Le Journal du festival - Boutographies 2016

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BOUTOGRAPHIES le journal du festival


Peter Vass, Arnaud Laroche, Christian Maccotta, Susanne Klein, Lamia Boukrouh, Brigitte Pertoldi, Rachele Ceccarelli, Lucie Anton, Christopher Sly, Mirela Petcu, Sylvie Suire, Félix Brassier, Tina des boutographies Lehmann

é q u i p e

Sarah Basset, Aurélie Ceyte, Emanuela Cherchi, Sophie Faguer, Typhaine Gilles, Jinyun He, Louise Molozay, Nina Orain, Elise Saudemont, Manon Thiery

s ta g i a i r e s

crédits

Responsable éditoriale : Brigitte Pertoldi Conception graphique : Mirela Petcu, Susanne Klein Rédaction : Lamia Boukrouh, Rachele Ceccarelli, Peter Vass, Arnaud Laroche, Christian Maccotta, Lucie Anton, Nina Orain, Sylvianne Joss, Brigitte Pertoldi Traductions : Lamia Boukrouh Photo couverture : Elis Hoffman

Le Journal du Festival est publié par l'association Grain d'Image à l’occasion des

16e Boutographies du 30 avril au 22 mai 2016 La Panacée - Centre de Culture Contemporaine de la Ville de Montpellier

Prix du journal : 3€

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éDITO

En complément du catalogue de ces 16 e Boutographies - Rencontres photographiques de Montpellier-, le Journal vous invite dans les coulisses du festival. Les photographes de la sélection officielle se sont confiés à propos de leur démarche photographique, de la vision de leur métier et de leurs projets. Et les activités du festival et d’acteurs de la région pour animer ce moment festif de rencontre autour de l’image photographique sont présentées selon des angles que nous avons voulu simples, pour vous en faire profiter au mieux, vous, public fidèle ou curieux de passage, qui donnez poids à nos convictions, années après années.

sommaire making of du festival interviews photographes exposés

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L’équipe des Boutographies

projections

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lectures de portfolio

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villages en photographie

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magasin de livres

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hors les murs

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action éducative

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Sans doute, quand vous visitez une exposition, prêtez-vous un peu

d’attention à la mise en scène, mais sans plus. Il en était de même pour moi, jusqu’au jour où en 2008, je me suis trouvé avec quelques membres de l’équipe dans le Pavillon Populaire tout juste vidé de sa dernière exposition. Nous avions des murs, beaucoup de murs, des pots de peinture, une visseuse et une quinzaine de caisses de photos. Et nous avions, pour la première fois, l’obligation d’accrocher en six jours une exposition majeure dans un lieu emblématique de la Ville, de la manière la plus professionnelle qui soit. Il y avait là de quoi accélérer un apprentissage éclair et une appréciation accrue de tout ce qui doit se passer avant que le public ne puisse entrer. La suite est connue : sept ans d’expositions de plus en plus complexes au Pavillon Populaire ou à La Panacée, montées dans les règles comme il se doit pour les ambassadeurs temporaires de la Ville que nous sommes, avec des artistes de plus en plus avertis et exigeants.

Tout commence en amont par les dossiers de candi-

dature des sélectionnés, avec leurs souhaits d’espace et de tirages, parfois ambitieux mais toujours susceptibles de changement au fur et à mesure qu’ils prennent conscience des coûts élevés de production ou des limites imposées par l’espace d’une exposition collective. La première chose que nous avons à faire est de contacter les photographes pour confirmer leur choix d’images et surtout la quantité et la taille de celles-ci. Au début, c’était tout ce qui nous intéressait. Grosse erreur ! Je commençais à me rendre compte qu’il fallait demander plus de précisions en allant chercher l’exposition d’un photographe d’un pays de l’Est. Il m’avait donné rendez-vous dans le parking de la gare d’Aix-en-Provence pour me livrer ses images.

making festival

of du

Quand il a ouvert le coffre de sa voiture et que j’ai vu une vingtaine de

larges panneaux en carton plume (sandwich de mousse rigide et papier d’un centimètre d’épaisseur – très fragile), j’ai eu une grosse frayeur. Le tout empaqueté uniquement dans du papier kraft. J’ai cru que le pire avait été évité, car ils étaient en bon état malgré un voyage à travers plusieurs pays, mais je me trompais. Ces tirages étaient censés être accrochés sur des blocs de polystyrène collés sur les murs. Nous avons tout fait comme demandé par le photographe. Les vingt grandes images étaient parfaitement alignées et l’effet était beau. La dernière posée, nous nous sommes arrêtés pour admirer notre travail, quand la première est tombée, suivie par la deuxième et puis une autre, et finalement toutes. Voir trois individus courir comme des fous pour attraper les photos avant qu’elles ne s’abîment sur le sol avait quelque chose d’un film de Buster Keaton, mais le côté comique de l’histoire ne nous est apparu que bien plus tard ! Suite à pas mal de bricolage l’exposition a finalement vu le jour, mais inutile de dire que le carton plume est désormais banni. 4


Cet incident était pour moi un cas d’école : ne

pas confondre ce que tu imagines qu’un photographe va faire, compte tenu de ta propre expérience, et ce qu’il va faire en réalité. Une accroche pour moi est une fixation solide, répétée et positionnée exactement à la même place sur le dos de chaque photo pour faciliter une pose alignée et sûre. C’est une évidence ! Mais pas pour tout le monde, semble-t-il. Nous avons eu parfois des attaches différentes sur chaque image, qui peuvent aussi être décalées les unes par rapport aux autres (même infime, un décalage devient un vrai problème pour nous) et même, une fois, des petits crochets conçus pour des très petits cadres utilisés sur des photos de plus d’un kilo.

Ou encore, pas d’accroches du tout !

En dehors des moments de stupéfaction, ces cas nous obligent à passer beaucoup de temps précieux à bricoler des systèmes plus fiables. Et si les photos peuvent parfois poser problème, on n’est pas non plus à l’abri de surprises avec les caisses de transport : du simple fait de ne pas avoir bien imaginé la taille et le poids que quelques-unes représentaient, avec par conséquent des difficultés de manipulation (notre faute) à des preuves d’une confiance démesurée en la délicatesse et la sollicitude des transporteurs de la part de certains photographes (des caisses qui ne tenaient debout que par intervention divine) ! Il y a quelques années, nous avions, devant nous, sur le sol du Pavillon Populaire, trois caisses qui représentaient tous les cas de figure : une caisse, exemple impressionnant de l’art de l’ébéniste, bien finie, propre, sobre, belle même ; une caisse mastoc, solide, surdimensionnée, un véritable blockhaus en bois ; et une caisse, construite avec le plus fin contreplaqué qui existe, dont le couvercle était fixé par… du scotch.

Une fois les imprévus connus et l’accrochage

commencé, arrive le bien-être d’un travail physique, tangible, après plusieurs semaines de conception virtuelle. Les problèmes mineurs qui inévitablement surviennent sont gérables, avec un peu d’imagination et de bon sens ; le plaisir prend le dessus sur le stress et toute l’équipe commence à se rendre compte de l’intérêt et de la pertinence de la sélection, au fur et à mesure que les images prennent place les unes à coté des autres. C’est tout ça, l’accrochage d’une grande exposition. Quelques frayeurs toujours, mais une telle satisfaction quand les portes s’ouvrent au public qui ne voit plus que le résultat final sans penser un instant à ce qui a pu se passer avant !

Peter Vass

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interviews

photographes exposés

Pouvez-vous vous présenter ? Après mon diplôme de photographie à l’université de Lodz, j’ai fait de la photographie documentaire et sociale mon domaine, tout en poursuivant une formation d’anthropologie culturelle pour mieux saisir ces questions. J’essaie de mêler ces deux disciplines dans mon approche, et de ce fait, je me considère comme un photographe à l’approche plus anthropologique, plus sociale : approche qui, je l’espère, amène à une réflexion critique et complexe.

Faites-vous également de la photographie de guerre ? Je ne me considère pas comme un photographe de guerre, parce que j’étais beaucoup plus intéressé par l’impact qu’avait la guerre, située non loin de Mariupol, sur la vie quotidienne des civils, plutôt que par la situation au front. Il ne régnait pas le chaos d’une guerre, mais la peur ambiante donnait clairement un tout autre visage à l’ensemble de la ville. Tout d’abord, la vie a totalement cessé, mais la situation restant stable et le conflit ne s’étendant pas au-delà des lignes de front, la ville s’est doucement ranimée. Ce changement était intéressant à observer et à expérimenter. Le sujet principal est le bouleversement de la vie urbaine et non pas la guerre en elle-même, qui est évidemment présente, mais plutôt sous forme de ténèbres qui viennent assombrir les images.

mariupol

four seasons in the shadow of war

marek m. berezowSki Combien de fois vous êtes-vous rendu à Mariupol ? J’y suis allé quatre fois l’an dernier, en février, avril, septembre et octobre, et je remarquais que la situation variait selon les saisons. En hiver, la situation était instable, les civils craignaient un conflit au sein de la ville. En avril, la chaleur a détendu les choses, sans pour autant que la tension urbaine ne s’en aille tandis qu’en été, l’heure était plutôt aux élections, il régnait un calme relatif. Tous les mois le changement d’atmosphère modifiait mon point de vue, je comprenais de plus en plus les tenants et aboutissants des évènements. Je tentais à chaque séjour de centrer mon approche sur différents visages de la vie des civils. En effet, au tout début, j’avais une approche trop centrée sur l’espace urbain lui-même, j’avais besoin de rencontrer des civils qui pourraient me montrer leurs vies, me faire part des réalités concrètes et profondément sociale de Mariupol, en essayant de rencontrer divers profils, des proukrainiens et des pro-russes et c’est ainsi que j’ai rencontré Leonid et Aelita.

