Doctor Who : Temps d'emprunt - extrait

Une nouvelle aventure fascinante du Docteur, d’Amy et de Rory interprétés par Matt Smith, Karen Gillan et Arthur Darvill dans la spectaculaire série télévisée de la BBC. Inédit

Traduit de l’anglais (Grande-Bretagne) par Rose Guillerme Portraits © BBC. Doctor Who et TARDIS sont des marques déposées de la BBC Design de couverture : Lee Binding © Woodlands Books Ltd, 2010

ISBN : 978-2-8112-0864-6

9 782811 208646

7€

TEMPS D’EMPRUNT Naomi A. ALDERMAN

S’il y a bien une chose qui fait défaut à Andrew Brown, c’est le temps.

Sa course contre la montre fait de sa vie un enfer. Tout serait tellement plus simple si on lui accordait un peu de délai. Messieurs Symington et Blenkinsop, les rois du sablier, ont justement la possibilité de lui prêter de quoi différer le compte à rebours – à un taux défiant toute concurrence – à ceci près que les emprunteurs risquent leur vie sans le savoir. Le Docteur et ses compagnons flairent le problème et s’infiltrent dans la banque. Mais ils doivent faire vite avant que les usuriers ne recouvrent leur dette.

temps d’emprunt

« Vous voulez plus de temps, n’est-ce pas ?

Nous n’en avons jamais assez.

Je vous propose un marché… »

Naomi A. Alderman

VU SUR

Une dette est une dette…

Doctor Who, chez Milady : Apollo 23 La Nuit des humains L’Armée oubliée L’Horloge nucléaire La Chasse au Mirage Le Dragon du roi À travers bois La Lune du chasseur Les Morts de l’ hiver Temps d’emprunt Les Voleurs de rêves

www.milady.fr

Temps d’emprunt Naomi A. Alderman Traduit de l’anglais (Grande-Bretagne) par Rose Guillerme

Milady

Milady est un label des éditions Bragelonne

Titre original : Doctor Who: Borrowed Time Copyright © Naomi A. Alderman 2011 Ce roman de Naomi A. Alderman, originellement publié par BBC Books,une maison d’édition de Ebury Publishing, une compagnie de Random House Group, sous le titre de Borrowed Time est publié sous la licence de Woodlands Books Ltd. BBC, DOCTOR WHO et TARDIS (termes, logos et matériels) sont des marques déposées de la British Broadcasting Corporation et sont utilisés sous licence.

DOCTOR WHO est une production BBC Wales, pour BBC One. Producteurs exécutifs : Steven Moffat et Caroline Skinner © Bragelonne 2012, pour la présente édition Illustration de couverture : Lee Binding © Woodlands Books Ltd, 2011 ISBN : 978-2-8112-0806-6 Bragelonne – Milady 60-62, rue d’Hauteville – 75010 Paris E-mail : info@milady.fr Site Internet : www.milady.fr

Je dédie ce livre à mon frère, Eliot Alderman, car Doctor Who a toujours représenté ce moment particulier que nous partagions.

Et à mon cousin Samuel West : s’il ne m’avait pas demandé d’ écrire quelque chose qu’il pourrait lire, ce roman n’existerait pas.

« Il n’existe dans l’univers aucune force plus puissante que celle des intérêts composés. » Albert Einstein (citation non attestée)

« La seule vérité est mathématique. » Cardinal Borusa

Remerciements Si vous trouvez la moindre qualité à ce roman, c’est principalement grâce à tous ceux qui m’ont donné des conseils et fait des remarques utiles, qui l’ont lu très rapidement pour me dire qu’il était barbant, ou incompréhensible.

Tout d’abord, un grand merci à Rebecca Levene : sans son aide, ce roman aurait eu une intrigue famélique et presque aucune scène d’action. En résumé, tout ce qui le rend lisible, c’est à elle que je le dois. J’exprime mon infinie gratitude envers mon agente, Veronique Baxter, ainsi qu’envers Justin Richards, qui a su me guider avec sagesse. Il a été mon berger, jusqu’à la fin de ce long processus d’écriture.

Et je remercie mille fois Minkette, Dan Hon, Robin Ray, Adrian Hon, Yoz Grahame, Tilly Gregory, Phil Craggs, Julian Levy, Laura Hall, Marcus Gipps, Andrea Phillips, Una McCormack, Annette Mees, Leigh Caldwell et David Varela. Tous m’ont soumis des idées brillantes, des conseils avisés, m’ont apporté leur soutien et m’ont confirmé que ma description de la City était absolument réaliste.

Enfin, extraterrestres mis à part. A priori.

Je remercie particulièrement ma mère, Marion, celle par qui tout a débuté, lors d’un week-end pluvieux. Ce jour-là, elle a trouvé une VHS de The Robots of Death dans un vidéoclub, et nous a convaincus, mon frère et moi, que ce vieil épisode d’une très vieille série télé valait la peine d’être vu. C’est là que tout a commencé.

L

es écrans étaient noirs. De temps à autre, une ligne de chiffres défilait sur l’un des moniteurs, trop vite pour qu’un œil humain puisse les suivre. Mais, à ces rares exceptions près, rien ne s’y affichait. En un sens, ces écrans étaient noirs en permanence. Cependant, « en permanence » est un concept bien relatif. Beaucoup de choses peuvent se produire en des laps de temps trop fugaces, trop infinitésimaux pour être mesurés à l’échelle humaine. Donc, occasionnellement, des sursauts d’activité aussi soudains que frénétiques survenaient. Mais la plupart du temps, les moniteurs demeuraient noirs.

Ils étaient accrochés aux murs de la grande salle, immense, avec son haut plafond ; ils faisaient face à la fosse centrale, qui était vide. Enfin, le plus souvent. Mais parfois, pendant un instant infiniment court, elle se trouvait remplie au-delà de l’entendement, à un point uniquement rendu possible par l’utilisation de technologies très avancées permettant de manipuler les lois de la physique transdimensionnelle.

Si vous aviez pu vous tenir dans cette fosse centrale pendant une heure, vous vous en seriez très bien porté, globalement. Vous vous seriez peut-être même ennuyé. Vous auriez contemplé les écrans noirs, et vos yeux auraient tenté de s’accoutumer à l’obscurité ambiante. Vous auriez renversé la tête en arrière pour observer les énormes coupoles de 11

Doctor Who verre, dont émanait encore une faible luminosité, tout juste suffisante pour distinguer les alentours ; et les gigantesques fenêtres en ogives, pourvues de vitraux composés de milliers de pièces individuelles ; et les murs de marbre courbes, et la haute voûte du plafond, très loin au-dessus de vous. Et vous auriez été impressionné par la magnificence de cet édifice.

Mais rien de plus. Vous auriez tenté de regarder dehors, par l’une des fenêtres, mais toutes auraient été trop hautes : à un être de taille humaine, elles ne laissaient voir que les étoiles et les lunes. Vous auriez peut-être regardé un moment ces trois lunes écarlates, avec crainte ou admiration, selon votre tempérament.

Mais au cours de votre heure de présence, vous auriez assisté à l’une de ces fractions de seconde si particulières.

Disons qu’elle aurait duré environ un centième de seconde.

