Possession - extrait

7 péchés capitaux, 7 âmes.

Jim Heron est capable du pire comme du meilleur. Ce qui lui vaut d’être choisi par les forces du bien et du mal pour décider du destin des Hommes. Sept âmes dans la balance, sept âmes à sauver ou à damner.

Alors que le destin d’une nouvelle âme repose entre ses mains, il est détourné de son devoir le plus sacré par le sort d’une jeune femme, prisonnière en Enfer, qui pourrait bien l’amener à sauver la mauvaise personne…

Le bien peut-il encore l’emporter si l’amour est une faiblesse ? « Fans de la Confrérie, libérez une étagère, car voici la nouvelle série dont vous ne pourrez plus vous passer. » Publishers Weekly

Romance / Sexy

Dans la même série :

Inédit Traduit de l’anglais (États-Unis) par Marianne Feraud Photographies de couverture : © Shutterstock Illustration de couverture : Anne-Claire Payet ISBN : 978-2-8112-1213-1

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Du même auteur, chez Milady, en poche : La Confrérie de la dague noire : 1. L’Amant ténébreux 2. L’Amant éternel 3. L’Amant furieux 4. L’Amant révélé 5. L’Amant délivré 6. L’Amant consacré 7. L’Amant vengeur 8. L’Amant réincarné 9. L’Amant déchaîné 10. L’Amant ressuscité Anges déchus : 1. Convoitise 2. Addiction 3. Jalousie 4. Extase 5. Possession Aux éditions Bragelonne, en grand format : La Confrérie de la dague noire : Le Guide de la Confrérie de la dague noire 7. L’Amant vengeur 8. L’Amant réincarné 9. L’Amant déchaîné 10. L’Amant ressuscité 11. L’Amant désiré

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J.R. Ward

Possession Anges déchus – 5 Traduit de l’anglais (États-Unis) par Marianne Feraud

Milady

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Milady est un label des éditions Bragelonne

Titre original : Possession Copyright © Love Conquers All, Inc., 2013 Tous droits réservés y compris les droits de reproduction en totalité ou en partie.

Publié avec l’accord de NAL Signet, membre de Penguin Group (U.S.A.) Inc. © Bragelonne 2014, pour la présente traduction ISBN : 978-2-8112-1213-1 Bragelonne – Milady 60-62, rue d’Hauteville – 75010 Paris E-mail : info@milady.fr Site Internet : www.milady.fr

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Ă€ Morris M. Weiss, M.D., gentleman et homme aux multiples talents.

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Remerciements Un grand merci à mes lecteurs !

Merci également à Steve Axelrod, à Kara Welsh, à Leslie Gelbman, et à tout le personnel de New American Library !

Et avec un amour éternel pour ma famille, à la fois de sang et adoptive, ainsi qu’à toute l’équipe Waud, vous vous reconnaîtrez.

Oh, et comme toujours, je remercie la meilleure moitié de WriterDog pour son amour et son dévouement.

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Chapitre premier

– E

uh… Mais je suis où, là ?

Cait Douglass se pencha sur le volant de son petit 4 × 4, comme si elle espérait ainsi augmenter ses chances de trouver le salon de coiffure.

Promenant le regard entre la route et la rangée d’enseignes prestigieuses, elle secoua la tête.

— La vraie question est : qu’est-ce que je fiche ici… ?

Longeant la ribambelle de boutiques de luxe, elle se sentait en terrain inconnu. Linge de maison français. Chaussures italiennes. Papeterie anglaise. De toute évidence, ce quartier de Caldwell, État de New York, ne se contentait pas d’être cosmopolite, c’était aussi le sanctuaire des trois « h » : haute couture, haut de gamme, hors de prix.

Un jour, cela vaudrait peut-être la peine de jeter un coup d’œil, histoire de savoir comment vivaient les nantis, mais là, ce n’était pas le moment. Elle était en retard, et de toute façon, il était 19 h 30, si bien que tout était fermé. C’était logique. Les riches étaient sans doute assis dans leur salon, entourés de bibelots en cristal, vaquant à leurs occupations tel Bruce Wayne une fois débarrassé de son costume de Batman.

En outre, le secteur la rendait nerveuse. À retenir pour la prochaine fois qu’elle envisagerait d’aller chez le coiffeur : ne pas demander conseil à sa cousine, celle qui avait épousé un chirurgien esthétique…

Cait écrasa la pédale de frein.

— Enfin !

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Elle effectua un demi-tour interdit, se gara devant un parcmètre qui ne nécessitait pas de paiement, et sortit.

— Brrr…

Elle s’emmitoufla dans son manteau en frissonnant. Dans le nord des États-Unis, la fin avril était parfois aussi glaciale que février dans des régions aux températures plus clémentes, et comme d’habitude, l’hiver s’éternisait… à la manière d’un ami qui aurait décidé de s’incruster chez vous.

— Il faut que je me barre. En Géorgie, tiens… ou en Floride !

Déménager pourrait être le couronnement de cette année de transformations.

— Tahiti, rêva-t-elle.

Le salon de coiffure était le seul magasin encore ouvert, l’intérieur éclairé comme en plein jour. Pourtant, il semblait désert. Quand elle franchit la porte vitrée, l’air était chargé d’un parfum sucré avec une nuance de produits chimiques, et la musique expérimentale sonnait comme une cacophonie à ses oreilles.

Tu parles d’un chic : du marbre blanc et noir à perte de vue, une dizaine de postes brillant de mille feux, et une rangée de bacs dotés de fauteuils en cuir si confortables qu’on se serait cru dans une salle de sieste pour adultes. D’immenses portraits de mannequins vêtus de bleu électrique étaient accrochés aux murs et le sol étincelait.

Lorsqu’elle s’approcha de l’accueil, ses chaussures de ville couinèrent, comme si le carrelage luxueux les méprisait.

— Il y a quelqu’un ?

Elle se frotta le nez en priant pour qu’il cesse de la chatouiller ou qu’elle éternue une bonne fois pour toutes. À la vue des dizaines de miroirs, elle se sentit affreusement mal à l’aise. Elle n’était pas du genre à s’admirer dans une glace, non qu’elle se trouvât laide, mais là d’où elle venait, c’était mal vu.

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Dieu merci ses parents habitaient dans l’Ouest quand ils n’étaient pas en voyage. Jamais ils ne sauraient qu’elle avait mis les pieds dans un endroit pareil.

