Battlefield 4 : Compte à rebours - extrait

Une nuit glaciale, à la frontière nord-coréenne.

L’agent de la CIA Lazlo Kovic y mène une mission organisée en coopération entre Chinois et Américains.

Direction, l’enfer. Les soldats américains sont tous massacrés, et les guides chinois s’évaporent. Seul Kovic en réchappe.

De retour à Shanghai, tandis que ses supérieurs s’interrogent sur sa survie miraculeuse, Kovic rêve de vengeance. Il a perdu trop d’amis au cours de cette mission. Il décide donc de réunir une équipe composée de l’élite des ombres chinoises : un hacker, un voleur de génie et un ex-sniper olympique, afin de révéler une conspiration qui remonte jusqu’aux plus hautes strates des gouvernements chinois et américain.

C’est ainsi qu’il va découvrir une machination atroce, qui menace de précipiter le monde dans le chaos…

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Inédit

9 782811 211219

Traduit de l’anglais (Grande-Bretagne) par Claire Jouanneau Illustration de couverture : © Johannes Helje © 2013 Electronic Arts Inc. ISBN : 978-2-8112-1121-9

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Du même auteur, chez Milady : Battlefield 3 : Le Russe (avec Andy McNab) Battlefield 4 : Compte à rebours

Ce livre est également disponible au format numérique

www.milady.fr

Peter Grimsdale

Battlefield 4

Compte à rebours Traduit de l’anglais (Grande-Bretagne) par Claire Jouanneau

Milady

Milady est un label des éditions Bragelonne

Titre original : Battlefield 4: Countdown to War Originellement publié par Orion Publishing Group Ltd. Battlefield 4 © 2013 Electronic Arts Inc. Battlefield 4 and the DICE logo are trademarks of EA Digital Illusions CE AB. EA and the EA logo are trademarks of Electronic Arts Inc. All rights reserved. © Bragelonne 2013, pour la présente traduction ISBN : 978-2-8112-1121-9 Bragelonne – Milady 60,62, rue d’Hauteville – 75010 Paris E-mail : info@milady.fr Site Internet : www.milady.fr

Remerciements Pour leurs inestimables avis de spécialistes : Brad Auerbach et Dean Morris aux États-Unis, James Thorniley à Shanghai et Karen Stirgwolt à Dulwich.

Pour le travail appliqué et enthousiaste de relecture et de correction : Julian Flanders.

Pour son soutien indéfectible : Sophie Doyle Pour avoir rendu tout cela possible : John Wood et son équipe d’Orion, et Mark Lucas, mon merveilleux agent.

Pour avoir inventé un univers si riche avec lequel travailler et m’avoir donné la liberté de jouer avec, mes remerciements et mon respect aux créateurs de Battlefield : DICE et EA. Et pour finir, merci à ma femme Stephanie d’avoir lu et relu Compte à rebours et pour sa franchise.

Pour Martin

Chapitre premier

Frontière Chine-Corée du Nord

L

e mur de barbelés s’étendait sur plus de mille quatre cents kilomètres. Il faisait trois mètres cinquante de haut, et était soutenu tous les quatre-vingt-dix mètres par un poteau de béton, qui se divisait au sommet pour former un Y et doubler la rangée de rasoirs. Le message était clair : « Interdiction de passer. » Kovic regrettait de l’avoir ignoré.

Il regarda la frontière disparaître sous eux, à peine visible en raison de l’obscurité et de la condensation sur les hublots du Sea Hawk, qui gelaient déjà. Olsen, le chef des marines, appuya son micro contre ses lèvres, le visage rendu verdâtre par les lumières émanant des instruments.

— Vous allez peut-être provoquer la prochaine guerre de Corée.

L’expression d’Olsen disait tout le bien qu’il pensait de la CIA. C’était censé être la grande réussite du chef de la base. « Ne vous plantez pas, avait dit Cutler à Kovic. La MaisonBlanche appellera pour vous féliciter en personne. Feu de Route est notre plus beau coup depuis Ben Laden. » Combien de fois avait-il entendu cela ? Cutler venait d’arriver dans la région, il était impatient de se faire connaître, la Chine n’était qu’un arrêt de l’ascenseur qui menait au septième étage de Langley.

9

« Nous avons tout arrangé avec Pékin, ils sont avec nous.

Première mission sous couverture sino-américaine. Quel dommage de ne pas pouvoir en informer le monde entier ! » Kovic savait que les Chinois s’y seraient opposés. Ils préféraient rester dans l’ombre. Pékin leur avait donné un coup de main, ils leur avaient fourni une position avancée avec de quoi faire le plein de l’hélicoptère, et avaient fait en sorte qu’une coupure de courant plonge dans le noir un corridor de cinquante kilomètres menant dans les terres de Corée du Nord, dix minutes avant qu’ils n’arrivent à la LZ. Il tapota la glace sur la vitre près de lui. Un morceau se détacha, révélant le néant sombre. Quelques traînées nuageuses basses passèrent en un éclair. Le Sea Hawk rua comme il virait brutalement sur la gauche, projetant les marines hors des fragiles chaises de pique-nique qu’ils avaient apportées pour le trajet. Le pilote lança un cri de joie.

— Doucement, Tex. On n’est pas au rodéo.

Kovic aurait voulu le faire avec ses propres agents, sélectionnés à Shanghai, mais le chef avait refusé. « Feu de Route s’attend à voir débarquer John Wayne, s’il voit arriver un groupe de Chinois, il va paniquer. » Qu’est-ce que s’imaginait Cutler, que c’était une rencontre amicale ? Avec tout leur équipement, plus toute la lumière qu’ils allaient lui projeter dessus, leur homme ne les verrait même pas. Ils auraient tout aussi bien pu être des Klingons. Mais Cutler voulait que tout se passe à sa façon, peu importait si c’était la meilleure ou non, et pour cela il lui fallait des marines.

— Dix minutes avant atterrissage, annonça la voix de Tex dans le casque.

Un courant d’air ascendant lui coupa soudainement la parole, et les projeta de nouveau hors de leurs chaises.

— Hé, monsieur le pilote ! tu veux que je redécore ton bel hélico tout propre avec mon petit déjeuner ? cria Faulkner.

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— J’espère que cette virée en vaut la peine, dit Olsen en regardant Kovic. « Ramenez-moi mes gars en un seul morceau, avait dit Garrison, leur commandant, à Kovic, lorsqu’il avait appris que ce serait lui qui dirigerait la mission. » Il avait de bonnes raisons pour dire cela, sur lesquelles personne ne souhaitait revenir.

Kovic leur jeta un regard. Même vêtus de leur armure, ils semblaient tous beaucoup trop jeunes pour être là, bien qu’il sache qu’il était, selon leurs standards, presque un petit vieux.

Le problème, quand on avait de l’expérience, c’était qu’on connaissait tout ce qui risquait de partir en vrille.

Il décida qu’il était temps de les briefer. Cutler avait insisté pour qu’il attende qu’ils soient dans les airs. Il alluma son micro.

— Écoutez-moi bien, les gars. Ce Feu de Route, là en bas, a écrit le protocole entier de lancement de missiles du Cher Dirigeant, le code source, tout le toutim. C’est lui qui est derrière la force nucléaire de la Corée du Nord. C’est la position maximum à laquelle peuvent prétendre les traîtres à leur nation.

