Bozok olusum genese

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les figures turques EN FRANCE

S a l i h

B o z o k

amoureux délaissé par la France ENTRETIEN RÉALISÉ PAR

M U R A T V. ERPUYAN

lllllllll

Depuis quand êtes-vous installé en France ? Depuis 1971. Y aviez-vous déjà effectué des séjours auparavant ? Oui, plusieurs fois. Je suis d’une famille francophone et j’ai fait mes études secondaires au Lycée de Galatasaray. Mon père, luimême, a fait des études en Suisse, à l’université de Genève. Je suis venu en France et en Suisse, deux fois avec mes parents, en voyage touristique, en 1961 et 1965. J’ai également séjourné en Belgique, en 1965, chez mon correspondant de Bruxelles. A l’époque, j’étais abonné au journal « Tintin » et j’avais plusieurs correspondant(e)s. Leur nombre était si élevé que j’ai été obligé de faire un tri, pour n’en garder que trois, un correspondant, Bernard, dont le père, directeur de Westinghouse Belgique m’a invité

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à Bruxelles, et deux filles, Michèle et Françoise que j’ai rencontrées à plusieurs reprises. J’ai passé des vacances d’été en 1966 et 1967, au Centre Culturel des Lions Clubs de France, à La Baule, et aussi dans des familles françaises et suisses, au cours de la même période. J’ai séjourné pendant un an, de septembre 1967 jusqu’en juin 1968, et vécu sur place les évènements de Mai 1968. Pendant les vacances d’été 1969 et 1971 j’ai effectué des stages dans des entreprises en France par l’intermédiaire d’AIESEC (Association internationale des étudiants en sciences économiques et commerciales) à Poitiers et à Toulon. Pour quelles raisons et dans quelles circonstances êtes-vous venu en France ? Je suis venu en 1971 pour continuer mes études, après mon stage à Toulon, à l’EDF. A l’époque, j’étais étudiant à Istanbul, à l’Académie des études économiques et commerciales. En même temps, je faisais des traductions à Meydan Larus, édition turque du Grand Larousse, pour me faire un peu d’argent de poche. Dans le même établissement, travaillait à temps complet, ma copine de l’époque, une blondinette turque prénommée Ülkü, qui y a fait connaissance de celui qui deviendra par la suite son futur mari, Aykut, un paparazzi bien connu de nos jours dans les milieux de showbizz. (Ils ont divorcé


depuis…mais c’est une autre histoire..). En Mars 1971, un ultimatum de l’armée a provoqué le renversement du gouvernement Demirel et la mise en place d’un cabinet « autoritaire ». Mon père, craignant qu’il ne m’arrive quelque chose dans ce climat tendu et incertain, m’a envoyé en France poursuivre mes études à Grenoble. Cela se passait au même moment de l’arrivée en France, à Poitiers je crois, de mon ami Nedim Gürsel…. Pouvez-vous évoquer brièvement les étapes décisives de l’existence qui fut la vôtre en France ? Je me suis inscrit en Sciences Eco à Grenoble, après la fin de mon stage EDF à Toulon, en septembre 1971. J’étais tombé très amoureux d’une femme mariée, lors de mon séjour à Toulon. Nous avons continué de nous voir jusqu’en février 1972, date à laquelle elle a décidé de rompre avec moi. Ma vie était pratiquement indexée jusqu’alors, aux « visites » que je recevais les week-ends dans ma modeste chambre d’étudiant. Grâce à une équivalence obtenue, je m’étais inscrit en 2e année de sciences éco, et j’ai raté ma première année d’étude, dans ce climat de perturbations liées à ma vie amoureuse. Par la suite, j’ai amplement surmonté mon échec, sur les deux plans. J’ai rencontré, en 1973, celle qui sera la mère de mes deux enfants et nous nous sommes mariés la même année. J’ai eu ma première fille en 1974, alors que je continuais en Sciences Eco. Et poursuivais également des études de Sciences politiques en parallèle. J’ai obtenu successivement une maîtrise de Sciences économiques, le Diplôme d’études politique et le DEA en économie et planification du développement. Alors que j’entamais ma première année de doctorat, dans un travail d’équipe avec un autre ami de Galatasaray, qui est actuellement installé à Marseille, j’ai eu une proposition de travail à Alger, pour enseigner à l’Institut National Agronomique, entre 1977 et 1979. Deux années difficiles dans un pays difficile, mais très bénéfiques sur le plan intellectuel. A mon retour, nous avons soutenu notre thèse de doctorat dont le thème était précisément « Les structures agraires en Turquie ». Au cours de ces deux années pas-

