une histoire en chantier(s)
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IMPRESSUM Recherches et rédaction : D’mots d’histoire, Delphine Debons Graphisme et mise en page : Eddy Pelfini Graphic Design Impression : Imprimerie Gessler
© 2018 - Association valaisanne des entrepreneurs (AVE-WBV) ISBN 9782839924528
une histoire en chantier(s) D E L P H I N E
D E B O N S
ASSOCIATION VALAISANNE DES ENTREPRENEURS
une histoire en chantier(s)
s o m m a i r e
Edito par Serge Métrailler 6 Introduction 8 Chronologie Présidents et directeurs de l’AVE
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Construction en pierre et maçons du Moyen Age au XVIIIe siècle 18 De la route Napoléon au tunnel du Lötschberg, un secteur en mutation 34 Faire face aux défis de l’entre-deux-guerres 58 Les Trente Glorieuses : un développement sans précédent 88 Traverser les crises 130
Hier, aujourd’hui, demain… Bâtir l’avenir par Alain Métrailler 170 Notes 174 Bibliographie 183 Crédits photographiques 186 Remerciements 189
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e d i t o
Des gueules titanesques, l’épopée mythique du Valais au XXe siècle, des ouvrages d’art édifiants, des anecdotes symptomatiques… Revivez au travers de cet ouvrage l’aventure des bâtisseurs et de leur corporation, l’Association valaisanne des entrepreneurs, mus par la passion insatiable de construire, de développer un pays, de faciliter son accessibilité, dompter ses ressources, générer des richesses et y apporter le bien-être et la sécurité. Rejoignez ces hommes, toujours à la recherche de l’excellence et de l’innovation, l’esprit constamment en éveil. Fermez vos yeux et asseyez-vous en cette lointaine année 1919 à la table des pères fondateurs, Joseph Dubuis, Baptiste Gianadda et Séraphin Antonioli. A l’heure de coucher sur une page blanche leur vision de notre association et fixer ses lignes directrices, auraient-ils pu, dans leurs rêves ou leurs délires les plus fous, imaginer qu’à peine un siècle plus tard le canton serait doté de 1800 kilomètres de routes, d’une autoroute abordant enfin les confins du Haut-Valais, d’une couronne majestueuse de 42 barrages, de tunnels enfonçant les Alpes pour relier le nord au sud, de téléphériques défiant la gravité et touchant au ciel tels des tours de Babel ? Auraient-ils pu concevoir que la communication passerait par l’immédiateté et que les frontières du monde seraient accessibles au centième de seconde et non plus en kilomètres de voies ferrées et routes carrossables ? Auraient-ils pu envisager des congés payés, des assurances sociales maladie et prévoyance professionnelle alors que l’assurance-accidents venait à peine de voir le jour dans un climat délétère et violent ? Auraient-ils pu seulement songer à une retraite à 60 ans pour tous les travailleurs, à une paix sociale durable et à un partenariat social constructif alors que le fracas de la révolution russe, en ce début de siècle, retentissait jusqu’aux portes de l’Occident ? Faisant leur la devise du général Hoche res non verba, ils ont, à l’image de notre pays, fiable comme la pierre, fier et impétueux comme le Rhône, généreux comme le soleil, précieux comme l’eau de nos glaciers, façonné le Valais d’aujourd’hui, forgé les conditions-cadres du secteur principal de la construction pour assurer la transmission du savoir, du savoir-faire, du savoir-être, bref asseoir la pérennité de la profession. Lourde responsabilité des actes arrêtés puis entrepris que l’auteur, Delphine Debons, fille d’entrepreneur, retranscrit magistralement au fil des pages par ses recherches historiques et ses nombreuses rencontres avec d’authentiques pionniers qui ont toujours privilégié l’action et démontré un courage parfois déconcertant. Je suis tombé sur leur corporation il y a plus de 20 ans. Ils m’ont ouvert à leur monde et à leur philosophie, résumée par ce res non verba que je pourrais interpréter par « sois avare de tes mots mais jamais de tes actions ». Vobis plurimas gratias ago pour cette histoire qui se poursuit, pour ces modèles d’exemplarité et cette opiniâtreté de tous les instants. Janvier 2019, 870 000 heures plus tard, une nouvelle page s’écrit. Longue vie à l’Association valaisanne des entrepreneurs !
Serge Métrailler Directeur
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Introduction
Une histoire de chantiers. Une histoire en chantier(s) Les publications qui abordent l’histoire de la construction en Valais restent rares à ce jour, à l’exception de travaux en lien avec des chantiers d’envergure comme ceux des barrages hydroélectriques ou des synthèses liées à l’histoire des techniques et de l’architecture. L’histoire économique et sociale de ce secteur, de même que son évolution structurelle, n’ont pas fait l’objet d’études spécifiques. Les recherches historiques existantes, notamment sur l’économie, le mouvement ouvrier, l’immigration ou les maisons rurales, fournissent toutefois des éléments essentiels à qui souhaite embrasser ce sujet. Elles permettent en outre de l’intégrer dans un contexte plus général1. A l’occasion de son centième anniversaire, l’Association valaisanne des entrepreneurs (AVE) a souhaité proposer un ouvrage qui, tout en retraçant sa propre histoire, mette également en perspective l’évolution du secteur de la construction, et plus particulièrement du gros œuvre (bâtiment et génie civil). Elle participe ainsi à l’écriture de cette histoire de chantiers… de cette histoire en chantier(s).
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Marquer un temps d’arrêt, faire un pas de côté, déplacer la focale. En m’ouvrant ses archives, l’AVE a fait ce choix. Gageons qu’elle a souhaité, après un siècle d’existence, poser un regard sur le passé pour mieux comprendre le présent et entrer plus confiante dans l’avenir.
2502. Qui sont ces entrepreneurs ? D’où viennent-ils ? Quelles sont leurs motivations ? Quel est leur quotidien ? Comment réagissent-ils aux soubresauts économiques ? Quels rapports entretiennent-ils avec leurs collaborateurs ? Les questions sont nombreuses ; elles m’ont accompagnée tout au long de l’écriture de ce livre.
