vont se transformer en petits soldats du djihad. Quand je regarde le profil des tueurs du 13 novembre, je vois une bande de losers déshumanisés, accros à la sous-culture et incapables d’exister autrement que par la violence. Le djihad offre une alternative perçue comme exaltante, héroïque même, au néant d’une vie de fantôme. J’ai beaucoup de scepticisme sur le discours qui présente les kamikazes comme des individus structurés et maîtres d’eux-mêmes, accomplissant le grand dessein mondial que serait l’avènement du califat. C’est sûrement le but ultime de leurs marionnettistes, mais il est plus délicat de s’attaquer à eux qu’aux idiots utiles qui leur servent d’égorgeurs et de chair à canon. De même, vous décriviez dans Dawa la confrontation des identités comme une lute des classes qui ne dirait pas son nom. Avez-vous
nicolas guérin / robert laffont
bien ne fonctionne pas. Il était primordial pour moi de faire parler mon narrateur à la première personne, afn que le lecteur puisse se sentir proche de lui. Raconter un salaud ne présente aucun intérêt, mais comment un jeune homme ordinaire, sentimental et faible, devient un salaud par incapacité de se révolter contre les circonstances, voilà qui est plus prometteur. Je conçois d’ailleurs que cela puisse être déroutant : on s’attache et on s’identife à un personnage, et en chemin celui-là trahit la confance mise en lui pour devenir un autre, quelqu’un capable d’actes repoussants. Il s’agit de ce qu’on nommait autrefois une expérience limite, que seule la littérature, par le jeu de la voix intérieure, a le pouvoir de mettre en scène.
évolué sur ce point depuis l’écriture de votre roman ? J.S. : Si j’ai évolué entre Dawa et le Français, c’est dans la mesure où la fatalité sociale me paraît beaucoup plus relative aujourd’hui que cet étiolement individuel, par nature mystérieux et difficile à élucider. Olivier Roy a raison de renvoyer dos à dos les explications tiersmondiste et culturaliste du djihad. Contrairement à ce qu’on entend, la « radicalisation » n’est pas une bascule, un phénomène explicable par une simple équation. C’est une succession de petites déroutes dont la somme fait les grands désastres, et nous devons être prudents quand nous entreprenons de la raconter. Du point de vue de l’antiterrorisme, c’est une très mauvaise nouvelle : si les causes du mal gisent, complexes et invisibles, dans l’intimité du
premier malheureux venu, comment y apporter des réponses politiques ? Comment déradicaliser ? La vraie puissance de Daech n’est pas militaire ou économique ; elle vient de ce que nous sommes désarmés, politiquement et idéologiquement, pour neutraliser l’attraction que ses faux idéaux exercent sur les têtes creuses.
Julien Suaudeau, documentariste et romancier, A l’avenir, dit-il, “je ne me vois plus écrire du point de vue de celui qui exerce la terreur.”
D’un point de vue litéraire, comment fait-on pour se metre à la place d’un djihadiste en partance pour la Syrie ? Quelle est la part de l’empathie et du dégoût ? J.S. : C’est l’essence du travail romanesque de trouver le bon point de vue pour se mettre à la place de ses personnages. L’auteur raconte, il n’explique ni ne juge. L’identifcation, qui est la clé du pacte entre lui et le lecteur, fonctionne à ce prix ou
“La vraie puissance de Daech vient de ce que nous sommes désarmés pour neutraliser l’atraction que ses faux idéaux exercent sur les têtes creuses.”
Comment vivez-vous la position de romancier que la réalité ratrape ? J.S. : Le romancier ne crée pas le réel. Il le raconte, il essaie de le peindre avant qu’il ne devienne une évidence pour l’ensemble de la société. La seule exigence, en la matière, est d’être fdèle à ce qu’on voit, à ne pas fltrer les images que cette vision engendre – même dures, implacables, infâmes. Une fois que la réalité est là, les livres prennent une autre fonction, qui est de ne pas abandonner le terrain à ceux qui entendent le contrôler par la terreur. Quand on a écrit le roman de l’« avant », comment travaille-t-on « après » ? Comment envisagezvous vos prochains livres ? J.S. : Quelques semaines après les attaques, il est trop tôt pour se poser la question de la suite. Ce qui est certain, c’est que je ne me vois plus écrire du point de vue de celui qui sème la terreur. Maintenant que les terroristes sont de chair et d’os, qu’on connaît leurs visages, le romancier que je suis n’a plus rien à mettre au jour. Si mon prochain livre explore encore la violence du monde où nous vivons, ce sera pour en raconter des aspects qui sont encore dormants. n PROPOS RECUEILLIS PAR ALAIN LÉAUTHIER ET ANTOINE LOUVARD
18 au 23 décembre 2015 / Marianne / 81
franck harscoët
théâtre
culture
Un scandale sanitaire
sur les planches
Une comédie pour parler d’une affaire comme en a trop connu la France durant ces dernières années : c’est le pari réussi de Clément Koch. Indignation, mais aussi rires au programme… pAR jAck dion
C
livre
ela aurait pu être le Mediator, le Vioxx ou le Distilbène. Ce sont les antidépresseurs Lexo. Ce l a a u ra i t p u se dérouler dans une enceinte judiciaire. Cela se joue sur les planches. Les acteurs sont sensiblement les mêmes : un médicament dangereux, un laboratoire
hannah assouline
anna alter
cynique, des victimes désemparées. Il fallait oser mettre en scène un scandale sanitaire comme ceux qui se sont succédé ces dernières années en France, qui plus est dans une comédie. Clément Koch l’a fait, de façon plutôt réussie. Sa pièce, De l’autre côté de la route, comme son titre ne le laisse pas
de l’autre côté de la route, de Clément Koch. Avec Laurence Pierre et Maaïke Jansen.
du tout entendre, conte l’histoire d’un comprimé aux effets indésirables dramatiques et d’une scientifque repentie. Eva Makovsky, une brillante chimiste retirée en Suisse, campée par Maaïke Jansen, reçoit un jour la visite d’une journaliste (Laurence Pierre). Offciellement, la reporter veut retracer la carrière de la chercheuse. Offcieusement, elle ne souhaite qu’une chose : prouver que les pilules vendues par les laboratoires Lexo, pour lesquels travaillait Eva Makovsky, étaient toxiques. Un face-à-face tantôt grave, tantôt drôle, s’instaure entre les deux femmes, interrompu par des personnages secondaires hauts en couleur. Le combat de la jeune journaliste pour que la vérité surgisse et que justice soit faite est servi par des dialogues savoureux à l’humour grinçant, qui ne font pas pour autant oublier la gravité du sujet. On rit, on s’indigne, on compatit. Seul regret : que l’auteur ne se soit pas contenté de cette seule thématique des médicaments nocifs, puisque sa pièce soulève une autre question brûlante d’actualité mais lourde à porter – celle de l’euthanasie. n De l’autre côté de la route, de Clément Koch, Théâtre Michel, Paris VIIIe. Jusqu’au 3 janvier 2016. Une tournée est programmée ensuite.
Sur les épaules des savants
C
omment expliquer les sciences aux enfants ? Anna Alter a trouvé la réponse, en jouant à chat perché sur les épaules des savants et en mêlant science et poésie. Docteur en astrophysique passée au journalisme, elle avait déjà prouvé, à Marianne, que la rigueur scientifque s’associe fort bien à l’humour. Son exploit, c’est d’inviter les meilleurs de chaque discipline à transmettre leurs savoirs aux enfants. Selon la précision rituelle, les livres qu’elle publie
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s’adressent à un public de 7 à 11 ans, mais les parents et éducateurs ne perdront rien à les lire avec leurs enfants. Ils découvriront les étoiles avec Hubert Reeves, la génétique avec Axel Kahn et les ancêtres primates avec Brigitte Senut. Le dernier ouvrage paru invite à considérer notre bien le plus précieux, rien de moins que la planète Terre, avec son atmosphère et son climat. Après avoir scruté le ciel étoilé des nuits d’été avec Reeves, Anna Alter regarde les couleurs du jour, par tous les temps,
avec le climatologue Hervé Le Treut. Nos auteurs trouvent une jolie formule pour résumer l’angoisse qui motive la conférence sur le climat. Elle a de la fèvre, la Terre, tout simplement ! Chaque degré de réchauffement est le signe d’une maladie et cette température peut se révéler redoutable. Comme les convulsions d’un enfant. Le cycle de l’eau, des glaciers à la vapeur, coule de source quand les connaissances s’énoncent sans jamais saturer le récit. Car la méthode n’est pas la
démonstration mais la narration : le climat a une histoire, mêlée à l’évolution des organismes vivants. L’humanité porte donc une responsabilité, elle qui peut dégrader la nature, mais ne sait comment la réparer. Avertir les enfants de ce qu’ils trouveront après le passage des générations précédentes, c’était la moindre des choses. n GUY KONOPNICKI Collection « Sur les épaules des savants », sous la direction d’Anna Alter, Le Pommier. Dernier ouvrage paru : Sur quelle planète bleue ai-je atterri ? avec Hervé Le Treut, ill. de Lucie Maillot, 48 p., 13,90 €.