Durant cet infime laps de temps, vous auriez eu l’impression que tous vos sens étaient assaillis avec une brutalité terrible.

Que, subitement, la lumière devenait aveuglante et d’une couleur trop étrange, que la salle était bondée de corps exhalant des vapeurs moites et malodorantes, et que des milliers de voix criardes vociféraient dans des milliers de langues que vous ne pouviez comprendre, et que les écrans s’animaient de lettres et de chiffres fuyants, à peine lisibles, et affichaient l’image d’un homme portant une veste en tweed, aux mains et aux chevilles entravées – et tout cela aurait été si insoutenable, si terrifiant que vous n’auriez pu vous empêcher de hurler.

Vous auriez alors découvert que vous hurliez dans le silence d’une salle obscure et vide. Vous auriez fait volte-face, avec la certitude que l’on venait de vous infliger quelque chose d’atroce. Votre cœur aurait tambouriné dans votre poitrine, vos pupilles auraient été dilatées, vous auriez 12

Temps d’emprunt ressenti sur votre peau, couverte de chair de poule, les picotements de la terreur. Mais la salle n’en serait pas moins demeurée paisible, déserte, simplement nimbée de la chiche lumière grisâtre tombant des globes, là-haut au-dessus de votre tête, et par le clair de lunes rouge sang qui filtrait par les fenêtres. Il n’y aurait rien eu d’autre à voir, ni à toucher, ni rien vous permettant de comprendre ce qui venait de vous arriver.

Sauf si, bien sûr, vous aviez eu la capacité de ralentir le cours du temps. Alors, vous auriez vu tout autre chose.

Chapitre premier

M

essieurs Symington et Blenkinsop firent irruption dans la vie d’Andrew Brown au matin de ce qui fut peut-être le jour le plus sombre de sa carrière.

Une carrière qui, jusqu’à ce fameux jour, n’avait rien eu de particulièrement remarquable. Andrew Brown n’était pas un crack de haut vol, mais un modeste trotteur de fond. Il ne faisait pas partie des gros poissons de la mare, mais du menu fretin. Il avait décroché un bon diplôme, dans une bonne université, mais n’avait pas vraiment su quoi faire de sa vie une fois ses études terminées. Tout en trempant un biscuit sablé dans sa tasse de thé, le conseiller du centre d’orientation professionnelle avait tiré un prospectus, apparemment au hasard, d’une pile disposée à côté de lui.

— La Lexington International Bank organise une journée de recrutement, la semaine prochaine, avait-il annoncé.

Il tenta alors de croquer dans son biscuit, mais ne fut pas assez rapide : le sablé se désagrégea, et le conseiller ne fut pas non plus assez réactif pour l’empêcher d’aller s’écraser mollement au sol.

— Oh, zut, avait-il repris, avant d’entreprendre de ramasser la bouillie à ses pieds.

— Mais, je… avait voulu intervenir Andrew.

15

Doctor Who Le conseiller d’orientation avait alors essayé de ramasser son biscuit en grattant le sol avec des papiers, avant de paraître se rendre compte qu’il s’agissait de documents importants. Il avait donc redirigé ses efforts sur eux, faisant de son mieux pour en retirer les miettes humides. Andrew eut l’impression que le conseiller avait déjà quasiment oublié sa présence lorsque celui-ci avait ajouté : — Tentez votre chance à la Lexington. C’est une valeur sûre, bien cotée en Bourse, une boîte sympa, ça vaut le coup.

Andrew Brown se demandait parfois à quel point sa vie aurait été différente si au lieu d’un sablé, le conseiller avait choisi de déguster un biscuit fourré. Ou n’importe quelle autre variété moins rapidement soluble dans le thé.

Le truc, avec Andrew, c’était qu’il réussissait tous les tests. Si on le mettait face à un problème, il cherchait automatiquement à le résoudre. Si on le soumettait à un examen, il faisait de son mieux pour obtenir la meilleure note possible. Si on le mettait au pied d’une échelle, il essayait aussitôt de la gravir, sans toujours prendre le temps de vérifier sa stabilité, ni même de se demander s’il avait vraiment envie d’arriver à son sommet. Aussi, lorsqu’il s’était présenté pour passer le test de compétences de la Lexington International Bank, il s’était efforcé de bien répondre à toutes les questions.

Tout comme il avait fait de son mieux, lors du stage de recrutement organisé par la banque, pour construire un radeau avec des pneus et pour trouver les solutions qui permettraient de sauver une entreprise imaginaire d’une faillite imminente. Il s’entendait bien avec la plupart des gens. Il avait un sens aigu du travail d’équipe – une qualité d’ailleurs soulignée dans le courrier reçu de la Lexington qui lui proposait un poste.

16

Temps d’emprunt Tout cela remontait à dix ans, cependant, et il n’était toujours pas au sommet de l’échelle. Il avait commencé à un poste de stagiaire diplômé, et avait fini par devenir analyste financier à la Lexington International Bank. Ce qu’il était toujours. Cela signifiait que le gros de son activité consistait à lire des rapports décrivant des sociétés, dont il entrait les données chiffrées dans des tableaux, avant d’avancer des hypothèses plus ou moins hasardeuses quant à leur potentiel de croissance sur les six mois à venir. Il passait douze heures par jour assis devant son ordinateur, à essayer d’impressionner ses supérieurs hiérarchiques dans l’espoir qu’ils le fassent progresser sur cette échelle imaginaire, ou lui octroient l’augmentation qui – Andrew avait réussi à s’en convaincre – justifierait presque tous ses efforts. Or le truc, avec la Lexington International Bank, c’était que leur échelle de carrière n’en finissait pas ; il était épuisant d’en gravir les échelons, et cela ne laissait à Andrew Brown que peu de temps pour se demander s’il avait vraiment envie de cette ascension. D’ailleurs, les autres employés étaient si nombreux à se démener pour parvenir en haut, que la vue depuis le sommet en valait sûrement la peine.

Aussi persévérait-il. Il travaillait dur. Il y mettait tout son cœur, toute sa concentration, toute sa bonne volonté.

Un poste allait se libérer, un demi-échelon au-dessus de lui.

S’il obtenait cette promotion, il pourrait peut-être se voir attribuer un secrétaire, deux heures par semaine. Il pourrait donc se rendre à plus de réunions importantes, avec des cadres de niveaux encore supérieurs, ce qui lui donnerait davantage d’occasions de les impressionner. Il décrocherait alors une nouvelle promotion avec un peu de chance, et ensuite… Eh bien, il ne faisait aucun doute qu’un jour, il serait à la tête de la filiale tout entière. C’est très important, 17

Doctor Who de rêver d’une vie meilleure : sans cela, on risquerait de s’attarder sur celle que l’on a.

La réunion prévue ce fameux jour était particulièrement importante. La nouvelle directrice du bureau londonien, Vanessa Laing-Randall, serait présente. Elle était notoi­ rement difficile à satisfaire, mais si Andrew parvenait à lui en mettre plein la vue, sa carrière décollerait. Une seule rivale sérieuse se dressait entre lui et cette promotion : la toujours insupportablement bien préparée Sameera Jenkins.