Retracer l’histoire de l’AVE, c’est.. … s’attacher à comprendre ses engagements, ses combats, ses réalisations ainsi que les difficultés rencontrées. … s’intéresser au contexte économique et social dans lequel évoluent les entreprises membres depuis la fondation de l’association, en 1919. La construction concerne tous les secteurs de la société : développement et aménagement territorial, tourisme, industrie, mobilité, évolution des techniques, conditions de vie de la société valaisanne. Impossible dans cet ouvrage d’analyser de manière détaillée tous ces aspects. Chaque sujet abordé pourrait faire l’objet d’une recherche spécifique, approfondie. … entrer en contact avec une profession, souvent méconnue : celle d’entrepreneur de la construction. Des hommes et quelques rares femmes à la tête de micro-entreprises ou de PME actives le plus souvent sur le marché local ou régional. En 2015, 80,7% d’entre eux employaient moins de 10 collaborateurs, environ 17,8% moins de 50, 1,5% moins de
A la rencontre des entrepreneurs Le vécu des entrepreneurs ne se dessine qu’en filigrane dans les documents d’archives consultés, qui sont, le plus souvent, des documents administratifs ou des procès-verbaux décisionnels dans lesquels manque la sève : les discussions entre entrepreneurs, les pourparlers, les états d’âme. Les archives privées – d’entreprises ou d’entrepreneurs – sont en outre extrêmement rares. Quel bonheur quand, au détour d’une recherche, l’historienne découvre un document qui fait apparaître l’homme derrière le chantier : des contrats manuscrits, des notes de frais ou encore des carnets de notes, comme ceux de l’entrepreneur bagnard Euchariste Besson ou ceux de Jules Couchepin, à découvrir dans les pages qui suivent. De tels écrits permettent de mieux cerner le quotidien de l’entrepreneur, de l’imaginer en action, d’entrer dans l’intimité de ses préoccupations et de son travail.
me conter leur quotidien, leurs motivations, les défis actuels et passés du secteur. Entrepreneurs à la retraite ou en activité, ils m’ont accordé quelques heures dans des journées déjà bien chargées. Tous ont contribué à enrichir cet ouvrage. Je les en remercie vivement. Si les ouvriers et les architectes ont leurs historiens, les entrepreneurs se situent dans l’entre-deux, parmi les « oubliés de l’histoire ». Ils n’ont ni le statut d’artiste ou de créatif, ni celui de « trimeur ». Ils ont pour habitude de dire qu’ils ne feraient rien sans les ouvriers. Sans les maîtres d’ouvrage non plus. Notons cependant que la réciproque est également vraie : ni les premiers cités, ni les seconds ne construiraient sans eux. Le travail qu’ils réalisent au quotidien et leur histoire méritent donc d’être mis en valeur. Des maçons du XIIIe siècle à l’Association valaisanne des entrepreneurs Le 3 février 1919, des représentants de la Société suisse des entrepreneurs (SSE), créée en 1897, rencontrent six constructeurs valaisans afin de leur proposer de fonder une section cantonale. L’Association va-
L’entrepreneur écrit peu, parle peu. Il agit. Pourtant, plusieurs d’entre eux ont accepté de me rencontrer et de
Les historiens Jean-Henry Papilloud et Myriam Evéquoz-Dayen proposent une synthèse de qualité du contexte économique du Valais aux XIXe et XXe siècles, dans le récent ouvrage dirigé par Didier Planche, Valais économique d’hier, d’aujourd’hui et de demain (2015, voir p. 13-39, référence complète en bibliographie). La bibliographie du présent ouvrage, bien que non exhaustive, offre un bon aperçu des publications scientifiques existantes qui apportent des éclairages sur l’histoire de la construction en Valais. Office fédéral de la statistique, Statistique structurelle des entreprises (STATENT), 2015 (résultats provisoires), disponible en ligne : www.bfs.admin.ch (consulté le 10 mai 2018).
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laisanne des entrepreneurs voit officiellement le jour une année plus tard.
tif, elles n’avaient jamais été consultées par une personne extérieure à l’institution.
La volonté de se regrouper pour défendre des intérêts communs est l’indice d’une mutation et de la consolidation de la profession. C’est pourquoi il m’a paru intéressant de remonter le temps et d’insérer l’histoire de l’Association valaisanne des entrepreneurs dans un contexte plus large. Comment s’est constituée, à partir du Moyen Age, la profession de maçon, puis celle d’entrepreneur du gros œuvre en Valais ? Comment le secteur a-t-il évolué jusqu’au tournant du XXe siècle pour mener à la création de l’AVE ? Les deux premiers chapitres apportent un éclairage sur ces questions, en se basant sur les travaux historiques existants.
Exploiter un fonds de cette ampleur, non classé et non inventorié, n’est pas chose aisée. Il faut souvent faire preuve de patience pour tirer les informations essentielles, comprendre un dossier, reconstituer la chronologie des documents. Et accepter que les archives ne livrent pas tout de l’histoire qu’elles conservent. Les blancs, les questions sans réponse, les non-dits – les non-écrits – font partie de la vie d’un historien. Il doit composer avec ces éléments.
Les trois chapitres suivants retracent l’histoire de l’AVE en la liant fortement à celle du secteur principal de la construction en Valais. Il s’agit de comprendre comment les entrepreneurs valaisans et leur association faîtière ont fait évoluer le secteur, comment ils ont réagi et se sont adaptés au contexte économique et social, quels ont été les défis à relever jusqu’à nos jours. Des documents pour reconstituer une histoire Les archives de l’AVE Les archives conservées par l’association ont été ma source principale d’information pour écrire cette histoire en chantier(s). Conservées alors au sous-sol de son siège administra-
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Le fonds de l’AVE ne contient que quelques documents antérieurs aux années 1930 ; leur nombre augmente ensuite progressivement. Ce n’est qu’après 1945 que les séries de procès-verbaux deviennent complètes. Des classeurs sont peut-être restés en possession des présidents ou des secrétaires de l’époque ou ont disparu dans un incendie survenu dans les locaux de la SSE à Zurich. A l’exception des archives des caisses sociales, que nous n’avons pas utilisées pour notre travail, le fonds est constitué avant tout des documents du comité et de la commission paritaire : procès-verbaux décisionnels des séances, procès-verbaux des Assemblées générales et rapports d’activité des présidents ont constitué le cœur de notre corpus. Ils ont été complétés par des pièces (correspondance, rapports de travail, etc.) figurant de manière non systématique dans les dossiers des séances du comité. Je regrette bien sûr de n’y avoir trouvé ni les discussions qui amènent le comité à prendre une certaine décision, ni
les dossiers des commissions et des groupes de travail. Toutefois, c’est déjà un privilège d’avoir à disposition un fonds si bien conservé. Découvrir, par exemple, le compte-rendu de la séance constitutive de l’association, soigneusement rédigé dans un cahier d’écolier, ou la première convention du bâtiment, signée en 1931 pour la place de Sion, avec signatures originales, est un cadeau fait à l’historien. Ils étaient précieusement gardés, dans une armoire du bureau du directeur, Serge Métrailler, afin de s’assurer qu’ils ne disparaissent pas. C’est également sous son impulsion que l’association a décidé, à l’occasion de son centenaire, de confier le classement et l’inventorisation de son fonds d’archives à des professionnels et de le déposer auprès des Archives de l’Etat du Valais. Objectifs : lui assurer de bonnes conditions de conservation et le mettre à disposition des chercheurs. Une telle conscience historique mérite d’être saluée. Espérons que ce geste incite également d’autres associations professionnelles ou des entreprises à faire de même afin que leur histoire puisse s’écrire.