— Ohé ?

Elle s’enfonça dans le salon de coiffure et jeta un coup d’œil à l’îlot destiné aux produits de coloration. Une kyrielle de tubes de différentes teintes de blond, de brun, de roux… et d’autres un peu plus exotiques. Des cheveux bleus ? Roses ?

Peut-être valait-il mieux repartir tant qu’il était temps…

L’homme qui sortit de l’arrière-boutique était maigre comme un clou et son jean noir moulant semblait aider ses jambes squelettiques à le maintenir debout.

— Fous zêtes Cait Douglass ? demanda-t-il avec un accent qu’elle ne reconnaissait pas et parvenait à peine à saisir.

— Euh, oui.

Quand il plissa ses yeux sombres comme un puits et les braqua sur ses cheveux comme un médecin examine une patiente, elle eut envie de tourner les talons et de foncer droit vers la sortie. Même s’il n’avait rien d’un tueur en série, elle voulait prendre ses jambes à son cou, et cette fois, cela n’avait rien à voir avec les valeurs fondamentalistes de sa famille.

— Azeyez-fous là, ordonna-t-il.

Du moins… c’est ce qu’elle crut comprendre. Oui, c’était bien ça : il désignait l’un des postes.

C’est maintenant ou jamais, se dit Cait en cherchant du regard quelqu’un pour l’encourager. Mais ils étaient seuls, et cette musique planante qui bourdonnait au-dessus d’elle lui donnait des vertiges. Pire encore, plutôt que d’être inspirée par les posters aux murs, l’unique pensée qui lui vint fut que les gens ne devraient pas accorder autant d’importance à leur chevelure.

Zut, voilà qu’elle se mettait à parler comme sa mère.

— D’accord, répondit-elle en acquiesçant.

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Cait s’assit dans un siège en cuir incroyablement confortable, puis le coiffeur la fit pivoter devant le miroir.

Aussitôt, elle baissa le regard et sursauta lorsqu’il plongea les mains dans ses cheveux pour les agripper avec une force étonnante.

— Alors, qu’est-ce qui fous plairait ? demanda-t-il.

Prendre mes jambes à mon cou, répliqua-t-elle en pensée.

Cait se força à contempler son reflet. Mêmes cheveux bruns. Mêmes yeux bleus. Mêmes traits délicats. Rien n’avait changé, à l’exception du maquillage, qu’elle venait d’apprendre à appliquer tout en nuances sur son teint pâle. Son corps aussi était différent. Après huit mois passés à transpirer dans une salle de musculation, ses courbes s’étaient affinées, et si sa balance n’avait pas remarqué la méta­­morphose, Cait se sentait beaucoup moins serrée dans ses habits. Autre nouveauté, le sac posé sur ses genoux était rouge vif, le genre d’accessoire qu’elle n’aurait jamais osé porter une année plus tôt.

Naturellement, tout le reste était gris et noir, faute d’avoir renouvelé sa garde-robe. Mais le maquillage et cette touche de couleur lui donnaient l’impression… d’être différente.

— Alors ? insista le visagiste en contournant le siège pour prendre la pose devant le miroir.

Avec ses bras croisés et son menton baissé, il lui rappelait quelqu’un sans qu’elle parvienne à déterminer qui au juste.

Cait se tripota les cheveux en imitant le geste de l’homme dans l’espoir de faire germer une idée dans sa tête.

— Je ne sais pas. Qu’est-ce que vous en pensez ?

Quand il esquissa une moue, elle remarqua qu’il portait du gloss sur les lèvres.

— Blound. « Blound » ? Mais qu’est-ce…

— Vous voulez dire « blond » ?

Lorsqu’il acquiesça, Cait réprima un frisson de peur.

Arborer du rouge était une chose, être transformée en Lady

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Gaga en était une autre : si elle était disposée à tremper l’orteil dans les eaux de la sophistication, elle n’était pas pour autant prête à plonger dans le grand bain.

— C’est un peu radical, non ?

Il se pencha en avant et entortilla la chevelure de la jeune femme.

— Non, un balayage lécher afec du condraste.

Un balayage ? D’accord, elle ne s’était pas lavé les cheveux depuis deux jours, mais tout de même…

— Je ne sais même pas de quoi vous parlez.

— Vaites-moi conviance.

Cait se contempla encore une fois dans la glace, et pour une raison étrange, se prit à songer à sa penderie, où toutes ses tenues étaient rangées par catégorie. Elle aurait bien voulu les classer aussi par couleur, mais les teintes sombres n’offraient guère de nuances.

Quand l’homme effectua une simulation sur son ordinateur et coiffa la photo de Cait d’une perruque blonde, elle eut de nouveau envie de détaler au plus vite. D’un autre côté, elle en avait marre de son châtain clair.

La vie est trop courte, songea-telle. Et on ne rajeunit pas.

Si ça se trouve, je ne serai même plus là demain.

— Blound, hein ? murmura-t-elle.

— Blound, répéta le visagiste. Afec du condraste. Le festiaire est bar izi.

Cait jeta un coup d’œil par-dessus son épaule. L’homme désignait un petit couloir percé de quatre portes. Si elle franchissait l’une d’elles, elle ne pourrait plus revenir en arrière.

— D’accord.

Cait se leva, ses chaussures couinant quand elle traversa le sol immaculé. Elle avait l’impression de marcher sur l’eau, mais pas comme Jésus. Ce n’était pas un miracle, juste une femme à la démarche mal assurée.

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Mais elle était déterminée à ne pas flancher. Le drame qui venait de frapper sa communauté l’avait sortie de sa tor­­­peur, et il n’était pas question de perdre du temps par simple lâcheté. Elle était vivante, et c’était un don du ciel.

Après un instant d’hésitation, elle poussa le premier battant sur sa droite.

Alors que Duke Phillips arpentait le trottoir, tous les passants s’écartaient de son chemin. Et pourtant, à la nuit tombée, ce quartier était l’un des plus malfamés de Caldwell.

Sans doute était-ce dû au fait qu’il était bâti comme une armoire à glace, un atout qui lui servait pour ses deux boulots.

Ou au fait qu’il regardait les gens droit dans les yeux, en contradiction totale avec le code de New York qui stipulait d’éviter tout contact visuel. On aurait dit qu’il cherchait la bagarre.

