L'homme une idée en évolution

Page 1

L'homme : une idée en évolution «Qu'est-ce que l'homme?» A l'aube du XXI siècle, cette question continue d'alimenter les débats scientifiques parmis les plus ardents. Il y a 150 ans Darwin proposait une théorie des origines de l'homme basée sur sa théorie de la descendance avec modification par le moyen de la sélection naturelle. Darwin a donné une dimension temporelle à la définition de l'homme, et le modèle des origines a lui aussi évolué au fil des découvertes de fossiles un peu partout dans le monde. Mais l'anthropologie s'est développée de manière parallèle. Comment l'anthropologie en tant que science générale de l'homme, a t-elle intégré les modèles de la théorie de l'évolution biologique? L'homme est-il vraiment une espèce à part? En relatant l'épopée de la paléoanthropologie* et par là même celle de notre espèce, nous balaierons l'ensemble des découvertes et verrons comment la définition même de l'homme, en tant qu'espèce, a dû être modifiée au fil du temps et en quoi la théorie générale de l'évolution permet de comprendre nos origines. Mais nous montrerons également qu'au-delà des controverses de spécialistes, c'est la philosophie même de l'hominisation qui est en question, et qu'il est largement tant de réviser profondément. *branche de l'anthropologie qui s'intéresse au passé biologique de notre espèce en étudiant les restes fossiles. Problème de la définition de l'homme : son élargissement au fil des découvertes 1758 : Linné « Systema Naturae » vol.10 ► caractéristiques morphologiques des espèces du genre Homo. Homo sapiens diurnus Genre Troglodytes ou Homo nocturnus = Homo sylvestris (Orang outan), Découverte de néandertal, 1856. William King en 1864 en fait un Homo neanderthalensis avant de penser qu'il ne s'agisse en fait d'un genre différent. La question n'est pas réglée aujourd'hui ► Homo sapiens neanderthalensis ? En revanche plus personne ne semble contester l'appartenance au genre Homo ► élargissement de la définition du genre Homo pour faire entrer les caractéristiques de néanderthal. 1908 : Schoetensack décrit la mandibule de Mauer très robuste et la rapporte à une nouvelle espèce qu'il crée Homo heidelbergensis. Bonarelli en a fait un genre à part Palaeoanthropus. On s'intéresse aux aspects primitifs des caractères. Klaatsch a imaginé des phylogénies Gorille-Néanderthal et puis Orang-outan- Aurignac (moderne) En 1921, crâne de Broken Hill (Rhodésie : actuellement partagée entre la Zambie, le Malawi et le Zimbabwe) aujourd'hui Homo heidelbergensis. Capacité cranienne de 1000 à 1300cm3. Pycraft en a fait un nouveau genre sur la base de la morphologie de l'acetabulum (cavité articulaire de l'os iliaque recevant la tête du fémur) : Cyphanthropus. Smith-Woodward le nomma Homo rhodesiensis. Eugène Dubois le considère lui comme une forme d'Homo sapiens voisine des australiens mais beaucoup plus primitive. Eugène Dubois, médecin militaire hollandais, lecteur enthousiaste de Darwin et Haeckel, partisan de l'origine simienne de l'homme, estima que nos lointains ancêtres, au moment de la perte de leur revêtement pileux, n'avaient pu vivre que dans des contrées tropicales. C'est donc dans ces régions qu'il faut s'attendre à trouver leurs restes. Il se fit nommer, en 1888 aux Indes Néerlandaises dans l'intention d'y fouiller. Il commença par Sumatra où ses espoirs furent déçus. Puis ayant appris la découverte d'un crâne humain fossile à Java, il se rendit sur l'île en avril 1890.