SALIH BOZOK ET SON ÉPOUSE, MARIE

sées à Alger, je faisais de fréquents séjours en France et je discutais tant avec notre directeur de thèse, qu’avec l’ami en question qui faisait partie de l’équipe de travail. Une année plus tard, en 1980, j’ai eu ma deuxième fille. Aussitôt après le coup d’Etat militaire de septembre 1980, je suis allé faire mon service militaire en Turquie, pendant une durée de quatre mois, grâce à un dispositif mis en place par le gouvernement de l’époque. En France, j’ai trouvé un poste dans le domaine socio-culturel, dans un cadre associatif où je suis resté jusqu’en 1986. Il s’agissait d’un travail en direction des populations immigrées dans le département de l’Isère. Parallèlement, je faisais des traductions, je contribuais à certaines publications, et menais également une activité syndicale au sein de la CFDT. J’ai rompu avec l’association pour travailler comme professeur à l’Education Nationale, à partir de 1986 et c’était une période de ruptures sur d’autres plans aussi. J’ai mis fin à mes activités syndicales ; mon couple battait aussi de l’aile et après un séjour aux Etats-Unis, en 1988, j’ai réussi mon CAPET et obtenu un poste de titulaire à l’Education Nationale. Nous avons divorcé en 1990 avec la mère de mes enfants et j’ai papillonné jusqu’en 1992, dans une vie très diluée, jusqu’à ma rencontre avec mon épouse actuelle, lors d’un voyage dans les pays de l’Est. Deux années plus tard, nous avons décidé de nous marier et nous sommes toujours ensemble. Nous voyageons beaucoup entre

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travers une vie amoureuse. Il n’en reste pas moins, que l’absence de références, valeurs, goûts et éléments culturels communs rend la vie commune impossible, sinon très difficile. Je répète encore une fois, que tout cela varie d’un individu à l’autre. Pour parler de moi, je sais d’avance que je ne pourrai avoir une relation durable avec quelqu’un qui est fortement imprégné de culture religieuse. Je ne m’imagine pas en train de jeûner ou même, de m’abstenir de boire de l’alcool au ramadan pour faire plaisir à ma femme musulmane, d’éviter des repas combinant les produits laitiers et la viande SALIH BOZOK ET SA MÈRE avec ma femme juive, ou de me marier à la France et l’Europe de l’Est. l’église, comme a fait un copain de GalataDepuis deux ans, je suis le grand père d’une saray avec sa femme irlandaise etc… Je suis charmante petite fille et d’un petit garçon qui personnellement trop attaché aux plaisirs de vient de naître le 1er avril dernier. la vie, pour avoir du mal à me passer de ce qui me procure du plaisir ou à l’inverse, Dans Oluþum/Genèse, qui vogue entre à m’adapter à des situations qui me dérandeux cultures, nous évoquons dès que gent. possible le mariage mixte. Vous, vous Les éléments de la vie qui posent le plus en avez l’expérience. Dans les années à de problème dans un couple sont d’ailleurs venir, les sociétés ne seront composées du domaine culinaire et sexuel, le tout étant que de métisses et je pense que c’est englobé de la religion. tant mieux. Alors vous quelles sont vos Voilà d’ailleurs ce qui m’est arrivé en 1990. remarques à propos du mariage mixte Alors que j’étais en instance de divorce, que vous voudriez bien partager avec j’ai rencontré une juive hongroise lors d’un nos lecteurs tout en parlant de l’éduca- voyage à Budapest. Je suis allé passé deux tion des enfants issus de ces mariages semaines avec elle sur les hauteurs de mixtes ? Buda pendant les vacances de Noël. Au J’ai fait deux mariages mixtes dans ma vie, début, tout allait bien. Anna de son prénom, et c’était dû aux concours ma copine travaillait dans de circonstances. Il conle domaine du théâtre et ... Il n’y a pas de règle passe viendrait de parler plutôt de cela m’a permis de conpartout dans une vie de couple. « vies de couples », car naître des artistes, et faire Je suis néanmoins persuadé le fait d’être « mariés » ou la connaissance d’un écriqu’à côté de l’aspect affectif des pas ne change pas en soi vain juif hongrois, que je choses, les références commule fond de la question. Il connaissais déjà à travers nes sur le plan des valeurs et de n’y a pas de règle passe son œuvre, Miklos Haratla culture et une certaine ouverpartout dans une vie de zi… Anna est partie entre ture à l’autre contribuent à la couple. Je suis néanmoins Noël et le jour de l’an, à bonne entente et à des relations persuadé qu’à côté de une réunion à Pecs avec harmonieuses, sans exclure bien l’aspect affectif des les amis de sa commuentendu, l’indispensable entente choses, les références nauté, et j’ai savouré les sexuelle... (...) communes sur le plan des délices de l’existence valeurs et de la culture dans la capitale hongroise et une certaine ouverture à l’autre contri- pendant quelques jours. Gros problème à buent à la bonne entente et à des relations son retour : elle n’a apprécié ni le plat que harmonieuses, sans exclure bien entendu, j’ai préparé pour elle et sa fille, à savoir des l’indispensable entente sexuelle. C’est très « köfte » et pâtes nappées de yaourt avec de agréable d’apprendre toujours de l’autre à l’ail (sacrilège..), ni les fameux saucissons et

