1312 cher darcy

Amanda Grange nous offre une version épistolaire du classique de Jane Austen : Orgueil et Préjugés.

P

emberley et Longbourn sont décrits à travers le point de vue des différents personnages, mais plus particulièrement à travers celui de l’énigmatique Mr Darcy.

Une série de lettres nous dévoile comment ce dernier surmonte son deuil après la mort de son père bien-aimé ; comment il va gérer la relation le liant au scandaleux Mr Wickham et surtout comment il va succomber aux charmes de la spirituelle Elizabeth Bennet, malgré ce que lui dicte son rang.

« Amanda Grange est l’une des auteures les plus talentueuses pour réinventer l’univers de Jane Austen.

Elle nous livre ici une histoire touchante et intimiste qu’on dévore littéralement. » Austenprose – A Jane Austen blog

Traduit de l’anglais (Grande-Bretagne) par Claire Allouch Photographie de couverture : © Shutterstock ISBN : 978-2-8112-1113-4

9 782811 211134

Couv Cher Mr Darcy (30).indd 1

15,20 €

24/10/13 15:59

Du même auteur, chez Milady : Le Journal de Mr Darcy Le Journal du colonel Brandon Le Journal de Mr Knightley Le Journal du capitaine Wentworth Cher Mr Darcy

Ce livre est également disponible au format numérique

www.milady.fr

Amanda Grange

Cher Mr Da rcy D’a pr è s O r g u e i l

et

Pr éjugés

Traduit de l’anglais (Grande-Bretagne) par Claire Allouch

Milady

Milady est un label des éditions Bragelonne Titre original : Dear Mr. Darcy Copyright © 2012 by Amanda Grange Tous droits réservés y compris les droits de reproduction en totalité ou en partie sous quelque forme que ce soit. Publié avec l’accord de The Berkley Publishing Group, membre de Penguin Group (U.S.A.) Inc. Les personnages et événements de ce livre sont les produits de l’imagination de l’auteur ou utilisés de manière fictive.

Toute ressemblance avec des personnes, lieux ou événements existant ou ayant existé serait purement fortuite. © Bragelonne 2013, pour la présente traduction ISBN : 978-2-8112-1113-4 Bragelonne – Milady 60-62, rue d’Hauteville – 75010 Paris E-mail : info@milady.fr Site Internet : www.milady.fr

Note de l’auteure

J’ai toujours été fascinée par les romans de Jane Austen, en particulier Orgueil et Préjugés. Austen a commencé à le rédiger en 1796-1797 puis l’a beaucoup révisé avant de le publier en 1813. Il paraît probable qu’elle l’ait commencé sous forme épistolaire, car le brouillon de Raison et Sentiments, qu’elle a écrit à peu près en même temps, était rédigé sous forme de lettres.

Pendant des années, je me suis demandé quels nouveaux person­­ nages seraient nécessaires pour faire évoluer l’intrigue sous cette forme, et quel éclairage intéressant les lettres pourraient donner.

J’ai imaginé les sentiments de Caroline Bingley, si désireuse de gravir l’échelle sociale, en apprenant que son frère fréquentait Mr Darcy de Pemberley, et ceux de Louisa envers Mr Hurst.

J’ai imaginé les propriétaires de Netherfield et les raisons pour lesquelles ils quittaient leur maison, la rendant ainsi disponible lorsque Mr Bingley chercherait un domaine à louer. J’ai envisagé les lettres d’Elizabeth à sa tante Gardiner, si raisonnable, et celles qu’elle échange avec Jane. Puis celles de Mr Darcy à sa famille lors de la mort de son père, ce qu’il ressentait en endossant la responsabilité de sa jeune sœur et du domaine de Pemberley, ainsi que ses sentiments pour Elizabeth exprimés dans des lettres à sa famille et ses amis.

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Quand certains explorent leurs idées au sujet des livres de Jane Austen, ils échangent avec d’autres Janéites ou écrivent des articles érudits. Pour ma part, lorsque j’ai envie d’aller au bout de mes idées, j’écris un roman.

J’ai saisi l’occasion d’inclure l’avenir que Jane Austen elle-même avait prévu pour Mary et Kitty Bennet et qu’elle avait révélé aux membres de sa famille qui lui avaient demandé ce qu’il advenait des autres demoiselles Bennet.

