« Magnifique. Ce que l’heroic fantasy peut faire de mieux. » Publishers Weekly « Intelligent, sexy, d’une humanité à vous briser le cœur : Carey, enivrante, livre le meilleur d’elle-même. » Booklist
Mais l’aveu de leur amour s’apprête à précipiter le royaume dans le plus grand tumulte. Car les D’Angelins n’ont pas oublié les crimes de la mère d’Imriel, la perfide Melisande. Aussi la reine Ysandre impose-t-elle une condition absolue à l’union des amants. Imriel doit accomplir un acte de foi : retrouver sa mère et la ramener en Terre d’Ange pour qu’elle y soit exécutée. Mais tandis que Sidonie et lui se préparent à une nouvelle séparation, une force étrangère venue de loin étend son ombre sur le royaume. Les deux amants survivront-ils à cette nouvelle menace ?
Jacqueline Carey, née en 1964, est américaine. Grande voyageuse, elle a nourri son imaginaire des cultures et des lieux les plus fascinants qu’elle a traversés. Le cycle de Kushiel, best-seller immédiat, a fait d’elle la reine d’une Fantasy riche, flamboyante et troublante, « un roman historique contant une histoire qui n’a jamais eu lieu » selon sa propre formule. Traduit de l’anglais (États-Unis) par Frédéric Le Berre ISBN : 978-2-35294-524-6
9 782352 945246
Illustration de couverture : © Larry Rostant via Artist Parners Ltd.
Imriel et Sidonie renoncent enfin à la clandestinité.
Du même auteur, aux éditions Bragelonne : Kushiel : 1. La Marque 2. L’Élue 3. L’Avatar Imriel : 1. L’Héritier de Kushiel 2. La Justice de Kushiel 3. La Grâce de Kushiel
www.bragelonne.fr
Jacqueline Carey
La Grâce de Kushiel Imriel – tome 3 Traduit de l’anglais (États-Unis) par Frédéric Le Berre
Bragelonne
Collection dirigée par Stéphane Marsan et Alain Névant
Titre original : Kushiel’s Mercy Copyright © 2008 by Jacqueline Carey © Bragelonne 2011, pour la présente traduction Illustration de couverture : © Larry Rostant via Artist Partners Ltd. Carte : D’après la carte originale ISBN : 978-2-35294-524-6 Bragelonne 60-62, rue d’Hauteville – 75010 Paris E-mail : info@bragelonne.fr Site Internet : www.bragelonne.fr
Remerciements Alors que s’achève le dernier volet de la trilogie Imriel, je veux exprimer ma gratitude à tous ceux qui ont contribué à son succès. Merci à mon agent, Jane Dystel, pour ses précieux conseils et son indéfectible soutien. Merci à tous les gens de Grand Central (Hachette Book Group ou Warner Books), et en particulier à mon éditrice, Jaime Levine, pour son implication et son enthousiasme. Merci aussi à tous les libraires, qui ont tant fait pour la série. Et, comme toujours, merci à mes lecteurs.
Dramatis personae
Maison de Montrève Phèdre nó Delaunay de Montrève : comtesse de Montrève Joscelin Verreuil : consort de Phèdre, frère cassilin (originaire du Siovale) Imriel nó Montrève de la Courcel : fils adoptif de Phèdre (également membre de la famille royale) Ti-Philippe : chevalier Hugues, Gilot (†) : hommes d’armes Eugénie : intendante de la demeure de Phèdre dans la Ville d’Elua Membres de la famille royale de Terre d’Ange Ysandre de la Courcel : reine de Terre d’Ange, épouse de Drustan mab Necthana Sidonie de la Courcel : fille aînée d’Ysandre, héritière du trône de Terre d’Ange Alais de la Courcel : fille cadette d’Ysandre Imriel nó Montrève de la Courcel : cousin, fils de Benedict de la Courcel (†) et de Melisande Shahrizai Barquiel L’Envers : oncle d’Ysandre, duc L’Envers (Namarre) Maison Shahrizai Melisande Shahrizai : mère d’Imriel, épouse de Benedict de la Courcel (†) Mavros, Roshana, Baptiste Shahrizai : cousins d’Imriel Membres de la cour royale Ghislain nó Trevalion : noble, commandant en chef de l’armée royale, fils de Percy de Somerville (†) Bernadette de Trevalion : noble, épouse de Ghislain, sœur de Baudoin (†) Bertran de Trevalion : fils de Ghislain et Bernadette 9
Amaury Trente : noble, ancien commandant de la garde de la reine Julien et Colette Trente : fils et fille d’Amaury Raul L’Envers y Aragon : fils de Nicola et Ramiro (voir Aragonia) Denise Grosmaine : secrétaire des présences Alba Drustan mab Necthana : Cruarch d’Alba, époux d’Ysandre de la Courcel Breidaia : sœur de Drustan, fille de Necthana Talorcan : fils de Breidaia Dorelei (†) : fille de Breidaia, épouse d’Imriel Sibeal : sœur de Drustan, fille de Necthana, épouse de Hyacinthe Hyacinthe : Maître du détroit, époux de Sibeal Grainne mac Conor : dame des Dalriada Eamonn, Mairead, Brennan, Caolinn, Conor : enfants de dame Grainne Brigitta : épouse skaldique d’Eamonn Urist : commandant de la garnison de Clunderry Berlik (†), Morwen (†) : magiciens du Maghuin Dhonn Cythera Ptolémée Solon : gouverneur Leandre Maignard : expatrié d’Angelin Deimos : capitaine d’un navire Carthage Astegal, maison de Sarkal : général de Carthage Jabnit, maison de Philosir : marchand de gemmes Sunjata : assistant de Jabnit Bodeshmun, maison de Sarkal : chef horlogiste Gillimas, maison d’Hiram : magistrat, membre de la Guilde invisible Maharbal : tenancier d’une auberge Kratos, Ghanim, frères carthaginois Un et Deux : porteurs de palanquin Gemelquart, maison de Zinnrid : noble, membre de la Guilde invisible Aragonia Roderico de Aragon : roi d’Aragonia Justina : membre de la Guilde invisible Esme : masseuse dans un établissement de bains 10
Nicola L’Envers y Aragon : noble, parente de la reine Ysandre Ramiro Zornín de Aragon : noble, parent du roi Roderico Serafin L’Envers y Aragon : fils de Nicola et Ramiro Rachel : chirurgienne d’Angeline Liberio : général Aureliano : capitaine Marmion Shahrizai : exilé d’Angelin Paskal : guide Leopoldo : duc de Tibado Euskerria Janpier Iturralde : ambassadeur Bixenta : tenancière de la maison des invités Nuno Agirre : messager Gaskon, Miquel : soldats Autres Frère Thomas Jubert : prêtre d’Elua Claude de Monluc : capitaine de la garde de la Dauphine Lelahiah Valais : chirurgienne de la reine Ysandre Emile : propriétaire du Jeune Coq Quintilius Rousse : amiral de la flotte royale, père d’Eamonn Favrielle nó Églantine : couturière Bérengère de Namarre : chef de l’ordre de Naamah Amarante de Namarre : fille de Bérengère Diokles Agallon : ambassadeur éphésien, membre de la Guilde invisible Jean Le Blanc : noble Tibault de Toluard : marquis de Toluard (Siovale) Roxanne de Mereliot : dame de Marsilikos (Eisande) Jeanne de Mereliot : fille de Roxanne, chirurgienne Oppius da Lippi : capitaine de l’Aeolia Lucius Tadius da Lucca : ami d’Imriel Claudia Fulvia : sœur de Lucius, membre de la Guilde invisible Maslin de Lombelon : ancien lieutenant de la garde de la Dauphine Henri Voisin : capitaine de la marine d’Angeline Marc Faucon : lieutenant de la marine d’Angeline Gilbert Dumel : capitaine de barge sur le fleuve Aviline, d’Angelin Antonio Peruggi : marchand caerdiccin Isabel de Bretel : baronne de Bretel 11
Personnages historiques Benedict de la Courcel (†) : grand-oncle d’Ysandre, père d’Imriel Baudoin de Trevalion (†) : cousin de la reine Ysandre, exécuté pour trahison Isidore d’Aiglemort (†) : noble, traître devenu héros (Camlach) Waldemar Selig (†) : chef de guerre skaldique ayant mené l’invasion de Terre d’Ange Necthana (†) : mère de Drustan Le Mahrkagir (†) : souverain fou du Drujan, seigneur de Daršanga Jagun (†) : chef des Tartares kereyits Gallus Tadius (†) : arrière-grand-père de Lucius Cinhil Ru (†) : chef légendaire des Cruithnes Donnchadh (†) : magicien légendaire du Maghuin Dhonn
Chapitre premier
E
n Terre d’Ange, il y a des gens qui n’ont jamais voyagé au-delà des frontières du royaume. Un bon nombre d’entre eux ne sont même jamais sortis de la province qui les a vus naître. Ce sont des fermiers heureux de leur sort qui consacrent leurs jours au travail de la terre, au soin de leur verger ou à l’élevage des moutons, et qui ne s’aventurent guère qu’au grand marché de la région. Parfois, il m’arrivait de les envier. Moi qui n’étais encore qu’un jeune homme, j’étais déjà allé bien plus loin que je n’aurais jamais pu l’imaginer dans mes rêveries d’enfant, au sanctuaire d’Elua où j’avais été élevé. La première fois, ce ne fut pas par choix. Comme nul ne l’ignore, je fus enlevé par des esclavagistes carthaginois, vendu au Menekhet, puis emmené au Drujan, un pays gouverné par un dément lié à un dieu sombre et ancien. Pour un historien, ces faits étaient récents, mais à l’échelle de ma vie, ils me paraissaient déjà bien lointains. Ces souvenirs seraient à jamais un fardeau, mais j’avais appris à les supporter. Par la suite, après que j’avais été sauvé et rendu à la vie, j’étais allé vers le sud jusqu’au Jebe-Barkal et la Saba perdue, puis vers le nord jusqu’en Vralia, un royaume étonnant qui prenait son essor sur les terres glorieuses et gelées. Je m’étais marié, puis j’étais devenu veuf. J’étais presque devenu père. Et j’avais rencontré l’amour – ce qui est quelque chose de complè tement différent. Ce n’était pas mon épouse, Dorelei, qui m’avait inspiré ce sentiment, quand bien même elle aurait été digne d’une telle dévotion ; à la fin, j’en étais venu à la chérir tendrement. C’était d’ailleurs cela qui m’avait conduit jusqu’en Vralia : une quête de justice pour ma femme défunte. J’avais obtenu réparation, même si je dois dire que les choses ne furent pas entièrement telles que je les avais imaginées. Quoi qu’il en fût, l’homme qui 13