Le sexe des anges
musique
dr
film
benjamin “jiben” sire (au centre) partage un November. Bouleversant.
Un beau mais triste Sire
dr
I
tangerine Un guide imagé et déjanté de la survie sous le soleil de LA.
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oyeux Noël, pétasse ! » Ça commence comme ça. Deux splendides créatures, l’une blonde, Sin-Dee (Kitana Kiki Rodriguez), l’autre black, Alexandra (Mya Taylor), se partagent un pauvre beignet dans une ville sans guirlandes. Los Angeles comme vous ne l’avez jamais vu, des rues vides sous un méchant soleil. Kitana et Mya à la ville comme à l’écran sont des transsexuels et sous le regard empli de considération sans complaisance du réalisateur Sean Baker, elles vont enfammer une fction survoltée où transpirent sans fard sous leur maquillage des bribes de leur propre vie. Sexe, drogue et bordée de mots crus. Cela devrait être glauque, cela pourrait paraître sordide. Et c’est tout le contraire. On est aussitôt saisi d’une euphorique empathie pour Sin-Dee et Alexandra, pour leurs misères et leurs colères. Sin-Dee sort d’un petit séjour en prison, son Jules en a profté pour la tromper. Galopant sur ses talons-échasses, elle traque sa rivale pour la tabasser. Alexandra fait de la retape pour un concert qu’elle donne le soir. La voilà chantant doucement dans un bar déserté, et c’est elle à la fn qui
glisse un billet au tenancier. Payer pour chanter… L’argent dans ce petit monde frelaté ne circule pas comme ailleurs. Tiens, par exemple, le chauffeur de taxi arménien dont on va connaître la famille – dans ce petit appartement, on est soudain à Erevan –, cet homme maussade et doux a de drôles de pratiques, il charge des prostituées pour son usage personnel, mais qu’attend-il… d’elles ? Il y aura un fnal éruptif avec toute la troupe dans le boui-boui à beignets. Puis le calme revient. Et, comme au début, les deux reines réconciliées retournent à leur solitude. Le geste qui alors les unit, les réunit, cet échange hautement symbolique qui scelle leur poignante complicité est magnifque. Dernière transgression : Sean Baker a tourné son flm avec un iPhone S5, « pour ne pas effrayer les acteurs débutants avec une caméra ». Le déf va jusque-là, il y a plus de cinéma et plus de beauté dans Tangerine, porté, emporté par un amour et un respect indéfectibles pour ses personnages en marge, que dans bien des superproductions plus huppées. n DANIÈLE HEYMANN Tangerine, de Sean Baker. Sortie le 30 décembre.
want to fade, I want to fy », confe Benjamin « Jiben » Sire, sur November, le titre de son album. Un titre qui évoque le mois de naissance de son compositeur, mais aussi celui du décès de son père, Gérard Sire, l’une des grandes voix radiophoniques du siècle dernier, et qui, aujourd’hui, à la suite des attentats djihadistes à Paris et à SaintDenis, trouve, bien malgré lui, une résonance particulière. Car celui qui l’a composé dans une sombre mélancolie le peaufne depuis huit ans, dans l’expérience de la douleur à laquelle le confronte quotidiennement la spondylarthrite ankylosante, une maladie auto-immune infammatoire et sclérosante touchant la colonne vertébrale, affectant les articulations, l’empêchant de toucher un instrument. Mais Sire s’est refusé à en être son jouet, à baisser les bras, à abandonner la musique. Il a entièrement pensé, conçu et composé ce nouvel et troisième sobre album solo, par MAO (musique assistée par ordinateur), avec pour seuls compagnons des logiciels, des instruments virtuels et une souris. Lui qui était pourtant accoutumé à la défagration partagée du rock et à ses mélodies fougueuses, comme l’atteste le magnétique Chair Memories, écrit sous infuence du cabaret berlinois des années 30 et sorti en 2008, s’est mué en conteur onirique. Sa pop numérique et acoustique, bien que construite sur des échantillons, ne s’en révèle pas moins naturelle et organique. Car sa voix, tout à la fois chuchote, s’enfamme et dessine, sur des arrangements minimalistes, des couleurs, des ambiances et des paysages émotionnels bouleversants. A l’image de Look, de Warm et de She’s My Man, où les violons répondent au piano, véritable âme de ce disque, qui fait entendre l’une des voix les plus singulières et les plus touchantes de la scène française actuelle. Une voix que la douleur n’a pas réussi à faire taire, mais à faire renaître. n MYRIAM PERFETTI November, de Benjamin « Jiben » Sire, Chancy Publishing.
18 au 23 décembre 2015 / Marianne / 83
jouets Quelle époQue Quelle époQue ! ! 8 millions d’enfants entre 0 et 10 ans en france – 3,4 milliards d’euros : le
le MARCHé Du MoINS De 10 ANS
84 / Marianne / 18 au 23 décembre 2015
chiffre d’affaires hexagonal du jeu et du jouet.
Les Français ont beau être à sec, ils continuent de famber pour leurs chérubins. A Noël, ils ont même prévu de dépenser en moyenne 186 € pour eux, soit 24 € de plus que l’année dernière. Le pactole de l’enfant roi ne souffre aucune restriction. Jouets, vêtements, audiovisuel, alimentation, les professionnels du secteur jubilent. Par Julie rambal. Photos : martin Pietz
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lors que la récession bat son plein, le marché du joujou, lui, est en pleine forme. Il s’enorgueillit d’une vigoureuse croissance : 2 à 5 % par an. La France est le deuxième pays européen consommateur de jeux et de jouets, derrière la Grande-Bretagne, dans un secteur qui annonce un chifre d’afaires de 15 milliards d’euros. Mais tout ce qui touche de près ou de loin les moins de 10 ans (ils sont 8 millions en France) rapporte gros : livres pour enfants (7 % de croissance en 2014), nippes, loisirs, alimentation… Au point que même Pôle emploi encourage ses chômeurs à se tourner vers « les métiers liés à l’univers de l’enfance : un marché qui ne connaît pas la crise ». Les adultes cherchent-ils massivement à compenser l’horreur du monde extérieur en surinvestissant l’enfance, dernier bastion d’innocence aux doux efuves de Soupline ? Selon une enquête Institut Juniors & Co (2013), 66 % des parents afrment faire des sacrifces personnels pour ne pas réduire les dépenses consacrées à leurs bambins, tandis que 29 % se disent prêts à en faire. En tête de ce nouvel arbitrage : les cours particuliers (30 %), les soins de « confort » type orthodontie (29 %) et les vêtements de marque (25 %). Alléchés, les commerçants bombardent les jeunes pousses de nouveautés. Certains excitent le désir en déclinant un même concept gagnant à toutes les sauces bien roboratives : Lego, livres, déguisements, fgurines, bonbecs, draps, montres, calendrier de l’Avent et autres babioles Star Wars, Reine des neiges, Lapins crétins, Petit Prince et tutti quanti. D’autres jouent sur la culpabilité parentale – de léguer une planète toute pourrie – en ofrant un marché du réconfort : peluches garanties non fabriquées par des gosses du tiers-monde, goûters bio ou, mieux, sans gluten, réédition de vieux jouets datant de l’enfance des géniteurs, quand le monde n’était pas encore trop détraqué. Et, prolos ou bobos, tous les parents foncent en caisse !