Mais en général, personne ne relevait le défi. La plupart des types, qu’il s’agisse de membres de gang, de trafiquants de drogue ou de fêtards en partance pour une boîte, suivaient les règles et baissaient la tête dès qu’ils le croisaient.

Dommage. Il aimait se battre.

Quant aux nanas ? Il ne leur accordait pas la moindre attention. Mais c’était plutôt pour décourager toute tentative d’approche que parce qu’il les considérait comme une menace.

Dieu sait que les femmes ne l’intéressaient pas, hormis d’un point de vue physique, et pour l’heure, le sexe était la dernière de ses préoccupations.

Il était en quête d’une porte pourpre. Affreuse, peinte dans une couleur hideuse, ornée d’un heurtoir de la taille d’un panneau d’affichage. Quand elle apparut, une cinquantaine de mètres plus loin, il agrippa la poignée noire avec l’envie de l’arracher, et lâcha un juron en avisant le mot « Médium » écrit au néon rouge.

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Il était médusé de se retrouver là. Encore une fois. C’était tout bonnement…

Quand il ressentit une palpitation dans la poitrine, il crut à une crise de fibrillation due à son agacement, mais c’était juste son téléphone qui vibrait. Sortant l’appareil, il reconnut aussitôt le numéro.

— Besoin de moi ? lança-t-il d’un ton sec parce qu’il détestait perdre son temps en amabilités.

Alex Hess avait une voix grave et autant de franc-parler qu’un homme.

— Oui. Tu peux faire des heures sup pour moi ce soir ?

Sa patronne était sans doute la seule femme qu’il respectait. D’un autre côté, difficile de ne pas prendre au sérieux quelqu’un qui avait brisé le tibia d’un adulte juste sous vos yeux. En tant que chef de la sécurité du Masque de fer, elle ne supportait pas la présence de dealers sur ses plates-bandes, surtout les amnésiques qu’elle avait déjà avertis de ne rien vendre dans son club. Avec Alex, vous n’aviez droit qu’à une seule chance. Après ? Vous pouviez vous estimer heureux si les dégâts n’étaient qu’esthétiques et/ou réparables par la pose d’un plâtre.

Il consulta sa vieille montre.

— Je peux être là dans quarante-cinq minutes. J’ai rancard à 22 heures. Mais ça ne me prendra qu’une demi-heure.

— Merci, c’est cool.

— Pas de problème.

Duke raccrocha et contempla de nouveau la porte pourpre.

Mû par une force qu’il avait longtemps détestée sans jamais la comprendre, il ouvrit le battant à la volée, le vieux panneau de bois rebondissant contre le mur. Duke le rattrapa et leva les yeux vers l’escalier qui s’élevait en colimaçon sur cinq étages. Depuis combien de temps venait-il là ?

Quelle connerie.

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Et pourtant, lesté de ses lourdes bottes, il grimpa les marches deux par deux, ses muscles se contractant à chaque foulée, cramponné à la rampe en fer comme pour l’étrangler, son corps prêt à bondir sur un ennemi invisible.

En haut, un panneau annonçait : « Veuillez vous asseoir et attendre votre tour. » Comme s’il s’agissait du cabinet d’un psy.

Au lieu d’obéir aux instructions, Duke se mit à faire les cent pas sur le minuscule palier. Les deux chaises vacantes étaient mal assorties et peintes dans un mélange psychédélique de couleurs vives. L’air sentait l’encens qui brûlait à l’intérieur. Et sous ses bottes, le tapis tibétain était rongé jusqu’à la corde. Et pourtant ce n’était pas du bas de gamme.

Déjà qu’en temps normal Duke détestait poireauter, là, il fulminait. Pour tout dire, il ignorait ce qui le poussait à revenir sans cesse. On aurait dit qu’il y était traîné par une force invisible. Il savait que c’était une perte de temps ; cependant, il ne pouvait pas s’empêcher de…

— Je vous attendais, annonça une voix féminine.

Cette femme avait le don de sentir sa présence même à travers la porte. Et pourtant, aucune caméra de surveillance n’était fixée au plafond.

Mais peut-être avait-elle simplement entendu le bruit de ses pas… et ses bougonnements.

La poignée en laiton était vieille, polie par les innombrables paumes qui l’avaient agrippée au fil des années. En la voyant pivoter, un étrange sentiment d’irréalité s’insinua en lui et s’empara de son esprit. Et lorsque la voyante apparut devant lui, vêtue d’une robe drapée, il évita son regard.

Merde, il détestait ça. Au plus haut point.

Au moment où il pénétra à l’intérieur, une horloge se mit à sonner… huit fois. À ses oreilles, le bruit parut aussi strident qu’un cri.

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— Il faut vous purifier. Votre aura est noire.

Duke fourra les mains dans les poches de son jean et haussa les épaules.

— Comme d’habitude, quoi.

— Oui. Exactement. Merde, autant qu’il le savait, elle aggravait la situation plutôt que de l’améliorer, lui jetait des sorts au lieu de le guérir.

— Asseyez-vous.

Il promena le regard sur le guéridon où trônait une boule de cristal, avec un jeu de tarot et des bougies blanches. Tout comme la voyante était drapée de soie, de longues nappes tombaient aux pieds de la table en une corolle multicolore.

Deux chaises étaient présentes, l’une assez large pour faire office de trône, l’autre plus banale, de celles qu’on trouve dans les magasins de fournitures de bureau.

Il n’avait qu’une envie : partir.

Il s’assit.

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Chapitre 2

S

ix… sept…

Huit.

Assis au bord du lit, Jim Heron attendit de voir si la pendule sur le palier avait quelque chose à rajouter. Quand seul le silence répondit à cette attente, il tira sur sa cigarette.

Il détestait cette horloge : sa tonalité, son tic-tac incessant et surtout le fait que, de temps à autre, elle sonnait treize coups.

Non pas qu’il soit superstitieux.

Non, pas du tout…

D’accord, peut-être un peu. Mais à sa décharge, les événements venaient de lui prouver que, contrairement à ce qu’il croyait, la réalité n’était pas une simple dimension basée sur ce qu’on pouvait voir, entendre et toucher. Depuis qu’il avait accepté le rôle de sauveur du monde, il avait appris que le diable n’était pas une invention, et qu’il s’agissait d’une femme aimant les escarpins hors de prix, les longues promenades sur la plage, et être prise en levrette. Il avait aussi rencontré des anges, dont il faisait désormais partie, et séjourné dans une version du paradis qui ressemblait à un manoir du début du xxe siècle.