avait tué Dorelei était mort à son tour, et son crâne enterré aux pieds de mon épouse en Alba. Il y a une différence entre la douce tendresse et l’amour – la passion dévorante qui rend le cœur immense et met le feu à l’âme, qui agite les cieux et fait trembler l’enfer. Celle-là, je l’avais éprouvée ; une fois. Certains jours, je me disais que j’aurais voulu que ce fût avec Dorelei, mon épouse aux manières douces et délicates. Que ce fût avec n’importe qui d’autre ; n’importe qui. La fille d’un fermier ; le fils d’un marchand. Quelqu’un dont la position dans l’existence ne demeurât pas un problème. Quelqu’un auprès de qui je pusse rester, pour vivre, aimer et être heureux. Quelqu’un dont la chambre à coucher ne constituât pas un échiquier politique, sur lequel planait l’ombre misérable de ma traîtresse de mère et de ses éternelles machinations. Quelqu’un qui ne fût pas Sidonie. Mais tel n’était pas le cas. Et je le savais. Je le savais déjà lorsque j’étais en Alba, piégé par une étrange magie qui me tenait sous sa coupe, et luttant de toutes mes forces pour assumer mon devoir d’homme en cessant d’être insupportablement préoccupé de moi-même. Nous n’avions aucune certitude, Sidonie et moi ; nous étions trop jeunes, trop indéterminés. Le sentiment qui avait éclos entre nous avait toujours été plus qu’une simple amourette, mais Sidonie mesurait bien mieux que moi les enjeux. Ma royale cousine, Sidonie de la Courcel, Dauphine de Terre d’Ange, fille aînée de la reine Ysandre et héritière reconnue. L’unique personne au monde que je ne pouvais pas aimer sans faire naître les pires soupçons. Je savais que c’était l’amour, un amour vrai et durable ; nous le savions tous les deux. Au tout début, Sidonie m’avait posé une question : « Imriel, dites-moi sincèrement. Quelle part de ce qu’il y a entre nous est motivée par la tentation de l’interdit ? Pouvez-vous seulement le dire ? » Je n’avais pas su lui répondre. Je ne savais pas alors. Je savais que je la désirais farouchement. Je savais que le feu noir qui couvait au fond d’elle alimentait mon propre incendie. Mais j’ignorais tout des abîmes de tendresse et de désir qui allaient s’ouvrir sous nos pieds et auxquels ni le temps ni l’éloignement ne feraient rien. Et je crois bien qu’elle l’ignorait elle aussi. Nous l’avions découvert ensemble. Et lorsque étaient morts Dorelei et notre fils en ses entrailles, Sidonie et moi avions senti s’abattre sur nous le poids de la culpabilité. Si nous avions été plus sûrs de nous, plus courageux, rien ne serait arrivé. « Aime comme tu l’entends », nous dit le précepte d’Elua. Nous n’avions pas osé. Nous avions choisi la voie de la raison et de la patience. Nous avions craint de plonger le royaume dans le chaos. 14
Grand bien nous avait fait, Terre d’Ange était en plein tourment. Aucune réception triomphale ne nous attendait à la Ville d’Elua à notre retour de la cérémonie en Alba au cours de laquelle avait été enterré le crâne du meurtrier de ma femme et de mon fils. Néanmoins, les D’Angelins font toujours selon leur cœur, et on se massait le long des routes pour nous saluer à grands cris joyeux tandis que nous chevauchions vers la cité capitale du royaume. Des Tsingani et des Yeshuites étaient visibles dans la foule, mais je n’y étais pas pour grand-chose. C’est Phèdre qu’ils vénèrent ; Phèdre nó Delaunay, comtesse de Montrève, héroïne du royaume et ma mère adoptive. Aussi longtemps que je vivrais, et que je le mérite ou non, je bénéficierais de l’aura dont jouissent Phèdre et Joscelin, son consort, auprès de tous ceux qui adorent les héros. Mais il y en avait d’autres également. Ils n’étaient pas si nombreux, mais tout de même. Des groupes, ici et là, disséminés dans la foule. Des hommes et des femmes d’âge mur, le bras orné de crêpe noir, la mine sombre et le regard dur. Autour d’eux, la liesse était étouffée. À notre passage, ils tendaient le bras, le pouce tourné vers le bas, selon le signe des antiques imperators tibériens. Le signe de la mort. — Pourquoi font-ils cela ? demandai-je à Sidonie. Qui sont ces personnes ? Le visage de la Dauphine était pâle. — Les familles de ses victimes. Je sentis ma gorge se serrer. — Les victimes de ma mère ? — Oui, c’est ainsi qu’elles se considèrent. Des familles qui ont perdu des êtres chers lors de l’invasion skaldique. (Sidonie plongea son regard dans le mien. Ses yeux étaient noirs et troublés. Des yeux cruithnes, l’unique marque de son ascendance métissée.) Leur geste rappelle que ta mère a été condamnée à mort et a échappé à l’exécution. Ces gens ont le droit d’être en colère, Imriel. Personne n’a dit que cela serait facile. Es-tu disposé à faire face ? — Tu sais que je le suis, non ? répondis-je doucement. Pour toi, le prix à payer est encore plus élevé. Quelque chose remua dans les profondeurs de ses prunelles noires ; une conviction qui trouvait sa place. Son dos était droit et ses épaules graciles bien dégagées. — Oui. — Je suis à tes côtés. (Du genou, j’amenai le Bâtard le long du palefroi de Sidonie. Je tendis la main pour toucher brièvement la sienne.) Toujours. Aussi longtemps que tu me garderas, et plus encore, je serai là. Sa main serra la mienne. — Je sais. 15
Ni elle ni moi ne savions avec certitude ce qui nous attendait. La reine était opposée à notre union ; de cela au moins nous n’avions aucun doute. Quant à savoir si elle allait activement œuvrer à nous séparer, Sidonie elle-même n’aurait su le dire. Notre groupe se sépara à l’entrée de la Ville d’Elua. Phèdre et Joscelin, accompagnés de leurs fidèles Ti-Philippe et Hugues, rejoignirent la demeure citadine de la maison de Montrève, tandis que j’escortais Sidonie et sa garde jusqu’au palais. J’y avais eu des appartements naguère. La reine Ysandre me les avait attribués elle-même, ravie qu’elle était de mon mariage imminent avec Dorelei, la nièce du Cruarch d’Alba. Bien sûr, elle ignorait alors que j’aimais déjà sa fille. Désormais, elle savait ; et moi, je ne savais pas si mes appartements m’avaient été conservés. Je ne savais même pas si on allait m’accueillir au palais. Mais quel autre moyen de le découvrir que d’essayer ? — Tu es sûr ? demanda Phèdre en scrutant mon visage. Tu pourrais venir avec nous et faire porter un message à Ysandre pour demander une audience. Ce serait plus simple. Je secouai la tête. — Je suis trop vieux pour me cacher dans tes jupes, Phèdre. Ou derrière ton épée, ajoutai-je à l’intention de Joscelin. — Quand donc l’as-tu fait ? demanda-t-il avec un reniflement. Sa réplique me tira un mince sourire. — Alors, disons dans le manteau de ton héroïsme. C’est quelque chose que je dois affronter seul. Et puis, je n’ai enfreint aucune loi, commis aucun crime. Phèdre émit un soupir. — Comme tu veux, mon chéri. J’enverrai un mot à Ysandre. Peut-être est-elle disposée à entendre la voix de la raison. Cela faisait aussi longtemps que moi que Phèdre et Joscelin étaient absents du royaume. Partis tout d’abord pour quelque errance mystérieuse, ils s’étaient ensuite lancés sur ma trace dès qu’ils avaient appris que j’avais presque été tué en Alba et que je traquais l’homme, le magicien, responsable de mes bles sures et de la mort de ma femme et de notre fils à naître. Si quelqu’un peut faire entendre raison à la reine, pensai-je, c’est bien Phèdre. C’était elle qui avait dévoilé la trahison de ma mère et sa responsabilité dans l’invasion skaldique. C’était le témoignage de Phèdre qui avait condamné à mort Melisande Shahrizai. Puis je songeai à tous ces gens dans les rues, le pouce tourné vers le sol pour rappeler que justice n’avait pas été faite ; je sentis mes certitudes chanceler. — Peut-être, dis-je. Nous verrons. Elle me serra dans ses bras pour me saluer. — Viens dîner demain, nous parlerons. Tout le monde aura hâte de te voir. 16
— Je viendrai, promis-je. Par-dessus mon épaule, je les regardai s’éloigner en direction de la maison au cœur de la Ville. Si Phèdre et Joscelin avaient réussi à endurer toutes les épreuves que le destin leur avait envoyées, alors j’estimais que Sidonie et moi avions une chance. Sidonie vit mon coup d’œil et lut mes pensées. — Ce n’est que de la politique et rien d’autre, dit-elle. Il n’y a ni hordes skaldiques, ni magiciens capables de changer de forme, ni aucun fou dont l’unique rêve est de détruire le monde. — C’est vrai, répondis-je. C’est ainsi. Au final, j’avais eu bien tort de m’inquiéter ; nous fûmes accueillis avec cordialité et tous les égards voulus. Après tout, Sidonie rentrait d’un voyage officiel en Alba, où elle avait représenté sa mère ; quant à moi, indéniablement, je n’avais rien fait de mal. J’étais un prince du sang à part entière, de retour en son pays après avoir vengé