Pouvoirs de persuasion - extrait

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Serait-il prêt à commettre l’irréparable pour sauver cette mystérieuse inconnue ? On murmure dans les rues de Londres que la famille Wherlocke possède d’étranges pouvoirs. Pourtant, Ashton Radmoor refuse de se fier à ces rumeurs ; il ne croit que ce qu’il voit. Mais lorsqu’il se trouve confronté à la belle Penelope Wherlocke, manipulée pendant son sommeil par des forces obscures qui la poussent au mensonge et à la trahison, il ne sait plus que penser. Le jeune lord ferait mieux de l’oublier, mais c’est plus fort que lui. Il va tenter tout ce qui est en son pouvoir pour délivrer la jeune femme de sa malédiction…

INÉDIT Action / Sentiments/ Sexy

« Hannah Howell offre à ses lectrices une nouvelle série fascinante. »

Booklist « Encore une histoire captivante, pleine d’aventures et d’émotions. »

Romantic Times Traduit de l’anglais (États-Unis) par Mathias Lefort Couverture : © Shutterstock ISBN : 978-2-8112-1184-4

9 782811 211844

7,90 €

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Du même auteur, chez Milady : Le Clan Murray : 1. La Promesse des Highlands 2. Le Chevalier des Highlands 3. La Fiancée des Highlands Wherlocke : 1. Pouvoirs de séduction 2. Pouvoirs de persuasion 3. Pouvoirs d’attraction

Ce livre est également disponible au format numérique

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Hannah Howell

Pouvoirs de persuasion Wherlocke – 2 Traduit de l’anglais (États-Unis) par Mathias Lefort

Milady Romance

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Milady est un label des éditions Bragelonne

Titre original : If he’s sinful Copyright © 2009 by Hannah Howell Suivi d’un extrait de : If he’s wild Copyright © 2010 by Hannah Howell Tous droits réservés. Publié avec l’accord de Kensington Publishing Corp. © Bragelonne 2014, pour la présente traduction ISBN : 978-2-8112-1184-4 Bragelonne – Milady 60-62, rue d’Hauteville – 75010 Paris E-mail : info@milady.fr Site Internet : www.milady.fr

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Chapitre premier

Londres, automne 1788.

A

voir un couteau sous la gorge, remarqua Penelope, avait tendance à vous faire voir les choses autrement. Elle demeura parfaitement immobile tandis que celui qui la maintenait maladroitement, un homme costaud qui dégageait une odeur assez peu ragoûtante, ajustait sa prise. Soudain, toute la colère qu’elle éprouvait, tout son ressentiment envers sa demi-sœur qui la traitait comme si elle ne valait pas mieux qu’une vulgaire servante lui parut bien futile et insignifiant. Alors que son assaillant la soulevait, elle se fit la réflexion qu’il était aussi bien sûr possible qu’il s’agisse là d’une sorte de vengeance cosmique pour toutes ces fois où elle avait souhaité le malheur de sa demi-sœur. L’un des deux complices lui attacha les chevilles de la même manière que l’avaient été ses poignets. Son ravisseur l’emmena ensuite dans une allée sombre qui sentait, à peu de choses près, aussi mauvais que lui. Quelques heures plus tôt seulement, elle avait regardé Clarissa monter dans un carrosse en compagnie de celui qui deviendrait bientôt son fiancé, lord Radmoor. Elle l’avait observée de la

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fenêtre fissurée de sa minuscule chambre dans le grenier, et avait indubitablement caressé le vil espoir de la voir trébucher et s’étaler dans l’immonde mare boueuse sous les roues du carrosse. Cependant, elle trouvait que se faire enlever par un larron armé d’un couteau et flanqué de deux colosses était une cruelle punition en comparaison de ce souhait puéril provoqué par la jalousie. Après tout, elle n’avait jamais souhaité la mort de Clarissa. Pourtant, cela lui semblait bien être le sort qui lui était réservé. Penelope soupira, admettant à regret qu’elle était partiellement responsable de la situation délicate dans laquelle elle se trouvait à cet instant. Elle était restée trop longtemps avec les garçons. Même le petit Paul avait insisté pour qu’elle ne rentre pas chez elle de nuit. Il était embarrassant de constater qu’un enfant de cinq ans avait plus de bon sens qu’elle. Elle ne put retenir un petit cri de douleur, néanmoins étouffé par l’infect morceau de tissu avec lequel elle avait été bâillonnée, lorsque le brigand trébucha, et que la lame froide et aiguisée lui fit une entaille. Pendant un bref instant, la peur qu’elle tenait en échec tant bien que mal la submergea, si bien qu’elle se sentit sur le point de vomir. La chaleur de son propre sang dégoulinant jusque dans l’échancrure de son corsage ne fit qu’amplifier sa peur. Il lui fallut quelques instants pour parvenir à se raccrocher aux derniers lambeaux de courage qui lui restaient et recouvrer un semblant de calme. Elle comprit aussi à la quantité peu importante de sang qui coulait qu’elle

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n’avait pas la gorge tranchée. Cela l’aida à étouffer la panique qui menaçait de s’emparer d’elle. — T’es sûr qu’on peut pas s’en mettre un petit morceau sous la dent, Jud ? demanda le plus épais et le plus velu des acolytes de son assaillant. — Les ordres, c’est les ordres ! rétorqua le chef tout en reposant la lame du couteau contre la gorge de Penelope. Ce morceau-là te coûtera plus que le pied que tu prendras avec elle. — Y’a personne qui mouftera, et puis elle, elle pourra même pas raconter ce qu’on lui a fait. — J’veux pas prendre le risque. Et puis, une gueuse pareille, ça se débat, et on verra bien les marques. Si ça se voit, on saura ce que t’as fait, et cette chienne de Mrs Cratchitt le devinera aussi. Elle sera bien contente de trouver un truc pour pas nous payer pour le boulot qu’on fait là. — Ouais, cette vieille morue pensera tout de suite à en profiter. Mais quand même, ça serait vraiment dommage que je puisse pas prendre un petit morceau de chair fraîche avant qu’on la donne à becqueter à n’importe qui pour quelques piécettes. — Ben, si ton machin te démange, faut d’abord que tu les gagnes, ces quelques piécettes. Après, tu pourras t’offrir une fille. — Ouais, mais pas une aussi fraîche, ni aussi appétissante, j’ai pas raison ? — Celle-là le restera pas non plus, si la vieille sorcière lui réserve le même sort qu’aux autres. Enfin, elle le sera plus quand t’auras gagné de quoi te la payer.

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Penelope comprit qu’on l’emmenait dans une maison close. Elle dut de nouveau se battre farouchement pour ne pas se laisser emporter par la peur. Elle était toujours en vie, se répéta-t-elle, et il semblait qu’elle le resterait longtemps encore. La jeune femme s’obligea à puiser du réconfort dans cette pensée. Cela n’apporterait rien de bon de trop réfléchir aux choses abjectes qu’elle serait peut-être amenée à faire avant de pouvoir s’échapper ou d’être secourue. Elle devait avoir une idée en tête, une seule idée – s’enfuir. Ce ne fut pas aisé, mais Penelope s’efforça de graver dans sa mémoire l’itinéraire qu’ils empruntaient. Dans la pénombre, ajoutée aux nombreux détours que ses ravisseurs prenaient, il lui fut presque impossible de mémoriser tous les repères qu’ils croisaient afin de pouvoir retrouver son chemin hors de ce labyrinthe. Elle dut faire beaucoup d’efforts pour ne pas perdre l’espoir d’être un jour capable de s’enfuir, car il lui fallait absolument retourner auprès de ses petits garçons, qui n’avaient personne d’autre qu’elle pour s’occuper d’eux. Elle fut conduite dans les cuisines d’une maison où se trouvaient deux femmes et un homme. Toutefois, ils ne lui jetèrent qu’un bref coup d’œil avant de retourner à leurs tâches. Cela ne lui disait rien qui vaille : ces gens paraissaient avoir tellement l’habitude d’assister à ce genre de scène qu’ils ne s’en émouvaient plus du tout. Alors que son agresseur la portait pour monter un escalier étroit et obscur, Penelope entendit les

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voix et la musique qui provenaient d’en dessous, à l’avant de l’établissement qui semblait être tout autant un dédale que les ruelles qui y menaient. Lorsqu’ils furent arrivés au sommet de l’escalier et qu’ils commencèrent à remonter le couloir, elle perçut les murmures de voix derrière chaque porte fermée. D’autres bruits lui parvenaient, mais elle fit de son mieux pour ne pas songer à ce qu’il se passait dans ces chambres. — C’est là. Chambre vingt-deux, marmonna Jud. Tom, ouvre la porte. Le complice épais et velu s’exécuta, et le chef de bande la fit entrer dans la pièce. La jeune femme eut tout juste le temps de remarquer à quel point celle-ci était petite avant que Jud la lance sur le lit qui était disposé au centre de la pièce. Le matelas était étonnamment propre et confortable. Bien qu’il se trouve dans un quartier minable, l’établissement dans lequel on l’avait amenée devait être un des plus chic bordels, qui accueillait une clientèle de gentilshommes raffinés et fortunés, supputa Penelope. Elle savait pourtant qu’elle ne devrait pas compter sur leur aide. — Tom, fais venir la vieille sorcière. Plus vite elle sera là, plus vite on pourra filer, ordonna Jud avant de baisser les yeux sur Penelope en fronçant un sourcil lorsque son acolyte fut parti. Je parie que tu sais pas pourquoi qu’elle voulait se débarrasser de toi, la grosse bourgeoise, je m’trompe ? Penelope secoua lentement la tête alors qu’un doute implacable s’emparait d’elle.