Les hyperboles ne lui venaient pas facilement. Kovic avait l’habitude de ne dire que la vérité brutale, sans l’envelopper de sucre ni de rubans, mais il fallait qu’il motive ces hommes.

— Bordel de merde ! s’exclama Deacon, le bébé du groupe et le plus bruyant, réagissant le premier comme pour compenser son âge. On va écrire l’his-toire !

— C’est l’idée, mon frère, acquiesça Kovic, espérant que ce serait une histoire du bon genre.

Huit heures plus tôt, il les avait regardés sortir du Sea Hawk sur la base au-delà de Xi’an, avec leurs plaisanteries de gros durs et leur démarche arrogante de star du rap, et il s’était une fois de plus rendu compte combien il s’était habitué à la Chine. Ils avaient en tout point l’air d’une force d’invasion, 11

montant la garde devant l’appareil comme s’ils venaient de se poser à Mogadiscio, observant tous les passants comme s’ils étaient des ennemis, même l’équipe au sol qui préparait le plein de carburant. Les manières n’étaient pas le fort des Chinois mais, si vous vouliez qu’ils travaillent pour vous, il fallait faire preuve d’un minimum de respect.

— C’est une prise de grande valeur, alors vous le traiterez bien, qu’il se sente accueilli à bras ouverts, ajouta Kovic.

Il savait qu’après six mois passés à lutter contre les pirates dans la mer de Chine du Sud leur attitude nécessitait quelques ajustements. Ils s’étaient tous les six entassés dans l’espace étroit qu’offrait le Sea Hawk, encombrés de tout leur équipement : des casques en polyéthylène haute performance, des vestes pare-balles et des molletons sous leurs tuniques, un M4 et un Beretta 9 mm chacun, l’arsenal typique du marine, complété par des jumelles à vision infrarouge dernier cri à quatre tubes. Deacon et Kean jouaient avec les leurs, tels des enfants le matin de Noël. Tex, le pilote, avait apporté un lance-grenades M79 amélioré, dont le canon avait été coupé si court qu’on aurait dit un mousquet sorti tout droit de Pirates des Caraïbes.

— Je suis incapable de viser, et ce truc dégomme tout dans un rayon de quatre-vingts mètres sans que j’aie à ouvrir les yeux.

— C’est clair, il tire mieux quand il a les yeux fermés, hein, Tex ?

Kovic l’avait jouée simple : une paire de jumelles à vision infrarouge à deux tubes et son Sig Sauer P226, avec une lunette de visée Nightforce, un silencieux, et cinq ou six chargeurs.

— La classe, mec.

Deacon admirait le P226 tout en oscillant la tête en rythme avec ce que lui balançaient ses écouteurs. Faulkner s’était absorbé dans un jeu sur son téléphone. Kean était roulé 12

en boule comme un chat, complètement endormi, ce qui ne l’empêchait pas de lâcher des caisses, et de façon régulière.

— Hé, Kovac ! lança Faulkner en levant les yeux, agitant une barre de chocolat Hershey’s entamée.

Dans son immense main en gant de base-ball, elle semblait une allumette.

— Kov-ic.

— Ça te donne le mal du pays ?

Il secoua la tête. Au bout d’un moment, il avait perdu le goût des friandises américaines, et de plein d’autres choses des États-Unis. Il songea à ce qu’il pourrait être en train de manger. Des crevettes spéciales avec des ormeaux chez Mancun ? S’il y avait un endroit où il se sentait chez lui, désormais, c’était à Shanghai. C’était là que se trouvait tout ce dont il avait besoin, le monde entier : importé ou volé, dans les centres commerciaux, les cinémas et le long des trottoirs, où l’on pouvait goûter tous les mets les plus fins, dans des plats délicieux et fumants. Et puis il y avait Louise, ni américaine ni chinoise, que Shanghai avait fait débarquer dans sa vie de façon inattendue. Que faisait-elle, à part se demander où il avait bien pu encore filer ?

Faulkner mordit dans son chocolat.

— Alors, Jason Bourne, dit-il, la bouche pleine, comment ça se fait que tu te retrouves dans un Hawk rempli de marines au lieu de sauter de toit en toit dans une ville quelconque ?

C’était une bonne question. Il aurait facilement pu se défiler. Son statut d’agent infiltré avait expiré depuis longtemps, il n’avait pas touché à une arme depuis l’Afghanistan, il n’était pas au top de sa forme physique, et il avait plein de choses à gérer à Shanghai. Chaque fibre de son être lui avait soufflé de dire non, mais il savait qu’il devait faire une action d’éclat devant Cutler s’il voulait conserver son poste. Ils ne s’étaient pas très bien entendus.

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— Surveille tes arrières, l’avait averti Krantz dans son bureau, à Langley. Cutler compte sur la Chine pour faire de lui le roi de la montagne. Fais-lui un peu de lèche, parce que ton CV est plus fourni que le sien.

C’était vrai, Kovic avait eu plus que sa part de missions dangereuses : au Liban, à traquer le Hezbollah, au Liberia pour coincer un trafiquant d’armes, à Groznyï pour une opération de couverture pour laquelle il s’était fait passer pour un exilé tchétchène, deux longs séjours en Irak, puis en Afghanistan. Sa peau mate et ses pommettes saillantes lui permettaient de jouer les locaux de Vladivostok au Venezuela. Shanghai était censée être une récompense, « une occasion de vous réinventer », comme l’avaient dit les ressources humaines. Il avait haï ses deux premières années passées dans cette ville, à lutter avec la langue et à essayer de comprendre les codes de comportement mystérieux de la Chine. À présent, il ne s’imaginait plus vivre ailleurs. S’il le pouvait, il choisirait de finir sa vie en Orient. Mais pas en Corée du Nord, et pas ce soir-là.

— Et si tout foire, intervint Price, le grand silencieux, on appelle qui ?

— Hé, gamin ! lança Olsen pour le faire taire. Personne ne va rien faire foirer, OK ?

Il était temps qu’Olsen fasse entendre la voix de la sagesse.

Kovic et lui savaient parfaitement que, s’ils foiraient, ils seraient seuls. C’était certain. Les autres ne le comprenaient pas, mais comment leur en vouloir ? Ils étaient des soldats de l’armée, et il y avait des règles. Avec la CIA, la règle principale était de ne pas se faire prendre, parce que personne ne viendrait vous chercher.

— Le jour approche, on se tire, mec, déclara Price. Avec ou sans le paquet.

Kovic hocha la tête. Comme ils arrivaient à la LZ, leur arrogance semblait fondre. Parfois, ceux qui roulaient le 14

plus des mécaniques étaient ceux qui confondaient le camp d’entraînement avec la gym.

— C’est clair, répondit Faulkner. Mais sans paquet, pas de bonus.

Le sujet « argent » réveilla Kean.

— Pas de bonus, et ça veut dire que je dois m’y coller une fois de plus, ou l’avocat de la vieille me tiendra par les couilles.

Il s’inquiète plus à l’idée de ne pas pouvoir verser la pension alimentaire qu’ à celle de se faire exploser par les Nord-Coréens, songea Kovic. Il est plus facile de craindre les démons qu’on connaît. Ils s’étaient tous portés volontaires, en bons patriotes, mais c’était l’argent qui les menait, le bonus légendaire des opérations spéciales dont Kovic n’avait pas le cœur à leur dire qu’il était discrétionnaire, dépendant d’un petit comptable anonyme dans les entrailles du Pentagone.