Depuis le début de l’année, elle lui opposait une concurrence féroce ; elle dégainait toujours une information de plus, avait toujours travaillé une heure de plus sur ses projets.

Mais cette fois, il la tenait. Personne n’aurait pu être mieux préparé qu’Andrew Brown. La promotion était pour lui : il la savourait déjà.

Le matin de cette réunion capitale, Andrew se réveilla reposé et calme. Dehors, les oiseaux chantaient, et de la petite rue résidentielle, sous sa fenêtre, lui parvenait une rumeur discrète et atténuée… Attendez, pas si vite. Reposé ?

Calme ? Une angoisse terrible l’étreignit soudain.

Il s’assit dans son lit et, ne pouvant supporter ses doutes plus longtemps, Andrew se força à vérifier son téléphone portable. Il l’avait réglé pour qu’il sonne à cinq heures. Mais l’écran du téléphone était noir. Vide. Était-il cassé ? Andrew l’examina de plus près, tandis que l’angoisse s’emparait de lui. Il avait oublié de brancher le chargeur. La batterie du téléphone était épuisée. Le cœur palpitant furieusement, le souffle court, il bondit de son lit et se précipita dans le couloir pour consulter l’horloge au mur. Il était 6 h 45.

Andrew Brown jura, bruyamment, longuement.

Mais ce n’était pas dramatique, à ce stade-là. Il avait prévu de se rendre à son bureau très en avance, aux alentours 18

Temps d’emprunt de 5 h 45, pour répéter une dernière fois sa présentation, pour vérifier que tous ses documents étaient en ordre. Il pouvait partir de chez lui sans plus attendre, avaler un toast sur le chemin de la gare, et arriver au bureau une demi-heure avant la réunion, qui devait avoir lieu à 8 h 30. Il était encore dans les temps.

Il regagna sa chambre à toute vitesse, se cogna durement le doigt de pied dans la table de chevet – mais peu importait, il n’avait pas de temps à perdre avec cette douleur insupportable.

Mon Dieu, était-ce du sang, là sur son orteil ? Devait-il mettre un pansement ? Inutile de s’attarder à ça. Il enfila des chaussettes, un pantalon, se rasa à la va-vite, mais pas au point de débarquer au bureau avec le visage lacéré. Bon, très bien, rasage OK, il passa ensuite le costume qu’il avait sorti de sa penderie la veille au soir, spécialement pour…

Qu’est-ce que c’était que ce truc ?

A ndrew, médusé, contempla son costume, précautionneusement disposé sur une chaise, à côté de sa table de chevet. Sur le pantalon, une tache d’eau se répandait inexorablement. Il mit précisément trente-huit secondes à comprendre que lorsqu’il avait heurté la table, il avait du même coup renversé son verre d’eau ; et le liquide s’était répandu sur le pantalon.

Pouvait-il porter autre chose ? C’était son plus beau costume, celui dont sa sœur Sara avait dit qu’il conférait à Andrew autant d’élégance que de crédibilité. Un coup de fer à repasser, alors. D’ailleurs, où avait-il bien pu ranger le fer ?

Andrew chercha dans quatre placards différents avant de mettre la main dessus. Il le brancha, et le toucha pour vérifier qu’il chauffait. Il se brûla. Il repassa son pantalon, jusqu’à la disparition de la tache. Son téléphone sonna. La réunion avait-elle commencé en avance ? Le bureau l’appelait-il 19

Doctor Who pour savoir ce qu’il fabriquait ? Andrew décrocha, tout en s’efforçant (d’une main et en sautillant) d’enfiler son pantalon.

— Andrew, c’est Sara. Je sais qu’il est tôt, mais j’étais sûre que tu serais déjà debout.

— Salut, frangine. Écoute, je…

Il avait une moitié de toast entre les dents, une jambe dans son pantalon, et avait coincé son portable entre son oreille et son épaule.

— Oui, je sais, Andrew : tu es débordé, et tu vas être en retard…

Tandis qu’il essayait de manœuvrer de sorte que son pied entre dans la seconde jambe de son pantalon, il perdit l’équilibre, percuta la planche à repasser, ce qui fit tomber le fer sur le tapis et le téléphone sur le sol, où il rebondit.

Andrew parvint à remonter son pantalon, à récupérer le fer, qui le gratifia au passage d’une autre légère brûlure à la main, à boucler sa ceinture et, enfin, à ramasser le téléphone et à le remettre à son oreille juste à temps pour entendre sa sœur demander : — Alors, Andrew, tu n’as rien à me dire ?

— Euh, je…

— J’attends.

— Je suis vraiment, vraiment en retard, en fait. Il faut vraiment que je… Pardon, mais il faut que je te laisse.

— D’accord. Donc, tu n’as pas envie de me souhaiter un bon anniversaire, par exemple ?

— Je… Andrew regarda son tapis : le fer chaud y avait laissé une marque noire. Il soupira. Il aurait dû s’en souvenir. Il avait prévu d’envoyer un bouquet. Avec une carte. Il avait même projeté d’acheter un cadeau.

20

Temps d’emprunt — Je suis désolé, petite sœur, sincèrement navré. Bon anniversaire. Je me rattraperai, d’accord ?

— Oui, oui, c’est ça. Et je transmettrai à ta nièce et ton neveu que tu comptes bien les revoir avant leur quarantième anniversaire, naturellement.

Andrew jeta un coup d’œil à sa montre. 7 h 03. Il avait un train à 7 h 11, ce qui le ferait arriver à la banque une bonne vingtaine de minutes avant le début de la réunion. La gare était à dix minutes de marche de chez lui. Il courut. Cinq minutes plus tard, il apercevait la gare ! Une rame était à quai ! Son train était en avance ! Andrew termina son trajet au sprint. Mais au moment où il se ruait entre les portes menant au quai, le train s’éloigna. Il vérifia l’affichage. Ce n’était pas le train de 7 h 11, mais celui de 6 h 48, qui avait du retard. Un décalage de vingt minutes était annoncé sur tous les départs.

Depuis une cabine téléphonique à l’intérieur de la gare, Andrew appela son bureau pour tenter de remédier à la situation. Mais personne ne répondit, et il laissa plusieurs messages. La réunion ne serait pas reportée pour ses beaux yeux. Lorsque finalement, il embarqua dans un wagon bondé, son cœur battait à cent à l’heure.

Farouchement cramponné à une barre, il ordonnait mentalement au train d’accélérer, comme si cela pouvait miraculeu­sement suffire.

Ensuite, il courut de sa station d’arrivée jusqu’au bureau.

Son plus beau costume, impeccablement repassé, était désormais imprégné de sueur. Andrew se dit que sa chemise n’avait pas dû sécher correctement après sa dernière lessive, car à mesure qu’il transpirait, une odeur de moisi montait du tissu. Il continua de courir. Lorsqu’il constata que les ascenseurs étaient en panne, il emprunta l’escalier pour 21

Doctor Who monter, quatre à quatre, au septième étage. Il surgit, haletant et en eau, malodorant et avec une tache à l’entrejambe (une trace éminemment douteuse, car elle trahissait que quelque liquide s’y était répandu.)

Il arriva juste à temps pour voir Sameera Jenkins, l’impec­ cable, la très élégante Sameera, conclure sa présentation.