son épouse assassinée, la propre nièce par alliance de la reine. — Soyez la bienvenue, Altesse, dit le chambellan à Sidonie, en exécutant une profonde révérence. Votre mère vous attend dans ses appartements, dès que vous aurez eu l’occasion de vous rafraîchir. Sidonie inclina la tête. — Merci, messire Robert. Le chambellan me gratifia d’une révérence un rien moins formelle que ne l’aurait voulu l’étiquette – mais à peine. — Bienvenue, prince Imriel. Vos appartements vous attendent. Sa Majesté vous fera appeler plus tard, afin de vous exprimer sa gratitude pour la bravoure dont vous avez fait preuve. — Merci, répondis-je à mon tour. L’heure de vérité avait sonné. Sidonie et moi échangeâmes un regard. Elle pencha la tête sur le côté ; un sourire flotta sur ses lèvres. — Va. Je te ferai porter un message. — D’accord. Je la suivis des yeux tandis qu’elle disparaissait dans le couloir entourée de ses gardes en livrée bleue rehaussée de bandes d’un bleu plus clair. Nous ne nous étions pratiquement pas quittés depuis que nous nous étions retrouvés en Alba – totalement retrouvés. Nous avions des années à rattraper. Néanmoins, d’un commun accord, nous avions décidé qu’au palais, la diplomatie et le doigté nous seraient bien plus utiles que les démonstrations publiques d’ardeur et de passion. Je la regardai donc s’en aller, poussai un profond soupir, puis mis le cap vers mes appartements. Voilà au moins qui constituait un élément positif. Si Ysandre ne m’avait pas privé de mes prérogatives au sein du palais, alors elle n’avait sûrement pas dans l’idée de m’accuser de sédition. 17
Les quelques pièces dont je jouissais composaient un logis agréable et joliment meublé, avec au plafond une fresque représentant Eisheth cueillant des simples, et une petite terrasse surplombant les jardins. Après avoir ordonné à une femme de chambre de me préparer un bain, je déambulai entre leurs murs, dans l’attente de l’eau chaude et de ma malle, arrivée avec notre équipage. Je m’attardai dans la chambre, submergé soudain par les images. Le lit était plus vaste que dans mon souvenir ; en Alba, je m’étais accoutumé à un confort plus étriqué. Machinalement, je fis tourner le nœud d’or à mon doigt, puis serrai mon poing jusqu’à imprimer la marque de ma bague dans ma paume. C’était là que Sidonie m’en avait fait présent. Mais en toute sincérité, les réminiscences de Dorelei étaient les plus nombreuses en ces lieux. Par les dieux, quel misérable idiot j’avais été envers elle ! — Je suis désolé, mon amour, murmurai-je. Tu as fait de moi un homme meilleur. Je m’efforcerai de m’en montrer digne. Avant de mourir, Dorelei avait émis le souhait de me renvoyer auprès de Sidonie. C’était ce que j’avais fini par faire, mais à mon corps défendant. Néanmoins, ma défunte femme avait eu raison. Si j’en avais agi autrement, si je n’avais pas saisi ce fil incandescent d’espoir et de joie… je ne sais pas ce qu’il serait advenu de moi. Peut-être serais-je devenu un monstre froid et amer, comme dans la vision que j’avais eue de notre fils à l’âge adulte. J’aurais pu mourir dans les confins glacés de Vralia, privé de toute raison de vivre. Il ne nous est jamais donné de savoir ces choses-là, mais si j’en juge par ma propre expérience, mieux vaut ne pas chercher. Une année s’était écoulée. Une année depuis que la reine Ysandre de la Courcel m’avait surpris agenouillé aux pieds de sa fille, le cœur en lambeaux. Une année depuis qu’elle était entrée en fureur et avait prononcé des paroles qui avaient rendu mes oreilles brûlantes. Le jour même, j’avais quitté la Ville d’Elua. Et deux jours plus tard, je m’étais lancé sur la trace de l’homme qui avait tué ma femme, le sorcier-ours qui avait presque pris ma vie aussi. Cependant, dans ce court laps de temps, Sidonie et moi avions fait tout ce qu’il fallait pour mettre la cour tout entière sens dessus dessous. Et j’étais de retour. Des serviteurs apportèrent ma malle. Je défis mes affaires moi-même. Hormis des vêtements, il n’y avait pas grand-chose : un ouvrage relié de cuir contenant des lettres d’amour que Sidonie m’avait donné, une flûte de bois offerte par Hugues, et un briquet à silex. Tout le reste de mes possessions, je le portais sur moi. Mon épée et ma dague. Les canons d’avant-bras gravés à l’eau forte que Dorelei avait fait confectionner à mon intention. La bague de Sidonie. Le torque d’or qui disait que j’étais un prince d’Alba. Drustan mab Necthana en personne, le Cruarch d’Alba, me l’avait offert lorsque j’avais épousé Dorelei 18
