Le paradigme adaptationniste

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! ! ! ! ! ! “Aucune théorie de l"évolution ne ! ! ! ! peut être acceptée si elle abandonne comme un ! mystère le phénomène de l"adaptation” !

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A la mémoire de Steve Gould

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Théodosius Dobzhansky

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1 L’adaptation biologique

Le vocable «!adaptation!» trouve son origine étymologique dans le verbe adaptare qui signifie «!ajuster à » constituant un emprunt au latin médiéval adaptatio (XIIIe siècle). Le mot s’est diffusé au XVIe siècle sous la plume de Rabelais désignant l’action d’adopter, d’approprier ou d’ajuster. Plus qu’un mot, l’adaptation est aujourd’hui considérée comme un concept central de la théorie de l’évolution. L’adaptation et la sélection naturelle sont les deux mamelles d’un paradigme nourricier et généreux. Le concept apparaît comme évident voire trivial. On ne saurait discourir sur l’évolution biologique sans invoquer l’adaptation. Les plus brillantes illustrations en sont les phénomènes les plus remarquables décrits par la biologie! : l’homochromie de certains caméléons, la quasi-perfection de l’aile de l’albatros ou du guépard à la course. Mais on peut se demander si la prise en considération de tels extrêmes n’oblitère pas la diversité du vivant au profit d’une vision schématique, réduite à l’image… Chauve-souris Homme

Mouton

Phoque

L’homologie des membres antérieurs de mammifères aussi divers est un exemple typique d’adaptation.

L’histoire naturelle nous apprend que le terme est en vogue à la fin du XIXe siècle sous l’égide de Wallace ou Weismann, fervents darwiniens et grands explorateurs du paradigme. Car Darwin ne fait qu’un usage limité du terme, mais nous aurons l’occasion d’y revenir… Nous nous bornerons pour l’instant à décrire cette notion dans sa problématique moderne et pour cela, point n’est besoin de remonter le temps avant la date officielle de l’émergence de la théorie dite « ! synthétique ! » de l’évolution ou Synthèse, dont l'ouvrage de J.S. Huxley1 marque l’avènement dès sa 1

Huxley Julian S., 1942, Evolution, the Modern Synthesis, New York, Harper, 645p.


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publication en 1942 sous le titre «!Evolution!: the modern synthesis!». L’ouvrage est ambitieux et fort d’un talent de synthétiser les apports venus d’horizons divers. Le chapitre consacré à l’adaptation fixera les idées de façon assez définitive jusqu’à aujourd’hui pour la communauté des biologistes. C’est de cette synthèse et de ses avatars que nous partirons pour bâtir ce travail sur une base de départ solide si possible. Définitions modernes On trouvera dans des manuels récents de biologie évolutive, des définitions de l’adaptation dont voici quelques exemples. Dans sa « ! Biogéographie évolutive ! », Blondel1 la définit comme « ! l’aptitude d’un organisme à exercer une fonction appropriée aux caractères de son environnement. De la qualité de cette fonction dépend la valeur sélective ou fitness de l’organisme!». On notera au passage le caractère fonctionnel et adéquat. Ridley2 nous propose la suivante!: «!l’adaptation d’un être vivant peut être considérée comme un «!plan!», celui de l’ensemble des propriétés qui permettent à cet être de survivre et de se multiplier!». Enfin Williams 3, sans formaliser véritablement une définition, conçoit l’adaptation comme le produit nécessaire de la sélection naturelle. Il est aisé de constater la grande divergence de ces trois définitions parmi tant d’autres. L’un considère l’adaptation comme un potentiel, l’autre comme un état de fait ou encore une conséquence. Comment la communauté des biologistes peut-elle s’y retrouver avec des bases si différentes!? Comment apprécier l’objet lorsqu’il existe un tel flou théorique dès le départ!? Et pourtant, personne ne saurait mettre en doute la validité de cette notion. L’adaptation semble un objet complexe, irréductible. Les spécialistes s’affrontent quant à la question du niveau de complexité impliqué dans l’adaptation, nous reviendrons sur ce problème. Qu’est-ce qui est adapté ! ? Les structures, les phénomènes, les organismes!? Et à quoi est-ce adapté!? À une fonction!? À un milieu particulier!? On trouvera toutes les réponses possibles dans la littérature. De l’adaptation biochimique, physiologique ou anatomique, d’adaptations pour partie à l’adaptation globale, d’individuelle à des niveaux systémiques différents. Si l’adaptation ne se laisse pas facilement cerner ou saisir, sa puissance conceptuelle est telle qu’elle pénètre tous les niveaux interprétatifs, c’est la raison pour laquelle nous osons porter jusqu’au rang de paradigme la pensée adaptationnniste. Cela peut paraître à première vue largement exagéré, mais nous justifierons plus loin cette hypothèse en regard de son histoire propre dans l’évolution générale des idées en sciences naturelles. Adaptation et sélection naturelle Aujourd’hui, la notion d’adaptation ne peut être envisagée qu’en regard du mécanisme de la sélection naturelle!: elle en est le résultat, le produit. Et inversement, la sélection naturelle est la seule explication scientifique qui ait été fournie pour comprendre l’adaptation. D’après Williams4, il est regrettable que la 1

Blondel J., 1995, Biogéographie, Approche écologique et évolutive, Masson, 297p.

2

Ridley M., 1997, Evolution Biologique, DeBoeck Université, 719p.

3 Williams

George C., 1996, Adaptation and Natural Selection, Princeton University Press, 307p.

4 Williams

George C., 1996, Adaptation and Natural Selection, Princeton University Press, 307p.


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théorie de la sélection naturelle ait été développée d’abord pour fournir un modèle explicatif au changement évolutif, car il serait plus important de la considérer comme l’explication du maintien de l’adaptation. Cette notion d’adaptation devient alors centrale dans la compréhension des phénomènes biologiques et évolutifs. Voyons comment est envisagé ce rapport. Les populations d’êtres vivants présentent des variations individuelles pour des caractères génotypiques ou phénotypiques dans le milieu où elles vivent. Il existe de ce fait un rapport statistique entre les caractères de la population, les données démographiques et l’environnement. La variabilité des caractères fluctue en fonction des données démographiques et des changements environnementaux que subit la population. La sélection naturelle est alors envisagée comme la survie différentielle des individus au sein de la population dans des environnements changeants. Les individus ou groupes d’individus survivants dans des environnements donnés sont dits adaptés à ces environnements parce que l’équation statistique de la survie de ces individus apparaît comme une adéquation à l’environnement. Voici une version de l’adaptation biologique qui est plutôt celle des biologistes des populations, des généticiens. Il faut savoir que tous ne s’accordent pas avec cette vision de l’adaptation qui est en fait très large puisqu’elle tend à considérer que tout individu qui survit dans un environnement donné est adapté à cet environnement. Bon nombre d’auteurs ont critiqué la tautologie consistant à considérer la survie des plus adaptés, donc la survie des survivants… Gould1 propose une version différente ! : l’adaptation significative doit être définie comme intention activement développée au vu des circonstances locales et non par le seul fait de s’en sortir tant bien que mal au moyen de caractéristiques héritées, piètrement adaptées aux besoins actuels. Cette définition considère l’adaptation dans un sens beaucoup plus restrictif. Il s’agit de pouvoir l’apprécier autrement que par les calculs démographiques et de génétique des populations. Il s’agit de pouvoir mettre en évidence des structures particulières que nous disons adaptatives parce qu’elles correspondent à un besoin, à une réponse face à l’environnement. Bien sûr cette réponse se trouve avalisée par les taux de survie différentielle, mais ce ne sont pas ceux-ci qui déterminent l’adaptation. Cette façon de voir l’adaptation la rend beaucoup plus matérialiste, elle peut être étudiée en tant qu’objet, que forme, que taille, que fonction, que structure. Plus qu’une simple querelle de définition entre scientifiques, il s’agit en fait de façons assez radicalement différentes de penser, de philosophies de l’évolution. Williams et d’autres à sa suite (Hamilton, Dawkins) considèrent les gènes comme les facteurs cruciaux de l’adaptation et de l’évolution, alors que beaucoup d’autres comme Gould et les morphologistes en général considèrent le rôle de la forme, de la taille des individus. Ce débat entre «!génotypistes!» et «!phénotypistes!» est un peu simpliste mais permet de se faire une idée des divergences conceptuelles qui séparent des biologistes modernes aujourd’hui sur des notions que l’on tient généralement pour solides. Nous reviendrons sur ce problème du niveau de sélection et d’adaptation qui reste majeur. L’adaptationnisme La critique du programme adaptationniste est sortie au début des années 80’ des réflexions de quelques biologistes réunis autour de S.J.Gould, telle une mise en garde contre les abus d’une application forcenée de la théorie de l’adaptation à toutes les structures et formes du vivant. Dans un article célèbre de 1979, Gould et Lewontin2 mettaient l’accent sur le fait que si la sélection naturelle peut expliquer l’adaptation, toutes les structures sélectionnées ne sont pas systématiquement adaptées. La mise en avant de la notion d’adaptation 1 2

Gould Stephen J., 1987, Un hérisson dans la tempête, LP, 278p.

Gould Stephen J. & Lewontin Richard C., 1979, The spandrels of San Marco and the panglossian paradigm!: a critique of the adaptationist program, Proc. Royal Soc. London B, 205, pp581-598.


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comme concept central de la théorie de l’évolution et comme phénomène primordial de la biologie des espèces date de la fin du XIXe siècle. Les naturalistes Alfred Russell Wallace, le père de la biogéographie, puis le généticien Auguste Weismann ont mis particulièrement en évidence la nécessité d’expliquer l’adaptation. Cette émergence d’un nouveau concept scientifique dans la communauté est à l’origine de ce «!programme adaptationniste!» qui va s’enrichir et s’épanouir tout au long du XIXe siècle et particulièrement depuis la théorie synthétique de l’évolution. Nous montrerons cependant qu’elle n’est pas née de rien et que le programme adaptationniste trouve ses fondements dans la pensée adaptationniste qui lui est antérieure et qui le dépasse de loin, ce qui justifie l’idée de véritable paradigme dont nous évoquions la possibilité précédemment. La critique du programme adaptationniste insiste en réalité sur le fait que toutes les structures, les formes, les fonctions observées ne constituent pas des adaptations. Nous citerons Gould1!: «!le débat sur l’adaptation n’est pas une subtilité abstraite et insignifiante de la vie académique. Il englobe nos attitudes fondamentales à l’égard de l’histoire. La biologie évolutionniste est la science de base de l’histoire!; le strict adaptationnisme, ironiquement, amoindrit l’histoire jusqu’à l’insignifiance en réduisant la relation de l’organisme avec l’environnement à une quête ponctuelle d’optimalité!». Nous aurons l’occasion de revenir plus amplement sur cette question de l’optimalité. Pour citer Gould encore ! : « ! le programme adaptationniste crée une confusion entre l’utilité présente d’une pratique et son origine historique. Un certificat de bon état de marche délivré aujourd’hui n’implique pas que tel élément ait été crée dans le passé en vue de son usage actuel. Malheureusement, nous appelons du seul et même nom «!d’!adaptation!» le bon état de marche d’un élément et le processus de sa création.!» Nous aurons maintes fois l'occasion d’illustrer ce constat en glanant nos exemples dans la discipline anthropologique. Nous montrerons que la pensée adaptationniste possède des liens étroits avec la philosophie utilitariste dans un débat plus vaste sur l’éternelle question de la finalité.

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Gould Stephen J., 1987, Un hérisson dans la tempête, LP, 278p.


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2 Les adaptations humaines

Il nous paraît fondamental d’étudier le problème de l’adaptation en tant que véritable paradigme dans sa dimension anthropologique, car c’est un point primordial de la compréhension d’une écologie humaine. L’adaptation de l’homme est ce qui le comprend en tant qu’être déterminé, qu’être historique, mais aussi qu’être libre!! Quelle est réellement cette liberté, quelles en sont les limites!? Mais l’adaptation c’est aussi le problème de la diversité, de l'un et du multiple, des origines humaines, des rapports biologiques et historiques des peuples entre eux… Tenter de cerner l’adaptation chez l’être humain, c’est tenter de le définir en partie. C’est aussi comprendre les rapports qui le lient à son milieu. Ce travail se penchera sur le milieu physique et biologique mais un autre tentera l’approche culturelle, le milieu socio-spatial. Nous analyserons successivement trois axes de recherche de l’anthropologie biologique que sont!: la bipédie, la couleur de peau et la morphologie. Parce que ces trois domaines nous paraissent avoir levé parmi les plus grandes controverses de la paléoanthropologie et de l’anthropologie des hommes actuels, nous les considérons comme témoins véritables de l’ardeur des philosophies sous-jacentes et toujours tues. Nous allons considérer l’humain dans son acception scientifique la plus large, le genre Homo. Ainsi nous rencontrerons indifféremment des Sapiens sapiens (nous…), des Néandertaliens, des erectus et d’autres encore, qu’il ne sera pas forcément intéressant de dénommer précisément pour ne pas obscurcir nos pensées, de débats intranchés et toujours brûlants de typologistes. Non pas que ces problèmes de nomenclature soit dépourvus de tout intérêt, certes non, mais parce qu’il est probablement trop tôt pour avoir des certitudes quant aux objets d’analyse. La bipédie La bipédie est une des caractéristique essentielle de l’humanité, de la nature humaine, de son écologie. Si l’humain n’a pas le monopole de l’état bipède sur la planète, il n’en reste pas moins un fervent usager. En effet, les oiseaux le sont mais on ne saurait comparer deux groupes si éloignés phylogénétiquement. Prenons garde à l’analogie!! La bipédie humaine est à examiner au sein du groupe des primates avant tout, voire au sein de l’ensemble des mammifères. Cette caractéristique est à étudier en tant que produit de l’histoire d’un groupe. Il serait fort peu prudent d’étendre les comparaisons au-delà de ces limites raisonnables. Pourquoi cela!? Les archives paléontologiques nous montrent que les divers taxons identifiés de mammifères sont connus depuis la crise biologique Crétacé-Tertaire. La diversification des groupes a eu lieu à cette époque et bon nombre de formes sont rapidement apparues. Les primates font partie de ces groupes identifiables dès 60 millions d’années environ. Sur ces 60 millions d’années d’évolution biologique, divers groupes sont apparus, se sont diversifiés et différenciés et un rameau particulier s’est individualisé vers 8 millions d’années, pour les estimations les plus audacieuses 1, celui qui donnera des hommes. La bipédie est apparue dans ce rameau ou peut-être pour être plus justes devrions-nous dire, que ce rameau a exploité cette possibilité évolutive, en se gardant bien d’y apporter un quelconque jugement de valeur!! Pourtant on est encore bien mal à l’aise à définir quand précisément la bipédie est apparue ou bien qui (quelle espèce) en a été le premier bénéficiaire. Plus les années passent, plus les recherches avancent et plus les dates 1

Coppens Y., 2000, Le Genou de Lucy, Odile Jacob, 220p.


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reculent. Les plus récentes hypothèses voient la bipédie présente chez des formes anciennes du rameau, des australopithèques. Restons imprécis quant à nommer les espèces, cela vaut mieux. Les dates avancées tournent pour le moment autour de 5 millions d’années.1 Ce sont là les premières preuves de la présence d’individus bipèdes à l’époque, mais ça ne date pas l’apparition de cette caractéristique. Si tant est qu’il soit possible de le faire dans la mesure où la bipédie ne serait pas définissable en deçà d’un certain seuil… Toujours est-il que les australopithèques ne sont pas des hommes comme nous. Sont-ils «!humains!»!? La question reste d’actualité. Ce qui nous intéresse ici c’est que le caractère bipède préexiste à l’homme proprement dit. Ça c’est assez nouveau.

Empreinte de pied attribuée à un hominidé site de Laetoli en Tanzanie daté de 3,7 millions d’années

Si l’homme a fait de la bipédie un caractère essentiel, celui-ci ne suffit pas à définir celui-là!: presque tous les primates, singes ou lémuriens, pratiquent à l’occasion la bipédie au sol ou dans les arbres. C.Berge2 nous dit que!ce qui distingue l’homme des autres espèces, c’est sa «!spécialisation à la bipédie terrestre!». Nous reviendrons aussi plus loin sur cet aspect de spécialisation et son rapport sémantique à l’adaptation. En effet, les fossiles semblent montrer que jamais ce caractère n’a été aussi «!élaboré!» que chez l’homme. (Décidément les mots orientent toujours le discours d’une manière ou d’une autre…) Ce qui semble donc caractériser l’homme c’est plus la durée de la posture bipède que la posture en elle-même. La bipédie chez l’homme est dite permanente. D’où un débat sur le gradualisme du phénomène… Et I.Tattersall3 de dire «!si le changement postural n’a pas été le facteur primordial de l’apparition de notre lignage, nous n’avons guère d’autre explication envisageable!». Pénurie d’hypothèses!? Peut-être… La série des fossiles qui amène à l’homme semble donc montrer ce phénomène de «!spécialisation!». Quel en est le responsable!? Pourquoi la bipédie est-elle apparue!? Pourquoi a-t-elle persisté!? La question reste aujourd’hui sans réponse définitive et les hypothèses vont bon train. 1

Bacon A. M., 1999, Les Australopithèques, Dossier Pour la Science, pp38-42.

2

Berge C., 1997, Lucy debout tient encore aux arbres, Historia Spécial, pp48-53.

3 Tattersall

I., 1998, L’émergence de l’homme, Gallimard NRF essais, 284p.


