Certaines l'aiment fort - extrait

Voilà un pacte qui rapporte bien plus qu’un héritage…

Connor Kincaid, frère de Catriona, est devenu bandit de grand chemin pour survivre après l’assassinat de ses parents. Il va croiser la route de Pamela Darby, jeune beauté à la recherche d’un homme susceptible de se faire passer pour un duc disparu. Elle compte récolter la généreuse récompense et laisser disparaître son complice.

Incapable de refuser un défi ou de résister à une belle femme, Connor accepte ce pacte infernal. Après, tout, il n’a plus rien à perdre, et elle, tout à y gagner…

INÉDIT Intrigues / Sentiments / Sexy

« Une lecture dangereusement sexy, pétillante, et aussi troublante que délicieuse. » Amanda Quick Traduit de l’anglais (États-Unis) par Mathilde Roger Photographies de couverture : © Jenn LeBlanc / © Shutterstock ISBN : 978-2-8112-1208-7

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8,20 €

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Du même auteur, chez Milady : Le diable s’ habille en tartan Pour un tweet avec toi Certaines l’aiment chaud Certaines l’aiment fort

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Teresa Medeiros

Certaines l’aiment fort Traduit de l’anglais (États-Unis) par Mathilde Roger

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Milady Romance

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Milady est un label des éditions Bragelonne

Titre original : Some Like It Wild Copyright © 2009 by Teresa Medeiros © Bragelonne 2014, pour la présente traduction ISBN : 978-2-8112-1208-7 Bragelonne – Milady 60-62, rue d’Hauteville – 75010 Paris Email : info@milady.fr Site Internet : www.milady.fr

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À la mémoire d’Eric Myers. Tu étais un homme comme il en existe trop peu, un athlète-né et un geek charmant qui aimait le volley-ball et Star Wars avec la même passion.

Personne ne savait imiter Jésus aussi gracieusement que toi, mon cher ami. On se retrouvera de l’autre côté.

Pour Eric Medeiros. J’ai toujours voulu un frère et tu es arrivé, ce qui prouve qu’ il faut se méfier de ses souhaits.

Merci d’avoir lu mes livres et de m’avoir permis d’ écrire chez toi !

Et à mon très cher Michael, mon mari, mon héros, mon cœur. Avec toi, chaque journée banale se transforme en une aventure merveilleuse.

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Remerciements Sans mes lecteurs dévoués, ce livre et aucun de mes romans n’auraient été faisables. Je garde précieusement vos lettres et e-mails, et je me réjouis de vos sourires éclatants à mes dédicaces. Merci d’avoir ouvert vos cœurs pour mes personnages et d’avoir rendu ma vie si joyeuse en m’écoutant raconter mes histoires. Vous m’êtes tous très chers.

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Chapitre premier

Highlands écossais, 1814

–I

l me faut un homme, déclara Pamela Darby avec la même légèreté que si elle avait annoncé qu’il manquait une longueur de dentelle pour son ourlet, ou un navet pour le ragoût du soir.

Sur la banquette en face d’elle, sa demi-sœur Sophie leva les yeux d’un vieux numéro de La Belle Assemblée. Le magazine avait deux saisons de retard, mais cela n’empêchait pas Sophie de soupirer devant les pages en couleurs ni d’étudier soigneusement les conseils pour savoir quel fard mettrait le plus en valeur les joues d’une jeune dame.

— Ce qu’il me faut… ce qu’il nous faut, reprit Pamela, ce n’est pas n’importe quel homme, mais un Écossais solide avec plus de muscles que d’esprit. (Elle prit une voix plus grave et imita un accent écossais en roulant assez les « r » pour faire la fierté du prince Charlie.) Un homme qui s’laisse mener par deux rusées jeunettes plus fines que lui.

— Je suppose que nous serions les jeunettes en question ? avança Sophie en haussant un sourcil d’un air entendu.

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Elle tressaillit et se tortilla sur le siège usé de la diligence lorsque le véhicule s’ébranla avant d’aborder un nouveau chemin caillouteux qui ne méritait pas le nom de route.

— Et comment proposes-tu que nous découvrions ce bel imbécile ? Devrions-nous demander au cocher de faire halte au prochain village pour y déposer un avis ?

Pamela savait que sa sœur était prête à pousser la plaisanterie plus loin pour se distraire des longues heures de voyage et elle se mordit la lèvre.

— Mmh… Nous pourrions l’écrire ainsi « Recherche Écossais avec une cervelle de poulet et un cou de taureau pour interpréter l’héritier perdu d’un vieux duc. » Nous pourrions clouer une affichette sur la place du marché, dans chaque village que nous traversons.

— Comme les avis que nous avons vus dans la dernière bourgade, contre ce dangereux bandit dont la tête est mise à prix ? Il paraît que ce malandrin hante cette route, vole les voyageurs et violente les femmes innocentes.

Malgré le ton moqueur de Sophie, l’humeur facétieuse de Pamela se heurta violemment à la réalité.

Elle se souvenait très bien de cette affichette. Elle comportait le dessin grossier d’un homme portant un loup, avec une mâchoire carrée, un pistolet à la main et une lueur impitoyable dans le regard. L’image l’avait attirée inconsciemment et elle avait effleuré du bout des doigts l’étrange fossette de sa joue droite.

Elle se demandait ce qui pouvait pousser un homme à défier la loi et les commandements de Dieu en

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volant ce qu’il désirait au lieu de le payer. Lorsque Sophie s’était approchée, Pamela s’était vivement détournée de l’avis de recherche, craignant que sa sœur ne surprenne son désespoir grandissant dans le regard d’acier du brigand.

Le souvenir de ces yeux intenses la fit doucement frissonner. Elle était terriblement consciente que deux femmes voyageant seules dans ces régions sauvages pouvaient rapidement devenir la cible de bien pire que quelques soupçons et des regards désapprobateurs. Mais elles n’avaient pas l’argent nécessaire pour employer des suivantes qui leur auraient donné un air respectable ni pour payer des gardes pour défendre le carrosse qu’elles avaient loué à Édimbourg après avoir quitté la diligence publique.