Pour entendre le tonnerre d’applaudissements de la part de son supérieur, du supérieur de son supérieur, et de Vanessa Laing-Randall en personne. Andrew Brown parvint tout juste à se retenir de fondre en larmes.

Il essaya tout de même de faire sa présentation, même si on lui avait signalé que la réunion était pour ainsi dire terminée. Ses collaborateurs n’avaient plus le temps de l’écouter. Andrew les persuada de lui accorder cinq petites minutes, pour qu’il puisse leur présenter son travail.

Mais il n’avait pas eu le temps de vérifier que sa pré­­sen­ tation fonctionnait convenablement sur l’ordinateur de la salle de réunion. Les diapositives ne s’affichaient pas correctement. Là où un graphique représentant la croissance fiscale aurait dû apparaître, il n’y avait qu’un encart présentant le texte « insérer graphique croissance fiscale ». Là où Andrew avait espéré entendre, pour conclure sa présentation, une musique épique, l’ordinateur n’ouvrit pas le bon fichier, et l’on n’entendit qu’une longue note grave.

Qui ressemblait à s’y méprendre à un bruit de flatulence.

Il sentit des larmes lui piquer les yeux, et se dit que la pire chose à faire serait de montrer ses émotions devant tous ces cadres supérieurs – sans parler de Sameera Jenkins, qui arborait un sourire sournois. Alors, d’une voix étranglée, Andrew les remercia pour leur attention, et entreprit de regagner son bureau.

22

Temps d’emprunt Il s’assit dans son fauteuil et contempla ses rangées de dossiers, sans les voir ; car il ne voyait plus qu’une chose : les visages empreints de pitié de son auditoire, autour de la table en salle de réunion.

Et, soudain, sans qu’il ne puisse jamais par la suite se rappeler exactement comment cela était arrivé, Messieurs Symington et Blenkinsop avaient fait irruption dans son existence.

Ces deux hommes blancs, d’âge moyen, portaient des costumes de laine noire bien coupés et parfaitement identiques, et des chemises blanches finement rayées de bleu. L’un d’eux arborait une cravate vert sombre ; l’autre, une cravate bleu foncé. Leurs visages, rasés de près, étaient de ceux, parfaitement anodins et ordinaires, que l’on oubliait à l’instant où on ne les avait plus devant les yeux. Andrew Brown ne les avait pas entendus frapper, pas plus qu’il ne les avait invités à entrer. Ils avaient l’air de faire partie de ces gens qui n’avaient pas besoin d’être conviés où que ce soit, car ils étaient certainement chez eux partout.

— Bonjour, commença l’homme à la cravate verte, qui était un tantinet plus petit et plus mince que l’autre. Je me présente : M. Symington. Et voici mon associé.

— Bonjour, M. Andrew Brown, cher ami ! dit ensuite celui qui était un tantinet plus grand et plus épais que le premier, et qui portait la cravate bleue. M. Blenkinsop, pour vous servir.

— Euh, oui, bonjour, bredouilla Andrew.

— Enfin, « bonjour », c’est un vœu pieux, car nous avons appris que votre matinée a été tout sauf bonne, M. Brown, dit M. Symington.

23

Doctor Who — Effectivement, renchérit M. Blenkinsop. Nous sommes vraiment navrés d’aborder ce sujet, sincèrement confus de soulever cette douloureuse question, mais telle est la réalité : nous avons tous connu notre lot de mauvaises matinées, M. Brown.

— Je n’aurais pas mieux dit, M. Blenkinsop, poursuivit M. Symington. Les mauvaises matinées sont un fléau extrêmement fréquent. C’est pour cela que le service que nous proposons est si précieux.

— Un service ? ne put s’empêcher de rebondir Andrew.

— Nous vous remercions de poser la question, M. Brown, nous vous en remercions du fond du cœur, répondit M. Symington. N’est-ce pas, M. Blenkinsop ?

— Très certainement, M. Symington. Car voyez-vous, nous représentons un consortium – c’est bien cela, M. Brown, un groupe de professionnels réunis par une même vision du travail, des professionnels qui ont, passez-moi l’expression, du temps à revendre. Des gens qui ont, en quelque sorte, du temps à ne savoir qu’en faire, c’est bien cela M. Symington ?

— C’est exactement cela, M. Blenkinsop, exactement.

Oui, voyez-vous, nos collègues – j’entends par là, les membres de ce consortium de professionnels des affaires, évoluant dans les plus hautes sphères, que nous représentons – sont prêts à vous faire, dès aujourd’hui, une offre dépassant vos rêves les plus fous. Vous m’avez bien entendu. Au sens propre, elle va au-delà de vos rêves les plus fous et les plus fantaisistes, qui ont pu bercer votre sommeil après un dîner entièrement constitué de brie, de camembert et de cheddar extra-fort du Wisconsin.

Les deux hommes rirent, parfaitement à l’unisson.

Puis, M. Symingon reprit : — Comment vivriez-vous, si vous pouviez disposer quand bon vous semble d’une heure supplémentaire ?

24

Temps d’emprunt Vous ne rêvez pas, j’ai bien dit une heure, pour jouer au golf, peaufiner le dossier qu’attend votre patron, passer un bon moment avec votre petite amie, ou votre petit ami – nous ne voudrions surtout pas que vous pensiez que nous exerçons la moindre forme de discrimination, n’est-ce pas, M. Blenkinsop ? – ou tout simplement, pour faire la grasse matinée. Pouvez-vous l’imaginer, M. Blenkinsop ?

— Oh, mais très certainement, je l’imagine fort bien, M. Symington. Rendez-vous compte. Chaque homme, chaque femme d’affaires ne le sait que trop : parfois, une heure avant le petit déjeuner en vaut trois en plein aprèsmidi. Aujourd’hui, par exemple. Ne renonceriez-vous pas avec joie et sans hésiter un instant, au reste de cette journée, si en échange vous pouviez bénéficier de deux heures supplémentaires ce matin ? Imaginez, si vous pouviez organiser votre temps de cette manière ! (M. Blenkinsop flanqua un coup de coude appuyé dans les côtes d’Andrew.)

Je me demande bien ce qui pourrait encore vous empêcher de gravir tous les échelons jusqu’au sommet, M. Brown !

Andrew regarda fixement les deux hommes, hébété.

Quelque chose n’était pas tout à fait normal, dans leur apparence – pas dans leurs vêtements, qui étaient des complets sobres, très classiques parmi les employés de bureau –, mais dans leur personne même. Leurs contours étaient un peu flous. Leurs traits se brouillaient chaque fois qu’Andrew tentait d’y concentrer son attention. C’était vraiment une sensation des plus troublantes.

— Écoutez, dit-il, j’ai du travail par-dessus la tête, et cette journée a déjà été assez catastrophique comme ça. Vous avez quelque chose à me vendre ? Un livre sur la gestion du temps de travail, quelque chose comme ça ?

25

Doctor Who Messieurs Symington et Blenkinsop se regardèrent en souriant, avant de se retourner vers Andrew.

— Mieux que cela.

— Oh oui, bien mieux que cela.

— M. Brown, nous proposons de vous prêter du temps.