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Les scientifiques répondent toujours au « ! comment ! ? ! » Cette spécialisation se traduit sur un plan locomoteur par de nombreuses modifications anatomiques, restreignant sévèrement tout autre mode possible de se mouvoir!: le pied perd son caractère préhensile et acquiert une voûte plantaire. Un «!remodelage!» anatomique a lieu, en corrélation avec la verticalisation!: le crâne est en équilibre sur le rachis, le bassin se modifie profondément, les membres inférieurs s’allongent, le rachis s’invagine à l’intérieur du tronc et acquiert des courbes particulières. L’on peut donc suivre l’évolution de ces divers «!paramètres!» au fil du temps et des populations. Mais tout cela n’explique pas le « ! pourquoi ! » d’une telle apparition. Pour tenter d’analyser cette apparition, il faut prendre un peu de hauteur. Le phénomène est-il apparu brusquement ou bien graduellement!? Cela est-il une question d’échelle!? Ce qui est sûr, c’est qu’en deçà des fossiles déjà connus présentant ce caractère, on n’a pas d’autres ancêtres aujourd’hui. Donc dans les archives paléontologiques, la bipédie apparaît brusquement avec le premier fossile porteur de ce caractère que l’on ait. Qu’en est-il auparavant, on n’en sait rien. Pourquoi la question est-elle si importante!? Parce que si l’on peut corréler cette apparition à un autre phénomène, en particulier climatique pour les hypothèses les plus connues, alors on montrera quel lien étroit existe entre les deux, voire quelle cause et quel effet et comment l’un a entraîné l’autre. C’est le cas de la théorie dite «!East side story!» d’Y.Coppens1, qui souhaite pouvoir attribuer à un changement climatique l’apparition du caractère bipède chez certaines populations. Voilà une explication du «!pourquoi!». La cause est environnementale et la bipédie constitue une adaptation à un changement de milieu. Cette hypothèse est très bien admise par une partie de la communauté des paléoanthropologues. Arrêtons-nous un moment sur le scénario d’Y.Coppens2 tel qu’il le raconte lui-même!: «!Je privilégie, quant à moi, ces dates de 7 à 8.000.000 d’années et, par suite, les précieuses pièces qui viennent de sédiments de ces âges parce que ces dates ne sont pas des dates banales!; elles répondent à des évènements astronomiques et climatiques globaux et à une cascade d’évènements tectoniques, climatiques et écologiques locaux ! ; globalement, c’est une crise bien documentée, rafraîchissement de la planète et sa traditionnelle aridité consécutive dans les ceintures tropicales!; localement, dans l’Est africain le phénomène du rifting, présent depuis des millions d’années y est réactivé se traduisant par des effondrements et par de l’orogenèse tout au long de la lèvre occidentale de la grande faille. La couverture végétale, dans l’ensemble très arborée, qui traversait le continent d’un océan à l’autre, prend incontestablement un coup de sec à l’est qui se découvre. Il est probable que cette différence d’arrosage et, par suite, de végétation entre l’est et l’ouest de la faille, différence qui ne va faire que s’accentuer, ait entraîné avec elle des différences de faunes et d’adaptations de ces faunes [le mot est lâché…], adaptations qui n’auraient auparavant aucune raison d’apparaître. (…) Les ancêtres communs des hommes et des chimpanzés avaient du vivre là, dans cette Afrique équatoriale de savanes et de forêts!; et puis, les circonstances ayant tracé une ligne nord/sud au beau milieu de cette Afrique équatoriale, devenue ligne de séparation entre plus humide et moins humide, ces ancêtres communs s’étaient trouvé divisés en deux populations aux contraintes adaptatives différentes contraintes alimentaires imposées par les circonstances, contraintes staturales et locomotrices consécutives. Dans les zones mosaïques de l’est, contraintes d’une alimentation à base de tubercules, de racines et de bulbes (…). Dans le premier cas, la locomotion est arboricole, brachiatrice et dite «!knuckle-walkrice!» à terre, et le bassin, entre autres pièces du squelette, a la forme étirée qui s’impose (…)!; dans le deuxième cas, la locomotion est à la fois arboricole et bipède à terre, puis exclusivement bipède, et le bassin, entre autres pièces du squelette, a la forme tassée qui lui est imposée (…)!; le bassin (…) doit alors porter une partie du corps.!» Il était nécessaire de citer le passage dans son ensemble pour bien montrer que le scénario se tient, il forme un tout avec ses diverses articulations. Cependant l’auteur présente des corrélations entre phénomènes 1

Coppens Y., 1975, Evolution des hominidés et de leur environnement au cours du Plio-Pléistocène dans la basse vallée de l’Omo en Ethiopie, C. R. Acad. Sci. Paris, série D 281, pp1693-1696. 2

idem


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(bipédie/changement environnemental) mais n’expose pas là un quelconque lien de cause à effet. Celui-ci est présupposé. Quelle est donc la cause agissante!? Certes l’on saisi bien quels sont les avantages en termes darwiniens, sélectionnistes, que procure la bipédie à ses détenteurs. Pourtant certains auteurs ont avancé d’autres hypothèses dans ce sens qui en quelque sorte complètent la théorie des causes environnementales, ou causes externes. J. Reichholf1 dit que «!les deux avantages principaux de la station verticale apparaissent dès lors à l’évidence. Elle permet de superviser les environs, même en se déplaçant rapidement et elle permet de transporter un corps de 50 Kg en ne dépensant pas plus d’énergie qu’une antilope avec ses quatre pattes fines pour déplacer le même poids!». À propos de ces hypothèses externes, I.Tattersall2 ajoute!: «!En se tenant debout on peut paraître plus gros (et ces premiers hominidés étaient très petits et vulnérables aux grands prédateurs). Bien plus, les carnivores ont souvent leur attention attirée par une silhouette horizontale, tandis qu’elle ne l’est pas par une silhouette verticale!». R.Leakey et R.Lewin3 avancent une autre hypothèse!: le jet de pierre nécessite une position bipède et est particulièrement efficace pour lutter contre les prédateurs. Un comportement vigilant tend à favoriser cette posture. «!Pour ces animaux qui vivent au milieu des hautes herbes, la faculté de se lever et d’avoir ainsi un champ de vision plus étendu est un avantage indéniable (…) mais à elle seule la vigilance ne suffit pas à expliquer la locomotion bipède permanente!». Une autre explication courante est celle qui voit la cueillette des plantes et l’usage des bras comme une nécessité à libérer les membres antérieurs de la contrainte locomotrice. Sinclair4, lui, propose que l’apparition de la bipédie est due à la nécessité de suivre les troupeaux d’ongulés migrants sur de longues distances. « ! bipedalism was a necessary adaptation to exploit this food supply ! ». Par ailleurs il explique que les membres de la troupe doivent pouvoir porter leurs petits dans leurs bras. Toutes ces hypothèses sont plausibles. Elles sont même de bon sens. Ajoutons que point n’est besoin d’être paléoanthropologue pour avancer de telles hypothèses. Ajoutons aussi que toutes sont récentes et ont une vingtaine d’années au maximum. Ces quelques exemples sont pourtant représentatifs de ce que l’on trouve dans la littérature anthropologique dans tout le vingtième siècle. Par une sorte d’effet de mode ces hypothèses vont et viennent au fil des ans, toujours plus ou moins identiques ou tout au moins sous des formes voisines. Rappelons à titre anecdotique ce que proposait Darwin5 dès 1871!: «!les mains et les bras n’ont guère pu devenir assez parfaits pour fabriquer des armes, ou lancer des pierres et des javelots avec une véritable précision, aussi longtemps qu’ils furent couramment utilisés pour la locomotion et pour supporter tout le poids du corps, ou aussi longtemps qu’ils furent adaptés (…) à grimper aux arbres!». Comme le dit R.Lewin6!: «!il a été souvent bien difficile d‘échapper à l’hypothèse d’une bipédie apparue afin de libérer les mains!».

1

Reichholf J., 1991, L’émergence de l’homme, Champs Flammarion, 356p.

2 Tattersall

I., 1998, L’émergence de l’homme, Gallimard NRF essais, 284p

3

Leakey R. & Lewin R., 1985 (ed.), Les Origines de l’Homme, Champs Flammarion, 280p.

4

Sinclair A. R. E., Leakey M. D., Norton-Griffiths M., 1986, Migration and hominid bipedalism, Nature, 324, pp307-308.

5

Darwin C., 1999, La Filiation de l’Homme, Syllepse, 825p.

6

Lewin R., 1991, L’évolution humaine, Point Science Seuil, 408pp. et 1987, Four legs bad, two legs good, Science, 235, pp969-971.


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Revenons à l’analyse de nos hypothèses indépendamment de leur histoire. En fait, elles ne font qu’évoquer des traits avantageux au maintien du caractère bipède dans la population. Dans un monde néodarwiniste, il n’est pourtant pas envisageable d’imaginer que la bipédie soit apparue pour ces raisons… N’y aurait-il pas là une pointe de néo-lamarckisme!? Pourtant certains auteurs en frôlent «!dangereusement!»!les rivages. D’après O.Lovejoy1, «!la bipédie serait sous forte pression de sélection seulement par des périodes consistantes et prolongées de posture érigée et pas seulement occasionnelle.!» Question d’habitude… Darwin lui-même n’était pas aussi sélectionniste qu’on veut le prétendre!: !«!Nous pouvons par conséquent inférer que, lorsqu’à une époque reculée les ancêtres de l’homme se trouvaient dans un état de transition entre quadrupèdes et bipèdes, la sélection naturelle dut probablement être grandement aidée par les effets hérités de l’usage accru ou diminué des différentes parties du corps!» et «!nous devons spécialement garder à l’esprit que les modifications acquises et continuellement utilisées au cours des époques passées pour quelque fin utile se sont probablement solidement fixées et pourraient à la longue devenir héréditaires!». On comprendra donc aisément qu’il est facile d’envisager des hypothèses sur les avantages et la sélection du caractère bipède. Ce qui pose un problème théorique c’est la façon dont s’est opéré le passage, la transition entre un ancêtre supposé quadrupède et un descendant bipède. Comment donc s’est produite «!l’assimilation génétique!» du caractère!? Certes on peut imaginer que des individus, d’une population ancestrale, ont pu trouver avantage à se dresser sur leurs pattes pour toutes sortes de raisons y compris celle d’avoir la tête plus proche du monde lunaire… N’est-il pas beau de considérer l’élévation de l’homme, son émancipation du monde animal, dans une quête constante vers l’absolu… Comment ce caractère a-t-il pu se transmettre!? L’hérédité des caractères acquis n’étant plus à l’ordre du jour, il faut envisager autre chose. Marks2 a bien résumé l’obstacle théorique!: la bipédie constituerait selon lui un caractère hérité acquis. Il s’appuie principalement sur les thèses (controversées) d’Hamilton. Reste que personne n’a jusqu’à maintenant pu montrer comment le génome peut intégrer des éléments informatifs en provenance de l’extérieur. Une autre hypothèse, beaucoup plus controversée celle-là et qui a subi les assauts répétés de la communauté scientifique à laquelle elle n’appartient pas, est celle d’E.Morgan3 . Selon elle, la station debout est apparue par la nécessité de se tenir la tête hors de l’eau dans laquelle les hominidés étaient plongés pour échapper à des monstres plus forts mais allergiques à l’eau. Là encore, caractère acquis, issu d’un comportement répété. Une controverse récente, là encore, sur l’origine de la bipédie a eu lieu entre Amaral4 et Wheeler5. Ce dernier avance les avantages pour la thermorégulation, de la bipédie combinée à une peau nue (autre grand problème) et une taille supérieure. Amaral montre que bien que la bipédie soit un avantage sur la quadrupédie du point de vue de la thermorégulation, il n’est pas du tout certain que la nudité soit apparue en contexte de savane ni que la bipédie l’ait précédée. Au contraire pour lui, la voie de la nudité était ouverte avant celle de la bipédie. Sa thèse est la suivante!: la perte du pelage a entraîné une mortalité accrue des enfants par chute (ne pouvant plus s’accrocher à leurs mères glabres) et donc le portage a favorisé la bipédie comme pression de sélection. Il est intéressant à ce point de noter qu’Amaral penche en faveur d’une origine tropicale forestière de l’homme et non pas de savane. Les hypothèses sont aussi fonction des préconceptions et 1

Lovejoy C. O., 1981, The origin of man, Science, 211, pp341-350.

2

Marks J., 1989, Genetic assimilation in the Evolution of Bipedalism, Hum. Evol., 4, 6, pp493-499.

3

Morgan E., 1994, Les cicatrices de l’évolution, 10/18, 239p.

4 Amaral

L. Q. (do), 1996, Loss of body hair, bipedality and thermoregulation, J. Hum. Evol, 30, pp357-366.

5 Wheeler

P. E., 1996, The environmental context of functional body hair loss in hominids, J. Hum. Evol, 30, pp367-371. Et 1994, The foraging times of bipedal and quadrupedal hominids in open equatorial environments, J. Hum. Evol., 27, pp511-517.


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d’hypothèses antérieures. L’édifice est assez instable. Les «!scénarios!» sont de première importance pour les résultats et les interprétations des recherches. L’objectivité mythique… Dans ce débat récent, Chaplin, Jablonski et Cable1 répondent à Wheeler ! : les humains auraient pu rechercher leur nourriture aux heures les plus chaudes de la journée et être ainsi compétitifs vis à vis des autres mammifères qui ne le peuvent. Les auteurs en concluent que la thermorégulation n’a pas d’effet significatif sur le changement de posture. A noter qu’ils sont en faveur d’un ancêtre quadrupède, alors que Wheeler non. Là encore l’influence des présupposés. On notera par ailleurs que les plus récentes recherches montrent que les ancêtres pratiquaient aussi le knuckle-walking et étaient donc déjà très terrestres. Voilà qui complique encore le tableau… Toutes les hypothèses qui ont été précédemment présentées font appel à des causes externes et pour cela nous les appellerons causes externalistes. Car il existe aussi des causes internalistes, qui font appel à une toute autre philosophie biologique, bien qu’en fait assez complémentaires et non exclusives. Celles-ci apportent des hypothèses à l’apparition génétiquement programmée de la bipédie. C’est celle de J.Chaline2 en particulier dans la récente littérature scientifique française!: «!On peut imaginer logiquement la façon dont a pu se passer cette mutation majeure de l’acquisition de la bipédie [noter au passage le lexique différent] qui a abouti à l’hominisation. Un individu de la population des pré-australopithèques a du subir une ou plusieurs mutations de gènes de régulation qui ont entraîné une contraction cranio-faciale lors de son développement. Un développement ralenti par rapport à celui de ses parents, avec le blocage permanent du trou occipital en position inférieure, a imposé de fait une bipédie persistante. Elle a entraîné une rotation vers l’arrière de la partie occipitale du crâne, ainsi qu’un léger accroissement de la capacité crânienne immédiates (…) C’est dire que le premier australopithèque a pu se tenir debout alors que les autres individus de la troupe étaient ramenés à la quadrupédie vers un an!! Qu’il soit mâle ou femelle, cette nouveauté a dû lui donner un avantage immédiat sur ses congénères par sa position dominante en taille. Connaissant les mœurs des dominants!, cette nouveauté (…) a pu devenir un état fixe en une ou deux générations selon le processus classique de formation de nouvelles espèces dans de petits groupes à forte consanguinité et dérive génétique!». Voilà un monstre prometteur… Alors, Goldschmidt3 ou Darwin!? L’hypothèse de J.Chaline n’est pas neuve, elle non plus et remonte aux travaux de E.Haeckel4 sur l’embryologie, puis Bolk5, puis Gould6. Le problème est complexe… en effet la bipédie n’est pas un caractère obligatoire. Aujourd’hui les humains s’éduquent entre eux pour que leurs enfants acquièrent pleinement ce caractère. Rien ne prouve qu’un enfant isolé (voir les enfants sauvages) de toute société marcherait sur ses deux pieds ou tout au moins de la même façon que l’homme «!civilisé!». La marche est un apprentissage et l’on s’en rend compte lorsque l’on est parent. Cependant elle est rendue possible parce qu’un certain nombre de caractères squelettiques particuliers sont présents dès le départ. Il s’agit plus d’un potentiel à réaliser. Ensuite le jeu des interactions muscles/os renforcera le caractère bipède en stabilisant la structure. Avec l’apprentissage, le corps s’adapte (eh oui ! !) à la posture érigée ! ; les attaches musculaires se renforcent et des sillons osseux se creusent. Par un jeu subtil entre diverses contraintes (internes et externes)

1

Chaplin G., Jablonski N. G., Cable N. T., 1994, Physiology, thermoregulation and bipedalism, J. Hum. Evol, 27, pp497-510.

2

Chaline J., 2000, Un million de générations, Seuil, 317pp.

3

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4

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5

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6

Gould Stephen J., 1977, Ontogeny and Phylogeny, Havard University Press, 501pp.


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le corps se modèle. P.Picq1 nous dit à ce propos!: «!il est fermement établi que la morphologie de l’os (forme, taille, structure) répond aux caractéristiques physiques de son environnement fonctionnel dynamique (relation entre la forme et la fonction)!». !Or il est clairement établi aussi depuis quelques temps, que le corps humain souffre aussi de cette posture érigée. Les nombreuses pathologies du dos, des problèmes de croissance en témoignent. L’adaptation ne semble pas parfaite. D’abord il faut l’apprendre ensuite la subir… R.Lewin2 ajoute «!qu’!une grande partie des adaptations anatomiques à la bipédie se rapportent à ce maintien en équilibre dans le dessein d’éviter l’effondrement.!» La bipédie ne va pas d’elle même. Pourtant certains insistent sur le fait que l’homme est véritablement bien adapté à la station verticale. C.Berge et J.P.Gasc3 !: «!rappelons que Cuvier avait l’habitude d’écrire debout toute la journée, sur un haut pupitre construit à cet effet. En somme, seul l’être humain peut rester debout immobile pendant des heures. La position du soldat au garde-à-vous incarnerait-elle le comportement type de l’être humain!?!» Voilà une question qui se donne l’air de la plaisanterie… D’abord la position au garde-à-vous est loin d’être une position de repos (comme tout militaire le sait) encore faut-il en avoir fait l’expérience!: pieds joints formant un angle de 60° environ, fesses serrées, torse bombé, épaules rejetées en arrière, bras tendus le long du corps, le petit doigt sur la couture du pantalon, la tête haute et le regard droit. Cette position est loin d’être confortable et reposante et la preuve en est que les soldats appréhendent toujours la perte de connaissance subite en temps de cérémonie officielle, les faisant s’écrouler lamentablement au beau milieu de leurs camarades ordonnés au passage des officiels. C’est bien connu et si fréquent (mais n’y aurait-il pas là une fierté tout humaine à le vouloir bien debout, la tête vers le ciel…!?). Les militaires ont inventé la position «!repos!», la vraie, pieds écartés dans l’alignement des hanches, bras dans le dos, mains jointes, épaules abaissées, cou et tête relâchés. Cette position dite de repos permet de tenir plus longtemps parce que beaucoup moins tonique mais la position debout n’en est pas pour autant une position de repos musculaire. Sinon pourquoi ne dormirions-nous pas ainsi!? Pourquoi avons-nous toujours besoin de nous asseoir!? Et Cuvier, sauf le respect que nous lui portons, est loin de représenter un modèle statistique. Après cet intermède militaire, nous concevons aisément et au vu de ce qui a été dit précédemment que la station verticale n’a rien d’obligatoire. D’ailleurs elle n’est pas même définitive, on peut la perdre!! Témoins, les expériences d’apesanteur prolongée entraîneraient des effets irréversibles. Donc non seulement la bipédie s’apprend, mais elle se travaille chaque jour, rien n’est définitif et pour faire le jeu de mot rien n’est acquis… Il s’avère donc que la bipédie est vue à la fois comme une adaptation ancestrale (historique) et comme cause agissante sur l’adaptation du squelette (dynamique, mécanique). Si l’on comprend ce processus de «!feed-back!» lors de l’ontogenèse, on le comprend moins dans la phylogenèse. Si nous devons à ce point dresser un bilan des hypothèses proposées par la communauté scientifique, on notera également l’affrontement entre les hypothèses externalistes (variations du milieu) à tendances «!écologiques!» et les hypothèses internalistes à tendances «!mutationnistes!». Si les unes invoquent des causes sélectionnistes darwiniennes, les autres proposent des causes efficientes. Elles ne sont cependant pas exclusives les unes des autres… Pour en terminer avec les hypothèses concernant la bipédie, vous évoquerons brièvement un autre type de logique, téléologique. Ce sont les hypothèses qui font intervenir des causes finales comme moteur du changement. Ainsi dans les années 70’, S.Washburn va jusqu’à prétendre que l’usage d’outils fut la force primordiale qui poussa les hominidés à se dresser sur leurs membres postérieurs et à marcher. Ainsi l’usage 1

Picq P., 1997, La fonction crée la forme, Historia Spécial, pp17 à 18.