Pouvez-vous expliquer votre démarche anthropologique, dont vous défendez l’approche subjective ? Je ne crois pas vraiment en l’objectivité. Ce type de recherche anthropologique en laquelle je crois fermement peut être subjective et pertinente, c’est pour cela que j’additionne photographie et anthropologie dans ce travail, la première me servant de médium pour prôner la pensée critique de la seconde. Mon but n’est pas de délivrer une information incontestable et sans appel, contrairement par exemple aux médias mainstream se présentant comme « objectifs », mais de susciter chez le regardeur une réflexion construite.

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Quelle est l’origine de ce projet et d’où viennent les images d’archives ? Lors d’un échange artistique, j’étais en contact avec des artistes du Rochester à New-York, dans l’ancienne maison mère de la compagnie Kodak. Ils m’ont parlé de l’impact désastreux de la faillite de Kodak sur l’économie de la ville. J’ai réalisé avoir connu le même cas de figure à Stuttgart Wangen, lors de la chute de la firme allemande de Kodak. J’ai alors commencé les recherches. Les images sont issues d’un atelier d’études visuelles, d’archives internet et de la Bibliothèque du Congrès.

Propos recueillis par Lamia Boukrouh et Rachele Ceccarelli

PETER FRANcK the kodak moment

Ressentez-vous une certaine nostalgie vis-à-vis de l’âge d’or Kodak ?

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Certainement, j’ai longtemps travaillé avec des pellicules Kodak et il est important de rappeler que Kodak est le pilier de notre héritage visuel depuis près d’un siècle. Ces images sont pour moi une tentative de renouer le passé et le futur. Nous avons tous commencé avec des produits chimiques pour le traitement photographique, jusqu’à ce que Kodak sorte le premier appareil photo numérique. Cette série rappelle ce pan de l’histoire photographique, à travers le savoirfaire actuel d’un artiste sur de simples photographies familiales. C’est presque un travail d’équipe, avec quelques décennies d’intervalle… J’essaie par conséquent de ne pas me focaliser sur l’identité des modèles, mais d’adopter une vision plus globale de la construction des images.

Grâce à Kodak, la photographie s’est démocratisée. Que pensez-vous de l’usage actuel de la photographie, son omniprésence dans la sphère publique et privée ? Mon avis est que la plupart des photographies familiales prises actuellement seront éventuellement amenées à disparaître à l’avenir, constituant peutêtre une période sombre de la photographie du privé. Paradoxalement, les images conservées dans des albums photos ont encore de beaux jours devant elles, elles sont toujours quelque part cachées dans un foyer, contrairement aux photos de vacances de l’été dernier. D’un foisonnement de clichés numériques, il ne restera je pense que quelques images isolées, rappelant un évènement donné.

Vos images ont une touche humoristique, légère. Pourquoi choisir cette approche ? Ces images sont à la base des photographies ordinaires venant d’albums de familles privés. Je tiens à garder cette authenticité intacte mais néanmoins ajouter une touche sarcastique à cette couche de vernis impeccable. Les images certes portent en elles leurs histoires, mais tout observateur – et à plus forte raison tout possesseur ponctuel – d’une image peut y apporter un sens, une histoire nouvelle.

Comment incorporez-vous des références de la peinture dans vos images ? Je pense toujours les tableaux en terme de peinture, et inversement. Les règles de la peinture sont très similaires à celles de la photographie. J’ai effectué un long travail de plusieurs semaines à retoucher chacune des images, comme des tableaux, un processus que je trouve particulièrement important dans cette série.


Pouvez-vous préciser votre rapport à la photographie? Dans ma pratique photographique, je souhaite dévoiler des aspects cachés et peu montrés de l’Europe de l’est. Sans m’attacher à un genre en particulier, je suis attentivement la situation actuelle des choses, en figeant l’instant en images qui mêlent couleurs, styles et personnages différents, cherchant à capter le fugitif.

kirill golovchenko otpusk- out of the blue

Pourquoi avoir choisi le décor de la mer pour cette série? Cette série est peut-être une tentative de renouer avec mes souvenirs d’enfance, quand je passais mes vacances à la mer, qui est aussi un thème artistique universel. Au-delà de cela, je voulais accéder à un pan du paysage culturel ukrainien, exprimé dans cet univers balnéaire de décontraction et de délassement. Le comportement parfois très négligent des vacanciers m’irritait, me poussant à pointer du doigt la pollution de l’eau dont ils deviennent peu à peu responsables, bien que je ne sois pas un activiste particulièrement engagé pour l’environnement. Il faudra peut-être du temps à « l’homme soviet » pour acquérir une attitude digne et responsable face à une liberté fraîchement acquise. Au début, j’avais essayé de prendre quelques clichés à la plage, capturer le singulier dans l’ordinaire, mais sans succès. En 2012, en allant à la plage d’Odessa avec ma famille, par hasard et par ennui, je pris des images avec la bouée de ma fille et je découvris cette méthode spontanée, amusante, primitive et enfantine, à laquelle je n’avais plus qu’à attribuer le sujet qui me semblait le plus naturel dans cette plage : celui de regard voyeur, que l’on jette, que l’on nous jette. La bouée me donnant l’impression d’un regard plus aiguisé et d’une invisibilité aux yeux des autres, j’ai commencé à prendre les images de cette série.

Quelles étaient les réactions des personnes que vous preniez en photo? L’effet d’invisibilité de la bouée fonctionnait bien, puisque la plupart des personnes ne se rendait même pas compte que je les prenais en photo, et même si elles venaient me parler, les réactions étaient en général très positives. Je n’ai éprouvé aucun sentiment d’inhibition, au contraire, le processus de la bouée me donnait le sentiment que la plage m’appartenait.

Pouvez-vous expliquer le titre de cette série? « Otpusk » signifie «vacances» en russe, et «Out of the blue» est une expression anglaise courante reflétant un évènement se produisant de façon tout à fait inattendue. Mes images reflètent cette expression, appliquée à cette plage où les situations disparaissent comme elles sont apparues: de façon soudaine et totalement imprévisible. Comme un pan de la photographie de rue, mes images sont basées sur les moments remarquables de la vie quotidienne, qui foisonnent dans ce monde et qu’il suffit seulement de capturer en appuyant sur le déclencheur. 8


elis hoffman fading Je vis à Stockholm et exerce en freelance depuis sept ans, entre des commandes commerciales et mes projets artistiques qui sont projetés à travers le monde. J’ai publié trois livres, dont deux autoédités. J’ai remporté le prix du Jury en 2009 aux Boutographies pour ma série « Tonight ».

Comment avez-vous commencé ce projet, et combien de temps y avez-vous consacré ? Cinq étés environ. J’ai voyagé à travers la Suède, mon pays d’origine, mais en me rendant dans des lieux étrangers pour mener de nouvelles expériences et rencontrer des personnes inconnues, chose cruciale pour le projet et moi-même. Mes projets se font généralement sur une longue durée, et débutent d’abord avec de simples idées. Mon travail s’inscrit dans la tradition documentaire, je ne modifie pas beaucoup mes images. J’ai débuté ce projet en me demandant comment nos perceptions et réactions face aux bouleversements de la vie modelaient nos futurs et nos personnalités ? J’ai voulu photographier ces contrecoups, ces traces, ces stigmates qui surviennent après les vicissitudes de la vie.

Vous travaillez sur le sentiment délicat de la fragilité humaine. Comment installez-vous un sentiment de confiance et d’abandton avec vos modèles ? Pour ce qui est de la confiance, il faut soi-même être très honnête avec ce que l’on veut, et être ouvert pour mériter la confiance des gens, cet échange est crucial. J’ai passé quelques jours dans un centre, en compagnie de personnes qui se savaient mourantes, et certaines m’ont autorisé à faire des portraits d’elles, c’était une expérience incroyable. Les images quant à elles, prenaient beaucoup de temps à se faire, mon appareil photo est assez lent, je ne peux pas prendre énormément de photos à la fois. Je prends mon temps, je dois être très patient.

Propos recueillis par Lamia Boukrouh et Rachele Ceccarelli

Pouvez-vous vous présenter ?

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Parlez-nous de la lumière et des couleurs, radicalement différentes de « Tonight ». Ma palette se compose de couleurs terreuses, de tons jaunâtres, un peu comme ces vieux journaux défraîchis, abandonnés au soleil, qui finissent par jaunir et s’effriter. Ces tons sont intemporels, et me font surtout penser à quelque chose qui dépérit. C’est complètement différent de mon projet « Tonight », aux couleurs vives et aux flashs violents qui éclataient aux visages. Ce projet-là est bien plus lent, poétique, j’ai passé du temps dans les morgues et des enterrements, des couleurs vives n’auraient pas été décentes.