Il eu la chance d'exhumer un second crâne du même type puis un fragment de mandibule. L'année suivante (1891), sur les bords de la rivière Solo, il découvrit une calotte crânienne aplatie qu'il attribua à une sorte de chimpanzé Anthropopithecus de Blainville (1839) à l'époque. L'année suivante encore, à environ 15m de là il mit à jour un fémur entier qu'il rapporta à ce même chimpanzé qu'il nomma finalement en 1894 : Pithecanthropus erectus. « Pithecanthropus est une forme de transition qui, suivant la doctrine évolutionniste, est intermédiaire entre l'homme et les anthropoïdes, il est l'ancêtre de l'homme. » C'est Haeckel qui est l'inventeur du nom Pithecanthrope (et l'inventeur du mot écologie) et qu'il avait imaginé véritablement comme le chaînon manquant entre le singe et l'homme, un hommesinge privé de la véritable caractéristique humaine selon lui : la parole ► Pithecanthropus alali (privé de parole), accoutumé à la station verticale. Une dent trouvée en Chine, à une cinquantaine de km au sud de Pékin, avait été décrite par D.Black en 1927 sous le nom : Sinanthropus pekinensis. Dans cette même région, entre 1927 et 1937, sous la direction notamment de P. Teilhard de Chardin, de nombreux restes vont être découverts et rapportés à cette espèce. Au total une les fragments d'~40 individus dont 15 enfants et adolescents. Weidenreich en 1940 propose de rassembler Pithecanthropus et Sinanthropus dans un unique genre : Homo erectus. Il fait donc entrer ces fossiles dans le genre Homo. Et parce que ces formes ont des capacités crâniennes moindre que celles du genre Homo, cela a pour effet d'élargir la variabilité des caractères au sein du genre Homo. Un Africanthropus a été décrit par Weinert en 1939 à partir d'une calotte crânienne trouvée sur les bords du lac Ezassi en Tanzanie. La question se pose de le rapprocher des Homo erectus... Camille Arambourg décrit les restes trouvés (mandibules) à Ternifine en Algérie, sous le nom de Atlanthropus mauritanicus, voisin d'erectus également. La place de chaînon manquant est convoitée par la découverte de R. Dart en 1925 en Afrique du Sud et connu sous le nom d'enfant de Taung. Dart l'a nommé Australopithecus africanus. Il reconnut notamment à partir de la dentition des caractères d'hominidé. Beaucoup d'anatomistes considèrent le crâne comme celui d'un anthropomorphe, un grand singe donc. En 1936, Broom fouillant près de Johannesbourg, trouve une portion de crâne qu'il nomme initialement Austropithecus transvaalensis qu'il renommera plus tard Plesianthropus en faisant un autre genre voisin. Ainsi s'accroît la famille des australopithèques. Le gisement de Kromdrai fournira le Paranthropus robustus, celui de Swartkrans fournira le Paranthropus crassidens puis le genre Telanthropus, celui de Makapansgat l'Austropithecus prometheus. Mais les australopithèques ne font pas partie du genre Homo, ils ne posent donc pas de problème vis à vis de la définition même du genre Homo. En revanche ils sont considérés comme les ancêtres du genre et il est désormais question de trouver la limite des genres. En 1960, L. Leakey, P.Tobias et J.Napier découvrent dans la gorge d'Olduvai en Tanzanie des restes osseux qu'ils attribuent à une nouvelle espèce 4 ans plus tard : Homo habilis. Cette forme apparaît comme non robuste et le site fournira d'autres restes par la suite. Or pour intégrer cette forme dans le genre Homo, il faut abaisser le seuil de la capacité crânienne du genre Homo à 600cm3.


Le chaînon manquant entre les australopithèques et les erectus pourrait bien être habilis. Or depuis on a pu démontrer (travaux de F.Spoor et M.Leakey à Koobi Fora) que habilis et erectus ont coexisté pendant 500.000 ans sans se mélanger. Donc l'une n'est pas l'ancêtre de l'autre. D'après les dernières données, habilis serait apparu il y a 1,9 Ma et a disparu vers 1,4Ma, et Erectus est apparu il y a 1,9Ma également mais a survécu beaucoup plus longtemps, probablement jusque vers 1Ma en Afrique et plus en Asie. En 1986 est décrit Homo rudolfensis, trouvé au Kenya en 1972 (KMNER 1470), espèce très controversée. Avait d'abord été rapporté à Homo habilis. En effet si la capacité crânienne est un peu plus élevée (650 à 750 cm3), la morphologie de la face semble très primitive. Mais les anatomistes ne considèrent pas qu'elle puisse être l'ancêtre commun à habilis et erectus. Le genre Homo s'est encore agrandi avec de nouvelles espèces qui ont été décrites à partir de