— Et j’aurai pas droit à ma gâterie chinetoque demain.

— C’est pas pour ça que la vieille t’a lâché son avocat dessus, parce que t’étais incapable de la garder dans ton pantalon ?

— Et ouais, mon pote ! on l’appelle pas « la Bête » pour rien !

Kovic sourit. Le Pentagone avait sorti un million de directives sur l’usage d’un langage châtié, et ces types usaient des mêmes termes que son père. Ce devait être vrai : les voyages rendaient l’esprit étroit. Lorsqu’il avait osé approcher Cutler au sujet d’une pointe de xénophobie, le chef l’avait regardé par-dessus la monture de ses lunettes.

— Nous ne sommes pas là pour faire ami-ami, agent Kovic, mais pour remettre les compteurs à zéro.

La politique américaine en quelques mots, prononcés par l’un de ceux qui avaient fait carrière sans jamais poser le pied sur les scènes les plus terribles et atroces. Kovic détestait les bureaucrates comme Cutler, qui, lui, se sentait menacé par les exploits de Kovic sur le terrain. Kovic se disait que ce devait être ce qui irritait le plus Cutler à son sujet, et ce qui expliquait 15

son besoin constant de réaffirmer sa position de chef. Et si en plus c’était une année de campagne électorale, bonjour !

Kean était désormais pleinement réveillé, entraînant les autres.

— Au Susie’s Bar à Ningo, ils ont ces jumelles…

— Ce sont pas des vraies jumelles, crétin. C’est juste que pour toi ce sont toutes les mêmes. On pourrait te montrer une fille et sa grand-mère, tu les prendrais pour des jumelles.

— Au moins, j’ai pas à payer pour ça.

— Deacon, t’es puceau, mec ! Tu saurais même pas quoi faire avec.

Une nouvelle vague de sourires secoua les chaises de pique-nique.

— Suffit, grogna Olsen. Changez de disque, OK ?

— Hé, Kovic ! je me demandais… c’est vrai qu’elles ont des chattes lisses ?

Olsen jeta à Deacon un regard qui le réduisit au silence.

Il y eut un blanc. Tex commençait à ralentir. Il se retourna rapidement et désigna le sol.

— Youpi ! trois mètres de Père Noël et de Rodolphe !

De la neige. L’imagerie météorologique de la force navale, censée être à la pointe de la technologie, leur avait promis un ciel dégagé. Ils auraient tout aussi bien fait d’écouter le bulletin météo de la télévision de Pyongyang, dont les prévisions devaient d’abord être approuvées par le Parti.

Quelle surprise, songea Kovic. Cette mission s’améliore de seconde en seconde.

Ce qu’il ne savait pas, c’était que la neige allait lui sauver la vie.

Chapitre 2

LZ, Corée du Nord

L

e chant du moteur du Sea Hawk devint une pulsation sourde de batterie lorsque les rotors s’emballèrent pour le maintenir en position stationnaire. Kovic fit glisser la porte et la bourrasque glacée emporta la chaleur due aux corps humains entassés à bord. Il contempla la surface lunaire désolée sous lui. Rien de ce qu’il voyait ne ressemblait aux images satellites. Les informations transmises par Cutler avaient été réduites. Il leur avait seulement dit que le véhicule de Feu de Route serait garé au nord d’un rassemblement de blocs de béton, qui lors du briefing avait été appelé, de façon imaginative, un « village abandonné ». « Un piqué et vous piquez », avait-il ajouté avec un sourire moqueur, ravi de sa trouvaille.

Kovic aperçut un break sombre arrêté sur le bord de la route. Mieux valait que ce soit lui et non de jeunes amoureux à la recherche d’un luxe encore plus rare en ce lieu que la nourriture : de l’intimité.

Il bascula de nouveau sur la fréquence des troupes, et passa en revue le déroulement de la mission.

— On encercle le véhicule, un à chaque coin, à pas plus de trois mètres, les armes baissées mais prêtes à tirer. Il ne faut pas qu’il croie que nous sommes venus l’abattre. Je confirme son identité, il sort de la voiture, on l’embarque.

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S’il a des bagages, il faudra que je les fouille. On passe dix minutes au sol, pas plus.

— C’est vous le boss, répondit Kean.

— Mon briefing disait deux minutes, intervint Olsen.

— On part quand je le dis, et quand je décide que c’est bon.

Ce n’était pas le moment de réfléchir au fait qu’Olsen avait du mal à accepter des ordres donnés par la CIA. Kovic ne le savait que trop bien. Garrison et lui avaient un passé commun. Il savait tout ce qu’il y avait d’irrésolu entre eux.

Pour le moment, il avait besoin qu’Olsen fasse son boulot.

Ils ne partaient pas en vacances ensemble : un saut sur le terrain, et tout le monde rentrait. Pas de demande d’ami sur Facebook.

— Si vous voulez sortir de là plus vite, lui dit-il, indiquez à vos hommes qui va où.

Olsen soupira avant d’assigner une position à chacun.

Kovic se moquait des détails, il voulait simplement que la hiérarchie soit claire.

— OK, Tex, pose-nous par terre.

Pendant la descente, Kovic enclencha ses jumelles à vision infrarouge, brouillant les flocons de neige qui devinrent des amas semblables à des balles de coton blanc. Équipement de merde ! La colline gelée semblait vide et désolée. Il préférait travailler dans des lieux bondés de monde, fourmillant de distractions. Il n’y avait nulle part où se cacher sur un terrain pareil.

La neige tombait drue et épaisse, transformant le paysage en une carte de Noël improbable en plein mois de mars, sans parler du blanc tapis de lumière sur lequel ils allaient ressortir telles des figurines sur un gâteau de mariage. Toutefois, ils ne donnaient pas dans le furtif, ce soir-là. Le fracas du Sea Hawk s’en assurait.

Il n’y avait pas de voitures neuves en Corée du Nord, tout comme il n’y avait pas de nouvelles machines à laver ni de 18

nouvelles télévisions. Ce vieux break Nissan en fin de vie, qui vous aurait inquiété si vous l’aviez vu tourner dans votre quartier, était certainement le véhicule personnel du meilleur programmeur nucléaire du pays.

Les essuie-glaces firent un passage, et Kovic distingua au travers du pare-brise une silhouette solitaire derrière le volant.

De par son expérience, il savait que les transfuges pouvaient se révéler insupportables à gérer. Certains avaient une perception démesurée de leur valeur et essayaient de conclure des accords de dernière minute, ou se pointaient avec des proches dont ils ne pouvaient supporter d’être séparés : des amantes, des amants, des mères et autres parasites espérant avoir une place soudaine sur le tapis magique américain qui les sortirait de l’enfer dans lequel ils avaient eu le malheur de naître. Une fois, à Beyrouth, l’un d’eux avait essayé d’emmener son chien.

Certains, craignant des représailles, changeaient soudain d’avis. C’étaient ceux qui contenaient leurs émotions. Les goulags étaient remplis des familles élargies de ces gens-là, tous ceux qu’ils avaient pu aimer ou mettre au monde, de pauvres otages en attente.

Tex posa le Sea Hawk sur la route.

— Nous venons d’atterrir en République démocratique populaire de Corée. Merci de reculer vos montres de cinquante ans.