Au fil du temps, la photographie estelle devenu un moyen de vous découvrir vous-même ?

ida jakobs ‘‘la vie devant soi’’

Absolument. J’ai commencé en voyageant sur un coup de tête, et quand j’ai revu plus tard mes images, j’ai compris des choses sur moi-même. Je réalise que mes travaux parlent en vérité bien plus de moi que des modèles, des tourments auxquels j’ai besoin de me confronter. « Fading » parle des thèmes de la fin inéluctable de toute chose, de la mort, de la beauté de ce qui est éphémère, mais c’est aussi un projet très personnel et introspectif. Le processus est pour moi presque plus important que le travail achevé.

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Comment êtes-vous arrivée à la photographie ?

Pouvez-vous nous parler du début de cette série ?

Comment se passait cette mise en scène familiale ?

Ma mère était photographe, et elle m’a donné son appareil, un Nikormat, quand elle a vu que ça me plaisait. J’ai depuis toujours fait des images, mais cela restait de l’ordre du privé. Pourtant, il y a trois ans, j’ai ressenti un réel besoin de pousser la pratique au-delà de ce cadre. J’ai pris un congé professionnel, et j’ai suivi l’atelier de Pierre Barbot à l’ETPA de Toulouse, où j’ai énormément appris. J’ai également fait plusieurs stages avec des photographes, dont un avec Michael Ackerman, qui a été fondateur.

Ce projet a commencé il y a environ huit ans. Ma grand-mère a été placée en maison de retraite, ce qui a été un choc pour elle, mais aussi toute la famille. L’environnement y était assez sinistre, mais en prenant des photos, je me suis rendu compte que quelque chose de magique se produisait. La photographie, le fait de dégager les meubles et couvrir le mur de rideaux, nous permettait de sortir complètement de ces quatre murs, d’ouvrir une fenêtre dans cet univers clos. Ma grand-mère a donc, pour ainsi dire, initié ce travail, même si c’est surtout une histoire de famille.

J’avais des tableaux en tête que je leur proposais – elles ont toujours été d’accord. Il y avait une vraie entente dans ce jeu mené à quatre, d’autant que les accessoires, la petite poupée, les costumes, les tissus et étoffes sont tous des objets personnels nous appartenant, transmis de génération en génération. L’intimité que nous avons, accentuée par le « petit théâtre », a permis de raconter, je crois, l’amour, la violence, la tristesse, le manque… S’il n’y a pas d’hommes, c’est que d’une façon ou d’une autre, ils sont tous partis. J’ai cherché à inclure mon mari et mes deux garçons dans cette série, mais ça ne fonctionne pas encore. Mes images parlent aussi de notre rapport au corps, un corps qui est meurtri, qui vieillit. Or, dans ce travail, le fait de faire tomber les habits


rendait le corps tellement beau ! Notre communauté, faite du respect des peurs, des angoisses, et des faiblesses de chacune, a permis à chacune d’exister dans le projet.

Le titre vient du roman de Romain Gary, c’est pour ça qu’il y a des guillemets. Hervé Guilbert, et son travail Suzanne et Louise, a été mon maître. Gabriel Garcia Marquez m’a, quant à lui, fait découvrir le réalisme magique. Je trouve ça génial, ça m’a permis de changer de point de vue et d’aborder les choses différemment dans la vie. Par exemple ici, j’ai arrêté de regarder ma grand-mère comme une vieille dame en fin de vie dans un immeuble pour les vieux en fin de vie. Je l’ai regardée comme une personne qui avait encore plein de choses à me dire, à me montrer, quelqu’un qui était le passeur d’une autre réalité possible.

Propos recueillis par Lamia Boukrouh et Rachele Ceccarelli

Vous mentionnez des influences littéraires pour cette série ?

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alexander krack the treatment 12

Quel est votre rapport à la photographie ?

Comment avez-vous mené ce projet sur les stations thermales ?

Mon père possédait des livres photographiques de la nouvelle photographie américaine en couleur, avec des artistes comme Stephen Shore, William Eggleston, ou Joel Sternfeld. Ces images, que je voyais comme de véritables peintures, sont restés gravées dans ma mémoire, et ont été la base de ma vision de la photographie. Je voulais devenir réalisateur, j’ai étudié le cinéma à l’université. Ces deux arts me semblent connectés, car ce qui m’intéresse en photographie, c’est la force narrative des images. Je ne suis pas un photographe documentaire ; bien que je veuille être authentique, cela se rapproche plus d’une narration filmique, dans la mesure où chaque image fonctionne individuellement, mais se trouve renforcée dans une série.

A la base, je menais un autre projet pour mon examen de fin d’études, je voyageais dans toute l’Allemagne. Une fois par hasard, j’ai logé dans un centre spa. En me baladant dans le parc, quantité d’éléments ne manquèrent pas d’attirer mon attention, et c’est ainsi que j’ai pris la première image de la série, ce tableau d’un beau paysage un peu mièvre derrière une vitrine, dont l’esthétique m’intéressait. Mon but n’était pas d’avoir un rendu « documentaire », je cherchais surtout, je suppose, à faire de ces images une narration, inconsciemment.


La nature, dans ces centres, a une fonction purement esthétique, mais possède aussi une force apaisante sur les habitants, s’intégrant parfois au dispositif médical, comme par exemple cette grotte dont l’air marin humide et la température invariable sont excellents pour les poumons. Il y a aussi, au cœur des centres, ces vastes jardins où la nature est dans un sens fabriquée et contrôlée par l’homme, dans le sens où elle est supposée être belle, romantique presque, mais laisse clairement deviner une intention d’apaiser les patients. Je trouve intéressante cette idée d’une nature oscillant entre fonction esthétique et traitement en soi. Les patients viennent en effet pour des raisons médicales, mais aussi pour s’octroyer des vacances, et il est

étrange d’envisager un endroit où il est presque obligatoire de se laisser aller à la détente, à une dérive qui fait perdre toute notion du temps, comme dans un rêve éveillé. Si les traitements médicaux peuvent parfois être pénibles, il règne toujours, étrangement, cette atmosphère d’égarement qui se présente comme une échappatoire au réel. Une notion de temps suspendu, qui est abordée dans le roman La montagne magique de Thomas Mann, et qui est une notion que je trouve appropriée à cette série. La photographie est intéressante quand elle vient figer l’instant, en le maintenant toutefois vivace. Une image est immobile, et amène paradoxalement l’imaginaire à transcender le cadre, et rêver de tout un univers au-delà.

Propos recueillis par Lamia Boukrouh et Rachele Ceccarelli

Vous parlez d’une esthétique et une ambiance particulière dans ces centres qui ont éveillé votre intérêt ?

pierre liebaert libre maintenant Vous avez remporté le Prix du Jury des Boutographies 2012 pour votre série « Macquenoise ». Y a-t-il un fil rouge entre ces deux séries ? Ma pratique photographique est extrêmement sociale, il faut savoir être fluide et caméléon, savoir parler à l’aristocrate et au mendiant. Je m’intéresse aussi aux choses dont on m’interdit l’accès, le sujet de la folie et de l’enfermement m’intéresse. L’enfermement est physique, social, héréditaire dans « Macquenoise », et dans celui-ci, il s’agit d’un conformisme social auquel on se soumet en ne se posant surtout pas de questions. Dans ces deux travaux, il y a un contexte d’emprisonnement, un certain déterminisme social qui m’intéresse.

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Comment se passait la prise de vue dans les chambres d’hôtels ?

Pourtant, certains masques ne font que peu office d’anonymat ?

Le protocole, pourtant strict, n’a pas été imposé par moi, mais par les modèles eux-mêmes, aux exigences sensiblement similaires : le masque, et ne pas être chez eux. Moi, je faisais seulement mon possible pour que sur les images, les personnes paraissent le plus détendues et relâchées possible, presque des gisants. De ce fait, les symboliques liées aux chambres et aux masques ont émergées d’elle-même. Le masque, choisi par les modèles, remplissait une fonction pratique, mais en vérité, peu importait qu’il soit décoré, travaillé, il avait une réelle valeur symbolique. Il est souvent dit que le masque nous possède plus que nous possédons le masque. En voyant des personnes masquées, c’est extrêmement fascinant et terrifiant, on n’a pas l’impression que ce sont des hommes mais des esprits habités. Le masque rentre dans tout rituel parce qu’il permet d’incarner quelqu’un d’autre, et nous dissimule également de nous-même. Ne pouvant plus nous juger du regard, on est fait des choses que l’on ne ferait pas habituellement. Le masque incarne et donne une possibilité d’existence à certains instincts, certaines pulsions réprimées.

Bien sûr, certains hommes sont presque reconnaissables et jouent sur le fil. Cela rend l’interdit et l’exutoire encore plus savoureux. Et la photographie possède cette puissance d’éterniser, de pérenniser leur libération et ça, aucun des modèles ne l’a trouvé anodin. Se photographier, c’est prolonger son image, rendre l’expérience ineffable, inaltérable. Ces gens manquent de danger, de prise de risque, et cela vient rendre la chose encore plus démente, excitante, unique.

Comment une telle confiance s’établit entre vous et les modèles ? Je pense qu’un énorme besoin venait d’eux. J’ai reçu des centaines de réponses, c’est énorme. Certaines possédaient dans leur écriture une réelle urgence, de l’ordre de « je ne peux plus attendre ». Cette confiance était amenée car l’urgence se trouvait des deux cotés. Eux voulaient se livrer et moi j’avais envie de traiter ce sujet, en relation avec la question de la nudité. La confiance est difficile à instaurer, mais il y avait une vraie demande de la part des modèles, un désir qu’il faut peu de choses pour qu’il éclose et jaillisse.

marie lukasiewicz etudes

Pouvez-vous résumer votre parcours ?