restes fossiles trouvés ailleurs qu'en Afrique notamment en Europe. Le sous-sol de la ville médiévale de Dmanisi en Géorgie fournit depuis 1991 des preuves de l'existence d'un homme fossile à cet endroit datant de 1,8Ma. En 1991, B.Wood propose le nom Homo ergaster pour désigner les specimens d'érectus typiquement africains, moins spécialisés et plus primitifs que le groupe indonésien et chinois. Ce qui fait que les erectus typiques seraient ceux d'indonésie et d'Asie. Mais pour d'autres il n'y a pas de frontière nette anatomiquement entre erectus et ergaster qui puisse justifier deux appellations. (F.Spoor et D.Lordkipanidze) En 1998 est publiée par une équipe espagnole la découverte d'une nouvelle espèce Homo antecessor. En 2008 cette même équipe publie la découverte d'un fragment de mâchoire vieux de 1,1 à 1,2 Ma ce qui en ferait le plus vieil hominidé d'Europe occidentale. La publication en 2004 de la découverte d'une espèce « naine » sur l'île indonésienne de Flores et nommée Homo floresiensis vient compliquer le débat et accroître la variabilité au sein du genre Homo avec une capacité crânienne d'à peine plus de 400cm3. La fin du schéma linéaire L'évolutionnisme est largement accepté en évolution humaine dès les années 1860 et 1870.1 Mais à l'époque et jusques dans les années 1930, il n'y a pas de consensus autour de l'unicité d'origine du genre Homo comme aujourd'hui. Certaines conceptions « racialistes » voient des lignées phylétiques parallèles dans l'évolution humaine, conduisant à des races différentes. Il n'y a donc pas de linéarité « unique » au sens où une seule ligne conduirait des ancêtres aux hommes modernes puisque le concept même d'homme moderne n'est pas unifié. Il y a des lignées différentes qui conduisent à des hommes modernes différents. Si tout le monde s'accordait sur le fait que tous les représentants du genre humain appartenaient à la même espèce, l'espèce pouvait avoir plusieurs origines. Ce qui constitue probablement une conception de l'espèce différente de celle que l'on a aujourd'hui. Aujourd'hui une espèce ne peut pas avoir plusieurs origines, car l'espèce représente une lignée phylogénétique unique. Si à l'époque l'espèce humaine pouvait avoir plusieurs origines c'est que le concept d'espèce était différent. L'espèce humaine était constituée par des populations partageant un certain nombre de caractères mais dont l'origine était donc multiple potentiellement. 1 Delisle R. (2000) L'Anthropologie n°100. Pp 489-522.


Ex : au cours des années 1860, Vogt et Schaaffhausen défendent le fait que chaque grande race humaine est plus étroitement liée à un singe anthropoïde particulier qu'à une autre race humaine. R.Delisle découple les théories de l'évolution d'avec les théories sur l'évolution humaine de ce fait, les unes n'ayant pas forcément influencé les autres. Il ne faut pas oublier que la « marche au progrès » est présente depuis le courant du XVIIe siècle. Que la grande chaîne des êtres (Scala naturae) est due à Aristote. Que le XVII siècle l'intègre totalement comme chez Charles Bonnet. Lamarck au début du XVIIIe met encore en avant la « progression qui se montre dans la composition de l'organisation » (Phil.Zool. p.68) des organismes les plus simples aux plus complexes. Lamarck : la vie a du commencer par les organismes les plus simples pour ensuite développer des formes complexes. Le progrès lui-même possède ses propres « représentations » : Pascal voit l'humanité comme un seul être humain qui apprend et se développe au fil du temps. « ...toute la suite des hommes, pendant le cours de tant de siècles, doit être considérée comme un même homme qui subsiste toujours et qui apprend continuellement. » (Traité du vide) L'ontogenèse et la phylogenèse. Il y a dans l'idée de progrès (scientifique, des connaissances, de la pensée humaine générale) la primauté de la raison sur l'instinct. La raison est à la source du progrès humain alors que les animaux ne progressent pas. Ex. des abeilles chez Pascal qui construisaient les mêmes ruches il y a 1000 ans. Les animaux qui n'ont qu'un instinct stagnent à leur niveau de perfectionnement, ils ne progressent pas. « Il est dans l'ignorance au premier âge de sa vie, mais il s'instruit sans cesse dans son progrès. »2 Voilà le contexte philosophique. Et puis là-dessus se greffent les découvertes des grands voyageurs. « La genèse de la réflexion anthropologique est contemporaine de la découverte du Nouveau Monde »3 