MaMans gâteaux et papas kangourous jeunesse endiablée Aguerrie par son expérience de terrain – deux garçons de 5 et 13 ans –, Sandra Salazar a lancé The Rocking Company, griffe de mobilier design pour trublions craquants. therockingcompany.fr
Ce surinvestissement accompagne une époque boursouflée de narcissisme, où l’enfant est autant une valeur refuge qu’un prolongement idéal de soi. Selon le psychanalyste Michaël Stora : « On n’est plus à l’ère de l’enfant roi, mais de toute la famille royale, où chacun doit briller, être le miroir de l’autre, ne pas décevoir. La période entre 0 et 10 ans est d’autant plus investie que l’enfant n’est pas entré dans le processus › 18 au 23 décembre 2015 / Marianne / 85
quelle époque ! jouets › adolescent. C’est un âge où les parents restent
les seuls repères, le petit réclame toujours des câlins, il est gratifant. Alors qu’à l’adolescence il peut s’opposer jusqu’à ne plus supporter de voir ses parents manger devant lui… Ce qui les plonge dans la dépression ! » Ce paradis perdu de l’enfance a une nouvelle vitrine : les « mamans blogueuses ». Sur des sites aux jolis tons pastel, elles livrent leurs recettes de gâteaux d’anniversaire faits maison (en forme de Reine des neiges ou de Dark Vador, bien sûr), leurs adresses de créateurs pour garnements modèles ou leurs ateliers pour petits génies en herbe (manga, cuisine, cinéma, architecture… dès 18 mois). En France, on compte déjà 250 « e-fluent mums » (mamans infuentes du Web). Mais aussi, désormais, des papas blogueurs (« Blog à papa », « Daddy Cool », « NousLesPapas »…), visiblement plus fiers de porter « bébé » en kangourou que se traîner chaque matin vers leur entreprise en plein dégraissage. Sabine, créatrice de vêtements enfantins, passe ses journées à négocier des partenariats commerciaux avec ces parents prescripteurs et avoue… qu’ils la gonfent ! « Sur Instagram, ils exhibent toujours les mêmes clichés parfaits : une chambre enfantine à la déco rétro scandinave, le berceau en rotin, des jouets en plastique politiquement correct ou en bois, les petits pulls branchés avec des nounours ou des chats dessinés à main levée. Bien sûr, les fratries se font des bisous au lieu de se taper dessus, et toute la famille fait de jolies activités manuelles ensemble ! »
Des chouchous flippés-fliqués Dernière tendance de cet eldorado mercantile ? Le « marché de l’anxiété parentale », avec des jeux éducatifs dès le berceau (Baby Einstein et autres pour préparer le petit à l’ENA), l’explosion du school business (cours parascolaires censés pallier une école dont les parents ne sont plus satisfaits) et de nouveaux gadgets pour fiquer le petit trésor : montres équipées d’un GPS (Jumpy, Linkoo), au cas où le grand méchant loup croiserait sa route, matelas connecté (Sleepikids) analysant ses séquences de sommeil. « Les parents semblent de plus en plus désireux de donner toutes les chances à leur enfant, lui ofrir le meilleur, investir dans son avenir. Mais ils lui apprennent peut-être aussi un manque d’indépendance, note Jaimee Gong, créatrice du blog « Yoyo Mom ». On les chouchoute de plus en plus, mais on ne leur apprend plus à aller dans la rue tout seuls. » Trop dangereux ! Allez, on respire bien fort et, pour Noël, on leur ofre des jouets sympas. Et sans projection pathologique ! n J.R. 86 / Marianne / 18 au 23 décembre 2015
le BéBé Rp 0-2 ans Tout petit et déjà connecté ! Habitué aux risettes, ultraéveillé à la sociabilité, il ne parle pas encore mais communique déjà…
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out commence avec les funestes poussettes orientées vers la rue et ses mille monstres, remplaçant les landaus protecteurs où bébé gardait les yeux rivés sur l’astre de ses jours : sa maman. Fini le face-à-face exclusif, qui vous initiait à « l’autre » plutôt qu’aux autres. Zou, dans le monde de l’hypercommunication ! Pis : bébé RP est l’attaché de presse de ses parents. Dès la clinique, « maman » balance des photos de son accouchement ou ses tétées sur les réseaux sociaux (de Moundir, décérébré de la téléréalité qui a « live tweeté » l’accouchement de sa femme, à Gisele Bündchen, posant avec marmot accroché au téton). Puis elle va dans un « poussette café » plastronner avec ce prolongement phallique, surnommé « Mon Petit Bout », qu’elle trimballe dans un gadget à 1 000 € (telle la Longboard Stroller de Quinny : mi-poussette, mi-skateboard). Babychou, qui a parfois hérité d’un prénom qui lui fchera la honte plus tard (genre Crotte ou Radis), ou tendance monument aux morts 14-18 (Jules, Emile, Eugène…), bave avec joie sur ses bodies branchés (45 € les deux bodies Stella McCartney), avant de piquer un roupillon au son de sa radio dédiée (BabymixRadio) qui diffuse J’fais pipi sur le gazon. Il fait bien de reprendre des forces. Au réveil, il aura droit à de nouveaux jeux d’éveil (collection Montessori, Nature & Découvertes, par exemple) dont il sent bien que ça rassure papa et maman de s’y intéresser…
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pouR NoËl ?
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e la douceur ! « Les bébés sont des êtres très émotionnels, pulsionnels et poétiques, prévient Michaël Stora. Il faut les laisser être des bébés, ne pas chercher à en faire des champions des compétences cognitives avec des jouets d’éveil délirants. »
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1 - BéBé scouBiDou tel un chef d’entreprise, il trône dans un mobilier inspiré du design tropicaliste des années 50. La chaise existe en trois tailles, et peut supporter jusqu’à 150 kg (hauteur d’assise 22 cm). Chaise Tica Baby, The Rocking Company, 69 €, therockingcompany.fr
2 -puzzle écolo jeu en bois issu de forêts jurassiennes durablement gérées, fait main, qui permet d’assembler quatre fgures d’animaux. Animals Blocks, Les Jouets libres, 19,50 €, lesjouetslibres.fr
3 -pull tRicoté Mamy Factory propose vêtements et accessoires tricotés « par nos grands-mères françaises », avec la photo de la tricoteuse !
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Pull Eugène en laine et alpaga, 65,50 €, mamyfactory.com
4-Kit DouDou L’illustratrice Clémentine Collinet propose des objets à faire soi-même, dont ces doudous en feutrine avec une bonne tête. Kit doudou La Sardine, 28 €, sardineshop.bigcartel.com
5 -MoutoN à Bascule Permet dès 2 ans de se balancer, mais aussi d’actionner les roues pour le promener dans la maison. Mouton à bascule en laine Vilac, 99 €, wombconcept.com
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POUR NOËL ?
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lutôt des jeux qui défoulent pour petit punk d’appartement. « L’inconscient est encore très présent, on retrouve dans leurs dessins ce que certains grands peintres abstraits recherchent. Ils ne sont que couleurs et émotions, et leur grand plaisir est d’en mettre partout. Il faut laisser ce plaisir pulsionnel s’exprimer », affrme le psy.
1 -DÉgUIsEmENT Pour échapper au Marvel aux faux muscles rembourrés grotesques, ce superhéros imaginaire le laissera inventer ses propres histoires. Déguisement superhéros Gaspard et Zoé, 29,90 €, gaspardetzoe.fr
2 -gUITARE sèCHE Sa gratte Vilac, marque française installée dans le Jura, vous cassera peut-être les oreilles, mais canalisera son inépuisable énergie. Guitare arlequin Vilac, 24,90 €, wombconcept.com
3 -CAssE-bOîTE L’héritier a envie de tout casser ? Laissez faire. Mais avec la version mousse du vieux chamboule-tout, qui limite les dégâts. Casse-boîte en mousse Oxybul, 18,99 €, oxybul.com
4 -COLORIAgE DE TAbLE Créé par deux anciennes des Arts déco, Omy propose toute une gamme de coloriages, du poster géant aux sets en papier. C’est mieux que de gribouiller sur les murs.