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J’ai commencé assez tôt ma formation, dans un lycée artistique à Estienne à 15 ans. J’ai ensuite enchaîné avec un BTS option photo et après une formation photographique à Saint-Denis, j’ai intégré Louis Lumière.

Auparavant, vous aviez déjà fait des projets concernant des questions environnementales. D’où vous vient cette sensibilité ? Après mes études, je suis allé vivre au Canada. Là-bas, les espaces immenses, les paysages magnifiques m’ont donné une sensibilité au paysage, qui fait maintenant partie de ma pratique personnelle. J’ai aussi effectué des commandes pour la DRIEE, la Direction Régionale et Interdépartementale de l’Environnement et de l’Energie à Paris, pour photographier des sites protégés et classés en Ile-de-France. En plus de ma propre sensibilité personnelle sur ces questions, mon parcours m’a naturellement poussé à traiter de tels sujets. J’ai par exemple entrepris le projet « Smelter » sur le lac canadien Rouyn, magnifique en apparence mais situé non loin d’une usine, et qui est donc rempli de résidus toxiques.


Parlez-nous de la série « Etudes » et de sa forme particulière.

Comment avez-vous conçu l’installation de votre exposition?

Je fais partie du collectif ParisBerlin>fotogroup, et chaque année, nous réalisons chacun un projet sur un an. L’an dernier le thème était « Jardin », et c’est ainsi que j’ai débuté « Etudes », en documentant les jardins ouvriers situés en bordure d’autoroute, chose qui m’a toujours parue étrange, saugrenue. J’ai entamé des recherches, lu beaucoup d’articles et de recherches scientifiques, qui m’ont aussi inspiré pour donner cette esthétique scientifique aux images. Plus tard, l’idée d’adopter la forme de fausse étude est apparue. Je ne voulais pas traiter le sujet d’une façon ouvertement dénonciatrice, mon but était plutôt de créer un contrepoids entre des images de verdures idylliques et des chiffres effarants, susciter un paradoxe qui interpelle. J’ai trouvé la forme du canular intéressante et pertinente pour susciter la réflexion. Par exemple, tous les chiffres sur les images d’herbariums, sur les taux de fer contenus dans les légumes sont exacts, et sont tirés d’une étude menée par une université de Berlin.

J’y pense encore, elle est amenée à changer. J’ai exposé à Berlin et à Lille, où je l’avais installée différemment. Je devais créer des liens avec les images de légumes, les portraits, les entretiens, etc... L’idée d’intégrer des bandes sonores s’est imposée plus tard, en me rendant compte du contraste entre les jardins très beaux et le son omniprésent des camions. C’est une façon d’immerger le regardeur dans ces jardins placés dans des parcelles d’autoroute louées moins cher aux exploitants.

Quels sont vos projets à venir ? J’aimerais prendre plus d’images, grossir le corpus de « Etudes » et en faire un objet édité. L’exposition fonctionne, mais j’aimerais un support devant lequel on puisse passer du temps, et je cherche également des soutiens pour réaliser ce livre.

Propos recueillis par Lamia Boukrouh et Rachele Ceccarelli

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pietro masturzo israeli settlements - facts on the ground

Quel est votre rapport à la photographie ? Après mon diplôme en relations internationales, j’ai réalisé que je voulais vraiment devenir photographe et j’ai suivi des cours du soir pendant trois ans à Rome. Je pensais travailler avec des ONG ou le domaine public, mais je suis plus enclin à être indépendant dans les séries et histoires que je raconte. Mes projets sont intimement liés à mes études, m’intéressant à des questions politiques et sociales souvent hors de mon pays. Je souhaite que ma photographie informe les gens de ce qui se passe à travers le monde, sans la présenter comme vérité, évidemment. Je ne connais pas « la vérité », si tant est qu’elle existe. C’est mon point de vue, toujours subjectif, qui transparaît dans mes travaux. La réalité est vue à travers mon regard et le tout est très personnel bien sûr. Mon but n’est pas de délivrer des réponses, mais de poser des questions. Si les personnes qui regardent mes séries arrivent à en ressortir avec des interrogations, je le ressentirais comme une grande victoire.

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Comment vous êtes-vous déplacé dans ces colonies ? Entrer dans les colonies fut un processus difficile qui prit plus d’un an. Même avec une carte de presse étrangère, ils peuvent s’octroyer arbitrairement le droit de m’interdire de circuler. Certaines colonies étaient plus flexibles, mais je devais parfois changer de stratégie, me présenter comme un simple civil, un militant d’ONG israélienne, etc… Souvent, face à une caméra, les réactions sont violentes, j’ai failli me faire arrêter. De façon globale, dans ces colonies, l’ambiance n’est pas à la violence à proprement parler, mais à la suspicion. La mentalité des colons est souvent de refuser tout contact avec le monde extérieur. Repliés sur euxmêmes, ils sont surtout là pour profiter de loyers moins chers, pensant sincèrement vivre en paix avec des palestiniens qui eux, cherchent les ennuis. Ils ne se posent même pas la question de l’usurpation d’une terre qui ne leur appartient pas. Pour eux, leur vie sur ces colonies illégales est parfaitement légitime.

Vous présentez certaines images paisibles, des paysages sereins, dans un contexte pourtant violent… Il y a là-bas une atmosphère de sérénité en effet, c’est la première chose que j’ai remarquée, presque comme une banlieue résidentielle américaine. Autorisé à prendre peu de portraits, j’ai capturé des paysages qui possèdent une indéniable symbolique de violence et d’occupation : les caméras de surveillance, les postes de contrôle, les oliviers brûlés… Ces paysages tranquilles cachent en vérité une véritable violence.

Ce projet est-il difficile à montrer ? Prix Échange FotoLeggendo / Boutographies Dans le cadre d’un partenariat entre les festivals Boutographies et FotoLeggendo à Rome, l’équipe de Montpellier a sélectionné l’exposition Israeli Settlements - Facts On The Ground du photographe Pietro Masturzo présentée à l’édition FotoLeggendo 2015. En échange, l’équipe de FotoLeggendo choisit une exposition programmée dans l’édition 2016 des Boutographies. Le lauréat du Prix Échange, dont le travail sera exposé à Rome en juin 2016, est annoncé lors de la soirée de remise des prix. Le photographe lauréat bénéficie de la prise en charge complète de son exposition et de son voyage pour participer au festival partenaire.

Le projet est difficile à publier en magazine, au vu du sujet très délicat, pourtant très médiatisé mais rarement avec une approche honnête ou ne serait-ce que différente de celles des médias de masse, qui ont une position plus proche d’une indifférence neutre que véritablement critique. Mon travail est donc bien plus facile à présenter lors d’expositions, dans des festivals comme celui-ci.

Propos recueillis par Lamia Boukrouh et Rachele Ceccarelli

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stefanie moshammer i can be her Pourquoi avoir choisi la photographie pour raconter cette histoire ? La photographie offre une marge de manœuvre à l’imagination, en lui suggérant des impressions, une atmosphère, lorsque le cinéma par exemple, est moins ambigu dans son propos. Une série photographique peut parfaitement fonctionner comme une narration filmique, mais sous forme de photographies dont l’ordre de placement dans la série ferait office de montage.

Expliquez-nous vos choix chromatiques dans cette série? Ce travail présente une lettre envoyée par une vraie personne, et mélange cette réalité à certains aspects fictionnels. En vérité, moins que sur les faits, j’insiste bien plus sur les émotions, qui viennent éveiller la curiosité du regardeur, qui à partir de la lettre, tentera de cerner les personnages de Troy et moi. Les différents styles chromatiques traduisent ces émotions, certains sont intrigants, certains sont plus érotiques, et d’autres comportent des images très colorées d’opposition du rose et du bleu, du féminin/masculin, des personnages de Troy et moi. Les images en noir et blanc sont des archives qui m’ont permis de retracer la vie de Troy. Cette série est-elle une autre façon de faire à Troy ce que lui vous a fait en vous envoyant cette lettre ? J’ai utilisé la lettre comme un outil pour faire de cette série une sorte d’opposition à ce qu’il m’avait envoyé. Je n’ai jamais reparlé à Troy, mais je me suis toujours demandé quel effet ça lui ferait s’il venait à découvrir cette série. Troy avait complètement fantasmé une image de moi, cette autre que je désigne dans le titre, car j’avais l’impression que ce fantasme pouvait être attribué à toutes les femmes. Son approche et sa présentation de lui-même étaient si superficielles, exhibant ses biens, ses voitures et ses rêves de célébrité. Ce travail est aussi sur l’identité de la femme, le regard qu’elle porte sur elle-même, l’attitude des hommes à son égard, un mélange d’innocence et d’interdit aguichant. Y a-t-il un lien entre cette série et votre précédent projet « Vegas and she » ? J’ai reçu cette lettre alors que j’étais à Las Vegas pour un projet sur les conditions de vie des strip-teaseurs. C’est lorsque je suis revenu à Vienne que j’ai entamé « I can be her », avec l’impression forte que même si ce projet était centré sur moi, le personnage de Troy était tellement révélateur de la mentalité de cette ville, que ce projet serait en quelque sorte une seconde partie d’un cycle ayant rapport à Las Vegas et la culture américaine. Avez-vous des projets en cours ? Au Brésil, un pays où les différences sociales sont extrêmement marquées, en particulier entre noirs et blancs, une tendance m’a interpellée : celle qui consiste pour les blancs à reprendre des codes visuels appartenant à la culture noire des gangs des favelas, et de les transformer en mode vestimentaire dans les milieux sociaux aisés. Cette appropriation d’une culture de résistance en une tendance m’intéresse, en portant mon attention sur les noirs des favelas et leurs réactions face à cela. 17