La Renaissance explore des espaces jusqu'alors inconnus et commence à élaborer des discours sur leurs habitants. La grande question est alors : est-ce que ce sont des humains ? Est-ce qu'ils appartiennent à l'humanité ? La diversité humaine apparaît souvent comme une aberration. L'altérité irrite parce qu'elle revoie à sa propre image, sa propre société, sa propre religion. La Renaissance, le XVII et le XVIII parlent de « sauvages » ou de « naturels », c'est à dire ceux qui vivent dans la forêt, dans la nature. Comme les animaux. Donc sont-ils vraiment des humains ? Opposition animalité humanité. Dans le schéma de l'échelle des êtres, sorte de topologie du progrès, les naturels sont plus proches des animaux que de nous. Le XIXe parlera de « primitifs ». Le schéma évolutionniste vient se plaquer sur l'échelle des êtres. L'inférieur de l'échelle des êtres devient l'antérieur (le primitif) dans la pensée évolutionniste et le supérieur devient l'évolué, le civilisé. 2 Pascal Traité du Vide 3 Laplantine p.33


Le primitif est encore lié à la nature et l'évolué s'en détache, il s'est émancipé de sa condition animale. Idée d'émergence. Dès la fin du XVIIIe il y a dans l'air du temps, l'idée de civilisation. Hegel les cristallise dans son « Introduction à la philosophie de l'histoire » en 1830 : horreur à l'égard de ces peuples à l'état de nature (en contradiction avec les idées de Rousseau par exemple) qui sont en dehors de la culture et de l'histoire. La confiance s'accroît en la civilisation et ses bienfaits. Chez A.Comte comme chez H.Spencer, le projet de « civilisation » est une marche nécessaire au progrès pour le bien de l'humanité. Les naturels sont appelés à rejoindre cette civilisation. Ils en sont juste à un stade antérieur. L'anthropologie naissante à cette époque se donne pour mission d'étudier ces formes primitives de l'humanité comme modèles de nos origines. Il faut trouver comment s'enchaînent les stades évolutifs, sur la voie de la civilisation, du progrès. Lewis Morgan va diviser cette « évolution » en 3 stades principaux : sauvagerie, barbarie, civilisation à la suite de Vico (fin XVIIIe), Condorcet. Repris par Frazer ensuite. L'évolutionnisme est bien antérieur à Darwin et à l'évolutionnisme biologique. Haeckel réaffirme que l'ontogenèse récapitule la phylogenèse. Si pour Hegel les naturels restent en dehors de l'histoire, stagnant à leur propre niveau, avec la loi de récapitulation l'individu passe par les stades d'évolution successive de l'espèce. D'où l'identification des peuples primitifs aux « vestiges de l'enfance de l'humanité » Conception que reprendra à son compte Freud et sa théorie des stades psychiques. Donc les peuples traditionnels (comme on les appelle aujourd'hui) sont considérés comme des primitifs dont l'étude nous renseigne sur notre propre société et son histoire. Il semblerait pourtant (d'après Laplantine) que le projet évolutionniste de Morgan soit fondamentalement anti-raciste. Chez Morgan par exemple il y a la notion d'unité de la « famille humaine ». Tous ces individus aussi divers soient-ils dans leur physique, leurs coutumes, leurs moeurs... appartiennent tous à une seule et même humanité. Ce n'est pas la pensée de tout le monde, nous l'avons vu puisque les hypothèses sur les origines multiples des peuples ont été avancées comme celle de Karl Vogt, recteur de l'université de Genève et qui a diffusé les idées de Darwin. Donc il n'y a pas forcément une pensée évolutionniste unique. L'évolution est buissonnante Depuis les travaux des évolutionnistes et notamment ceux de Gould et Eldredge sur les équilibres ponctués en 1977, la paléontologie a accepté que l'idée de buissonnement évolutif. Ce modèle est un e modification majeure apportée à la théorie de l'évolution dont l'essentiel reste basé sur les travaux de la « Synthèse » des années 40' par les théoriciens de l'évolution que sont Mayr, Simpson, Dobzhanski entre autres. Il a permis de passer d'un modèle linéaire et gradualiste à un modèle non linéaire et ponctualiste. Ce modèle ponctualiste est issu de travaux de paléontologie des invertébrés principalement et présente un mode d'évolution par phases, des phases de stases succédant à des phases explosives de diversification des groupes d'êtres vivants appelées radiations adaptatives. Le modèle a donc diffusé largement dans les sphères institutionnelles de la discipline et s'est imposé après une phase de réticentes classiques au départ.