sur la terre de son pays. Et puis, dans la bourse à ma ceinture, une pierre lisse percée d’un trou au milieu ; une « pierre de croonie » comme disaient les ollamhs. Elle faisait partie des contresorts qui m’avaient protégé de la magie albane ; je la conservais sur moi comme souvenir. Jamais plus je ne voulais être lié comme je l’avais été. Les fils écarlates m’avaient certes préservé, mais ils m’avaient aussi coupé de moi-même. Jamais plus. Et pourtant, sans eux, j’aurais peut-être passé le reste de mes jours aux côtés de Dorelei, malheureux et misérable, à me consumer d’aigreur et de rage contenues. Peut-être n’aurais-je jamais appris à l’aimer ? Peut-être n’aurais-je pas su cesser d’être un garçon plein de langueur et insupportablement préoccupé de lui-même pour devenir un homme. Et peut-être n’aurait-elle pas été tuée ? Jamais il ne me serait donné de le savoir. — Prince Imriel ? (Depuis le seuil, la femme de chambre me tira de mes pensées.) Votre bain est prêt. — Merci. (Je sondai rapidement ma mémoire.) Delphine, c’est bien cela ? — Oui, messire. (Elle exécuta une courte révérence.) Je suis… Nous avons été désolés d’apprendre la mort de dame Dorelei. Elle était si aimable. — Merci, répétai-je. Oui, elle était aimable. La jeune femme marqua une hésitation ; sur ses traits, la sympathie le disputait à l’avide curiosité. — Est-ce vrai que vous, que vous et… ? — Oui, répondis-je. — Oh ! (Ses yeux s’agrandirent.) Eh bien… Alors… — En effet, convins-je sur un ton de grande gravité. La politique et les ragots, les deux mamelles de la cour d’Angeline. Je congédiai Delphine, puis m’immergeai dans le cuveau pour m’abandonner quelques instants au plaisir de l’eau chaude. Depuis la chambre contiguë me parvint le son d’une voix familière qui discutait. Je tendis l’oreille et souris. — Il dit vrai, criai-je pour finir. Il peut entrer. — Au nom d’Elua ! (Mon cousin Mavros Shahrizai pénétra à grands pas véhéments dans la salle de bains, pour se camper devant moi les mains sur les hanches. Ses cheveux noirs comme la nuit tombaient en cascade sur ses épaules ; une intense émotion faisait briller ses yeux bleus.) Pourquoi ne penses-tu jamais à envoyer des messages ? On s’inquiète, tu sais. Je me mis debout, ruisselant d’eau. — Bonjour, Mavros. — Idiot. (Il me saisit aux épaules et me donna le baiser de bienvenue, avant de m’écarter de lui pour examiner d’un œil critique les sillons rosâtres qui traversaient mon torse, de mon épaule droite à ma hanche gauche.) Par les 19
dieux, c’est encore pire que je ne pensais. Tu ne m’avais pas dit que ce fumier t’avait presque éventré. — J’ai survécu, répondis-je en haussant les épaules. Ses doigts les serrèrent un peu plus. — Idiot. Il est mort maintenant, non ? Tu as rapporté sa tête dans un sac ? — Oh, oui ! Je l’ai rapportée et enterrée à Clunderry. Mavros me relâcha, puis tira un tabouret près du cuveau. — Finis ton bain et raconte-moi tout. Pour un aussi long périple, il n’y avait finalement pas grand-chose à dire. La traque de Berlik avait été longue et laborieuse. Le bateau à bord duquel j’avais embarqué avait fait naufrage sur la mer de l’Est et nous avions passé des semaines sur un îlot isolé, à réparer la coque endommagée pour reprendre la mer. On m’avait pris pour un complice des Tartares dans un village vralian et j’avais été jeté en prison. J’étais parvenu à m’évader, et j’avais cherché le refuge de Berlik pendant des semaines dans l’immensité sauvage. Pour finir, c’était lui qui m’avait trouvé. — Il voulait donc mourir ? dit Mavros lorsque j’eus fini. — Oui, répondis-je. Pour expier. — Ah. (Il médita un instant, tandis que je me séchais et passais une tunique de bain.) Crois-tu que cela ait fonctionné ? — Je ne sais pas. (Je nouai la ceinture à ma taille.) Ce qu’il a fait… son geste, indiscutablement horrible… j’ai fini par le comprendre. Il pensait que c’était l’unique solution pour préserver son peuple. — Le préserver de l’avenir que ton fils aurait apporté, dit lentement Mavros. — Oui. (Des images passèrent dans mon esprit et je frissonnai. Un jeune homme dont les traits mariaient ceux de Dorelei et les miens, avec toutefois une note amère et cruelle. Des armées s’abattant sur Alba. Des champs détrempés de sang. Des femmes et des enfants arrachés de leurs maisons. Des villages incendiés. Des hommes chassés comme des animaux. Les pierres levées et les bosquets sacrés détruits.) Écoute-moi bien, Mavros. Jamais plus je ne manquerai au précepte d’Elua le béni, et jamais plus je ne veux avoir affaire à la magie. Tout ce que je veux, c’est qu’on me laisse en paix. — Eh bien, bonne chance, répliqua-t-il sur un ton ironique. — Je sais, dis-je. Sidonie… — Cela en vaut-il vraiment la peine ? demanda-t-il, sincèrement curieux. Je fis tourner la bague d’or à mon doigt. Malgré tous les événements, mon amour pour elle était intact. Une intense exaltation de l’âme et une inexplicable certitude de notre complémentarité. Des discussions et des rires partagés. Un bonheur ordinaire. Et puis, sous tout cela, un sentiment d’importance et 20