— C’est exact, M. Brown. Nous pouvons vous prêter tout le temps dont vous avez besoin. Tout le temps que vous pourrez occuper. Tout le temps que vous pourrez jamais désirer.

— Nous pouvons vous prêter assez de temps pour que vous ayez parfaitement terminé votre présentation pour la réunion de ce matin. Du temps à passer en famille, avec des amis. Le temps qui vous permettra de dépasser… j’ai son nom sur le bout de la langue, M. Blenkinsop.

— Sameera Jenkins, M. Symington. Une infecte petite arriviste, tout l’opposé de notre bon ami M. Brown.

— Si vous voulez mon avis, elle aura bien mérité ce qui va lui tomber dessus. Ce que M. Brown va lui faire. Il a besoin d’un petit coup de pouce, rien de plus. Bien sûr, M. Brown, vous comprendrez aisément que ce temps emprunté devra un jour être remboursé.

— Mais cela à un taux d’intérêt dont vous conviendrez certainement qu’il est plus que raisonnable, marmonna très rapidement M. Blenkinsop, un peu trop vite pour qu’Andrew saisisse tout.

— Imaginez l’impact que cela pourrait avoir sur votre carrière. Tout le temps que vous voulez, M. Brown, sim­­­ plement en appuyant sur un bouton.

Ils marquèrent une pause. Les deux hommes fixèrent Andrew du regard, comme pour le mettre au défi de les traiter de menteurs. Et, soudain, Andrew Brown fut pris d’une terrible colère. Il était là, en train de vivre la pire 26

Temps d’emprunt journée de sa vie, et ces deux petits rigolos venaient le prendre pour un idiot.

— Me prêter du… Mais qu’est-ce que vous racontez ?

Bon, comment êtes-vous entrés ? Qui êtes-vous ? Vous avez intérêt à me montrer une pièce d’identité, ou je vous préviens : j’appelle la sécurité !

— Il ne nous croit pas, M. Symington.

— C’est souvent le cas, M. Blenkinsop.

— Je pense qu’une démonstration s’impose, M. Symington.

— Indubitablement, M. Blenkinsop.

De sa poche arrière, M. Symington tira ce qui lui permit de faire sa démonstration. Et bientôt, tout devint parfaitement limpide pour Andrew Brown.

Chapitre 2

A

my avait l’impression que ce coucher de soleil durait depuis environ cinq siècles. Elle continua de le contempler. Rory avait passé un bras autour de ses épaules, et ils étaient blottis l’un contre l’autre, sur une grande couverture qui leur avait servi de nappe à pique-nique. Ils se trouvaient sur une plage de sable blanc aux accents platine.

De petits crabes aux reflets bleu-vert trottinaient au bord de l’eau. La Terre du 51e siècle était incontestablement plus propre que celle de l’époque d’Amy : pas l’ombre d’un détritus à l’horizon. Plus loin du rivage, un dauphin bondissait de temps en temps sur les flots, comme pour célébrer le simple bonheur d’être en vie. Le soleil déclinant jetait des éclats d’ocre et d’ambre, et emplissait le ciel d’une magnifique lumière chaude, renvoyée par les vaguelettes. Même le parfum qui flottait dans l’air était délicieux, entêtant de noix de coco et de fleurs tropicales. C’était, pour autant qu’Amy put en juger, le lieu le plus romantique à travers l’immensité du temps et de l’espace. Et elle s’ennuyait ferme.

— Depuis combien de temps on regarde le soleil se coucher, en tout ?

Rory grimaça.

— Le but, c’est justement de ne pas penser au temps qui passe, Amy. Il faut juste… se détendre, déclara-t-il en 28

Temps d’emprunt prenant une grande inspiration, avant d’expirer longuement.

Imprègne-toi du moment.

Amy agita les épaules. Elle cessa de contempler le coucher de soleil et d’observer les crabes minuscules qui s’ébattaient à ses pieds. Elle se tourna vers Rory, et le considéra avec insistance.

— Sérieusement, dit-elle lentement. Combien de temps ?

Elle plongea ses yeux dans ceux de son mari, sans jamais battre des paupières. C’était un jeu auquel ils se livraient depuis qu’ils étaient enfants. Qui tiendrait le plus longtemps ? Amy avait toujours gagné.

Rory cligna. Il n’avait même pas joué le jeu.

Il dirigea son attention vers l’Appareil Photo Ultra Romance Plus : Mettez le Bonheur en Boîte ! ™ qu’il avait posé à portée de main, sur la couverture.

— Euh, fit-il, hésitant, je crois que ça a commencé il y a à peu près trois heures, non ?

Oui, ce coucher de soleil-ci, environ trois heures.

— Trois heures ?

Amy se leva brusquement et fonça, d’un pas décidé, vers le bord de leur Bulle d’Ultra Romance, là où l’air était subtilement trouble, et légèrement scintillant. Elle y flanqua un grand coup de pied, et la Bulle d’Ultra Romance vacilla mollement – faisant du même coup onduler la vue du couchant infiniment prolongé. La Bulle était large d’une vingtaine de mètres et haute de quarante, environ, à son point culminant. Un volume appréciable, idéal pour passer de bons moments. À condition de ne pas rapidement mourir d’ennui.

— Et combien de temps va-t-il encore durer ?

Rory consulta son Appareil Ultra Romance Plus.

29

Doctor Who — Ce n’est pas indiqué. Je… je pense que c’est censé être une surprise ? répondit-il d’une voix de plus en plus aiguë.

Amy poussa un grognement et se jeta dramatiquement sur le dos, sur la couverture. Rory lui tendit une main réconfortante.

— C’est censé être romantique, reprit-il. Toi, moi, un moment unique prolongé des heures et des heures, pour qu’on puisse en profiter au maximum, dans notre petite bulle rien qu’à nous… et… tu te plaignais beaucoup moins, l’autre jour, quand on a…

Le cerveau du jeune homme parvint enfin à transmettre un message capital à sa bouche : « Tais-toi. Vite. » Amy observa la main de son mari, juste au-dessus de son épaule.

Il se demanda sérieusement si elle allait le mordre.

Elle s’assit.

— Non, Rory, je ne me suis pas plainte parce que l’autre jour, ça ne me gênait pas. Et c’est vrai que c’était intéressant, quand on a figé le banc de poissons sauteurs en plein vol, et c’était exaltant, quand on s’en est servi pendant notre saut en parachute – mais oui, je me plains de ce coucher de soleil qui dure depuis trois satanées heures ! D’accord ?

— Oui, répliqua-t-il, tête basse.

L’Appareil Photo Ultra Romance Plus : Mettez le Bonheur en Boîte ! ™ émit un clic, figeant une minute supplémen­ taire de temps parfaitement préservé. Puis, son petit écran afficha une publicité : « Vous voudriez que vos instants les plus précieux durent plus longtemps ? Grâce à l’Appareil Photo Ultra Romance Plus, et à sa technologie brevetée de génération de Bulle Temporelle, chaque minute sera aussi longue qu’une journée ! Équipé d’une batterie Perpétuelle Éternité à radiation cosmique garantie à vie, votre appareil n’aura jamais besoin d’être rechargé ! Emmenez-le 30

Temps d’emprunt partout : à la plage, à la découverte des fonds marins, et même au sommet de la Tour de l’Ascension, à New York !