Elles devaient s’en remettre au vieux cocher et à son mousquet antédiluvien pour protéger leurs vies et leurs vertus.

Pamela se força à sourire.

— D’après ce que j’ai entendu dire de ces sauvages des Hautes Terres, ils sont plus susceptibles de violenter les moutons que les femmes.

Elle passa une main sur son réticule et tira quelque réconfort de ce qu’elle savait caché sous l’étoffe de soie.

Sophie entortilla une mèche de cheveux autour de son doigt.

— Je n’arrive toujours pas à croire que nous ayons fait tout ce chemin pour rien. Tu as entendu cette vieille mégère de Strathspey. D’après elle, l’héritier du duc est mort il y a près de trente ans, alors qu’il n’était

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qu’un nourrisson. Sa mère et lui n’ont pas supporté leur premier hiver dans les Highlands.

— Je peux le comprendre, marmonna Pamela en enfouissant les mains plus profondément dans son manchon de fourrure.

Elle avait été encore plus déçue que sa demi-sœur en découvrant que la piste qu’elles avaient suivie assidûment depuis un mois était une impasse. Une impasse qui les laissait bloquées dans un pays perdu et glacé où le vent vous transperçait sans pitié même en plein soleil, où les gouttes de pluie impitoyables s’abattaient sur vous dès que vous décidiez de ranger votre ombrelle, où l’humidité vous pénétrait jusqu’à la moelle, vous laissant l’impression que vous n’auriez plus jamais chaud de votre vie.

— Pourquoi ne pas simplement oublier cette histoire de récompense et rentrer à la maison ? proposa Sophie.

— Un projet fort raisonnable… si nous avions une maison, bien sûr.

Une ombre de tristesse éteignit l’étincelle dans les yeux bleus de Sophie et Pamela regretta aussitôt d’avoir répondu si durement. Encore six mois auparavant, le théâtre de la Couronne de Drury Lane était le seul foyer que les jeunes femmes aient connu.

Elles étaient toutes deux nées en coulisses et leur mère, en digne actrice, avait estimé qu’elles étaient de « très belles œuvres ». Mais le théâtre n’était plus, réduit en cendres et ruines par l’incendie tragique qui avait emporté leur mère et leur aurait coûté la vie si elles n’avaient pas passé la nuit en dehors du bâtiment.

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Pamela sentit une boule, douloureuse et familière, lui monter à la gorge. Son seul réconfort était que leur mère avait toujours voulu partir à l’apogée de sa beauté, si légendaire qu’elle faisait des ravages parmi ses admirateurs.

Cette beauté survivait dans les boucles pâles et brillantes de sa demi-sœur. Elle avait d’ailleurs relevé ses élégantes frisures pour encadrer un visage en cœur à la bouche adorable et au nez délicieusement retroussé. Les danseurs de l’opéra prétendaient que le père de Sophie était un riche comte * français qui avait jugé leur mère « charmante » et « ravissante ». Il lui avait offert son cœur, mais sitôt l’aristocrate rentré en France, la Révolution avait eu sa tête avant qu’il puisse demander la belle actrice en mariage.

Pamela était convaincue que son père était un Anglais de pure souche. Comment expliquer autrement la nuance marron parfaitement ordinaire de ses cheveux et de ses yeux ? Ses traits et son visage ovale étaient certes harmonieux, mais à peine dignes d’attention, et ses joues joliment rondes n’auraient pas déparé sur quelque laitière du Yorkshire. Elle avait assez de formes pour attirer le regard des hommes, mais rien qui suscite assez de dévotion pour qu’ils se jettent du Pont de Londres dans les eaux glacées de la Tamise comme l’aurait fait l’un des amants les plus passionnés de leur mère. * En français dans le texte.

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Pamela regretta plus amèrement encore ses paroles emportées quand Sophie leva son petit menton en pointe et serra les dents pour retenir ses larmes.

— La récompense du duc n’est pas notre dernier espoir, tu sais. Je puis fort bien subvenir à nos besoins à toutes deux. L’offre du vicomte est toujours valable.

Pamela lui jeta un regard noir.

— Ce n’est pas un mélodrame gothique grandiloquent. Je n’ai nulle intention de vendre la vertu de ma sœur au plus offrant pour nous assurer un toit.

Sophie haussa gracieusement les épaules, un geste boudeur qui semblait étudié pour souligner ses origines à demi françaises.

— Ne sois pas si provinciale. Maman a choisi de vivre sans les entraves des conventions sociales.

Pourquoi ne ferais-je pas de même ?

— Mère pouvait toujours se réfugier sur scène.

Elle se donnait par amour, pas pour l’argent.

— N’est-il pas possible pour une femme d’obtenir les deux ? demanda malicieusement Sophie.

— Oh, tu pourrais, le temps d’une saison passée entre les bras du vicomte. Mais lorsqu’il sera las de tes charmes et sentira quelque attrait pour une jeune danseuse d’opéra, il te confiera aux bons soins de l’un de ses amis… (Pamela se pencha pour se rapprocher de sa sœur et replaça derrière son oreille une boucle rebelle.) Je ne cherche pas à me montrer cruelle, sœurette, mais il n’y a qu’un pas entre maîtresse et prostituée. J’ai vu tant de filles, encore plus jeunes et plus belles que toi, qui vendaient leurs charmes sur

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Fleet Street. Je refuse de te voir mourir de la syphilis avant le jour de tes dix-neuf ans.

— Mais le vicomte jure qu’il m’adore ! Il a dit que depuis qu’il m’avait repérée dans le chœur de Pygmalion à l’âge de quinze ans, il ne pense plus à rien ni à personne d’autre.

— Pas même à sa femme, compléta sèchement Pamela.

Sophie se décomposa en entendant ce brusque rappel à la réalité. Sa sœur prit gentiment sa main gantée en signe de réconfort.