Le modèle ponctualiste permet d'intégrer l'existence des extinctions de masse notamment, ces grandes crises de l'histoire de la vie dont les plus célèbres sont les cinq crises majeures les « Big Five » : La grande crise de la fin du Permien ( 245 millions d'années) : de 75 à 95 % des espèces, probablement la crise de la plus grande ampleur. La crise la plus célèbre est celle de la fin du Crétacé (65 Ma) : dinosaures Une crise (qui ne fait pas partie des Big Five pourtant) la plus récente : fin du pleistocène (10.000 ans) extinction grandes espèces sur tous les continents à des degrés divers et pour lesquelles on pense que l'homme a pu jouer un rôle. Toutes ces crises ont effacé une grande partie des écosystèmes en place. Suite à ces crises, il y a eu de grandes réorganisations de la biodiversité, et des groupes se diversifient selon l'idée classique de la niche écologique laissées vacantes. L'un des grands exemples est celui des mammifères qui sont restés longtemps dans l'ombre des dinosaures et qui se sont diversifiés suite à leur disparition. A l'échelle (très vaste) des temps géologiques, on a donc cette alternance de phases de la l'histoire de la vie, de la biodiversité, ponctuée par des événements majeurs d'extinction puis de diversification. Cela a conduit les paléontologues a étudier de plus près ces périodes cruciales, et a fini par dessiner un schéma dit « buissonnant » de l'évolution, qui correspond à ces phases d'intense diversification des groupes d'êtres vivants. C'est donc une manière de penser en totale opposition avec la logique de l'évolution linéaire et graduelle. Elle n'est cependant pas incompatible, ce n'est pas un remplacement du modèle précédent mais un ajustement qui permet de prendre en considération les phénomènes brutaux, de type catastrophiques. L'un des effets résultant de ces transformations épistémologiques est celui de la multiplication des espèces. Les phases de diversification de la biodiversité s'accompagnent en effet de « radiations adaptatives », cette idée que les groupes « rescapés » vont désormais pouvoir coloniser les milieux laissés vacants. Les divers adaptations probables vont donner naissance à des phénomènes de spéciation (naissances d'espèces). L'intensification de la recherche autour de ces phases à permis la découverte d'un grand nombre d'espèces et l'influence du modèle a entraîner les chercheurs a multiplier les espèces décrites. Une tendance récente est donc une inflation du nombre d'espèces décrites. Cette inflation taxonomique est-elle un effet purement théorique ou est-il le reflet de ce qui se passe réellement ? Dans la lignée humaine par exemple, cet effet de multiplication systématique des taxons s'est fait sentir depuis le milieu des années 90' et la multiplication des découvertes fossiles. La grande famille des hominidés a donc vu le nombre de ses représentants augmenter de manière sensible. Mais la tendance est à la description systématique de nouveaux taxons (on utilisera taxon sans distinction de genre ou d'espèces). Ces taxons sont-ils réels ? S'agit-il réellement de nouveaux genres ou de nouvelles espèces ? Outre l'effet épistémologique qui d'une certaine manière contraint les paléoanthropologues a « distinguer » les fossiles sur le plan de la classification, il y a aussi un effet lié à la nécessité de survivre dans un monde économique. La recherche est aujourd'hui et de manière dramatique liée à la recherche de crédits, et les effets d'annonces et de découvertes médiatisées se trouvent aujourd'hui être des moyens efficaces d'obtenir des crédits de recherche. L'espèce et le type La description d'une espèce est basée sur l'établissement de caractéristiques distinctives. Un fossile


décrit comme nouvelle espèce et servant de référence ensuite est appelé holotype. La distinction entre espèces est alors liée à la mesure du degré différenciation entre deux morphologies. (on s'intéresse uniquement à la morphologie en paléontologie puisqu'il ne subsiste presque aucune information sur la biologie ou le comportement des fossiles). L'exercice consiste donc à quantifier la différence morphologique entre deux fossiles. Quel critère cependant retenir pour affirmer que deux morphologies sont suffisamment distinctes pour être considérée comme espèces différentes. La question n'est pas simple. Il n'y a pas d'échelle universelle et pas de règle stricte entre distanciation entre espèces et degré de divergence morphologique. Cela dépend des groupes. Prenez le cas des chiens : ils appartiennent