d’absolue nécessité. Je ne pouvais pas l’expliquer ; je savais seulement que rien n’était plus vrai. — Oui, répondis-je simplement. — Alors, n’oublie pas que la maison Shahrizai est derrière toi, dit Mavros. Même si, en l’état actuel des choses, notre soutien n’est sans doute pas terri blement utile. — J’ai vu cela, dis-je en tendant un poing, pouce tourné vers le sol. — Hmm. (Le visage de mon cousin montrait sa concentration.) Toi et Sidonie… Voilà qui réveille de vieilles peurs. Ravive d’anciennes blessures. — Tu sais que je n’ai aucune visée sur le trône ? demandai-je. — Oh oui, je le sais. (Mavros leva les yeux vers moi.) Mais ce n’est pas moi que tu dois convaincre. Ce sont des milliers d’autres, à commencer par Sa Majesté la reine. (Comme si ses paroles avaient produit quelque effet mystérieux, l’un des gardes d’Ysandre frappa à la porte précisément à cet instant. Il venait me chercher pour une audience royale. Mavros eut un petit rire dénué d’humour.) Et voilà une première occasion qui s’offre à toi. Après avoir salué Mavros et passé des vêtements propres, je laissai le garde m’escorter auprès d’Ysandre. La soirée débutait à peine et le palais commençait à s’animer à la perspective des réjouissances que la nuit allait apporter – parties fines, paris dans le salon des jeux, représentations théâtrales… Je souffris en silence le feu des regards et des murmures. J’y étais accou tumé ; tel avait été mon lot depuis mon arrivée à la cour de Terre d’Ange lorsque j’étais enfant. Je soutenais les regards sans ciller, m’efforçant de lire ce que tentaient de dissimuler les visages. Plusieurs exprimaient une certaine sympathie. D’autres, plus rares, étaient fermés et hostiles. Dans l’ensemble, ils trahissaient simplement la curiosité. Je ne savais pas à quoi m’attendre : une réception officielle ou privée. Pour finir, j’eus droit à quelque chose entre les deux. La reine me reçut dans ses appartements privés, mais dame Grosmaine, la secrétaire des présences, était là, ce qui signifiait que tout ce que nous allions dire serait consigné dans les archives royales. Je pénétrai dans la pièce et exécutai une profonde révérence. — Soyez le bienvenu dans votre patrie, prince Imriel, dit Ysandre, d’un ton uni, empreint de prudence. Je me redressai. — Merci, Majesté. Ysandre de la Courcel régnait sur Terre d’Ange depuis une époque anté rieure à ma naissance. Elle était montée sur le trône alors qu’elle n’avait même pas l’âge qui était le mien ; elle avait eu amplement le temps d’apprendre à se composer un masque de politesse impassible. Néanmoins, j’étais un descendant 21
de Kushiel et j’avais la faculté de voir, au moins en partie, ce que cachait une figure aux traits indéchiffrables – la douleur, la peur de la trahison et la colère. Aucun de ces sentiments ne l’avait quittée ; au contraire, ils s’étaient profondément ancrés en elle. Pour autant, elle était la reine du royaume de Terre d’Ange, et une excellente souveraine au demeurant. — Nous… (Elle s’interrompit un instant, avant de poursuivre d’une voix raffermie.) Je tiens à vous remercier d’avoir vengé la mort de la jeune parente de mon époux. Sachez également que Drustan, le Cruarch d’Alba, m’a écrit pour me faire part du courage et de la persévérance dont vous avez fait preuve. Lui et moi vous sommes reconnaissants d’avoir apporté, par vos efforts, le repos et la paix à l’esprit de Dorelei mab Breidaia. — Et je m’en réjouis également, répondis-je d’un ton posé. Elle était ma femme. Et elle serait devenue la mère de mon fils. Je prie pour qu’ils soient en paix tous les deux. La secrétaire des présences notait scrupuleusement nos paroles ; j’entendais le doux grattement de sa plume sur le papier. J’observai ma souveraine. Sidonie avait la blondeur de sa mère, même si les cheveux d’Ysandre étaient d’une teinte un peu plus pâle. D’elle, la Dauphine avait aussi