tuelle, leur consultation est encore difficile pour des raisons de protection des données et d’accessibilité (fonds non classés ou en cours de classement, inventaires trop sommaires pour repérer les documents intéressants, etc.). Des dossiers et des pièces éparses, conservés dans divers fonds (Administration cantonale, communes ou privés), auprès des Archives de l’Etat du Valais, ont cependant apporté un éclairage bienvenu sur des thématiques spécifiques. Historienne et… L’histoire est fille de son temps, diton. Elle ne peut être écrite qu’à partir du présent, des questions qu’il pose. De même, l’historien appréhende son sujet à partir de son vécu, de ses intérêts, de ses interrogations. Rien ne sert de le nier ; mieux vaut en prendre conscience, analyser son rapport au thème abordé, ses préjugés, pour les remettre en question et gagner en impartialité. Je suis historienne et fille d’entrepreneur.
Croiser les sources L’historien a pour habitude de croiser les sources qu’il utilise afin de vérifier ses informations, de prendre en compte différents points de vue et, si possible, de combler les vides. Des fonds de l’Administration cantonale (Service de la protection des travailleurs et des relations du travail, Service de l’industrie, du commerce et du travail notamment) auraient pu remplir ce rôle. Hélas, à l’heure ac-
Je me suis efforcée d’en faire un atout plutôt qu’un obstacle, afin de dresser un portrait nuancé de la profession. J’espère y être parvenue.
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Chronologie Cette chronologie présente quelques dates marquantes de l’histoire de l’AVE. Elle est jalonnée d’événements survenus en Suisse ou dans le canton, et qui ont eu une influence sur l’évolution du secteur de la construction en Valais. Ces pages ne prétendent évidemment pas à l’exhaustivité.
1918
Grève générale en Suisse. Le Valais est peu touché bien que les grèves soient en augmentation dans le canton à cette même période. Création de l’Office cantonal de conciliation
1919 1
1936
1939-1945
réunion en vue de la fondation d’une section valaisanne de la Société suisse des entrepreneurs (SSE)
1920
re
Assemblée constitutive de la section valaisanne de la SSE ou Association valaisanne des entrepreneurs
1941
1919-1920
1930
1931 1934 1935
Important conflit social en Suisse dans le secteur principal de la construction. Le Valais reste à l’écart.
1944
Loi fédérale sur la formation professionnelle Premiers cours de préapprentissage organisés par l’AVE
1945
Signature de la première convention du bâtiment en Valais. Elle concerne la place de Sion. Premier arrêté du Conseil d’Etat en matière d’adjudications de travaux publics et de fournitures
1947 1948 1950
Création de la maîtrise fédérale d’entrepreneur. Joseph Dubuis, président de l’AVE, est le premier Valaisan diplômé. Fondation d’une éphémère Corporation valaisanne de l’industrie du bâtiment et des travaux publics. Conflit de la Dixence en lien avec les conditions de travail des ouvriers étrangers et indigènes
Premiers diplômés maîtres maçons en Valais et premiers cours de chefs de chantiers
1951 1951
Deuxième Guerre mondiale. Economie de guerre : la Confédération prend des mesures pour réguler le marché et répartir les denrées et les matériaux qui se font rares, comme le ciment.
Première Convention collective de travail, signée au niveau cantonal, pour le secteur du bâtiment et des travaux publics. Création de la Commission paritaire L’AVE adhère à la Caisse interprofessionnelle valaisanne d’allocations familiales (CIVAF)
1952 1953 1954 1959 1964 1965
Création du Registre professionnel de l’industrie du bâtiment et des travaux publics Création du secrétariat permanent de l’AVE Ouverture par l’AVE d’une succursale de la Caisse des congés payés de la SSE Création de la Caisse d’assurance maladie collective Fondation de la Chambre valaisanne de l’industrie du bâtiment et des travaux publics Fondation de la Caisse valaisanne d’allocations familiales de l’industrie du bâtiment (CAFIB) Ouverture du chantier du barrage de Mauvoisin. Jusqu’en 1973 environ, le Valais connaît un fort développement économique avec pour moteur, notamment, l’hydroélectrique et le tourisme.