Voici donc ma vision de ce qu’aurait pu être Orgueil et Préjugés dans sa première forme, rédigée pour distraire tous les admirateurs de Jane Austen et de ce cher Mr Darcy.

Amanda Grange

1795

MAI

Mrs Reynolds à Mr Darcy Pemberley, Derbyshire, le 25 mai Cher Mr Darcy, J’espère ne pas mal agir en m’adressant à vous, car je ne suis que la gouvernante, mais votre père est très malade et j’ai pensé que vous préféreriez le savoir. Le médecin dit qu’il n’y a aucune raison de s’inquiéter, que ce sont ses maux habituels, mais je crois pour ma part que c’est différent cette fois-ci. Je prends sur moi de vous écrire, afin que, si vous le désirez, vous puissiez rentrer à Pemberley pour juger par vous-même.

Respectueusement, Mrs Reynolds

Mr Darcy à Mrs Reynolds Cambridge, le 26 mai Mrs Reynolds, vous vous êtes montrée très bonne envers moi. Je me suis fait du souci au sujet de mon père depuis que je 9

l’ai quitté à Pâques, et je vous suis extrêmement reconnaissant de l’inquiétude que vous témoignez. Je me mets en route dès à présent, en espérant vous rejoindre après-demain.

Fitzwilliam Darcy

Mr Darcy père à Mr Darcy Pemberley, Derbyshire, le 26 mai Mon bien cher fils, J’ai découvert que Mrs Reynolds vous avait écrit, et je ne parviens pas à le lui reprocher, car je crois que ses craintes sont fondées. J’espère vivre assez longtemps pour vous revoir mais, au cas où vous arriveriez trop tard, je vous laisse cette lettre, afin de pouvoir vous exprimer tout ce que j’ai à vous dire.

Pour commencer, je suis très fier de vous. Vous avez toutes les qualités que je souhaitais trouver en un fils, car vous êtes un vrai Darcy, et c’est là le plus grand compliment que je puisse faire.

N’oubliez jamais qui vous êtes, et gardez toujours une supériorité dans vos manières qui reflète celle de votre naissance. N’encouragez pas le commun des mortels à se montrer familier avec vous ; soyez prudent, ces gens voudront attirer votre attention ; mais il vous suffira d’avoir l’attitude adéquate pour qu’ils abandonnent leurs prétentions.

Prenez soin de votre sœur, protégez-la de ceux qui vou­­ draient gagner ses faveurs, et lorsqu’elle grandira, tenez les chasseurs de dot à distance. Quand le moment viendra, arrangez-lui un bon mariage. Choisissez l’un de ses pairs, mais il faut que ce soit un homme qu’elle aime. Je n’ai pas de vœu plus cher que son bonheur.

D’ici là, vous serez vous-même sans nul doute marié. Gardez en tête que la femme à qui vous accorderez cet honneur ne sera 10

pas seulement votre épouse. Elle devra aussi être une sœur pour Georgiana et une maîtresse pour Pemberley.

Elle devra s’attirer le respect des domestiques et l’affection de votre famille ; refléter la grandeur des Darcy ; être une hôtesse gracieuse et un modèle de vertu féminine, une dame empreinte de modestie ; avoir un goût raffiné et le sens des convenances. Il faut en outre que vous puissiez l’admirer, la respecter et l’estimer, et non seulement l’aimer.

Pour les questions de cette nature, je vous adresse au fils de mon frère, votre cousin Philip. Lui aussi porte le nom des Darcy, et sur ses épaules, comme sur les vôtres, reposera la responsabilité de maintenir les traditions et de perpétuer notre nom. C’est une noble destinée, et je sais que vous y excellerez.

Soyez affable avec les pauvres, bon avec ceux qui sont dans le besoin, juste en tant que propriétaire et que maître. Lorsque l’on vous sert avec un dévouement particulier, récompensez cette personne comme je l’ai fait pour Mr Wickham, mon fidèle régisseur. C’était un réel plaisir pour moi que d’envoyer son fils George à l’université, afin de lui permettre de progresser dans le monde et de faire son chemin comme un homme de bien. Je dois, à présent, vous laisser le soin de veiller sur George de toutes les façons qui vous sembleront devoir lui apporter des avantages à l’avenir ; en particulier, songez à lui confier la charge de Kympton s’il venait à entrer dans l’Église. C’est une bonne paroisse, dotée d’un agréable presbytère, et cela lui fournira un revenu respectable.