2

Lewin R., 1991, L’évolution humaine, Point Science Seuil, 408pp. et 1987, Four legs bad, two legs good, Science, 235, pp969-971. 3

Berge C. & Gasc J. P., 2001, Quand la bipédie devient humaine, in Aux origines de l’humanité, Fayard T.1, 570pp.


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de l’outil devient un but et l’évolution morphologique un moyen qui tend vers ce but. Cette hypothèse est à rapprocher des nombreuses théories qui voient dans l’apparition de la bipédie, la libération de la main. La démarche intellectuelle ici est à considérer!: soit on voit cette «!libération!» comme une conséquence purement découlant de la verticalisation, soit on l’envisage comme la cause de celle-ci. C’est là que se situe l’abus adaptationniste. Revenons justement au problème central de l’adaptation. On a vu que la bipédie pour la plupart des auteurs constitue une adaptation réussie, en témoigne l’actuelle extension de notre espèce. L’anatomie s’est adaptée à ce nouveau mode de locomotion. Que la bipédie en elle-même soit un caractère adaptatif ou pas, le fait d’être bipède avec les modifications anatomiques qui vont de pair, cet ensemble constitue une «!nouvelle!» adaptation de l’homme. C’est le problème du niveau de complexité du système. La bipédie a conduit l’homme à s’adapter dans son nouvel environnement, puisqu’il perçoit désormais le monde de façon différente, avec d’autres possibilités d’interactions avec lui. Le groupe qui a réussi cette adaptation a survécu. Et c’est parce que ce groupe a persisté, a survécu et s’est développé qu’on le dit aujourd’hui adapté. La boucle est bouclée. Mais on le considère adapté dans cet environnement initial qui est le sien ! : la savane. Nos origines adaptatives seraient donc un environnement ouvert, dans lequel on peut marcher. Est-ce là un optimum!? Qu’en est-il alors aujourd’hui de nos déplacements en voiture, de nos heures de bureau!? Et les habitants des forêts denses équatoriales sont-ils moins bien adaptés à ces environnements du point de vue locomoteur!? Le problème de la bipédie est crucial d’un point de vue épistémologique car très révélateur!: il semble impossible de démêler dans cette question la part d’adaptation due à l’homme. Quel rôle a joué l’homme dans le maintien de cette posture. Quelle est sa part de responsabilité!? En effet si l’on considère du strict point de vue naturaliste que l’homme «!subit!» cette adaptation qu’est la bipédie alors son maintien dans la population est stricte affaire de sélection naturelle. Ce strict sélectionnisme enlève tout rôle actif à l’homme. Or si l’on considère que les hommes sont acteurs de leur évolution (en partie), l’interaction incessante comportement-environnement a pu faire pencher la balance du côté d’un maintien du caractère. L’hypothèse sélectionniste semble bien réductrice et laisse de côté la complexité du phénomène humain. Ainsi il semble plus sage d’envisager des hypothèses «!dynamiques!» de maintien du caractère dans la population et non pas une cause unique déterminante. Le biologique pur et le répertoire comportemental et psychologique ont donc joué de façon concomitante de manière complexe. Il semble bien difficile de pouvoir faire la part des choses. Quant au problème de l’origine même du caractère bipède la question est moins claire. Nous avons vu la difficulté d’utiliser les théories néo-lamarckistes. Alors d’un strict point de vue darwinien, la bipédie aurait pu être « ! adoptée ! » par un ou des individus, comme comportement. Les avantages d’un tel comportement auraient pu entraîner son extension au groupe entier. Comme la bipédie n’est pas génétiquement programmée (seule sa possibilité l’est…) alors, elle est apprise par le groupe et transmise comme n’importe quel caractère culturel. Et peut-être que Darwin et Lamarck se seraient rejoints sur ce point, l’usage prolongé pendant des générations aurait peut-être fini par modifier de plus en plus précocement l’anatomie au cours du développement… l’hypothèse ne tient pas, il manque toujours l’assimilation génétique et pour l’instant aucune théorie n’a fait le consensus sur ce point. C’est l’impasse… Force est de constater que la théorie de l’adaptation n’explique pas l’origine de la bipédie, son mécanisme biologique, sa réalisation, son intégration génétique. La bipédie en tant qu’adaptation est un phénomène a posteriori. Comment envisager la cause de l’adaptation ! ? Quel phénomène particulier, quel message environnemental pourrait induire un tel changement et pour quelle raison!? La synthèse néo-darwinienne pense mutation/sélection, c’est ce qu’applique J.Chaline à la lettre, mais sa théorie ne fait pas l’unanimité et loin de là. Pourquoi ! ? Probablement parce qu’elle fait intervenir un élément de hasard ! : la mutation justement. L’homme ne peut certainement pas être le produit fortuit d’une mutation, du pur hasard…!?


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Le débat gradualiste et la bipédie L’on a pu constater déjà l’étroite intrication des origines de la bipédie avec celles de l’homme. L’évolution des idées en paléoanthropologie a suivi deux chemins parallèles!: le chemin théorique et la voie pratique. En effet, ce n’est que vers la fin du XIXe siècle que ces deux pensées se rencontrent par l’intermédiaire de Dubois1 et Haeckel. Les fouilles, sur le terrain, donnent lieu à des supputations de faible portée générale pour la compréhension des origines humaines et c’est l’apport théorique de la réflexion évolutionniste qui va fonder en raison les découvertes paléontologiques. Dès 1878, G.de Mortillet2 avait donné un nom à cet ancêtre mythique!: l’Anthropopithèque, celui que Haeckel avait, dix ans auparavant, nommé Pithecanthropus alalus (le singe-homme muet). Il semble qu’avant Haeckel personne n’ait théorisé sur «!l’évolution humaine!». Il a proposé, imaginé, une théorie de la genèse de l’homme avec ses diverses phases. Darwin3, Huxley4 et bien d’autres fourniront eux aussi leur contenu théorique au problème. Si des «!étapes évolutives!» (des grades) sont proposées, c’est le rythme évolutif qui pose un problème. Le débat sur l’opposition conceptuelle entre l’uniformitarisme, un gradualisme strict dont Darwin (pour des raisons fort louables d’ailleurs) a été un fervent défenseur et le catastrophisme, donne un éclairage particulier au problème de la bipédie. Darwin lui-même ne voit aucun inconvénient à ce que le passage entre la quadrumanie et la bipédie se soit fait progressivement. «!Si c’est un avantage pour l’homme d’avoir les mains et les bras libres et de se tenir fermement sur ses pieds (…) alors je ne puis voir aucune raison pour qu’il n’ait pas été avantageux aux ancêtres de l’homme de s’être rapprochés de plus en plus de la station droite bipède. Ils durent se rendre ainsi mieux à même de se défendre au moyen de pierres ou de massues, ou d’attaquer leur proie, ou d’obtenir leur nourriture de quelque autre manière.!» Chaque étape du passage constitue en un individu plus redressé que son ancêtre et l’on effectue ainsi le redressement le plus complet, celui de l’homme actuel. Darwin ne voit aucun inconvénient adaptatif chez un être à demi redressé. Il réfute l’argument de mal-adaptation d’individus incomplètement bipèdes. Il en veut pour preuve les attitudes des grands singes et de quelques autres. En effet l’on peut considérer que le gorille qui est classé comme quadrumane ne l’est pas complètement non plus. Or il faut bien le catégoriser et l’on a malheureusement pour le faire qu’une pauvre dichotomie, preuve s’il en était besoin de notre difficulté à appréhender la complexité… Bien sûr, en tant que quadrumane, ce n’est pas un quadrupède. La posture locomotrice adoptée par le gorille est celle dite du knuckle-walking. On peut en effet imaginer qu’un individu qui n’a pas la possibilité de se redresser complètement pour des raisons purement anatomiques aurait cette éventualité d’utilisation des membres antérieurs (knuckle-walking) dans sa locomotion. Et ainsi dans la pensée de Darwin, l’individu «!s’arrange!» avec ce qu’il a. On notera au passage la position prudente de Darwin, rejoignant en cela les hypothèses de Gould5 sur l’exaptation!: les structures sont «!utilisées!» de façon opportuniste et n’ont pas été conçues dans ce but précis. On touche ici un point essentiel du débat sur le passage de la quadrupédie à la bipédie.

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3

Darwin C., 1999, La Filiation de l’Homme, Syllepse, 825p.

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5

Gould Stephen J. & Vbra E.S.,1982, Exaptation-a missing term in the science of form, Paleobiology, 8, pp4-15.


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Un gorille en Knuckle-walking

Les opposants au passage graduel ont eu pour argument principal qu’un être semi-redressé a tous les inconvénients adaptatifs que l’on pourrait imaginer. Cette conception réfère à une idée sous-jacente dont nous reparlerons plus loin, de perfection des structures, d’adaptations efficaces, optimales. Darwin ne partage pas ce point de vue ici. Il reconnaît même que les gorilles et autres singes «!utilisent!» comme ils le peuvent les structures anatomiques qu’ils ont!: ils s’en «!arrangent!». C’est une mise en garde d’avant-garde contre les abus de l’adaptationnisme et c’est même une forme particulière d’adaptation!: on fait avec ce que l’on a même si ça n’est pas hyper-efficace. Un élément paléontologique récent a été ajouté au tableau. L’étude minutieuse des mains des australopithèques a révélé que ces espèces étaient elles aussi des adeptes du knuckle-walking, ce que l’on n’aurait jamais osé imaginer jusque-là, ce mode de locomotion étant l’apanage (à l’exclusion de …) des grands singes1. Or un australopithèque quadrumane à temps partiel, d’abord est un opportuniste, ce qui renforce la théorie du «!on fait avec ce que l’on a!», et d’autre part est un être à moitié redressé, puisque capable des deux modes de locomotion!: quadrumanie et bipédie. Il n’est ni l’un ni l’autre, comme c’est ennuyeux…La vision graduelle de Darwin n’en est que renforcée cependant. Qu’en est-il de l’adaptation!? Darwin nous dirait qu’un être tel que notre australopithèque inqualifiable est adapté et peut tout à fait faire face à son monde. Mais la conception darwinienne et généralement de l’adaptation biologique atteint ici ses limites. En effet, l’existence d’une alternative telle que quadrumaniebipédie chez un individu amène de suite à conclure qu’aucun de ces deux modes de locomotion n’est strictement déterminé. L’introduction de cet espace de liberté dans un phénomène anatomique est peu courant. L’alternative implique qu’un choix soit fait à un moment ou à un autre, et ce choix, c’est notre australopithèque ou notre gorille qui le fait (plus ou moins consciemment mais nous n’entrerons pas dans le détail de l’hypothèse freudienne, ce qui nous emmènerait trop loin et dépasse nos capacités d’analyse). Ce choix est régi en fonction de conditions d’action immédiates, mais il existe. Essayez d’imaginer prendre une autre position que la bipédie dans vos déplacements quotidiens… Par là même, l’individu a la possibilité d’adapter son mode de locomotion à la situation. Cela constitue un véritable changement. Vous me direz qu’un lion peut aussi «!décider!» d’adapter sa vitesse à son action mais cela ne constitue qu’une modification du rythme d’un seul et même mode de locomotion. Or notre australopithèque a deux modes de locomotion différents!: les muscles impliqués ne sont pas les mêmes. Et cela va influer sur la structure anatomique comme nous l’avons vu, sur l’os, par le jeu des renforcements mutuels, des contraintes dynamiques. L’individu adapte son corps à sa locomotion comme le sportif adapte son corps à la course ou à la nage. Là, le problème de l’adaptation biologique se trouve confronté à la complexité de l’intelligence (complexité 1

Richmond B. G. & Strait D. S., 2000, Evidence that humans evolved from a knuckle-walking ancestor, Nature, 404, pp382-385.


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supérieure…) et le schéma se brouille. Nos plus lointains ancêtres découverts pour le moment avaient donc cette alternative. Reste à savoir pourquoi l’une d’elle a été finalement privilégiée. Là on peut émettre toutes les hypothèses que l’on voudra. Le fait est que la bipédie a été adoptée. Comment ce phénomène a-t-il été réalisé!? Est-ce comme le pensait Darwin une conséquence de l’usage!?


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La couleur de peau La couleur de peau dans l’espèce humaine est généralement considérée comme caractère adaptatif évident. L’histoire de la découverte de notre globe terrestre et des explorations nous a montré combien grande a été l’attention portée à la couleur de peau des diverses populations humaines. Elle a longtemps servi de caractère discriminant à la raciologie aujourd’hui tombée en désuétude chez les anthropologues pour des raisons sur lesquelles nous reviendrons. Dès l’Antiquité, des hypothèses se forment quant à la raison de ces différences de couleur!: Ptolémée1, Strabon2 , Pline l’ancien3 et jusqu’à nos jours. Le lien de cause à effet entre l’environnement et la couleur de peau est tout de suite mis en évidence. Il se crée de la sorte dès les temps les plus anciens une géographie humaine véritable basée sur la couleur de peau. Maupertuis4 dit à ce propos ! : « ! le phénomène le plus remarquable, et la loi la plus constante sur la couleur des habitants de la terre, c!‘est que toute cette large bande qui ceint le globe d’Orient en Occident, qu’on appelle la zone torride, n’est habitée que par des peuples noirs, ou fort basanés. (…) En s’éloignant de l’équateur, la couleur des peuples s’éclaircit par nuances. Elle est encore fort brune au delà du tropique!; et l’on ne la trouve tout à fait blanche que lorsqu’on s’avance dans la zone tempérée!». Maupertuis résume parfaitement bien le schéma toujours d’actualité de la répartition de la couleur de peau sur la planète. L’hypothèse n’a pas changé depuis deux mille ans d’histoire humaine au moins, si ce n’est qu’elle s’est élargie au fur et à mesure que les explorations avançaient en terres inconnues. C’est en 1833 que le zoologiste Gloger note l’apparente régularité d’observation d’une pigmentation des plumes et de la fourrure en relation avec la distribution géographique. La règle de Gloger est ainsi connue!: les formes les plus sombres sont distribuées dans les milieux chauds et humides. La règle sera admise puis reprise de nombreuses fois. Cowles 5 en 1959 reprend ainsi!: les animaux sont de couleur foncée dans les milieux chauds et humides et ceci constitue une adaptation. L’idée sera ensuite développée à l’aide de mesures physiques notamment celle de l’albédo. De même que la règle écologique de Bergmann, le fait semble simple, or de nombreux observateurs opposent des exceptions à la règle. On sait tous que les couleurs foncées «!absorbent!» la chaleur de façon plus importante que les couleurs claires, qui elles la «!renvoient!» et l’on voit mal en quoi une peau noire constitue un avantage adaptatif en milieu ensoleillé, à moins que l’on ne se situe à l’ombre… d’où une probable origine de l’homme en milieu forestier. Les partisans de cette hypothèse considèrent que la couleur actuelle ne serait qu’un héritage du passé biologique humain et qui n’a plus sa fonction actuellement. L’actuelle couleur présentée constituerait une mal-adaptation aux environnements actuels. Selon certains auteurs la couleur sombre de la peau serait à l’origine une adaptation au milieu dense de la forêt tropicale dont nous serions issus, en tant que camouflage. La couleur noire, le caractère ancestral de ce fait, aurait persisté longtemps après les migrations et la dispersion des populations à travers le monde, malgré son inutilité.

1

Ptolémée, Tétrabible II, II

2

Strabon, II, 3, 7

3

Pline l’Ancien, livre II

4

Maupertuis P. L. M. de, 1997ed., La Vénus Physique, Diderot Ed.

5

Cowles R. B., 1959, Some ecological factors bearing on the origine and evolution of pigment in the human skin, Am. Nat., 93, pp283-293.


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Distribution de la couleur de peau humaine

Une autre hypothèse adaptationniste invoque le rayonnement solaire lui-même. La couleur dépend alors de la radiation ultraviolette reçue. Les blancs utilisent le peu de radiation UV qu’ils reçoivent pour assurer la synthèse de la vitamine D, vitamine qui contrôle notamment l’absorption du calcium par l’intestin et sa déposition dans l’os. En effet la carence en cette vitamine est responsable du rachitisme, ainsi une peau claire optimise la quantité de rayonnement reçu. A l’inverse, l’excès de vitamine D peut provoquer des maladies du rein, c’est la raison pour laquelle, l’augmentation de la mélanine dans la peau des populations lorsqu’on descend vers le sud est considérée comme une adaptation à l’évitement de l’intoxication. Loomis1, toujours dans cette optique, voit les différents types de peau comme des adaptations à la régulation du taux de vitamine D. On notera le rôle de régulateur, de retour à l’équilibre de la peau dans une idée d’optimisation. Leakey & Lewin2 nous offrent le scénario suivant!: «!le besoin de protection de la peau par la pigmentation survint au moment où les premiers hominidés perdirent leur épaisse fourrure. (…) Cette nudité très ancienne a dû présenter quelques avantages. Il est fort probable que cette raréfaction de la pilosité nous a permis d’élaborer un système de refroidissement très efficace (…) La disparition d’une épaisse toison eut lieu à un stade précoce du développement de Homo erectus (…) En l’occurrence, l’accroissement de la pigmentation dut aussi survenir à cette époque. Mais quand les bandes d’hominidés migrèrent vers des climats plus froids, la pigmentation serait devenue un désavantage, car elle empêche le peu de soleil de catalyser une réaction chimique essentielle de la peau, à savoir la synthèse de vitamine D. En gagnant l’hémisphère boréal, la peau de nos ancêtres dut pâlir par sélection génétique. Les populations de Homo erectus qui restèrent en Afrique, et certains de leurs descendants qui firent le passage vers Homo sapiens sapiens durent garder la peau foncée.!»