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— Moi, j’y comprends rien de rien. Ça peut pas être la jalousie ou quelque chose dans ce goût-là. Ça peut pas être parce qu’elle croit que tu fais des choses avec son homme, si ? Vous êtes pas aussi pomponnée, pas aussi bien mise, et vous avez pas ses généreux atouts. Une petite maigrichonne comme vous, ça devrait pas poser de problèmes à une bonne femme avec des avantages pareils. Alors, pourquoi elle veut vous faire disparaître, hein ? Petite maigrichonne ? s’indigna intérieurement Penelope, terriblement vexée, tout en haussant les épaules. — Qu’est-ce que ça peut te faire, Jud ? demanda le troisième homme, grand et extraordinairement musclé. — Je suis curieux, Mac, c’est tout, répondit le chef de la bande. C’est juste que je trouve pas ça très clair. — On s’en cogne. L’argent, voilà ce qu’est important. — Ouais, peut-être bien. C’est comme je te dis, je suis curieux. J’aime pas quand c’est pas clair. — Je savais pas. — Ben, si. J’ai pas envie d’être mêlé à quelque chose qu’est pas clair pour moi. Ça voudrait dire que c’est peut-être des ennuis. Si elle n’avait pas été bâillonnée, Penelope aurait été bouche bée devant le spectacle que donnait son ravisseur. Il venait d’enlever la fille d’un marquis, l’avait ligotée et emmenée dans une maison close, allait la laisser entre les mains d’une mère maquerelle à laquelle il vouait une aversion manifeste et en qui

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il n’avait aucune confiance. Qu’est-ce que se figurait cet idiot en parlant d’« ennuis » ? S’il se faisait prendre, il serait jugé, condamné et pendu dans la foulée. Et encore cela serait-il faire preuve de clémence en comparaison de ce que lui feraient subir les proches de la jeune fille s’ils découvraient ce qu’il avait fait. Était-ce possible d’avoir encore plus d’« ennuis » que cela ? Elle laissa échapper un râle rauque lorsque le bandit lui ôta son bâillon. — De l’eau, dit-elle d’une voix faible, impatiente de se débarrasser du goût immonde du tissu de sa bouche. Au lieu de l’eau, l’homme lui tendit une chope de petite bière. Penelope songea que cela valait peut-être mieux ainsi, car s’il y avait de l’eau quelque part dans cet établissement, il était sans aucun doute dangereux de la consommer. Elle s’efforça de ne pas respirer trop profondément car l’homme l’aidait à se tenir droite et à boire. Elle fit aussi vite qu’elle le put dans ces circonstances car elle voulait qu’il s’éloigne promptement. Quelqu’un qui sentait aussi mauvais que lui devait sûrement partager sa crasse avec une légion de bestioles qu’elle n’avait absolument aucune envie de recueillir. Lorsqu’elle eut vidé la chope, le malfrat laissa retomber la captive sur le lit. — C’est pas la peine de songer à crier, la prévint-il. Ça servirait à rien d’appeler à l’aide, parce qu’y aura personne qui viendra pour toi.

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Penelope ouvrit la bouche dans l’intention de lui envoyer une remarque bien sentie, mais se contenta de froncer les sourcils. Le lit était peut-être propre et confortable, mais il n’était pas neuf. Elle sentit un frisson familier la parcourir. Alors qu’elle songeait que le moment était bien mal choisi pour que son don se manifeste, son esprit fut brièvement assailli de souvenirs violents qui ne lui appartenaient pas. — Quelqu’un est mort dans ce lit, dit-elle d’une voix rendue tremblante par ces effrayantes réminiscences d’une autre vie que la sienne. — Bon sang de bois, de quoi que tu parles ? s’exclama Jud. — Une femme est morte dans ce lit, et son passage dans l’au-delà n’a pas été paisible, expliqua Penelope, qui ne tira qu’une mince satisfaction de voir l’impact intimidant de ces mots sur ses ravisseurs tout en muscles. — C’est du pipeau, ma belle dame. — Non. Je possède un don, voyez-vous. — Tu vois des fantômes ? s’enquit Mac en jetant des coups d’œil nerveux à la ronde. — Parfois – quand ils décident de se montrer. Cette fois, il s’agissait de souvenirs de ce qu’il s’est passé ici, mentit-elle. Les deux hommes la regardaient fixement dans un mélange de peur, de curiosité et de suspicion. Ils se disaient qu’elle essayait de les avoir d’une manière ou d’une autre pour qu’ils la relâchent. Penelope savait qu’ils se demandaient aussi, au fond, si elle allait invoquer des esprits pour lui venir en aide. Quand

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bien même elle en aurait été capable, elle doutait que des fantômes lui soient d’un quelconque secours, ou que ces hommes puissent même les voir. Ils ne s’étaient certainement pas aperçus de la présence de ce spectre à l’allure plutôt macabre qui se tenait au pied du lit. Si ç’avait été le cas, ils auraient déjà pris leurs jambes à leur cou. Malgré tout ce dont elle avait déjà été témoin jusque-là, la vue de cette belle jeune femme à la robe blanche maculée de sang la fit frissonner. Pourquoi les apparitions les plus épouvantables étaient presque toujours celles qui se montraient le plus clairement, s’interrogea Penelope. La porte s’ouvrit, mais avant que la jeune femme se tourne, elle vit les traits du fantôme se déformer en une telle expression que ce fut elle qui eut envie de prendre ses jambes à son cou. Le beau visage de l’apparition se tordit de fureur et d’une haine innommable, et l’on eût dit qu’elle se transformait en démon. Penelope posa les yeux sur les nouveaux arrivants. Tom était revenu avec une femme entre deux âges et deux demoiselles modestement vêtues. Penelope regarda le fantôme et remarqua que toute sa rage était dirigée vers la femme plus âgée. — Prenez garde. La jeune fille faillit jurer en entendant ces mots résonner dans sa tête. Pourquoi fallait-il toujours que les esprits lui murmurent des paroles aussi sinistres sans jamais ajouter d’information pertinente, comme ce contre quoi, ou contre qui, elle devait prendre garde ? De plus, le moment était mal choisi pour ce genre d’avertissement. Elle était prisonnière dans

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une maison close très malfamée, et elle allait faire face soit à sa mort, soit à quelque « destin funeste ». Elle n’avait pas de temps à perdre avec des spectres sanglants chuchotant leurs avertissements tragiques mais flous. Elle avait besoin de toutes ses forces, ne serait-ce que pour contenir fermement la vague d’hystérie qui l’assaillait. — Vous allez vous attirer de sérieux problèmes, dit Penelope à la femme entre deux âges. Elle ne fut pas véritablement surprise de constater que personne n’avait écouté sa mise en garde. — La voilà, déclara Jud. Maintenant, donne-nous l’argent. — C’est elle qui a votre récompense, expliqua la femme. — C’est pas malin d’essayer de me rouler, Cratchitt. Elle nous a dit que c’est toi qui aurais l’argent. Si elle t’a pas payée, c’est ton problème, pas le mien. J’ai fait ce qu’on m’a dit, j’ai fait ça vite et bien. Saucissonner le tendron, le ramener ici et récupérer l’argent que tu me dois. Le premier c’est fait, le deuxième aussi ; maintenant, file-moi l’argent. La femme s’exécuta de mauvaise grâce. Penelope regarda Jud compter son dû avec beaucoup d’attention – apparemment, il connaissait les pièges à éviter pour ne pas se faire rouler. L’homme lui jeta ensuite un long regard perplexe puis fourra son argent dans sa poche et reporta son attention sur Mrs Cratchitt, les sourcils froncés.

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— Elle est à toi, maintenant, fit-il. Même si je comprends pas ce que tu lui veux. Elle a rien de particulier. Penelope commençait à en avoir assez d’être rabaissée par ce scélérat pouilleux. — Dit le dandy de ces dames, marmonna-t-elle en répondant à son regard noir par un sourire blême. — Elle est fraîche et propre, expliqua Mrs Cratchitt en lui lançant un œil glacial, indifférente à cette petite altercation. Je connais plus d’un gentilhomme qui serait prêt à payer une petite fortune juste pour ça. Je connais aussi un homme qui la veut elle en particulier, mais il ne sera là que demain. Je lui ai réservé autre chose pour ce soir. Plusieurs messieurs très nantis sont là et recherchent quelque chose de spécial – d’unique, m’ont-ils dit. Un de leurs amis va bientôt entrer dans le bagne du mariage et ils veulent lui offrir un dernier plaisir de célibataire. Elle suffira amplement à remplir ce rôle. — Ouais, mais l’autre gars, il la veut pas vierge ? — Il n’aura jamais de raison de croire que ce n’est pas le cas. À présent, partez. Moi et les filles devons emballer ce beau petit cadeau. — Avez-vous la moindre idée de qui je suis ? prévint Penelope dès que Jud et ses compagnons furent sortis de la pièce. Elle fut très fière du ton hautain qu’elle avait réussi à adopter, mais celui-ci n’impressionna pas le moins du monde Mrs Cratchitt. — Une fille qui a mis une riche dame très en colère, répondit cette dernière.

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— Je suis lady Penelope… Elle n’eut pas le temps de finir sa phrase car Mrs Cratchitt lui attrapa la mâchoire et serra de toutes ses forces pour l’obliger à ouvrir la bouche. Elle la contraignit ensuite à boire le contenu d’une flasque en argent remarquablement luxueuse. Les deux jeunes femmes l’assistèrent en maintenant la tête de Penelope en place. Elle n’avait absolument pas envie d’ingurgiter ce liquide, mais elle ne put rien faire d’autre. Alors qu’elle toussait et était prise de haut-le-cœur d’avoir été ainsi forcée, les jeunes assistantes la détachèrent. Penelope se débattit tant qu’elle put mais ses tortionnaires étaient fortes et possédaient une telle habileté pour déshabiller une personne non consentante que c’en était inquiétant. Comme si cela ne suffisait pas, le fantôme l’assaillait d’un sentiment de peur, de désespoir et de fureur impuissante. La jeune femme sentait qu’elle dérivait vers l’hystérie, mais elle ne parvenait pas à se raccrocher au moindre espoir – et ce constat ne fit qu’ajouter à son angoisse. Puis, lentement, cette panique étouffante battit en retraite. Bien que les femmes continuent leur office, lui ôtant tous ses vêtements, la lavant rapidement avec de l’eau de rose, puis lui enfilant une robe en dentelle transparente qui aurait dû la choquer profondément, elle se sentait de plus en plus sereine à chaque inspiration. Le breuvage qu’elles lui avaient fait avaler devait être une sorte de drogue – elle ne voyait pas d’autre explication rationnelle pour justifier le fait qu’elle soit étendue là à sourire