— Ne coupe pas le moteur, Tex, dit Kovic en sautant au sol, se baissant pour éviter les rotors. Je vais remonter le côté gauche de la route jusqu’à me retrouver parallèle à la fenêtre du conducteur. Olsen, emmenez vos hommes prendre leurs positions quand je commencerai à parler.

La neige formait un tapis épais au sol. Kovic s’approcha de la voiture, s’arrêta à six mètres et fit remonter la lumière de sa torche sur la silhouette derrière le volant : un front haut, des joues creuses, une lèvre supérieure très longue, une légère coupure dans le sourcil gauche… c’était lui. Il portait un 19

costume bien trop grand pour lui, issu de la haute couture de la RDPC, sans aucun doute. Son visage affichait un sourire étrange. Et il tremblait tellement fort que le revers de son manteau était secoué de vibrations. Kovic se racla discrètement la gorge et fit passer son cerveau au coréen, vérifiant rapidement qu’il avait bien retenu le nom du type.

— Shun-kin, je vous offre les salutations du gouvernement des États-Unis.

L’homme derrière le volant continua de sourire, mais ne bougea pas, ne tourna pas la tête. Deacon, Kean, Faulkner et Price prirent leurs positions, un à chaque coin et Olsen derrière, couvrant Kovic. Il voulait que Feu de Route voie les hommes, afin de lui donner une impression de sécurité, et lui assurer que tout cela était réel.

Kovic conserva ses jumelles à vision infrarouge relevées afin de garder l’air un peu plus humain, et s’approcha de la fenêtre conducteur. L’intérieur sentait le tabac froid et la sueur. Une grande valise en faux cuir était posée sur la banquette arrière, ressemblant beaucoup à celle que ses grands-parents avaient lorsqu’ils étaient arrivés aux ÉtatsUnis dans les années trente.

— Êtes-vous prêt à prendre ce chemin courageux qui vous mènera à la liberté ?

Pas de mots, juste des hochements de tête rapides.

— Vous pouvez me parler, ne vous inquiétez pas. Je vous comprendrai.

La capacité de Kovic à maîtriser les langues constituait un sujet d’inquiétude supplémentaire pour Cutler, qui préférait faire passer ses discussions par des interprètes.

Le même sourire étrange, les mêmes tremblements. Et Feu de Route ne bougeait toujours pas. Kovic s’approcha encore d’un pas. Une fois, au Pakistan, il avait dû attacher un type sur une civière pour l’emmener, après qu’il se fut évanoui de frayeur.

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— Shun-kin. Veuillez sortir de la voiture. Nous vous emmenons en Amérique. Vous comprenez ? Nous vous emmenons, maintenant.

Qu’est-ce qui pouvait bien le garder ainsi vissé à son siège ?

Un doute de dernière minute, la peur de l’inconnu ? Le fait qu’il ne pourrait jamais plus revenir ?

Peut-être qu’entendre un Yankee parler sa langue était trop perturbant pour lui. Kovic fit une tentative en anglais, avec un peu plus d’urgence dans la voix.

— Hé, Shun-Kin. Il est temps d’y aller, OK ?

Le Coréen ouvrit sa portière et fit un pas hésitant dans la nuit. En dépit du froid, il luisait de sueur. Ce sourire de dément ne lui donnait pas non plus l’air très intelligent. De près, il semblait tellement jeune… trop jeune. Soit ce type était un jeune génie, soit…

Lorsque Kovic fit mine de lui serrer la main, le Coréen bondit sur la gauche et s’enfuit. Kean, qui était le plus près, lui coupa la route.

— Écartez-vous de moi ! lança le Coréen dans un anglais parfait.

Il poussa Kean d’une bourrade, son corps fin n’ayant aucun effet sur le marine solide et musclé.

— Vous devez vous écarter de moi ! Ils ont…

Kean l’avait presque enfermé dans une étreinte d’ours.

Et, soudain, Kovic comprit.

— Cours, mec, cours ! hurla-t-il à Kean. Lâche-le ! Allez !

Allez !

La première détonation, une mise à feu, se déclencha quelque part sur le torse de l’homme. Kovic la vit du coin de l’œil, comme il se détournait pour fuir. La deuxième explosion changea la nuit en rouge et le projeta en avant, presque jusqu’au Sea Hawk. Il atterrit brutalement sur la route et roula dans la neige.

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Shun-kin avait disparu, vaporisé par le souffle. La voiture était en feu, et une troisième explosion eut lieu lorsque le réservoir d’essence s’embrasa. Kean était étendu à cinq mètres de sa position initiale, un bras arraché et le visage transformé en un masque de sang. Deacon, qui se traînait sur une jambe, l’atteignit le premier. Kean tendit la main vers lui, avant de la laisser retomber. Il était parti. Le visage de Deacon resta figé sous l’effet du choc.

Tex se débattait avec les commandes.

— Kovic, parlez-moi ! hurlait-il sur la fréquence radio.

La détonation avait rendu Kovic sourd de façon temporaire, mais son cerveau tournait à plein régime. Shun-kin avait essayé de fuir, il n’avait pas enclenché la bombe lui-même.

Elle n’aurait pas pu être réglée sur un compte à rebours, puisqu’il aurait été impossible de déterminer l’heure exacte de leur arrivée. Quelqu’un d’autre, qui les avait en visuel, avait provoqué l’explosion. Il se retourna brutalement et cria à Tex de décoller, de se mettre hors de portée. Au sol, l’hélicoptère était une cible évidente, et ils avaient besoin d’yeux dans le ciel.

— Fais un passage, dis-nous ce que tu vois.

Il se retrouva entouré d’un nuage de neige et de gravier lorsque le Sea Hawk s’éleva.

— Hé, par ici ! Vite !

Olsen hurlait et agitait les bras, comme si Tex pouvait le voir dans le noir. Kovic le dépassa, et aperçut Deacon plié dans une position semi-fœtale, les mains serrées sur son torse, comme si ses organes risquaient d’en déborder s’il lâchait prise. Kovic se précipita vers lui, arrachant un garrot de son treillis. Son torse tout entier n’était qu’une masse sanglante.

— Doucement. Ne respire pas aussi fort.

— Putain de suicidaire…

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Kovic savait que Shun-kin n’était pas un kamikaze. Il avait essayé de les avertir, même s’il savait qu’il ne s’en sortirait pas. Il avait probablement sauvé la vie de Kovic.

— Hé, regardez ! dit Faulkner en pointant du doigt.

Le « village abandonné » s’animait d’hommes qui venaient vers eux.

— Putain d’expert ! cracha Olsen.

Kovic attrapa Deacon et l’emmena derrière ce qui restait du break, puis il fit demi-tour et attrapa son M4.

Ses jumelles à vision infrarouge avaient disparu, soufflées par l’explosion, et il avait de la poussière plein les yeux. Il était tenté de tirer à l’aveugle jusqu’à vider son chargeur, en espérant que certaines balles atteindraient leur cible. Résiste, essaie de réfléchir, s’intima-t-il. Il retira les jumelles du casque de Deacon et les enfila. Les Nord-Coréens devaient être une dizaine, réduits à des silhouettes noires sur l’étendue blanche, armés de kalachnikovs russes classiques. Au moins, ils auraient du mal à les manier dans l’obscurité et la neige, et il doutait qu’ils soient dotés de jumelles à infrarouge ou de lasers. D’un autre côté, les chargeurs des kalachnikovs contenaient soixante-quinze coups, ce qui était parfait pour tirer à l’aveugle. Le M4 de Deacon n’offrait pas plus de trente coups, et il aurait besoin de chacun d’entre eux. Apercevant un mouvement sur l’avant gauche, il bondit sur ses pieds et tira une demi-douzaine de balles. Trois Coréens s’étalèrent dans la neige avec une blessure à la tête, les flots de sang se rejoignant pour former un immense granité renversé. S’ils devaient se sortir de là, il y aurait bien plus de sang versé.