LE DÉLINQUANT EN COUCHE-CULOTTE
Sets de table à colorier, 14,90 €, omy.fr
2-5 ans
Il entre dans sa phase d’opposition et vous regarde “avec une haine phénoménale” quand vous le frustrez. Certains parents vivent très mal cet “âge de la barbarie”, selon Winnicott.
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5 -bALLON sAUTEUR Comment l’épuiser effcacement ? Avec ce ballon muni de poignées pour bien se tenir. Une demiheure de bonds et il devrait se calmer. Ballon sauteur nature & Découvertes, 9,95 €, natureetdecouvertes.com photos dr
remières phases d’autonomie avant la socialisation et l’entrée en maternelle. C’est l’âge du non, mais aussi de l’éducation à la propreté, qu’autrefois on nommait dressage (brrr !) et qui donne lieu à un business délirant : « Calendrier d’apprentissage » à l’effgie du dessin animé Cars ou Blanche-Neige, cibles fottantes pour viser dans la cuvette (pour garçon, of course), montre (Potty Watch) pour sonner bébé quand c’est l’heure de se visser sur le pot… C’est également l’âge où certains parents, anxieux de l’entrée au CP et de l’apprentissage de la lecture, croient bien faire en anticipant et en surstimulant le petit avec des applis « éducatives » (Le Bonheur de lire dès 3 ans), des puzzles alphabet, des jouets pour « apprendre en s’amusant », ou des cours d’anglais précoces (Les Petits Bilingues et autres)…
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Quelle époQue ! jouets tee-shirt à colorier, Koa Koa pour découvrir les organes du corps…
le pRINCe SAVANT 6-8 ans
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ttention à ne pas tomber dans le syndrome la Promesse de l’aube, l’autobiographie de Romain Gary ! « Certains parents projettent leurs ambitions et confrontent leurs enfants à des savoirs non adaptés. Une fois adulte, transgresser les règles du surmoi est plus simple que de transgresser l’idéal du moi… » rappelle Michaël Stora.
L’ex-pervers polymorphe oppositionnel se mue en petit faon gracieux (ou en jeune gazelle alerte), avide de comprendre la marche du monde. Age merveilleux, dans l’éblouissement du savoir !
1 - éCHeCS ReVISITéS Dans son sac de voyage qui sert aussi de plateau de jeu, cet échiquier à personnaliser stimulera sa réfexion.
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l devient un petit fonctionnaire manichéen : l’investissement dans le savoir prend le dessus sur le plaisir, on est moins dans la rêverie », explique Michaël Stora. Pour satisfaire ses géniteurs qui attendent tout de lui (après tout, il est leur seule assurance 1 retraite), il se mue en Agnan, le premier de la classe dans le Petit Nicolas, tout gonfé de l’orgueil parental. Pour nourrir sa curiosité, le marché du savoir en culottes courtes se livre une guerre totale. Prince savant (ou princesse savante bien sûr) a ses applis découvertes (glanées sur le site Super Julie : « une enseignante internationale qui teste et sélectionne les meilleures applis ludoéducatives pour enfants de 2 à 12 ans »), ses ateliers dans les musées et ses propres musées (Musée en herbe, etc.), son anniversaire Les Petits Scientifques (pour 200 €, un savant vient à domicile apprendre à ses petits copains des expériences telles que comment réaliser une crotte de nez ou un circuit électrique), ses journaux et mooks aussi chics qu’éducatifs 4 (Sciences & vie junior, Le Petit Quotidien, Georges, Bonbek…), et tout un marché de l’édition jeunesse en plein essor, où même le jeu Cluedo se décline désormais en livres et bandes dessinées. Quand il récite son savoir à la récré, les cancres le chambrent, mais ses parents le rassurent vite une fois rentré en lui affrmant qu’il décrochera le Nobel.
La cour du roi, Les Jouets libres 22,80 €, lesjouetslibres.fr
2 - CAbANe eAmeS Créées en 1952 par Charles et Ray eames, ces cartes géantes s’assemblent pour réaliser des structures tridimensionnelles, belles et poétiques. Eames House Of Cards, 42 €, monpetitart-boutique.com
3 - RepTIleS du SeCoNdAIRe Les fameux Mako moulages, qui permettent de mouler des fgurines en plâtre avant de les peindre, reviennent ! C’est une mère de famille qui a eu la bonne idée de relancer (made in France totalement) ce jeu d’éveil cher à notre enfance. Ici des dinosaures, mais on peut leur préférer les santons de la crèche de Noël. 2
lA FIlleTTe HISTRIoNIQue 6-9 ans Fi des parents féministes. Leurs petites flles persistent à dédaigner les mitraillettes et demander à la Mère Noël des panoplies de princesse ou des “studios coiffure”.
P
our s’attaquer au marché de la fllette, Lego, le légendaire fabricant de petites briques en plastique censées développer l’imagination enfantine, a frappé un grand coup en proposant un Institut de beauté (gamme Lego Friends). C’est dire si ces demoiselles, gavées jusqu’aux yeux de princesses et livres rose pétard jusqu’au rayon jeunesse de la Fnac, sont fattées dans leur narcissisme bien spontané à cet âge, où elles rêvent de ressembler à maman. Au rayon flles des grandes enseignes du jouet, on trouve donc toute la gamme pour stimuler une pétasserie précoce (de la Mallette de beauté Reine des neiges au Studio coiffure de stars Diam’s…). Et des soutifs rembourés pour gamines de 8 ans chez Abercrombie & Fitch. Heureusement, les féministes ont couiné, et la tendance décline. Sauf que ce sont désormais les mères qui sont encouragées à faire de leurs flles des petits clones branchés et valorisants (sur le site de mode enfantine Milk, par exemple, on trouve des gamines trop lookées, dans des séries de mode aux noms pompeux : « L’hiver casual chic », « Bad Hair Day », etc.). Et aucune griffe m’as-tu-vu (Zadig & Voltaire et autres) n’oublie de faire ses « collections capsules » pour fllette.
88 / Marianne / 18 au 23 décembre 2015
Coffret Le monde des dinosaures, 29,90 €, makocreations.fr
4 - INVeNTIoN de géNIe une maquette à monter (et actionner) de la fameuse vis aérienne de Léonard de Vinci. Hélicoptère Léonard de Vinci, 24,95 €, natureetdecouvertes.com
5 - expéRIeNCeS FASCINANTeS Illusions d’optique, principes de physique étonnants, expériences magiques… nourriront sa curiosité. Coffret sciences incroyables, 27,95 €, natureetdecouvertes.com
3
5
LE JEUNE GEEK 7-10 ans Sous le sapin, depuis trois ans, c’est une débauche de jouets connectés : + 21 % rien qu’entre 2013 et 2014 ! Inutile de lutter contre la révolution numérique, mais pas la peine non plus de faire de son gosse un toxico high-tech.
L 1
2
es enfants de 2 à 5 ans sont désormais plus doués pour naviguer sur un ordinateur que nager sans brassards ou faire leurs lacets (étude AVG). Plus inquiétant, les 1-6 ans passent en moyenne trois heures et quarante minutes par semaine devant des écrans connectés, chiffre qui grimpe constamment. Selon une étude Ipsos-Junior Connect, ces pratiques sont favorisées par l’envolée des équipements à la maison : 29 % des 1-6 ans possèdent déjà une tablette, tout comme les 7-12 ans, chez qui « la pénétration dans le foyer » (terme barbare des fabricants) progresse de 10 points par an, et devance désormais l’ordinateur (– 7 points). Dès 7 ans, les gamins reçoivent aussi leur propre console vidéo (74 % des 7-12 ans en ont), permettant notamment à Sony de fanfaronner sur des chiffres records (30 millions de consoles PS4 vendues dans le monde depuis son lancement, en février 2014). Tandis que Disney a déjà sorti aux Etats-Unis sa gamme Playmation, des jouets interactifs (sur les thèmes Iron Man, Reine des neiges et compagnie) qui promettent « un univers de jeu mêlant réel et virtuel » avec interaction entre les fgurines, le smartphone ou la tablette, et un petit bracelet façon smartwatch qui enregistre toutes les performances du petit. Et transmet toutes les données personnelles au fabricant… Dernière mode ? L’atelier de coding (Magic Makers, etc.) où l’enfant, dès 8 ans, peut apprendre à programmer ses propres jeux vidéo.
POUR NOËL ?