1

Loomis W. F., 1967, Skin-pigment regulation of vitamine-D biosynthesis in man, Science, 157, pp501-506.

2

Leakey R. & Lewin R., 1985 (ed.), Les Origines de l’Homme, Champs Flammarion, 280p.


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Les travaux très récents de Jablonski et Chaplin1 font le point sur les hypothèses adaptationnistes de la communauté scientifique!: -Permettre une meilleure protection contre les effets délétères des radiations ultraviolettes (hypothèse de Fitzpatrick) ou de la photolyse des nutriments2 -Rôle dans la régulation de la sensibilité aux engelures -Prévention de maladies -Thermorégulation -Camouflage Le rôle photoprotecteur est le rôle principal admis généralement. Branda et Eaton3 ont proposé une hypothèse de ce type selon laquelle l’adaptation permet d’éviter ou de limiter la photolyse des nutriments photosensibles, ce qui a pour effet de libérer dans le sang et les tissus dermiques des métabolites nocifs pour l’organisme. Il s’agit d’une photodécomposition par les radiations ultraviolettes. D’après eux, une peau mélanisée procure plus de protection face à des radiations intenses et de grande longueur d’onde que face à des radiations moins intenses, de longueur d’onde plus courte, mutagènes et nécessaires à la synthèse de la vitamine D. Les auteurs eux-mêmes analysent la distribution selon deux raisons majeures!: la photoprotection et la synthèse de la vitamine D3. Ils observent deux clines à l’échelle du globe!: le premier va de l’équateur aux pôles et s’explique par la nécessité accrue aux hautes latitudes de la vitamine D3. Voilà une explication «!moderne!» pour une vieille observation. Il existe de nombreux problèmes quant à l’acceptation de ces hypothèses adaptationnistes en particulier celui et non des moindres du rôle inconnu de la mélanine, responsable pour une bonne part de la couleur apparente. Le rôle photoprotecteur n’est pas assuré. On a observé4 que lorsque des cancers cutanés apparaissent c’est après vingt-cinq ans, ce qui remet en cause une quelconque pression de sélection du rayonnement sur la peau, car la reproduction a généralement déjà eu lieu à l’âge auquel est contracté le cancer et ce dernier n’affecte donc en rien le pouvoir reproducteur des individus à risque. D’après Diamond5 «!les cancers de la peau et les brûlures dues au soleil n’entraînent guère de handicaps et bien peu de morts. Comme agents de la sélection naturelle, ils n’ont qu’une influence insignifiante comparée aux maladies infectieuses frappant les enfants!». On a par ailleurs longtemps cru que la mélanine était le principal agent de photoprotection or il se pourrait qu’elle ne soit qu’un sous-produit du métabolisme… Il semble d’autre part que la corrélation entre la couleur de peau et l’ensoleillement soit très imparfaite. Certaines populations présentent des colorations sombres alors qu’elles vivent dans des régions recevant relativement peu de lumière solaire, c’est le cas des Tasmaniens. Inversement les Indiens d’Amérique n’ont jamais la peau noire bien qu’ils habitent les contrées les plus soumises aux radiations solaires de toute l’Amérique. Diamond ajoute!: «!Lorsqu’on prend en compte la couverture nuageuse, on constate que les régions du monde les plus faiblement ensoleillées, exposées moins de trois heures et demie chaque jour à la lumière solaire en moyenne, comprennent certaines parties de l’Afrique de l’Ouest, du sud de la Chine et de

1

Jablonski N. G. & Chaplin G., 2000, The evolution of human skin coloration, J. Hum. Evol., 39, pp57-106.

2

Branda R. F. & Eaton J. W., 1978, Skin color and nutrient photolysis!: an evolutionary hypothesis, Science, 201, pp625-626.

3

Branda R. F. & Eaton J. W., 1978, Skin color and nutrient photolysis!: an evolutionary hypothesis, Science, 201, pp625-626

4 Voir

travaux de Dreux-Palassy P., 1999, Quelques données sur la pigmentation humaine, suivies de l’étude du transfert des mélanosomes au sein d’épidermes ex-vivo chimères, DEA Bordeaux I, 47p. 5

Diamond J., 2000, Le troisième chimpanzé, NRF essais Gallimard, 467p


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la Scandinavie, habitées respectivement par des populations parmi les plus noires, les plus jaunes et les plus blanches du monde!!!» L’objection principale des tenants de l’adaptation est que les populations n’ont pas eu le temps d’évoluer pour changer d’adaptation. La dispersion actuelle des couleurs sur le globe ne reflète plus la répartition originelle latitudinale. C’est pourquoi l’on trouve fréquemment des cartes probables de répartition avant les grandes migrations historiques. La question de la couleur de peau est toute autre que celle de la bipédie. En effet seule l’observation actuelle, historique permet de constituer un objet d’étude. Il n’est pas possible de connaître la couleur de nos ancêtres (du moins pour le moment mais il y a fort peu de chances cependant…) et même si certains semblent en être convaincus. Il n’y a donc pas, à l’inverse de la bipédie, d’évaluation de l’évolution physique d’un caractère, il n’y a qu’une théorisation par induction à partir d’un fait observable aujourd’hui.. Par ailleurs, l’héritabilité du caractère étant soumise à controverse, il n’est pas possible d’établir une histoire du caractère à l’échelle humaine, de nombreuses migrations ayant brouillé le schéma de répartition originel. Toutes les hypothèses formulées jusqu’à présent sont adaptationnistes et font intervenir des facteurs externes. Rares sont les hypothèses qui font au contraire intervenir des facteurs internes!: c’est le cas des travaux de J.Diamond1 ou Blum pour lesquels il y a un fort effet génétique. Diamond reprend les arguments de Darwin!: «!Pas une seule des différences externes entre les races humaines ne leur est directement utile.!» La sélection sexuelle est invoquée comme explication de la couleur de peau des populations humaines. Le trait joue un rôle dans la reproduction soit par attirance du partenaire sexuel soit par intimidation du rival. Le choix des traits n’a rien d’utilitaire dans ce cas mais est complètement arbitraire. Les critères sur lesquels se fondent les choix ne reflètent aucunement une quelconque valeur génétique. Ainsi les populations humaines évolueraient en fonction des propres normes arbitraires, culturelles, de beauté!; ce qui tendrait à maintenir chaque population en conformité avec ces propres normes. L’hypothèse est séduisante et a été prouvée pour d’autres espèces animales. Deol quant à lui invoque les effets pléïotropiques. Toutes ces hypothèses sont valables mais rien jusqu’à présent ne les départage!: la plausibilité n’a pas valeur de preuve, ce serait faire une trop grande place à la logique dans les mécanismes naturels quand on sait par ailleurs le comportement chaotique de nombreux systèmes biologiques. Le problème de la couleur de peau est biaisé par un effet courant chez bon nombre d’entre nous!: le bronzage. La réaction cutanée aux irradiations ultraviolettes tend à orienter les interprétations dans le sens d’une adaptation de la couleur à des facteurs de luminosité ou quelque chose comme ça. Or rien ne prouve qu’il y ait un lien de cause à effet entre la couleur des populations et les facteurs abiotiques auxquels elles sont soumises. C’est ce que tentent de démontrer les interprétations internalistes. Le fait qu’un mécanisme qui lui aussi est dit adaptatif -comme le bronzage ait lieu à un niveau individuel n’implique pas par analogie que le phénomène existe au niveau spécifique en tant qu’adaptation biologique. Ce qui est véritablement adaptatif est d’ailleurs bien difficile à cerner!: la réaction de bronzage n’est peut-être, elle aussi en réalité, qu’un effet secondaire de réactions biochimiques, d’interactions, sans aucune finalité directe pour la peau. Qui peut prouver que le bronzage protège la peau!? Il faut là s’en tenir aux seuls faits!: la peau fonce au soleil. Le comment est assez bien connu, il s’agit de phénomènes biochimiques et cellulaires mais le pourquoi (au sens de «!dans quel dessein!?!») ne l’est pas.

1

Diamond J., 2000, Le troisième chimpanzé, NRF essais Gallimard, 467p


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Morphologie Troisième et dernier exemple de domaine d’étude fortement soumis aux hypothèses adaptationnistes est celui de la morphologie. Il est issu des prémices de l’anthropologie physique constituant des bases de données énormes de mensurations humaines!: l’homme a été mesuré sous toutes les coutures!! Tout a été mesuré et on a chaque fois tenté d’établir des liens de corrélation avec d’autres facteurs environnants observés. C’est par exemple le cas de la stature dans les populations comme le rapporte A.Langaney1 !: «!il semble que la répartition des statures moyennes des populations à travers le monde ne soit pas le fait du hasard, mais dépende de deux critères!: • L’écosystème d’origine de la population, avec des populations de faible stature dans les forêts équatoriales, les zones arctiques, en haute montagne et des populations de stature élevée dans les déserts chauds et les zones tempérées froides. • La latitude de résidence, avec une croissance régulière de la stature des zones équatoriales vers les zones tempérées froides, sur tous les continents, sauf l’Afrique (le cas est probablement du à la fois à la variété des milieux écologiques à la même latitude et à l’histoire complexe des migrations récentes…) Le problème de la stature a particulièrement intéressé les anthropologues des populations pygmées. La difficulté est là encore de prouver que la corrélation entre petite taille et forêt tropicale est de type causale. L.Cavalli-Sforza2 nous dit!: «!nous constatons que les peuples qui habitent la forêt tropicale, où le climat est très humide, sont généralement toujours petits!: c’est le cas dans le sud de l’Inde comme en Indonésie, aux Philippines et en Nouvelle-Guinée, pour les Mayas d’Amérique Centrale comme pour les habitants des forêts tropicales brésiliennes…!» D’après J.Hiernaux3, «!la morphologie pygmée concorde avec l’hypothèse d’une action à long terme des forces sélectives liées à la forêt équatoriale hygrophile.!» L’origine des controverses liées à la stature n’est pas récente. C’est au XIXe siècle, une fois encore, que Bergmann en 1847 énonce une règle de zoologie générale indiquant qu’à l’intérieur d’une espèce polytypique d’homéothermes, la taille d’une sous-espèce augmente habituellement avec la diminution de la température de l’habitat. Cela signifie qu’il pose un lien causal entre la stature et des conditions environnementales qui dépendent directement de la latitude. Le zoologiste Allen en 1877 complètera cette règle!: «!à l’intérieur d’une espèce polytypique d’homéothermes, il existe une certaine tendance à l’accroissement des organes externes tels que les oreilles, la queue, les membres avec une augmentation de la température de l’habitat!». Ces deux règles sont aujourd’hui connues sous le nom de règles de Bergmann et Allen (comme on aurait pu s’en douter).

1

Langaney A., 1988, Les hommes!: passé, présent, conditionnel. Armand Colin, 252p.

2

Cavalli-Sforza L. L., 1996, Gènes, Peuples et Langues. Collège de France ed. & 1997, Qui sommes-nous!?, Champs Flammarion, 385p. 3

cité par Weiner J. S., 1971, La genèse de l’homme, Ed. Rencontre, Lausanne,383p.


21 Explication de la règle de Bergmann

Aire = 64 (4x4) (6 côtés) Aire multipliée par 4

Aire = 24 (2x2) (6 côtés)

Volume multiplié par 8

Aire = 112 Surface multipliée par 1,75 Aire = 96

Même volume

Explication de la règle d’Allen

L’aire d’un cube augmente proportionnellement moins vite que son volume. Ce qui, transposé à l’organisme signifie que pour un volume du corps plus important la surface de peau et donc d’échange thermique avec l’air ambiant est proportionnellement moins importante. Prenons un exemple simple, une souris aura une plus grande perte thermique par sa surface corporelle qu’un éléphant toutes proportions gardées. Donc en termes écologiques Bergmann suppose qu’il est plus avantageux d’être un gros animal. La règle d’Allen implique une autre propriété mathématique qui rappelle que la règle de Bergmann ne vaut que pour une croissance isométrique, par conservation de la forme globale. La surface est minimale pour un volume condensé, elle augmente pour un même volume dispersé. Un animal présentant des morphologies non condensées comme des oreilles allongées, des membres longs présentera un e plus grande surface d’échange thermique qu’un animal ramassé sur lui-même, trapu. Ainsi explique-t-on la fonction de régulation thermique des oreilles des éléphants ou la voile dorsale du dimétrodon.


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De nombreuses études ont été menées sur diverses populations humaines un peu partout dans le monde. Ainsi Roberts1 nous dit «!qu’avec son corps trapu et ses jambes courtes par rapport au tronc, l’Esquimau se conforme à la règle!. A l’opposé on trouve le type «!nilotique!» dont l’aspect est «!frappant!» chez des peuples comme les Shilluk et les Dinkas, dans le sud du Soudan (…) ils ont en commun un physique longiligne, «!ectomorphe!» avec musculature assez développée et peu de graisse!». L’anthropologie physique des origines – qui a longtemps pesé sur la discipline- a tôt fait de classifier les populations humaines selon ces types morphologiques. Malgré cela certains travaux ont mis en cause la validité des règles écologiques, ainsi Crognier2 écrit!: «!A vrai dire , les observations effectuées depuis plus d’un siècle n’ont pas permis de se convaincre de l’universalité de ces «!règles!» écologiques. S’il semble bien que pour certaines espèces présentant de larges répartitions géographiques, on rencontre le type de variation décrite par Bergmann et Allen, les exceptions sont cependant si nombreuses qu’on en vient souvent à douter de l’existence d’un tel rapport entre la morphologie et le climat!». On notera à ce point qu’une règle scientifique aussi ancienne, de la même manière que la règle de la variation colorimétrique, est remise en cause par divergence dans l’interprétation des données, problèmes d’échantillonnage. Il suffit parfois de peu pour faire pencher la balance. Newmann3 nous dit que « ! dans les régions du Nouveau-Monde caractérisées par la continuité morphologique, les tendances en ce qui concerne la stature, semblent suivre la règle de Bergmann!». Weiner4 ajoute «!qu’Indiens des tropiques, Birmans, Malais ou Indonésiens soient plus légers que leurs voisins du Nord est en accord avec les règles de Bergmann et Allen!». Comme nous l’avons vu, la règle d’Allen étend le problème de la morphologie aux extrémités du corps. Ainsi la morphologie faciale, crânienne en particulier, s’accorde chez les humains avec cette règle. Hiernaux5 à propos des africains!: «!Ainsi la stature de même que les indices nasal, facial et céphalique des M’Buti [Pygmées] contrastent-ils nettement avec ceux des habitants de la savane et des zones arides. Ces quatre caractères varient avec l’humidité croissante ! ». Il a en effet été mis en évidence une corrélation statistique entre la largeur du nez et l’humidité de l’air. Une explication adaptationniste en a été donnée!: la muqueuse doit toujours demeurer humide. Ainsi Weiner 6 nous parle des Veddas de Ceylan!: «!en termes descriptifs simples, ils sont tous de petite taille, avec une peau foncée et un nez épaté, caractères qui marquent leur longue adaptation aux climats chauds, ainsi d’ailleurs que leur ressemblance avec d’autres groupes aborigènes du sud-est asiatique!». A l’inverse pour les populations du froid «!on a émis l’hypothèse que le visage mongoloïde plat était avantageux à cet égard, l’étroitesse de l’orifice nasal parant apparemment à la sécheresse et à la froideur extrême de l’air inspiré!». Hiernaux7 a confirmé l’influence du climat sur l’indice nasal (théorie de Buxton et Thompson)!; en Afrique par exemple il existe une étroite corrélation entre la largeur du nez, l’humidité et la température, les populations des forêts équatoriales et tropicales manifestent une tendance à l’hyperplatyrhynie, alors que celles des savanes , des régions désertiques ou semidésertiques offrent au contraire un nez plus étroit!».

1

cité par Weiner J. S., 1971, La genèse de l’homme, Ed. Rencontre, Lausanne,383p.

2

Crognier E., 1980, in La diversité biologique humaine, 420p.

3

cité par Weiner J. S., 1971, La genèse de l’homme, Ed. Rencontre, Lausanne,383p.

4

1980, in La diversité biologique humaine, 420p.

5

idem

6

idem

7

idem.


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S.Molnar1 nous explique la morphologie nasale!: «!parce que le nez participe aux fonctions vitales du tractus respiratoire supérieur en tant que filtre, chauffage et humidificateur de l’air inspiré, les variations de taille et de forme ont été souvent étudiées parmi les populations. Le nez «!abrite!» des membranes muqueuses qui sécrètent de grandes quantités d’eau, plus d’un litre par jour. L’air doit être humidifié avant d’entrer dans les poumons qui ne supportent que 100% d’humidité. C’est à dire que la surface totale intérieure est plus importante dans les régions sèches!». Pour résumer toutes ces études!: la protection au froid est rendue efficace lorsque le corps et surtout la tête tendent autant que possible à la rondeur et que le volume du corps est plus grand. La raison en est purement physique!: la diminution relative de la surface par rapport au volume du corps ou de la tête réduit la perte de chaleur vers l’extérieur. L.Cavalli-Sforza2 ajoute à propos des «!types!» mongoloïdes!: «!le nez est petit, ce qui diminue les risques de congélation, et les narines, de petites dimensions, permettent à l’air d’arriver aux poumons plus lentement et d’avoir le temps d’être chauffé. Les yeux sont protégés du froid par des paupières en forme de boules de graisse qui fournissent ainsi un isolement excellent et laissent une ouverture très fine permettant de voir tout en étant protégé des vents très froids de l’hiver sibérien!». On voit ici combien important est cette image de l’optimalité. C’est l’ombre de l’adaptationnisme à outrance qui plane au dessus de ces interprétations. Pour accentuer jusqu’au paroxysme cette tendance conceptuelle, notons ce que l’anthropologue Hooton3 en 1918 disait à propos de la stéatopygie des San!: il s’agirait d’une adaptation à la vie désertique, à la manière de la bosse des chameaux, une façon d’économiser l’eau… Mais l’argument s’étend à certaines populations préhistoriques, notamment celle des néandertaliens dont seuls les restes osseux nous sont parvenus. J.J.Hublin4 indique à ce propos que «!les proportions relatives du tronc et des membres sont celles que l’on rencontre aujourd’hui chez des populations arctiques, tels les Esquimaux!: les néanderthaliens étaient adaptés à des environnements froids!». P.Picq5 confirme!: «!Ils ont un corps trapu, une constitution robuste et des membres relativement courts!: autant de caractères liés à une adaptation à un climat froid!»