1972
1973 1983 1991 1994
Un important conflit des salaires éclate dans le secteur de la construction
1995
Ouverture du chantier du barrage de la Grande Dixence Convention spéciale entre l’AVE et les syndicats valaisans pour les chantiers d’aménagements hydroélectriques Inauguration du bâtiment de l’AVE, à l’avenue de la Gare 39 à Sion Premiers arrêtés fédéraux destinés à limiter la surexpansion économique (dits arrêtés anti-surchauffe) Un pan du glacier de l’Allalin s’abat sur les installations de chantier du barrage de Mattmark. 88 ouvriers trouvent la mort dans ce drame qui éveille un important débat autour des conditions de travail sur les grands chantiers. Deuxième train de mesures anti-surchauffe Acceptation par le peuple d’un accord de libre-échange avec la CEE Crise économique qui touche le secteur de la construction jusqu’à la fin de la décennie Fondation de la Caisse de pension de la construction du Valais (CPCV) Début de la plus longue crise économique du secteur de la construction en Valais Adoption du concept AVE2000 destiné à réformer l’association afin qu’elle soit plus efficace dans le soutien qu’elle peut apporter à ses membres
1996 1998
2000
2003 2004 2006
2008 2014
Inauguration du nouveau bâtiment à la rue de l’Avenir 11 à Sion Premier bulletin d’information AVEinfo, destiné aux membres Entrée en vigueur de l’Accord international sur les marchés publics (GATT-OMC) Création, en collaboration avec les syndicats, d’un centre de formation à la sécurité (PASEC) à Sierre Réforme de la commission paritaire afin de répondre à des standards juridiques Adoption d’une Convention collective de la retraite anticipée pour les travailleurs du secteur principal de la construction et du carrelage du canton du Valais (RETABAT) Fondation de l’association Construction Valais Fondation de la Protection juridique pour tous Signature d’un accord entre AVE et syndicats pour l’annualisation du temps de travail Première conférence de presse organisée par l’AVE Création de AVEmploi SA
Registre des entreprises Création d’une commission «lobby et communication»
2015
Création d’AVE-TV
2016
Création de l’Association de renforcement des contrôles sur les chantiers de construction
événements « AVE » événements « non AVE » 12
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LES PRESIDENTS DE L’AVE 1920 - 1948
Joseph Dubuis
1949 - 1967
Séraphin Antonioli
1967 - 1982
Charles Meyer
1982 - 1994
Maurice Gillioz
1994 - 2002
Michel Buro
2002 - 2006
Charly Sierro
2006 - 2014
Jean-Marc Furrer
2014 -
Alain Métrailler
LES DIRECTEURS DE L’AVE
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1947 - 1983
Amy Pierroz
1983 - 1997
Gérard Rausis
1997 - 2002
Collège directorial
2002 - 2006
Secrétaire général
2006 -
Serge Métrailler
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« Si on regarde les vieilles maisons qui ont été faites par des Valaisans, ils ne devaient avoir ni fil à plomb, ni ficelle. On était paysans, militaires ou curés, pas constructeurs. » Claude Métrailler (1939), entrepreneur actif de 1969 à 2004, Sion
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Construction en pierre et maçons du Moyen Age au e XVIII siècle Monter un mur solide, réaliser les voûtes d’une église, dessiner le tracé d’un bisse vertigineux, construire un pont d’une seule arche nécessitent un savoir-faire et des connaissances techniques. On sait qu’au Moyen Age, sur des chantiers de taille modeste ou dans le cadre des corvées, la communauté villageoise fournit la main-d’œuvre. Toutefois, dès que les travaux demandent des connaissances techniques, les maîtres d’ouvrage font appel à des artisans spécialisés. Qui sont les maîtres maçons et maçons engagés sur les chantiers en Valais du Moyen Age au XVIIIe siècle ? A quels types de constructions travaillent-ils et selon quelles modalités ?
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« Reconstruction du château de Tourbillon », gravure publiée en 1548 (détail)
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MAÎTRES MAÇONS… … d’ailleurs
LA PIERRE: UNE TECHNIQUE RÉSERVÉE1
Loèche
Viège
Brigue
Conthey Saillon Martigny
Sembrancher Orsières Bourg-St-Pierre
Au cours du Moyen Age, la construction en pierre taillée est réservée avant tout aux ouvrages défensifs, aux châteaux et autres lieux de pouvoir, aux édifices religieux ainsi qu’aux bâtiments liés au commerce tels que les soustes. Elle se trouve dès lors concentrée dans les centres administratifs et dans les bourgs qui jouissent d’une situation privilégiée : soit qu’ils ont le droit de tenir marché, soit qu’ils jouissent d’une position stratégique ou sont situés le long des axes de transit. Leuk
Conthey Saillon
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Martigny
Sembrancher Orsières Bourg-St-Pierre
Visp
Brig
A partir du XVIe siècle, symbole de prospérité et de prestige, la construction en pierre taillée est également très prisée par les familles patriciennes : leurs habitations deviennent un emblème de leur statut social. Afin de construire selon les styles à la mode et de bénéficier de leurs compétences techniques, elles engagent des maîtres maçons, le plus souvent étrangers. On observe ainsi une première intensification de l’activité des maçons dans le bâti.
Le bois, longtemps roi
Dès le XIVe siècle, des mentions de maçons ou de maîtres maçons aux patronymes étrangers apparaissent dans des documents2. Ils viennent essentiellement du Piémont, de Lombardie, du Val d’Aoste, mais aussi du Faucigny, du Genevois, du Chablais savoyard et du pays rhénan. Les « entrepreneurs-architectes » du Val Sesia, sur le versant sud du Mont Rose, et les maîtres maçons de la haute vallée de l’Arve sont les plus représentés. Comme le formule Gaëtan Cassina, spécialiste de l’histoire des monuments, jusqu’au début du XIXe siècle, ils se partagent le quasi-monopole des constructions importantes dans le canton3. En 1351 par exemple, la commune de Martigny souhaite surélever le clocher de son église. Elle confie ces travaux à maître Jacuminus de Margui, de Torricella4, « lathomus », soit maître maçon, également tailleur de pierre. La convention passée décrit la commande : un fenêtrage « haut de 8,5 pieds manuels », mesure calculée à partir de la taille de la main vidomne de Martigny ; une flèche à huit pans, haute de trois toises5 et trois pieds, surmontée d’un pommeau. Le maître recevra 72 florins de bon or pour cette réalisation, dont cinq lui seront versés à la signature du contrat et une partie en acompte durant le chantier pour qu’il puisse subvenir aux besoins de sa famille ou de ses ouvriers. Le gîte lui est assuré pour la durée des travaux, soit environ cinq mois. Le maître d’ouvrage fournit les matériaux nécessaires ainsi que 24 clous. Il se charge en outre d’amener l’eau au plus près du chantier. Le maître maçon se procure par contre les cordes nécessaires à la réalisation de l’ouvrage. Il doit également extraire le tuf par ses propres moyens6 .¨
Du Moyen Age au XIXe siècle, le bois, disponible en suffisance à proximité des chantiers et plus aisé à travailler, est le matériau privilégié dans la plupart des villages valaisans. Les parties en pierre sont limitées et compensent les faiblesses techniques du bois : dans les étages inférieurs des granges et des maisons, la pierre isole de l’humidité ; dans les cuisines où le feu est allumé quasiment en permanence, elle réduit le risque d’incendie.