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REMISE DE DIPLÔME AU LYCÉE DE GALATASARAY À ISTANBUL

salamis « magyar » emmagasinés dans son mes relations de couple, l’éducation quotifrigo. Le jour de l’an, après une nuit de Saint dienne de mes deux enfants a été prioritaireSylvestre mouvementée chez un critique lit- ment l’œuvre de leur maman, avec laquelle téraire, elle m’a annoncé la rupture de nos je partageais d’ailleurs beaucoup de choses amours et sa décision de départ en Israël. sur le plan culturel. Je ne soulignerai jamais Un de mes amis, marié avec une française, assez ce rôle prépondérant des références et père de deux enfants de sexe masculin, communes, à moins de vivre une relation s’est trouvé en mauvaise posture face à sa amoureuse comme une aventure exotique famille d’Istanbul avec le problème de la de courte durée comme je l’ai fait d’ailleurs circoncision de ses deux fils. Moi, père de à Budapest. deux filles, je n’ai pas eu à me poser ce type de question, Comme l’a si bien exprimé Quand avez-vous acquis la nationalité dans son temps Karl Marx, les hommes ne française ? se posent que des quesEn 1981, à mon retour de tions auxquelles ils peul’armée, par une déclara... cette enfance vécue en Turvent trouver des réponses, tion acquisitive, auprès du quie me distingue fondamentaenfin il a dit quelque chose tribunal d’Instance, donc lement d’un enfant français, et qui va dans ce sens là… par mariage. même d’un enfant turc né en Aussi je ne me suis jamais France. Par exemple, j’ai tencassé inutilement la tête, Vous considérez-vous toudance à faire mes comptes, comme le font hélas jours, après tant d’années spontanément en turc, « bir, ki, certain(e)s, avec les proen France, comme un üç.. » au lieu de « un, deux… ». blèmes de virginité et la étranger ou est-ce que Je ne suis supporter d’aucune vie sexuelle de mes progéce pays est devenu pour équipe de foot en France, mais nitures. vous, en quelque sorte, le de Galatasaray seulement…. En matière d’éducation vôtre ? (...) des enfants, je ne suis pas Difficile de donner une un modèle et j’ai peu de réponse très tranchée. Il chose à dire en la matière, car du fait de m’arrive de vivre l’une ou l’autre, ou simultamon éloignement, de mes absences répé- nément, les deux situations. Et, je considère tées, et les concours de circonstances n’ex- que cela est inévitable. cusant pas tout, des raisons tenant à mes Mon vécu dans mon enfance et mon adotraits de caractère et à la particularité de lescence était celui d’un jeune turc issu