hérité sa beauté altière et discrète. Cependant, Sidonie n’avait pas reçu en héritage un royaume sur le point d’être envahi et conquis à cause de la traîtrise de Melisande Shahrizai. Ysandre inclina la tête. — Vous pouvez vous retirer. J’écartai les mains devant moi. — Votre Majesté… L’expression sur son visage se durcit. — Nous parlerons de l’autre sujet à un autre moment. Un prêtre d’Elua vous demandera audience pour s’entretenir de cette question avec vous. Je vous recommande de la lui accorder. J’ouvris la bouche pour répondre quelque chose, ou plaider ma cause, puis je me ravisai et inclinai la tête. — Bien sûr, Votre Majesté. Et sur ces mots, je partis. Une fois sorti des appartements de la reine, je me laissai aller contre le mur, le souffle court. Ah ! Elua ! Faut-il vraiment que l’amour soit si difficile ? — Prince Imriel ? demanda une voix joyeuse à côté de moi. (Je plissai les yeux et reconnus Alfonse, l’un des gardes de Sidonie, un jeune homme mince et petit de taille, aux cheveux noirs. Il me sourit.) Difficile, hein ? Son Altesse m’a envoyé vous chercher. — La meilleure nouvelle de toute cette journée, dis-je. Son sourire s’agrandit. 22
— Je me suis dit que vous penseriez cela. Alfonse me conduisit jusqu’aux appartements de Sidonie. C’était la première fois que j’y venais au vu et au su de tous, en tant qu’amant en titre de la Dauphine ; et c’était une sensation étrange. Je m’attendais presque à être arrêté. Mais il n’en fut rien ; la garde de Sidonie lui était loyale, et Ysandre ne paraissait pas décidée à intervenir. Du moins, pas ouvertement ; pas encore. J’avais le sentiment que cela n’était pas à mettre sur le compte d’une mansuétude royale envers la situation, mais bien plus sur celui de la crainte de pousser Sidonie à une rébellion ouverte envers la couronne. Les appartements de Sidonie étaient plus vastes et plus raffinés que les miens. Des bougies étaient disséminées pour repousser la pénombre envahissante. Des plats recouverts de couvercles d’argent étaient disposés sur la table ; les arômes qui s’en échappaient me firent prendre conscience de ma faim. — J’espère que tu n’as rien contre. (Sidonie, assise sur un canapé, reposa la liasse de lettres qu’elle était en train de parcourir.) J’ai pensé que ce serait plus agréable de dîner ici plutôt que d’affronter une forêt de regards hébétés dès notre premier soir. — C’est parfait, répondis-je. Et je suis affamé. — Hmm. (Sidonie se leva avec une grâce accomplie.) Comment était ma mère ? — Cordiale. (Je pris sa main dans la mienne.) Et toi, comment l’as-tu trouvée ? Sidonie m’embrassa dans le cou. — Formelle. Je fis jouer une boucle de ses cheveux entre mes doigts. — Elle veut que j’aie un entretien avec un prêtre d’Elua. Elle hocha la tête. — Je t’ai dit que j’avais œuvré à obtenir l’appui des prêtres pendant ton absence. S’ils sont convaincus de la sincérité de ce qu’il y a entre nous, alors ce sera plus difficile pour la reine de s’y opposer. — Il faut donc que je les convainque, c’est ça ? J’ai l’impression qu’il va me falloir déployer des trésors d’éloquence dans les temps à venir. (Du doigt, je suivis la ligne de ses sourcils, si semblable à la mienne.) Et toi ? — Oh moi, j’ai déjà fait ce que j’avais à faire. Avec les prêtres tout au moins. (Sidonie tourna la tête pour embrasser la paume de ma main, puis me sourit.) Ils n’ont absolument aucun doute à mon sujet. Maintenant, c’est toi qui dois les convaincre que tout cela ne fait pas partie d’un plan machiavélique conçu pour faire main basse sur le trône en t’emparant de mon cœur. Elle prit ma main entre les siennes pour déposer de petits baisers sur le bout de mes doigts. Le désir fit pulser le sang dans mes veines. 23
— Ce serait bien mal te connaître d’imaginer qu’une telle chose soit possible, dis-je d’une voix subitement devenue rauque. — C’est vrai. (Sidonie leva les yeux vers moi et fit glisser mon index dans sa bouche en aspirant délicatement. La pulsation du désir devint un battement sourd, puissant et inendiguable. Dans ses yeux noirs brillait une petite lueur perverse et amusée.) Mais la plupart des gens me connaissent mal. Je laissai filer un son inarticulé, puis me baissai pour la prendre dans mes bras et la soulever du sol. Sidonie rit doucement, les bras noués autour de mon cou, tandis que je la portais vers la chambre tout en la couvrant de baisers. — Je croyais que tu étais affamé, murmura-t-elle. J’ouvris la porte en la poussant de l’épaule. — Cela peut attendre.