… et d’ici Les maîtres maçons valaisans, reconnus pour leur travail et leur maîtrise technique, sont rares à cette époque. Jean Dunoyer7, alias Vaulet, maître maçon installé à Vouvry, fait partie des exceptions. Celui que l’on appelle le « maître des beaux clochers » est actif de Vevey au Châble entre 1460 et le tournant du XVIe siècle8. A cette époque, une tradition professionnelle locale naît dans le Bas-Valais9. Des maîtres maçons et maçons originaires du Valais central et du Haut-Valais sont plus rares dans les documents ; on peut toutefois en repérer quelques-uns, notamment dans des actes juridiques liés à des transactions foncières10. Dans des cas plus rares, les archives témoignent de leur activité professionnelle : en 1629, maître Stephanus Lathion, maçon, est par exemple chargé par le co-commissaire général des chemins publics du Valais de la réfection d’un chemin à Nendaz afin qu’il soit possible d’y circuler à char11. Il ne réalise certes pas un ouvrage de premier ordre, mais ses compétences sont reconnues et il semble responsable du chantier.
Jean Dunoyer, maître d’œuvre de l’église de Vouvry Un vitrail réalisé en 1488 dans l’église de Vouvry témoigne du travail de Jean Dunoyer qui apparaît agenouillé devant saint Hippolyte. Il est accompagné de ses armoiries composées d’une truelle sur fond azur rehaussé d’une décoration. L’identité du personnage est confirmée par l’inscription : « maître Jean Dunoyer de Vouvry a fait faire cet ouvrage, lequel maître Jean, de sa propre main, l’a construit. »
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LES VALSÉSIENS : DES MAÎTRES PIÉMONTAIS EN VALAIS Les sources d’archives montrent que, jusqu’à la fin du XVIIe siècle environ, les constructions en pierre réalisées dans le Haut-Valais et en Valais central le sont principalement par des maîtres maçons, tailleurs de pierre et entrepreneurs venus du nord de l’Italie. Une région se démarque particulièrement par son savoir-faire en la matière : le Val Sesia, sur le versant sud du Mont Rose, région qui a été en partie colonisée aux XIIIe et XIVe siècles par des populations paysannes haut-valaisannes, les Walser. D’après un voyageur qui traverse cette vallée en 1524, « dans la paroisse de Pietre Gemelle, chacun exerce avec honneur la profession de maçon et tailleur de pierre, loin à la ronde »12. Formés lors de séjours à Milan, à Novare ou dans la vallée d’Aoste, beaucoup d’entre eux émigrent ensuite au nord des Alpes et particulièrement en Suisse. S’ils se sont d’abord tournés majoritairement vers la Suisse alémanique et Fribourg, à partir de la deuxième partie du XVIIe siècle, c’est en Valais qu’ils sont le plus présents. Les Valsésiens jouissent d’une grande renommée comme bâtisseurs d’église, mais également de bâtiments publics et d’habitations privées. Certains ont fait des carrières remarquées.
Ulrich Ruffiner Ulrich Ruffiner s’installe en Valais au début du XVIe siècle et travaille sur tous les grands chantiers du moment, aussi bien pour le cardinal Mathieu Schiner (église Saint-Théodule à Sion) que pour son adversaire Georges Supersaxo (chapelle Sainte-Anne dans l’église de Glis). Nombreuses sont les constructions portant sa marque dans le Haut-Valais et le centre du canton : ossuaire de Naters ; majories de Sion et de Nendaz, hôtel de ville de Loèche ; ponts sur la Dala à Inden et sur la Viège à Stalden ; etc. Réputé pour son habileté technique, il se voit confier nombre de chantiers complexes comme celui de l’église de Rarogne qui doit intégrer les ruines d’un ancien palais fortifié. En remerciement de son travail, il reçoit la bourgeoisie du lieu. En 1519, mandat lui est donné par les gouvernements de Berne, Viège, Brigue et Rarogne de construire une route pour passer le Lötschberg. Ce projet est toutefois bloqué pour des raisons politiques, mais d’autres réalisations de génie civil, visibles aujourd’hui encore, permettent de constater son talent dans le domaine à l’image du Chibrücke, près de Stalden, construit avec une seule arche de 40 mètres. Il meurt accidentellement entre 1549 et 1556, tombant du clocher de l’église de Glis13.
Les frères Bodmer et Gaspard Stockalper Le siècle suivant est marqué par d’autres Valsésiens, les frères Christian, Pierre et Balthasar Bodmer, qui travaillent pour le compte de Gaspard Stockalper, homme politique et riche entrepreneur qui a su s’assurer une position dominante dans le commerce de transit en Valais. A la fin des années 1670, des notables, jaloux de son omnipotence, parviennent à contrer son pouvoir : il est déchu de toutes ses fonctions publiques, perd une partie de sa fortune et est contraint à l’exil. Les frères Bodmer réalisent plusieurs édifices commandés par Gaspard Stockalper dans le dizain de Brigue, que ce soit au nom de la Bourgeoisie pour laquelle il est le responsable des constructions ou en son nom propre. En 1658 débute le chantier du château Stockalper, grand œuvre du « Roi du Simplon » et des frères Bodmer. Son exécution durera jusqu’à la chute de l’entrepreneur en 1678-1679. Selon les livres de comptes de ce dernier, 32 artisans de la construction, des arts plastiques et de l’artisanat travaillaient sur le chantier dont 7 Valaisans, occupés comme maçons ou manœuvres, et 18 étrangers, engagés pour les postes qualifiés14.
Chibrücke, Stalden, 1544-1546, carte postale éditée vers 1900. Construit pour remplacer un pont daté de 1527, le Chibrücke est l’unique passage entre Stalden et la vallée de Saas jusqu’en 1934. Eglise paroissiale de Saint-Germain, achevée en 1523. La nef de l’église paroissiale de Saint-Germain, à Savièse, permet d’observer quelques éléments typiques du style d’Ulrich Ruffiner tels que le réseau de voûtes de style gothique tardif et l’utilisation du tuf.