Pouvez-vous nous résumer votre parcours ? Je suis un photographe tunisien. Après la fac, je me suis installé à Bruxelles, où j’ai intégré l’école Le 75, axée sur le documentaire photographique. La photographie est depuis mon plus jeune âge un moyen de créer mon propre langage sur des choses que je trouvais anormales, malsaines dans le contexte de dictature dans lequel on vivait. On ne pouvait jamais parler du pouvoir en place, pas même avec sa famille.

kamel moussa équilibre instable

Comment utilisez-vous l’outil photographique ? Ce sont des questionnements sur moi-même qui m’ont poussé à faire ce projet. A travers ces portraits, je me regarde. Je me définis comme un photographe du documentaire social et non pas politique, je me concentre sur des problèmes que les médias oublient, en m’éloignant toujours de l’actualité. Dans cette série, je voulais parler tout d’abord de la jeunesse dans un contexte politique et social particulier en faisant du documentaire sur le long terme. Je voulais suivre l’évolution des gens au fil des ans.

Comment gagnez-vous la confiance de ces jeunes ? C’est un très long chemin, les tunisiens sont un peu paranos concernant les photos, pour eux, c’est comme être fiché, surtout après cinquante ans de censure et de dictature. Il faut gagner la confiance de ces adolescents qui ont leur propre univers et questionnements. Pendant quatre ans, j’ai beaucoup discuté avec eux pour les comprendre, saisir leur identité, leur fragilité... Ces jeunes ont vécu une révolution, quel impact cela a-t-il eu sur eux ? C’est un lien qui s’établit sur le long terme. Je veux les photographier dans leur environnement naturel, leur vie de tous les jours, je ne suis pas très intéressé par la mise en scène.

Quel regard portez-vous sur la Tunisie ? La Tunisie, même si elle reste tiraillée entre conservateurs religieux et progressistes laïques, fait une transition vers la démocratie. Mais la politique a absorbé tout le coté positif de la révolution, en mettant de côté les urgences économiques et sociales. La révolution s’est construite sur la dignité et la justice sociale mais le chômage explose et cela mène à une certaine débrouille qui n’est ni légale, ni conventionnelle. Au sud-est de la Tunisie, coincés entre la Méditerranée et la frontière libyenne, les jeunes sont contraints à des contrebandes avec la Libye ou embarquent illégalement vers l’Europe, qui n’est pas un eldorado non plus. Cela n’a rien à voir avec la Tunisie de mon enfance. Nous sommes dans une situation de transition dont on ne sait pas où elle va nous mener.

Quels sont vos projets à venir ?

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Mon but est de faire un travail fourni et documenté sur la Tunisie et les tunisiens d’aujourd’hui. Je travaille de l’autre coté de la Méditerranée, auprès de ceux qui sont maintenant en Europe, en situation de clandestinité ou dans la rue, menant des vies parfois très difficiles. J’ai aussi photographié des tunisiens revenus d’Europe, expulsés ou revenus d’eux-mêmes, toujours avec un style documentaire, éloigné de l’actualité.


J’ai toujours voulu être photojournaliste, c’est pour cela que je me suis lancé dans la photographie à la base. J’ai plus tard compris que je ne voulais plus vraiment travailler sur des commandes de médias, où les photojournalistes ne contrôlent pas forcément le devenir de leurs images. J’avais besoin d’avoir le contrôle sur les histoires que je voulais raconter, sans obligation de suivre une ligne éditoriale. Je me vois maintenant plutôt comme un photographe documentaire, sachant que je m’intéresse toujours à des aspects et phénomènes de société.

Quelle a été votre méthode de travail pour cette série ? La genèse du projet est personnelle, je voulais lui trouver une représentation juste et forte. La prise de vue ne pouvait se faire dans les hôpitaux, je me suis donc rendu dans des musées, des usines de fabrication, des laboratoires… Sans savoir précisément ce que je recherchais, mais en ayant le sentiment de devoir le faire et prendre beaucoup d’images. C’est une de mes méthodes de travail, de revoir ces images collectées et d’y voir enfin apparaître clairement le motif recherché.

Propos recueillis par Lamia Boukrouh et Rachele Ceccarelli

reiner riedler the lifesaving machines

Photographe invité

Comment êtes-vous venu à la photographie ?

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Concernant l’esthétique, je voulais me démarquer radicalement des codes de la publicité, en opposant un fond noir à leurs traditionnels fonds blancs, façon catalogue. J’ai également fait ensuite usage de fonds colorés, ou même pris des arrière-plans réels, comme les éclairages très doux des musées pour apporter une variété visuelle.

Ce qui m’intéressait aussi, une fois l’exposition dévoilée, c’était de voir les regardeurs reconnaître certaines machines, parler entre eux de leurs expériences personnelles, et être le témoin de tels échanges. J’apprécie que ces machines offrent une marge d’imagination et de communication au niveau du public.

Pourquoi s’intéresser à ces machines ?

Votre exposition à la Faculté de Médecine ?

Les machines qui sauvent des vies sont au cœur de ce projet, qui a évolué quand j’ai découvert des machines qui servent à prendre le relais d’un organe, ou de n’importe quelle autre fonction du corps humain. Je me suis alors intéressé à ces robots anthropomorphiques, leur capacité à s’intégrer au corps humain, comme le pacemaker (défibrillateur), programmé pour stimuler les pulsations cardiaques. Je voulais questionner ces incroyables relations étroites, physiques entre l’homme et la machine. Je voulais également traiter du sujet de la douleur et de son traitement, sans pour autant la représenter frontalement, en préférant mettre en avant la fascination qu’exerce l’aspect de ces machines.

Elle est complètement expérimentale, la Faculté de Médecine de Montpellier possède des installations que l’on ne peut modifier, du mobilier qu’il faudra utiliser malgré tout. C’est un espace scénographique classique et typique des musées, même si j’ai adapté mes images à des modes de présentation non destinés à des œuvres photographiques. Je les présente non encadrées, comme des pièces de musées plutôt que des images.

ulrike schmitz the missing link Votre parcours ? En 2012, je suis diplômée en photographie à Ostkreuzschule. Plus que la photographie, je suis surtout intéressée par la communication visuelle en général, dans les médias ou la science. La photographie est un médium de communication efficace, comme je pourrais parler ou écrire aux gens, mais avec des images. Je ne me limite pas uniquement à la photographie.

Y a-t-il un lien entre ce travail et « Museum of your memory » que vous avez présenté aux Boutographies 2014 ? Dans « Museum of your memory », je questionnais notre perception de la réalité, ce qui nous semble réel ou faux, documentaire ou fiction. Dans « The missing link », il y a toujours ce trouble, ce mélange entre les machines scientifiques véritables et des 20

images montées de toutes pièces. Entre ces deux travaux, l’histoire est différente, mais l’idée est de questionner notre rapport à la réalité. Et qu’est-ce que la réalité ? Un concept universel ou une perception qui diffère selon chacun ? Ma façon de travailler est d’entamer un processus documentaire qui requiert pour chaque image beaucoup de recherches et des voyages dans les centres de recherche ou musées. Ensuite, en évitant la simple représentation, je mets en place dans les images une construction, un montage qui suggère un autre point de vue, une réalité différente. Je me base donc sur un dispositif technique réel pour en faire des images métaphoriques. Mon travail se démarque alors d’une documentation scientifique claire et sans appel.

Pourquoi êtes-vous passionnée par cette thématique transhumaniste? Je suis très intéressée par les questions scientifiques en général et par le fait de faire connaître ces thématiques actuelles au public d’une façon créative. Concernant le Néandertal, il m’a semblé frappant de constater que notre perception complaisante vis-à-vis de nous-mêmes nous


permet difficilement d’envisager un constat pourtant vraisemblable : celui de notre période éphémère de transition, de notre condition d’infime virgule dans l’histoire de l’humanité. Dans cent ans, notre façon de vivre sera peut-être radicalement différente, la science évolue de façon vertigineuse. Je suis incapable de répondre aux questions que soulève cette réflexion, ce n’est pas mon rôle. Je cherche plutôt à mettre en perspective notre condition aux yeux des regardeurs, les pousser à réfléchir sur leur perception des choses, et à mettre en avant les domaines de la biotechnologie et du génie génétique, qui ne cesseront sans doute de prendre de l’importance.

ina schoenenburg exchanging glances

Comment avez-vous conçu votre installation ?

Propos recueillis par Lamia Boukrouh et Rachele Ceccarelli

J’ai conçu cette série à l’échelle d’une pièce, pour que le regardeur ait l’impression de pénétrer dans un autre univers et qu’il se pose la question de la nature des images : documentation ou invention de la photographe ? Il est prévu qu’entouré d’images, il se demande de quoi cela parle avant d’être confronté au texte. Mon but était vraiment de produire un effet physique chez le regardeur, en évitant à tout prix l’installation photographique classique.