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béatement à ces trois harpies qui la préparaient au sacrifice de sa virginité. — Eh bien, voilà ! Toute sage et docile, n’est-ce pas, mon petit ? grommela Mrs Cratchitt tout en lui détachant les cheveux. — Ignoble garce, l’insulta Penelope avec un sourire radieux. Lorsqu’une des assistantes se mit à glousser, Mrs Cratchitt la gifla violemment. — Tyran, continua Penelope. Lorsque les miens découvriront ce que vous m’avez fait, ils vous le feront payer au-delà de tout ce que votre petite cervelle tordue pourrait imaginer. — Ah ! Mais c’est votre famille qui a demandé que je vous achète, pauvre sotte. — Je ne parle pas de cette famille-là, bécasse, mais de celle de mes vrais parents. À vrai dire, je suppose qu’ils se doutent déjà de quelque chose, qu’ils entendent mon appel à l’aide dans le murmure du vent. — Ce que vous dites est totalement absurde. Pourquoi est-ce que tout le monde pense cela ? s’interrogea Penelope. Au sein du brouillard qui obscurcissait son esprit, elle gardait encore assez de bon sens pour se rendre compte qu’il ne serait pas forcément bénéfique pour elle de se mettre à parler de tout le sang que cette femme avait sur les mains. Même si cette mégère était persuadée que la jeune fille n’avait aucune certitude, elle pourrait juger plus sûr de la faire taire pour de bon, pour la forme. Avec ce philtre qui l’entravait

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aussi efficacement que des chaînes, Penelope savait qu’elle ne pouvait absolument rien faire pour tenter de se sauver. Lorsque Mrs Cratchitt et ses sbires eurent fini, celle-ci se releva et observa la captive avec beaucoup d’attention. — Eh bien, eh bien. Je commence à comprendre. — Comprendre quoi, vile maîtresse de Belzébuth ? l’invectiva Penelope. Elle voyait fort bien, à la façon dont la maquerelle serrait et desserrait les poings, que cette dernière mourait d’envie de la frapper. — Pourquoi cette bonne dame veut vous faire disparaître. Sachez aussi que vous paierez cher vos insultes, ma fille. Très bientôt. Ensuite, Mrs Cratchitt extirpa quatre écharpes de soie de couleurs vives du grand sac qu’elle avait apporté avec elle, avant de les donner à ses acolytes. — Attachez-la au lit, leur ordonna-t-elle. — Votre client ne trouvera-t-il pas cela quelque peu étrange ? avança Penelope en essayant en vain d’empêcher les assistantes de lui lier les membres aux quatre colonnes de lit. — Ma parole, mais c’est que vous êtes vraiment innocente, s’extasia Mrs Cratchitt en secouant la tête dans un éclat de rire. Non, cela sera pour mon client un plaisir ma foi fort délectable. Allons-nous-en, mesdemoiselles. Vous avez du travail et nous ferions mieux de faire monter cet homme pour qu’il profite de son cadeau avant que les effets du breuvage s’estompent.

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Penelope garda les yeux rivés sur la porte verrouillée pendant quelques instants lorsqu’elles la laissèrent seule dans la chambre. Seule avec le fantôme, songea-t-elle avant de reporter son attention sur la silhouette qui luisait au pied du lit. L’esprit semblait si triste, si profondément vaincu que la jeune fille en conclut que la défunte venait tout juste de comprendre toutes les restrictions imposées à l’existence spectrale. Si les souvenirs emprisonnés dans ces draps lui avaient montré comment cette femme avait trouvé la mort, elle n’avait aucune idée du moment où cela s’était passé. Elle commençait toutefois à penser que cela n’était pas très vieux. — J’aimerais vous aider, dit-elle, mais je ne peux rien faire – pas pour l’instant. Vous voyez bien dans quelle situation je suis. Si je parviens à me libérer, je jure que je ferai tout pour vous aider à trouver le repos. Elle savait qu’il était la plupart du temps impossible de tirer quelque réponse intelligible que ce soit de la part des fantômes, mais elle tenta néanmoins sa chance : — Qui êtes-vous ? Je sais comment vous êtes morte car ce lit garde encore les traces de ce souvenir funeste et me l’a montré. — Mon nom est Faith et ma vie m’a été volée. L’esprit avait une voix douce et cristalline, toutefois chargée d’un lourd chagrin, et Penelope n’était pas véritablement certaine de savoir si le spectre lui parlait réellement ou si elle entendait ces mots dans sa tête. — Quel est ton nom de famille, Faith ?

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— Mon nom est Faith et j’ai été enlevée, comme vous. Ma vie, volée ; mon amour, perdu. Au paradis arrachée pour en enfer être plongée. Maintenant, je dors en dessous. — En dessous ? En dessous de quoi ? Où reposes-tu ? — En dessous. Sous le péché engloutie. Mais je ne suis pas seule. Penelope pesta en voyant Faith disparaître. Elle ne pouvait pas l’aider à trouver le repos maintenant, mais parler avec elle avait fait travailler son esprit et lui avait permis de se concentrer pour pouvoir combattre l’effet du poison qu’on lui avait fait ingurgiter. Elle était à présent seule avec ses pensées, qui devenaient de plus en plus étranges. Pis encore, toutes ses défenses tombaient une à une. Si elle ne trouvait pas quelque chose pour accaparer son esprit, elle ne serait bientôt plus qu’un immense réceptacle pour toutes les pensées, tous les sentiments, et tous les spectres qui erraient dans cet établissement. Étant donné tous les actes perpétrés en ce lieu et toutes les pensées assouvies ou fantasmées, cela pouvait se révéler fatal. Elle ne savait pas si elle devait rire ou pleurer. Elle était attachée à un lit dans l’attente d’un inconnu qui allait prendre son plaisir avec son corps inerte. Le philtre que lui avait fait boire Mrs Cratchitt faisait rapidement décliner ses forces et sa capacité à s’isoler du monde des vivants comme de celui des morts. Elle pouvait déjà sentir le poids grandissant de toutes les émotions malvenues, le murmure croissant de voix

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que si peu pouvaient entendre. Les esprits de cette maison s’agitaient en percevant la présence d’une personne capable de les aider à entrer en contact avec le monde terrestre. Penelope se demanda si cela valait bien la peine qu’elle s’en inquiète, car elle ne savait pas s’il existait quelque chose de pire que la souffrance qu’elle ressentait déjà et que celle qui allait suivre. Soudain, la porte s’ouvrit et une des demoiselles qui avaient accompagné Mrs Cratchitt plus tôt fit entrer un homme dans la chambre. Il avait les yeux bandés et était vêtu à la mode de la Rome antique. Penelope le regarda, stupéfaite, alors qu’on le conduisait près du lit. Elle grogna intérieurement car elle n’eut aucun mal à reconnaître celui qui se cachait sous le bandeau et le costume, et fut bien mécontente de découvrir que les choses pouvaient bel et bien être pires – et de très loin.

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Chapitre 2

–T

out cela est ridicule, bredouilla Ashton Radmoor alors que deux demoiselles modestement vêtues le dénudaient. Franchement, Cornell, un costume ? Il lança au plus jeune de ses quatre amis un regard désapprobateur, essayant d’imiter l’air que son défunt père, le vicomte de Radmoor, avait perfectionné. S’il en jugeait par le grand sourire de Cornell, cela ne paraissait pas l’impressionner. De toute évidence, Ashton allait avoir besoin de beaucoup plus de pratique. — Cela fait partie du jeu, lui répondit son ami. Cela fait partie du cadeau que nous t’offrons. — Je ne suis pas sûr qu’il soit judicieux d’accepter ce cadeau. Je vais m’entretenir avec le frère de Clarissa demain. Il n’avait aucune intention de marcher dans les traces de son père sur le chemin de l’infidélité qui avait mené sa famille à la débâcle dont tous souffraient actuellement. — Justement, rétorqua Brant Mallam, lord Fieldgate. Nous savons tous fort bien que dès que tu lui auras parlé, tu seras lié à elle – ficelé, même.

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Tu deviendras sans aucun doute un homme très pieux, sans pouvoir te servir de cette qualité. Considère cela comme une ultime bravade. — Pour quel genre de jeu doit-on se déguiser en Romain ? s’étonna Ashton avec une moue scandalisée en voyant l’une des femmes lui enfiler une tunique alors que l’autre lui mettait des sandales aux pieds. — Le jeu du sacrifice païen. — Foutredieu ! Qu’est-ce qui a bien pu vous faire penser que je prendrais plaisir à m’adonner à une telle mascarade ? — Cela ne fait de mal à personne, et nous sommes convenus qu’il te fallait un souvenir rare et exotique, voire quelque peu indécent, avant que tu deviennes un vieil époux, sage et ridé. Si tu ne trouves pas ton plaisir dans ce jeu, je ne doute pas que la femme que tu auras saura te satisfaire de la manière qui te plaira. Mrs Cratchitt éduque bien ses filles. Accorde-toi cette nuit pour faire ce qu’il te plaît, Ashton. Ce que nous t’offrons est une nuit entière de plaisirs. Assouvis quelques fantasmes – même un homme tel que toi doit bien en avoir. Après cette nuit, tu ne penseras plus qu’à Clarissa et à tes futurs héritiers. C’était un fait indéniable et implacable. Son union imminente avec Clarissa Hutton-Moore n’avait rien d’un mariage d’amour. Cela étant, il ne croyait pas véritablement en l’amour. Il allait se marier afin d’avoir une descendance mais aussi dans le dessein urgent de trouver de l’argent. Clarissa venait d’une bonne famille, elle était très belle et sa dot impressionnante. Elle serait une excellente

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hôtesse, ce qui constituait un atout important à présent qu’il était vicomte. Elle évoluait dans la société avec beaucoup plus d’aisance qu’il n’en avait jamais montré. Elle était l’épouse idéale. Alors pourquoi avait-il l’impression de porter le poids du monde sur ses épaules ? Plus ce mariage avec lady Clarissa, adulée de tous, devenait une réalité, plus cette question le taraudait. Certes, ils ne ressentaient pas véritablement d’affection l’un pour l’autre, mais c’était là un luxe qui était accordé à très peu d’hommes de son statut. Toutefois, un peu de chaleur dans le cœur d’une épouse serait une bonne chose ; or, il n’avait pas encore détecté la moindre étincelle dans les yeux de sa future femme. Ashton soupçonnait que c’était la raison pour laquelle il ne parvenait pas à sauter le pas. Quelle affreuse pensée que celle d’un lit conjugal où l’acte charnel était considéré comme un simple devoir. Il redoutait d’en arriver à renier ses principes et d’aller chercher quelque réconfort dans les bras d’une autre. Ashton savait que ses amis le voyaient comme un homme pétri d’idéaux ou, pire, comme un éternel romantique, mais il avait toujours rêvé d’un beau mariage. Il ne voulait pas de ces unions pratiques qui sont si courantes dans la société, où l’épouse n’est bien souvent qu’une hôtesse pour les invités, et qu’une mère pour les enfants de son mari, alors que ce dernier prend maîtresse après maîtresse. Ce genre de mariage avait détruit sa famille, avait déchiré en lambeaux le cœur de sa pauvre mère.