L
e psy Serge Tisseron conseille la règle des 3, 6, 9 : pas de télé avant 3 ans, de console avant 6 ans et d’Internet non accompagné avant 9 ans. Mais précise que « les écrans ne nous menacent pas. C’est leur mauvais usage qui nous menace ». En attendant, voici cinq jeux pour les décoller de leur tablette.
3 5
4
1 - TORchE à fabRiqUER Koa Koa propose des box créatives, conçues par des designers : circuit imprimé qui s’allume, fusée à construire,
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1 - ThéâTRE miNiaTURE Avec ses décors et personnages à monter, ou à créer soi-même, ce petit théâtre en carton canalisera les rêves de gloire d’une star en herbe.
Coffret électricité avec deux activités, dont une torche à construire, 35 €, koakoa.fr
1
e pas rester sourd à l’appel du girly, mais opter pour des jeux qui développent l’imaginaire. Et éviter tout excès. « C’est un âge où il y a beaucoup de pudeur, prévient Michaël Stora. Les flles trop « adultifées » dans leur séduction développent des anxiétés précoces. »
2 - chiEN iNTERacTif Il marche, aboie, roule sur le dos, répond aux ordres assis, couché, debout, réagit aux caresses et joue à la baballe. Chien Zoomer, 109,99 €, joueclub.fr 3 - GéO mOdERNE Avec son stylo interactif, ce globe lui apprendra pays, fuseaux horaires, capitales, population, relief, langues, hymnes…
2
Dolls Scénario Contes fabuleux, 25 €, monpetitart-boutique.com
Exploraglobe Clementoni, 64,99 €, oxybul.com
2- KiT fashiON Un coffret avec tissus, mannequin en bois, modèles, carnet de croquis, aiguille et fl pour faire sa propre mode.
4 - dRONE Un minidrone à trois vitesses, mais sans caméra (pour ne pas fiquer les voisins), qui tourne à 360° et le changera de la PS.
Coffret créateur de mode, nature & découvertes, 37,95 €, natureetdecouvertes.com
3 - PERLEs Une tiare de princesse tarte ? Jamais ! Avec ces jolies perles, elle créera plutôt des bijoux sortis de son imaginaire. Mes parures créatives, nature & découvertes, 24,95 €, natureetdecouvertes.com
4 - sKaTE LUmiNEUx Pas de raison de laisser le skate-park aux garçons ! Cette planche a les roues qui s’allument et brillent dès qu’elles tournent. Skate Oxybul, 39,99 €, oxybul.com
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Quadricoptère X-Drone 39,95 €, natureetdecouvertes.com
5 - ENqUêTE POLicièRE Un jeu de piste pour décrypter empreintes, traces au sol, codes secrets, portraits-robots. Labo des détectives, 24,95 €, natureetdecouvertes.com 18 au 23 décembre 2015 / Marianne / 89
photos dr
POUR NOËL
quelle époque !
Mise en exaMen
M
ettez un pied chez Google, et il vous avale la jambe ! Partez en chasse sur ce moteur de recherche tentaculaire ou utilisez son service de messagerie électronique, il se fera un plaisir d’aspirer vos données personnelles. Facebook ? Ce n’est pas mieux. Vous venez de faire une nouvelle rencontre et vous enregistrez son numéro dans le répertoire de votre téléphone ? Comme par hasard, le réseau social vous suggère quelques heures plus tard de l’ajouter à votre liste d’amis. Les entreprises du numérique tirent leur force de leur position hégémonique. C’est bien parce qu’elles sont puissantes, globales, envahissantes, qu’elles parviennent à satisfaire notre soif de recherche et nos pulsions de sociabilité. Malgré tout, certains aventuriers sont en quête de solutions numériques alternatives, et parviennent à leurs fns… avec plus ou moins de succès. n
Petit guide de l’alternuméri Arrogants sous une bonasserie apparente, avides, intrusifs, les géants du numérique, en position de quasi-monopole, agacent. Heureusement, on peut (parfois) les feinter ! PAR JEAN-PHILIPPE PISANIAS
anti-WindoWS t si vous (re)découvriez
e
anti-google omme Edward
C
Snowden, qui révéla au monde le scandale d’espionnage de la NSA, l’agence de sécurité américaine, utilisez DuckDuckGo. Ce moteur de recherche n’enregistre pas votre historique de recherches, pas plus qu’il ne trace votre navigation à l’aide de cookies, ces infernaux petits logiciels mouchards qui se glissent dans nos ordinateurs à notre insu. Lancé en 2008, DuckDuckGo revendiquait en mars dernier 9 millions de requêtes quotidiennes, contre 1 million en 2012. Pour info, Google firte avec les 3 milliards. Ça calme.
90 / Marianne / 18 au 23 décembre 2015
anti-iPhone quipez-vous d’un
e
Fairphone, téléphone équitable imaginé par une start-up néerlandaise. Tel un Lego, ce terminal possède un design modulaire permettant d’améliorer sa longévité et sa capacité de réparation puisque, en cas de panne, il est possible de remplacer la pièce défectueuse plutôt que
balancer son joujou entier à la poubelle. Ethique, la start-up ne solliciterait pour la fabrication de son téléphone que des soustraitants asiatiques qui veilleraient à garantir une juste rémunération à leurs employés. Elle s’assure également que des élections de représentants du personnel soient organisées. Fairphone 2 : 525 €. fairphone.com
les logiciels libres ? Choisissez Ubuntu, un système d’exploitation open source dont les fonctionnalités et l’environnement graphique n’ont rien à envier à un grand. Un peu plus cassetête à installer, mais vous ne serez pas dépaysés. llez chercher la qualité Pour la petite histoire, sur une plate-forme sachez qu’ubuntu serait concurrente, Vimeo, un ancien mot africain qui repaire de créateurs signiferait « humanité ». et de vidéastes inspirés. Créé en 2004, le nom de ce portail – contraction de video (« vidéo », en nscrivez-vous sur anglais) et de me (« moi », le réseau social en anglais) – est également Ello, qui bannit l’anagramme de movie (« flm », en anglais). Signe toute publicité. Mais dépêchez-vous : des ambitions créatives n’ayant pas vraiment des fondateurs du site. conquis le grand « a time lapse Collection », public malgré un buzz de Simon Christen, à voir tonitruant au printemps sur https ://vimeo.com/94923911 dernier, il tente de se relancer sur mobile avec une application disponible seulement pour les utilisateurs d’iPhone. Passera-t-il l’hiver ?
anti-Youtube
a
anti-FaCebook
i
anti-sPotify etournez acheter des
que
r
vinyles, un marché de niche qui résiste face au tout-numérique ! C’est que DJ, musiciens, collectionneurs et amateurs ne lâchent pas l’affaire. Organisé chaque année, le Disquaire Day, qui célèbre leur passion pour le microsillon, ne faiblit d’ailleurs pas. Prochaine édition : le samedi 16 avril 2016, à Paris et dans toute la France, chez des disquaires indépendants qui promettent la mise en rayon d’éditions limitées. Platine vinyle transportable pour convertir 33-t et 45-t en mP3, bathroom graffti, 99,90 €.
r
eplongez dans les joies de l’argentique avec le tout nouveau Lomo’Instant Wide, un appareil instantané compatible avec des flms Fujiflm qui produit des imagettes de la taille d’une carte de visite. Nostalgiques du tirage papier ? Avec l’application Cheerz, il est possible,
un ad-blocker sur son ordinateur. De leur côté, certaines régies publicitaires puissantes n’hésitent pas à payer une dîme à Adblock Plus contre quelques centimes pour que celui-ci laisse d’euro, de transformer passer malgré tout omme deux internautes vos meilleurs clichés leurs publicités. Bienvenue français sur 10, utilisez numériques en vignette dans le Far West de la un ad-blocker, ou physique à coller sur publicité en ligne ! « bloqueur de publicités un album. Enfn, depuis en ligne » comme Adblock plusieurs années, Plus. Seulement voilà : des tas de prestataires en installant ce type proposent de créer, écouvrez Weibo, de logiciel sur votre à partir de vos images le Twitter chinois navigateur, vous mettez en prises avec un aux 212 millions smartphone, des albums péril le modèle économique d’utilisateurs. Au des journaux, privés qui prennent la forme préalable, mettez-vous au de leurs recettes d’un livre d’images, mandarin. publicitaires puisque avec reliure, papier les bandeaux de pub glacé et tout ne s’affchent plus et tout. Le cadeau idéal sur l’écran. En novembre, pour mamie, qui se plaint de le journal Bild vous voir si peu. a pris une décision radicale : bloquer lomo’instant Wide, le contenu (gratuit) à partir de 199 €. de son site à tout en précommande sur shop.lomography.com/fr internaute ayant activé
antiPub
C
anti-tWitter
d
anti-iPad ouscrivez
s
à l’élégante tablette Jolla. Lauréate au Mobile World Congress 2015, elle est dotée d’un système d’exploitation libre, compatible avec toutes les applications Android. Cela dit, ne soyez pas pressés : son fabricant, fnlandais, qui traverse une crise fnancière, vient de repousser la production de masse de son terminal. Espérons donc que Jolla ne fnisse pas habillée en jolie Arlésienne.