Fonctionnement optimal garanti jusqu’à une altitude de 2 750 mètres au-dessus du niveau de la mer ! Les moments de votre vie sont trop précieux pour les laisser filer entre vos doigts. Vivez-les à 100 % grâce à l’Appareil Photo Ultra Romance Plus, inventé sur Terre en 5044, et désormais prisé par des milliards d’utilisateurs comblés sur plus de trente planètes à travers toute la galaxie ! Avec l’Appareil Photo Ultra Romance Plus, mettez le bonheur en boîte… pour toujours. » Des vacances romantiques sur Terre, au 51e siècle. Cela avait pourtant semblé être une si bonne idée, lorsque le Docteur l’avait suggéré. « Voilà qui vous donnera l’occasion de découvrir l’avenir de votre espèce », avait dit le Seigneur du Temps. « Car c’est bien là le but final de tout ce concept de… (Le Docteur avait fait de grands gestes vagues)… d’amour, non ? » Lui-même avait eu quelques affaires à régler, aussi avait-il promis de passer les récupérer… « Disons… dans trois semaines, est-ce que ça vous convient ? » Trois semaines, ce n’était même pas la moitié du temps qu’aurait voulu Rory. Il était avec sa femme, sur Terre, dans le futur, et en vacances. Aucun monstre ne les pourchassait.

Il leur faudrait sans doute plus de trois semaines, rien que pour s’habituer à la conduite de voitures volantes, et au goût de l’air non pollué. Sans parler du temps qu’ils voudraient passer ensemble, sans le Docteur. Alors lorsque la jeune femme souriante du bureau d’information – vraiment très avenante et très aimable, aussi bien avec lui qu’avec Amy, car cela semblait aller de soi en 5087 – avait expliqué à Rory qu’il existait un moyen de prolonger leur séjour autant qu’ils le souhaiteraient, il n’avait pas hésité une seconde.

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Doctor Who Cela remontait à six jours. En temps extérieur, en tout cas. Mais à chaque fois que les jeunes mariés utilisaient l’Appareil Photo Ultra Romance Plus, ils généraient une bulle temporelle autour d’eux. La représentante avait expliqué qu’à l’intérieur de la bulle, le temps s’accélérait, et donc, relativement, tout ce qui se déroulait à l’extérieur semblait se passer au ralenti. D’où le saut en parachute où l’on avait l’impression que l’on tombait trente minutes avant de toucher terre, la plongée sous-marine où l’on passait des heures à admirer les poissons qui ondulaient avec une extrême lenteur. Et d’où le coucher de soleil. Le long, très long coucher de soleil.

Amy donna un nouveau coup de pied, dans le sable cette fois, tandis que Rory feuilletait le guide de voyage électronique intitulé Les plus beaux panoramas sur Terre qu’on lui avait remis à la réception de l’office du tourisme local.

Toutes les grandes villes de la Terre y étaient répertoriées, de même que les montagnes, les lacs, les plages délicieusement lisses de l’Ancienne Tokyo. Hmmm. Il n’avait encore jamais remarqué cette sous-partie : « Plages : attention danger ».

Rory entreprit de la lire. Pendant ce temps, huit petits crabes grimpèrent le long de sa jambe.

— Amy… dit-il après quelques minutes, que représente ce panneau d’après toi ?

Il désigna du doigt un panneau situé environ deux cents mètres plus loin, sur la plage. Amy plissa les yeux. Sur le panneau animé, elle distingua plusieurs petites formes imprécises, qui bougeaient à l’intérieur d’un cercle rouge.

— Je verrais beaucoup mieux sans ce machin qui déforme tout ! pesta-t-elle en frappant de nouveau la bulle du pied.

— Tu ne trouves pas qu’on dirait… un tas de petits crabes ?

— Ah, oui ! C’est ça !

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Temps d’emprunt Dans un petit trou dans le sable, à la limite de leur couverture, grouillait une trentaine de petits crabes-gemmes scintillants.

Rory montra à sa femme la page correspondante dans son guide de voyage, qui affichait le texte suivant : « Crabes mutants à reproduction spontanée. Une espèce d’une grande beauté, mais qui peut parfois gâcher les escapades à la plage. Ils sont un vestige nous rappelant les manipulations génétiques débridées auxquelles s’adonnaient les Terriens du siècle dernier. Ces crabes ont été créés pour ronger et percer les coques jusqu’alors indestructibles des navires mobilisés lors de la Cinquième Guerre mondiale.

Ils se nourrissent de silice, la plage est donc leur habitat naturel. Ils sont le plus souvent inoffensifs. Cependant, s’ils se retrouvent en espace clos, ils commenceront à se reproduire très rapidement, et leur nombre doublera toutes les cinq minutes. Il est donc capital de ne pas dresser de tente sur un de leurs nids – si toutefois vous constatez que vous avez commis cet impair, démontez immédiatement la tente, sans quoi vous risquez de méchantes morsures de la part de cette horde de crustacés. » Alors qu’Amy achevait de lire le passage, Rory pointa du doigt le nid de petits crabes iridescents. Régulièrement, une nouvelle pince se mettait à pousser sur un crabe, puis une seconde, puis un bout de carapace, pour finalement former un nouvel individu entier qui restait joint un instant au premier avant de s’en séparer.

— Toutes les cinq minutes, ils sont deux fois plus nombreux ? demanda Amy. Son mari acquiesça.

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Doctor Who Soudain, la carapace de l’un des crabes se déplia, et deux ailes, semblables à celles d’une coccinelle, surgirent sur son dos – aussitôt, il s’envola.

— Parce qu’en plus ils volent ? s’exclama la jeune femme.

Comme pour lui répondre, six ou sept autres crustacés décollèrent, pour tourner en rond dans la bulle temporelle, aussitôt saturée par un fort bourdonnement. L’un d’eux heurta la paroi de la bulle, et se divisa immédiatement en deux crabes distincts.

— Quand est-ce qu’elle s’ouvre, ta bulle ? hurla Amy. Dans le nid situé au bout de la nappe de pique-nique, il n’y avait plus cinquante, mais cent crabes-gemmes. Ou deux cents. De minute en minute, ils étaient de plus en plus nombreux à déployer leurs ailes, percuter la bulle et se dédoubler. Un crustacé voleta vers Amy, qui le repoussa d’un geste et poussa soudain un cri de douleur. Le crabe avait laissé une longue entaille sur le bras de la jeune femme.

Un essaim entier volait désormais dans la bulle tem­­­ porelle, et le bourdonnement revêtait une note de colère à mesure que les crustacés en percutaient les parois translucides.

— Rory ! cria Amy à travers le vrombissement agacé et assourdissant des crustacés, quand est-ce qu’elle s’ouvre ?

— Je n’en sais rien ! hurla le jeune homme, au moment où l’essaim fit demi-tour pour se diriger vers eux.

Rory attrapa le parasol pour tenter de les tenir à distance.

Mais leurs pinces acérées, conçues pour trancher la silice, le mirent en lambeaux.