Je ne puis écrire davantage, car je suis trop épuisé pour continuer à tenir la plume. J’espère vivre assez longtemps pour vous revoir, mais si ce n’était pas le cas, je vous donne ma béné­ diction, mon fils, et je vous quitte sur ces mots : soyez un ami loyal, un homme juste, un tendre frère, et par-dessus tout, souvenez-vous qui vous êtes : Fitzwilliam Darcy de Pemberley.

Votre père qui vous aime, George Darcy

JUIN

Mr Darcy à Mr Philip Darcy Pemberley, Derbyshire, 1er juin Philip, je vous écris pour vous annoncer une terrible nouvelle. Mon père est mort. Je suis rentré à Pemberley, alerté par Mrs Reynolds, et l’ai trouvé très malade. J’ai traversé l’entrée en courant et l’escalier m’a paru interminable. Enfin, je suis arrivé devant sa porte et me suis arrêté un instant pour reprendre contenance. Le médecin, qui m’avait entendu, est sorti, l’air grave. Il a secoué la tête, et pendant un moment affreux j’ai cru qu’il était trop tard et que mon père était déjà parti. Me préparant au pire, je suis entré dans la pièce. Elle était plongée dans la pénombre, et au départ je n’y voyais rien, puis j’ai distingué sa silhouette sur le lit. Sa poitrine ne semblait pas se soulever, et c’est avec des pieds de plomb que je me suis approché.

Mais il a tourné la tête et m’a aperçu. Je me suis agenouillé à ses côtés et j’ai pris sa main, en remerciant Dieu d’être rentré à temps.

Il m’a souri et m’a serré les doigts. Il a eu le temps de me donner sa bénédiction avant de fermer les yeux pour toujours.

J’ignore combien de temps je suis resté ainsi. Mrs Reynolds a fini par me trouver et m’aider à descendre. Je suis demeuré dans la salle à manger jusqu’à ce que la lumière décline et je n’ai bougé que lorsque l’on a apporté des bougies. La lueur qui a éclairé les 12

miniatures sur la cheminée m’a fait reprendre conscience, et j’ai songé à quel point mon père les aimait… Il regardait souvent le portrait de Georgiana et le mien, débordant de fierté.

Je ne puis croire qu’il ne les reverra jamais.

Je me sens seul et vide. Pourtant, dans cet état d’abattement, j’ai plus à faire que jamais. Les domestiques espèrent de moi que je les guide. Et il n’y a pas qu’eux : les locataires et les villageois aussi, de même que tous ceux qui comptent sur moi, sur Pemberley et sur le nom des Darcy pour les protéger, assurer leur prospérité et leur bien-être. Tous attendent que je devienne le chef de la famille, et je ne sais pas où je vais puiser la force nécessaire. Pourtant, il faut que je la trouve, et vite, car tous dépendent de moi… surtout Georgiana.

Elle était très pâle, la pauvre petite, en apprenant la nouvelle.

Cela m’a brisé le cœur de la voir si fragile. J’ai fait ce que j’ai pu pour la consoler, mais malgré tous mes efforts, elle avait besoin d’une mère… et notre mère est morte depuis longtemps. Être orpheline à seulement onze ans ! Malheureuse enfant ! Elle est aussi perdue que moi.

Je remercie Dieu de m’avoir donné ma tante Adelaide. Elle a quitté le Cumbria dès que la nouvelle lui est parvenue. Elle a emmené Georgiana qui va s’installer dans le nord de l’Angleterre, là où nos cousins Fitzwilliam vont la choyer, la gâter, et faire de leur mieux pour la réconforter. J’avais le cœur serré en la voyant partir, mais je me console avec la pensée que c’était le meilleur choix pour elle.

Mon cousin Henry, qui accompagnait sa mère, est resté avec moi. Je suis sûr que vous vous souvenez de Henry Fitzwilliam, mon cousin maternel qui est dans l’armée. Il sera à mes côtés pour les funérailles, mais j’apprécierais votre soutien également. Je dois être digne et servir de modèle à l’assistance en deuil, mais pour le moment je me demande comment je vais survivre. Viendrez-vous ?

Darcy

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Mr Philip Darcy à Mr Darcy Wiltshire, le 2 juin J’arrive.

Philip D.