tous à la même espèce mais on a des morphologies très diverses. Les critères retenus ne sont donc pas infaillibles. Et l'un des effets « ennuyeux » de la classification par types, c'est justement de finir par considérer ces types comme réels. C'est la réification, un processus mentale qui consiste à voir le modèle comme plus vrai que nature. Les types ont la vie dure et sont un confort intellectuel pour tout le monde. Mais la réalité biologique s'affranchit totalement de nos outils conceptuels qui tentent de mettre de l'ordre dans nos observations. Nous devons rester prudents quand à l'utilisation de ces outils. Ils ne sont en effet que des outils et ne doivent pas masquer une réalité biologique plus souple. Le type inscrit une rigidité là où règne la variabilité. Bref, plus d'espèces décrites. La multiplication des espèces, qu'elle soit réelle ou pas, tend à penser l'évolution sur le mode « séparatiste » ou « distinctif ». On multiplie les catégories, on les distingue ce qui a pour effet d'oblitérer la variabilité. Comment savoir si ces espèces décrites n'appartiennent pas à la même espèce et n'en seraient pas des variantes régionales ? Comme aujourd'hui on considère l'humanité comme unique et diverse. (une seule espèce mais une grande variabilité au sein de l'espèce) Si en effet aujourd'hui la question ne se pose plus de savoir s'il existe plusieurs espèces humaines ou pas, elle s'est translatée dans le temps et l'appartenance de la lignée néandertalienne à notre espèce reste un sujet de controverse intense. Homo néandertalensis ou Homo sapiens neandertalensis ? Métapopulation. Ecologie. L'unité évolutive sur le plan de l'écologie est la population. Les travaux d'Ernst Mayr entre autres sur l'approche populationnelle ont permis de mieux comprendre comment on peut envisager l'étude des phénomènes évolutifs. Parallèlement le développement de l'aménagement du territoire et les études d'impact réalisées autour de ces travaux ont permis de mettre en évidence le problème de la fragmentation des habitats des espèces concernées. Depuis les années 70, une écologie du paysage (pratique, concrète) s'est développée. On a compris que le tracé d'une route pouvait scinder le territoire d'une espèce et conduire celle-ci à une extinction localement. Cela a permis de comprendre qu'une population a besoin d'un certain espace pour vivre et que le morcellement, la fragmentation de ce territoire pouvait avoir des conséquences dramatiques sur les espèces locales. En Europe on a construit des passages à faune, des éco-ponts pour pallier à cela. Pour que les animaux puissent continuer de circuler sur leur territoire. Le maintien d'espaces suffisants permet la survie de populations animales. Il existe de fait une relation étroite entre la taille de la population initiale, l'espace dont elle a besoin pour se maintenir, la quantité de nourriture disponible sur ce territoire mais également les possibilités de rencontres entre individus pour la reproduction, les contacts sociaux.


L'un des grands problèmes actuellement de la disparition des espèces est la fragmentation des habitats. En Indonésie, la déforestation est à l'origine de la disparition des orang-outans, à l'exemple de la disparition de la majorité des espèces de primates partout ailleurs dans le monde et de toute la faune en général. C'est l'un des grands constats de la biogéographie actuelle, qui a sous les yeux une expérience à grande échelle. On parle désormais de 6e extinction (donc après les Big Five) et celleci est clairement liée à l'expansion humaine sur terre. Cette vaste expérience en direct a au moins l'avantage de permettre de comprendre bon nombre de phénomènes écologiques. La fragmentation des habitats a permis de comprendre que certaines espèces ne pouvaient se maintenir dans certains endroits, que si ces endroits sont reliés (en connection) à d'autres. C'est à dire que l'idée qu'une population peut survivre sur un territoire s'il est suffisamment grand n'est pas suffisante. La réalité est plus complexe et à conduit à l'émergence de nouveaux modèles comme celui de la métapopulation. Ce modèle de métapopulation indique qu'une espèce (population totale) est subdivisée sur un territoire donné en plusieurs populations « locales » et que le maintien de l'ensemble est lié au maintien de chacune de ces populations locales. Inversement le maintien d'une population locale est liée au maintien de l'ensemble de la métapopulation. Géographiquement le territoire est structuré à l'échelle de la métapopulation. Les