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Il semblait cependant de plus en plus évident qu’il allait s’engager dans la même voie. Il fut brusquement tiré de ses sombres pensées lorsque l’une des femmes lui banda les yeux. — Cela est-il nécessaire ? — Cela ajoute un peu de mystère, répondit Cornell. — Je me sens vraiment ridicule. — Espérons simplement que tu te sentiras bientôt beaucoup mieux. Il ne nous reste plus qu’à te souhaiter une bonne nuit. Alors qu’il se laissait emmener, Ashton se demanda s’il était vraiment disposé à passer toute la nuit à jouer à de stupides petits jeux. Il n’était pas novice en amour, mais il n’était pas aussi dévergondé que ses amis, malgré ce que les rumeurs disaient de lui. Il s’agissait d’une activité licencieuse à laquelle il n’avait jamais pu s’adonner car c’était à cause de cela, en plus des jeux d’argent, que son père avait dilapidé toute la fortune de sa famille et avait laissé les siens au bord de la banqueroute. Il admettait à regret que les actions de son père étaient en partie responsables de sa propension à rester modéré en toute circonstance – ses actions ainsi que la maladie qui avait fini par avoir raison de lui. Il se bridait jusque dans sa manière de faire l’amour. Il en ressentait le besoin, mais il se refusait toute audace ou inventivité. Il prônait la modération en toute chose. Le problème était que s’il avait déjà eu des pulsions, il n’avait pas souvent éprouvé de désir particulier pour une femme. Les rares fois où il avait été pris d’un

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élan de concupiscence, il avait été refroidi presque immédiatement par un manque de répondant de la gent féminine ou parce que la peur le prenait de s’abandonner à ses passions. Il n’avait jamais fait l’expérience de ce désir dont tous parlaient, qui vous coupait les jambes, vous faisait trembler comme une feuille et vous échauffait les sangs. Cette fièvre était volatile, d’après ceux qu’elle avait touchés. Pourtant, Ashton ne pouvait s’empêcher de se dire que quelque chose n’allait pas chez lui, puisqu’il n’avait jamais éprouvé ce phénomène. Il voulait ressentir cela au moins une fois. Il doutait toutefois que ce souhait lui soit accordé car il approchait des trente ans, et allait bientôt jurer fidélité à l’élégante et austère Clarissa. — Et voilà, monsieur, déclara la femme qui le guidait avant d’ouvrir une porte. Je vais vous amener près du lit et je vais vous retirer votre bandeau, comme ça vous pourrez voir le beau cadeau qu’ils vous ont fait, vos amis. Lorsque son accompagnatrice s’exécuta, Ashton baissa les yeux sur son cadeau et ressentit quelque chose qui lui rappela la sensation qu’il avait éprouvée la fois où il était tombé d’un arbre et s’était cogné si fort qu’il en avait eu le souffle coupé pendant un long moment. La femme attachée sur le lit, les bras et les jambes écartés, était petite et menue. Ashton se demanda si elle n’était pas trop écartelée pour son propre confort. Il n’était que vaguement conscient du fait qu’une domestique disposait un plateau avec du vin et des gâteaux sur la table de chevet tandis

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qu’une autre déposait ses vêtements sur une chaise. Il était totalement obnubilé par son cadeau. La robe blanche transparente que la fille portait ne cachait pas grand-chose. Sa respiration se fit plus rapide, presque haletante, tandis qu’il contemplait les courbes gracieuses de la jeune femme. Sa poitrine n’était pas très ample, mais ses seins avaient une forme parfaite – ronds et fermes, avec des tétons rose foncé. Sa taille fine accentuait la rondeur féminine de ses hanches. Les paumes de lord Radmoor se firent moites alors qu’il faisait glisser son regard le long des jambes sveltes et bien galbées de la demoiselle, il les essuya lentement sur sa tunique. Elle avait une épaisse chevelure châtaine relevée de touches dorée et rouge qui lui cascadait presque jusqu’aux genoux. Il avait envie de se draper de ce manteau soyeux. Ensuite, son regard fut attiré par le triangle sombre entre ses cuisses pâles. Il frissonna et son cœur se mit à battre à tout rompre. Lorsque Ashton entendit les deux aides quitter la pièce, il s’empressa de s’asseoir au bord du lit. Il se sentait étrangement chancelant et dut se retenir pour ne pas se jeter sur la jeune femme alors qu’il observait son visage ovale. Son petit nez droit était légèrement parsemé de taches de rousseur qui allaient à l’encontre de la mode, et il aurait voulu déposer un baiser sur chacune d’elles. On pouvait en voir d’autres sur sa poitrine et il voulait les recenser elles aussi – avec sa langue. De belles pommettes et un menton qui finissait légèrement en pointe formaient une figure charmante sans toutefois être élégante.

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Ses yeux, quant à eux, étaient tout bonnement magnifiques. D’un bleu-vert surprenant, ils étaient immenses, soulignés par d’épais et longs cils noirs, et surlignés par les fines courbes de sombres sourcils. Même un saint n’aurait pu résister à sa bouche qui, même si elle était un peu trop large selon les canons, possédait un tracé parfait et des lèvres légèrement pulpeuses qu’il désirait mordiller. — Est-ce inconfortable ? s’enquit-il. Il ne put lui en vouloir lorsqu’elle lui décocha un regard dédaigneux. — Désolé, c’était une question stupide. — Je ne me permettrais jamais une telle remarque. Ashton s’étonna de l’entendre s’exprimer aussi bien pour une catin, puis se tança intérieurement de penser de telles choses. Il détestait la considérer comme faisant partie de ces pauvres filles, ce qui était totalement idiot de sa part. Elle travaillait dans un bordel et était attachée à un lit, prête à jouer le rôle de la vierge offerte en sacrifice pour un stupide jeu sexuel avec un inconnu. Il se sentait quelque peu gêné d’admettre qu’il était maintenant disposé à s’adonner à ce jeu, et même qu’il était en fait impatient d’y participer. Il décida qu’il allait attendre quelques minutes avant de lui détacher les chevilles, puis il tendit la main pour lui caresser la cuisse. Le doux gémissement qu’elle laissa échapper et la vue de sa main sur cette cuisse rendirent Ashton légèrement fiévreux. C’était le désir, comprit-il. Ce genre de désir qu’il avait pensé ne jamais connaître. Ce qui lui était apparu comme ridicule

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devenait à présent très érotique. Il découvrait que son imagination fonctionnait très bien et qu’elle bombardait son esprit d’une collection surprenante d’images licencieuses. Il ôta ses sandales et se leva pour retirer sa tunique, qu’il jeta à terre. Il fut flatté de voir la jeune femme écarquiller les yeux. Il lui fallut se forcer pour ne pas plastronner devant elle tel un blanc-bec. Sapristi ! se dit-elle intérieurement. Elle avait devant elle un homme nu. Le plus stupéfiant était que l’homme nu en question était lord Radmoor. Elle rêvait de lui depuis la première fois qu’elle l’avait aperçu, mais jamais, dans aucun de ses rêves d’amour et de romance, elle n’avait osé l’imaginer nu. Quand bien même elle l’aurait imaginé en tenue d’Adam, songea-t-elle, incapable de détourner le regard de son entrejambe, elle n’aurait jamais pensé que son appendice l’inspirerait à ce point. Elle avait appris le peu qu’elle savait de l’anatomie masculine en s’occupant de jeunes garçons. Elle avait toujours supposé que le sexe d’un homme devait être plus grand que celui d’un garçon, mais jamais elle n’aurait pu envisager qu’il puisse être aussi gros. Penelope ne savait pas vraiment quelle émotion était la plus forte en elle entre l’étonnement et la terreur inspirée par la pensée qu’il semblait croire possible de faire entrer tout cela en elle. Le philtre de Mrs Cratchitt n’était pas la seule chose qui l’empêchait d’implorer, à grands cris et avec force ruades, d’être libérée, et Penelope le savait bien. Ses sentiments pour cet homme la retenaient

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prisonnière. Jusqu’à présent, elle ne l’avait vu que de loin ou furtivement depuis une cachette, tel un voleur dans sa propre maison. Tout en lui l’attirait, depuis son aura de force et de réserve jusqu’à son physique avantageux. Elle était restée béate devant sa beauté dès la première seconde. Quand il était habillé, elle avait souvent admiré son élégance en soupirant, la tête dans la lune. Tandis qu’il se tenait nu devant elle, elle n’avait même plus la présence d’esprit de soupirer. Elle parvint enfin à lever les yeux sur lui dans le vain espoir de tempérer ses ardeurs. La vue de son corps nu avait réveillé une fièvre en elle dont elle devait se guérir. Son épaisse chevelure blonde était détachée et tombait sous la ligne de ses épaules. Une mèche plus courte pendait devant son visage. Il avait un long nez droit, des traits bien sculptés et une mâchoire carrée, ainsi qu’une bouche qui ne demandait qu’à être embrassée, avec des lèvres légèrement pulpeuses. C’était, selon elle, la perfection. Elle ne pourrait jamais se lasser de contempler un tel visage. Cependant, ce furent ses yeux qui la captivèrent. Ils lui rappelèrent la brume flottant sur la lande, avec ce gris-bleu mystérieux qui pouvait tirer sur l’argent ou sur le noir d’un ciel orageux. Ce regard extraordinaire était mis en valeur par de longs cils, presque féminins, d’un brun foncé à la pointe dorée. Ses fins sourcils de la même couleur, légèrement recourbés, ajoutaient à son air exotique et renforçaient l’impression que ses yeux s’incurvaient délicatement vers le haut.