photos : dr
antiinstagram
18 au 23 décembre 2015 / Marianne / 91
quelle époque !
saveurs d’en france
c’éTaIT Il Y a quaranTe ans
la soupe auX Truffes noIres vGe Créé en 1975 par Paul Bocuse en l’honneur du président de la République française, ce plat légendaire est toujours à la carte du meilleur restaurant du monde. Un monument.
critique à l’Express et homme du goût, Claude Lebey suggéra d’organiser un déjeuner dans les salons du palais de l’Elysée à l’occasion de la remise de la Légion d’honneur au chef de cuisine par le chef de l’Etat. La plus haute décoration nationale sur le plastron d’un cuistot, fût-il très célèbre, paraissait incongrue à certains. D’autant que l’idée était née d’un canular avec imitation de signature et faux papier à en-tête de l’Elysée. Averti de la blague, Giscard la trouva drôle et décida d’authentifer l’acte. Cela ne s’était pas vu depuis 1919, année où Auguste Escoffier, chef des chefs et codifcateur culinaire, fut fait chevalier de la Légion d’honneur par le président Raymond Poincaré en personne. Quand la République banquetait… Désireux de rendre hommage à son hôte, Paul Bocuse inventa un plat pour la circonstance : la soupe aux trufes VGE. Mise au point dans ses cuisines de Collonges-au Mont-d’Or, la recette sera servie le 25 février 1975, suivie d’un saumon de Loire à l’oseille préparé par Jean et Pierre Troisgros, puis d’un canard façon Michel Guérard, dans la salle à manger de l’Elysée, en présence d’un glorieux aréopage étoilé et du couple présidentiel. Un repas convivial que le récipiendaire avait souhaité « entre amis » : au moment de percer le feuilletage recouvrant le bol à potage pour accéder à l’insigne fumet, Bocuse s’adressa à Giscard en lui disant : « Alors, on casse la croûte, monsieur le Président. » Le sommelier du Château n’avait pas lésiné sur l’étiquette en présentant un montrachet 1970, un château-margaux 1926, un morey-saint-denis 1969 et un
F
92 / Marianne / 18 au 23 décembre 2015
à l’époque, le plus grand cuisinier du monde s’appelait paul bocuse. une sommité qui a gardé son statut. uk
ut un temps, assez récent, où la sensation que c’était mieux avant relevait du néofascisme. Aujourd’hui, la question fait débat, surtout sur les terrasses de bistrot du XIe arrondissement de Paris où dans l’isoloir d’un bureau de vote de Tarascon. Ceux qui eurent 16 ans en 1975 se souviennent du peu d’enthousiasme qu’inspirait cette France giscardienne, convenue, confte, conforme, convenable, sept ans à peine après Mai 68, à une jeunesse aspirant à une autre vie. Cette chronique étant gastronomique, nous nous en tiendrons là, histoire de ne pas sombrer dans la nostalgie d’un monde que nous fustigeâmes pourtant de bon cœur et qu’il nous arrive désormais de regretter au vu des trésors que nous apporte la « mondialisation heureuse ». C’était il y a quarante ans. A l’époque, le plus grand cuisinier du monde s’appelait Paul Bocuse, et le président de la République française, Va l é r y Gi s c a rd d’Estaing. Deux symboles d’une société rivée sur ses institutions. Le premier a conservé son statut, le second n e s’est jamai s remis de sa perte. Ami des deux sommités,
Par Périco Légasse au Guide Michelin. Une distinction dont le grand chef s’amuse à l’idée qu’il puisse la perdre un jour : « Je serai le seul cuisinier du monde à avoir attendu cinquante ans pour retrouver ma deuxième étoile au Michelin. » Des gloires dont le patriarche, à ce niveau d’immortalité, et même s’il en est fer, aime à rire. Après le col de la Luère, l’envahisseur allemand, et quelques défs dont son fabuleux destin a été parsemé, Paul Bocuse afronte aujourd’hui un adversaire nommé Parkinson. Idem. On fait face. Et s’il est un peu moins présent en salle, il est là, et bien là. Peut-être même plus encore quand on voit fonctionner la merveilleuse machine de l’auberge du Pont de Collonges, avec la magie d’un univers fantastique où chacun tient son rôle très à cœur.
un mets présidentiel que le chef inventa pour rendre hommage à son hôte élyséen en 1975, qui lui remit la Légion d’honneur.
dr
cuisine voluptueuse, magistrale
champagne Louis Roederer 1926 en magnum, millésime de naissance de Paul Bocuse, qui fêtera donc ses 90 ans le 11 février 2016. Une tranche de France. Le 11 février 1926, le président de la République s’appelait Gaston Doumergue et le chef du gouvernement (on disait alors président du Conseil des ministres), Aristide Briand. Une tranche d’histoire. A 17 ans, Paul Bocuse s’était fait embaucher par Eugénie Brazier après avoir franchi à vélo les 36 km qui séparent Collonges-au-Mont-d’Or du col de la Luère, à 715 m d’altitude, où l’égérie de la cuisine lyonnaise transférait chaque été son restaurant triplement étoilé. N’ayant pas besoin de commis, « la Mère » avait été impressionnée par le courage du gamin. Engagé volontaire dans l’Armée française de libération du général de Gaulle à 18 ans, blessé en Alsace, sauvé par des soldats américains, il participe au déflé de la victoire, le 18 juin 1945. Une tranche de vie. Autant dire qu’il la mérite, sa Légion d’honneur, « M. Paul », aujourd’hui commandeur, à laquelle s’ajoute, dans un autre registre, cinquante années avec trois étoiles
Auberge du Pont de Collonges, restaurant Paul Bocuse, 40, quai de la Plage, 69660 Collongesau-Mont-d’Or. Tél. : 04 72 42 90 90. Soupe aux truffes noires VGE : 85 €. Menus cadeaux à offrir : « Classique » (165 €), « Bourgeois » (220 €) et « Grande Tradition » (255 €).
Aux ordres attentifs du commandeur, ses lieutenants, Vincent Le Roux et François Pipala, font vivre le restaurant, tandis que Christophe Muller et Gilles Reinhardt, meilleurs ouvriers de France, s’activent en cuisine. Il n’est que de voir la ferveur qui les anime pour comprendre que la force est en eux. Pour qui fréquente les grandes enseignes de la restauration française, le plus frappant est le contraste entre ici et ailleurs. Paradoxe, c’est dans ce monument historique, institution solennelle de la grande cuisine classique, que l’on se marre le plus, que le bonheur déborde dans le service et l’assiette. Les regards hilares avec la table voisine, les applaudissements collectifs chaque fois que l’orgue de Barbarie entonne un heureux anniversaire, les rires tendres des convives émerveillés par une mise en scène aussi festive, là est la magie de Collonges. Rien à voir avec ces temples guindés du rata branché, plus proches des vêpres vaticanes que de la kermesse à Paulo. Et puis cette cuisine, opulente, voluptueuse, magistrale. Hors d’âge et pourtant si moderne dans sa sensorialité, son enthousiasme. Et tellement décalée par rapport aux codes actuels d’une restauration noyée sous les subterfuges techno-médiatiques d’un genre déraciné qui carbure à l’épate ou au délire. Il n’y a pas qu’à la télé que Cyril Hanouna a remplacé Bernard Pivot. Alors, oui, cette soupe aux trufes VGE mérite un détour par Collonges-au-Mont-d’Or. Servi dans une soupière à « gratinée » lyonnaise, cuit à l’étoufée grâce à une pâte feuilletée formant un dôme hermétique sous lequel les parfums restent concentrés, ce mets est composé d’un bouillon de volaille au blanc de poulet de Bresse avec de la trufe fraîche, du céleri-rave, de la carotte, des champignons de Paris, du foie gras et un soupçon de noilly-prat. Quel plaisir royal, lorsque la croûte est cassée, de humer ce nuage de senteurs intenses, profondes, persistantes, puis de savourer le sublime assemblage en laissant les arômes envahir le palais et les narines ! Une soupe paysanne revue avec amour et panache par un maître de cuisine qui voulait honorer la France. C’était il y a quarante ans. n 18 au 23 décembre 2015 / Marianne / 93
quelle époque !