1

Molnar S., 1998!, Human variation, 4e ed., Prentice Hall, 396p.

2

Cavalli-Sforza L. L., 1996, Gènes, Peuples et Langues. Collège de France ed. & 1997, Qui sommes-nous!?, Champs Flammarion, 385p. 3

cité par Tobias P. V., 1978, The Bushmen, Human et Rousseau, Capetown et Pretoria, 200p.

4

Hublin J. J., 1998, Climat de l’Europe et origine des Néandertaliens, Pour la science, 245, pp52-59.

5

Picq P.,1997, Néandertal, «!la brute!», est aujourd’hui réhabilité, Historia Spécial, pp97-99.


24

Proportions corporelles comparées d ! ‘un néandertalien et d’un homme moderne.

. Voyons un peu les hypothèses anti-adaptationnistes qui ont régulièrement tempéré les ardeurs de nos précédents auteurs. P.Tobias 1, à propos des San, assure qu’il y a bien longtemps que ces populations présentent une telle morphologie et ce bien avant qu’elles n’occupent les zones désertiques actuelles. Il s’agirait donc d’un facteur génétique. A propos de la stature des pygmées, L.Cavalli-Sforza2 tempère son discours en avouant notre ignorance quant à savoir si ceux-ci sont devenus petits au fil du temps ou s’ils l’ont toujours été!». L’on a pu constater l’intérêt tout particulier porté aux populations pygmées et cela est bien compréhensible dans la mesure où elles représentent un minimum dans l’échelle staturale de la variabilité humaine. L’on a vu aussi quelle explication était fournie à cette taille, en termes de thermorégulation. Une grande taille, donc une plus grande surface de peau permettra donc de dissiper plus de chaleur. Comment donc font les pygmées, de petite taille et soumis à un environnement tropical et où il est impossible de suer eu égard à la saturation de l’air en humidité. Si la règle de Allen peut en partie contourner la problème, d’autres auteurs ont récemment proposé d’autres hypothèses qu’adaptationnistes aux proportions corporelles. Les travaux de B.Shea et Bailey3 montrent que la morphologie pygmée s’accorde bien avec une échelle allométrique!: cela signifie en clair que la taille des extrémités n’est pas «!déterminée!» par les conditions environnantes mais est une conséquence mathématique de la stature. Cela n’enlève rien pourtant au caractère adaptatif et à la réalité des règles écologiques de Bergmann et Allen, cela leur donne plutôt une explication scientifique de type darwinienne en cela qu’un caractère «!fortuit!» trouve son «!utilité!» dans un environnement adéquat.

1

Picq P.,1997, Néandertal, «!la brute!», est aujourd’hui réhabilité, Historia Spécial, pp97-99.

2

voir note p.20

3

Shea B. S. & Bailey R. C., 1996, Allometry and adaptation of body proportions and stature in african pygmies, AJPA, 100, pp311-340.


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Dans la même veine S.Molnar1 rapporte que des corrélations entre la largeur du nez et divers caractères faciaux ont été mis en évidence!: taille et proportion de l’arc dentaire supérieur, prognathisme et longueur de la base du crâne. Selon J.L.Heim2 , s’attaquant aux thèses adaptationnistes de Schwartz et Tattersall, la morphologie faciale néandertalienne est la résultat de la pneumatisation, de rééquilibrage bio-mécanique de la tête sur la colonne vertébrale et l’allègement des structures osseuses tout en préservant les qualités fonctionnelles. Une remarque intéressante de cet auteur!: «!la largeur nasale des néandertaliens correspondrait plutôt à une adaptation à un climat tropical si l’on prend l’homme actuel comme référence ! », le rétrécissement de l’ouverture nasale s’observant chez l’homme actuel dans des populations vivant en milieu froid et sec. On notera donc l’opposition des interprétations à partir de données semblables. Ces corrélations métriques, morphologiques sont d’origine développementale, ontogénétiques et n’ont donc rien à voir avec une quelconque influence environnementale, un quelconque déterminisme. Tout comme l’hypothèse néoténique pour ce qui concerne la bipédie, ce sont des hypothèses d’origine internaliste. Cela n’exclut pas pour autant leur caractère adaptatif mais cela à au moins –et contrairement aux hypothèses précédentes- le mérite d’apporter une explication. La sélection naturelle a matière à agir…

1

Molnar S., 1998!, Human variation, 4e ed., Prentice Hall, 396p.

2

Heim J. L., 1997, Ce que nous dit le nez du néandertalien, La recherche, 294, pp66-70.


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Comparaison des morphologies du visage entre un nĂŠandertalien et un homme moderne


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3 L’adaptation et l’homme Puisque l’homme fait partie intégrante du règne animal – ce qui ne lui enlève pas pour autant sa complexité…- il a depuis longtemps été étudié à la lumière de la théorie de l’évolution. De ce point de vue il peut être analysé par la grille de l’adaptation. L’être humain peut-il être considéré comme une espèce adaptée!? Nous aborderons cette question essentielle du strict point de vue de l’adaptation au sens biologique. C’est probablement réducteur mais la complexité du problème n’a pas été envisagée historiquement, nous mettrons provisoirement de côté les problèmes psychologiques, sociaux et tous ceux qui de façon générale ont un lien particulier avec les facultés intellectives humaines. Ces questions d’adaptation humaines ont été abordées à une certaine époque et il est vrai qu’aujourd’hui elles se sont éclipsées. Pourquoi cela!? Historique et contexte socio-politique Le débat sur l’adaptation amène à s’interroger sur les mécanismes de la différenciation. En effet, finalement la question de l’adaptation des organismes à leur milieu est celle qui tente de clarifier le fait que ces organismes présentent des différences dans des milieux différents et il reste à savoir s’il existe un lien de cause à effet dans cette relation statistique. Le problème de la différence n’a aucune conséquence sociale ou psychologique particulière dès lors qu’il se pose à propos des criquets, des baleines ou des dinosaures… «!écartant ainsi ces distorsions qui ont tendance à s’imposer à nous, dès lors que l’on traite d’une question nous concernant de près!» comme le dit S.Gould. Le risque encouru par la communauté scientifique est mineur voire nul de se voir intenté un procès par les dits sujets étudiés… Mais dès lors que l’homme est le sujet, l’affaire est beaucoup plus délicate. Le XIXe siècle ne faisait encore que peu de cas des problèmes de l’éthique et la communauté naturaliste avait à affronter l’Eglise, le débat était autre. Les idées de Darwin ont pu naître et prospérer dans un contexte évolutionniste exacerbé dans une Europe prospère et colonialiste. La pensée de la différence s’est développée dans ce contexte socio-politique, et l’exclusion avec1. Le développement des disciplines scientifiques a eu lieu dans ce contexte et c’est le cas de l’anthropologie physique. La philosophie générale met l’accent sur la différence en occultant de ce fait les ressemblances. Les thèses nazies se sont bien repues de ces travaux qui fondent en raison l’exclusion quand certains scientifiques eux-mêmes n’ont pas porté caution à ces thèses. Les atrocités de la seconde guerre mondiale ont donc radicalement contribué à faire changer les positions. L’éthique est sortie de cette période, triomphante sous l’égide de l’Unesco. La tendance s’est alors inversée et l’anthropologie a radicalement changé son fusil d’épaule afin d’échapper à son image sordide. Cette fois, la pensée de la différence s’est peu à peu effacée devant la pensée de la ressemblance. Ce phénomène est visible aussi pour les problèmes de classification des fossiles2. Encore présents dans les années 60’ les problèmes de la différence et donc de la différenciation vont graduellement disparaître des écrits scientifiques tout au moins en France (il est vrai qu’aux Etats-Unis c’est 1 Voir 2 Voir

Stoczkowski W., 2002, Les fondements de la pensée de l’exclusion, La recherche, 349, pp42-48.

les travaux de Delisles R., 1998, Les origines de la paléontologie humaine!: essai de réinterprétation, L’Anthropologie, 102, pp3-19 & 2000, Construire l’arbre phylétique de l’homme!: fossiles, théories et cadres intreprétatifs, L’Anthropologie, 104, pp489-522.


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moins net et ce pour des raisons évidentes de territoire concerné par l’occupation nazie mais cela est aussi lié à l’évolution du naturalisme, différente chez les anglo-saxons et les français). L’anthropologie française va peu à peu se détacher des conceptions générales des sciences naturelles. Il devient en effet presque pernicieux de vouloir appliquer des conceptions purement «!zoologiques!» à des êtres humains. Et le phénomène va jusqu’à la négation des différences. V.Stokowski nous dit!: «!la conviction selon laquelle la mise en relief des différences entre les hommes alimente inévitablement les haines…!» C’est l’histoire du concept de race. Aujourd’hui en France aucun anthropologue digne de ce nom n’oserait utiliser cette notion. Ce n’est, là encore, pas les cas aux Etats-unis. Or nier la différence, c’est refuser de l’intégrer, de la comprendre. La pensée adaptationniste a subi le même sort et s’est progressivement éclipsée. Nous reviendrons ensuite sur ce phénomène et son lien avec le problème du déterminisme environnemental.

Phylogénie récente de B.Wood in Nature 2002


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Les caractères de l’adaptation humaine Nous allons ici revenir aux adaptations strictement humaines et tenter de voir s’il existe un consensus autour de ces questions. L’homme est-il adapté à un environnement particulier et lequel!? S.Weiner1 suggère à la suite de bien d’autres mais sous une forme synthétique dans son ouvrage «!La genèse de l’homme!» que ce dernier est globalement adapté à la vie tropicale. C’est une première forme d’adaptation à un type de climat particulier, s’entend toute une quantité de paramètres physiques d’ensoleillement, d’hygrométrie, de température etc… C’est aussi une façon de faire un lien historique avec le problème des origines des populations humaines actuelles. S.Weiner invoque alors différentes caractéristiques venant à l’appui de cette thèse!; il aborde ainsi les questions de la réduction de la pilosité en rapport avec des mécanismes de thermorégulation!: il est fort avantageux que la couverture pileuse soit réduite pour favoriser la transpiration. La couleur de la peau (pigmentation), la résistance à l’effort (endurance), la morphologie du corps et de la face sont avancées comme adaptations. Nous avons déjà traité de bon nombre d’entre elles précédemment et constatons simplement le fait qu’il en existe d’autres. Il s’agit de caractéristiques qui seraient typiquement humaines et qui définiraient l’homme dans l’espace et le temps, taxonomiquement et historiquement. Ce sont des adaptations des populations humaines d’aujourd’hui , récentes donc puisqu’elles datent de l’époque à laquelle s’est différencié l’homo sapiens sapiens en Afrique équatoriale et qu’il a dû s’adapter à ce milieu qui servait de berceau à l’humanité entière. Cette «!espèce!» d’adaptation a en partie pour but de fonder en raison un héritage biologique sur l’histoire de l’humanité. Cela permet d’expliquer des fonctionnements et des caractéristiques qui aujourd’hui, dans le monde actuel et ses variétés extrêmes d’environnements (les environnements artificiels s’ajoutant), semblent étrangement inutiles.!Cette hypothèse explique par des causes passées, des caractéristiques actuelles. En termes d’histoire biologique, cela est tout à fait compréhensible, en termes d’adaptation ça l’est moins… Pourquoi les populations n’auraient-elles pas « ! évolué ! » sur le plan adaptatif face aux nouveaux environnements qu’elles découvraient et où elles s’installaient!? L’auteur invoque ici la question du temps nécessaire à la réalisation des adaptations. Or ces populations modernes tropicales vivaient à l’origine il y a environ 50.000 ans. Elles auraient ensuite diffusé dans le monde entier (thèse des généticiens). Le temps que nous invoquions précédemment ne serait donc pas suffisant pour permettre d’effacer ces anciennes adaptations… Dans la même veine de travaux, le généticien A.Langaney2 nous dit!: «!c’est sans doute au mode de vie de ces derniers [les chasseurs-cueilleurs qui étaient présents depuis quatre millions d’années] et à leur adaptation au lieu, que nous devons la plupart de ces caractéristiques biologiques actuelles, que quelques millénaires d’agriculture n’ont pas eu le temps de beaucoup changer!». Là encore, l’héritage est ce qui caractérise le mieux l’homme actuel et l’adaptation n’a pas eu suffisamment de temps pour être modifiée. Cette notion d’héritage biologique est importante. L’homme dans la taxonomie est un hominidé (famille), un primate (ordre), un mammifère placentaire (sous-classe) et en tant que tel il partage avec ses cousins un certain nombre de caractères en commun. Certains de ces caractères constituent-ils des adaptations ! ? L’évolution de l’encéphale semble attester des caractères adaptatifs de cet organe dans la vie de relation, phénomène sur lequel nous allons revenir. La locomotion sous ses divers aspects est une forme d’adaptation au déplacement. En effet pour que des mammifères puissent se reproduire il faut qu’ils se rencontrent, mais il faut aussi qu’ils se reconnaissent, et encore, avant tout, il leur faut subsister et donc se nourrir… Il découle de ce type de raisonnement que tout ce qui vit est adapté quelque part mais plus encore que «!l’animal!» montre une complexité adaptative telle que tous les phénomènes et donc les caractères sont en interrelation, en 1 Weiner 2

J. S., 1971, La genèse de l’homme, Ed. Rencontre, Lausanne,383p.

Langaney A., 1988, Les hommes!: passé, présent, conditionnel. Armand Colin, 252p.


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interdépendance. Si l’ensemble est loin d’être parfait, un minimum d’organisation assure le fonctionnement du système. On pourrait complexifier encore en passant au niveau d’intégration biologique « ! supérieur ! » ! : l’écosystème, le biome, la biosphère… Ce raisonnement confère-t-il toujours à une forme d’adaptation!? Oui, si l’on considère que seuls ceux qui survivent sont adaptés… cela semble pourtant trop simple. S.J.Gould1 nous dit à ce propos!: «!la simple existence ne peut valider ce concept erroné d’adaptation sans faire figure de tautologie. L’adaptation significative doit être définie comme une intention activement développée au vu des circonstances locales, et non par le seul fait de s’en sortir tant bien que mal au moyen de caractéristiques héritées, piètrement adaptées aux besoins actuels!». Nous avions déjà cité cette phrase en début d’ouvrage mais elle prend ici tout sons sens. On perçoit l’enjeu philosophique qui nargue les frontières du déterminisme. On peut alors penser que l’adaptation est une forme de «!spécialité!» présentée par l’espèce et indépendante de son héritage phylogénétique (sauf d’un point de vue structurel, de contrainte). Nous reviendrons sur cette notion de spécialisation. La survie différentielle, c’est en d’autres termes la sélection naturelle, nous l’avons dit. Donc tout ce qui est sélectionné n’est pas forcément adaptatif. L’homme est donc (au même titre que ses cousins) une mosaïque de caractères dont certains sont des structures héritées, résultantes fortuites du rapport de l’ontogenèse à la phylogenèse, d’autres des adaptations (au sens de S.J.Gould), d’autres encore d’anciennes adaptations aussi … Les humains qui peuplent aujourd’hui encore une bonne partie de la France sont les descendants des survivants de la grande Peste du XIVe siècle ! : quarante mille morts rien qu’à Paris, vingt-cinq millions en Europe. Ceux qui ont échappé à ce fléau peuvent être considérés comme une fraction désormais adaptée de la population initiale. C’est eux en partie qui donneront les descendants qui ont persisté jusqu’à aujourd’hui. Le jeu de la sélection naturelle joue aussi sur les populations humaines même s’il est parfois difficile de l’accepter, car c’est accepter aussi le fait d’être un peu à la même enseigne que tous les autres êtres vivants et un peu aussi perdre du pouvoir sur la nature et le contrôle des choses… !

1

Gould Stephen J., 1987, Un hérisson dans la tempête, LP, 278p.


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4 Les catastrophes naturelles et l’adaptation

La sélection naturelle opère toujours chez l’homme contrairement à ce qui se dit généralement. Les catastrophes naturelles effectuent un tri sélectif aveugle sur les populations chaque année et de manière parfois drastique ! : éruptions volcaniques, séismes, typhons, cyclones, ouragans, tornades, tsunamis, avalanches, lahars, chaleurs, glissements de terrain, épidémies, famines, incendies, inondations, paniques et bousculades… Voici un bel échantillon qui nous rappelle notre dépendance à la nature, chose que nous avons parfois tendance à oublier, plongés que nous sommes dans nos confortables vies matérielles. Rendons-nous compte que seuls les survivants de ces catastrophes transmettront leur génome. Ils n’en sont pas pour autant plus adaptés que les autres, ils ont juste eu de la chance de n’être pas là au moment décisif. Les absents n’ont pas toujours tort. Il serait intéressant de discuter des réponses des humains à de telles catastrophes, en termes de prévention, constituant ainsi une forme d’adaptation culturelle ou comportementale… mais cela dépasse notre cadre d’investigation. Les parasites, les bactéries, les virus sont des facteurs de lutte biologique pour des espèces animales telles que la nôtre. L’immunité constitue une adaptation biologique individuelle et populationnelle chez l’homme (entre autres). Un nouveau courant de pensée en médecine, appelé explicitement «!médecine darwinienne!», se base sur le paradigme de la biologie évolutionniste1 . Cette médecine met l’accent sur les mécanismes de défenses naturelles de l’homme, ceux que l’on prend généralement pour des symptômes à combattre!: la douleur, la fièvre, la toux, les vomissements, l’anxiété, la fatigue, les nausées, les diarrhées, les éternuements, les inflammations, etc… Il y a dans chacune de ces manifestations une réaction de défense de l’organisme, et en cela une adaptation par réponse à des stimuli environnementaux. Là encore, il serait intéressant d’essayer de comprendre d’un point de vue sociologique pourquoi ces manifestations sont systématiquement combattues dans nos sociétés occidentales. Y aurait-il là une tendance à vouloir éteindre tout dialogue avec le corps!? S’agit-il toujours là d’un reste de quête purificatoire!?… Cette médecine nous dit aussi que les épidémies modernes surviennent vraisemblablement parce que la physiologie de l’organisme n’est pas adaptée aux nouveaux aspects de l’environnement. Et de là toutes les maladies du monde moderne, en particulier les accidents vasculaires liés à l’athérosclérose, les cancers, les maladies chroniques de la vieillesse, l’obésité… Ce petit chapître pour dire simplement que l’on ne peut pas réduire le mécanisme de la sélection naturelle à l’existence de ces catastrophes et phénomènes de grande ampleur. Mais il est simplement nécessaire de rappeler que l’homme n’y échappe pas. Si les populations humaines ne sont probablement pas soumises aux effets divers de la vicariance ou de la dispersion (aujourd’hui le monde moderne permet l’existence de flux géniques sans obstacles), elles n’en sont pas moins soumises à certaines formes de sélection génétique. Les humains ont bien du mal à s’émanciper totalement de cette nature à laquelle ils semblent vouloir s’opposer.