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d’une famille « occidentalisée » d’Istanbul. Au affirmer avec force mon identité turque… Les cours de mes années de Galatasaray, j’étais récents événements, les déclarations des imprégné de la culture française sur un plan politicards français anti-turcs, les projets essentiellement « livresque » malgré mes de lois sur le soi-disant génocide etc. y séjours d’été en France. Donc, ce qui était sont pour quelque chose… Sur le plan français ne m’était pas strictement émotionnel, étranger a priori… Cepenquelque chose bouge en dant, au fur et à mesure moi quand je vois flotter ... Je suis tenté d’affirmer que des années qui s’écoule drapeau turc, quand je suis un Français d’origine laient dans ma vie en j’entends l’hymne natioturque, mais mon côté « turc » France, j’ai commencé à nal, et je suis supporter a tendance à prendre le dessus, réaliser que bon nombre de l’équipe nationale turet au fils des ans, avec l’âge, j’ai d’aspects de la personque… tendance à rentrer au bercail, nalité étaient façonnés et affirmer avec force mon idendans l’enfance. Or, cette Envisagez-vous de ne tité turque. ... Les récents évéenfance vécue en Turquie plus jamais quitter la nements, les déclarations des me distingue fondamentaFrance ? politicards français anti-turcs… y lement d’un enfant franNon, je ne pourrais jamais sont pour quelque chose. (...) çais, et même d’un enfant l’affirmer. Je me vois vivre turc né en France. Par dans plusieurs pays à la exemple, j’ai tendance à faire mes comptes, fois, dont la France, bien entendu, qui a une spontanément en turc, « bir, ki, üç.. » au place privilégiée dans ma vie et qui l’aura lieu de « un, deux… ». Je ne suis supporter sûrement toujours. Au fond, j’aime beaucoup d’aucune équipe de foot en France, mais de la France, même si je ressens parfois l’amerGalatasaray seulement… Par ailleurs, je n’ai tume d’un amoureux délaissé. Mais, on ne aucun problème sur le plan culinaire, et cela, peut jamais savoir ce que l’avenir peut nous depuis très longtemps. J’apprécie particuliè- réserver ! rement la cuisine française et la gastronomie en général. Je suis amateur de vins. Je En ce qui concerne vos relations avec la mange du porc, des escargots, des cuisses mère patrie, retournez-vous en Turquie de grenouilles etc. Bref, tout ce que les Turcs plus ou moins souvent et généralement, en général ont du mal à ingurgiter… J’aime pour quelles raisons ? la chanson française, ainsi que la littérature.. J’y vais chaque fois que j’en ai l’occasion, et A la longue, j’ai comau moins une fois par an…. mencé à réaliser qu’on Cela m’arrive d’y retourner peut se sentir chez soi plus souvent… Vacances partout dans le monde, de Noël, de Pâques… Avec ... j’aime beaucoup la l’âge, j’apprécie de plus en tout en se sentant un peu France, même si je res- plus l’ambiance confortaétranger, de partout, y sens parfois l’amertume ble des villages de vacancompris chez soi… d’un amoureux délaissé... ces avec la formule « all Alors, ne peut-on pas inclusive », mais aussi des (...) devenir un Français vacances avec ce qui me d’origine turque après reste de la famille et des tant d’années ? amis à Istanbul. Ces derC’est tout à fait possible, niers temps, je me sens mais je ne peux être catéplus libre d’affirmer ce qui gorique, chacun ayant son me passe par la tête, et de vécu, son histoire personnelle… Je suis tenté faire ce que j’ai envie, à Istanbul, plutôt qu’en d’affirmer que je suis un Français d’origine France, où l’on peut être enquiquiné et taxé turque, mais mon côté « turc » a tendance de tout pour un petit rien… Par exemple, dans à prendre le dessus, et au fils des ans, avec la salle des professeurs de mon lieu de tral’âge, j’ai tendance à rentrer au bercail, et vail, il y a deux ans, on m’a fait enlever une