Amy se mit à fouiller dans son sac de plage, et finit par mettre la main sur son téléphone portable.

— Qu’est-ce que tu fais ? cria Rory.

— J’appelle le Docteur ! répliqua-t-elle.

— Mais, attends… on peut…

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Temps d’emprunt L’essaim se cogna une nouvelle fois dans la bulle, et se dédoubla.

Rory avait été sur le point de dire qu’ils pouvaient très bien s’en sortir tous seuls. C’était le plus souvent à lui d’en convaincre Amy. En effet, elle trouvait toujours de très bonnes raisons d’appeler le Docteur : ils s’étaient égarés, elle était trop fatiguée pour redescendre la colline à pied, la planète était envahie par des éponges géantes, le vaisseau allait exploser dans une heure… Aussi avaient-ils instauré une règle : avant qu’elle n’ait le droit d’appeler le Seigneur du Temps, ils devaient en parler ensemble. Mais dans une situation aussi épineuse…

— On était censés passer des vacances rien que tous les deux…

Il ne put en dire davantage : l’essaim fondait à nouveau sur lui. Désormais armé de la couverture, Rory repoussa tant bien que mal les crabes volants. Hélas, les crustacés la réduisirent à néant, elle aussi. Plus que deux ou trois dédoublements, et il n’y aurait même plus d’essaim, mais tout simplement une bulle pleine de crabes scintillants très énervés aux mandibules menaçantes, avec Amy et Rory pour seules proies.

— D’accord ! Appelle-le !

Amy n’avait même pas eu le temps de composer le numéro, mais le bruit retentit tout de même. Ce bruit était avec eux, dans la bulle, et rebondissait contre ses parois, qu’il faisait vibrer.

V-worp, v-worp, v-worp — Tu l’as appelé ? hurla Rory.

L’essaim se trouvait dans la partie de la bulle d’où prove­ nait le bruit. Confus, les crabes tentèrent de s’envoler vers le ciel pour s’en éloigner.

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Doctor Who — Il a peut-être un capteur, cria-t-elle en réponse, qui le tient au courant quand je suis vraiment morte de peur !

Et dans un ultime souffle grinçant, le Tardis se matéria­ lisa. Le nuage de crabes-gemmes attaqua aussitôt sa structure externe avec gourmandise. Rory se demanda combien de millisecondes cela permettrait de faire diversion.

La porte s’ouvrit.

— Certainement pas, dit le Docteur, je ne suis pas du genre à passer mon temps à mesurer l’état émotionnel des gens, ce serait bien trop indiscret. Et je ne vous parle même pas des électrodes et autres implants. Non, ce serait vraiment trop salissant. Et ce genre de chose a tôt fait de virer au cauchemar. D’ailleurs, rappelez-moi de ne jamais vous parler des extensions capillaires télépathiques, très à la mode sur Cerpris Beta, juste avant l’effondrement absolu de cette civilisation. Bref, de quoi parlions-nous ? Ah oui, bien sûr : alors, avez-vous passé de bonnes vacances ? En trois semaines, vous devez avoir eu le temps d’acheter quelques souvenirs, non ? Vous êtes prêts à partir pour de nouvelles aventures ? (Soudain, il remarqua les créatures iridescentes qui recouvraient la coque de son Tardis. La cabine avait d’ailleurs l’air incrustée de strass, comme si elle avait été revisitée par Damian Hirst, ou quelque autre artiste friand de tout ce qui brille.) D’où sortent ces crabes ? Vous vous êtes fait de nouveaux amis ?

— Docteur ! s’exclama Amy en courant prendre le Seigneur du Temps dans ses bras. Comment avez-vous deviné qu’on était en danger ?

— En danger ? À cause de ces petites bêtes ? s’étonna le Docteur. Elles n’attaquent que lorsqu’elles se trouvent dans un espace fermé. Sans ça elles sont parfaitement inoffensives.

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Temps d’emprunt Il tendit la main pour caresser la carapace de l’un des crustacés ; celui-ci lui pinça le doigt, où perla une goutte de sang.

— Aïe ! s’exclama le Seigneur du Temps avant de lever les yeux, et de regarder tout autour de lui. Ah, mais nous sommes dans un espace fermé. Pourquoi avez-vous fait ça ?

Vraiment, quelle sottise ! Vous n’avez pas vu les panneaux d’avertissement ?

— Ça… ne fait… pas… trois… semaines ! intervint fortement Rory.

Ses bras étaient lacérés par les crabes, mais il était hors de question qu’on le prive de la moindre minute de ses précieuses vacances avec Amy. Le Docteur sortit de sa poche une énorme montre de gousset. Rory constata, à son grand dam, qu’au dos de la montre étaient gravés les mots : « Rory et Amy Pond ». Le Seigneur du Temps consulta le cadran.

— « Pas trois semaines », comment ça, « pas trois semaines » ? Bien sûr que si, Rory. Le temps file, quand on s’amuse, mais je vous assure que cela fera trois semaines dans très précisément… (Il marqua une pause, regarda sa montre, attendit qu’une des aiguilles avançât d’un chiffre au suivant.)

Maintenant ! J’espère que vous ne vous êtes pas empiffrés de crème glacée et de bonbons. Je vous serais reconnaissant de ne pas être malades à bord pendant que je vous ramène à la maison. Enfin, la maison… façon de parler. Quelle sera notre prochaine destination ? Pas Cerpris Beta, en tout cas.

Et surtout, méfiez-vous de leurs coiffeurs.

— Docteur ! rugit Amy pour tenter d’interrompre ce déluge de paroles incohérentes. Ça ne fait pas du tout trois semaines ; ça ne fait que six jours !

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Doctor Who À cet instant précis, les crabes qui venaient manifestement de décider, d’un commun accord, que le Tardis n’était finalement pas comestible, décollèrent bruyamment de sa coque.

— Ah, mais suis-je bête ! répondit le Docteur. Le moment est venu de désintégrer votre… je ne sais trop quoi, et de libérer ces pauvres petites créatures, dit-il en poussant prudemment du doigt la paroi de la bulle.

— On ne peut pas ! hurla la jeune femme par-dessus le vacarme. C’est une bulle temporelle, et nous sommes coincés dedans !

Elle tendit brusquement l’Appareil Photo Ultra Romance Plus en plastique rose au Seigneur du Temps, qui l’examina rapidement.

— Hmmm, je vois. Ça ne fait que six jours en temps terrestre, mais dans votre espace-temps subjectif… ça fait trois semaines.

Au-dessus de leurs têtes, l’essaim se dédoubla. La nuée sembla cracher et rugir d’impatience, avant de monter aussi haut que possible à l’intérieur de la bulle. Puis, les crabes commencèrent à s’abattre sur eux, comme une vague tapa­­ geuse de crustacés rageurs aux pinces mortellement acérées.

Le Docteur tira le tournevis sonique de la poche de sa veste et le pointa sur l’Appareil Photo Ultra Romance Plus, qui émit une série de petites notes aiguës que Rory n’avait encore jamais entendues. Subitement, la bulle temporelle s’effondra – et tout aussi subitement, l’essaim de crabes courroucés changea de direction pour s’envoler dans le ciel, avant de se disperser sur la plage. Il ne restait plus qu’un unique petit crabe scintillant parfaitement inoffensif, aux pieds d’Amy. Le Seigneur du Temps lança l’appareil photo à Rory.