1

Nesse R. & Williams G., 1999, L’origine des maladies, Pour la science, 255, pp50-57.


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5 Quelle(s) adaptation(s)!? Cela nous amène à considérer les diverses acceptions de l’adaptation chez l’homme. Citons J.Huxley1 en 1953!: «!(The species) They extend into every nook and cranny of the environment possible to life, from the polar regions to the equator, from lot springs not much below boiling point to the oxygenless interioirs of other animals. They exploit their environment in every possible way. To take only animals, there are species which feed entirely on flesh, on wood, on excrements, on nectar, on feathers, on the contents of other’s, intestines, on one particular kind of fruit or leaf. And each and every species is adapted, often in the most astonishing fashion, to its environment and its way of life. Think of the duck’s webbed feet, the camel’s stomack, or the luminous organ of deep-sea fish. There is no need to multiply examples!: every animal and plant is from one aspect an organized bundle of adaptations – of structure, physiology and behaviour!; and the organization of the whole bundle is itself an adaptation!»… L’adaptation en effet peut se comprendre à des niveaux d’intégration différents. A.Langaney2 considère qu’une part de l’adaptation est due à la plasticité de l’organisme. Le distinguo est lié à l’héritabilité des caractères dits adaptatifs, soit le rapport de l’inné et de l’acquis. L’adaptation acquise est celle de la plasticité. Certains anthropologues biologistes la nomment acclimatement, comme J.Ruffié3. S.Weiner4 invoque la grande plasticité humaine dans son chapitre sur l’adaptation. Cette plasticité serait-elle une adaptation en elle-même!? P.Tobias5 reprend cette perspective!: cet héritage biologique procure à l’homme un corps et un mode de fonctionnement lui permettant de vivre et de se développer partout, dans les environnements les plus variés, il reste non spécialisé. Cette grande plasticité lui permet ces multiples adaptations. Donc l’adaptation de l’homme, si l’on poursuit ce raisonnement, serait de n’être adapté à rien (de particulier) mais de s’adapter à tout. Intéressant… quoique un peu confus. En effet nous sommes ici dans une pensée qui met en continuité le biologique et le culturel, l’un relayant l’autre dans le temps. C’est déjà toute une philosophie et ce n’est pas notre propos ici, mais il est intéressant de montrer jusqu’où va s’infiltrer la pensée de l’adaptation. Ce problème de la plasticité est ennuyeux dans la mesure où il brouille la clarté des phénomènes en ce qui concerne leur héritabilité. Il y a tout un continuum de réponses adaptatives dans les populations humaines mais celui-ci est, au niveau de sa structure, composé!: il existe une limite à la plasticité, comme il existe une limite à l’adaptation génétique, mais la difficulté est de la définir.

1

Huxley J. S., 1953, Evolution in action, Chatts & Wind, 146p.

2

Langaney A., 1988, Les hommes!: passé, présent, conditionnel. Armand Colin, 252p

3

Ruffié J., Universalis.

4 Weiner 5 Tobias

J. S., 1971, La genèse de l’homme, Ed. Rencontre, Lausanne,383p. P. V., 1978, The Bushmen, Human et Rousseau, Capetown et Pretoria, 200p.


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6 La pensée adaptationniste et la finalité La pensée de l’adaptation a des liens étroits avec la pensée finaliste. C’est ce que confirme Denett1 en expliquant que les adaptationnistes mènent leurs recherches en «!rétro-ingénierie!» et qu’ils sont sûrs ainsi qu’à un moment ou à un autre ils trouveront la raison pour laquelle il en est ainsi ! : « ! La puissance intellectuelle dans la recherche adaptationniste vient du point de vue «!intentionnel!» c’est-à-dire la démarche qui consiste pour le chercheur à trouver l’intentionnalité de «!Dame Nature!»!». Il ajoute d’un point de vue plus général encore que le point de vue intentionnel est donc le levier crucial dans toutes les tentatives de reconstruction du passé biologique. C’est donc une méthode a posteriori qui permet de découvrir la raison de l’adaptation. C’est donc considérer qu’il existe toujours une raison à l’adaptation. Or nous l’avons vu, l’adaptation dans son acception biologique moderne ne constitue en aucun cas une forme de processus sauf à faire du lamarckisme en le dotant d’une intentionnalité. L’adaptation d’un organisme à un milieu est un résultat et non un processus!: la cause en est la sélection naturelle. Mais la mise en avant de la puissance de l’adaptationnisme comme théorie par son critère de réfutabilité (on peut trouver une meilleure cause d’adaptation au cours des recherches) est exagérée et semble vouloir rendre l’adaptation seule raison de la survie des espèces. Le problème de la finalité a été clairement décortiqué par L.Cuénot2 dès 1925. «!On parle souvent de l’adaptation d’un organe à une fonction. On sous-entend quelque chose de très important!: c’est que l’organe, par sa convenance complexe, paraît construit pour une fonction déterminée, ses parties constituantes étant arrangées et coordonnées de telle façon que leurs activités concourent à une fin, qui est la fonction!». Ce fonctionnalisme dans le paradigme adaptationniste est une de ces caractéristiques épistémiques fondamentales. C’est en raisonnant sur des structures intégrées et fonctionnelles que l’adaptationnisme présuppose un fonctionnement de la nature. La fonction devient finalité. «!Le concept qui envisage la fin d’un objet, son pourquoi mais non son comment, est dit téléologique!». L.Cuénot3 distingue trois écoles de pensée finaliste!: • Le finalisme spiritualiste qui tient la comparaison entre l’instrument humain et l’instrument organique pour légitime et exact. Les adaptations si parfaites sont la preuve de l’existence d’un esprit transcendant par sa nature et immanent par son action. C’est une forme d’anthropocentrisme d’après lui, qui a ses limites dans «!l’absurde finalité externe à la Bernardin de St Pierre en vertu de laquelle l’herbe était faite pour la vache et l’agneau pour le loup!». • Le mécanisme matérialiste!: c’est l’école de pensée d’Héraclite, Epicure, Lucrèce, Diderot qui ne reconnaissent aucune intelligence ordonnatrice mais une harmonie générale d’un état d‘équilibre qui ne pouvait pas ne pas être. Ce mécanisme est facilement moniste!: la vie est une propriété de la matière. • L’agnosticisme!: comme Darwin a fini par le devenir «!le mystère du commencement de toutes choses est insoluble pour nous!». L’on voit combien la pensée adaptationniste est intriquée avec la métaphysique. Citons encore L.Cuénot!: «!L’adaptation fonctionnelle est aussi intentionnelle (…) sans scrupule nous pouvons dire que l’œil est fait 1

Denett D. C., 2000, Darwin est-il dangereux!?, Odile Jacob, 657p.

2

Cuénot L., 1925, L’adaptation, Doin Paris, 420p.

3

Cuénot L., 1941, Invention et finalité en biologie, Paris Flammarion, 267p.


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pour voir…!» L.Cuénot distingue alors finalité interne et finalité externe. D’après lui la seconde est absurde, nous l’avons vu, mais la première est une réalité biologique ! : « ! Puisque l’être vivant a ses organes coordonnés de telle façon qu’il vit et dure, il a une finalité interne!; sa propre fin est la conservation de la vie pendant un certain temps, jusqu’à ce qu’il en ait assuré la transmission à la génération suivante!». Cependant elle aboutit assez vite (…) à des interprétations ridicules dans sa recherche de l’utilité!». Nous mettons là le doigt sur une seconde caractéristique épistémique de la pensée adaptationniste. Cet utilitarisme, tout comme le fonctionnalisme est une forme anthropomorphiste de pensée biologique. L’attribution de telles utilités dans la nature est une constante dans la recherche adaptationniste parce qu’elle apporte une valeur au caractère étudié. L’utilité de ce caractère semble démontrer la raison de sa présence, tout comme sa fonction. Peu d’auteurs en biologie se sont penchés sur ces problèmes de finalité. E.Mayr1 propose un autre schéma et distingue quatre gammes de phénomènes étiquetés téléologiques!: • Les processus téléomatiques ! : ce sont des mouvements apparemment orientés qui sont seulement la conséquence de lois naturelles (chute de corps, refroidissement…) • Les processus téléonomiques!: l’origine en est un programme inné ou acquis (développement ontogénétique, comportement finalisé) • Les systèmes adaptés!: ce sont les organes fonctionnels (cœur, poumons…) • Téléologie cosmique!: c’est l’utilitarisme universel dans la nature On constate donc aussi bien avec E.Mayr qu’avec L.Cuénot qu’il y a une véritable gradation des niveaux d’acception entre une nature totalement intégrée fonctionnellement et une nature réduite à un ensemble de lois physiques en interaction. La pensée de l’adaptation se situe à chacun de ces niveaux interprétatifs, tout dépend du niveau de complexité que l’on étudie et de la philosophie naturelle que l’on présuppose. Le point de vue finaliste est critiqué depuis longtemps et toujours par la communauté des biologistes car l’acceptation d’un quelconque finalisme ne va pas de pair avec le positivisme scientifique institutionnel de Comte, Darwin et Haeckel selon L.Cuénot. (La radicalité de ce jugement serait cependant à revoir en ce qui concerne Darwin tout au moins). Déjà Lucrèce2 luttait contre cette forme de pensée!: «!Ne va pas croire que nos yeux aient été dotés de ces brillantes prunelles pour nous permettre de voir au loin!; que si l’extrémité inférieure des jambes et des cuisses s’appuie et s’articule sur les pieds, c’est pour que nous puissions avancer à grandes enjambées sur les routes!; que nos bras ont été pourvus de muscles solides, et chaque côté de notre corps muni d’une main pour nous permettre de satisfaire aux nécessités vitales. De telles interprétations, au mépris du réel qu’elles bouleversent, mettent l’effet avant la cause. Aucune partie du corps n’a été formée pour notre usage!: c’est l’existence de l’organe qui crée le besoin!». Lucrèce résume à merveille la situation et nul n’a fait mieux depuis. Il s’agit véritablement d’un renversement de la pensée entre cause et effet. A-t-on des yeux pour voir ou bien voit-on parce qu’on a des yeux!? Toute la pensée adaptationniste tourne autour de ce problème. Lucrèce nous dit qu’il n’y a pas de but dans les phénomènes de la nature, ni utilitarisme, ni fonctionnalisme, ni principe vital. En faisant un grand bond dans l’histoire, c’est ce que S.J.Gould reprend dans ses propres thèses. C’est l’existant qui détermine les possibilités. Lucrèce nous dit par ailleurs que certaines espèces animales de la création ont été éliminées car elles ne possédaient pas certaines caractéristiques essentielles. Les éléments doivent être présents auparavant. L.Cuénot3 propose le terme de préadaptation!: «!il n’est pas douteux que parmi les innombrables germes dispersés au hasard, seuls se développent ceux qui arrivent au bon endroit et qui ont une moyenne suffisante de convenance aux conditions ambiantes. Donc par définition, nous ne connaissons que des individus et des espèces bien organisés, ayant l’adaptation nécessaire et suffisante au milieu qu’ils habitent!; cette convenance, évidemment, n’est pas post-établie (puisque l’individu 1

Mayr E., 1961, Cause and effect in biology, Science, 134, pp1501-1506

2

Lucrèce, De Rerum Natura, trad. Arlea 1995.

3

Cuénot L., 1925, L’adaptation, Doin Paris, 420p.


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mourrait), elle ne peut être que pré-établie!: c’est ce que j’ai appelé la préadaptation!». Plus loin, «!de tout temps, les places vides ont été peuplées par certaines espèces de flores et de faunes préexistantes, préalablement adaptées d’une façon nécessaire et suffisante aux conditions nouvelles (…) L’adaptation nécessaire et suffisante à un milieu précis est donc toujours préétablie, antérieure à l’installation dans le milieu, et par suite elle est indépendante des conditions propres de celui-ci!». Il faudrait un livre entier au moins pour faire le point sur ces débats. On trouvait l’argument chez Buffon 1!: «!La nature n’a point taillé les dents [humaines] pour les diverses utilités qu’elles présentent, mais les dents s’étant trouvées, par un arrangement fatal, prendre telle ou telle formes, il en est résulté telle ou telle utilité!». S.J.Gould et E.Vbra2 ont proposé le terme d’exaptation pour des caractères préexistants et qui trouvent une utilité nouvelle dans le nouveau contexte, réservant celui d’adaptation à « ! l’intention activement développée!» comme nous l’avons vu et réinjectant de la sorte une finalité par le biais de l’intentionnalité. Preuve que l’ambiguïté reste toujours présente même si E.Mayr3 pense qu’il n’y a pas de doute à avoir et que Darwin et la synthèse néodarwinienne ont définitivement éliminé ce problème de la finalité. D’après lui d’ailleurs, on peut distinguer deux types de causes biologiques!: les causes proximales qu’il accepte de nommer téléonomiques et les causes ultimes, téléologiques. Les causes proximales sont à expliquer par une biologie fonctionnelle (biochimie, physiologie…) et les causes ultimes (historiques, contingentes…) dévoilées plutôt par une biologie évolutionniste. Cette distinction ne doit pas être confondue avec celle de L.Cuénot entre causes finales et causes efficientes, car à aucun moment E.Mayr ne fait intervenir de principe d’intentionnalité contrairement à L.Cuénot. C’est parce qu’Aristote était particulièrement intéressé par les merveilleuses adaptations que l’on trouve dans le règne végétal et animal, qu’il a envisagé le principe des causes finales, nous dit E.Mayr. Cela signifie que dès le début des interrogations naturalistes, adaptation et finalité sont étroitement imbriquées. Pour Aristote, la nature est le lieu de déploiement de la finalité. «!Tout ce qui est naturel en effet se trouve répondre à un but, à moins d’avoir affaire à une coïncidence de choses qui visent un but!»4, en outre «!la nature ne fait rien en vain!» 5. Il est nécessaire de s’arrêter un moment sur Aristote, tant ce penseur n’a rien à envier à ses successeurs. Nous ne ferons pas l’erreur anachronique de chercher à savoir si Aristote était adaptationniste ou pas, ce serait bien réducteur. En revanche, il est fondamental de rechercher les prémices de cette forme de pensée à travers son propre travail. Aristote distingue la finalité de la nécessité. La nécessité est le rapport interne et obligatoire qui lie des faits biologiques entre eux. Par exemple!: le corps est doué de locomotion et nécessite des organes des sens pour rendre cette locomotion possible dans son environnement. Ainsi la nécessité est un moyen, la finalité un but. La cause finale est essentiellement la vie!: «!Car la genèse est en vue de l’existence et non l’existence en vue de la genèse!»6. Tel phénomène biologique se produit en vue de telle fin et cette fin s’atteint par tels moyens qui sont nécessaires. La fin est une action!: «!le corps existe en quelque sorte en vue de l’âme, et les parties du corps en vue des fonctions que la nature a assigné à chacune!». On trouve chez Aristote un point de vue fonctionnaliste pour partie. «!La forme même que la nature a imaginé pour la main est adaptée à cette

1

Buffon, Georges Louis Leclerc comte de , Histoire Naturelle.

2

Gould Stephen J. & Vbra E.S.,1982, Exaptation-a missing term in the science of form, Paleobiology, 8, pp4-15.

3

voir aussi Mayr E., 1983, How to carry out the adaptationist program!?, Am. Nat., 121, 3, pp324-334.

4 Aristote,

Gen. des animaux, IV, 770b3.

5 Aristote,

De l’âme, 432b.

6 Aristote,

Parties des animaux.


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fonction!» 1. Un point de vue utilitariste aussi pour partie!: «!En effet, les os qui sont durs par nature, ont été fabriqués pour préserver les parties molles!»…!ou encore «!si les poules n’ont pas de bons yeux, c’est qu’elles n’en ont pas besoin!». La pensée adaptationniste apparaît au travers des remarques diverses, comme une tentative d’explication de la diversité biologique observée!: «!le bec diffère selon les usages auxquels il sert!» (n’est-ce pas ainsi que l’on pense aux pinsons de Darwin…) ou bien «!dans chacune des espèces le bec est adapté au genre de vie!» et plus généralement «!de même que les parties externes ne sont pas les mêmes chez tous les animaux, mais se présentent chez chacun avec une forme spéciale adaptée au genre de vie et aux mouvements (…)!». Toutes ces fonctions, ces utilités, ces adaptations sont à mettre en rapport avec la finalité naturelle ! : « ! la nature crée les organes d’après la fonction et non pas la fonction d’après les organes!»2. Ce qui signifie que l’idée préexiste à la réalisation. C’est le point de vue d’Aristote et il se tient. Et même si aujourd’hui il ne reste pas grand-chose de ce système, on voit bien que la pensée adaptationniste et ces principales caractéristiques s’enracinent profondément dans l’histoire de la pensée humaine.