Alors, oui, les horloges qui n’avaient pas besoin d’être remontées, ni d’être branchées à une prise, et comptaient plus de coups qu’il n’en fallait ? Ça le faisait flipper.

Tirant une nouvelle bouffée, il inclina la tête en arrière et souffla un long nuage de fumée. Tandis que la volute s’élevait, il jeta un coup d’œil à son environnement. Papier

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peint défraîchi. Plafond avec une tache dans le coin. Fenêtres à guillotine scellées par des coulures de peinture. Lit à baldaquin avec une tête de lit qui lui rappelait de vieux films d’épouvante.

Et les trente-trois autres chambres étaient du même acabit.

Trente-trois ou trente-quatre ?

Il avait cherché des logements abordables, un peu à l’écart des sentiers battus. Mais il ne s’était pas attendu à une baraque décrépite, avec une eau douteuse, des ampoules qui n’éclairaient que par intermittence, une cuisinière qui éructait du gaz, et des cloisons humides qui laissaient passer tous les courants d’air.

Merveilleux. Sortie tout droit d’Art et Décoration.

Le seul avantage de cette demeure, du moins le seul qu’il lui trouvait, était sa façade austère : à voir ses murs recouverts de vigne desséchée, ses volets branlants, et ses surplombs qui semblaient vous fusiller du regard, on pouvait facilement s’imaginer qu’elle était habitée par un ogre. En outre, le parc était envahi par des hectares de ronces, de buissons épineux et de sumac vénéneux au travers desquels il faudrait bientôt se frayer un chemin à la machette.

Cette végétation n’aurait aucun effet contre les séides de Divine, mais elle éloignerait les curieux.

— Où es-tu… ? (Il braqua les yeux sur le plafond.)

Montre-toi, salope.

Sa pire ennemie n’était pas connue pour sa patience, et il attendait une réponse depuis une éternité.

Quand il écrasa son mégot, le fanion coloré à l’autre bout de la pièce lui rappela que sa nouvelle tactique aurait pu tourner au vinaigre. Dans ce tournoi entre le bien et le mal, où il incarnait le quarterback interagissant avec les sept âmes sur le terrain, chapeauté par cette salope de Divine et Nigel, ce snobinard d’archange, en tant que « capitaines » 19

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d’équipe, Jim avait une bonne longueur d’avance. Grâce à lui, les gentils menaient trois à un. Plus qu’une victoire – une personne incitée à choisir le bien au carrefour de sa vie – et il aurait sauvé non seulement le monde, mais tout l’au-delà.

Alors les humains pourraient poursuivre leur existence, et les morts à qui saint Pierre avait accordé leur visa pour la Demeure des âmes seraient en sécurité pour l’éternité.

Comme sa mère, par exemple, qui, après avoir été violée et assassinée, pourrait reposer en paix à tout jamais.

Tout bien considéré, Jim aurait dû être satisfait d’être parvenu à un tel exploit en compagnie d’Adrian, son coéquipier.

Ce n’était pas le cas.

Tout ça à cause de Divine. Cette salope détenait une âme qu’il convoitait, et qui n’avait pas sa place dans la prison visqueuse où croupissaient les damnés. Alors, fort de son entraînement et de son expérience militaires, il avait élaboré une stratégie : échanger cette innocente contre un de ses fanions. Un marché honnête et conforme au règlement.

Après tout, ces drapeaux de la victoire étaient sa propriété ; une vérité confirmée par Nigel en personne. Et le propre de détenir un bien est de pouvoir en disposer comme bon vous semble.

C’était bien la raison d’être des sites de petites annonces.

Il s’était attendu à ce que la démone rechigne, mais il était persuadé qu’elle finirait par accepter. Certes, à en croire Adrian, elle était d’une possessivité maladive, mais c’était la guerre. Et en cas de victoire, elle raflerait la mise ; l’enfer s’abattrait sur le monde.

Pourtant, il lui avait soumis sa proposition et elle avait répondu qu’elle allait réfléchir.

Comme s’il s’agissait d’acheter une putain de paire de chaussures. Hallucinant.

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Jim se leva et se mit à faire les cent pas, soulevant la fine couche de poussière qui recouvrait le plancher. Quand l’inévitable grincement commença à lui taper sur les nerfs, il se dirigea vers la salle de bains.

Tu parles d’un palace, se dit-il en entrant dans la pièce.

Le rose du papier peint était tellement estompé qu’il était presque impossible de le distinguer. Mais c’était sans doute préférable étant donné que toute mièvrerie lui donnait de l’urticaire. Le miroir sculpté surplombant le lavabo était cassé, et le verre était moucheté de taches brunes, si bien que quand vous vous regardiez dedans, vous aviez un aperçu de ce à quoi vous ressembleriez à l’âge de soixante-dix ans.

Et le sol n’était qu’une vaste étendue de carrelage fendillé.

Cela étant, Jim s’était douché dans des endroits bien plus glauques.

Il s’approcha de la baignoire à pieds en s’imaginant qu’il aurait pu la trouver romantique si, d’une part, il avait aimé ce genre de conneries, et de l’autre, le fond n’avait pas été tapissé d’un dépôt de calcaire jaunâtre, et l’extérieur parsemé de taches vertes causées par l’oxydation. Sans parler du bruit…

Lorsqu’il l’actionna, l’un des robinets émit un couinement, semblant rechigner à puiser un liquide glacé en provenance de la rue.

Un mince filet s’échappa de la pomme de douche rouillée, mais depuis deux jours, Jim avait appris à s’en contenter pour se laver. Après s’être déshabillé, il s’avança sous le jet froid, et attrapa le savon.

Son corps ne protesta pas face à l’absence d’eau chaude, mais Jim lui avait infligé bien pire tout au long de sa carrière au sein des XOps. En témoignaient les nombreuses cicatrices qui bardaient son épiderme, dues à des coups de couteau, à des éclats de balles ou d’obus, ou à des opérations chirurgicales pratiquées sur le champ de bataille, ou dans une chambre à Paris pour l’une d’elles.

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— Où es-tu… ? Divine…

Bordel, elle finirait par le rendre dingue.