Kovic vit un sniper s’élancer vers eux, avant de disparaître entre les ombres. Il visa, tira, et entendit un cri.

— Où est Faulkner ?

Il titubait vers eux, sonné, serrant son épaule d’une main, son arme pendouillant inutilement au bout de ses doigts écrasés. Kovic le rejoignit en courant et l’aplatit au 23

sol tandis que Price les couvrait. Il sortit un bandage de son kit et arracha la manche de Faulkner avec ses dents avant d’envelopper son bras comme il le pouvait. Il y avait aussi de la morphine dans son équipement, mais son attention fut attirée par autre chose.

— Qu’est-ce que tu fous ? hurlait Olsen à Tex sur la radio.

Couvre-nous, bordel !

— Il faut qu’on se tire d’ici.

— Négatif, répondit Kovic, qui n’avait pas besoin de ça.

Il faut d’abord qu’on neutralise ces types. S’il s’approche, il va se faire abattre comme un pigeon.

Olsen ne l’écoutait pas. Kovic l’attrapa par l’épaule et le força à se retourner.

— Ils le touchent une fois, et on est morts, c’est compris ?

Personne ne viendra nous chercher.

Olsen se dégagea, le visage déformé par la fureur.

— Vous nous avez menés tout droit dans une embuscade, pauvre abruti ! Vous vous êtes fait avoir. Vos renseignements étaient foireux. C’était merdique dès le début. Je vais sortir mes gars de là. Cette mission est officiellement foutue. J’emmène mes gars, et vous, vous pouvez aller vous faire foutre.

Kovic se jeta sur Olsen, mais celui-ci l’évita et lui décocha un coup de genou à l’entrejambe avant de lui enfoncer sa botte dans l’estomac, l’envoyant s’étaler dans la neige.

Ils entendirent le tambourinement sourd de l’hélicoptère. À peine visible, un flou gris derrière les flocons, telle une télévision déréglée, le Sea Hawk approchait. Tex le ramenait.

— Sayonara, enfoirés ! hurla Tex à la radio.

Toute cette histoire d’opération discrète semblait lui être montée à la tête. Son hublot était ouvert, et il agitait son lancegrenades dans la direction où il pensait qu’étaient positionnés les Nord-Coréens. Il tira en effectuant sa deuxième descente.

Olsen fit signe à Price d’aider Faulkner à rejoindre le point d’atterrissage, et soudain le Sea Hawk fit une embardée, 24

comme saisi par une main géante ayant jailli des nuages. Les moteurs luttèrent, hurlant presque comme le nez se relevait, comme s’il cherchait à conserver son altitude. L’appareil tout entier commença à glisser, et l’hélice de queue creusa le sol à la position exacte qu’avaient choisi les Nord-Coréens. L’une des pales principales fut brutalement arrachée et catapultée au loin dans la nuit. Puis l’hélicoptère entama un lent tonneau, avant de s’écraser au sol. Kovic se jeta sur Faulkner et Price, et Olsen tituba derrière ce qui restait du break, tandis que l’hélicoptère explosait dans une boule de feu, arrosant la zone de parties de moteur désintégrées, avant de s’embraser en un champignon de fumée agressive.

Il n’y avait rien à dire. Ils se trouvaient cinquante kilomètres à l’intérieur du territoire de la Corée du Nord, leur moyen de transport n’était plus, l’effet de surprise était néant, avec une colonne de flammes et de fumée qui se chargeait d’annoncer à quiconque l’ignorait sur un rayon de quinze kilomètres qu’ils étaient là. Seul, Kovic aurait peut-être pu se débrouiller au sol, en évitant les patrouilles et en essayant d’atteindre la frontière. Mais avec deux morts et trois blessés…

Olsen lui jeta un regard empli de mépris.

— Un ajout au mur de la honte de la CIA. Kovic était au-delà de la colère.

— C’est vous qui lui avez dit de faire demi-tour.

Olsen eut un geste de défi, comme pour dire : « Vas-y ! Je t’attends ! », et il ouvrit la bouche. L’espace d’un instant, Kovic crut qu’Olsen allait l’insulter de nouveau, mais il tressaillit, ses yeux roulèrent vers le ciel, sa mitraillette lui tomba des mains, et il s’effondra au sol, la tête la première dans la neige.

Price se précipita vers lui.

— Il est touché !

— Un sniper ! On se couvre !

Le tir était venu d’une zone surélevée sur leur gauche, presque invisible à cause de la neige. Du sang gargouillait 25

de la blessure à la cuisse d’Olsen. Si son artère fémorale était sectionnée, il n’avait aucune chance de s’en sortir. Price ouvrit violemment son kit de premiers secours. Kovic déchira le treillis déjà en mauvais état d’Olsen, fit un garrot de fortune et le noua serré autour de la cuisse du marine.

— Voilà.

Price lui donna de la morphine. Ils appliquèrent ensuite de la neige sur la blessure pour resserrer les vaisseaux sanguins jusqu’à pouvoir le déplacer.

Des flashs lumineux et un vrombissement sonore annoncèrent l’arrivée d’une grande Jeep décapotée qui descendait la colline, suivie de près par une deuxième.

— C’est quoi ce bordel ?

— Les défenses de la frontière. Des Kaengsaeng-69. En coréen, ça veut dire « véhicule de merde ».

Personne ne bougea. Ils étaient encerclés.

— On est morts.

Kovic regarda les deux voitures s’arrêter.

— Pas encore. Je veux ces bolides.

Il songea qu’il avait un avantage : ces types étaient des soldats forcés, et non des membres des forces spéciales. Ce devait être la première fois qu’ils se retrouvaient face à une telle situation. Sa meilleure chance était d’abattre le premier qui lui tombait sous la main, et de faire fuir les autres. Il pointa le M16 à infrarouge sur le conducteur de la première Jeep. En plein dans le mille. Le conducteur s’effondra de son siège et ses passagers plongèrent aussitôt pour se protéger.

Kovic les suivit à travers le viseur, et en descendit deux de plus. Il n’était peut-être plus aussi en forme qu’avant, mais il était toujours aussi bon tireur. Le dernier survivant bondit dans le deuxième véhicule qui s’enfuit aussitôt, dérapant dans le tapis de neige.

Kovic courut jusqu’à la Jeep abandonnée et sauta dedans. Le moteur tournait toujours. Il manipula le levier de 26

changement de vitesse jusqu’à trouver la première, appuya sur l’embrayage jusqu’à ce qu’il trouve une prise, et manœuvra jusqu’au petit groupe rassemblé derrière le break carbonisé.

— Je vous ai fourrés là-dedans, je vais vous en sortir, OK ?

— Comment ?

Olsen était à peine conscient. Faulkner était en meilleur état mais complètement choqué par la perte de son bras pulvérisé. Il ferma les yeux, attendant que la morphine fasse son effet.