Lady Adelaide Fitzwilliam à Mr Darcy Fitzwater Park, Cumbria, le 3 juin Mon cher Fitzwilliam, Vous voulez certainement savoir comment nous nous portons, dans le Cumbria. Georgiana est très silencieuse, et votre oncle est choqué de la voir si changée, toute mince et pâle, mais nous sommes tous décidés à la guérir de son chagrin.

Dieu merci, c’est l’été, et elle peut donc prendre l’air. Maud a l’intention de l’emmener pour une promenade à cheval cet après-midi. Il fait beau, et nous espérons que cela lui redonnera des couleurs. Peter lui a promis l’un des chiots de Sheba, et même si elle n’a pas paru lui prêter attention sur le moment, plus tard elle m’a demandé combien de chiots comptait la portée. Je suis sûre que cela lui fera du bien de les voir. Nous prendrons soin d’elle et la garderons chez nous jusqu’à ce qu’elle ait retrouvé son entrain d’antan.

Nous sommes tous si fiers de vous et de la façon dont vous supportez votre deuil. Votre père le serait, lui aussi. J’espère que vous vous sentez réconforté par le fait que les pensées de toute votre famille vous accompagnent.

Votre tante qui vous aime, Adelaide 14

Mr Darcy à Lady Adelaide Fitzwilliam Pemberley, Derbyshire, le 4 juin Je ne saurais vous dire combien votre lettre m’a aidé. La certitude que Georgiana est entre de bonnes mains, chez ses cousins, et qu’elle attend avec impatience de choisir un chiot, me permet de supporter tout ce qui s’impose à moi.

Les funérailles sont désormais passées, Dieu merci. Henry et Philip étaient auprès de moi, et ils m’ont été d’un grand soutien.

Ils marchaient, à mes côtés, dans notre triste trajet derrière le cercueil.

Lorsque nous nous sommes mis en route, dans l’allée, je ne pensais à rien d’autre qu’à mon père : le jour où il m’a fait monter sur mon premier poney ; celui où il m’a appris à pêcher ; sa fierté quand je suis entré à l’école ; ses conseils lorsque je suis devenu majeur ; et le dernier souvenir, aussi tragique que chéri, de lui me prenant la main et me bénissant dans son ultime souffle.

En quittant le domaine, j’ai été réconforté par la vue qui s’offrait à moi : la route était bordée de gens venus présenter leurs derniers hommages, la tête basse, le chapeau à la main. Ils nous ont emboîté le pas en silence alors que nous passions devant eux, le groupe devenant de plus en plus important dans la procession.

Personne ne parlait, mais leur présence, ainsi que l’amour manifeste qu’ils avaient pour papa, m’ont donné de la force.

Lorsque nous sommes arrivés à l’église, le cortège s’étirait aussi loin que portait le regard. L’édifice n’a pas tardé à être plein, et ceux qui n’ont pu trouver de place à l’intérieur ont attendu paisiblement dehors. J’entendais par les portes ouvertes leurs voix qui murmuraient les répons du fond du cœur. Le sermon de Mr Light était une source d’inspiration, et mon père a été mis en terre avec tous les honneurs liés à son rang, accompagné de 15

l’amour de sa famille et du respect de ses semblables. Tandis que la terre tombait sur le cercueil, je lui ai dit « adieu ».

Nous sommes partis, et à ce moment-là, j’ai senti contre toute attente ma douleur s’atténuer. Pour la première fois, j’avais la certitude de pouvoir surmonter cette épreuve et succéder à mon père comme maître de Pemberley.

D’une certaine façon, je sais que son esprit est toujours avec moi. Ses mots me guident, et la lettre qu’il m’a laissée me soutient.

J’ai de la chance d’avoir cela, de même que j’ai eu l’heur de l’avoir pour père.

Lorsque nous sommes rentrés à Pemberley, Mrs Reynolds avait préparé un repas de funérailles. Les voisins m’ont présenté leurs condoléances en se remémorant les moments heureux partagés avec mon père. Les cuisines et les écuries étaient envahies par les villageois des environs qui avaient suivi mon père jusqu’à sa dernière demeure, et qui avaient tous une histoire à raconter sur sa gentillesse et sa générosité. À présent, c’est terminé, et la vie doit continuer. Henry va rejoindre son régiment, mais Philip a accepté de rester avec moi jusqu’à la fin du mois afin de m’aider à mettre les affaires en ordre. Et lorsque j’aurai paré au plus pressé, je serai prêt à ramener Georgiana à Pemberley.