Ce qui serait un comble. Après vingt ans passés dans la peau d’un tueur à la solde du gouvernement américain, il aurait dû être habitué au rythme décousu de la guerre : de longues périodes d’inactivité et d’attente entrecoupées de courts moments de frénésie, où la moindre hésitation, la moindre erreur, pouvait vous coûter la vie.

D’ordinaire, il gérait mieux les accalmies.

Certes, jamais l’enjeu n’avait été aussi élevé. Si Jim remportait la partie ? L’enfer ne serait plus qu’une fable moralisatrice, sans acteurs ni théâtre.

Alors, peut-être aurait-il dû se montrer un peu plus patient et empocher une quatrième victoire, ce qui aurait provoqué la libération des innocents, et tout se serait terminé de la meilleure façon possible.

Le souci était qu’il ne savait pas si Sissy Barten s’en sortirait. La jeune fille était coincée dans le mur de la démone, dans les entrailles de la Terre, et si l’enfer était détruit, ne risquait-elle pas de disparaître avec ? Ou obtiendrait-elle un laissez-passer en raison de la pureté de son âme ?

Jim l’ignorait, et il refusait de courir des risques à ce sujet… Voilà pourquoi il attendait la réponse de Divine en se demandant ce que pouvait bien mijoter son ennemie…

Un éclair de lumière jaillit dans la salle de bains, l’aveu­­ glant au point qu’il lâcha le savon pour se couvrir les yeux des mains.

Il savait de qui il s’agissait, et ce, avant même qu’une voix aristocratique à l’accent anglais fende le bruit de douche anémique.

— Avez-vous perdu l’esprit ? demanda l’archange Nigel.

Génial. Il ne manquait plus que ça.

Une altercation avec son patron.

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Dès qu’il aperçut le rai lumineux cernant la porte close de sa chambre, Adrian sut que tout n’était pas rose au pays des anges. Filtrant à travers l’encadrement comme l’éclair d’une bombe, il ne pouvait s’expliquer que par la visite d’un archange.

Ou alors la cuisinière délabrée avait succombé à une combustion spontanée.

Se levant du lit, il se traîna, nu, jusqu’au battant et l’ouvrit afin de jeter un coup d’œil à la scène.

— … me fous de votre avis… Je me fous totalement de votre avis…

Jim sortit de la salle de bains avec une serviette nouée autour de la taille et les cheveux dégoulinants. Il parlait d’une voix grave et basse, comme un serpent à sonnette émettant un avertissement.

Sans se démonter, Nigel lui emboîta le pas, même si le dandy à l’accent anglais avait plutôt l’air de se rendre à un concert philharmonique : malgré la nuit tombée, sa cravate blanche paraissait un peu trop formelle pour l’engueulade qui avait lieu.

Personne ne sembla remarquer Adrian quand il s’adossa au montant pour assister au spectacle. Pour tout dire, il leur était invisible.

— … et vous pensiez vraiment pouvoir lui céder une victoire ? cracha Nigel tandis qu’ils entraient dans la chambre de Jim, son accent transformant les syllabes en coups de poignard. Vous n’en avez aucun droit… Bon sang, mais c’est le drapeau que je vois là ?

Adrian émit un sifflement. La dernière fois qu’il avait entendu ce ton sortir de cette bouche d’ordinaire si polie, Eddie et lui avaient passé deux siècles au purgatoire.

Voilà qui promettait d’être amusant.

Mais Jim persistait à lui tenir tête.

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— Ils m’appartiennent, n’est-ce pas ? C’est vous-même qui me l’avez dit. Alors je fais ce que je…

La gifle qui retentit à travers l’ouverture de la porte arracha une grimace à Adrian.

— Celle-là, je passe l’éponge, grogna Jim. Mais essayez encore, et je vous tue.

— Je ne suis pas vivant, espèce d’idiot ! Et vous mettez tout en péril.

— Qu’est-ce que vous savez de mes intentions ?

— Vous allez lui donner ce drapeau. Pour une raison qui m’échappe complètement. D’ailleurs, je ne peux même pas imaginer ce qui pourrait avoir plus de valeur que de vous retrouver à un point de la victoire.

Adrian transféra son poids de sa jambe blessée sur l’autre et secoua la tête. D’accord. Il ignorait que Jim était allé aussi loin dans ses petites manigances, mais il savait qui elles concernaient.

Sissy Barten.

— Et merde, marmonna Ad en comprenant de quoi il retournait. Putain de merde.

— Nigel, bienvenue dans le monde réel, lança Jim. Ce n’est pas vous qui avez le contrôle, ici.

— Mais avez-vous songé à votre mère ?

Un court silence s’abattit.

— Vous croyez me tenir avec ça ? M’entraver avec cette laisse ?

— Excusez-moi d’avoir cru que vous pourriez vous soucier de son salut éternel.

Alors que les esprits s’échauffaient et que le ton montait, la pendule retentit sur le palier.

Mais ne venait-elle pas de sonner ?

Un, deux, trois…

Cette saloperie lui foutait les jetons. … quatre, cinq, six…

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Les insultes volaient, Jim et Nigel s’affrontant comme deux loups prêts à se sauter à la gorge. Et pendant ce temps, quelque part à Caldwell, une âme était en jeu. Et Divine connaissait son identité.

Mais pas Jim. Adrian se frotta les yeux pour tenter de s’éclaircir la vue. Il lui faudrait du temps avant de s’habituer à ne voir que d’un œil, l’absence de relief gênant sa perception de la profondeur, de sa localisation dans l’espace, de la disposition de ses membres. … sept, huit, neuf…

Cette histoire de drapeau était de très mauvais augure.

Si Jim cédait une de ses victoires sans en avoir parlé à Nigel, cela ne pouvait avoir qu’une seule explication… Jim comptait l’échanger contre l’âme de Sissy.

Toute cette situation devenait incontrôlable. … dix, onze, douze…

Adrian jeta un regard noir en direction de la pendule.

— Allez, vas-y, espèce de sale…

Le treizième coup retentit comme une sorte de doigt d’honneur. Et alors que s’estompait le son lugubre, la dispute se poursuivait, Nigel et Jim réagissant de manière épidermique, chacun sourd aux arguments de l’autre.

Et tandis qu’ils gâchaient cette énergie précieuse, la bataille continuait : même si elle comportait des similitudes avec un match de football, il n’y avait pas de temps morts dans cette guerre en sept manches entre le bien et le mal.