Pouvez-vous vous présenter ? Je photographie souvent des personnes qui sont à un seuil critique de leur existence, et tente de capturer un contexte social derrière cette vulnérabilité. J’ai travaillé sur des soldats souffrant de stress posttraumatique, sur la façon dont ils s’en sortent, dont la société les prend en charge. Même si l’histoire personnelle de quelqu’un nous est inconnue, nous pouvons deviner certaines blessures de l’extérieur. Mon but est, à partir de moments du quotidien, de créer une imagerie de l’intime.

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Pourquoi ressentir le besoin de regarder votre famille à travers un objectif ? Cela ne m’a pas paru immédiatement comme un travail artistique, durant tout le processus, mais plutôt comme une sorte de thérapie. L’appareil photo entre nous rendait les choses plus faciles. Nos relations sont évidemment complexes. Ma fille nous apporte beaucoup de joie et de légèreté et s’entend parfaitement avec ses grands-parents, comme s’ils rattrapaient leurs erreurs avec leurs propres enfants sur les petits-enfants. Tandis que ma relation avec ma mère n’a pas toujours été facile. Bref, des hauts et des bas que j’essaie d’explorer sous toutes leurs coutures, la photographie me permettant de capturer toutes ces nuances de vie. Depuis ce projet, le regard que nous nous portons les uns les autres a changé. Cela nous a rapproché, il me semble. Nous sommes plus prévenants, nous communiquons plus. Évidemment, comme dans toute famille, les problèmes subsistent toujours, mais nous sommes plus enclins à chercher à les régler ensemble.

Propos recueillis par Lamia Boukrouh et Rachele Ceccarelli

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Votre série s’inscrit-elle dans le genre de la photographie de famille ? Il n’y a pas qu’une façon de représenter la famille. Je ne suis pas du tout intéressée par les portraits conventionnels et placides censés refléter succès, joie et amour sans faille. C’est montrer la vie quotidienne qui m’intéresse, sans cliché et sans vernis pudique et convenu. J’essaie d’utiliser au mieux ces tensions familiales, de les confronter pour atteindre en image une intensité émotionnelle exceptionnelle, sans doute propre à l’univers familial. Ce ne sont pas uniquement mes états d’âme. Si je creuse nos relations familiales, c’est aussi pour produire des images dans lesquelles d’autres pourront se reconnaître, se remémorer des souvenirs de famille et d’enfance, d’amour parental, de moments heureux, pénibles, ou simplement la plénitude d’avoir du temps devant soi.

Quels sont vos projets futurs ? Dans mon nouveau projet, j’explore la campagne autour de Brandenburg, dans une nature modifiée par la main de l’homme, bien différente du décor champêtre que l’on peut s’imaginer. Je veux travailler sur l’absurdité qui se fait passer pour banalité, trahissant parfois quelques moments d’ironie dans ce train-train quotidien. Je fais des portraits de personnes rencontrées sur les routes, ayant toujours vécu ici et qui se sont étrangement imprégnées du paysage, marqué lui aussi par leur passage. Ce serait une série à la fois sombre et empreinte d’une certaine légèreté.


Les projections Le dispositif de la lanterne magique cher aux cabinets de curiosité du 18e siècle a connu une évolution sans précédent avec l’invention de l’image photographique et de l’électricité au 19e siècle. Le spectacle quelque peu mondain de l’exposition à la lanterne magique, réservé à un petit nombre, est devenu une pratique collective grâce à la lumière électrique et à l’usage de ce que l’on appelait des « tableaux photographiques sous verre » projetés sur écran. Ces modes de présentation mettant les moyens de la science mondaine au service de l’éducation populaire ont été particulièrement utilisés par les promoteurs de la vulgarisation scientifique en France. L’Abbé Moigno, directeur de la revue Cosmos créée en 1852, a été par exemple un grand innovateur en matière d’enseignement par les projections lumineuses. A l’écrit de la revue s’ajoute, selon lui, une autre façon de transmettre le savoir scientifique « par une méthode toute nouvelle, [...] qui consiste essentiellement à montrer aux yeux de l’intelligence et du corps ce spectacle et ces phénomènes transformés en vastes tableaux éclairés par la lumière électrique ; nous voulions produire avec éclat, à l’instant de leur apparition, les inventions et les découvertes nouvelles», expliquait-il. Cette mise en scène ira jusqu’à entrecouper les projections d’intermèdes musicaux et de jeux d’optique, lors des « soirées et matinées de science illustrée » que l’abbé Moigno organisa à l’attention d’un public socialement très diversifié. L’usage de ce dispositif s’est finalement répandu dans l’enseignement supérieur et la conférence mondaine tout au long de la seconde moitié du 19e siècle. Et le Ministre de l’Instruction publique, Paul Bert, le développa dans l’enseignement primaire et les cours pour adultes. Couramment employées dans les festivals de photographie depuis leur forte expansion dans les dernières décennies du e 20 siècle, les projections de travaux artistiques prolongent les présentations physiques d’oeuvres. Comme des murs imaginaires sur lesquels les organisateurs aiment à poursuivre leur rôle de médiateur pour faire connaître les travaux contemporains. Ainsi, les Boutographies complètent l’exposition principale des photographes sélectionnés par le jury officiel par une projection de travaux ayant attiré l’attention dudit jury, depuis 2009. Ce mode de présentation évolue d’année en année avec l’intention de valoriser au mieux ces travaux tant auprès du spécialiste que du public novice en création photographique contemporaine. Pas de commentaire explicatif ici, juste une mise en séquence avec bande-son pour inviter à explorer d’autres mondes visuels. La lanterne et les plaques photographiques sont maintenant un rétroprojecteur et des fichiers informatiques d’images et de son, mais il reste l’état d’esprit de ces projections lumineuses collectives du 19e siècle, pour faire connaître les inventions et découvertes photographiques actuelles dès leur conception. Brigitte Pertoldi

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Quand les Boutographies ont démarré, il n’était aucunement question d’organiser un événement au sein même du festival comme une sorte de deuxième peau. Les Boutographies se contentaient de présenter des expositions photographiques et juste cela. Aujourd’hui, si cette idée commence à germer, elle n’est encore qu’une simple activité durant le festival. Les lectures de portfolio, puisque c’est de cela qu’il s’agit, sont deux demi-journées qui mettent en relation des professionnels du milieu de la photographie et de jeunes artistes pendant une vingtaine de minute. Le monde de la photographie, comme beaucoup d’autres, s’articule autour de réseaux et de milieux professionnels de talents et de reconnaissance différents. Aller à la rencontre de ces gens n’est pas toujours chose aisée tant la possibilité de rencontrer la bonne personne relève parfois plus du hasard et de la chance que de la décision. L’évolution du photographe vers d’autres sphères devient alors périlleuse. Les rencontres ne sont pas toujours programmables à souhait, elles ne se font pas toujours au bon moment, pas toujours avec la bonne personne et on ne connaît pas tout le monde. Pour remédier à cela, un grand nombre de festivals ont décidé d’organiser des lectures de portfolio en choisissant parmi leurs cercles de connaissance les professionnels recherchés. Aujourd’hui, ces moments sont devenus incontournables pour les photographes. Il est donc important d’y consacrer du temps.

lectures

En 2001, la première édition des Boutographies n’était qu’une exposition collective où des photographes de milieux et de pratiques différentes se rencontraient autour de l’accrochage de leurs œuvres. Leurs discussions, leurs remarques mais aussi les échanges de pratique ou d’expérience ont permis d’enrichir et de développer les idées des uns et des autres. Ces rencontres étaient finalement une sorte d’événement comme le sont aujourd’hui les lectures. Elles étaient justes informelles. Si cette exposition collective est devenue un festival, c’est parce qu’un jour l’idée de demander à des professionnels de sélectionner les dossiers a permis de mettre en relation deux milieux différents de la photographie. Le photographe se retrouvait alors dans une situation où son travail était jugé sans en avoir les explications, si ce n’est celle d’être sélectionné ou non. Les lectures sont là aussi pour critiquer, donner un avis, bref, elles jugent aussi. Mais, elles donnent des réponses. Ces lectures sont un véritable sésame pour la poursuite d’un travail. Elles sont pour celui qui veut s’exprimer une étape quasi obligatoire. Cette étape semble parfois très difficile à envisager. Mais alors, pourquoi les lectures sontelles si attendues que cela ? Parce que faire un travail artistique, qu’il soit photographique ou autre n’existe finalement pas parce qu’il a été simplement créé mais parce qu’il est vu par d’autres et donc parce qu’il est soumis à la critique.