Avec toute l’affection de votre neveu, Fitzwilliam

Lady Adelaide Fitzwilliam à Mr Darcy Fitzwater Park, Cumbria, le 20 juin Mon cher Fitzwilliam, Nous n’avons cessé de penser à vous durant ces dernières semaines, et nous étions tous heureux de lire vos mots si touchants 16

à propos des funérailles, et de savoir que vous y avez fait preuve de tant de dignité. La mort d’un parent n’est jamais facile, et c’est encore plus dur lorsque l’on n’a que vingt-deux ans. Je suis contente que Philip soit avec vous. Ayant également perdu son père alors qu’il était jeune, il pourra vous aider dans cette période difficile.

Je suis certaine qu’il vous apportera son assistance dans toutes vos affaires, mais si vous aviez besoin de conseils supplémentaires, votre oncle me demande de vous dire de ne pas hésiter à faire appel à lui quand vous le voulez.

Georgiana est d’une humeur bien plus gaie, et elle s’est départie de son air triste et étiolé. Nous l’avons emmenée à Ullswater il y a quelques jours pour pique-niquer au bord du lac. Il semblerait que cette sortie lui ait plu : lorsque Peter lui a donné un chiot – une jolie chienne fauve –, elle l’a baptisée Ullswater. Elle nous a expliqué que les yeux de l’animal étaient transparents comme de l’eau, et que cela lui rappelait le lac. Mais Sam, le valet, lui a donné un fou rire en lui affirmant que le nom était très bien choisi, car la petite chienne a toujours besoin « d’aller aux waters ». Georgiana a essayé de contenir son hilarité, bien sûr, consciente qu’il n’était pas très élégant de s’esclaffer ainsi, surtout dans un moment comme celui-là, mais nous étions tous tellement heureux de la voir retrouver sa joie de vivre que cela ne nous a pas dérangés le moins du monde.

Elle s’épanouit grâce au bon air et – merci Seigneur ! – au soleil de notre Cumbria. Votre oncle me faisait remarquer l’autre jour qu’on dirait bien que Georgiana nous a amené le soleil, car nous n’avions jamais eu un tel été. La pluie a été tenue à distance.

Votre cousine Maud emmène de nouveau Georgiana pour une promenade à cheval demain, et si le beau temps persiste, nous pique-niquerons samedi.

Votre tante qui vous aime, Adelaide

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Mr Darcy à Lady Adelaide Fitzwilliam Darcy House, Londres, le 26 juin Ullswater ! Comme j’aimerais voir Georgiana rire à nouveau…

Le simple fait de lire votre récit me réconforte au plus haut point !

Je dois vous avouer, cependant, que j’éprouve de vives inquiétudes quant à son avenir ; pas pour les prochaines semaines ni les prochains mois, mais pour les années à venir. Je ne peux rester en permanence à Pemberley, et suis réticent à la laisser seule dans cette grande maison. Je songe à l’envoyer en pension, afin qu’elle jouisse de la compagnie de filles de son âge. Dites-moi ce que vous pensez de cette idée : j’apprécierais une opinion féminine.

Ullswater profiterait du domaine en son absence, avec les autres chiens, et serait là pour l’accueillir lorsqu’elle rentrerait.

Remerciez mon oncle pour sa proposition, mais j’ai le sentiment d’avoir les choses bien en main. Le seul point qui me tracassait était le filleul de mon père, George Wickham – vous vous souvenez sans doute de lui –, car, dans son testament, mon père m’a demandé de lui donner la paroisse de Kympton lorsque l’actuel clergyman viendrait à mourir. Je l’aurais fait de bon cœur, si je n’étais pas, par ailleurs, convaincu que George n’est pas fait pour l’Église. Mon père percevait le charme de George et son abord facile, parce que c’était ce que George prenait soin de lui montrer, mais il a des facettes plus sombres que j’ai eu tout le loisir de découvrir lorsque nous étions à l’université ensemble.