— Ne pense plus à ce vaurien. Si nous ne pouvons récupérer la récompense du duc, nous ferons simplement un nouvel essai sur scène.

Sophie renifla délicatement, l’air morose.

— Alors nous sommes condamnées à mourir de faim dans un caniveau.

La jeune femme se cacha derrière son magazine pour bouder et Pamela se cala contre le cuir craquelé des sièges avec un soupir, toutes deux étant à court d’arguments valables. Malheureusement, leur mère était aussi délicieuse que dénuée de sens pratique.

Pamela et Sophie avaient découvert à sa mort qu’elles étaient sans le sou et elles avaient cherché à gagner leur vie de la seule manière qu’elles connaissaient : sur scène. Mais leur unique tentative avait commencé par un triomphe pour s’achever en désastre.

La beauté céleste de Sophie avait captivé le public, et son apparition avait été saluée par des exclamations étouffées et des hoquets de fascination. Pourtant, elle avait rompu le charme à l’instant où elle avait

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ouvert la bouche pour réciter son texte avec si peu de conviction qu’un critique avait suggéré de la clouer dans un cercueil pour éviter qu’elle ne se présente de nouveau sur les planches. Tous leurs rêves de gloire et de fortune étaient morts noyés sous une pluie de légumes pourris et d’insultes. Elles avaient dû faire leurs bagages cette même nuit et fuir le théâtre pour prendre un peu d’avance sur la foule des spectateurs furieux.

Elles n’avaient cessé cette errance depuis lors. Si elles ne trouvaient nul stratagème pour regarnir leurs bourses avant de rentrer à Londres, leurs pas ne les porteraient plus vers un théâtre mais vers quelque atelier pour y être exploitées.

Pamela regarda par la fenêtre tandis que le crépuscule accumulait ses ombres moroses dans le ciel. Sophie n’était pas consciente de l’enjeu et sa sœur se refusait à l’accabler de l’horrible vérité. Les nuages dérivaient au-dessus des cimes montagneuses lointaines comme les spectres de ses craintes.

Trop effrayée pour les affronter seule, elle laissa le balancement du véhicule et la lourdeur de ses paupières l’entraîner dans un sommeil agité.

Pamela fut réveillée par un son qu’elle avait entendu dans d’innombrables pièces au fil des ans, la détonation d’un pistolet suivie d’une exclamation sans réplique : « La bourse ou la vie ! » — Tu as pensé à allumer les feux d’artifice, Soph’ ? marmonna la jeune femme sans ouvrir les yeux.

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N’oublie pas d’abaisser le rideau une fois le méchant vaincu.

Elle replongeait dans les coussins et ses rêves quand de petits ongles acérés s’enfoncèrent dans son épaule pour la secouer sèchement.

— Pamela ! Pamela, réveille-toi ! On nous attaque !

Pamela ouvrit brusquement les paupières pour découvrir le visage terrifié de sa demi-sœur.

Le carrosse s’était brutalement immobilisé. L’un des chevaux hennit nerveusement puis un silence inquiétant plana derechef. La nuit était tombée pendant que Pamela dormait, et l’extérieur n’était qu’un rideau noir et velouté.

Elle ravala un hoquet de panique. Et si le cocher ne pouvait plus défendre leurs vies et leurs vertus ?

S’il gisait inanimé au milieu de la route, un trou dans la poitrine ?

Elle tenta de refréner sa terreur et posa un doigt sur ses lèvres en serrant la main gantée de Sophie. Elles se blottirent l’une contre l’autre en retenant leur souffle.

Le silence parut se contracter et s’épaissir. Il fut finalement brisé par des pas lents qui contournaient la diligence. Pamela pria pour qu’il s’agisse du cocher venu leur assurer que tout allait bien. Peut-être le terrible coup de feu et l’effrayante sommation n’étaient-ils qu’une plaisanterie de quelques gamins du village voisin avec plus d’esprit que de bon sens.

Mais les pas étouffés démentirent rapidement cet espoir. Il fallait de la grâce et de l’habitude pour avancer sur une telle route sans faire rouler le moindre caillou. Un individu qui aurait développé

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ce talent pourrait sans peine trancher la gorge d’un homme pour lui dérober sa bourse ou se glisser dans la chambre d’une femme au cœur de la nuit pour la bâillonner d’une main et abuser d’elle.

Rien ne semblait devoir entraver l’avancée inexorable de ces pas et Pamela pressa une dernière fois la main de sa sœur pour la rassurer, puis elle saisit son réticule et referma les doigts autour de l’objet qui s’y trouvait, interrompant leur tremblement.

La marche parut s’arrêter à l’extérieur, laissant planer un silence tout aussi glaçant.

Pamela repoussa Sophie derrière elle de sa main libre, s’attendant à ce que la porte s’ouvre violemment et que quelque brute la tire hors du véhicule par les cheveux.

Au lieu de cela, le panneau pivota lentement sur ses gonds en grinçant, mais ne révéla pas le bandit.

Pamela ne voyait qu’une ouverture sur les ténèbres, comme une gueule béante qui menaçait de dévorer les deux jeunes femmes.

Une voix s’éleva dans l’ombre, rocailleuse et menaçante.

— Je sais que vous êtes là. Je vous entends respirer.

Sortez les mains en l’air ou je vous envoie au diable d’une seule balle.

Pamela sentait Sophie pressée contre son dos, tremblante comme un oisillon pris sous les griffes d’un prédateur. Elle serra les dents et se redressa en percevant la peur de sa sœur. Cette brute invisible pouvait voler sa vie et sa vertu, mais s’il y avait une

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chose qu’elle avait toujours su perdre sans aide, c’était son calme…

Malgré la prise frénétique de Sophie sur l’arrière de sa robe, elle se leva et sortit du carrosse.

Elle vacilla en marchant sur l’ourlet de sa pelisse mais se rattrapa et rajusta son petit bonnet d’un geste agacé.