1 2


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7 Adaptation et déterminisme environnemental

Si le terme d’adaptation est récent dans son acception biologique, il n’est en effet employé dans ce sens qu’à la fin du XIXe siècle. Il n’en reste pas moins que le débat sur les rapports des organismes (et de l’homme en particulier) est bien plus ancien!: c’est celui du déterminisme environnemental. Le terme aussi est récent mais le problème est débattu depuis les penseurs grecs. L’homme est étudié dans ses rapports aux climats (terme générique) dans une perspective géographique. On trouve parmi les premières traces de ce déterminisme les travaux d’Hippocrate1 très souvent cités et notamment le livre «!Airs, eaux, lieux!»!: «!Car là où les changements de saisons sont les plus fréquents et où les saisons diffèrent le plus entre elles, dans ce lieu vous trouverez que les corps les mœurs et les natures diffèrent le plus. Voilà donc ce qui cause les plus grandes différences que connaisse la nature [humaine]. Viennent ensuite le pays dans lequel on se nourrit, et les eaux. De fait, vous trouverez en règle générale, qu’à la nature du pays se conforment et le physique et le moral des habitants.!» Le déterminisme environnemental suppose donc un lien de cause à effet entre les paramètres climatiques dans un sens très vague et les caractéristiques observées dans les populations. Ce schéma, nous allons le retrouver tout au long de l’histoire de la pensée jusqu’à aujourd’hui au travers de divers courants. D’un point de vue plus zoologique, Aristote2 note la présence de vivipares de grande taille dans les régions chaudes et sèches ce qui n’est pas sans rappeler la règle écologique de Bergmann. Ou à propos des poils!: «!les poils se différencient également en fonction des lieux, plus chauds ou plus froids!; ainsi les poils des hommes sont-ils secs dans les pays chauds, mous dans les pays froids!». On remarquera l’attention écologique que porte Aristote sur les êtres vivants déjà. Le point de vue de l’anthropo-géographie est apporté par Strabon3. Il admet, sans toutefois prendre parti sur la question de la couleur de peau, que le soleil et la brûlure qu’il engendre peuvent transformer les caractères physiques desséchant fortement la surface de la peau, faisant se recroqueviller les cheveux. «!C’est la raison pour laquelle, disons-nous, les Indiens n’ont pas de cheveux crépus, et leur peau n’est pas aussi irrémédiablement tannée!: ils jouissent d’un climat plus humide!». Citons aussi Pline l’Ancien4 pour sa contribution!: «!Il faut rattacher à ces faits ceux qui dépendent de causes célestes!: il est hors de doute que les Ethiopiens sont rôtis par la radiation de l’astre tout proche et ont en naissant l’air brûlé du soleil, que leur barbe et leurs cheveux sont crépus, tandis que dans la zone contraire les races ont la peau blanche et glacée, avec de longs cheveux blonds!; le froid raide rend ces derniers sauvages, sa mobilité rend les autres sages!». Nous nous limitons ici aux problèmes strictement biologiques et physiques encore une fois mais des auteurs comme Pline l’Ancien ou Strabon ont discuté des mœurs, de la culture, des tempéraments des peuples dans cette même perspective déterministe. Tout un courant de pensée existant depuis ces temps reculés de l’histoire jusqu’à aujourd’hui voit en ce déterminisme la valeur explicative de nombre de traits socioculturels ou psycho-socioculturels. On retrouvera cette tendance dans l’écologie culturelle américaine de la seconde moitié du XXe siècle. 1

Hippocrate, Airs, eaux, lieux.

2 Aristote,

Parties des animaux.

3

Strabon, Géographie, XV, 1, 24, c696.

4

Pline l’Ancien, Hist. Nat., livre II, 189.


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D’une manière générale, le climat c’est-à-dire les conditions atmosphériques, l’ensoleillement, les saisons, les eaux, la terre conditionnent un certain nombre de caractères des individus qui habitent ces lieux. Les humains sont donc différents de par leur distribution géographique et non à cause de leur généalogie. C’est-àdire que le facteur génétique n’est alors pas pris en considération (du moins à l’époque). C’est, pour généraliser, un principe d’inspiration anti-historique. Les caractères se sont «!inscrits!» comme dit Strabon, de la même façon que Lamarck d’ailleurs. On peut considérer que c’est une forme d’adaptation dans la mesure où les «!circonstances!», pour reprendre le vocable lamarckien, déterminent des morphologies, des physiologies, des couleurs de peau, des tailles… Cette forme de pensée est véhiculée des Grecs à nos jours dans l’imagerie populaire, dans l’inconscient collectif. Qui n’a pas entendu dire que les gens du nord sont plus prompts au travail que les gens du sud et tout un tas de choses de cet acabit… La science et les voyages exploratoires depuis le XVIIIe siècle (au moins) se sont renforcés mutuellement dans leurs convictions et analyses. Le discours des voyageurs est pénétré des conceptions en vogue d’une Europe influente et le scientifique se voit conforté dans ses idées par les descriptions des voyageurs. On trouve dans « ! L’Esprit des Lois ! » de Montesquieu cette pensée déterministe. D’après Kury1, «!ce genre d’approche rejoint le modèle médical néo-hippocratique, très influent en Europe depuis le XVIIe siècle ! ». Les auteurs d’instructions de voyages exploratoires de l’époque antérieure à l’expédition de La Pérouse « ! demandent aux voyageurs de se consacrer à l’examen des influences du climat sur la constitution physique et morale des hommes!». On voit ici que l’étude scientifique de ce déterminisme n’a pas changé depuis les Grecs. L’idée déterministe est très ancrée dans la culture européenne. Citons Buffon2 comme digne représentant de la philosophie naturaliste au XVIIIe siècle et notons comment il nuance le discours déterministe en mettant en avant le rôle de l’histoire dans la détermination des habitudes des peuples, démarche moins réductionniste. Ainsi, à propos de l’espèce humaine «!qui s’étant multipliée et répandue sur toute la surface de la terre a subi différents changements par l’influence du climat, par la différence de nourriture, par celle de la manière de vivre, par les maladies épidémiques et aussi par le mélange varié à l’infini des individus plus ou moins ressemblants!: que d’abord ces altérations n’étaient pas si marquées, et ne produisaient que des variétés individuelles!: qu’elles sont ensuite devenues plus générales, plus sensibles et plus constantes par l’action continuée de ces mêmes causes!». Puis plus loin, «!par la description de tous ces peuples découverts (…) il apparaît que les grandes différences, c’est-à-dire les principales variétés dépendent entièrement de l’influence du climat!; on doit entendre par climat, non seulement la latitude plus ou moins élevée, mais aussi la hauteur ou la dépression des terres, leur voisinage ou leur éloignement des mers, leur situation par rapport aux vents, et surtout au vent d’est, toutes les circonstances en un mot qui concourent à former la différence de chaque contrée!; car c’est de la température plus ou moins chaude ou froide, humide ou sèche, que dépend non seulement la couleur des hommes, mais l’existence même des espèces d’animaux et de plantes…!» Rappelons au passage que Buffon était le protecteur de Lamarck et l’on décèle ici déjà la pensée du jeune élève. Cependant Buffon constitue une forme de pensée transitoire entre Linné et Lamarck, car ce dernier introduit la pensée transformiste et l’adaptation devient un processus actif!; il y a moins de déterminisme au sens passif du terme. Les êtres s’adaptent aux milieux changeants et rien ne les «!prédestine!» à des types de milieux obligatoires. Lamarck3 introduit dans la pensée du déterminisme environnemental une part de liberté aux êtres, une possibilité d’émancipation. Il combat en cela, rappelons-le, les thèses catastrophistes de Cuvier, en expliquant que les êtres ont la possibilité et le potentiel de se transformer (par adaptation mais il ne le dit pas de la sorte…) et de survivre, et rien n’oblige à les détruire. Par rapport au cadre linnéen, d’équilibre parfait dans l’économie de la 1

Kury L., 2001, Histoire naturelle et voyages scientifiques (1780-1830), L’Harmattan.

2

Buffon, Georges Louis Leclerc comte de , Histoire Naturelle.

3

Lamarck J. B., 1809 (ed.1994), Philosophie zoologique, 718p.


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nature (pensée que l’on retrouvera dès l’essor de l’écologie) ou rien ne permet d’écart sous peine de grands chamboulements, Lamarck introduit donc cette émancipation, cette progressive extraction du milieu naturel en liaison avec la complexification des êtres, des plantes aux hommes. Cette extraction du milieu naturel, cette émancipation de l’humain c’est, au passage, la distanciation à l’animalité. Aristote1 voyait en l’homme «!le seul être chez qui les parties naturelles sont disposées dans l’ordre naturel!: le haut de l’homme est dirigé vers le haut de l’univers ! ». Et l’on comprend mieux ainsi l’imagerie populaire qui véhicule toujours aujourd’hui le schéma évolutionniste où du singe à quatre pattes on passe de stades en stades à l’homme redressé, symbole triomphant de son émergence, figure aboutie d’un processus d’!«!hominisation!»…

L’hominisation en marche…

1 Aristote,

Parties des animaux.


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8 Le rôle de la paléontologie L’adaptation possède aujourd’hui une définition qui est issue de la théorie synthétique ! : elle est populationnelle, sélectionniste, écologiste… C’est toute une branche de la connaissance des phénomènes naturels qui s’est différenciée au cours du XXe siècle, Haeckel étant le fondateur du terme même d’écologie en 1866. Or les principaux utilisateurs du concept d’adaptation sont issus d’une voie de recherche différente!: la paléontologie. Depuis Cuvier et Geoffroy Saint Hilaire, la paléontologie n’a cessé de se développer un peu à l’écart des autres disciplines pour diverses raisons!: méthodes, matériel, objet d’étude… aux côtés de disciplines annexes et indispensables que l’anatomie comparée principalement, l’ostéologie, la géologie, la taxonomie. Basée dès le départ sur des lois fondamentales comme le principe de corrélation, l’unité de plan, l’idée d’adaptation a toujours été au centre des discussions sur le caractère fonctionnel de telle ou telle structure, de son utilité. Le seul matériel dont dispose cette science étant osseux, la question principale est la suivante!: pourquoi cet os at-il telle forme!? Réitérons au niveau de l’organisme entier en tant que représentant d’un type spécifique. La paléontologie a donc essentiellement raisonné sur une forme d’adaptation anatomique ou morphologique. La structure est adaptée à telle ou telle fonction, directement liée au mode de vie supposé de l’animal (vol, nage, prédation…) La mise en évidence des grands phénomènes évolutifs est due à cette discipline!: radiations adaptatives, tendances évolutives, étude des extinctions… Certaines séries paléontologiques ont montré l’existence de tendances évolutives (trends), généralement dans une dynamique d’adéquation de la structure à la fonction!: allègement des structures osseuses pour le vol, élimination progressive des dents dans certaines lignées et remplacement par des structures cornées. Ces tendances constituent des processus d’optimisation dans l’analyse que l’on fait. R.Owen, l’inventeur du nom «!dinosaure!» a écrit par exemple à propos du crâne du Dimorphodon (un ptérosaurien)!: «! aucun organe de vertébré n’est construit avec plus d’économie de matériaux, avec un arrangement et une connexion des os plus complètement adaptée pour combiner la légèreté avec la force!». On peut reconnaître là différents grands principes comme le principe de moindre action ou la loi de corrélation. Cette dernière a été énoncée par Cuvier, que P.Pellegrin dans son introduction aux «!Recherches sur les ossements fossiles!», voit «!si sensibles l’économie animale et à l’adaptation des vivants à leur milieu par leurs fonctions!». Or Cuvier est fixiste, catastrophiste et anti-actualiste (ces trois qualificatifs étant liés dans des relations d’interdépendance). Ce qui semble montrer que la réflexion sur l’adaptation peut très bien se passer du transformisme et de l’évolutionnisme!! Un biologiste actuel comme E.Mayr crierait au scandale!! Pourtant cette tradition adaptationniste plonge ses racines dans la théologie naturelle de William Paley et John Ray au XVIIe et XVIIIe siècle et la philosophie naturelle de Newton. Dans un ouvrage intitulé «!the wisdom of god manifested in the works of Creation!», Ray fait l’apologie de Dieu à la lumière de ces merveilleuses créations naturelles. Dans ce cosmos parfaitement stable les êtres vivants sont vus comme suit!: «!they are all very wisely contrived and adapted to ends both particular and general!» Ray lui-même enracine sa propre cosmologie dans des auteurs anciens comme Cicéron qu’il cite à maintes reprises. C’est aussi la tradition que Voltaire raillera dans son Candide sous l’incarnation du docteur Pangloss. On trouve chez Ray un exemple ornithologique particulièrement démonstratif ! ; invoquant l’avantage évident qu’ont les oiseaux à être ovipares car la viviparité les aurait probablement transformés en cibles parfaites en temps de gravidité. Linné reprend à peu près l’argument dans son texte sur léconomie de la


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nature!: «!la nature est bien faite parce que les oiseaux ne pourraient pas voler s’ils portaient leurs petits, ils déposent leurs œufs!». On pourrait alors considérer les choses comme suit!: d’une part la montée de la pensée évolutionniste dans les sciences humaines d’abord avec les travaux de Morgan ou Spencer, et d’autre part la pensée adaptationniste (plus ancienne) qui se rejoignent au milieu du XIXe siècle, unifiées dans la théorie darwinienne. La paléontologie se modèle sur les paradigmes évolutionnistes tout en conservant son adaptationnisme originel. Il serait réducteur et totalement faux de croire que la discipline se limite à cette recherche d’adaptation, de nombreuses vois de recherche sont nées!; la paléobiologie, l’étude des faunes à grandes échelles de temps, les phénomènes d’extinction…aujourd’hui c’est l’une des disciplines qui tiennent le plus compte de la complexité et qui sait en faire usage, avec l’écologie au sens large du terme. Or la paléoanthropologie naissante de la fin du XIXe siècle, science très jeune, très conservatrice dans ses méthodes et ses approches (elle n’évoluera pas aussi vite que ses consœurs par traditionalisme et élitisme réducteur) adopte très rapidement les modes de pensée adaptationnistes de la paléontologie. Elle ne les modifiera que très légèrement avec la Synthèse et l’après-guerre dans les années 50’. L’adaptation en tant que véritable problème biologique n’est révélée réellement que par les successeurs de Darwin que sont Wallace et Morgan. Darwin lui-même dans «!l’Origine des espèces!» ne porte pas une attention particulière à l’adaptation. Le terme n’apparaît pas dans son ouvrage comme un véritable concept scientifique. Darwin parle d’acclimatement et le verbe « ! adapter ! » n’a pas de signification biologique particulière. En cela il garde les conceptions de Lamarck sur la question. Lamarck n’utilise pas le terme dans sa «!Philosophie zoologique!», ce que nous confirme A.Pichot1 , car le concept est remplacé en quelque sorte par ce qu’il appelle les habitudes, une forme de psycho-adaptationnisme général des êtres vivants sur lequel nous allons revenir. Il y a influence des circonstances sur l’espèce qui déterminent ses habitudes qui ellesmêmes modifient l’état des parties voire de l’organisation de celle-ci. Cette modification de l’espèce en rapport d’optimisation ou tout au moins d’adéquation avec les circonstances, l’environnement, est à n’en pas douter une pensée adaptationniste. Mais celle-ci suit une logique différente de celle rencontrée précédemment (théologie naturelle) ou postérieurement (darwinisme). Cela est dû à la notion d’espèce chez Lamarck!: en effet celui-ci considère l’espèce comme une pure abstraction, une simple catégorie intellectuelle, qui n’a pas de réalité biologique «!positive!» comme il le dit. Il n’y a en fait que des individus qui diffèrent tous les uns des autres selon leurs origines phylétiques et les circonstances des milieux qui les hébergent. On peut trouver toutes les formes intermédiaires entre deux dites espèces. L’adaptation est alors conçue strictement à un niveau individuel puis au niveau du groupe apparenté vivant dans les mêmes circonstances. Or ces circonstances sont toujours changeantes et les individus changent de fait leurs «!habitudes!»,!; ils s’adaptent en permanence. «!L’influence de circonstances est effectivement, en tout temps et partout, agissante sur les corps qui jouissent de la vie!: mais ce qui rend pour nous cette influence difficile à apercevoir, c’est que ses effets ne deviennent sensibles ou reconnaissables (surtout dans les animaux) qu’à la suite de beaucoup de temps!». Lamarck dit plus loin que nous avons l’image d’une parfaite stabilité des conditions car l’échelle de temps nous dépasse et de loin mais en réalité il y a une dynamique permanente, un changement perpétuel. Nous reviendrons sur le problème de la stabilité que semble avoir bien compris notre auteur. Il n’y a donc pas à proprement parler pour lui, d’espèce adaptée, il n’y a que des individus dont les habitudes tendent à atteindre l’adéquation avec le milieu. Une étude plus approfondie de la pensée lamarckienne pour ce qui nous concerne montrerait la complexité voire l’ambiguïté de cette pensée en regard du problème de la stabilité, en effet Lamarck considère certaines morphologies plus «!stables!» que d’autres qu’il voit comme transitionnelles…

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Pichot A.,1994, Présentation à la «!philosophie zoologique!» de Lamarck, pp7-49.


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Citons enfin Cuvier!: «!les espèces ont à inventer des moyens différents pour résoudre des problèmes différents. Les espèces ne sont pas en concurrence puisqu’elles ne coïncident pas temporellement. Elles sont adaptées à leur milieu, à un moment, un temps différent!»1 . L’adaptationnisme peut donc bien se passer de toute historicité, c’est un paradigme indépendant qui nous le verrons a des échos dans le champ socioculturel. La paléontologie est une science discrète dans le panorama moderne mais l’influence qu’elle a sur les philosophies naturelles est considérable. En retour les cosmogonies de notre société influencent les interprétations scientifiques des découvertes. Les questionnements soulevés par cette discipline sont d’une importance fondamentale à la compréhension des lois de la nature et de notre présence sur cette planète…

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Cuvier G., 1992ed., Discours préliminaire des Recherches sur les ossements fossiles de quadrupèdes, GF Flammarion, 190p.


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9 Adaptation psychologique Nous ferons ici une petite digression au travers de l’adaptation psychologique car il existe des «!résonances!» avec notre propos. L’adaptation psychologique est un phénomène qui concerne le sujet, l’individu. La vision adaptative de l’individu fait appel à une volonté de changement. L’individu tente de se mettre en adéquation avec son environnement, son entourage, sa société et ce avec tout son bagage personnel, ses appartenances, ses objets, ses croyances, etc… ses contraintes structurelles psychologiques devrait-on dire… Avec cela il cherche l’adéquation, une certaine forme de stabilité ou du moins l’illusion de la stabilité. Les personnes âgées sont troublées par le changement, la transformation de leur espace quotidien. Leur capacité d’adaptation s’est sclérosée, rigidifiée. Privée de cette structure la personne s’écroule. La perte de la stabilité est dramatique. C’est dire aussi que plus l’homme cherche à parfaire l’adéquation qui est la sienne, à laquelle il s’est adapté psychologiquement de manière constructiviste et plus il perd sa capacité d’adaptation, son adaptabilité. L’adaptation psychologique est un phénomène personnel, ontogénétique qui construit l’être par ajustement permanent à l’environnement. La vision lamarckienne de l’évolution est assez proche de ce schéma, car elle est un phénomène individuel. Lamarck est en effet partisan du fait que l’espèce n’est que l’ensemble des individus. Seul l’individu a une réalité, les taxons n’étant que purs concepts. L’adaptation de l’individu chez Lamarck ressemble beaucoup à l’adaptation psychologique. L’adaptation des espèces est confondue avec l’adaptation individuelle. L’individu et donc l’espèce tendent vers l’équilibre avec le milieu, perfectionnement de l’adéquation. Les espèces sont stables une fois adaptées, elles ne changent pas dans un environnement stable. Mais dès que le milieu change, les espèces s’adaptent et changent à leur tour. La conception darwinienne de l’évolution et de l’adaptation est tout autre car elle est populationnelle. «!L’unité d’évolution est la population!» nous dit A.deRicqlès1. Seule la sélection naturelle s’exerce au niveau individuel. L’adaptation est populationnelle. Il n’y a aucun processus ontogénétique dans ce rapport au milieu. Les individus ne mènent pas de recherche active d’optimisation de leur rapport au milieu. Le phénomène est dépersonnalisé. Il est en tout cas intéressant de constater que le problème de la perte de l’adaptabilité des espèces dans les conceptions actuelles de l’évolution est le même processus que dans la psychologie, à moins qu’il n’y ait là qu’une analogie, auquel cas ce sont les cadres mentaux dans les deux disciplines qui sont les mêmes… Autre analogie que la recherche de la stabilité. Cela est d’ailleurs directement lié à ce problème de la perte de l’adaptabilité. Le problème de la stase dans l’évolution (se reporter au chapitre sur la paléontologie) montre bien la réalité de cet équilibre momentané des espèces dans leur milieu, de l’écosystème à un niveau d’intégration supérieur. Nous voyons clairement combien il est difficile d’objectiver les analyses. Le rapport étroit et constant, dialectique entre modèle scientifique et inclinaison de pensée brouille les cartes. Le cas de l’adaptation psychologique est un exemple parfait du raisonnement analogique. Il est cependant difficile bien souvent de 1

DeRicqlès A., L’évolution des organismes, in Le corpus Universalis.