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Ses observations quant à sa beauté furent brusquement interrompues lorsqu’il la rejoignit dans le lit, accroupi entre ses jambes. Il lui caressa les cuisses de ses longs doigts graciles, ce qui fit naître en elle un désir brut et sans retenue. Penelope savait que sa concupiscence était due au philtre mais elle supposait que les effets étaient décuplés par tout ce qu’elle ressentait pour lui, dans son cœur et dans son corps. Le poison de cette vieille mégère avait aussi eu pour effet de briser toutes ses défenses ainsi que de lever tous les boucliers qui protégeaient son esprit contre la douleur de ressentir le tourbillon des émotions d’autrui et contre le harcèlement constant des spectres présents partout. Tante Olympia avait toujours dit que ceux qui avaient du sang Wherlocke étaient des gens sensibles aux passions. Penelope n’était pas vraiment heureuse de constater la véracité de cette allégation – pas à cet instant, pas alors qu’elle était totalement incapable de maîtriser la moindre de ses émotions. Sauf si un miracle se produisait, elle qui n’avait jamais même connu le baiser d’un homme allait connaître la passion dans toute sa grandeur. Elle se rendit compte que cette pensée l’intriguait plus qu’elle ne l’effrayait et songea qu’il s’agissait d’une autre preuve qu’elle avait perdu toute maîtrise d’elle-même. — Vos jambes sont si belles, lui susurra Ashton en les caressant, se délectant de la douceur de sa peau. — Elles sont trop maigres, rétorqua-t-elle. La dernière parcelle de son esprit qui n’avait pas été emportée par les effets du poison lui fit comprendre

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que c’était là une remarque fort absurde. Cependant, le sourire de lord Radmoor était magnifique et sans aucune trace de moquerie. — Elles sont minces et fortes. Et douces. D’une exquise douceur, dit-il en mordillant légèrement l’intérieur de chacune de ses cuisses avant de couvrir ces mêmes endroits de tendres baisers et de douces caresses de sa langue. — Vous êtes trop belle pour ce genre de vie, reprit-il à voix basse avant de voir que ses tétons avaient durci et que ses joues s’étaient empourprées. Et vous réagissez trop vite. J’ai l’impression que cette vie est nouvelle pour vous. — Pour sûr. Si cela n’avait pas été aussi tragique, Ashton aurait souri de l’emploi de cette expression, qui démontrait les racines campagnardes de la jeune femme. Trop de provinciales venaient s’installer à la ville dans l’espoir de trouver un travail honnête et devaient vendre leurs charmes pour survivre. Il allait lui demander à quel point elle était nouvelle dans ce style d’existence lorsqu’il fut distrait par la vue de son corps nu et par son propre désir. Même son odeur était exquise, songea-t-il en appuyant son corps contre le sien. Penelope se décida à tout lui révéler mais s’étrangla avec le premier mot à la surprise du choc et du plaisir qu’elle ressentit lorsqu’il se plaqua contre elle. Il gardait son torse levé en s’appuyant sur son avantbras, mais cela ne calma pas le désir que faisaient exploser en elle la chaleur et le poids de son corps. Elle fut encore plus étonnée de constater avec quelle

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rapidité son corps réagissait au contact du sexe en érection de lord Radmoor contre ce puits de désir sans fond entre ses jambes. — Laissez-moi vous délivrer de cette vie, lui proposa-t-il à sa propre surprise. — Je vous en serais éternellement reconnaissante, répondit-elle d’une voix à peine plus forte qu’un murmure alors qu’elle l’observait dénouer les rubans de soie qui retenaient sa robe indécente. Cela aurait dû l’offusquer, mais elle s’inquiétait surtout du fait qu’il risquait de lui trouver des défauts. — Je pourrais vous laisser vous installer dans un endroit confortable, dans une petite maison rien que pour vous. Il ne savait pas vraiment avec quel argent il pourrait lui offrir cela, mais il était déterminé à trouver un moyen. Ashton fit taire sans ménagement la petite voix en lui qui lui faisait remarquer qu’il agissait aussi inconsidérément que son père. Penelope fut déçue, mais pas véritablement étonnée. — Ah ! Vous souhaitez donc que je n’offre mes services qu’à un homme plutôt qu’à une multitude, et vous voudriez que ce soit à vous ? — Cela vaudrait mieux que votre situation, ne croyez-vous pas ? — C’est fort possible, mais avez-vous songé que je pourrais ne pas avoir envie d’offrir mes services à quiconque ? Et surtout pas à un homme qui ne savait même pas qui elle était en réalité et qui courtisait Clarissa,

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se dit-elle, frustrée d’être incapable de l’arrêter ou de s’empêcher de réagir à ses gestes délicats. — Dans ce cas que faites-vous ici ? — Votre question paraît bien naïve. Imaginezvous réellement qu’une femme se lève un matin avec l’envie de devenir une putain ? La question de lord Radmoor laissait penser à Penelope qu’il ne la croirait pas si elle lui racontait qu’on l’avait enlevée, qu’on l’avait forcée à avaler un poison et qu’elle était retenue prisonnière. Il se figurait apparemment, comme beaucoup de gens, qu’une femme exerçait ce métier dégradant de son plein gré. Elle songea ensuite que certaines le faisaient peut-être par choix, dans l’espoir de trouver un riche protecteur ; mais, pour la très grande majorité des filles, c’était par la force, le mensonge ou par une extrême pauvreté qu’elles étaient amenées là. Alors qu’elle sentait enfin suffisamment de vigueur lui revenir pour lui permettre d’expliquer clairement ce qui lui était arrivé, il passa la main sur sa poitrine et par ce geste lui embrouilla de nouveau l’esprit. Ashton ferma les paupières et se délecta de la perfection avec laquelle sa main enveloppait son sein. — Ma question était peut-être idiote. Peut-être n’avez-vous pas eu le choix, dit-il en déposant un baiser juste entre ses seins avant de la regarder dans les yeux. Ce choix, je vous le donne maintenant. Quel est votre nom ? — Penelope, répondit-elle comme envoûtée par l’ardeur de son regard.

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— Penelope ? répéta-t-il avec un petit sourire, comme s’il ne la croyait pas. C’est un nom étrange pour une fille de Mrs Cratchitt. — Je ne suis pas l’une de ses filles, le reprit-elle sévèrement. Elle se demanda soudain si cette « Mrs » était vraiment mariée et, si c’était le cas, où se trouvait son mari. Elle oublia vite cette question lorsqu’elle entendit les murmures dans sa tête et comprit que quelqu’un ou quelque chose tentait de répondre à ses interrogations. — Ah bon ? Et qu’êtes-vous, alors ? Elle devina à son ton qu’il cherchait juste à faire de l’humour. Quand bien même, elle entreprit de lui raconter toute son histoire, en tentant d’être la plus claire possible malgré son esprit si embrumé. Il ne la croirait sans doute pas, et cela ne refroidirait même pas momentanément ses ardeurs, mais elle se devait au moins d’essayer de plaider sa cause. Savoir qu’elle avait au moins essayé adoucirait peut-être l’amertume de la honte qu’elle ressentirait à coup sûr lorsqu’il s’en irait et que les effets du philtre de Mrs Cratchitt se seraient dissipés. Du moins espérait-elle éprouver de la honte de perdre sa virginité avec lord Radmoor. Elle avait de plus en plus l’impression que ce ne serait pas le cas. — Et si je vous disais que je suis la fille d’un marquis, que des gens cruels m’ont enlevée et vendue à Mrs Cratchitt ? Si je vous disais que l’on m’a fait boire un poison, que l’on m’a mis ce pitoyable

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semblant de costume et que l’on m’a attachée à ce lit contre ma volonté ? — Vous pensez vraiment me faire avaler cela ? Ashton considérait cela comme une sorte d’ironie tragique de ressentir pour la première fois un désir sourd et ardent pour une femme qui était sujette à des hallucinations. — Pas vraiment, répondit-elle en soupirant. Si vous souhaitez me donner le choix, puis-je vous demander de me détacher dès à présent ? — Dans un petit instant, je vous détacherai les chevilles. Je trouvais ce jeu fort absurde, mais j’ai laissé mes amis me pousser à y participer, dit-il tout en déposant des baisers tout le tour de son cou, long et fin, puis en la mordillant. — Il s’agit d’un jeu ? Comment s’appelle-t-il ? — Le jeu du sacrifice païen. Ne vous l’a-t-on pas dit ? — On ne m’a rien expliqué. Je ne savais pas que l’on s’adonnait à de tels jeux dans une maison close. — On joue à beaucoup de jeux dans les maisons closes. Je n’ai jamais fait partie de ceux qui y participent. Je n’ai jamais été un homme très inventif. Puis, je vous ai vue, et j’ai compris que je possédais en fait une imagination très fertile. Mon esprit s’est mis à concevoir tout un tas de façons de prendre mon plaisir avec vous, de vous donner du plaisir. J’ai mesuré que je pouvais faire tout ce qu’il me plaisait – et j’ai bien l’intention de vous amener à désirer toutes ces choses.