on passe à table
Par Périco Légasse
GILLES VÉROT
passIonnéMent CHaRCutIeR Dans le cochon, tout est bon. Tout est grand, est-on tenté de s’exclamer en dégustant les spécialités de cet artisan entré en charcuterie comme d’autres en vocation. L’équivalent de la haute couture, version pâté, saucisse et jambonneau, mais aussi foie gras et saumon de rêve. Une adresse où les repas festifs s’ennoblissent. teRRInes et pâtés de Gilles Vérot : au lieu de dépenser des fortunes en grande surface pour des foies gras infâmes ou des produits “de luxe” galvaudés, il vaut mieux s’offrir une vraie terrine artisanale ou une charcuterie maison préparée avec amour à un prix bien plus légitime. périco légasse
L
e génie français s’exprime dans les arts, la culture, la science, la pensée, les prouesses universitaires et technologiques. Il peut être industriel ou artisanal, se traduire par des poèmes ou des brevets, des monuments ou des recettes. Un univers sensoriel où cette nation trouve une source inépuisable de gloires culinaires. Et puis il y a le cochon. Le cochon dans sa dimension culturelle, en ce sens qu’à partir de la chair du prodigieux animal des talents déclinent l’équivalent d’une symphonie, d’une fresque, d’une saga, voire d’un opéra ou d’un conte philosophique. Les plus dubitatifs s’en persuadent en dégustant le saucisson pistaché, le jambon persillé, le pâté en croûte ou le fromage de tête de Gilles Vérot.
sauCIsson pIstaCHé pommes à l’huile, jambon persillé, pâté en croûte, ou fromage de tête… Une symphonie, une fresque, une saga que nous offre l’insigne boutique de la rue Notre-Damedes-Champs, à Paris.
teMple poRCIn S’il n’est outrancier d’y voir une ressemblance avec un bijou de la place Vendôme ou un tailleur de la rue Cambon, car la gelée d’une galantine ou le soyeux d’un feuilletage les égalent parfois en perfection, il n’y a pas faute de goût à rechercher le temps perdu dans la poitrine de porc braisée ou voyager au bout de la nuit avec le boudin noir de cet artisan de génie. On sort bouleversé d’un séjour dans l’étroite boutique de la rue Notre-Dame-des-Champs – « qui m’est une province et beaucoup davantage », comme dirait Joachim Du Bellay retrouvant son petit Liré – au vu et au senti du mirobolant étalage. Comme si tout ce que la France compte d’émotions, de passions, de pulsions, était ici rassemblé dans le culte charcutier avec l’incroyable métamorphose du cochon national. Car de pâtés en terrines, de hures 94 / Marianne / 18 au 23 décembre 2015
en cervelas, de rosettes en rillettes ou d’autres préparations galantes dont cet artisan cisèle les secrets, il faut être bien savant pour en tirer noblesse avec cette rigueur. Une fois l’an, Gilles Vérot donne une conférence à Sciences-Po sur le thème de la stratégie commerciale. Pour un charcutier, elle consiste à miser sur le bon cochon et à le sacrifer pour ce qu’il est, l’une des merveilles de notre patrimoine alimentaire, en respectant la diversité de chaque morceau, avec ses rituels et ses contraintes, en
étant à la fois boucher et cuisinier, gastronome et restaurateur. On ne vend pas du jambon à l’os comme une boîte de conserve, mais en le racontant avec une certaine faconde. Chez les Vérot, la transmission des valeurs dure depuis trois générations. C’est donc dans un temple dédié à un dieu vénéré dans sa complète diversité que pénètre l’amateur de saucisse et d’andouille. La période des fêtes s’inscrivant plutôt dans un schéma rédempteur, surtout en 2015, nous franchirons le seuil de cette maison avec ferveur. La cochonnaille est une liturgie comme les autres, avec ses autels, ses calices, ses ofrandes, et si le père Gilles Vérot veut bien célébrer son office en mettant le doux jésus dans la crèche, nous communierons ensemble autour de son jambonneau. Après ce qu’il a vécu, Paris vaut peut-être mieux qu’une messe. Savourez en paix. n Charcuterie Gilles Vérot, 3, rue Notre-Damedes-Champs, Paris VIe. Tél. : 01 45 48 83 32. Et 7, rue Lecourbe, Paris XVe. Tél. : 01 47 34 01 03.
PIEDS DE PORC FARCIS AU FOIE GRAS ET AUX TRUFFES
Les CendriLLOns de girardeau
Q
uand le pays va mal, la meilleure solution est encore d’aller chez le charcutier. Au moins les programmes y sont-ils en chair et en os, et les promesses, tenues. Soucieux du bonheur de ses concitoyens, surtout lorsque approche la fn de l’année, l’artisan s’active à l’élaboration des chefs-d’œuvre qui garniront la table festive sans dépense excessive. Installés au pied du château de Saumur, au bord de la Loire, en Anjou, Gérard et Sébastien Girardeau ont pris le parti d’afronter la morosité nationale à coups de pieds de porc farcis. Mais pas farcis avec n’importe quoi, sinon avec du foie gras et de la trufe, puisque l’abus de bien, dans la mesure où il est social, n’est pas répréhensible en gourmandise. Par allusion à la
jeune fille en haillons transformée en princesse dans le conte de Perrault, les Girardeau ont ainsi baptisé leur création qui consiste, après une intervention de haute précision, à métamorphoser en prince un simple pied de porc campagnard. Une merveille qui sub-
jugue les papilles par l’onctuosité des textures, l’intensité des sucs, la fnesse des jus et la persistance des arômes issus de la rencontre de la trufe et du foie gras. Dans leur version première, ces pieds de porc sont travaillés avec amour, désossés, enrichis d’une garniture dont les Girardeau ont le secret, puis enroulés dans une gaine qui, au fur et à mesure de la cuisson, se transforme en croûte craquante et nacrée. L’idéal est de les disposer sur une plaque et de les passer au four durant dix minutes en veillant à les saisir légèrement au gril sur la fn, pour les dorer. Après quoi, il convient de les manipuler avec précaution, leur structure fragile risquant de les défaire, en les servant dans leur plat de cuisson. Ne pas hésiter à les honorer avec un grand vin rouge digne de la réplique. Gigantesque ! n périco légasse
Au pied du château de Saumur, Gérard et Sébastien Girardeau proposent des préparations porcines de toute grandeur.
Charcuterie Girardeau, 51, rue Saint-Nicolas, 49400 Saumur. Tél. : 02 41 51 30 33. Pied de porc : 37,95 € l’unité. Cendrillon au foie gras et aux truffes : 7,50 €. Conditionné sous vide et expédié dans toute la France par Chronopost.
sébastien girardeau artisan saumurois, fait preuve d’une créativité qui métamorphose de simples préparations en merveilles gustatives.