— Plan B : on traverse la zone militaire. À la demande insistante de Kovic, les Chinois avaient accepté d’établir une échappatoire de secours par les terres, usant d’un poste de contrôle des frontières abandonné dans la montagne.

Price aida Kovic à installer les blessés dans la Jeep. Il tremblait sous l’effet de la peur et du choc.

— Tirons-nous de là.

La neige tombait encore plus drue et plus épaisse, et le vent la leur envoyait directement dessus. Kovic coupa les phares et décida de s’en tenir à ses jumelles à vision infrarouge, bien qu’elles fassent paraître les flocons énormes, comme s’ils traversaient une énorme couette déchiquetée.

— On ne va pas aller loin, à cette vitesse, fit inutilement remarquer Olsen.

— Vous voulez descendre et pousser ?

Dans son rétroviseur, Kovic s’aperçut que la deuxième Jeep avait fait demi-tour et les poursuivait, gagnant du terrain. Au temps pour la frayeur. Il essaya de passer la vitesse suivante. Il n’y en avait pas, et cette manœuvre lui avait fait perdre de la vitesse.

Comme le deuxième véhicule approchait, Kovic cria à Price de s’en débarrasser. Mais aucun tir ne réussit à leur faire lâcher prise. La route continuait en montée, mais elle était droite, aussi loin que portait le regard, ce qui n’était pas 27

plus de soixante mètres. L’autre Jeep était presque remontée à leur niveau. Kovic donna un grand coup de volant. Il y eut un grincement métallique, mais l’autre véhicule resta obstinément sur la route. Kovic fit une nouvelle embardée.

Cette fois-ci, la Jeep dévia de sa trajectoire. Ces roues latérales se prirent dans un nid-de-poule et elle se renversa sur le côté, au bord de la route.

La première impression de soulagement ne dura pas. Un virage jaillit de la neige, un brusque tournant à gauche avec une courbure négative traîtresse. Il tira fort sur le volant, mais l’élan prit le dessus. La voiture refusa de quitter sa trajectoire droite et sortit de la route, où elle rebondit, s’éleva et rebondit de nouveau, les projetant tous dans la neige, avant d’aller s’écraser contre des arbres.

Ce n’est vraiment pas ma nuit, songea Kovic.

Il s’aplatit au bord de la route et observa l’autre Jeep. Ses occupants l’avaient remise droite et remontaient à bord.

Le moteur démarra. Elle venait vers lui. Kovic se mit hors de vue lorsqu’elle passa, glissant dans la neige fondue. Les Nord-Coréens ne les avaient pas vus sortir de la route. Il s’élança en avant, dérapa dans la neige, se reprit, sauta à l’arrière du véhicule en mouvement et visa. Grâce au silencieux sur son Sig Sauer, les deux occupants des sièges arrière furent abattus sans même que ceux à l’avant ne s’en rendent compte, mais la Jeep fit une embardée en rebondissant dans un nid-de-poule, projetant Kovic sur le conducteur et lui faisant perdre son arme. Le deuxième homme lutta pour libérer le canon d’une kalachnikov coincée entre ses genoux. Kovic lui envoya son coude gauche dans la tempe et chercha à saisir l’arme avant qu’il ne la dégage. Le conducteur, distrait par l’arrivée brutale de Kovic, lâcha le volant. Le véhicule percuta un poteau, ce qui projeta Kovic en plein vers le plancher, et son menton alla s’écraser sur le canon de l’arme. Il tenta, en vain, d’attraper son revolver coincé sous les pédales. Le passager réussit à 28

sortir sa kalachnikov et lâcha une série de tirs en direction du ciel qui passa à quelques centimètres du visage de Kovic, insensibilisant un instant le côté de sa tête, de sorte qu’il crut un instant avoir été touché. Quel bordel monstrueux ! songea-t-il en se débattant au milieu des armes coincées et des membres qui s’agitaient. Il s’empara du canon de la kalachnikov, dont la chaleur transperça ses gants, et le pointa sur le conducteur au moment même où le tireur lâchait une autre série de coups de feu. Les balles transpercèrent le cou du conducteur, si nombreuses et si rapprochées que sa tête en fut presque arrachée et retomba sur sa poitrine. Le passager écarquilla les yeux, horrifié. Kovic se rendit compte à quel point il était jeune, et il ressentit une vague de pitié avant de lui arracher son arme, et de lui en enfoncer la poignée dans le torse pour le projeter dans la neige.

Il avait encore beaucoup à faire. La botte du conducteur à moitié décapité appuyait toujours fermement sur l’accélérateur. Kovic attrapa la volant, mais pas assez vite pour empêcher la Jeep de heurter un muret et de le projeter en l’air, au-dessus du capot et dudit muret, dans un trou glacé. Son nez heurta un rocher, et il entendit l’os se briser.

En tombant, il maudit Olsen, il maudit Cutler, il maudit la CIA, et enfin il se maudit lui-même pour avoir été assez stupide pour accepter la mission en premier lieu.

Il resta immobile une minute entière. Presque aveuglé par la douleur, il lutta pour rester conscient, mais il sentait son cerveau rendre les armes, tomber dans l’inconscience.

Il pourrait rester dans ce trou, caché par ce mur, et peut-être que ses ennemis s’en iraient… La neige le recouvrirait, et on ne le retrouverait jamais. Ce serait bien, reposant. Il se sentit sombrer.

Quelqu’un hurlait. Il reprit brutalement conscience, se souleva de quelques centimètres, et jeta un coup d’œil par-dessus le muret contre lequel s’était arrêtée la Jeep. Elle 29

était vide. S’il réussissait à le faire démarrer, le véhicule leur appartenait. Il passa par-dessus le muret et sauta dans l’habitacle. Le volant était encore gluant de sang et de cervelle.

Il l’essuya d’un revers de manche en jurant, se débattit avec les commandes et trouva le démarreur, l’enclencha et appuya sur l’embrayage. Il fit démarrer le moteur, puis cala. Il essaya de nouveau, démarra, et cala. Price se dirigeait péniblement vers lui, traînant Olsen et Faulkner. Entourés de neige tourbillonnante, ils ressemblaient à des fantômes.

Kovic réussit à mettre le moteur en route, il le fit vrombir et aller d’avant en arrière avant de trouver une prise, et de les rejoindre en marche arrière.

Il sortit son téléphone. Il existait quatre codes texte : « Alpha » si la mission était accomplie, « Bêta » si elle était avortée. « Gamma » signifiait extraction. Il était sur le point de taper « Gamma », ce qui indiquerait à Cutler qu’il devait confirmer leur passage de la frontière, s’ils réussissaient à l’atteindre.

Laisse tomber, on est foutus de toute façon, se dit-il.

Il composa le numéro de Cutler.

Celui-ci décrocha aussitôt.

— Que s’est-il passé ?

— Grillés. Deux morts, plus le pilote. C’était un putain de piège. Feu de Route avait enfilé une veste surprise.

Silence. Il n’entendait que le souffle court de Cutler au bout du fil. Kovic rêvait de le descendre en flammes, mais il allait devoir attendre pour cela. Il y avait des problèmes plus urgents à régler.

— Nous sommes trente kilomètres à l’intérieur des terres de la RDPCN. J’ai un véhicule, mais il nous faut confirmation que le point de contrôle de la frontière sera ouvert. Autrement, vous aurez gagné six marines morts, plus l’un des vôtres. Bien reçu ?

— On s’en occupe. Faites attention en route.