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Le château Stockalper est la plus importante construction civile baroque de Suisse. Il est composé de trois parties, l’ancienne demeure Stockalper avec les bâtiments d’exploitation, le nouveau château et son jardin à trois points d’eau, la cour à arcades appelée « l’Escurial des Alpes ». 23
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TÉMOINS DU PASSÉ
Avant même l’incendie de 1693, Saint-Maurice, porte d’entrée du Valais, apparaît comme une ville au plan organisé, principalement construite en pierre. Le 23 février 1693, dix-huit personnes trouvent la mort dans un incendie. Plus de 200 maisons sont endommagées, ainsi que l’abbaye, l’église, le château. Les fondations en pierre sont épargnées. L’aide à la reconstruction est organisée par la Diète valaisanne qui demande à chaque dizain de fournir quatre maçons et quatre charpentiers. Certains n’ont sans doute pas pu satisfaire cette demande, du moins concernant les maçons. L’ampleur du chantier provoque une telle spéculation sur les prix des matériaux que la Diète doit intervenir17.
Saillon, châtellenie savoyarde du XIIe siècle à 1475, a fait l’objet de nombreuses attentions de la part de ses seigneurs qui voulaient faire du bourg un rival de Sion, centre du pouvoir épiscopal. Pierre II de Savoie fait fortifier le bourg, améliorer le château, construire le donjon (la Tour Bayart) entre 1258 et 1262. Un directeur des travaux est engagé, Pierre Meinier, qui gère toutes les constructions militaires du Pays de Vaud, du Valais et du Chablais. Il travaille sous le contrôle d’un magister ingeniorum, Jean de Mesoz, un Gascon, ingénieur du roi d’Angleterre15.
par Jean Pianot, il a connu de nombreuses consolidations dont une, réalisée en 1523, est l’œuvre d’Ulrich
Ruffiner, célèbre constructeur installé en Valais et originaire du Val Sesia dans le Piémont.
Le pont sur le Rhône, que l’on aperçoit sur la droite de l’image, est aujourd’hui classé comme bien culturel d’importance nationale. Réalisé en 1491
Saint-Maurice, gravure publiée en 1654
Situé au départ de la route du col du Grand-St-Bernard, Sembrancher est déclaré Ville franche par le comte Amédée IV de Savoie en 1239. Elle obtient ainsi le droit de tenir marché. Le village se développe selon un modèle classique pour les petits bourgs du Moyen Age : des constructions en pierre avec des espaces d’entreposage, de commerce ou d’artisanat au rez-de-chaussée, donnant sur la rue principale, et un ou deux étages d’habitation. A partir du XVIe siècle apparaissent des maisons affichant une plus grande richesse architecturale et décorative qui témoignent de la prospérité du bourg et de la réussite de certaines familles18.
Sembrancher, 1890
Saillon, châtellenie savoyarde du XIIe siècle à 1475
La ville de Sion présente un plan dense ; les habitations du bourg ne sont pas alignées. Les bâtiments ruraux côtoient alors les maisons d’habitation ; les constructions en bois, celles en pierre. Ce mélange n’est pas perceptible sur la gravure ci-contre. Il en est pourtant ainsi au moins jusqu’au XIXe siècle. En 1788, un incendie détruit la partie nord de la ville : 126 maisons, 100 granges ou écuries, les châteaux de Tourbillon et de la Majorie. Des prescriptions destinées à lutter contre le feu, déjà édictées au XVIIe siècle, sont reprises comme, par exemple, l’utilisation des ardoises pour les toits. Afin d’accélérer la reconstruction et de soutenir les victimes, la Bourgeoisie offre à ses membres les matériaux nécessaires (bois, chaux, plâtre). Les simples habitants de la ville (non bourgeois) ne bénéficient pas de cet avantage16. La vieille ville actuelle, bien conservée, nous permet d’imaginer l’organisation de la ville médiévale.
Depuis la construction de la route de contournement en 1954, le centre du village de Sembrancher demeure
à l’écart du trafic, et de bien des regards. Flâner dans les rues du vieux village aujourd’hui offre un moment
hors du temps, qui permet de retrouver l’atmosphère du bourg médiéval d’alors.
Sion, gravure publiée en 1575
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Zoom
APPRENTI, COMPAGNON, MAÎTRE: LES ÉTAPES DE FORMATION
L’historien manque d’éléments pour reconstituer la vie des chantiers et l’organisation des maçons en Valais. Si la profession n’est pas aussi structurée qu’en Angleterre, dans le Saint-Empire ou même dans certaines villes de Suisse alémanique, on peut tout de même supposer qu’une certaine similitude se retrouve dans les étapes de formation. L’apprenti signe un contrat avec un maître qui s’engage à le former durant plusieurs années contre rémunération. La formation se déroule sur le terrain, qu’il s’agisse des chantiers ou des carrières. Le maître transmet ses connaissances à l’élève en matière de dessin, de taille de pierre, de technique de construction. Une fois sa formation terminée, l’apprenti peut soit devenir ouvrier, soit poursuivre sa formation et prétendre à la maîtrise, si ses qualités professionnelles le permettent.
une histoire en chantier(s)
Four à chaux de Bramois remontant au XVIIIe, voire au XVIIe siècle, rénové en 1997-1999 par la Bourgeoisie de Sion.
De manière générale, pour obtenir la maîtrise, un maçon doit pouvoir justifier de son expérience, réaliser un chef-d’œuvre considéré comme tel par ses pairs, faire acte de bonnes mœurs, payer la taxe d’enregistrement de son titre. Là où une corporation existe, il en deviendra membre. Le titre de maître maçon l’autorise à travailler pour son propre compte et à engager de la main-d’œuvre. Toutefois, dans certains cas, des restrictions surviennent sur ce deuxième point. Il est attesté que certaines corporations n’autorisent pas tout de suite le maître à prendre un apprenti, à engager des ouvriers en nombre ou à s’occuper de grands chantiers19.
La chaux
DES TECHNIQUES ANCIENNES REVALORISÉES DE NOS JOURS La pierre sèche Attestée depuis la préhistoire, la technique de la pierre sèche consiste à lier des pierres brutes ou légèrement taillées, extraites du lit des torrents, de pierriers, de vieux murs ou de carrières, avec de la terre glaise. La masse et le frottement des pierres assurent la stabilité de l’édifice. Des calculs précis doivent être effectués afin que la résistance statique soit suffisante. Ainsi, fabriquer des murs en pierre sèche requiert une grande maîtrise technique lors de la phase d’assemblage20. En Suisse, la pierre sèche est plus particulièrement utilisée dans les régions alpines ou pauvres en bois, pour des ouvrages liés aux activités paysannes (alpages, vignobles, etc.) ou des équipements de protection (contre les inondations ou les avalanches), plus rarement dans les zones de vie21. Le Valais compte encore plus de 3000 km
de murs en pierre sèche. Cette technique est aujourd’hui remise en valeur pour ses qualités esthétiques, patrimoniales et écologiques. En permettant le bon écoulement des eaux de ruissellement, la pierre sèche favorise en effet la biodiversité.