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prouver la réalité d’une unicité de fonctionnement pour des phénomènes analogues. Rien ne permet de dire avec certitude si les mêmes lois régissent l’ensemble des phénomènes ou si ce sont juste les lois de l’analogie qui régissent les interprétations de la réalité. Mais si des lois naturelles sont à l’origine des fonctionnements de l’esprit humain, nous craindrons comme à l’accoutumée l’ombre du déterminisme et notre liberté s’en trouvera bafouée… Les récents développements de la psychologie évolutionniste qui interrogent ces aspects déterministes, nous fournirons à l’avenir des clefs de lecture nouvelles du fonctionnement de l’esprit humain… alors métaphore ou réalité complexe!?


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10 Adaptation et progrès Dans une perspective de recherche de l’optimisation, l’adaptation apparaît comme un phénomène progressiste. Il existe un lien sémantique entre la notion d’adaptation et une certaine idée de la perfection. C’est une idée chère à la société du XIXe siècle. Le progrès est à rechercher constamment par l’efficacité, le perfectionnement, l’optimalité. Quel rôle le positivisme joue-t-il dans cette quête insatiable du progrès!? Dans la société du XIXe siècle, un clivage s’est opéré entre les «!travailleurs!» et les «!non-travailleurs!», c’est-à-dire entre les prolétaires, les bourgeois et la noblesse, les rentiers et le clergé, ceux-ci étant considérés comme oisifs et «!parasites!». Il est intéressant de noter l’allégorie biologique au passage. Les travailleurs ont un rôle dans la société industrielle de production. Ce rôle est une pièce essentielle au bon fonctionnement d’un ensemble cohérent, d’une structure globalisée, systématisée. Le modèle socialiste de Saint Simon est une société scientifiquement organisée en fonction de la production1. A.Comte place les sciences mathématiques comme capitales et place l’homme au centre d’un système de pensée du savoir et de l’action. La sociologie est même le savoir ultime que l’humanité acquiert au sujet d’elle-même. Le positivisme pose la thèse dite «!loi des trois états!» selon laquelle l’humanité est passée par trois phases!: théologique, métaphysique et positiviste. Mais cette loi s’applique parallèlement à l’ontogenèse individuelle. La nature humaine est profondément statique, biologiquement inscrite dans la structure du cerveau. L’histoire et l’évolution ne modifient en rien cette organisation. Elle permet simplement de renforcer par l’usage, l’éducation et l’organisation sociale certains sentiments, certaines facultés. L’adaptation des structures biologiques correspond à cette recherche positive, évolutionniste linéaire. Aujourd’hui la biologie envisage un peu différemment le progrès dans l’évolution!; Darwin y a contribué pour une bonne part. Il n’y a pas de supérieur ou d’inférieur dans une échelle linéaire, la scala naturae. Il y a plutôt des options différentielles. L’adaptation est envisagée davantage comme une spécialisation. Les espèces les plus spécialisées sont donc les plus adaptées à leur environnement. Mais la biologie des extinctions montre que les espèces les plus spécialisées sont aussi celles qui ont le plus de «!chances!» de disparaître lors de changements brutaux d’environnements. Même lors d’un changement graduel, étant posé que l’évolution n’est pas régressive (elle ne revient pas sur ses pas…). Les espèces les plus adaptées sont donc celles qui courent le plus de risques face à une telle situation. Autrement dit, lors d’un changement des conditions extérieures, les espèces les moins adaptées (les moins spécialisées) à cet environnement de départ ont toutes leurs chances dans un nouvel environnement. Les derniers seront-ils les premiers!? L’adaptation poussée à l’extrême, dans des conditions d’extrême stabilité écologique conduit à des formes «!exagérées!», des impasses évolutives. C’est-à-dire que dès lors le potentiel adaptatif consommé, il ne reste plus de solution!? Les espèces sont-elles condamnées!? Le potentiel évolutif est réservé aux non-spécialistes. Qui sont donc les mieux adaptés dans ce cas!? De quelle recherche d’optimalité parle-t-on!? Où se situe le progrès ! ? C’est ainsi que Wagensberg2 définit deux concepts ! : l’adaptation et l’adaptabilité. Il définit l’adaptation comme «!la capacité de résister aux changements habituels dans un environnement donné!» et l’adaptabilité comme « ! la capacité de résister à de nouveaux changements ! ». Il met donc en parallèle adaptation et stabilité, adaptabilité et instabilité, incertitude. L’adaptabilité est virtuelle, dès lors que ce potentiel se réalise un tant soit peu, c’est autant d’adaptabilité de perdu, d’adaptation de gagnée et donc un pas dans l’impasse évolutive. Alors il faut définir quand l’espèce ou la population franchit-elle le pas de trop. 1

voir Hottois G., 1998, De la Renaissance à al Postmodernité, DeBoeck Université, 532p.

2 Wagensberg

J., La recherche, idées chroniques, 326.


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D’après Wagensberg toujours, la régression se produit dans les conditions d’hyperstabilité et le progrès sous la pression de l’incertitude. Comment concilier progrès et spécialisation alors!? Le mythe du progrès est probablement le biais le plus présent dans l’histoire de l’interprétation de l’évolution, mais il est antérieur à sa découverte. L’idée a été maintes fois combattue au cours du XXe siècle et a parfois influencé les interprétations contraires. Cavalli-Sforza a notamment réintroduit la pensée adaptationniste dans ses travaux de génétique des populations humaines pour des raisons purement idéologiques. Chez lui la pensée de l’adaptation permet d’expliquer les différences rencontrées dans les diverses populations humains sur le globe, la variation dans l’espace. Cette variation géographique des caractères populationnels lui permet de lutter à sa façon contre les idéologies racialistes et par dérive racistes et une forme de la pensée évolutionniste qui aborde la différence par la variation dans le temps, référant ainsi à une échelle temporelle des caractères et par là même la hiérarchisation de ces mêmes caractères, phénomène bien connu dans l’évolutionnisme du XIXesiècle. C’est donc en cassant cette hiérarchie biologique, la scala naturae, qu’il combat toute forme de pensée tendant à classer selon un certain ordre dit naturel les populations humaines. L’explication géographique permet de s’affranchir de ce biais et la démarche est fort louable cependant la réalité biologique n’en est pas pour autant cernée. L’on comprendra mieux grâce à cet exemple parlant quels sont les véritables enjeux de certaines théories scientifiques et combien l’objectivité est mythique. Il sera probablement toujours difficile pour les auteurs de séparer le bon grain de l’ivraie…


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10 Stabilité des systèmes, écologie et catastrophisme Wagensberg pense que l’augmentation de l’incertitude de l’environnement demande une augmentation de la complexité des systèmes et inversement que la régression se produit dans des conditions d’hyperstabilité et le progrès sous la pression de l’incertitude. La notion d’adaptation ne peut exister que par rapport à cette dialectique permanente entre stabilité et changement. Ces deux phénomènes opposés semblent une caractéristique générale des systèmes vivants. Dans tous les niveaux d’organisation existe cette alternance de phases. Des mécanismes de régulation existent pour «!atteindre!» cette stabilité!: l’homéostasie du milieu intérieur de la cellule, l’homéostasie physiologique ou cénotique. Et puis surviennent des changements, des bouleversements psychologiques parfois, perturbations physiologiques ou catastrophes écologiques, et le système semble réagir par des voies similaires dites d’adaptation, stratégies adaptatives, radiations adaptatives, stratégies démographiques ou cénotiques. S.J.Gould1 nous dit que «!les espèces de grandes dimensions, aux effectifs élevés, très bien adaptées, mobiles et géographiquement très répandues, sont particulièrement prédisposées à être stables… Cette opinion rejoint celle de Wagensberg en cela que la notion d’adaptation est liée à celle de stabilité.!L’adaptation est envisagée comme preuve de la réussite d’une population dans son milieu. Cette vision qui est «!moderne!» est principalement celle de Gould et des adeptes - à sa suite- d’un modèle ponctua liste de l’évolution. Il est important de noter ici cette appartenance car elle détermine une véritable philosophie évolutionniste au-delà d’un simple débat technique sur les rythmes de l’évolution. En s’opposant à la stricte vision gradualiste, uniformitariste (au sens de C.Lyell) pour être exact, elle combat l’idée erronée et persistante d’une évolution toujours « ! agissante ! », imperceptiblement dans un mouvement rectiligne uniforme. La vision ponctualiste au contraire voit dans l’évolution une succession de stases ponctuées d’évènements contingents à potentiel évolutif élevé. La stase est la majeure partie du temps dans l’évolution. Lorsque des populations (des espèces en l’occurrence) ont atteint cette stase, le changement morphologique semble beaucoup moins important. C’est la période de stabilisation écologique, un nouvel « ! ordre écologique! » s’est mis en place. Cette sorte de plateau évolutif représente la mise en équilibre écologique des nouvelles données. La variation existe dans des limites beaucoup plus restreintes. L’espèce est dite adaptée parce qu’elle a trouvé sa place, son nouveau rôle dans cette nouvelle partie, avec nouvelle donne. Les adaptations peuvent être alors repérées par rapport au nouveau contexte et peuvent répondre à la question suivante!: de quelles manières l’espèce a-t-elle «!utilisé!» ce dont elle disposait dans ce nouveau contexte!? L’adaptation n’est en rien un processus pour la majorité des biologistes actuels, comme l’analogie psychosociale pourrait le faire croire. Une espèce est bien adaptée à son environnement, car il ne peut en être autrement!; mal adaptée l’espèce risque fort de disparaître, mais ce n’est en rien systématique. Une espèce mal adaptée risque de végéter dans un coin de l’écosystème jusqu’à ce que de nouvelles conditions qui cette lui sont plus propices voient le jour. Une espèce est bien adaptée ou simplement adaptée dès lors qu’elle peut en attester par son succès écologique. Cette vision totalement passive semble pourtant en désaccord avec une conception ponctualiste. En effet si les phases de bouleversement de l’ordre écologique liées à des évènements de nature catastrophique (au moins à l’échelle géologique) entraînent ou sont à l’origine de remaniements, d’innovations évolutives, de changements morphologiques, alors ne doit-on pas subodorer un quelconque lien de cause à effet entre l’événement bouleversant et les adaptations constatées!?

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Gould S. J., 2000, Les quatre antilopes de l’Apocalypse, Seuil, 600p.


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On a pourtant noté dans les archives fossiles ces fameuses périodes de transition et on les a pour certains cas affublées du nom de radiations adaptatives. Ce qui semble signifier que l’effet adaptatif est induit par le changement environnemental. Si la seule sélection naturelle servait simplement de filtre on devrait constater seulement parmi les espèces restantes, un «!filtrat!». Or le phénomène constaté de la radiation adaptative semble témoigner d’une véritable puissance évolutive, diversifiante, innovante, telle une énergie potentielle libérée. Quel est donc ce phénomène!? Nous n’avons pour le moment pas de réponse claire mais les théories de la complexité apporteront probablement des hypothèses très intéressantes. Les branches écologique et paléontologique utilisent aujourd’hui ces modèles. Plus la complexité des espèces s’accroît et plus le besoin de stabilité s’accroît-il!? Les espèces spécialistes sont des formes qui témoignent de la stabilité du système par leur niveau de spécialisation. Les espèces généralistes gardent de ce fait un potentiel. Ces témoignages fossiles des modes et des tempos différents de l’évolution biologique au cours du temps renforcent le rôle d’une macroévolution à côté d’une microévolution. La microévolution se réalise par ajustements graduels, adaptatifs des fréquences géniques au sein des populations. La macroévolution observable en paléontologie se réalise lors de bouleversements de grande ampleur. Selon les conceptions orthodoxes de la théorie synthétique, l’adaptation est le moteur de l’évolution, par un principe de déterminisme sélectif, et a pour conséquence la spéciation. C’est parce qu’existe un principe d’adaptation que des espèces nouvelles naissent. C’est quand même la principale préoccupation de Darwin, l’origine des espèces. Dans le modèle des équilibres ponctués de Gould et Eldredge, l’adaptation des populations pendant la stase est découplée de la phase d’apparition des espèces. En conséquence l’adaptation suit la spéciation non plus le contraire. Ce qui constitue du point de vue de l’adaptationnisme un renversement paradigmatique. C’est un débat brûlant d’actualité sur l’efficacité relative de l’anagenèse et de la cladogenèse dans le processus de spéciation. Quel est donc le véritable rôle de l’adaptation!? S’agit-il d’un conséquence ou d’une cause!? Et l’on rejoint en cela le débat sur la finalité des processus en biologie… Le débat entre partisans d’un véritable ordre écologique et partisan d’un désordre permanent est profondément enraciné dans l’histoire de la pensée occidentale. Il mérite à lui seul toute l’attention d’une étude. Nous avons vu quelle vision du monde avaient les adeptes de la théologie naturelle, d’une nature parfaitement ajustée aux préceptes divins. La conception linnéenne sur le continent est assez proche puisque dévolue à prouver l’existence de Dieu elle aussi. Elle admet une économie naturelle équilibrée définie comme la «!sage disposition, instituée par le créateur, selon laquelle les êtres naturels tendent à des fins communes et ont des fonctions réciproques!». Chaque être a sa place dans cette nature économie et sa fonction. «!Le souverain créateur a horreur du vide donc il a donné une «!nature!» différente aux êtres de façon à ce qu’ils puissent remplir ces lacunes. Il existe une harmonie entre les plantes, les circonstances et les êtres habitant la région. Un monde sans véritable concurrence. «!La providence avec laquelle l’Auteur de la nature a procuré à chaque animal un vêtement parfaitement approprié à la région qu’il habite et avec quel art la structure du corps (…) est appropriée à leur genre de vie et au genre de sol où ils vivent, de sorte qu’ils semblent destinés uniquement à leur habitat «!. L’idée de relation alimentaire entre les êtres et leur milieu revient régulièrement dans l’œuvre de Linné et rappelle étrangement mais pour de toutes autres raisons le raisonnement adaptationniste.


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L’idée d’équilibre sera reprise par C. Bernard au niveau physiologique et le terme d’homéostasie sera crée par W.B. Cannon à partir de deux mots grecs!: stasis et homoios. Dans les années 70’, on pouvait lire que l’homéostasie des populations d’individus aboutit à la stabilisation d’un «!type moyen!». L’idée d’homéostasie sera à l’origine du courant cybernétique de la recherche. Aujourd’hui encore la controverse est plus que d’actualité avec le débat entre Simberloff, partisan de l’existence de phénomènes stochastiques et en déséquilibre permanent, et Lack ou Diamond qui prônent l’ordre dans les systèmes écologiques.


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11 Des différents niveaux d’adaptation et de la complexité Conclusions A.Langaney1, comme beaucoup d’autres, considère différents niveaux d’adaptation qu’il classe en adaptations réversibles et irréversibles. Les divers termes que l’on trouve dans la littérature ne sont que des dénominations particulières de niveaux ou de types d’adaptations. Bocquet, reprenant les acceptions de Cuénot globalement distingue des adaptations régulatrices de type homéostatiques, des accommodations (semblables à l’acclimatement pour d’autres), des adaptations spécifiques, statistiques ou éthologiques, certains types de milieux semblant caractériser des adaptations particulières ! ; c’est le problème des phénomènes de convergence évolutives ou écologiques. Le niveau d’intégration peut encore être décomposé!: moléculaire, cellulaire, tissulaire, organique, physiologique, anatomique… voici la typologie de l’adaptation. Tous les niveaux de la complexité sont impliqués. On parle aussi en synécologie de l’adaptation des biocénoses et de leur adaptabilité. On peut parler de concept migrant, de conceptions analogiques… ou de paradigme adaptationniste. Le concept de stratégie adaptative par exemple est défini comme l’ensemble des moyens permettant d’assurer la survie dans un environnement susceptible de se transformer. Ce concept s’applique aussi bien à l’individu, à la population ou à la biocénose. L’adaptation joue à tous les niveaux. On parle d’adaptation de l’œil qui permet l’adéquation de la sensibilité du système visuel à l’intensité lumineuse comme on parle d’adaptabilité d’une biocénose comme sa capacité à s’ajuster aux changements définitifs de l’environnement par modification de sa structure et de son fonctionnement. Selon la discipline, l’adaptation est biologique, psychologique ou sociale. Le terme est transdisciplinaire, mais l’utilisation du concept peut-elle attester d’une véritable unité de fonctionnement!? Il en va à la fois de la définition de l’adaptation en tant que concept scientifique et de la détermination de son rôle au sein des divers niveaux de la complexité. Il en va aussi de la manière d’observer les phénomènes et de reconnaître de vraies adaptations. Le paradigme adaptationniste tel que nous l’avons décrit est fondé finalement sur plusieurs principes!: - un principe utilitariste!: la nature ne fait rien en vain - un principe fonctionnaliste!: c’est la traduction d’un mécanicisme biologique cartésien - un principe d’unicité ! : l’adaptation est une loi unique et totipotente sur les divers niveaux d’organisation du vivant C’est ce paradigme et ses fondements qu’il faut interroger désormais si l’on veut comprendre comment la réalité de l’adaptation, adaptation qui n’est pas contestable, se conjugue avec complexité et niveaux structuraux.

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Langaney A., 1988, Les hommes!: passé, présent, conditionnel. Armand Colin, 252p.


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