TRÉSORS DU VOLAILLER FESTIF
E
n bon maître volailler, Marcel Devineau s’apprête à trousser, barder, rouler, brider et fourrer tout ce qui peut faire la joie d’une table bien dressée. Rendu exigeant par quarante ans de métier, il ne travaille qu’avec des élevages en plein air nourris au grain. Ici, le poulet de race, la poularde bien née et le chapon d’excellence se taillent la part du lion. Exquises en bouche, moelleuses, bien dodues, avec de subtils arômes de noisette et de sous-bois, ses volailles de terroir ont du panache et racontent les paysages qui les ont vues
naître. Expert en palmipèdes, Devineau expose ses superbes canards et oies de Challans avec de généreux magrets de canard du Sud-Ouest. Pourvu que la peau soit croustillante, il n’est rien de plus succulent qu’une belle canette à la broche accompagnée de quartiers de pomme ou de poire braisés dans la cocotte. Enfn, clou de ce spectacle de chair et de plume, les joyaux Tradition des coteaux, signés Xavier Abadie, à Miélan, dans le Gers, déclinés dans une collection d’une dizaine de variétés allant du chapon
cendré au minichapon, de taille idéale pour une tablée de quatre à six personnes, en passant par la poularde, le coq vierge et le pintadou, exquises raretés gastronomiques de ce paradis volatile. Et comme notre artiste a tous les talents, ses terrines de foie gras maison sous vide, dont il ne révèle pas le secret, attirent des connaisseurs chevronnés. Quand le réveillon adore se faire voler dans les plumes. n Le Volailler festif, marché Saint-Quentin, 85 bis, bd Magenta, Paris Xe. Tél. : 01 42 46 07 15. Poulets, poulardes, oies, pintades de race. Chapon de Gascogne, chapon cendré, coq vierge. A rôtir sur commande ou à emporter. Foie gras maison sous vide : 80 € le kilo.
périco légasse
OIES, POULARDES ET CHAPONS
marCeL devineau et ses volailles de qualité au marché Saint-Quentin, dans le Xe arrondissement parisien.
18 au 23 décembre 2015 / Marianne / 95
QueLLe époQue !
on joue
Par Benjamin Hannuna
mots croisés I
trois joueurs s’affrontent dans un coup de texas Hold’em.
II
III
IV
V
VI VII VIII IX
X
1
1. Quelle est la main favorite, la deuxième, la troisième ?
2 3 4 5 6 7
C
A
8 9
B
10
2. Puis viennent les trois cartes du fop. Sur quelle main pariez-vous maintenant ?
Horizontalement 1. Vient du paradis l 2. Vieux roi - Indique quelque moyen - Eut une action clandestine l 3. Moreau au paddock - Ebranlée par des coups répétés l 4. Reliefs changeants - S’ouvre sur le Pacifque l 5. Part de gâteau - Forts de la bataille Faisait suer Cléopâtre l 6. Se fait rouler sur le marché asiatique - Ennemi de la veille l 7. Donne une représentation - Corps gras l 8. Font du rentre-dedans - Rousseau pour un cousin l 9. Risqua un œil - Fait changer de main l 10. Donnent du mouron.
Verticalement I. Jeux de société l II. Permet de joindre les deux bouts l III. Fut un sujet
mongoL
Le sud
solutions du no 974 Mots féchés Lieux où
marseiLLe en 76
pLein
E
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▼
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huîtres
96 / Marianne / 18 au 23 décembre 2015
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Mots croisés ▼
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▼
▼
▼
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huîtres
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comme des ▼ huîtres en béarn
▼
▼
réservée
▼
▼
Poker de ce numéro
1) Avant le fop A : 34 % ; B : 35 % ; C : 31 % 2) Après le fop A : 24 % ; B : 34 % ; C : 42 %
huître (fine de) huîtres
pour Moro - Croque monsieur l IV. C’est une galère sans rames - Est à l’affût dans le bois l V. Sont retournées en Egypte - Couteau de plage l VI. Font partie du premier choix - Fut vêtue d’une peau de bête - Lutte contre les mauvais traitements ou en propose un bon l VII. N’a pas connu l’occupation - Participe l VIII. N’épargne personne - Peut conduire à sacrifer un bouc l IX. S'en prendre aux avocats par exemple - Augmente de volume sous l‘infuence d‘une heureuse détente l X. Direction - Vieux beaux.
▼
mots flécHés
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çA VA mIEUx EN LE DISANT
Par Guy Konopnicki
max rosereau / la voix du nord / maxppp
PLAFOND DE VERRE ET BOULE DE CRISTAL
L
’incantation la plus inefcace de l’Histoire resurgit, d’une manière ou d’une autre, à chaque poussée d’extrême droite. Le « no pasaran » des républicains espagnols demeure comme une prière que l’on prononce afn d’exorciser la fameuse bête immonde, en oubliant qu’à l’époque le fascisme passa et il passa même, ultérieurement, au travers des tourments de l’Histoire. La dictature du général Franco se révéla d’une exceptionnelle longévité, rien de moins que trente-six années. Cependant, la pieuse certitude demeure, ils ne passeront pas. Les croyants, persuadés d’avoir été exaucés au second tour des élections régionales, imaginent qu’un plafond de verre arrêtera toujours la montée du Front national. Invisible comme l’esprit et impénétrable comme les voies du Seigneur, cette construction magique nous protège à jamais et possède en outre de surprenantes propriétés. Car, contrairement à celui des pensions de retraite Sécu, le plafond de verre se relève miraculeusement à chaque consultation électorale. Placé à 15 % dans les années 80 du siècle passé, il monta par la suite à 20, 30, pour atteindre 45 en 2015. Les plus exposés 98 / Marianne / 18 au 23 décembre 2015
mARINE LE PEN devant la permanence du Front national à Lille. “No pasaran” était le mot d’ordre des républicains espagnols contre le fascisme dans les années 30.
bénéfcièrent d’une garantie, comprise dans le brevet de républicanisme décerné par le Parti socialiste. Ils purent ainsi éviter les dégâts occasionnés par les fssures du plafond de verre. Curieusement, les échecs du Front national au second tour sont aussitôt devenus la preuve de l’existence d’une limite infranchissable, dont on avait constaté la disparition, une semaine plutôt. Ainsi fonctionnent les croyances. Les preuves n’ont aucune importance, seule la foi permet de se sentir protégé. Donc le plafond de verre nous protège d’une nouvelle progression du FN, bloqué avec plus de 6 millions de sufrages et une progression sensible entre les deux tours des régionales. Il ne franchira jamais la barre des 50 % lui permettant de remporter l’élection présidentielle… Symboliques ou matérielles, les limites infranchissables ont toujours montré leur efcacité. Aucun général romain n’a jamais conduit ses légions jusqu’aux portes de Rome en franchissant le Rubicon. Pas plus que les Grecs n’avaient réussi à s’introduire de l’autre côté des murailles de Troie.
Nous pouvons attendre tranquillement l’année 2017 ! Même en triangulaire, le Front national n’est pas parvenu à s’emparer d’une région dont on notera qu’elle est adossée à une ancienne limite infranchissable, la ligne Maginot. Ils ne passeront pas, on tiendra jusqu’à perpète, en tapant le carton dans nos casemates inexpugnables. Maintenant que le plafond de verre est réparé ou remplacé, les deux sont possibles selon saint Carglass, les prédictions peuvent reprendre. Les boules de cristal bouillonnent. Elles demeurent confuses quant aux dix-huit mois qui nous séparent de la présidentielle. Croissance, chômage, nul voyant ne s’avance, nul n’aperçoit les signes d’un changement qui permettrait de réduire enfn ces mauvaises humeurs dont on se souvient lorsque les résultats électoraux se montrent désagréables. Ces dix-huit mois représentant, hélas, une longue traversée sous la menace du terrorisme, les boules de cristal ne disent rien des troubles que nous risquons de connaître. Cependant, nos voyants, nos prédicateurs, nos stratèges politiques, savent déjà ce que sera le second tour de l’élection présidentielle 2017. Le premier semble imprévisible, ils en conviennent. D’autant qu’il doit être précédé d’une primaire pour désigner le candidat de la droite. Or, le vainqueur désigné de cette consultation passe fort mal le cap des élections régionales, remportées par tous ceux qui, dans son camp, ne l’écoutaient pas. Cependant, en ignorant les résultats de la primaire de la droite comme ceux du premier tour la présidentielle, les boules de cristal révèlent d’ores et déjà le vaincu du second tour. Nous savons certes, depuis Gabin dans le Gentleman d’Epsom, qu’il est plus facile de trouver le perdant de la deuxième que le gagnant de la première. Mais, pour assurer que le Front national ne peut emporter le second tour de la présidentielle, il faut croire aux boules de cristal et au plafond de verre. n
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