Cutler raccrocha.

30

Les Chinois étaient désormais leur seul espoir, ils avaient intérêt à s’occuper de ce passage de frontière. Mais Pékin devait aussi être occupé à limiter les dégâts au maximum, tandis que Cutler réfléchissait à l’impact que cela aurait à Langley, et à comment il pourrait sauver ses fesses. La colère ne mènerait Kovic nulle part. L’écran de fumée s’élevant de l’hélicoptère en feu se dissipait déjà.

Sa rage lui donna un nouveau coup de fouet. Ils allaient monter dans ce truc et se casser par la frontière, Olsen et Faulkner allaient vivre, peu importaient la neige et le nombre de Nord-Coréens qui se dirigeaient vers eux.

Il les aida à monter dans la Jeep, qui avait encore calé.

— On va où, mec ? demanda Faulkner, assommé par le froid et la douleur.

— On rentre. On traverse la frontière là-dedans, et quelqu’un viendra nous récupérer du côté chinois.

Personne ne fit de commentaire. La vision de deux hommes morts et du Sea Hawk carbonisé, avec Tex à l’intérieur, était encore fraîche dans leur mémoire.

— Garrison m’avait averti à votre sujet, grogna Olsen.

Oh, oui ! je sais tout de…

— Gardez ça pour plus tard, le coupa Kovic. Je vous ai trouvé un moyen de transport. On rejoint la frontière, et on n’aura plus jamais à se croiser. Mais, pour ça, il va falloir qu’on se comporte comme une équipe et qu’on veille les uns sur les autres. On aura plus de chances de rester en vie. OK ?

Essayez de vous réchauffer les uns les autres. On en a pour une bonne demi-heure.

Il n’attendit pas de réponse. Il lutta avec le levier de changement de vitesse jusqu’à trouver la première, la Jeep bondit en avant. La route disparaissait entièrement sous le manteau blanc.

Quand c’était l’horreur, il ne lui restait plus qu’à penser à toutes les fois où il s’était sorti de mauvaises passes. Au 31

Soudan, quand il s’était fait prendre par des enfants soldats avec de la poudre plein le nez, qui lui avaient enfoncé le canon de leur fusil dans les fesses et se disputaient pour savoir qui allait tirer. Au Kurdistan, la prostituée mécontente armée d’un couteau qui croyait qu’il ne la paierait pas parce que le commandant qu’elle était censée arnaquer s’était révélé être gay. Et son premier mois en Chine, quand un trafiquant d’armes indonésien l’avait pendu par les pieds en hauteur parce qu’il le prenait pour un rival…

Toutefois, il ne voulait pas penser au fils de Garrison. À chaque minute qui passait, la neige s’épaississait et les roues perdaient de plus en plus d’adhérence. Il ralentit à moins de trente, et c’était encore trop vite. La route croisait la frontière à flanc de montagne. La Jeep protesta violemment contre l’inclinaison de la pente. L’embrayage était coincé, mais il réussit à forcer le levier à quitter la seconde pour repasser en première. Il suivait le contour de la colline, mais la cambrure négative d’un virage à droite fit faire une embardée au véhicule. Il appuya sur l’accélérateur, mais les roues dérapèrent. Puis l’aiguille monta sur le compte-tours, et il crut un instant qu’ils allaient y arriver. Kovic se concentra de toutes ses forces sur la route, les yeux plissés, se rappelant la carte et les photos satellites, la route qui rétrécissait et tournait en épingle à cheveux, et l’endroit où un glissement de terrain s’était produit. Il conserva une vitesse constante tandis que la Jeep rebondissait sur le terrain inégal, mais le compte-tours l’emporta sur la boîte de vitesses, jusqu’à ce qu’un craquement métallique soudain lui indique que le levier avait cassé. Il écrasa les freins, mais les roues étaient déjà bloquées. Ils glissaient sur le côté, et le moteur, libéré de son fardeau, vrombissait au plus fort de sa capacité.

— Je ne maîtrise plus rien. Sautez !

Ils bondirent hors du véhicule, Kovic tirant Olsen et Price portant Faulkner, avant qu’il ne disparaisse au-delà de la 32

route et ne se retourne, exposant son arbre de transmission tel un membre brisé. Le moteur tournait toujours, mais la Jeep était en état de mort clinique.

— OK. On marche.

— Sur quelle distance ?

— Un kilomètre et demi.

Un kilomètre et demi sur du plat, dans ces conditions, c’était vingt minutes, vingt-cinq en montée. En portant chacun un homme blessé…

Kovic hissa Olsen sur son dos, tandis que Price passait le bras valide de Faulkner autour de ses épaules larges, le soutenant pour marcher. Faulkner était le plus grand, mais Kovic avait l’impression d’avoir un bœuf sur le dos, dont le poids semblait doubler tous les deux mètres. Kovic puisa au plus profond de ses réserves, forçant son esprit à oublier l’épuisement. Le froid avait enrayé le flot de sang s’écoulant de la cuisse d’Olsen, mais il devenait de plus en plus pâle.

Kovic ressentait la morsure féroce du froid qui lui gelait le visage, congelant les poils de son nez. Pendant l’hiver 2008, en Afghanistan, il était tombé sur un monticule de neige à la forme étrange. Curieux, il avait creusé et découvert une famille entière, tous serrés les uns contre les autres en une recherche désespérée de chaleur. Leurs corps avaient fusionné, gelés et durs comme du roc, ils étaient devenus leur propre mémorial.

— Hé, regardez ! lança Price, quelques mètres devant.

Il s’était arrêté et lui désignait quelque chose dans les ténèbres.

— Une barrière.

— Hé ! dit Faulkner. On est presque arrivés.

Kovic tira une fusée de détresse, qui se fit entièrement avaler par les nuages de neige. Le vent qui arrivait de l’autre côté de la colline gagnait en violence, les traversait et ralentissait leur progression. Kovic commença à compter 33

chacun de ses pas, juste pour pouvoir se concentrer sur autre chose que le froid. À chaque pas, il songeait à un autre plat du menu de Mancun, se promettant de s’offrir une double ration de chaque s’il réussissait à s’en sortir. Dans ce néant blanc désespérant, l’impertinente et fragile Shanghai avait tout d’un paradis.

Le poste de contrôle était vide, mais le portail géant n’était pas verrouillé. Au moins une chose qui se déroulait normalement, même si, au fond de lui, il avait espéré se faire accueillir par les Chinois. Il grimpa dans la tour de guet et découvrit un téléphone dans sa boîte de métal à l’épreuve de toute condition météo. Pas de cadran, pas de bouton, il suffisait de décrocher et d’attendre une réponse. Avec un peu de chance, quelqu’un du QG allait décrocher. Il baissa les yeux sur Price, qui avait entouré Olsen et Faulkner de ses bras, essayant de les protéger du vent violent qui était devenu une arme en lui-même, les fouettant sans relâche.

La ligne téléphonique grésilla. La voix semblait provenir de l’autre bout du monde. Kovic essaya de parler. L’air glacé lui déchirait la gorge. La sueur due à l’effort de porter Olsen avait gelé sur son visage, le recouvrant tel un glaçage. Il tomba à genoux, ses muscles lâchèrent prise, et sa mémoire aussi. Comment disait-on « Au secours » en mandarin ? Il chercha dans les tréfonds de son cerveau, sentant son état de conscience perdre peu à peu pied comme le froid s’emparait de lui. Enfin, après ce qui lui sembla être une éternité, il se souvint. Il essaya de bouger les lèvres, mais elles refusaient de lui obéir.