Que celle-ci provienne du public ou d’un professionnel, elle reste indispensable à la survie de l’œuvre. Et plus cette œuvre sera vue et plus longue sera sa vie. Dans le cadre des lectures, les photographes attendent des réponses aux questions qu’ils se posent sur leur travail mais ils espèrent aussi décrocher une exposition, une parution, voir une vente auprès de ces professionnels dont le but est aussi de faire la programmation de leur festival ou de leur galerie.

de portfolio

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Les festivals ont bien compris l’importance de ces rendez-vous et aujourd’hui rare est la manifestation qui n’en propose pas. C’est pourquoi les Boutographies ont décidé elles aussi d’en organiser. Mais à la différence des autres festivals, nous choisissons chaque année une thématique. Cette spécificité nous permet de renouveler notre sélection de professionnels lors de chaque édition depuis neuf ans. Nous proposons aussi de réserver la première demijournée aux photographes passés par le festival afin de garantir aux lecteurs une certaine qualité dans les travaux qu’ils découvriront. C’est aussi une manière pour nous de rester au contact de nos photographes. La deuxième demi-journée est quant à elle ouverte à tous les photographes puisque c’est la volonté de toute l’équipe de garder les portes du festival grandes ouvertes. Arnaud Laroche


villages villages en en photographie photographie Daniel Bieysse Espèces en voie de disparition

Témoin de la vive transformation urbaine de la Métropole de Montpellier, le projet Villages en Photographie est né de la volonté de documenter les mutations de cet espace. Nous avons proposé aux premiers observateurs de ce changement, membres de Photo-clubs locaux, de travailler sur un projet photographique commun. Dans l’esprit des missions photographiques comme la Mission héliographique en 1851, la DATAR entre 1983 et 1989 ou encore le projet collaboratif en cours La France vue d’ici, les photographes du projet Villages en photographie esquissent une représentation personnelle et sensible du territoire, leur territoire. Centrés sur un paysage de l’ordinaire et du quotidien, ils donnent à voir le rapport de l’homme à son environnement, de la tradition à l’évolution la plus récente, entre échange et transmission avec pour fil rouge la volonté d’identifier un héritage, de dessiner les contours d’une ethnographie en images des habitants, des métiers, des lieux, des loisirs de ces villages.

Lucie Anton

Anne Marie Manville La montée de la Fiole

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magasin de livres magasin de livres magasin de livres

Récemment dans un magazine, on pouvait lire que la révolution numérique, qui devait créer tant de ravages dans l’industrie du disque et du livre, n’aurait finalement pas eu les conséquences imaginées. En tout cas pour ce qui concerne le livre : cette révolution s’étant, par exemple, transformée en évolution pour une certaine catégorie d’ouvrages rares et précieux tels que les manuscrits enluminés. On peut donc dire que le livre se porte bien et que son pendant numérique n’a pas été capable de détrôner la première industrie culturelle de France. Comment peut-on expliquer cela ? Est-ce le contact tactile et sensuel que l’on ressent lors de sa prise en main ou est-ce ce geste quasi inconscient que l’on a de porter à notre nez ces pages imprégnées du parfum des encres ? Le livre a cette force. Il est l’objet, le cadeau, le souvenir, le compagnon de chevet, de voyage. On lui construit son meuble de rangement, on le montre à ses amis, il serait même, dit-on, le reflet de notre personne. Souvent issu d’une exposition, il propose un accès singulier au travail présenté au public. C’est le cas historiquement le plus répandu. Cependant, il peut aussi être à lui seul un travail photographique, certaines œuvres se prêtant plus à l’exposition et d’autres plus à l’édition comme le souligne Jean-Luc Amand Fournier, artiste photographe et ancien professeur à l’ENSP d’Arles : tout dépend du contenu du travail, pour un jeune artiste comme pour un photographe plus expérimenté. Alors, si pour nous il n’y a pas de crainte quant à l’avenir et à l’intérêt du livre, qu’en est-il pour les photographes? Pourquoi l’engouement actuel de ces artistes pour ce mode d’expression ? La réponse sera peut-être à trouver vous-même en venant découvrir notre nouvel espace, le Magasin de livres, dédié aux talents de la photographie européenne. Ses rayonnages vous feront découvrir près d’une trentaine d’ouvrages réalisés par des exposants du festival, « anciens » et participants à cette édition 2016. Qu’ils soient édités ou en auto-édition, tous ces livres à la diffusion souvent difficile car contraignante et chère, ne se retrouvent pas toujours dans les librairies traditionnelles. Pour ne pas rater cela, le Magasin de livres sera ouvert à La Panacée pendant tout le festival. En plus des livres de nos artistes, vous trouverez aussi notre catalogue 2016 et les anciennes éditions ainsi que les éditions 2015 et 2016 du Journal du Festival. Arnaud Laroche 26

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La seizième édition des Boutographies se passe pour la deuxième fois à La Panacée, alors on pourrait s‘imaginer que les événements qui tournent autour du festival seront identiques à l’édition précédente ?

Pas vraiment. Depuis le tout début du festival alors qu’on était encore dans le quartier du Boutonnet, nous projetions déjà pour chaque nouvelle édition d’apporter un petit plus par rapport à la précédente.

Pourquoi ? Je suis comme ça, je n’aime pas beaucoup la routine, je trouve que cela renferme les gens sur eux-mêmes. Je ne peux pas être comme ça.

Quand vous dites « je » et non nous (l’équipe), c’est parce que c’est vous qui décidez des nouvelles activités ? Pas forcément, disons que cela fait partie de mon travail. Je gère ce festival d’un point de vue administratif, alors je suis mieux placé pour savoir si on peut se lancer dans une nouvelle activité ou non : par rapport aux contacts que nous avons, au soutien qu’ils peuvent nous apporter et puis par rapport aux finances de l’association. Mais la discussion finale se prend toujours entre les membres de l’association et c’est bien car parfois, ils me recadrent. J’ai parfois tendance à rêver un peu trop.

Cette année le visiteur pourra découvrir pendant toute la durée du festival un « Magasin de livres ». Pouvez-vous nous en dire un peu plus? Le Magasin de livres est né de l’ambition du festival à vouloir toujours tirer vers le haut sa sélection d’auteurs. Par cette action, nous avons découvert que nos photographes étaient de plus en plus auteurs d’ouvrages photographiques. Ils se tournent en effet souvent vers la réalisation d’une publication après avoir eu l’occasion de présenter leur travail sur des murs. Nous avons donc voulu créer cet espace dans le but de proposer de la photographie différemment. Et c’est aussi une manière de garder un contact avec les photographes passés par le festival.


Thibault Derien J’habite une ville fantôme (prix du public 2012) 96 pages, Editions Rouge marine

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L’année dernière vous aviez me semble-t’il réalisé un événement intitulé : Kiosk ?

En effet, cet événement avait été proposé et mis en place par Nathalie Belayche. Cette première “esquisse“ qui proposait les livres des photographes de l’édition en cours nous a permis d’imaginer la suite. Aujourd’hui, nous proposons au public un espace entièrement dédié aux publications photographiques et entièrement dédié aux photographes passés par les Boutographies. De cette manière, nous pouvons proposer plus d’une trentaine de livres différents.

Le Magasin de livre présentera donc des livres de jeunes auteurs. Présenterez-vous aussi d’autres livres? Si vous parlez d’ouvrages consacrés à des grands photographes, je ne pense pas sauf peut-être si ceux-là ont un rapport avec le festival. Mais pour l’instant, ce n’est pas le cas. Chaque année, nous aurons de nouveaux photographes et donc de nouvelles publications qui viendront s’ajouter à celles déjà existantes. Nous n’avons pas comme ambition d’ouvrir une librairie.

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Vous avez aussi cette année un workshop autour du livre photo ainsi qu’une intervention par un de vos partenaires sur le droit à l’image. Est-ce un nouveau virage que le festival prend?

Cela fait 16 ans que nous proposons de la photographie sous forme d’exposition à notre public. Ce public de visiteurs, qu’il soit simple amateur de photographie ou passionné, ne doit pas exclure le public “professionnel“. Nous devons donc proposer des événements permettant d’offrir aux photographes l’envie de venir aux Boutographies. D’autres festivals, de même envergure que le nôtre, sont la partie OFF de festivals officiels plus importants. Ils peuvent donc profiter des animations du festival IN pour permettre à leurs photographes de faire des rencontres professionnelles importantes. Nous, nous sommes le festival IN de la ville avec un budget de festival OFF. Il nous faut donc trouver des alternatives pour tenter de déplacer cet autre public. Le livre est une option intéressante pour des raisons pratiques de logistique, pour le faible coût qu’il occasionne et surtout parce que c’est un chemin que nos photographes empruntent de plus en plus. Mais ce projet ne doit pas rester seul. Le workshop de cette année et notre rapprochement avec la SAIF nous aident à étoffer cette proposition autour du livre. C’est le deuxième évènement avec les lectures de portfolio. Donc pour répondre à votre question, ce sera pour les prochaines années notre nouvel enjeu.

Peut-on avoir quelques informations sur les livres présents dans ce Magasin ?

On pourra retrouver quelques livres de photographes primés comme Pierre Liebaert (prix du Jury 2012), Thibault Derien (Prix du public 2012) ou encore Delphine Burtin (prix HSBC 2014) mais aussi des ouvrages de photographes passés par les projections du jury comme Anaïs Boileau ou Colin Delfosse. Arnaud Laroche, propos recueillis par Sylvianne Joss, journaliste free lance


Andrea Graziosi La Sainte Victoire

hors les murs

galerie Dynamo hélène comolet La galerie Dynamo a ouvert en 2016 et vous êtes déjà dans le Hors les Murs. Comment avez-vous fait ? Ouverte le 27 novembre 2015. C’est Arnaud Laroche qui nous a contacté pour nous solliciter.

Contrairement aux autres structures vous présentez une exposition collective. Pouvez-vous nous expliquer votre choix ? Arnaud Laroche nous a proposé quatre photographes. Nous en avons sélectionné trois car les photographes seuls n’avaient pas assez de tirages pour occuper toute la surface de la galerie.