Et vu ce qui se passait dans la chambre de Jim, le sauveur n’était pas sur le point de céder ni de voir la lumière. Il n’en ferait qu’à sa tête, un point c’est tout.

Son attention n’était pas portée sur le combat, mais sur Sissy. Et elle ne dévierait pas.

Quant à Nigel, il était concentré sur le fait d’enguirlander Jim. 25

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Et pendant ce temps, Divine approchait sûrement l’âme à sauver, lui tournait autour malgré l’interdiction qu’elle en avait…

La solution à laquelle parvint Adrian était radicale, et n’avait que peu de chances de réussir, mais que pouvait-il faire d’autre ?

Les deux joueurs les plus importants de l’équipe étaient en train de s’écharper, et rien n’était plus favorable à une défaite que de se laisser distraire de son but.

Ad regagna sa chambre, s’habilla, s’assit sur le lit et s’agrippa les genoux. Fermant les yeux, il envoya une requête, l’équivalent paranormal d’un appel téléphonique.

Il ne fallut pas plus de quelques secondes pour qu’il reçoive la convocation qu’il attendait.

Ce qui signifiait que l’archange Colin savait très bien pourquoi Nigel était descendu sur Terre, et n’appréciait pas plus la situation qu’Adrian.

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Chapitre 3

V

ictoria Beckham.

Voilà à qui lui faisait penser le visagiste, se dit Cait pendant que Pablo rinçait la coloration. Et ce n’était pas une insulte. C’étaient ses cheveux noirs, ses pommettes saillantes, et ses jambes maigres. Et cette moue, cette pose qu’il prenait, avec sa hanche en avant.

— Bien, redressez-fous, s’il fous plaît.

Cait obtempéra. Le coiffeur lui noua une serviette autour du crâne, puis la jeune femme se leva pour regagner le fauteuil.

— Fous zallez adorer, annonça Pablo tandis qu’elle s’asseyait.

Le plus curieux dans cet accent était son irrégularité, sa tendance à déformer voyelles et consonnes de manières différentes, un manque de constance indiquant qu’il était forcé. Ou alors Pablo était accablé d’un défaut d’élocution intermittent.

Quant au fait qu’elle allait adorer, rien n’était moins sûr…

Il dénoua la serviette et la masse de cheveux s’affala sur les épaules de Cait.

Il était impossible de distinguer quoi que ce soit. Certes, certaines mèches étaient plus claires, mais vu la quantité de papillotes qu’il avait placées sur son crâne, elle s’était attendue à un changement plus radical.

Pablo ouvrit le premier tiroir du meuble à côté de son miroir pour en sortir une brosse carrée de la taille d’une 27

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planche à découper. Empoignant son sèche-cheveux, il ébouriffa les mèches et entama le brushing.

— D’apord, on sèche, et après, « tchic tchic tchic »…

Bon sang, ses yeux étaient si sombres. Plus noirs que bruns.

Reportant le regard sur le miroir, elle grimaça. Quelle idée idiote d’être venue là, songea-t-elle. Et à la vue des trois tubes de couleur avec leurs pinceaux, elle se demanda si elle n’allait pas ressortir avec des cheveux bleus, blancs, rouges. Quant au temps qu’il avait fallu à ce type pour plier ces bandes de papier alu et transformer sa crinière en origami géant ? Une heure de la vie de Cait perdue à jamais. Sans parler du prix…

Quatre cents dollars ?

Peut-être ressemblait-elle davantage à ses parents que ses moments de révolte ne le suggéraient. Parce que cette excursion dans le monde de la vanité semblait un gâchis à bien des égards.

D’autant qu’elle ne pouvait plus faire machine arrière…

— Oh… waouh, s’exclama-t-elle doucement en tournant la tête.

La partie sur laquelle il avait travaillé était… splendide.

Désormais secs et lisses, ses cheveux avaient repris la couleur qu’ils avaient arborée pendant son enfance, une centaine de nuances de blond différentes entremêlées aux mèches épaisses et brillantes.

— Je fous l’avais dit, répondit Pablo.

Ou quelque chose dans le genre.

Et plus il poursuivait sa tâche, plus Cait était contente du résultat. Sauf qu’à ce moment-là, une paire de ciseaux apparut dans les mains du coiffeur.

— Vous êtes sûr que c’est bien nécessaire ? demanda-t-elle alors que les lames étincelaient sous les spots du plafond.

— Oh, foui.

Décidément, impossible de localiser cet accent.

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Puis tout s’accéléra. Les mains du visagiste se mirent à virevolter au-dessus de la tête de Cait, les lames aiguisées effilant les pointes à un rythme effréné, des mèches tombant au sol comme les plumes d’un oiseau effarouché. On aurait dit que des couches se superposaient… et oh, Seigneur, une frange… À présent, elle avait une frange.

Cait ferma les yeux. Une couleur pouvait toujours être corrigée. Mais cette coupe ? Il faudrait attendre une année avant de retrouver sa longueur. Et impossible de faire marche arrière.

Mon Dieu, qu’avait-elle fait… ?

Soudain, le dos de sa main se mit à la chatouiller et elle entrouvrit un œil. Une mèche de plus de sept centimètres, avec la pointe qui rebiquait presque insensiblement, avait atterri sur son poignet. Cait s’en empara et frotta les cheveux entre ses doigts.

Blonds. Très blonds.

Quand Pablo prit la parole, elle ne put qu’acquiescer en silence, submergée par ses émotions, incapable de se concentrer sur le monde extérieur. Le désespoir qui sous-tendait tous ses efforts pour transformer son allure lui sautait soudain à la figure. C’était ce désespoir qui expliquait cette transformation en blonde fatale et le fait qu’elle dépensait une fortune pour un acte totalement superficiel.

Et c’était là-dessus qu’elle aurait dû travailler.

Mais il est malheureusement bien plus simple de corriger les défauts de son apparence, de sa voiture ou de son appartement que de creuser plus loin et d’affronter ses choix, ses erreurs et… ses failles.

Comme le fait d’avoir passé sa vie à appliquer le prin­­­­­­ cipe de précaution, au point de forger les barreaux de sa propre cage.

La musique s’arrêta brusquement, comme si les enceintes avaient été programmées pour s’éteindre à cette heure 29

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précise, et dans le silence, Pablo troqua ses ciseaux contre un engin qui ressemblait à un fer à friser, sauf qu’il était doté de deux plaques chauffantes.