Les murs de La Cotzette, dans la région du bisse de Clavau à Sion, atteignent 17 mètres de hauteur.
Au Moyen Age déjà et jusqu’à la généralisation du ciment au tournant du XXe siècle, la chaux est le principal liant utilisé pour faire du mortier. La plus ancienne attestation d’un four à chaux en Valais – à Brigue – date du IXe siècle. Les régions disposant de pierre calcaire pouvaient fabriquer de la chaux (vallée de Conches, Valais central) alors qu’ailleurs, dans le Bas-Valais notamment, ceux qui souhaitaient construire en pierre devaient acheter de la chaux éteinte. Le matériau était confectionné près des lieux d’extraction. Le processus durait une semaine environ : deux jours pour atteindre la température de 1100 degrés, puis trois à quatre jours pour que la calcination des pierres soit totale. Elles étaient ensuite transférées dans une fosse contenant de l’eau, afin d’être refroidies et concassées. La chaux favorise les échanges hygrométriques, laissant ainsi respirer les murs. Si elle est perméable à l’air, elle ne l’est pas à l’eau… ni aux sons. Elle constitue dès lors une excellente isolation. Revalorisée de nos jours dans les constructions écologiques, de nombreuses autres vertus lui sont attribuées : désinfectante, ignifuge, résistante, etc. 22
Gravure illustrant la reconstruction des châteaux de Martigny et de Saint-Maurice, dès 1482, publiée en 1548. 26
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LE RÔLE DU MAÎTRE MAÇON SUR LE CHANTIER
Le rôle tenu par le maître maçon sur le chantier peut varier d’une situation à l’autre. Une grande flexibilité existe. Il peut, selon le contexte du chantier et ses compétences techniques, être un exécutant, tenir le rôle d’architecte ou d’ingénieur, être directeur des travaux et entrepreneur. Sur les grands chantiers, le maître maçon
peut être celui qui suit toutes les étapes et acquiert, de ce fait, un certain prestige23. Des maîtres maçons travaillent également à la tâche, se chargent des travaux secondaires sur un chantier ou construisent des ouvrages de moindre envergure.
CORPORATIONS ET CONFRÉRIES L’apparition des entrepreneurs En Europe, dès la fin du Moyen Age, il est courant que le maître maçon développe sa propre entreprise et qu’il fournisse la main-d’œuvre pour les chantiers qu’il gère. Il arrive également qu’il exploite une carrière et devienne ainsi fournisseur de matériau pour des chantiers24. Dans certains cas, le commanditaire d’un ouvrage choisit de séparer la partie proprement technique – du dessin à la construction – de la gestion administrative et logistique d’un chantier. C’est alors celui qui se charge de ces derniers aspects qui prend le titre d’entrepreneur. Le 2 août 1434 par exemple, le consortage d’un bisse à Vollèges mandate un certain Vulliermodus Biollaz pour mener à bien les travaux de rénovation. Nulle mention n’est faite de la formation de cette personne. On sait toutefois que, quinze jours plus tard, il signe à son tour un contrat avec un groupe de maçons lombards. La responsabilité du chantier reste entre les mains de l’entrepreneur : toute réclamation en cas de dégâts d’eau sur des terres proches du bisse devra être faite à l’entrepreneur ; les maçons ne pourront pas être inquiétés25. Une telle répartition des tâches se retrouve également lors de la construction du canal Stockalper qui relie Vouvry à Collombey (dès 1651). Gaspard Stockalper, maître d’ouvrage, engage un entrepreneur de Monthey, Jean de Vanthéry. Celui-ci est responsable de fournir le matériel et les ouvriers, de les payer et de superviser le chantier. Jean-Henry Murlin, d’Amsterdam, venu en Suisse pour construire le canal d’Entreroches et établi à Yverdon, est mandaté pour la direction des travaux26.
Ce contrat pour la construction d’un chemin, passé entre la communauté de Mex et le maître maçon valdôtain Jean-Baptiste Gavi en 1741, nous donne plusieurs indications intéressantes sur l’organisation du chantier. On apprend notamment que Jean-Baptiste Gavi travaille avec deux à quatre autres maîtres maçons selon les périodes du chantier. Il semble que ce soit lui qui les engage et qu’il soit, dès lors, entrepreneur. Selon une pratique courante, la communauté fournit en outre des 28
ouvriers pour les aider. Si la manière de rémunérer l’entrepreneur, une partie en espèces, une large partie en vivres, peut étonner aujourd’hui, elle est très fréquente durant cette période. La communauté assure de ce fait la pension des maîtres maçons durant le chantier. Souvent, elle leur fournit également le gîte27.
Les corporations28, regroupements d’artisans, luttent contre la concurrence extérieure, réglementent la formation professionnelle, garantissent la solidarité entre artisans d’une même profession. Elles jouent également un rôle religieux et accomplissent des œuvres de piété afin d’assurer une protection divine à leurs membres. En Suisse alémanique, elles sont actives dès le XIIIe siècle dans les villes, à partir du XVe siècle dans les campagnes. En plus de leurs rôles traditionnels, elles remplissent des fonctions militaires (défense de la ville en cas de guerre, service de garde en temps de paix, etc.) et politiques importantes. Très puissantes, elles s’imposent parfois dans les instances politiques, au point que l’on parle de « villes corporatives », par exemple pour Bâle, Zurich ou Schaffhouse. La situation est très différente en Suisse romande et au Tessin, où les regroupements d’artisans apparaissent au XIVe et au XVe siècle dans les grandes villes et se concentrent sur les activités professionnelles, religieuses et de sociabilité. On parlera ici de confrérie, ou de société, plutôt que de corporations. Si ces organisations conviennent bien aux métiers qui tiennent boutique ou se concentrent dans un périmètre urbain ou régional, elles sont moins adaptées aux métiers liés à l’itinérance comme celui de maçon. Les professionnels ont alors plutôt tendance à se réunir dans des loges, institutions créées pour la durée d’un chantier afin de gérer les engagements, de régler en commun les questions liées à la gestion des travaux, etc. Des rassemblements de type corporatiste sont toutefois attestés à partir du XIVe siècle dans certaines villes européennes. Il semble, en fait, que différents modèles coexistent en fonction des régions et des époques.