— Pour l’amour de Dieu, monsieur, qui écrit vos dialogues ? Je n’ai jamais rien entendu de si commun. « La bourse ou la vie » ? « Sortez les mains en l’air ou je vous envoie au diable d’une seule balle » ? Vous ne feriez pas une représentation entière à Drury Lane !

On abattrait le rideau sur votre grosse tête avant la fin du premier acte. Ne vous est-il jamais venu à l’idée que vous camperiez un malandrin plus convaincant si vous ne profériez pas de telles inepties ?

La colère bourdonnait toujours dans les oreilles de Pamela quand elle prit soudain conscience qu’elle se tenait juste devant une silhouette sans visage.

L’ombre la dépassait amplement en hauteur et ses larges épaules masquaient la lumière de la lune.

Son silence était déjà une arme, si terrifiante que la jeune femme manqua de défaillir quand l’homme prit enfin la parole.

— Que préférez-vous, petite ? Devrais-je d’abord vous tuer et proférer mes inepties ensuite ? Mais j’ai peur d’être encore moins convaincant sans public…

Son accent moqueur était aussi râpeux qu’une étoffe de jute et pourtant doux comme le velours. Il lui semblait sentir une rose et ses épines caresser sa peau tendre.

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Pamela se décala pour le distraire de la cachette de Sophie mais elle regretta son geste lorsqu’il suivit son mouvement, laissant la lune souligner la surface brillante d’un pistolet dans sa main. Il tenait l’arme comme s’il avait fait cela toute sa vie.

Elle se souvint trop tard du malheureux cocher.

Elle regarda à l’avant du véhicule et le vit, effondré sur le sol, comme elle l’avait craint. Elle laissa échapper un cri de désarroi et leva instinctivement l’ourlet de sa robe pour faire un pas vers lui.

Le brigand l’arrêta, sa grâce taciturne plus menaçante qu’une voix de tonnerre.

— Il n’est pas mort. Il reviendra à lui après quelque temps, avec un bon mal de crâne et une histoire à répéter dans les tavernes pour se faire payer à boire.

Comme pour lui donner raison, l’homme bougea en émettant un faible grognement. Pamela regarda le siège du cocher. Le mousquet était encore dans sa gaine. Il n’avait même pas eu le temps de dégainer.

Enhardie par son soulagement, elle leva les yeux vers le bandit.

— Quelle noble profession vous avez choisie, monsieur ! Assommer des vieillards et terroriser de jeunes femmes sans défense.

Il se rapprocha d’un pas, si près qu’elle pouvait percevoir la chaleur de son corps sous la fine chemise.

— Vous ne paraissez pas terrorisée, jeunette. Ni sans défense.

Elle était pourtant terrifiée… Mais elle cacha sa peur en reniflant d’un air mécontent.

— Je n’ai jamais supporté les brutes.

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— Et qu’est-ce qui vous fait croire que j’ai choisi cette profession ? demanda-t-il d’une voix semblable à une caresse moqueuse qui donna la chair de poule à la jeune femme. Et si elle m’avait été imposée par un destin cruel ?

— Nous avons tous des choix à faire si nous voulons rester maîtres, et maîtresses, de nos destins.

— Et vous, êtes-vous maîtresse du vôtre ?

Ses mots gentiment provocants firent mouche avec une étonnante facilité. Après la mort de sa mère, la jeune fille avait très vite compris que sans argent ou sans protecteur, une femme était à la merci du monde entier. Elle ne pouvait que s’asseoir, en retrait de cette vie, pour regarder ses choix disparaître l’un après l’autre, avec ses rêves.

Même du vivant de sa mère, Pamela avait dû composer avec l’humeur changeante de celle-ci et les besoins et exigences de sa sœur, qui n’était encore qu’un bébé. C’était toujours elle qui avait ramassé le cœur brisé de sa mère, économisé et anticipé pour que la famille ne finisse pas à la rue entre deux représentations lorsque le travail était rare et que les amants maternels disparaissaient.

— Pas pour le moment, admit-elle. Après tout, ce n’est pas moi qui tiens une arme.

— Et si c’était le cas ? Seriez-vous prête à vous rendre au premier homme, ou à la première femme, qui vous traite de brute ? Peut-être ai-je fait un choix il y a longtemps, lorsque j’ai décidé de ne plus avoir faim et de ne plus marcher pieds nus alors que les Anglais

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s’engraissaient sur les trésors qui appartenaient de droit aux Écossais.

— Vous ne pouvez ignorer que ce n’est qu’une question de temps avant que vous soyez traîné devant la justice.

— Quand un Anglais vole un Écossais, lui prenant sa terre et sa dignité, c’est son droit devant Dieu, mais si un Écossais dérobe la bourse d’un Anglais, ce n’est qu’un criminel de la pire espèce.

(Il renifla avec mépris.) Quelle justice voyez-vous dans cela ?

Pamela applaudit d’un air glacial.

— Bravo, monsieur ! Je me trompais. Votre passion apporte un peu de conviction à vos piètres dialogues. Si vous ne pointiez pas une arme vers mon cœur, je serais presque tentée de saluer avec enthousiasme votre noble quête qui consiste à me délester de mon argent.

Il la surprit en abaissant lentement le pistolet le long de son corps. Étrangement, cela ne le rendit pas moins menaçant. La jeune femme sentit son cœur battre plus vite. Peut-être avait-il résolu de la punir de son insolence en l’étranglant à mains nues.

Elle ne pouvait voir ses yeux, mais elle sentait son regard sur elle, aussi nettement que s’il l’avait touchée. Avec toutes ses belles paroles sur l’oppression écossaise, elle se serait presque attendue à ce qu’il porte un kilt et une claymore étincelante ou une cornemuse. Pourtant, il était sobrement habillé de noir, sa chemise, son pantalon et ses bottes le fondant dans les ténèbres de minuit.

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Elle recula prudemment d’un pas, puis de deux.