Un lisseur. C’était comme ça que ça s’appelait, se dit-elle.

Et le fait qu’elle n’en était pas sûre à cent pour cent renforça son sentiment d’être isolée du reste du monde.

Une sorte de rythme s’instaura alors que Pablo faisait glisser le fer des racines aux pointes, une mèche après l’autre.

Et tandis qu’il s’affairait autour de sa tête, elle avait trop d’espace pour penser, trop de temps pour contempler la boucle blonde dans sa main.

Des larmes lui piquèrent les yeux, et elle se racla la gorge.

Au moins, la police avait retrouvé le cadavre de Sissy Barten, si bien que ses parents auraient un corps à enterrer.

Quel gâchis. Une preuve de plus qu’il fallait profiter de la vie, parce qu’elle pouvait s’achever à tout instant.

— Et foilà !

Pablo la fit pivoter devant le miroir, mais l’espace d’un instant, elle ne put détourner le regard de ce qu’elle tenait dans sa paume. Puis elle leva les yeux et…

— Magnifique…, murmura-t-elle.

Les frisottis avaient disparu, et des boucles brillantes tombaient en cascade depuis le sommet de son crâne, le balayage désormais bien visible alors que la longueur n’avait guère changé.

Avec son accent à couper au couteau, Pablo se mit à décrire le poids qu’il venait d’enlever, et la façon dont il avait libéré les cheveux de Cait pour qu’ils puissent s’exprimer pleinement. Bla, bla, bla. Du baragouin auquel elle ne prêta aucune attention. En revanche, elle était subjuguée par le fait que cette coupe lui donnait l’air beaucoup plus jeune. Ou peut-être était-elle plus… féminine ? Éclatante ?

Canon, comme aurait dit son frère.

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Elle jeta un coup d’œil aux cheveux entre ses doigts et les laissa tomber au sol. La vie n’était pas dotée d’une touche « retour ». Impossible de rebrousser chemin… on ne pouvait qu’avancer. Une vérité qu’elle avait apprise à l’âge de douze ans, sa première leçon d’adulte alors qu’elle n’était encore qu’une enfant.

Et que la mort de Sissy lui avait récemment rappelée.

— C’est… parfait, finit-elle par dire.

Pablo se fendit d’un large sourire.

Il ôta la cape des épaules de Cait, qui regagna le vestiaire où elle enfila le reste de ses habits. En se regardant dans la glace, elle fut époustouflée. Ses cheveux rehaussaient son pantalon noir et son banal pull-over, si bien qu’on les aurait crus tout droit sortis d’un grand magasin. Même son sac rouge avait gagné en élégance, au point d’avoir l’air foncièrement italien.

Quand elle sortit pour payer, elle avait l’impression de ressembler à ces femmes qu’on voit dans les publicités, avec des boucles qui rebondissent à chaque pas, brillent même sous un faible éclairage et attirent tous les regards.

Devant la caisse, elle s’empara de son carnet de chèques et écarquilla les yeux à la vue de la facture, même si elle était au courant du prix depuis le début.

— Foulez-fous prendre un noufeau rendez-fous ?

Cait leva le nez des zéros qu’elle traçait. Juste derrière Pablo se trouvait un miroir qui s’élevait jusqu’au plafond, et par-dessus l’épaule droite du visagiste, elle eut un aperçu de sa nouvelle allure.

Excellent outil de marketing, songea-t-elle en s’admirant avant d’acquiescer.

Cinq minutes plus tard, elle quittait le salon avec son compte bancaire beaucoup plus léger et une carte pour une retouche six semaines plus tard.

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Elle sortit et regagna sa Lexus, sidérée par ce qu’elle venait d’accomplir. Mais au moins, elle commençait à s’accoutumer au traumatisme postachat. D’ailleurs, elle l’éprouvait toujours au sujet de sa nouvelle voiture ; enfin, elle n’était pas neuve, mais elle était nouvelle pour elle. Le vendeur d’occasions lui avait concédé une jolie remise, et elle devait bien admettre qu’elle n’avait jamais connu de véhicule plus agréable à conduire.

Cependant, le choc lui donnait encore des vertiges de temps à autre. À peine montée dans son 4 × 4, elle abaissa son rétroviseur et fit gonfler ses boucles blondes. Voilà qui tombait à pic, se dit-elle, étant donné qu’elle sortait le soir même, ce qui ne lui était pas arrivé depuis des lustres.

Après avoir démarré, elle s’engagea sur la route déserte et s’éloigna de l’enclave luxueuse. En guise de « rancard », elle avait rendez-vous avec une vieille copine de lycée…

Alors que des souvenirs remontaient à la surface, elle alluma la radio pour rompre le silence et freina devant un feu rouge. Puis elle se pencha, incapable de résister à l’envie de jeter un nouveau coup d’œil au rétroviseur…

— Et merde…

Cait tourna la tête de l’autre côté. Un réflexe idiot. Mais au moins, elle n’avait pas perdu ses deux boucles d’oreilles.

Le bijou était sûrement tombé dans le vestiaire. Son pull avait une encolure étroite et les fermoirs des petits coquillages en or ne tenaient pas très bien. Lorsque le feu passa au vert, elle accéléra en se persuadant que ce n’était pas bien grave.

Ce fut de courte durée.

Les boucles étaient en or massif, quatorze carats, mais surtout, elle les avait achetées lors de ses vacances aux Bahamas, juste après avoir décroché son diplôme.

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Tournant brusquement le volant sur la gauche, elle exécuta un demi-tour interdit et rebroussa chemin pour récupérer son bijou.

Quand Adrian fit son entrée au paradis, il fredonnait Tears in Heaven, d’Eric Clapton, et d’une voix juste, car il n’avait personne à agacer en faisant semblant de chanter comme une casserole.

— … would you know my name…

Le gazon était d’un vert vif et printanier, et le ciel d’un bleu aussi éclatant que le vitrail d’une cathédrale. Sur la gauche, les murs de la Demeure des âmes étaient aussi solides et immenses qu’une chaîne de montagnes, le pont-levis enjambant une douve qui scintillait sous une lumière dont la source était impossible à repérer.

Sur le parapet surplombant l’enceinte, seuls deux drapeaux de la victoire s’agitaient paresseusement. Il en manquait un.

Mais quelle mouche avait bien pu piquer Jim ?