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Une confrérie de maçons en Valais La première trace d’un regroupement professionnel intégrant des maçons en Valais date de la deuxième partie du XVe siècle29. Dix-huit artisans de la pierre (maçons, maîtres maçons, tailleurs de pierre) sont alors attestés dans la région de Sion30. Certains sont qualifiés de bourgeois, ce qui témoigne de leur sédentarisation. La reconstruction de la cathédrale, qui se déroule durant toute cette période, joue probablement un rôle dans cette concentration d’artisans, mais d’autres chantiers doivent exister dans la ville, qui leur permettent de vivre. En 1466, quatre d’entre eux se joignent à treize maîtres forgerons, tous bourgeois ou habitants de Sion, pour créer une confrérie, dite « du candélabre ». « Artisans et humbles créatures mécaniciennes », les fondateurs « reconnaissent le pouvoir de leur Créateur et maître suprême, lui-même artisan de toute chose et générateur de tous les biens», et es-
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timent bon de le remercier pour ses œuvres par des sacrifices et des offrandes 31. Pour ce faire, ils choisissent d’entretenir un candélabre dans la cathédrale. Cet acte de piété est au centre de leur activité. La contribution d’adhésion s’élève d’ailleurs à une livre de cire, matière rare. Le candélabre, dont l’état est surveillé par les procureurs, est allumé lors des funérailles d’un membre ou de sa famille directe, les dimanches et lors des fêtes principales, aux fêtes de la Vierge ou encore le jour de la Saint-Eloi, saint patron des forgerons. Le fait que le saint patron des maçons ne soit pas mentionné laisse penser que l’initiative de cette fondation revient aux forgerons qui ont accepté d’y accueillir les maçons, trop peu nombreux pour créer leur propre confrérie. Certaines dispositions des statuts qui concernent uniquement les forgerons soutiennent également cette hypothèse. A côté de sa dimension religieuse, le règlement de la confrérie révèle la volonté de structurer la pratique
du métier. « Tout maître qui voudra s’installer à Sion pour y exercer son art devra faire partie de la Confrérie et y contribuer comme les autres. On ne prêtera aucune aide et l’on ne favorisera en aucune manière ceux qui refuseraient de faire partie de la confrérie » peut-on lire dans un des articles statutaires. Tout membre qui apporte une aide matérielle ou un soutien professionnel aux récalcitrants doit s’acquitter d’une amende d’une livre de cire. Les maîtres qui viennent travailler à Sion de manière temporaire et qui ne peuvent prouver qu’ils sont en possession de la maîtrise, mais prétendent en avoir les compétences sont soumis à une taxe plus élevée32.
Parchemin de fondation de la Confrérie, 1466
Malheureusement, en dehors de cet acte de fondation, les documents conservés en lien avec la confrérie sont rares et ne nous permettent pas de retracer son histoire. Nous savons toutefois qu’elle est encore active au début du XIXe siècle sous le nom de « Confrérie des marteaux », qu’elle regroupe alors un plus grand nombre de corps de métiers (forgerons, maçons, serruriers, ébénistes, gens du verre, etc.) et s’étend au Valais central – Savièse, Nendaz, Isérables, Chamoson sont cités –, peutêtre à tout le canton33. Les livres de comptes de cette période montrent qu’elle participe à la vie publique en soutenant des œuvres de charité et qu’elle joue un rôle d’expertise dans le cadre des apprentissages, du moins pour certains corps de métier comme les forgerons. Bien des questions restent toutefois sans réponse : la confrérie exercet-elle un réel monopole ? Réglemente-t-elle l’apprentissage et les examens de maîtrise ? Les conditions d’adhésion évoluent-elles avec le temps ? Comment contrôle-t-elle l’activité des membres sur le territoire ? Entretient-elle des contacts avec les autres confréries ou corporations de Suisse romande et d’ailleurs ?
Nous ne savons pas avec certitude quand est dissoute la Confrérie des marteaux. La dernière attestation que nous ayons de son existence nous vient d’un décompte tenu en sa faveur par maître Jean-Joseph Andenmatten, sans doute procureur de la confrérie, en 1828. Elle s’éteint au plus tard en 1848, date à laquelle les fonds des diverses confréries professionnelles sédunoises sont affectés à l’instruction publique par le gouvernement radical qui prend le pouvoir après la guerre du Sonderbund34.
UN BÂTISSEUR VALAISAN AU XVIIIe SIÈCLE : JEAN-JOSEPH ANDENMATTEN Comme Jean Dunoyer avant lui, Jean-Joseph Andenmatten, maître maçon et architecte à Sion à la fin du XVIIIe siècle, fait partie des maîtres valaisans qui, par la qualité de leur travail, ont atteint une certaine notoriété. Né à Saas Balen en 1754, Jean-Joseph Andenmatten a 28 ans lorsqu’il demande au Conseil de Sion le droit d’y exercer sa profession en tant que maître maçon. Présentant son parcours à cette occasion, il explique avoir complété son métier par l’étude de l’architecture en autodidacte, par la visite de nombreuses églises du Haut-Valais et par l’étude de bases théoriques, notamment celle des cinq grands styles architecturaux. Il propose de prouver ses capacités par des dessins et des maquettes. En voyant ces réalisations, le Conseil s’étonne de tant de compétences et l’accepte comme maître à condition qu’il devienne habitant de la ville . Il construit sa propre maison, à la rue de Conthey, en 1786. Deux ans plus tard, toute une partie de la capitale est détruite par un incendie. Ce malheur lancera la carrière de notre maître maçon-architecte : il est le seul résident à pouvoir entreprendre les reconstructions. Au début du XIXe siècle, il gagne encore en notoriété en réalisant trois importants édifices religieux : l’église des Jésuites de Sion (1806-1815), l’église ronde de son village d’origine (1809-1812) et l’église d’Arbaz (1821)36.
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