Quels intérêts trouvez-vous à participer à cet événement ? Nous avions le souhait de faire des expositions de photographies. Actuellement, nous accueillons une exposition de peinture. Nous souhaitons nous diversifier et amener un public différent au-delà de la peinture : attirer un public amateur de photos par exemple. De plus, notre galerie se situe à proximité du Gazette Café qui fait également partie du circuit Hors les Murs, ça permet donc de créer du flux et du réseau entre les structures participantes au festival. Aborder la photo à travers une manifestation aussi importante que les Boutographies est une chance pour nous. Propos recueillis par Nina Orain Galerie Dynamo 7, rue Durand 34000 Montpellier 28


le bar à photo ananda regi Le Bar à photo intègre cette année le Hors les Murs. Pourquoi cette année ? La galerie est née il y a un an, en octobre, donc c’est la première fois que nous participons à l’événement. Je connaissais Arnaud et le festival, donc nous avons déposé un dossier et nous avons été retenu pour intégrer le circuit Hors les Murs.

Les Boutographies proposent quelquefois aux structures des Hors les Murs des photographes qui ont été présentés au jury mais qui n’ont pas été sélectionnés. Est-ce votre cas ? Des photographes nous ont été proposés par les Boutographies mais nous n’avons retenu aucun travail. Donc, nous avons fait des recherches sur internet puis nous avons trouver un photographe via le collectif Hans Lucas. Nous l’avons contacté et il a accepté notre proposition.

Le photographe a-t’il été difficile à trouver ? Effectivement, nous avons eu des difficultés puisqu’au départ le photographe que nous avions trouvé ne correspondait pas à l’esprit des Boutographies. Puis nous avons eu des propositions de travaux peu aboutis qui ne nous intéressaient pas. Donc, il a fallu plusieurs mois avant de trouver le photographe adéquat pour notre exposition.

En plus de vous retrouver dans la communication du festival, quels intérêts trouvez-vous à participer à cet événement ? Nous sommes une association et nous venons d’ouvrir l’espace d’exposition le Bar à photo. Intégrer le circuit Hors les Murs nous permet de bénéficier du réseau du festival. Depuis l’ouverture du lieu, nous créons des partenariats afin de se faire connaître et d’enrichir notre réseau. Nous souhaitons que notre participation permette à un nouveau public de découvrir le Bar à photo. Propos recueillis par Nina Orain

Le Bar à photo 29 ter rue Lakanal 34090 Montpellier

gazette café

amélia dotigny

Vous devenez un lieu incontournable de la vie culturelle sur Montpellier. Comment expliquez-vous cela ? Je ne sais pas si nous sommes le lieu incontournable de Montpellier mais j’imagine que c’est grâce au concept du lieu. Nous proposons des manifestations gratuites dans un cadre qui offre de quoi se restaurer et boire selon les envies de chacun. C’est un lieu qui combine culture et convivialité. Notre programmation propose des conférences, des concerts, des expositions et de multiples arts qui offrent une diversité pouvant expliquer la réussite du lieu.

Dès le début vous avez accueillis de la photographie. Est-ce un art qui vous touche ? Effectivement la photo est un art qui nous touche, d’une part à titre personnel et d’autre part car la photographie s’intègre parfaitement à notre projet artistique. C’est un support artistique plutôt graphique au même titre que la bande dessinée, les livres ou la peinture déjà présents dans Le Gazette Café. Les Boutographies et la Ville de Montpellier possèdent une tradition de la photo et présentent des travaux de qualité depuis plusieurs années.

Pourquoi avoir choisi la photographe Irina de Bertier de Sauvigny ? Le choix de la photographe a été unanime. Nous avons choisi Irina de Bertier de Sauvigny pour son travail sur la matière. Elle travaille avec des clichés en argentique. L’atmosphère, la texture, la couleur ainsi que la matière nous ont parlé et séduit. Puis son travail propose un réel questionnement sur le paysage et les paysages nus. C’est un travail qui nous a paru intéressant et de qualité. Propos recueillis par Nina Orain

Gazette Café 6, rue Levat 34000 Montpellier

autres lieux Hors les murs Casa Bondels 34, rue St. Guilhem, Montpellier (34) Centre d’Art la Fenêtre 27, rue Frédéric Peyson, Montpellier (34) Galerie A la Barak 10, rue de la Petite Loge, Montpellier (34)

Le Bar à photo

Galerie AL/MA 14, rue Aristide Ollivier, Montpellier (34) Galerie Annie Gabrielli 33, av. François Delmas (av. de Nîmes), Montpellier (34) Galerie N° 5 5, rue Ste. Anne, Montpellier (34) Galerie Pragma Urban Art 80, place Ernest Granier, Montpellier (34) Maison de Heidelberg 4, rue des Trésoriers de la Bourse, Montpellier (34) 29


action éducative

Membre actif et bénévole de l’équipe des Boutographies, Christian Maccotta est dans sa vie professionnelle chargé de mission de l’Education nationale pour les arts et la culture. Il rappelle ici quelques-uns des enjeux de l’éducation artistique et culturelle, enjeux auxquels cette manifestation a toujours été particulièrement attentive.

Comme le dit justement Philippe Meirieu, « Si l’on veut vraiment démocratiser l’art

et la culture, il ne suffit pas de multiplier les offres, il faut construire la demande ».

Et l’école reste le seul lieu où l’accès au trésor commun des œuvres et de l’expression créatrice est offert à tous, sans aucune exclusive. L’éducation artistique y est inscrite depuis quelques années dans ce qui est défini comme un parcours, transversal à tous les domaines d’expression et à toutes les approches : apports de connaissances, pratiques artistiques, fréquentation des lieux culturels, rencontres des artistes et des professionnels de la culture. En lien avec ce que nous proposons aux Boutographies, c’est-à-dire un corpus exigeant d’œuvres contemporaines, significatif des formes d’expression diverses et hybrides de la photographie actuelle, je voudrais mettre l’accent sur l’une de nos préoccupations permanentes, celle de ménager des voies d’entrée dans les propositions artistiques. Cela passe par des ateliers pratiques, en amont des visites d’exposition, mais aussi par l’apport de « clés » de compréhension, fournies par les textes que nous rédigeons pour accompagner les expositions, par les entretiens réalisés avec les photographes exposants, par le travail des médiateurs et du service éducatif de La Panacée.

De la nécessité de préparer l’élève à rencontrer l’œuvre Cette notion peut concerner toute situation

Lorsqu’il s’agit de constituer un parcours

culturel aujourd’hui, la question est de moins en moins celle de la qualité des œuvres et des spectacles disponibles sur un territoire donné. Le niveau de ce qui est montré aux élèves est souvent très élevé, du fait de la multiplication des lieux culturels exigeants, de la circulation de plus en plus rapide des œuvres contemporaines à peine créées, et d’une politique d’accès qui s’est largement démocratisée. C’est une chance et un privilège immense pour nos élèves que d’avoir accès à ces oeuvres, dans ces conditions de proximité. Mais cela signifie aussi que l’élève est toujours davantage en prise avec des langages, des formes, des esthétiques abstraites, complexes, complexes parce qu’ambitieuses. On ne se plaindra pas de ces évolutions. Mais, parallèlement, nous pouvons faire le constat que les publics scolaires auxquels nous nous adressons ne sont pas, pour une très large part, mieux préparés qu’auparavant à accéder à ces formes : éloignement culturel et pratiques consuméristes peu exigeantes ne se sont pas réduits, au contraire. En situation de spectateur d’une œuvre, contemporaine ou non, l’enfant et l’adolescent sont souvent en difficulté pour exercer ce que l’on pourrait appeler « le travail coopératif du spectateur », en référence à la notion que le regretté Umberto Ecco appliquait au lecteur de textes littéraires. 30

Christian Maccotta

Directeur artistique des Boutographies, Chargé de mission Arts et Culture humaniste à la DSDEN 34

de confrontation à une œuvre artistique, en tant que « machine à produire des mondes possibles ». La place du lecteur, du spectateur, est essentielle dans la construction de la signification. Or pour tenir cette place, il est nécessaire d’une part de se sentir légitime à la tenir, et d’autre part d’être en capacité de relier certains de ses propres savoirs, de ses propres expériences, à ce qui se produit devant nous, en présence ou non des artistes, dans cet espace intimidant qu’est le lieu culturel. Le contexte familial et social de l’élève est rarement en mesure de proposer et de structurer ces préalables. C’est donc à l’école que revient la fonction et le devoir de le faire. D’où la nécessité impérative de « préparer le terrain », et de le faire avec une précision telle que l’élève rencontre à coup sûr, au cours de l’évènement artistique, des moments d’accueil de ce qu’il sait, de ce qu’il a vu, entendu, compris avant même d’avoir franchi la porte du lieu culturel. C’est une condition première pour que l’élève s’approprie cette légitimité à « faire partie » de ce qui lui sera proposé, et puisse le constituer en tant qu’oeuvre. La phase de préparation à cette rencontre est donc déterminante, quelles qu’en soient les formes, et devrait inclure à chaque fois que possible un dialogue avec les artistes et les professionnels de la culture. Nombre d’enseignants, d’éducateurs et de médiateurs se consacrent déjà à cette tâche, mais elle est devenue plus nécessaire que jamais.


les boutographies sont soutenues par institutionnel

media

DE MONTPELLIER

technique

culturel

OKS accueil

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