Il suivit ses moindres mouvements, telle une ombre.

Elle continua sa retraite en se demandant comment tourner cette danse dangereuse à son avantage. Si elle pouvait l’attirer loin de la porte du carrosse, Sophie aurait peut-être l’idée de se glisser hors du véhicule pour aller appeler de l’aide.

Ou simplement pour sauver sa vie…

Pamela lança un regard rapide derrière elle vers les immenses pins aux branches tombantes qui bordaient la route caillouteuse. Il n’y avait qu’une chance immanquable pour le distraire. Qu’une manière de permettre à Sophie de fuir.

Consciente qu’elle paierait peut-être cette tentative d’une balle dans le dos, Pamela fit volte-face et se mit à courir.

Elle n’avait fait que deux pas lorsque le brigand la saisit par le poignet et la ramena brutalement face à lui. Elle trébucha sur une pierre, et vacilla contre sa poitrine large et inébranlable. Elle secoua la tête pour écarter les cheveux tombés devant ses yeux et lui lança un regard noir tandis que la colère l’emportait de nouveau sur sa peur.

Pour la première fois, la lueur de la lune tomba sur le visage du bandit.

Pamela se figea et oublia tous ses projets d’évasion.

La fente étroite de son demi-masque de cuir laissait voir des yeux d’un gris acier lumineux. Pamela était suffisamment proche pour compter chaque cil qui les entourait. Il avait le nez fort et légèrement cassé,

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sans doute après un nombre déraisonnable de bagarres de taverne.

Il la maîtrisait sans mal d’une main, pourtant, il avait le souffle court et les dents serrés comme s’il luttait avec un ennemi invisible.

Il avait la mâchoire carrée et une fossette inattendue à la joue droite. Il serrait les lèvres en une ligne mince, mais Pamela imaginait sans peine les ravages que cette fossette pouvait faire dans le cœur d’une femme s’il venait à sourire.

Elle eut le souffle coupé. Elle était aussi incapable de résister à son charme qu’elle l’avait été devant l’avis de recherche du village. Certains auraient pu répliquer que le portrait grossier pouvait correspondre à une bonne dizaine d’hommes, mais Pamela aurait reconnu son modèle dans n’importe quelle circonstance.

Il était aussi immobile qu’une statue de granit et elle leva une main tremblante pour lui effleurer la joue du bout des doigts. Sur le dessin, la feuille était froide au toucher, mais sa peau était chaude et rugueuse sous une barbe d’un jour.

Il prit une brève inspiration.

— J’ai vu l’avis de recherche, avoua la jeune femme en levant timidement les yeux vers les siens.

S’ils vous prennent, ils vous pendront.

— Alors il serait peut-être temps de voler quelque chose qui vaille la peine, répondit-il d’une voix rauque qui la fit frissonner jusqu’aux orteils.

— Comme quoi ? souffla-t-elle.

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Il baissa le regard vers les lèvres de la jeune femme, lui offrant la réponse qu’elle redoutait et désirait. Son étreinte sur le poignet de Pamela se fit plus douce et son pouce calleux caressa doucement son pouls frémissant. Il ferma les paupières et se pencha, les lèvres soudainement plus douces et chaudes, comme une invitation. Il effleura la bouche de Pamela avec une tendresse bien plus dangereuse qu’une démonstration de force.

Pamela n’ignorait rien de l’art d’un baiser de scène. Son but était d’évoquer la passion sans la susciter vraiment. Les acteurs y parvenaient en se touchant à peine, un contact sec et professionnel, sans communion du cœur ni de l’âme.

Elle fut donc d’autant plus surprise lorsque le bandit fendit soudain avec audace la barrière de ses lèvres avec sa langue soyeuse. Il n’y avait rien de sec et de professionnel dans ce baiser. Il joua avec elle, savourant, provoquant, envoûtant, l’invitant à une étreinte plus profonde à chaque frémissement de sa bouche. Il sentait les épines de pin brisées et la fumée de bois, et avait une saveur de whisky et de danger.

Elle comprit trop tard qu’elle n’était plus sa prisonnière. Elle ne s’était pas aperçue qu’il avait lâché son poignet et ses mains se trouvaient comme par magie plaquées contre les contours musclés de sa poitrine. Elle percevait sous ses paumes chaque battement de son cœur comme s’il avait été le sien.

Malgré ses menaces, il n’avait rien fait qui mérite la potence. Après tout, ce n’était pas même un baiser volé, il avait été offert librement, avec une telle

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générosité et un enthousiasme si débordant que nul tribunal n’oserait lui reprocher.

L’homme passa les doigts dans les boucles épaisses de la jeune femme, détachant sa coiffe qui pendit au bout de ses rubans de velours, puis il lui inclina le visage afin de s’enhardir plus encore. À cet instant, elle oublia Sophie, leur quête inaboutie de l’héritier du duc, les quelques shillings qui les séparaient tout juste de la ruine. Il n’y avait plus que la joie et la folie de ce baiser donné à un brigand sous la lune.

Jusqu’à ce qu’un cri perçant interrompe la magie et qu’un objet rose à froufrous vienne s’abattre sur la tête du voleur.

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Chapitre 2

E

n vingt-neuf ans, Connor Kincaid avait reçu deux balles, trois coups de couteau et avait failli mourir noyé dans les eaux bouillonnantes d’un torrent. Il avait survécu à une pendaison sommaire, et avait eu le nez et les côtes cassés dans des bagarres plus de fois qu’il ne pouvait s’en souvenir. Malgré cela, il n’avait encore jamais été attaqué par une mégère hurlante armée d’une ombrelle.