populations locales sont donc dans un isolement tout relatif et il existe entre elles des flux géniques qui sont rendus possibles par l'existence de « couloirs » géographiquement libres, couloirs au sein desquels peuvent circuler les individus entre sous-populations. Le maintien de ces couloirs est donc une nécessité technique aujourd'hui pour les aménageurs. Bref aujourd'hui on pense en termes de métapopulations pour les mammifères notamment et les primates en particulier. L'homme n'échappe probablement pas à ce modèle à l' époque préhistorique. Aujourd'hui nous sommes tellement nombreux que la question du maintien des populations ne se pose pas. Mais à l'époque, en Afrique ou sur les continents nouvellement « colonisés » le maintien de populations sur les territoires était lié à la présence de populations sources. La colonisation ne s'est pas faite d'un seul coup, il y a eu de nombreux épisodes de colonisations extinctions localement. Ce qui n'a pas mis forcément en péril l'ensemble de l'espèce du fait justement de cette structure métapopulationnelle. A partir d'un tel modèle, on comprend bien que le schéma classique une espèce-un type-un territoire, est beaucoup trop simpliste pour être réaliste. Il faut se défaire de ces schémas rigides. L'espèce est une entité dynamique, évolutive. Elle est composée de diverses populations en relation les unes avec les autres dans un échange plus ou moins permanent de gènes. Certaines espèces sont dites poly-typiques. C'est à dire que certaines formes sont des variants géographiques bien distincts. C'est un cas extrême de la variation au sein de l'espèce, qui reste basée sur la notion de type mais qui la relativise un peu. C'est un cas extrême dans la mesure où la distinction morphologique existe dans les cas d'isolement assez prononcé entre les populations. Mais l'isolement est rarement aussi marqué. Appliqué à l'homme, l'isolement morphologique a lieu dans certaines zones géographiques. Je pense par exemple au cas des aborigènes australiens dont la morphologie crânienne est assez particulière. Elle pourrait presque être considérée comme typique. Là encore dans le sens du cas limite. Le flux génétique s'est trouvé interrompu suite à la colonisation du continent australien. Les australiens ont donc évolué dans un certain isolement pendant un certain temps. Pas suffisamment cependant pour franchir la « barrière » spécifique (le critère de l'isolement reproductif qui défini l'espèce biologique). Mais peut-être un tel phénomène aurait pu avoir lieu si l'isolement s'était maintenu.


Ce cas aurait pu avoir lieu dans d'autres régions du monde. Dans les îles notamment. Cela a conduit à vouloir distinguer des races géographiques. Le flux génique est cependant aujourd'hui trop continu entre tous les peuples pour pouvoir soutenir l'existence de telles races. C'est, comme on l'a vu précédemment, vouloir introduire de la discontinuité dans la continuité. L'isolement se serait poursuivi si la démographie galopante de notre espèce n'avait effacé les frontières entre les groupes. Néandertal. Néandertal est un groupe humain que l'on trouve en Europe. Il semble avoir évolué sur place. Sa morphologie présente des particularités. Mais il semble aussi que l'on puisse voir des gradients morphologiques le long de sa répartition. Avec des formes plus « typiques » à l'Ouest qu'à l'Est de sa zone de répartition. Néandertal présente donc une certaine variabilité. Mais qu'en est-il de son isolement ? A t-il été suffisant pour conduire le groupe à s'individualiser en tant qu'espèce ? L'évolution de la lignée humaine en Europe, présente depuis plus de 300.000 ans ne semble pas avoir eu lieu en vase clos. Pourquoi en aurait-il été ainsi ? Les faunes ont continué de circuler assez librement sur cette zone géographique. Les hommes également. La génétique semble montrer qu'il a pu s'hybrider avec les hommes modernes, donc la barrière de l'espèce n'aurait pas été franchie. On pourrait alors le considérer comme une race ? L'isolement s'il n'a pas été total, a pu être cependant suffisant pendant assez longtemps pour conduire la population néandertalienne à un changement morphologique significatif et que l'on pourrait considérer comme type ou race géographique. Et l'espèce humaine serait alors une espèce polytypique.


Turn static files into dynamic content formats.

Create a flipbook
Issuu converts static files into: digital portfolios, online yearbooks, online catalogs, digital photo albums and more. Sign up and create your flipbook.