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Penelope sut qu’elle n’était plus elle-même lorsque à ces mots enflammés, son esprit fut assailli d’images licencieuses qui l’excitèrent plus qu’elles ne la choquèrent ou l’alarmèrent. Elle se demanda s’il s’était trouvé un moment où les nombreux rêves qu’elle avait faits à propos de cet homme l’avaient transportée plus loin que de chastes baisers et des mots d’amour. Elle ne se rappelait pas avoir eu des pensées particulièrement lubriques, même si elle en savait assez sur le sujet pour nourrir son imagination. Cela expliquerait donc pourquoi elle s’était si souvent réveillée en sueur et souffrant d’une envie qu’elle ne comprenait pas. Ces mêmes rêves jouaient contre elle à présent, à l’instar du philtre de Mrs Cratchitt. Quand il lui posa une main chaude sur la poitrine tout en faisant passer sa langue entre ses seins, elle eut un frisson de plaisir si aigu que c’en fut presque douloureux. — Ne devriez-vous pas m’embrasser d’abord ? Lorsqu’il la regarda dans les yeux, Penelope en eut le souffle coupé et faillit s’étrangler. C’était comme contempler un ciel d’orage. Le gris de ses yeux avait pris une nuance presque noire et ses prunelles irradiaient une telle chaleur que cela lui réchauffa le corps. Elle remarqua aussi un éclair d’amusement et de curiosité. Manifestement, elle venait une nouvelle fois de dire quelque chose qui ne correspondait pas au rôle qu’on la forçait à jouer. Elle constata cependant que ces incohérences ne suffisaient pas à éveiller le doute en lui. Penelope sentit sa colère monter. Elle en connaissait suffisamment

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sur lui pour savoir qu’il n’était pas un dandy écervelé, et elle ne comprenait donc pas comment il pouvait croire si aveuglément ce qu’une mère maquerelle lui avait dit sur elle. Après tout, qui pouvait faire confiance à une femme qui gagne sa vie en vendant le corps de ses congénères ? Comme la plupart des gens, il se fiait aux apparences et s’en servait pour balayer tout doute que pouvaient éveiller ses dires. La jeune femme se demanda avec beaucoup de tristesse combien de fois cette tragédie s’était jouée dans un tel décor, combien de filles et de jeunes demoiselles avaient été contraintes d’accepter cette existence infernale parce que personne n’avait posé de questions ou que personne ne les avait écoutées. Ashton vit la tristesse dans ses yeux magnifiques et prit délicatement son beau visage entre ses mains. Il n’embrassait jamais les courtisanes ni les filles de joie, et se montrait même avare en baisers avec les rares veuves ou épouses audacieuses qu’il avait connues bibliquement. C’était un choix assez répandu, et cela ne l’inquiétait donc pas outre mesure. Malgré la tentation que présentaient ses douces lèvres sensuelles, il avait pensé s’en tenir à la règle. Toutefois, la tristesse qui noyait ses yeux eut raison de sa détermination. Il effleura de ses lèvres les siennes et la chaleur de sa bouche s’insinua dans tout son être. — Vous êtes exquise. Vous êtes un délice dont je pourrais me délecter des heures durant, s’exclama Ashton en espérant qu’elle ne relève pas la surprise

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dans sa voix, avant de se demander pour quelle raison il voulait à tout prix éviter de l’offenser. Quelqu’un lui répondit : — Vous m’en voyez profondément navré, monsieur, mais je crains de devoir vous prier de vous éloigner de ce mets avant de pouvoir y goûter. Il pourrait vous en coûter la vie.

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Chapitre 3

A

shton se figea. Il ne savait pas ce qu’il trouvait le plus effrayant entre cette menace subtile proférée d’une voix masculine, grave et froide, ou bien le contact dur et glacé du canon en métal du pistolet appuyé contre sa tempe. Il fut abasourdi de constater qu’il ne s’était pas instantanément ramolli, toute passion immédiatement expulsée de son corps, mais que son sexe était encore bien raide. Cela pouvait se révéler gênant. Le visage de la jeune femme ne recélait aucune trace de peur. Au contraire, son expression était un mélange surprenant de plaisir et d’agacement. — Artemis, intervint Penelope sur un ton doux mais ferme. Il n’est nul besoin de tenir monsieur en joue. Il est évident qu’il n’est pas armé. — Il a pourtant l’air prêt à se servir de son mousquet. Penelope leva suffisamment la tête pour pouvoir lancer un regard désapprobateur aux quatre garçons qui se tenaient au pied du lit et qui s’esclaffèrent à la remarque salace d’Artemis. Elle était heureuse qu’ils soient venus la délivrer, mais en même temps horrifiée de savoir le risque qu’ils avaient couru en

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se portant à son secours. Artemis n’avait que seize ans, Stefan seulement quatorze, Darius n’en avait pas encore dix, Hector venait de fêter ses neuf ans et Delmar en comptait à peine sept. Tous étaient trop jeunes pour se balader dans les rues de Londres la nuit, mais elle ne pouvait se résoudre à ternir sa gratitude d’un reproche, ou de froisser leur fierté. En revanche, elle essaierait de ne pas oublier d’avoir une petite discussion avec Artemis pour savoir par quel miracle Hector et Delmar avaient compris son trait d’esprit. Ils étaient trop jeunes pour ce genre de choses. Ils étaient aussi trop jeunes pour la voir attachée à un lit avec un homme nu au-dessus d’elle, mais elle ne pouvait plus rien faire pour cela. Elle haussa un sourcil en constatant que le « mousquet » de lord Radmoor n’était plus en état de faire feu. Elle ressentit également une indéniable pointe de déception. Ce n’était pas le philtre qui lui faisait regretter que cette histoire sordide ait pris fin avant même qu’elle ait pu obtenir un vrai baiser. Penelope était certaine qu’elle n’aurait jamais plus la chance de réaliser ne serait-ce qu’un de ses fantasmes avec lord Ashton Radmoor. Elle fut tirée de ses pensées en sentant des petites mains lui détacher les chevilles. Elle releva la tête pour offrir à Delmar un sourire de gratitude. — Descendez de là, ordonna Artemis. — Cela pourrait être embarrassant, intervint Penelope en rougissant lorsque Ashton fit mine de se relever.

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— Je ne crois pas que cela nous choquera de voir un homme nu. — Je n’en doute pas, mais moi aussi, je suis nue – ou c’est tout comme. Elle rougit de plus belle lorsque Artemis fit passer son regard sur elle avant d’écarquiller les yeux. — Les gars, tournez-vous pendant que j’aide Pen à se couvrir, dit le plus grand des garçons. — Comment est-ce qu’on fait pour celui-là ? demanda Delmar en parlant d’Ashton alors que tous obéissaient à l’ordre de leur aîné. — Je le tiens en joue, répondit Artemis en reportant son attention sur lord Radmoor. À présent, monsieur, veuillez vous éloigner de ma sœur. Très lentement. Surtout ne croyez pas que mon jeune âge m’empêchera d’appuyer sur la détente. Ashton s’exécuta. Lorsqu’il fut enfin debout près du lit, il leva les yeux sur l’enfant qui se tenait de l’autre côté et braquait son pistolet sur son cœur. La première pensée sensée qui lui vint fut de savoir comment un gamin aussi grand et maigre pouvait avoir une voix aussi profonde et virile. Il plongea ensuite son regard dans celui de l’enfant, qui garda ses yeux d’un bleu glacial rivés sur lui alors qu’il entreprenait de détacher l’un des poignets de sa sœur. Ashton était certain que dans ce corps de jeune garçon se trouvait une part suffisamment grande de force et de fureur masculines pour que ses menaces soient à prendre au sérieux. Il remarqua aussi qu’il partageait un léger air de famille avec Penelope, une

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sorte de beauté naturelle qui persistait malgré ses traits durcis par une colère froide. Il lança un bref coup d’œil en direction de la jeune femme et vit qu’elle avait du mal à défaire le lien à son autre poignet. — Si vous me le permettez, je pourrais lui venir en aide, proposa Ashton en regardant l’enfant. — Pas d’entourloupe, le prévint Artemis. — Vous avez ma parole d’honneur. Le garçon hocha la tête et lord Radmoor s’empressa de défaire le nœud qui retenait le poignet de la jeune fille. Il revint ensuite à sa position initiale. Penelope dut fournir un effort pour s’asseoir et Ashton fronça les sourcils devant une telle difficulté de mouvements. Elle se mouvait comme quelqu’un de ivre. Il n’avait pourtant senti ni l’odeur ni le goût de quelque alcool sur ses lèvres. Ashton l’observa attentivement alors qu’elle tentait gauchement de remettre sa robe afin de préserver un semblant de pudeur. — Cela faisait-il longtemps que vous étiez attachée ? s’enquit-il. Il ressentit une certaine culpabilité de ne pas lui avoir demandé cela plus tôt et de ne pas avoir accepté de la détacher. — Non, je ne crois pas, répondit Penelope en sentant la maîtrise de son corps et de son esprit lui échapper de façon alarmante. Où sont mes vêtements ? Je crois que je vais devoir me dépêcher de m’habiller. Les effets de ce satané poison que Mrs Cratchitt m’a fait boire ne sont plus du tout aussi agréables, à présent. J’ai l’impression que je

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vais incessamment soit être très malade, soit tourner de l’œil. Ashton jura et entendit le jeune garçon en faire autant. — Je vais chercher ses vêtements, déclara-t-il en lançant un coup d’œil à la ronde pour les repérer. Il les trouva éparpillés au sol près de la porte. — Baissez ce pistolet. Vous allez avoir besoin d’aide pour l’habiller, dit-il à Artemis en déposant les vêtements sur le lit avant de soupirer devant l’hésitation du garçon. Il est trop tard pour s’inquiéter de son intimité avec moi. Du reste, je n’ai nulle envie d’être avec une femme qu’on a dû droguer pour coucher avec moi. — Trop tard ? répéta Artemis. Ashton ne connaissait que deux personnes au monde pouvant mettre autant de fureur froide et assassine dans deux simples mots. — Il ne s’est rien passé, lui assura-t-il. Il fut rassuré de le voir baisser son arme et venir l’aider à habiller la jeune femme. — Mais je vais être nue, protesta Penelope alors que son frère et Ashton lui enlevaient la fine robe que Mrs Cratchitt lui avait fait porter. — C’est comme si tu l’étais déjà, marmonna Artemis avant de la regarder en fronçant les sourcils. On t’a droguée ? — Mrs Cratchitt m’a forcée à boire un philtre. Cela m’a tout d’abord rendue très calme, très résignée. À présent, j’ai la tête qui tourne et je me sens nauséeuse. Comment m’avez-vous trouvée ?