L’assaut ne l’aurait peut-être pas pris de court s’il n’avait été sourd et aveugle à tout, l’esprit engourdi par la saveur envoûtante de la femme qu’il tenait dans ses bras. Les mèches épaisses de ses cheveux glissaient entre ses doigts et les emprisonnaient dans un filet de soie. Ses soupirs haletants étaient comme une musique que lui seul pouvait entendre. Le contact de ses mains sur sa poitrine trahissait son innocence et sa faim, le soumettant à la terrible tentation de voler l’une pour apaiser l’autre. Un baiser encore et il l’aurait emportée dans la forêt pour la coucher sur un lit de mousse pour satisfaire cette pulsion, quand la réalité s’était brutalement abattue sur lui dans une pluie de volants roses.

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Si son adversaire avait tenu un pistolet et non une ombrelle, il lui aurait été tout aussi facile de lui tirer une balle dans le dos. Il l’aurait largement mérité après une telle négligence. Il avait appris depuis longtemps que la destinée est une maîtresse sans cœur qui aurait ri de le voir échapper à la corde simplement pour mourir d’une balle en punition d’un baiser volé.

— Lâchez ma sœur, vil scélérat ! glapit la jeune femme qui levait et abattait son petit bras pour poursuivre son offensive sur sa tête et ses épaules.

Connor fit volte-face et leva un bras pour parer les coups. L’ombrelle était bordée de plumes et il lui semblait être attaqué par une volée de perroquets roses assoiffés de sang.

Elle porta un coup violent contre son oreille droite et il leva d’instinct son pistolet.

La jeune fille recula sans lâcher son arme improvisée. Avant qu’il ait totalement recouvré ses esprits, la femme dont le baiser avait manqué de lui coûter la vie se précipita devant l’arme qui se trouva à nouveau dirigée vers son cœur. Ses yeux aux lueurs ambrées saisissantes n’avaient rien perdu de leur étincelle de défi, mais elle tremblait de tous ses membres.

La vision de ces deux femmes effrayées devant lui ne fit qu’accentuer son mécontentement. Il n’avait jamais eu plaisir à s’en prendre au beau sexe, mais lorsqu’il avait entendu dire que deux demoiselles anglaises couvertes de joyaux et de fourrures voyageaient sans la protection d’une escorte armée,

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il n’avait pu résister à la tentation. Il avait prévu de voler leurs richesses et de les laisser partir, persuadé qu’elles sauraient convaincre leurs riches pères, époux ou amants de remplacer les biens volés. Pourtant, quelques secondes plus tôt, il avait envisagé de voler l’irremplaçable…

Il couva d’un regard noir la femme devant lui, furieux de se sentir le brigand méprisable qu’il était par sa faute. Puis, lentement, il baissa son arme et la glissa à sa ceinture.

— « Lâchez ma sœur, vil scélérat » ? répéta-t-il.

Vous êtes mal placée pour critiquer mes répliques !

Il tendit un doigt accusateur vers la petite blonde qui le regardait derrière l’épaule de sa sœur. Ses yeux d’une teinte de bleuet étaient ronds comme des soucoupes.

— Et qui écrit ses dialogues ?

Avant que les jeunes femmes puissent réagir, il s’avança et confisqua l’ombrelle. Il la brisa contre son genou, la fendant en deux. Il jeta les morceaux dans la forêt et la plus jeune eut assez d’aplomb pour lui lancer un regard dépité, comme s’il avait détaché la tête de sa poupée favorite.

L’aînée à la langue acerbe et aux lèvres de miel lui décocha à son tour un regard de reproche avant de prendre gentiment sa sœur par les épaules.

— Comment as-tu pu être aussi sotte, Sophie ?

Tu aurais pu nous faire tuer toutes les deux.

— Je suis désolée, Pamela, répondit la jeune femme en plissant son nez mutin vers Connor, mais je ne pouvais pas laisser ce barbare violenter ma sœur.

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En entendant ces mots, Pamela baissa un peu les paupières et jeta un coup d’œil au barbare en question.

Il les écoutait, les bras croisés. Étrangement, son regard noir et sa mâchoire serrée ne le rendaient que plus attirant. Elle ne pouvait guère l’accuser d’avoir voulu la violenter alors qu’elle n’avait pas seulement permis son baiser mais l’avait accueilli et encouragé.

S’il l’avait traînée dans les bois pour prendre son plaisir, elle n’aurait pu s’en prendre qu’à elle-même.

Une vague sombre d’étonnement et de honte s’abattit sur elle. Elle s’était toujours vantée de sa maîtrise face aux hommes. Qu’adviendrait-il de sa sœur et elle si elle avait hérité la faiblesse de sa mère pour un beau visage et de larges épaules ?

— Tu n’avais pas à mettre en péril ton ombrelle et ta vie pour moi. Je ne courais aucun danger, mentitelle en détachant son regard du bandit avec plus de difficultés qu’elle ne voulait l’admettre.

Sophie cilla.

— Oui, je sais que tu m’as dit que la plupart des Highlanders étaient plus susceptibles de violenter les moutons que les fem…

Pamela plaqua la main sur la bouche de sa sœur.

— Tu auras mal compris. J’ai simplement dit qu’ils préféraient les femmes plus… dociles.

Elle lança un regard nerveux vers l’Écossais. Il n’y avait pas une pointe d’amusement dans ses yeux, mais la jeune femme aurait juré que sa fossette s’était légèrement creusée.

— J’essayais simplement de le distraire pour que tu puisses te sauver, reprit-elle avant de lâcher sa

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sœur pour faire face au brigand. Je puis vous assurer, monsieur, que je n’ai pas l’habitude d’embrasser des étrangers. Ni des bandits de grand chemin, précisat-elle après une seconde de réflexion.

L’expression de l’homme demeura impénétrable.

— Oh, je vous crois, petite.

Elle fronça les sourcils. Comment pouvait-il affirmer cela ? Embrassait-elle si mal ? Était-il secrètement horrifié par son manque de tenue ?

Aurait-elle dû garder les lèvres serrées quand il avait tenté de passer sa langue entre elles ?

Elle se redressa en espérant récupérer les derniers fragments de sa dignité.

— Je suppose qu’il est un peu tard pour les présentations officielles, monsieur, mais je me nomme Pamela Darby et voici ma sœur, Sophie.