J’ai évoqué la question avec nos hommes de loi, et ils m’ont rassuré : le testament se contente de demander, et non d’exiger, que la paroisse soit confiée à George. Cela m’a apporté la paix sur ce point, d’autant que mon opinion de George s’est encore dégradée. Je l’ai invité aux funérailles, mais il ne m’a répondu que ce matin, prétendant que ma lettre s’était perdue. Comme son propre courrier n’était rien d’autre qu’une demande d’argent à peine déguisée, je l’ai informé que mon père lui avait laissé la 18

somme de mille livres, que je lui ai aussitôt fait envoyer. Mais je ne puis lui pardonner son absence à l’enterrement.

Il ne pense pas davantage à son père qu’au mien. Mr Wickham père est malade depuis quelque temps, et il n’est guère probable qu’il vive plus de quelques mois, mais George ne lui rend jamais visite, bien que je le lui aie demandé à de nombreuses reprises. Ce sera un triste jour pour la famille Darcy et pour Pemberley lorsque Mr Wickham père nous quittera.

Je vous rejoindrai à Fitzwater Park dès que j’aurai réglé mes affaires à Londres, ensuite je ramènerai Georgiana à Pemberley.

Je ne vous remercierai jamais assez d’avoir pris soin d’elle, et de lui avoir redonné la santé et la joie de vivre.

Avec toute l’affection de votre neveu, Fitzwilliam

JUILLET

Lady Adelaide Fitzwilliam à Mr Darcy Fitzwater Park, Cumbria, le 3 juillet L’envoyer en pension est une bonne idée ; je vais écrire à toutes mes amies pour leur demander laquelle serait la meilleure pour elle. Elle n’a pas besoin d’y aller tout de suite, cependant, et nous espérons que vous nous la laisserez au moins jusqu’à la fin du mois d’août. Lorsque vos affaires seront en ordre, pourquoi ne pas venir passer quelques semaines avec nous avant de ramener Georgiana à Pemberley ?

Ne vous inquiétez pas de son éducation en attendant, car nous ne la négligeons pas, je vous assure. Elle joue du pianoforte tous les jours, elle chante et danse avec ses cousins, elle dessine, peint et coud, et lorsqu’elle ne s’occupe pas ainsi, elle éduque Ullswater, qui ne demande qu’à essayer de bien faire, et la suit comme son ombre.

C’est adorable de les voir tous les deux ensemble.

Votre oncle et vos cousins vous envoient leurs meilleures pensées.

Votre tante qui vous aime, Adelaide

AOÛT

Mr Darcy à Lady Adelaide Fitzwilliam Darcy House, Londres, 1er août Merci pour la liste de pensions que vous m’avez adressée ; j’ai l’intention de les visiter toutes. Cette occupation me fera du bien, car elle me permettra de chasser la mélancolie qui m’envahit de temps à autre, lorsque je pense à mon père et à tout ce que j’ai perdu. Mais Philip m’a beaucoup soutenu, de même que tous mes amis et mes connaissances… les dames en particulier.

Lorsqu’elles ont appris que je visitais des écoles afin de choisir celle de Georgiana, toutes avaient quelque chose à dire ; en réalité, elles se sont toutes déclarées prêtes à m’aider au sujet de ma sœur de toutes les manières possibles. Je ne savais pas que des sentiments si louables se cachaient sous la surface de toutes ces étincelantes beautés, car on croirait que chacune d’entre elles rêve d’avoir une sœur ! Si j’étais vaniteux, je croirais que ce qui les attire est le fait que je sois bel homme, car je m’entends décrire ainsi où que j’aille.

Mais je suspecte que si ma fortune changeait de dix mille livres à dix livres par an, on me considérerait comme très ordinaire.

Pourtant, je l’avoue, j’ai commencé à penser au mariage. Je n’ai jamais eu l’intention de convoler avant d’avoir trente ans, mais à présent que je suis le dernier de ma lignée, il me semble que je dois 21

à Pemberley de me presser. En effet, je m’inquiète parfois de ce qui se passerait si je devais mourir sans enfant.

Il n’y a pas de clauses particulières sur le domaine, et je suis libre de le laisser à qui je veux. En l’occurrence, j’ai inscrit dans mon testament qu’il devait revenir à Georgiana. Si quelque chose m’arrivait, je sais qu’elle ne manquerait de rien et n’aurait pas besoin de quitter le patrimoine familial. Mais Pemberley serait un lourd fardeau pour elle, qui est si jeune, et il devrait être remis entre les mains d’un régisseur. Si Mr Wickham père était en bonne santé, je ne me ferais pas de souci : il a très bien servi mon père, et Pemberley serait en sécurité sous sa direction. Mais sa santé est précaire, et je crains qu’il ne soit plus là très longtemps.