Adrian poursuivit sa route. Sur la droite, à côté d’un terrain de croquet, une table était dressée pour le thé, quatre chaises entourant les serviettes en damas, les couverts en argent et la vaisselle en porcelaine. Personne n’était attablé.

D’ailleurs, à bien y regarder, Ad était seul. Ça n’avait aucun sens. Colin l’avait convoqué, alors l’archange était forcément…

Un sifflement aigu et lointain flotta jusqu’à ses oreilles.

Adrian pivota, regarda en direction de la rivière, et s’avança avec la démarche mal assurée à laquelle il n’était pas encore habitué. Bizarre, jusqu’alors, il n’avait pas remarqué qu’une telle étendue séparait le château du cours d’eau, mais depuis qu’il boitait, il appréciait les distances d’une toute nouvelle manière.

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L’archange Colin se trouvait devant les arbres, près de la vieille tente de campagne britannique qui constituait ses quartiers privés. Debout dans le ruisseau qui serpentait autour de son petit coin de paradis, il était nu comme un ver, les flots tumultueux roulant jusqu’à ses hanches.

— Tu marches moins vite qu’avant, non ? dit Colin quand Adrian s’approcha.

Peu importe. Sa patte folle n’était pas le sujet.

— On a un putain de gros problème.

D’ordinaire, Colin aurait répliqué par une pique. Mais pas ce soir. L’archange émergea de la rivière, son corps puissant étincelant au soleil, ses jambes musclées le menant à l’endroit où il avait suspendu une serviette blanche à un arbre.

— C’est grave à quel point, en bas ? demanda-t-il en se couvrant.

Ad grogna tout en s’asseyant sur un rocher, savourant la chaleur qui envahit son corps fatigué.

— Donc, vous savez où se trouve Nigel.

— Bien sûr.

— Alors, vous savez aussi pourquoi je ne vais pas y aller par quatre chemins. (Ad leva les mains pour couper court à toute protestation.) Jim vient d’opérer un virage à cent quatre-vingts degrés et il est complètement dans les choux.

Personne n’est concentré sur la partie en cours, à l’exception de Divine. Et vous savez quoi ? Si Jim est distrait, ce n’est rien comparé à ce qui arrivera si la démone lui donne cette fille.

Pour toute réponse, Colin se contenta de secouer la tête, ce qui était loin, très loin d’être suffisant.

Ad lâcha un juron.

— Sérieusement. Vous devez intervenir avant qu’on perde cette fichue guerre. Je ne peux pas discuter avec Nigel. Lui et moi nous entendons comme chien et chat.

Colin écarta ses cheveux bruns et mouillés de son visage.

— J’avais espéré…

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Il laissa sa phrase en suspens. Ad haussa les épaules.

— Espéré quoi ? Que Jim glisserait dans la douche et se cognerait la tête assez fort pour reprendre ses esprits ? Bordel, s’il y avait une seule chance que ça arrive, je lui balancerais une planche en pleine tronche. Mais inutile de se leurrer.

Le sauveur n’est plus dans la partie et je ne crois pas qu’il y reviendra. Même si Nigel menace de le transformer en chair à pâté.

Colin serra les poings, comme si l’envie de flanquer des beignes le démangeait lui aussi.

— Jim est l’élu. On ne peut rien faire pour le renverser, si c’est ce que tu suggères.

— Vous croyez que je veux sa place ? (Ad éclata d’un rire franc.) Vous vous foutez de moi ?

— N’est-ce pas la raison de ta visite ?

— Je veux gagner. C’est uniquement pour ça que je suis venu.

Colin haussa un sourcil hautain.

— Je suis surpris de te voir aussi impliqué dans cette guerre. Cela ne te ressemble pas.

— On ne peut pas se permettre de perdre.

— À cause d’Eddie ? (Quand aucune réponse ne lui parvint, l’archange fronça les sourcils.) Éprouver de la loyauté envers les morts est honorable, et pour tout dire, si cela renforce ta détermination, je ne saurais m’en plaindre.

— Révélez-moi le nom de l’âme. C’est tout ce dont j’ai besoin.

Colin n’eut pas l’air surpris, mais à la vérité, il n’était pas idiot. Pas plus qu’il n’était prêt à enfreindre le règlement, malheureusement.

— Tu sais très bien que je n’en ai pas le droit.

— Ça restera entre nous.

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— Ne sois pas stupide. Et non, ce n’est pas Nigel qui me fait peur. J’ai de l’influence sur lui. C’est le Créateur, mon cher.

— Alors, descendez sur Terre et intervenez vous-même auprès de l’âme. Jim ne le fera pas, et son obsession causera notre perte. On n’abandonne pas une de ses victoires, bon sang !

— Tu n’étais pas au courant de ses intentions ?

— Bien sûr que non ! Sinon, j’aurais tenté de l’en empêcher. L’âme de mon pote est en jeu !

— Je me disais aussi.

Colin posa les mains sur ses hanches et se mit à faire les cent pas, ses pieds nus laissant une empreinte dans le sable.

— Dites-moi de qui il s’agit, insista Adrian, et je m’en occuperai.

— Ni toi ni moi ne pouvons intervenir.

— D’accord. Très bien. Donnez-moi son nom et je m’arrangerai pour placer Heron sur son chemin.

L’ancien Adrian aurait palabré jusqu’à obtenir satisfaction, mais la logique était claire et éloquente. Et Colin était le plus rationnel du groupe. Il l’avait toujours été.

— Je ne peux pas m’impliquer, marmonna Colin.

— Alors laissez-moi m’en charger.

— Ce n’est pas possible non plus, je le crains.

Génial.

— Alors, on a quoi comme option, bordel ? Rester les bras croisés pendant que Jim sabote tout le boulot ?

Quand seul le silence lui répondit, il commença à s’inquiéter pour de bon.

— Colin, vous devez nous aider. Je sais que ça fait très Guerre des étoiles, mais vous êtes notre seul espoir.

— Guerre des étoiles ?

— Laissez tomber. Écoutez, vous devez agir.

L’archange se tut un long moment.

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— Je ne peux pas tout te dire.

— Je n’en demande pas tant. Montrez-moi juste la bonne direction. C’est tout ce dont j’ai besoin. Mais que les choses soient claires. Si vous et vos collègues restez en dehors de cette merde, on va droit dans le mur. J’en mets ma main au feu.

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À suivre...