Après des années d’entraînement à donner la réplique à sa mère, Sophie s’avança et fit une révérence parfaite. En se redressant, elle rejeta en arrière ses boucles et battit des cils. Sophie était exactement comme leur mère. Elle ne pouvait s’empêcher de jouer de ses charmes en présence d’un homme, fût-il un bandit armé. Elle était l’enfant terrible du théâtre où elles avaient grandi, et tous les mâles, de l’acteur le plus en vue au plus insignifiant machiniste, faisaient ses quatre volontés.

Pamela soupira en attendant que le brigand succombe au sortilège de sa beauté. Sophie avait envoûté des hommes bien plus puissants que lui et sa sœur connaissait tous les symptômes : les gestes maladroits, le regard ébloui, les bégaiements étranges.

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Une fois un homme aveuglé par Sophie, Pamela savait qu’elle disparaissait dans le décor, aussi peu remarquable qu’un palmier en pot peint sur une toile de fond.

Pourtant, le voleur n’accorda qu’un bref regard à la charmante jeune femme. Il ne quitta pas l’aînée de son regard éclatant et se contenta d’un salut étonnamment gracieux pour une carrure aussi imposante.

— C’est un plaisir de rencontrer votre charmante sœur et vous, Miss Darby. Je suis l’homme qui va vous délester de vos richesses et s’en aller.

Comme pour rappeler au petit groupe les sinistres intentions du voleur, le cocher émit un grognement et s’assit laborieusement au bord de la route, un filet de sang coulant d’une légère coupure à son front.

Sans sourciller, le bandit reprit son pistolet en main et tourna le canon vers le vieil homme. Celui-ci leva les bras aussitôt.

— Gardez-les ainsi jusqu’à ce que j’en aie fini avec ces dames, ordonna Connor d’une voix douce.

Consciente de ce public nouveau de leur petit drame – ou était-ce une farce ? –, Pamela laissa pendre son bras pour que le réticule, toujours à son poignet, disparaisse dans les plis de sa jupe.

Tandis que le bandit tenait le cocher en respect d’un simple regard, ses pensées s’aventurèrent vers des horizons étrangement philosophiques.

Qu’est-ce qui déterminait vraiment la destinée d’un homme ? Était-ce nécessairement un accident, dès la naissance ? Un tour inattendu de la roue

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du destin ? Le hasard et les choix ne pouvaient-ils se croiser et changer à jamais la vie d’un homme ?

Pamela ne s’aperçut qu’elle souriait pensivement que lorsqu’elle surprit le regard stupéfait de sa sœur.

Elle plaqua la main sur sa bouche pour paraître terrorisée par le brigand qui prit un sac de toile à sa ceinture avant de ranger son pistolet comme précédemment, tout en s’approchant des jeunes femmes.

— Pourquoi ne pas commencer par cette étole d’hermine, petite ? proposa-t-il en tendant la main.

Pamela retira à regret la fourrure de son cou, frappée par la morsure glaciale du vent nocturne, et la remit au voleur. Il passa la main sur le vêtement avec une étincelle de convoitise dans le regard. Pourtant, lorsqu’il eut terminé, il regarda l’épais tas de poils collé à ses doigts.

— Par l’enfer, qu’est-ce que c’est que cela ? demandat-il, l’œil noir, clairement dégoûté par l’objet. Du rat ?

Pamela renifla.

— Bien sûr que non. Vous apprendrez qu’il s’agit d’écureuil du Hertfordshire de la meilleure qualité.

L’homme continua à grimacer de répulsion et agita la fourrure avec précaution. Des paquets de poils volèrent en tous sens, jusqu’au nez de Pamela.

Elle ne fit rien pour retenir son éternuement.

Connor jeta dans un buisson l’étole qui se dégarnissait à vue d’œil.

— Voyons ces boucles d’oreilles en rubis, voulezvous ? grommela-t-il.

— Si vous insistez.

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Elle retira les bijoux et lui tendit.

Les gemmes scintillaient comme des gouttes de sang sur sa large paume, pourtant, à mesure qu’il les étudiait, l’éclat appréciateur quitta ses yeux. Il regarda la jeune femme.

— Ce n’est que de la résine, n’est-ce pas ? Une résine sans valeur.

Elle haussa les épaules.

— Je suppose que c’est possible. Les joailliers les moins scrupuleux profitent souvent de leurs clientes trop naïves.

Il n’attendit pas qu’elle lui remette la broche de diamant qui ornait le col de sa pelisse. Il fut sur elle en un pas et saisit les plis du vêtement avant de défaire habilement l’attache. Elle frémit en sentant sa main effleurer la peau sensible de sa gorge. Pendant un instant, leurs regards se croisèrent, puis il referma les doigts sur son butin et s’écarta.

Il ne perdit pas de temps à scruter le bijou. Il se contenta de mordre dedans avant de le jeter d’un air dégoûté.

— À quel petit jeu dangereux jouez-vous, toutes les deux ?

— Un jeu que nous avons l’intention de gagner, répondit-elle tandis que sa main glissait vers son réticule.

Il plissa les yeux et l’étudia pendant un instant, puis il tendit la main.

— Donnez-moi votre culotte.

Pamela interrompit brusquement son geste.

Derrière elle, Sophie hoqueta.

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— Je vous demande pardon ? dit l’aînée en scrutant le brigand avec une suspicion nouvelle.

Pendant ses années passées au théâtre, elle avait rencontré plusieurs acteurs qui aimaient passer des robes et interpréter des rôles de femmes sur scène.

Mais il était difficile d’imaginer cet Highlander imposant en froufrous et dentelles, arpentant les planches d’un air précieux en récitant une chansonnette suggestive.

— Vous m’avez compris, jeunette. Retirez votre culotte et donnez-la-moi.

Elle lui décocha un regard noir.

— Comment résister à une requête si romantique ?

Avec ce verbe habile, aucune femme ne doit se refuser à vous.