En outre, lorsque Georgiana se mariera, elle prendra le nom de son époux, et celui des Darcy du Derbyshire s’éteindra. Aussi, si je peux trouver une femme qui me convienne, je compte mettre fin à mon célibat.

J’ai regardé autour de moi, mais personne ne me satisfait.

Ma tante, lady Catherine, a souvent répété que ma mère et elle m’avaient fiancé à Anne au berceau, mais c’était il y a longtemps, et je suis convaincu qu’Anne n’aime pas plus que moi cette idée.

Je ne peux pas croire que lady Catherine s’attende réellement à ce que nous réalisions le vœu de nos mères, qui a été formé alors que nous n’avions que quelques mois.

Mon père avait beaucoup réfléchi à la question de mon mariage, et il m’a longuement écrit à ce sujet dans sa dernière lettre. Je me dois à moi-même, ainsi qu’à Pemberley, de suivre ses recommandations. Mon épouse ne sera pas seulement la compagne de ma vie, elle sera également la maîtresse de Pemberley et la sœur de Georgiana. Je n’ai encore rencontré personne qui soit digne de ces attributions.

Philip me comprend. En tant que chef de famille, il a les mêmes devoirs que moi, bien qu’il ne se trouve pas dans une situation aussi difficile. Ses frères n’ont que quelques années de moins que lui et hériteront s’il meurt sans descendant ; ils seraient 22

pleinement capables de s’occuper du domaine. Je ne dispose pas d’un tel atout…

Peut-être pourrez-vous me présenter quelques demoiselles dans le Cumbria. Je suis sûr que vous en connaissez dont vous pensez qu’elles pourraient me convenir. Je compte venir vous retrouver la semaine prochaine. Henry a l’intention de m’accompagner.

Maintenant que l’Espagne a signé la paix avec la France, il a une courte permission. J’espère que cela n’annonce pas l’effondrement de la coalition. Si je ne souhaite pas voir l’Europe ravagée par de nouvelles guerres, je crains malheureusement que cela ne soit inévitable. Nous pensons arriver mercredi. Je suis impatient de vous revoir tous, surtout Georgiana. Elle m’a terriblement manqué…

Je joins un billet pour elle dans cette lettre.

Avec toute l’affection de votre neveu, Fitzwilliam

Mr Darcy à Georgiana Darcy Darcy House, Londres, le 1er août Bien chère Georgiana, Je viens vous rejoindre dans le Cumbria la semaine prochaine.

J’y passerai l’été avant de vous ramener à Pemberley. Votre chambre a été retapissée avec un papier bleu, et un panier attend Ullswater, dont j’espère que vous l’avez dressée à ne plus aller constamment « aux waters » ! Vous m’avez manqué, et j’ai hâte de vous revoir.

Avec toute l’affection de votre frère, Fitzwilliam

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Le colonel Fitzwilliam à Mr Darcy Fitzwilliam House, Londres, le 5 août Je vous écris ces quelques mots à la hâte. Je vous fais porter ce billet par un valet, car je ne serai finalement pas en mesure de vous accompagner dans le Cumbria. J’ai été rappelé dans mon régiment et, lorsque vous recevrez ce courrier, je serai déjà sur le Continent. Je ne vous cacherai pas que les perspectives sont mauvaises. Les rumeurs prétendent que d’autres pays veulent faire la paix avec la France, et si cela se produit, je crains que seule l’Angleterre n’ait le courage – et les moyens financiers – de continuer à lutter. Transmettez mes meilleures pensées à ma famille et dites à Georgiana que je suis impatient de la revoir quand je rentrerai en Angleterre.

Au fait, j’ai vu votre ami George Wickham ce matin. Il titubait, ivre mort, au sortir d’une taverne, à 10 heures. Il offrait un désolant spectacle, zigzaguant d’un côté à l’autre de la rue. Il est encore jeune, et on peut espérer qu’il s’amende assez vite, mais c’est une bonne chose que votre père vous ait laissé maître de décider de lui confier ou non la paroisse, car autrement il attirerait le déshonneur sur l’Église, le voisinage et les ouailles, autant que sur lui-même.

Votre cousin, Henry