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image que j’avais reçue par internet et que j’ai m’adapte très vite à l’ambiance stambouliote affichée sur le panneau, car cela me semblait dès que je mets les pieds dans le pays, et amusant... Un globe, avec, à l’emplacement du très peu de temps après, je réalise qu’il y a Moyen-Orient, la fente des fesses, et l’inscription une part d’illusion. En réalité, je me réadapte en turc, que j’ai traduite en français : « voilà pour- chaque fois à « mon ambiance » qui n’est quoi nous sommes dans le caca… ». C’est une pas forcément celle du pays, mais du « micronièce de 25 ans, stagiaire dans une grande cosme ». Et le fait d’avoir vécu longtemps à entreprise turque qui me l’avait envoyée. De l’étranger ne fait qu’accentuer l’effet. même, un ami dentiste à Istanbul m’envoie régulièrement des photos de fesses et même Vous avez répondu uniquement sur le plus… Et les collègues m’ont réprimandé, car plan personnel, je pense pour faire court. j’ouvrais mes mails dans la salle des profs… Car vous connaissant un peu je sais Dans les grandes entreprises turques, mes que vous avez des positions assez tranamis s’amusent à ce jeu et le sexe a cessé chées. Du coup j’insiste, comment voyezd’être tabou en Turquie et avec les femmes, vous l’évolution de la Turquie depuis les on a une ouverture que l’on n’a plus en Fran- années 70 ? ce… On peut être vite taxé de n’importe quoi C’est, à mon humble avis, une évolution et le discrédit est jeté sur vous. Aussi ai-je « dichotomique » : libération des mœurs, été mis au ban de certains cercles d’amis à et crimes « d’honneur », multiplication des Grenoble, qui me connaissaient comme un riches et développement de la pauvreté, homme de gauche, quand j’ai parlé de mon en somme, il y a chaussure au pied de affinité avec Alain Carignon, que j’appréciais chacun, et il y’en a qui n’ont pas de chauscomme maire de Grenoble, à l’époque… sure… Quand je rédigeais ma thèse dans les A Istanbul, je connais des groupes d’homos, années 70, avec l’ami de Marseille déjà cité, des couples échangistes, des fachos et des nous avions fait référence à une réflexion de révolutionnaires, et mon cousin anime un Celso Furtado, ancien ministre brésilien et groupe et un site BDSM (Bondage, Domina- célèbre économiste. Il disait en substance, tion, Soumission, Sado Maso), et quand j’en que les nantis des pays périphériques se parle en France, cela jette un froid… sentant étrangers chez eux, importaient les Idem pour l’alcool. Moi, personnellement, j’ai modes de consommation des nantis des une consommation d’alcool au dessus de la pays du « centre ». Il expliquait ainsi la moyenne de mon entourage et à Istanbul, mise en place des industrie d’import-substidans les milieux que je fréquente, je con- tution, qui laissèrent la place aux industries somme moins que mon destinées à l’exportation, entourage… En France, les avec l’intégration des ces gens sont devenus con« élites » dans l’économie ... une évolution (de la Turformistes à la connerie et mondiale avec la « globaliquie) « dichotomique » : libéles collègues en premier. sation ». C’est ce que nous ration des mœurs, et crimes C’est comme les USA vivons en Turquie depuis « d’honneur », multiplication maintenant, vices cachés les années 80. des riches et développement et vertus publiques… Je vis de la pauvreté, en somme, mieux avec ma transpaQuelle est votre opinion il y a chaussure au pied de rence et mon authenticité sur les différents aspects chacun, et il y en a qui n’ont à Istanbul qu’à Grenoble… de la France ? (politique, Dans mon microcosme… économique, social, culpas de chaussure… (...) turel, touristique, gastroAvec le recul que vous nomique, etc.). apporte votre présence J’ai l’impression d’assister permanente en France, comment voyez- à une dégradation lente mais évidente sur vous la Turquie aujourd’hui ? le plan politique, économique, social et cultuA la fois très proche et très lointaine. Je suis rel. Mais cette appréciation est forcément très quotidiennement l’actualité du pays, la presse subjective. En vrac, l’incapacité des gouveretc. J’ai beaucoup d’amis turcs en France. Je nants à endiguer la crise des banlieues, la