Cette fois, elle fut certaine que la fossette se creusait.

— Oh, je connais d’autres façons de vous la faire enlever, mais je doute que vous vouliez que je vous montre. (Il lança un regard rapide vers Sophie.) Du moins pas pour le moment.

Pamela serra les dents avec exaspération et se retourna mais elle découvrit le cocher qui la regardait, bouche bée, les mains toujours levées. Elle marmonna puis se plaça face à la forêt pour fouiller sous ses jupons. Hors de question que ce vaurien puisse apercevoir la moindre maille de ses bas ou la plus petite parcelle de ses chevilles fines. Après quelques déboires, elle finit par retirer le vêtement en se tenant à un aulne tout proche et en sautillant d’un pied sur l’autre.

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Elle se tourna face au brigand et lui jeta.

— Tenez ! J’espère que vous êtes content, misérable, insupportable malotru !

Il prit l’étoffe d’une main, ne cachant plus son sourire moqueur.

— Moi qui craignais que vous n’éprouviez plus la même affection pour moi.

Elle détourna les yeux, les joues rouges. Malgré les épaisseurs de sa pelisse, ses jupes, ses jupons et ses bas, elle se sentait exposée. Il lui semblait que le vent glacial cherchait volontairement à se glisser sous son ourlet pour s’insinuer vers ses cuisses serrées.

Elle jeta un regard morose vers le brigand. Au moins ne portait-elle pas quelque ridicule fanfreluche française en soierie comme le faisait sa mère. Sa culotte était en solide laine anglaise, décente, pratique, terne… tout comme elle.

Il examina le vêtement usé avec plus d’intérêt que l’étole ou la broche et la curiosité de la jeune fille l’emporta sur sa colère.

— Que diable faites-vous ?

— Une femme peut mentir de bien des manières par les lèvres et les yeux, mais ses sous-vêtements trahissent la vérité.

Il passa la main sur une maille récemment reprisée et fit glisser ses doigts jusqu’aux contours effilochés.

Lorsqu’il leva enfin les yeux vers la jeune femme, son regard était plus sombre, incrédule et moqueur.

— Donc, vous êtes pauvres.

Pamela recula. Il avait prononcé ce mot comme la plus honteuse des accusations, comme s’il se fût

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agi d’un crime pire encore que d’avoir attaqué deux femmes sans défense dans les bois.

Elle aurait cru qu’être assaillie de choux pourris et de pommes de terre véreuses en fuyant devant une foule en colère aurait eu raison de sa fierté, pourtant, elle affronta le regard accusateur de Connor le dos droit et le menton levé.

— Ma sœur et moi sommes dans une situation difficile depuis la mort de notre mère. Cela ne fait pas de nous des pauvres.

— Oh, non ?

Il roula le vêtement en boule et le jeta dans les buissons puis il se rapprocha d’elle, la faisant reculer à chaque pas.

— Alors pourquoi vous envelopper de rongeurs morts et porter de faux bijoux ? Pourquoi votre culotte a-t-elle été reprisée si souvent qu’elle n’a plus sa place qu’aux ordures ?

Il continua à avancer jusqu’à ce qu’elle se trouve dos à un arbre, sans issue pour lui échapper, si proche de lui qu’elle ne pouvait respirer sans sentir son parfum de musc et de fumée.

— Pourquoi, enfin, vous être aventurées sur ces routes avec pour seul protecteur ce pitoyable vieillard ?

— Eh ! protesta le cocher.

— Chut ! ordonnèrent le bandit et Pamela sans détacher leurs regards furieux l’un de l’autre.

Le cocher obéit d’un air boudeur.

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Connor passa une mèche rebelle derrière l’oreille de Pamela, et sa voix se fit plus profonde et plus douce, retrouvant cette tessiture entre le velours et le chardon.

— N’avez-vous aucune idée de ce qui pourrait arriver à deux jolis brins de fille comme vous sans homme pour les défendre ?

Pamela se demandait encore si c’était une mise en garde ou une menace quand Sophie intervint.

— Elles pourraient être attaquées par un malandrin qui leur volerait leurs culottes ? pépia-t-elle.

Connor ignora la provocation, concentré sur Pamela.

— Pourquoi faire semblant d’être riche, jeunette ?

Pamela sentit qu’elle perdait de nouveau son sang-froid.

— Parce que les gens vous traitent différemment s’ils pensent que vous avez des moyens. Ils sont plus aimables et plus serviables, et ne vous regardent pas comme si vous risquiez de dérober l’argenterie. Ils ne se moquent pas de votre corset usé et ne font pas remarquer que votre bonnet est passé de mode depuis trois saisons. Peut-être préférons-nous éviter les moqueries, voire pire, la pitié, d’un homme qui n’a certainement jamais gagné le moindre sou honnêtement de toute sa vie.

— Oh, j’ai essayé de gagner ma vie honnêtement, répliqua-t-il, les traits tirés. Mais il ne m’a pas fallu plus d’une journée à lutter pour survivre sur l’aumône qu’on me payait pour comprendre que je n’avais plus envie d’avoir froid ni faim, les pieds nus, et que je préférais prendre ce que je voulais sans attendre le

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bon vouloir de quelque seigneur anglais au ventre bien rempli.

Bien que cela lui soit insupportable, Pamela sentait son sang s’enflammer sous l’impulsion de ces paroles, embrasée par sa passion et l’éclat impitoyable de ses yeux. À cet instant, il y avait quelque chose de noble dans sa posture.

La jeune femme glissa la main dans son réticule.

Avant de reprendre ses esprits ou de perdre la tête, elle sortit un joli petit pistolet à manche de nacre et le posa contre la poitrine de Connor en armant d’un pouce.

— Navrée d’interrompre un autre de vos émouvants discours sur les droits écossais et la tyrannie anglaise, mais je crains que ce ne soit mon bon vouloir qu’il vous faille attendre pour le moment.

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À suivre...