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— Paul a filé et t’a suivie une partie du trajet. Il a vu ces hommes t’enlever, alors il est revenu à toute vitesse pour nous prévenir. J’avais déjà pressenti que quelque chose n’allait pas et je me préparais à partir à ta recherche. — J’étais morte de peur. — Je sais, dit-il d’une voix douce et tendre tout en lui caressant les cheveux. Avec ce que nous savions et en complétant avec les informations glanées auprès des gamins du quartier, nous avons réussi à retrouver ta trace. Après cela, c’était comme si on avait allumé une lanterne pour me guider vers cet endroit, et jusqu’à cette chambre. Il ne m’a pas fallu longtemps pour savoir exactement où tu étais. C’est à cause du philtre, je suppose. Est-ce que cela a rendu les choses pénibles pour toi ? — Très pénibles. Ce lieu est misérable, plein de ressentiment et d’esprits en colère. Quelqu’un est mort dans ce lit, expliqua Penelope d’une voix chargée de chagrin. Pauvre Faith. — Qu’avez-vous dit ? s’enquit Ashton en jetant de rapides coups d’œil méfiants aux enfants tout en finissant de couvrir de sa robe le corps de plus en plus léthargique de la jeune femme. Il n’avait pas tout à fait compris leur conversation, mais ce qu’il avait deviné le mettait mal à l’aise. — Oh ! Vous êtes toujours nu, murmura Penelope sans pouvoir s’empêcher de l’examiner très attentivement de la tête aux pieds. Elle constata une nouvelle fois, soupirante, à quel point il était beau.

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— Je peux finir seul à présent, ajouta Artemis en regardant lord Radmoor d’un air renfrogné. Vous pouvez vous rhabiller. Les gars, ne le quittez pas des yeux. Ashton alla reprendre ses vêtements là où ils avaient été posés. Il se tourna ensuite vers les enfants qui avaient pour ordre de le surveiller, suivit la direction des regards curieux des plus jeunes et s’empressa d’enfiler ses habits. Il pouvait comprendre la fascination d’un jeune garçon pour cette partie de l’anatomie masculine, mais il n’avait aucune envie d’être leur objet d’étude. Il était suffisamment gêné de la façon dont la situation avait tourné à son désavantage. Le peu qu’il parvint à entendre de l’échange entre Penelope et son frère l’interloqua. Ils semblaient se croire capables de voir et de ressentir des choses inaccessibles au commun des mortels, de pouvoir capter des émotions dans le vent et parler aux morts. Elle évoquait ce fantôme nommé Faith comme si sa vision n’était pas due au philtre de Mrs Cratchitt, ce qui devait pourtant être le cas. Ashton se demanda ensuite si ces gens faisaient partie de cette caste de charlatans qui extorquaient de l’argent aux imbéciles en leur faisant croire qu’ils pouvaient entrer en contact avec les morts ou prédire ce que l’avenir leur réservait. Cela expliquerait leur manière de s’exprimer, leur air distingué, se dit-il. Sauf dans le cas des diseuses de bonne aventure de fêtes foraines, la plupart des charlatans de cette espèce prenaient pour victimes

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des dames de la société et en respectaient donc scrupuleusement les codes, du moins en apparence. Il fronça les sourcils en voyant les enfants l’observer attentivement alors qu’il nouait sa cravate, songeant avec une certaine inquiétude qu’il n’était peut-être pas encore arrivé au bout de ses peines. Allaient-ils essayer de le piéger d’une façon ou d’une autre – peut-être même en exigeant qu’il répare leur honneur en épousant Penelope ? Une petite voix dans sa tête lui fit remarquer que ce ne serait pas vraiment si terrible, mais il la fit taire brutalement. Cette voix était celle de sa concupiscence et rien de plus. Il ne pouvait se permettre d’épouser n’importe qui, surtout pas une belle jeune fille dont la généalogie et la pureté étaient douteuses. Il avait des responsabilités envers son titre et sa descendance, ainsi qu’envers les siens. Il devait épouser une femme de bonne famille et qui était bien vue par la société. De plus, il devait choisir une épouse qui lui apporterait la dot la plus importante possible afin de pouvoir reconstituer la richesse familiale. Cela ne lui plaisait pas beaucoup, mais il se rendait compte qu’il n’hésiterait pas un seul instant à dénigrer l’importance du lignage pour les beaux yeux de cette femme, si elle était riche. En un sens, c’était déjà ce qu’il avait fait avec Clarissa, car ce n’était que très récemment que le frère de sa future épouse avait acquis le titre de baron. Avant cela, sa famille faisait partie de la petite aristocratie. Il eut peur pendant un instant de n’être pas différent de son père, d’être esclave de ses propres

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passions. Il enfila ses bottes et secoua la tête pour se débarrasser de cette crainte. Un moment d’égarement avec une seule femme ne faisait pas de lui le satyre qu’avait été son père. Ashton se savait incapable de traiter une femme comme son père avait traité sa mère, tout comme de laisser son épouse et ses enfants dans le besoin simplement pour satisfaire ses passions débridées. Il devait cesser de craindre de ressembler à son père, car cela risquait de l’entraîner vers le fond. « Et si je vous disais que je suis la fille d’un marquis ? » Il se figea en se répétant cette phrase dans sa tête. Dans ce cas, sa lignée serait tout à fait convenable. Ashton jura intérieurement. Il se raccrochait à des branches mortes, cherchait désespérément une raison pour ne pas s’engager dans un mariage avec la magnifique mais glaciale Clarissa. Même si Penelope était celle qu’elle prétendait être, elle n’était pas l’héritière qu’il lui fallait ; la robe qu’elle portait à présent en était la preuve – assez belle, mais d’une qualité inférieure. Il en était de même pour les habits des enfants. Cependant, sa curiosité avait été piquée. Qui étaient donc ces gens ? — Pen, pouvons-nous partir d’ici, maintenant ? interrogea Delmar. L’atmosphère est mauvaise, ici. Ashton dévisagea le petit garçon. Il était légèrement pâle et la peur se reflétait dans ses grands yeux bleus. Cet enfant ne faisait pas référence à une mauvaise odeur. Lord Radmoor regarda d’un air interrogateur Penelope qui se tenait maintenant près du lit. Son frère était à ses côtés et la soutenait avec

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un bras. Est-ce que toute leur famille croyait posséder des dons surnaturels ? — Qui êtes-vous tous, au juste ? demanda-t-il à la jeune femme. — Cela ne vous regarde en rien, intervint Artemis, resserrant son bras autour de la taille de sa sœur lorsqu’elle fit mine de répondre. — Vous pouvez compter sur ma discrétion, leur assura Ashton en grimaçant avant de se passer une main dans les cheveux. Je ne veux de toute façon pas que mon nom soit associé à cette débâcle. — Dé-bâââ-cle. C’est un joli mot, marmonna la jeune femme en souriant avant de fermer les yeux. Artemis perdit l’équilibre lorsque Penelope s’effondra inerte. Ashton se précipita pour la rattraper avant qu’elle se cogne. Quatre cris d’enfants retentirent et lord Radmoor lui-même sentit l’inquiétude s’emparer de lui. En la voyant ouvrir les paupières et le regarder, il fut saisi d’un soulagement bien plus grand que ce qu’il lui semblait devoir ressentir. — Mes jambes m’ont lâchée, dit-elle en s’étonnant de la difficulté qu’elle avait à articuler. — Le philtre était vraisemblablement trop fort pour vous, déclara Ashton. — Je peux l’emmener, maintenant, fit Artemis en tendant les bras. — L’emmener où ? s’inquiéta Ashton en jetant un coup d’œil à la fenêtre ouverte. Vous voulez la faire sortir par là ? En la portant ? Il comprit que le garçon aurait voulu lui dire qu’il en était capable, mais qu’il avait suffisamment de

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bon sens pour se rendre compte que cela pouvait se révéler impossible, voire dangereux. — Il faut que j’aille trouver mes amis pour leur demander de l’aide, reprit lord Radmoor. — Ici ? Vous avez l’intention de frapper à chaque porte ? — Je compte sur vous pour descendre par cette fenêtre, vous présenter à l’entrée et demander à voir sir Cornell Fincham. Racontez au portier que le duc de Burfoot vous envoie porter un message urgent pour son fils. Ils iront le chercher ou vous mèneront à lui. Dites à Cornell que j’ai besoin qu’il vienne me rejoindre avec les autres dans cette chambre aussi vite que possible, et aussi discrètement que faire se peut. — Quel est le numéro de la chambre ? — Vingt-deux, répondit Penelope en se frottant la joue contre le doux velours du manteau de lord Radmoor. — Et je peux leur faire confiance pour rester discrets, n’est-ce pas ? devina Artemis avant de froncer les sourcils. Mais quelles garanties puis-je avoir ? — Ils sont mes amis les plus proches, ceux en qui j’ai le plus confiance, et ils protégeront ma réputation aussi farouchement que s’il s’agissait de la leur. — Ils voudront des explications. — Dites-leur que je leur expliquerai tout dès qu’ils seront ici. Lorsque Ashton vit qu’Artemis était encore hésitant, il ajouta d’une voix à la fois impérieuse et paternelle :

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— Nous allons avoir besoin de leur aide pour la sortir d’ici discrètement et sans encombre. Le jeune garçon hocha la tête, et se glissa par la fenêtre après avoir donné l’ordre aux autres enfants de garder Penelope et lord Radmoor. Artemis descendit par le mur extérieur sans faire le moindre bruit et Ashton ne put qu’admirer son agilité. Il s’assit ensuite sur le lit en attendant l’arrivée de ses amis et coucha Penelope, apathique, sur ses genoux. Elle était très bien là, parfaitement lovée entre ses bras. Ashton aurait tellement voulu que ce fût Clarissa qui lui convienne aussi bien, plutôt que cette inconnue. Toutefois, il n’avait encore jamais pris sa future épouse dans ses bras. Lord Radmoor commençait aussi à se demander si la flamme qu’il avait vue resurgir en Penelope était véritablement due à ses caresses ou si elle provenait du philtre que Mrs Cratchitt l’avait forcée à avaler. Ce n’était pas là quelque chose qui aurait dû l’inquiéter, mais il supposait que cette question allait encore le tarauder longtemps. Il savait aussi qu’il en viendrait bientôt à douter de l’authenticité de la passion que ses précédentes amantes lui avaient témoignée, si rares et espacés dans le temps qu’aient été ces moments de plaisir charnel. Lorsqu’un homme se mettait à réfléchir à ce genre de choses, il entrait dans un cercle vicieux qui le plongeait dans le doute. — Est-ce qu’elle va mourir ? — Non, répondit Ashton en baissant les yeux sur Delmar, le garçon qui avait posé la question.