— Yu-cheng… Au secours…

Il lâcha le téléphone et s’élança vers l’escalier, espérant réussir à rejoindre les hommes, à partager leur chaleur déclinante avant qu’ils n’y passent tous. Il trouva l’équilibre, le perdit, essaya de nouveau, et soudain il tomba du haut des trois mètres de la tour, dans la neige qui s’était amassée au 34

pied. Il atterrit délicatement, complètement enveloppé de poudreuse. Il avait réussi, il leur avait fait passer la frontière.

Et l’épuisement le submergeait. Peut-être allait-il rester ainsi à jamais, baisser les bras. Pourquoi pas ? N’avait-il pas dit qu’il voulait mourir en Chine ? À quoi veut-on penser en dernier avant de mourir ? Il paraît qu’il faut se concentrer sur quelque chose de spécial et de précieux, sur quelqu’un qu’on aime. Il la vit venir vers lui. « Te voilà enfin. Je me demandais quand est-ce que tu te montrerais. » Le visage de Louise, baissé vers lui, elle secouait la tête, ses cheveux s’envolaient. Elle riait et lui tendait la main. « Viens, viens donc te coucher. Viens… » Il fut réveillé par ce qui lui sembla être des coups sourds et étouffés, probablement des pieds chaussés de bottes épaisses descendant d’un véhicule. Il entendit le son de nouveau. Il ouvrit les yeux et ne vit que de l’obscurité, plus épaisse encore qu’auparavant. Il y avait quelque chose devant son visage. Il cligna des yeux et sentit de l’humidité. Il était enterré dans la neige. Depuis combien de temps était-il allongé là ? Il battit des paupières pour chasser les flocons, jusqu’à ce que, d’un œil, il réussisse à distinguer ce qui se passait devant lui.

Le groupe formé par Olsen, Price et Faulkner avait disparu. Un 4 x 4 était arrivé. De l’aide. Deux hommes flous chargeaient quelque chose à l’arrière du véhicule. Il avait l’impression de sentir la chaleur qui s’en dégageait, la chaleur, le réconfort, la sécurité. Il lutta pour bouger, découvrit qu’il en était incapable. Il vit un troisième homme devant un monticule sur le sol, un bras levé.

Il y eut deux bruits sourds supplémentaires, accompagnés de flashs de lumière minuscules. Puis les deux hommes du 4 x 4 rejoignirent le tireur. L’un d’eux retira son gant et saisit un paquet de cigarettes, la peau blanche de sa main se détachant dans l’obscurité, avec trois marques semblables à des flèches qui sortaient de sa manche. Ils restèrent un instant immobiles 35

au-dessus du corps, à fumer et à discuter, entourés de volutes de fumée et de condensation. Deux hommes finirent par se pencher pour soulever le cadavre en saisissant un bras et une jambe, comme s’il s’agissait de gibier fraîchement abattu, et le traînèrent jusqu’au 4 x 4. C’était Olsen.

Kovic ferma les yeux. Et ne bougea plus.

Chapitre 3

USS Valkyrie, mer de Chine du Sud

L

e commandant Garrison regarda le jeune opérateur radio par-dessus la monture de ses lunettes.

— Je vous arrête tout de suite, fiston.

Il savait que le gamin avait de bonnes intentions mais, là, il semblait espérer de toutes ses forces que le pont s’ouvre sous ses pieds et l’avale. Bale inspira profondément plusieurs fois et essaya de se calmer. Il savait que le commandant était obsédé par l’anglais simple, il l’avait entendu descendre en flammes un officier des renseignements qui lui parlait de « potentiels de transmission infocentrés ». Il jeta un au coup d’œil au lieutenant Duncan, mais elle était très concentrée sur le bout de sa botte. Garrison se sentit désolé pour le gamin, et essaya de lui offrir une bouée de sauvetage.

— Imaginez que vous l’expliquez à votre…

Non, cela aurait l’air sexiste. Il fallait être prudent, désormais. Il regarda Duncan, qui esquissait un sourire à peine visible, avant de se concentrer sur les premières lueurs violettes du soleil levant à l’est.

— Monsieur, insista Bale, c’est juste qu’il y a tout ce tas d’algorithmes et, depuis les trois dernières heures, c’est…

Nos moniteurs de contrôle…

Bale s’arrêta en pleine phrase, comme s’il se retrouvait soudain à court d’essence. Garrison essaya en vain de retenir un léger rire.

37

— Bale, en quelle année êtes-vous né ?

— En 1991, monsieur.

— Savez-vous où j’étais, en 91 ? J’étais là, sur ce bâtiment, au beau milieu de la première guerre du Golfe. En temps de guerre, il faut dire les choses comme elles sont. Pas de conneries, pas de jargon.

Bale regrettait amèrement de ne pas l’avoir fermée. Il n’aurait même pas dû surveiller le nord, pour commencer.

Mais ce signal, si c’en était bien un, ne ressemblait à rien qu’il ait pu voir auparavant. Il l’avait montré à Ransome lorsque celui-ci avait pris son poste, mais l’homme l’avait simplement qualifié de bruit quelconque. Bale était cependant convaincu qu’il y avait plus. Ce signal était trop net, et il y avait aussi la façon dont il pulsait. Bale avait croisé Garrison juste au moment où il sortait de la salle de contrôle pour sa pause, et il n’avait pas pu se retenir.

— Essayez encore une fois.

Bale inspira profondément de nouveau.

— Allez-y doucement.

— Nous captons un flux de communication émanant d’une position située à l’intérieur des terres en Chine.

Garrison hocha la tête. Le soleil levant transformait la mer limpide en une étendue d’un rose spectaculaire.

— OK, j’ai compris. Continuez.

— Ça a commencé à 4 h 10, pour une durée de trente secondes. Un autre signal a été émis à 5 h 50, d’un demi-degré au sud. Ils ont été renvoyés sur un récepteur à cinq cents mètres à l’intérieur des terres chinoises.

— Très bien, je comprends. Vous l’avez décrypté ?

— C’est là le souci, monsieur. C’est impossible. C’est comme du bruit blanc. Pas de contours.

— Et le récepteur ?

38

— Nous n’avons aucune info. Il se pourrait que ce soit juste un flux continu, mais il ne semble pas se trouver près d’une installation connue, militaire ou de renseignements.

— Pouvez-vous… le capturer ?

Garrison n’était pas certain de savoir ce qu’on faisait dans ces cas-là, alors il choisit un mot familier.

— C’est un autre des problèmes, monsieur. C’est impossible. Il n’a pas… C’est comme de la vapeur. Il finit par se dissoudre.

— Belle analogie, Bale. Faites un rapport et transmettez-le à nos gars des renseignements.

Garrison lui serra l’épaule. Il ne voulait pas tuer dans l’œuf l’esprit d’initiative du gamin, après tout c’était exactement…

Et merde ! Il interrompit net le chemin de ses pensées comme une lumière se faisait soudainement dans son esprit.

— Où ça en Chine, avez-vous dit ?

— Sur la frontière avec la Corée du Nord, une région montagneuse avec…

Garrison se retrouvait en terrain connu.

— Trouvez-moi les coordonnées exactes. Immédiatement.

À suivre...