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violence urbaine, le chômage, le retard des trains, la dégradation des services de santé etc… y sont sûrement pour quelque chose. Ce que je trouve particulièrement préoccupant, c’est la culture : les français parlent et écrivent de plus en plus mal leur propre langue, et deviennent étrangers à leur culture. C’est vraiment dommage. Vous avez évoqué l’incapacité de la classe dirigeante à gérer la société française. Ne pensez-vous pas que cette incapacité conduit certains hommes politiques à semer la peur ? Ne peut-on pas placer le débat sur l’adhésion de la Turquie au centre de ce contexte en l’absence d’une vision ? Tout à fait ! Le rejet de la Turquie est devenu le dénominateur commun de la classe politique, mais je n’aime pas trop m’étaler dessus... C’est une évidence. Le « remède » : une diaspora puissante, « forte comme un turc », unie, capable d’imposer sa volonté. Ce n’est pas pour demain !

parfois de la tristesse, parfois de la colère, et même du dégoût…. Ouf ! je suis fatigué d’en parler… Vous avez tellement parlé de Galatasaray ! Moi-même étant issu de ce fameux lycée Galatasaray je comprends parfaitement mon « agabey » selon notre jargon (étant donné que vous êtes mon aîné). Nous avons eu l’occasion d’évoquer Galatasaray dans O/G, que ce soit le lycée ou l’équipe sportive. Mais je pense qu’une partie de nos lecteurs ont le droit de dire : c’est quoi ça ce Galatasaray qu’on entend si souvent ? Alors que répondez-vous ? Galatasaray, Sultani, l’école qui formait les cadres de l’Empire, et ensuite, une partie de l’élite de la République. Beaucoup d’hommes politiques, et surtout de diplomates sont issus de Galatasaray. J’ai vécu 8 années de ma vie derrière la grande porte métallique ouvrant sur la grande voie bordée de statues et menant à ce bâtiment du 19e siècle qui a été mon second « chez moi »… J’y ai connu et gardé les amitiés les plus fortes de ma vie (esprit Galatasaray) et je vais sûrement mourir, en gardant à l’esprit ces souvenirs ineffaçables de ma pré-adolescence, tel un drogué se remémorant à tout moment le « flash » de sa première piqûre !

Puisque vous avez travaillé dans le passé sur l’immigration, revenons aux originaires de Turquie en France. Après quatre décennies pleines, quelles sont vos remarques et observations sur la communauté issue de l’immigration turque ? Il y a de l’espoir chez certains jeunes francoturcs… Chez ceux qui assument leurs origines Quels sont vos projets d’avenir liés et qui sont suffisamment à votre présence en intégrés pour faire entenFrance ? dre leurs voix… Ceux de Je n’aime pas faire de projet ma génération : hum… ils ... Il y a de l’espoir chez cer- précis dans la vie… On ne sont morcelés entre les difpeut jamais savoir ce que tains jeunes franco-turcs… la vie nous réserve, telleférents « cafés et assoChez ceux qui assument ment elle est aléatoire… ciations » de leurs clans leurs origines et qui sont Pour ne citer que ce qui régionaux, politiques, idéologiques, usés physiquesuffisamment intégrés pour est prévisible et donc enviment et psychiquement, et faire entendre leurs voix… sageable, il est probable, finissent tranquillement qu’avec la retraite, je serai (...) leurs jours en jouant aux tenté de vivre en partie cartes et en regardant les en France, où j’ai mes chaînes turques… Laissez enfants et petits enfants, et les tranquilles. Les « jeux » aussi quelques biens… et étaient faussés par l’arrivée des réfugiés, faux en partie ailleurs, en Turquie, en Europe de et vrais, de 1980, par l’afflux des réfugiés éco- l’Est, et pourquoi pas, à Berlin, une ville que j’ai nomiques des années 1990 et 2000, qui se appris à aimer le longs des ans, et qui conssont fait passés pour des victimes, pour obte- titue une synthèse de ce que j’aime de l’Occinir une carte de séjour en France. Je ressens dent et, de l’Orient de mon enfance… q

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