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Temps d’emprunt — Vous devriez le garder, ça peut toujours être utile, ce genre de petit gadget.

Le jeune homme le rattrapa gauchement, et le glissa dans sa poche. Puis, il marmonna à Amy : — Et maintenant, est-ce qu’on peut reprendre nos vacances ?

— Oh ! s’exclama le Docteur. Je vous ai apporté un cadeau de mariage. Je sais qu’il arrive avec un peu de retard, mais bon, vous savez ce que c’est… Une chose en entraîne une autre, et c’est fou comme le temps passe vite quand on doit sauver une planète d’une invasion d’extensions capillaires maléfiques.

— Un cadeau ? répéta Amy. Pour moi ? Enfin, je veux dire… (Elle lança un regard en coin à son mari.) Pour nous ?

Qu’est-ce que c’est, Docteur ? Un gadget super high-tech complètement hallucinant ? Ou un joyau ancien ? Ou… Oh, je ne tiens plus, qu’est-ce que c’est ?

— C’est bien mieux que tout ça, répondit le Seigneur du Temps avec un sourire satisfait. Je pense pouvoir affirmer que rien, dans l’histoire de votre espèce, n’a jamais eu autant de valeur.

— Quoi ? dit Rory. C’est un morceau de roche lunaire, comme celle qui est exposée dans ce musée américain ?

— De la roche lunaire, pouah ! J’en ai des tas entiers dans l’un des sous-sols du Tardis, qui remontent à l’époque où je m’étais mis en tête d’y installer des rues pavées. Non, non, c’est bien plus onéreux que ça…

— Il y a des… des sous-sols, dans le Tardis ?

— Les bijoux de la Couronne ? essaya Amy. Vous nous offrez les bijoux de la Couronne en cadeau de mariage ?

— Encore mieux.

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Doctor Who Le Docteur se volatilisa brièvement avant de revenir en cachant quelque chose dans son dos. Puis, il le tendit aux jeunes mariés.

— Ta-da !

C’était une plante en pot. Une fort jolie plante. Une tulipe, aux pétales richement teintés, et finement rayés.

Le pot n’était pas vilain, lui non plus. Amy et Rory se regardèrent, avant de se retourner vers le Docteur.

— Vous nous avez rapporté une… tulipe ? demanda le jeune homme.

— Docteur, si vous vous êtes arrêté vite fait en route à la seule station-service temporelle que vous avez trouvée pour nous acheter une plante verte, dites-le tout de suite.

Le visage du Seigneur du Temps se décomposa. L’espace d’un instant, il eut l’air très triste, et très vieux.

— Ne savez-vous donc pas de quoi il s’agit ? Ignorez-vous que, à l’apogée de sa renommée et de sa valeur, un seul bulbe de cette tulipe extrêmement rare, tout à fait particulière et pour ainsi dire quasiment unique, vous aurait coûté plus que… Comment s’appelle cet endroit où vous entreposez toutes vos vieilles reliques à but principalement décoratif ?

Vous savez, celles qui coûtent si cher à entretenir ?

— Euh, le British Museum ? supposa Rory.

— Buckingham Palace ! Oui ! Un seul bulbe de cette magnifique tulipe panachée aurait valu plus cher que Buckingham Palace ! Enfin, concéda-t-il, peut-être pas tout à fait, mais pas loin ! Un jour, quelqu’un a payé deux tonnes de beurre, mille livres de fromage et douze moutons gras pour cette fleur ! Et je ne vous parle pas du reste !

Rory et Amy regardèrent fixement la tulipe, avec certes un tout petit peu plus de respect, mais guère plus de compréhension.

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Temps d’emprunt — Sincèrement, est-ce que vous ne connaissez vraiment rien de l’histoire de votre espèce ?

Amy cligna des yeux.

— Je n’ai pas pris l’option histoire, au lycée. J’ai fait espagnol.

— Très bien ! tonna le Docteur en tournant les talons pour entrer dans le Tardis d’un pas résolu. Suivez-moi !

Et ils le suivirent, perplexes, jusqu’à la console centrale.

Rory emporta le sac d’Amy. Quelque chose lui disait qu’ils ne reverraient pas la plage de sitôt.

— Les bulles ! s’écria le Docteur. Tout est question de bulles !

— Comme dans l’hymne des supporters ?1 osa Rory.

— Non, Rory, comme dans les affaires d’argent. C’est bien là l’obsession de votre espèce : en gagner, l’économiser, l’emprunter, le dépenser. Car l’argent est le meilleur support jamais conçu pour la cupidité. Honnêtement, je dois vous dire que vous êtes tous parfaitement irrationnels. Vous voulez toujours croire que vous pouvez avoir des choses pour rien, qu’il existerait une sorte de principe magique…

— Du genre qui fait apparaître des Docteurs débraillés dans des cabines magiques ? intervint Amy. — Non, pas de ce genre-là, au contraire. D’ailleurs, je vais vous emmener dans un endroit où vous constaterez à quel point ça n’a rien à voir. Amy, est-ce que tu vois cette tulipe ?

La jeune femme observa la tulipe. C’était une tulipe.

Avec des pétales jaunes rayés de rouge et aux bords froncés, et une longue tige verte. Une tulipe.

— Oui. 1. « I’m Forever Blowing Bubbles » : chanson populaire des années 1920, devenue l’hymne des supporters du club de foot de West Ham United.

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Doctor Who — Sais-tu pourquoi les bulbes de cette tulipe ont atteint une telle valeur ?

— Non. — Eh bien parce que, Amy… (Il approcha son visage de celui de la jeune Écossaise.) Des gens ont cru que d’autres estimaient qu’elle valait ce prix. Ils ont cru qu’ils pourraient la revendre plus cher qu’ils ne l’avaient achetée. Ils ont cru que le marché des bulbes de tulipe était si porteur que les prix continueraient de grimper, à tout jamais.

— Mais… Ce n’est qu’une fleur.

— C’est exactement là que je veux en venir ! La morale de cette histoire, c’est que vous autres, humains, n’approchez pas ces choses de manière rationnelle. Et c’est pour cela…

(Il enfonça avec emphase les touches d’un clavier raccordé à la console du Tardis.) Oh oui, très bien, j’ai justement en tête un exemple édifiant de ce genre de raisonnement, et pile à votre époque ! Nous allons assister à l’effondrement d’une banque ! déclara le Docteur en les englobant tous trois dans un geste théâtral.

— On va dans une banque ? demanda Rory.

— Mais pas n’importe laquelle, répliqua le Seigneur du Temps en abaissant un levier. Nous nous rendons sur les lieux de la pire faillite bancaire que votre espèce ait jamais connue ! À la Lexington International Bank !

Avec des gestes si expansifs qu’ils le firent tourner sur lui-même, le Docteur appuya sur deux boutons, tourna une manivelle et tira sur une bielle. La colonne centrale du Tardis commença à monter et à descendre. Ils étaient en route.

— Je suppose que les vacances sont terminées, alors, conclut Rory.