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La drogue qu’on lui a donnée l’a simplement affaiblie. Les effets diminueront bientôt et elle sera guérie. Lorsqu’il vit que subsistait dans les prunelles de l’enfant un léger doute, lord Radmoor fit de son mieux pour paraître confiant et ajouta : — Croyez-moi, votre sœur se remettra très vite. — Ce n’est pas ma sœur, c’est ma cousine. C’est la sœur de Stefan et Artemis. Nous autres, on est ses cousins. — Ah ! Je pensais que vous viviez tous ensemble. — C’est le cas. Elle s’occupe de nous. — De vous tous ? — Ça suffit, Delmar, intervint un garçon presque aussi âgé qu’Artemis. Il n’a pas besoin de savoir quoi que ce soit sur nous. — Mais, Stefan, je ne faisais que parler. Je voulais juste être poli. — Pas besoin de ça non plus. Il n’est pas notre invité. Rappelle-toi comment on l’a retrouvé, ce qu’il essayait de faire à Pen. Delmar lança un regard à Ashton, les lèvres pincées. Lord Radmoor lui adressa un sourire fugitif avant de se tourner vers Stefan, l’autre frère de Penelope. — Il faudra qu’elle se repose. Son corps évacuera le poison mais cela peut prendre des heures et j’ai peur qu’elle ne se sente mal ensuite. Est-ce que quelqu’un pourra veiller sur elle ? — Nous tous. Il était sur le point de remettre en question la capacité d’une bande d’enfants à prendre soin d’une

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malade lorsque Artemis entra discrètement dans la pièce, suivi des amis d’Ashton. Brant fut le premier à ses côtés et lord Radmoor attendit patiemment, le temps que ses compagnons examinent Penelope et passent en revue l’attroupement de jeunes garçons. Lorsque Brant reporta finalement son attention sur lui et souleva un sourcil interrogateur, il soupira et se mit à expliquer tous les événements, aussi vite et simplement que possible. — Donc l’établissement de Mrs Cratchitt n’est pas vraiment aussi distingué que ce qu’il laisse à penser, conclut Brant avant de se retourner vers les garçons. Savez-vous comment et pourquoi elle a été enlevée ? — Non, répondit Artemis en allant auprès de sa sœur pour lui tresser les cheveux. Il était tard quand elle est repartie. Ceux qui l’ont enlevée ont dû voir qu’elle faisait une proie facile. Il savait que le garçon ne disait pas la vérité. Ashton échangea un regard avec ses amis et comprit qu’ils partageaient ses doutes. Penelope cachait quelque chose et ces enfants protégeaient jalousement son secret. Lord Radmoor avait bien du mal à croire qu’il puisse s’agir d’un sombre et dangereux secret, mais étant donné qu’il avait succombé à l’égarement d’un désir féroce pour elle, il n’était pas certain de pouvoir encore faire confiance à son instinct à son sujet. — Le problème à présent consiste à la faire sortir d’ici sans nous faire repérer, déclara Ashton. Elle est incapable de se tenir debout, et il lui faudra encore des heures avant de pouvoir marcher. Il ne s’agit pas non plus uniquement de préserver sa réputation.

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Je suis convaincu qu’elle n’a pas été enlevée pour répondre à un besoin de Mrs Cratchitt de trouver de nouvelles filles. — Quelqu’un va venir pour moi demain. Elle ne m’a pas dit de qui il s’agissait, expliqua Penelope sans s’étonner d’entendre à quel point sa voix était faible et inaudible. Elle se cramponnait avec la force du désespoir au dernier pan de sa conscience qui n’avait pas encore sombré. — Et elle m’a quand même vendu vos services pour la nuit ? — Elle a dit qu’elle pourrait faire en sorte qu’il n’en sache rien. Quelqu’un a payé pour me faire enlever et amener ici. Elle brûlait d’envie de faire part de ses soupçons quant à la personne qui avait payé pour la faire disparaître, mais se tut par absence de preuves. Il suffit à Ashton de plonger son regard dans les yeux vitreux de Penelope pour comprendre qu’il ne servirait à rien de la questionner pour le moment. Elle était à peine consciente. Il se tourna vers ses amis en priant pour que l’un d’eux sache quoi faire. Ce n’était pas vraiment un problème qu’il aurait voulu régler ou auquel il souhaitait être mêlé pour l’instant, mais il ne pouvait tourner le dos à cette femme, et encore moins la laisser entre les griffes de Mrs Cratchitt. — Les enfants pourraient sortir par la fenêtre, proposa Brant. Dès qu’ils seront redescendus, nous remonterons la corde, nous l’attacherons autour de ta taille, tu porteras la fille et nous te ferons descendre

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par la fenêtre. Cornell, tu vas prendre le carrosse et tu les attends. Whitney, Victor et moi resterons ici pendant que tu raccompagnes les enfants et la femme chez eux. Je voudrais régler quelques petites choses avant de quitter cet endroit. — Nous n’avons pas besoin d’aide pour la ramener chez nous, intervint Artemis. — Ne laissez pas votre fierté vous pousser à refuser une aide dont vous avez grand besoin, rétorqua Brant. Elle ne pourra pas marcher longtemps, si tant est qu’elle parvienne à tenir debout, et vous ne pourrez pas la porter à travers toute la ville sans vous faire remarquer et passer pour des malfaiteurs auprès de tous ceux que vous croiserez. Allez, ouste ! Par la fenêtre. Il ne faudrait tout de même pas que l’on nous trouve tous dans cette chambre. Ashton vit Artemis remuer les lèvres et supposa qu’il proférait des injures, mais le jeune garçon céda. En un éclair, tous les enfants furent sortis et Brant remontait la corde. Alors que lord Radmoor s’apprêtait à l’enrouler autour de sa taille, il remarqua qu’il s’agissait du même genre de cordage utilisé par les marins pour aborder un autre navire et que les crochets pointus du grappin étaient profondément enfoncés dans le mur. Il se demanda comment il avait pu ne pas entendre le bruit du métal mordre le bois. Son désir l’avait, semblait-il, rendu sourd, se dit-il en tendant les bras avec beaucoup de réticence pour signaler à Victor de prendre Penelope. Puis, il se tint immobile en attendant que Brant ait fini de lui attacher la corde autour de la taille. Lorsque

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son ami lui déclara avoir terminé, il fallut à Ashton toute sa volonté pour l’empêcher de se ruer trop vite sur Penelope, tel un enfant capricieux sur son jouet. Il fit de son mieux pour dissiper le malaise que lui procuraient ses réactions démesurées et s’assit sur le rebord de la fenêtre. Il fit basculer avec précaution ses jambes dans le vide et retint son souffle tandis que ses amis le faisaient lentement descendre le long du mur. Il devina à la façon dont Penelope s’agrippait à son cou et pressait son visage sur son épaule qu’elle était encore suffisamment consciente pour comprendre ce qui se passait autour d’elle. Lorsque ses pieds touchèrent le sol, il aida Penelope à se tenir debout. Artemis et Stefan se précipitèrent pour la soutenir pendant qu’il détachait la corde, mais ils avaient manifestement bien du mal à la retenir. Quand il fut arrivé à bout du nœud, Ashton fit un signe à ses amis qui étaient toujours dans la chambre, avant de prendre de nouveau Penelope dans ses bras pour la porter jusqu’au carrosse. — Tout cela ne me dit rien qui vaille, marmonna Cornell alors que les enfants montaient dans l’habitacle. Lord Radmoor ne put qu’acquiescer. Il installa Penelope sur la banquette entre ses frères et s’assit en face d’elle. Cornell grimpa à son tour. Le carrosse était plein, et au moment où lord Radmoor frappait sur la paroi pour signifier au cocher qu’il pouvait se mettre en route, Delmar grimpa sur ses genoux. Ashton regretta que ce ne soit pas Penelope, mais

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passa son bras autour de l’enfant pour le tenir lorsque la voiture se mit en branle. — Est-ce que vous habitez loin ? demanda-t-il à Artemis. — Non, répondit celui-ci. J’ai indiqué à votre homme la route à prendre pendant que vous descendiez avec Pen. Lorsque le carrosse s’arrêta devant la maison qu’avait désignée le garçon, le mince espoir qu’Ashton avait nourri sans s’en rendre compte mourut brutalement. Le quartier était habité par des maîtresses de maison, des familles issues de la petite bourgeoisie peu fortunée, et des commerçants assez prospères pour se permettre de vivre ailleurs qu’au-dessus de leur boutique. Même si Penelope venait d’une bonne famille et avait reçu l’éducation adéquate pour devenir l’épouse d’un vicomte, sa dot restait maigre, voire nulle. Il avait horreur de se montrer aussi intéressé dans son choix d’une épouse, mais la petite cohorte de personnes qu’il avait à charge ne lui laissait pas d’autre solution. Si Penelope se révélait bel et bien être la fille d’un marquis, alors son père s’était montré aussi négligent que le sien avec ses richesses. Mais il se pouvait aussi qu’elle ne soit pas la fille légitime de ce marquis. Faisant la sourde oreille aux protestations d’Artemis, Ashton souleva Penelope et grimpa les marches jusqu’à la porte d’entrée, qui s’ouvrit à la volée dès qu’il l’atteignit. Davantage de garçons sortirent de la maison et vinrent se poster en cercle autour de lui. Des bras s’emparèrent de la jeune femme avant

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qu’il puisse résister. Les enfants le remercièrent tous de son aide et guidèrent une Penelope chancelante à l’intérieur. Ensuite, la porte lui fut claquée au nez. Ashton songea à frapper, mais se contenta de hausser les épaules et de refouler cette envie. Il fallait qu’il oublie cette demoiselle. Le lendemain, il allait rencontrer lord Hutton-Moore, la première étape officielle vers l’autel et la main de la belle mais froide Clarissa. Il remarqua une pancarte près de la porte qui comportait l’inscription : « la garenne Wherlocke ». Il fronça les sourcils et tourna les talons en pensant que c’était là un nom fort singulier pour une demeure, même pour celle d’une maîtresse de maison. Lorsqu’il fut de nouveau installé dans le carrosse qui le ramenait chez Mrs Cratchitt pour récupérer ses amis, Ashton se rendit compte qu’il souhaitait simplement retourner chez lui. Il avait besoin de calme et d’un peu de temps pour réfléchir et enfin se résoudre à faire ce qu’il devait pour sauver sa famille. Il avait besoin de passer du temps seul afin de purger son esprit de l’image d’une femme qui réveillait en lui une passion qu’il n’avait connue avec aucune autre.

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